République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 15 décembre 2005 à 20h35
56e législature - 1re année - 3e session - 11e séance
PL 9194-A
Premier débat
Mme Mariane Grobet-Wellner (S). Nous sommes face à un projet de loi proposé par nos anciens collègues de l'Alliance de gauche dans le but non pas de rétablir les finances publiques dans l'immédiat mais dans celui d'éviter des dégâts financiers supplémentaires pour notre canton, causés par de nouvelles propositions de diminution des impôts de la part de la droite. Une fois de plus, forte de sa majorité, la droite a refusé d'entrer même en matière.
En ce qui me concerne, je dirai ceci: on peut les comprendre. Ce projet de loi ne propose rien d'autre que d'obliger les initiateurs d'une baisse de recettes de l'Etat à dire très clairement à la population comment ils entendent financer la diminution des impôts. Si c'est par le biais de l'augmentation escomptée d'autres recettes y consécutives: et si oui, lesquelles ? Si c'est par le biais d'une diminution des prestations: et si oui, lesquelles ? Enfin, faut-il inclure l'augmentation de la dette chiffrée ? Par conséquent, je peux comprendre que cela les embête sérieusement. Il est tellement plus porteur de pouvoir continuer à affirmer à la population qu'à Genève on rase gratis et ainsi obtenir l'aval de la population pour des diminutions d'impôts. C'est vrai que devoir dire toute la vérité à la population afin qu'elle se prononce en toute connaissance de cause risque de compliquer quelque peu les choses...
Plus sérieusement, ce qui est proposé ici est indispensable pour éviter d'autres couacs du même genre que la baisse de 12% qui a coûté quelque 2 milliards à l'Etat et qui a fait exploser la dette. L'objection technique avancée, à savoir une difficulté de chiffrage exact et la non-attribution directe de nos impôts, n'est pas pertinente. Il suffit d'estimer les conséquences financières dans une fourchette approximative - ce n'est du reste pas le seul cas d'estimation financière de l'Etat, puisque notamment les recettes fiscales figurent dans les comptes sous forme d'estimations.
Les socialistes soutiennent le droit des citoyens à connaître les conséquences prévisibles d'une diminution de recettes avant de se prononcer en vote populaire et vous invitent, en conséquence, à renvoyer ce projet de loi à la commission fiscale.
Le président. Nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi en commission.
M. Pierre Weiss (L). Le groupe libéral se prononcera évidemment de façon négative à l'égard de cette proposition de renvoi en commission pour une raison très simple: ce projet de loi est totalement superflu, à l'heure actuelle, parce que nous avons adopté un projet de loi constitutionnel ainsi qu'un projet de loi sur le frein aux dépenses dans ce parlement. En d'autres termes, nous avons ici affaire à une proposition dont l'ambition est relativement mesurée et dont l'efficacité est considérée comme nulle par le rapporteur de majorité, argument qu'il pourrait développer le cas échéant.
Ainsi donc, Monsieur le président, je crois qu'il serait bon que nous mettions un terme à cet exercice d'examen de ce projet de loi en refusant d'abord le renvoi en commission puis l'entrée en matière à son sujet.
M. Pierre Kunz (R). S'agissant exclusivement, bien entendu, du renvoi en commission j'aimerais dire à Mme la rapporteure, qui l'a proposé à ses collègues, que je n'ai pas de conseils à leur donner. Je me permets quand même de citer les propos d'un homme tout à fait estimable, un philosophe qui s'appelle André Comte-Sponville et qui disait récemment ceci dans une chronique: «Un homme de gauche, s'il sacrifie le réel à l'idéologie, s'interdit par là même de le transformer efficacement. Cela ne lui laisse guère le choix qu'entre les bons sentiments et les mauvais procès; deux formes d'impuissance.»
Nous refuserons bien entendu le renvoi en commission.
M. Roger Deneys (S). Heureusement que nous n'avons pas les mêmes lectures que M. Kunz, ce qui nous permet de penser librement et de faire évoluer la société dans le sens du bien collectif - au contraire de certains.
Pour les socialistes, il est clair que tout projet de loi qui a un impact au niveau des recettes de l'Etat doit donner des indications quant aux conséquences qu'il peut avoir sur la vie des citoyens. C'est élémentaire. Cela fait partie de la transparence ou, pour reprendre le mot tarte à la crème qu'emploient certains députés et certains journalistes ces derniers temps, de la bonne gouvernance de la République. On ne peut pas se contenter de dire: «Y a qu'à baisser, y a qu'à supprimer, y a qu'à économiser !» sans concrètement dire ce qui va changer pour chacun d'entre nous. C'est une question de responsabilité de la part du