République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9557-A
Rapport de la commission d'aménagement du canton chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi concernant l'encouragement à la stabilisation des jardins ouvriers par l'Association genevoise du Coin de Terre
Rapport de majorité de Mme Nelly Guichard (PDC)
Rapport de minorité de M. Jean-Michel Gros (L)

Premier débat

M. Guy Mettan (PDC), rapporteur de majorité ad interim. Ce projet concernant le Coin de Terre a déjà fait couler beaucoup d'encre et suscité pas mal de travaux, d'auditions, etc. Il apparaît que c'est un problème extrêmement complexe et que le rapport qui vous est soumis aujourd'hui ne prend pas en compte toute la complexité du problème. C'est pourquoi, d'entente avec le président du DCTI, nous serions favorables à un renvoi de ce projet en commission, afin que nous puissions encore examiner sereinement toutes les solutions que l'on pourrait apporter à ce problème - je le redis: complexe.

Je demande formellement le renvoi en commission. Voilà ce que je voulais dire en préambule.

Le président. Monsieur le rapporteur, vous demandez un renvoi en commission: vous pensez à la commission de l'aménagement d'où vient cette motion ?

M. Guy Mettan. Exactement.

M. Jean-Michel Gros (L), rapporteur de minorité. Le rapport de majorité de Mme Guichard reflète très précisément les travaux de la commission, je n'y reviens donc pas. Cependant, ces derniers temps, il ne règne pas une ambiance extraordinaire à l'Association genevoise du Coin de Terre. Des tensions sont perceptibles entre les propriétaires, les locataires des jardins, les partisans de l'assouplissement des règles internes et les partisans du maintien absolu de l'esprit fondateur de 1933.

Ces tensions n'ont pas empêché l'assemblée générale d'approuver à 80% une modification des statuts initiée par le Conseil d'Etat, limitant à vingt-cinq ans le droit de réméré. Détail piquant, cette modification est intervenue en 2002 et a été approuvée par le Conseil d'Etat, alors que l'on avait déjà connaissance de l'arrêt du Tribunal fédéral disant en substance que l'Association du Coin de Terre aurait pu maintenir un droit de réméré à durée indéterminée, malgré la modification du code des obligations.

Malgré cela, et malgré les tentatives infructueuses de certains membres de l'association de réintroduire ce droit de réméré illimité, le Conseil d'Etat veut le réintroduire par le biais de ce projet de loi.

La minorité est d'avis que cette manière de faire est plutôt cavalière vis-à-vis des 80% des membres de l'association qui se sont prononcés pour une limitation à vingt-cinq ans du droit de réméré. Le Conseil d'Etat invoque l'argument de vouloir pérenniser l'Association du Coin de Terre, ce que la limitation du droit de réméré mettrait en cause.

Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes tous favorables - majorité et minorité - à la pérennisation de l'Association genevoise du Coin de Terre. Mais la minorité vous demande instamment de ne pas voter ce projet de loi la tête dans le sac. Nous risquerions alors un schisme total au sein de cette association, qui provoquerait à coup sûr sa fin.

Rappelons-nous que ce droit de réméré, selon la manière dont il est appliqué, peut causer des drames. Je ne peux qu'évoquer ce suicide d'un retraité de 82 ans dans la cour du Palais de Justice, parce que l'association l'avait empêché de vendre sa maison à sa propre famille. Ne pas voter la tête dans le sac, c'est peut-être - comme l'a dit M. Mettan - tenter encore de trouver un compromis. Il y a sur vos tables un amendement de M. Jornot, que vous avez sans doute lu, et qui est susceptible de déclencher un accord total dans notre Conseil.

La minorité est en tout cas prête à réexaminer sa position si les cas d'aliénation aux proches parents n'étaient pas soumis au droit de réméré. Je laisse au débat qui va suivre le soin de démontrer si cette modification nécessite un renvoi en commission ou si elle peut être décidée ce soir. Mais la minorité pense que cette proposition pourrait contribuer à apaiser la situation au sein de l'Association du Coin de Terre et ainsi contribuer à sa pérennisation.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Je donne la parole à Mme Schenk-Gottret. (Commentaires.) Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez déjà pu vous exprimer... (Remarque de M. Guy Mettan. Le micro du rapporteur ne fonctionne pas.) M. Mettan a simplement a simplement précisé qu'il souhaitait renvoyer ce projet de loi à la commission du logement et non pas à celle de l'aménagement, d'où elle revient pourtant.

Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Le groupe socialiste est pour le moins surpris des déclarations de M. Mettan, car les travaux en commission avaient été extrêmement clairs. En effet, cette loi est utile et contient un côté indéniablement salutaire dans la démarche. En mai 2001, notre Conseil approuvait les invites d'une pétition relative au statut d'utilité publique de l'Association du Coin de Terre et renvoyait cette pétition au Conseil d'Etat. L'une des invites demandait au Conseil d'Etat d'étudier les dispositions juridiques nécessaires pour garantir la pérennité du Coin de Terre. C'est pourquoi le Conseil d'Etat a décidé de procéder par voie législative. Un arrêt du Tribunal fédéral et un avis de droit l'ont conforté dans la démarche. Le Tribunal fédéral a établi une distinction entre les droits de préemption et de réméré conclus sur une base contractuelle et les droits de même nature, mais institués pour des motifs d'intérêt général. Ces derniers concernent en général des objectifs de politique sociale.

En outre, le Tribunal fédéral reconnaît que le Coin de Terre est une association d'utilité publique dont le but principal est de permettre aux familles de condition modeste d'acquérir et de construire des maisons d'habitation. Il estime donc que les droits de préemption et de réméré institués par le Coin de Terre servent à la mise en oeuvre de son but statutaire, puisqu'ils lui permettent de lutter contre la spéculation foncière. Sensible à ce but statutaire, le groupe socialiste - tout comme la majorité de la commission lors de ses travaux - a voté ce projet et n'est pas favorable au renvoi en commission, et encore moins à la commission du logement. S'il devait y avoir un renvoi en commission, ce serait au moins à la commission de l'aménagement. (Applaudissements.)

M. Olivier Jornot (L). Nous parlons en effet d'une vieille dame, cette Association genevoise du Coin de Terre, née en 1933. Suite à l'intervention des rapporteurs, je pensais faire court sur cette question et me rallier au renvoi en commission. L'intervention de Mme Schenk-Gottret m'oblige néanmoins à apporter quelques précisions sur la question de fond qui motive - ou ne motivera pas - le renvoi de cet objet en commission.

C'est cette fameuse question du droit de réméré. On a peut-être oublié en commission que la situation n'était de loin pas aussi limpide sur le plan juridique que ce qui vient d'être dit. Mesdames et Messieurs, le 1er janvier 1994 est entré en vigueur l'article 216a du code des obligations, qui a supprimé le droit de réméré illimité et instauré une limite de 25 ans. En 2000, le Tribunal fédéral n'a absolument pas dit - contrairement à ce qui vient d'être affirmé - que l'Association du Coin de Terre pouvait maintenir un droit de réméré illimité, il a simplement dit: « On peut raisonnablement se demander si de tels droits» - c'est-à-dire ceux qui ont une vocation sociale - «entrent dans les prévisions de l'article 216a».

Sur la base de cette phrase qui laisse absolument toutes les portes ouvertes, la commission a estimé qu'elle pouvait, sans autre forme de procès, adopter le projet de loi qui revient aujourd'hui devant ce Conseil, donc imposer à l'association de se doter d'un droit de réméré illimité. On a même dit en commission qu'en cas de litige les personnes concernées n'ont qu'à aller au Tribunal fédéral pour faire trancher cette affaire... Je trouve que c'est grave de dire ainsi aux membres de cette association que, s'ils sont en litige avec leur comité, ils peuvent aller devant toutes les instances judiciaires et jusqu'au Tribunal fédéral.

De surcroît, le projet de loi présente des inconvénients très concrets que le rapporteur de minorité, M. Jean-Michel Gros, a bien exposés. Le droit de réméré illimité a pour effet concret d'empêcher la transmission des biens au sein des familles, et du point de vue de la politique familiale - laquelle doit nécessairement accompagner une politique sociale bien comprise - cette solution n'est évidemment pas satisfaisante.

L'amendement qui vous est soumis vise à permettre d'appliquer une cautèle sur ce projet de loi. Mais, appliquer une cautèle peut parfois revenir à appliquer un emplâtre sur une jambe de bois. Par conséquent, plutôt que de le voter sur le siège en engageant un grand débat, il convient d'avoir une réflexion approfondie, non seulement sur la solution proposée par cet amendement, mais, de manière plus générale, sur toute la problématique de cette Association genevoise du Coin de Terre et de ses méthodes, mises en place dans les années 30 et dont on peut se demander si aujourd'hui elles ont encore un sens en matière de politique sociale du logement.

Cette affaire doit bien entendu être renvoyée à la commission du logement, puisque c'est bel et bien un problème de politique du logement et que ce n'est en rien un problème d'aménagement.

M. Gabriel Barrillier (R). On doit s'exprimer sur le renvoi à la commission du logement. Les explications juridiques de mon préopinant sont tout à fait probantes. J'ai repris tout ce dossier récemment et j'ai la conviction que le projet de loi accepté à l'époque par la majorité de la commission est contraire au droit fédéral. Et il ne réglerait pas la problématique.

Vous savez que ce sujet est explosif, il est même douloureux: depuis des mois, en tant que membres de la commission, nous recevons des remarques et des propositions qui m'ont convaincu que la solution retenue par la majorité n'était pas la bonne. Mais des amendements sont possibles pour tenter de pacifier la situation dans cette association.

Il est bien clair que le groupe radical n'est pas opposé au développement ou au maintien de la propriété privée à caractère social. Mais - comme l'a dit M. Jornot - peut-être que ce système a l'esprit des années 30, il y a peut-être un peu de paternalisme... On peut favoriser l'accession à la propriété par d'autres mesures, nous en avons discuté à plusieurs reprises dans cette enceinte.

Pour pacifier ce dossier, le groupe radical vous prie de renvoyer ce projet de loi à la commission du logement.

M. Jean-Michel Gros (L), rapporteur de minorité. La minorité se rallie totalement à la proposition de renvoyer ce projet à la commission du logement. Cela donnera un regard neuf sur ce problème qui est plus grave que beaucoup ne le pensent.

Il faudrait veiller à ce que tous les procès verbaux de la commission de l'aménagement - car nous y avons passé beaucoup de temps - soient transmis à la commission du logement pour éviter qu'elle ne perde trop de temps dans des auditions inutiles. Il me paraît tout à fait logique que tout cela passe à la commission du logement - avec un regard nouveau - afin de trouver un compromis satisfaisant pour toutes les parties, notamment pour tous les membres de l'Association genevoise du Coin de Terre.

M. Mark Muller, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat a déposé ce projet de loi en mai 2005 et la commission de l'aménagement l'a traité très rapidement, le rapport ayant été remis pas plus de six mois plus tard. Je tiens à remercier chaleureusement la commission de l'aménagement pour la célérité de son travail.

Cela étant, il faut bien reconnaître que, depuis le dépôt de ce rapport, de nombreuses réactions se sont manifestées et le département a lui-même été saisi de plusieurs interventions de la part de membres de cette Association du Coin de Terre. Il nous semble donc qu'un renvoi en commission se justifie, pour essayer de régler ce problème de manière sereine, pour ramener le calme et la sérénité dans cette association qui poursuit un but social qu'il convient de maintenir et de soutenir.

Le président. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission avec deux variantes. Je vais donc mettre aux voix le principe du renvoi en commission, puis nous choisirons celle des commissions destinataires.

Mis aux voix, le principe du renvoi en commission est adopté par 57 oui contre 14 non.

Le président. Ce principe étant adopté, reste maintenant à choisir entre la commission du logement et la commission de l'aménagement. Attention, écoutez bien, c'est inhabituel ! Ceux qui soutiennent le renvoi à la commission du logement voteront oui et ceux qui soutiennent le renvoi à la commission de l'aménagement voteront non.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9557-A à la commission du logement est adopté par 57 oui contre 15 non.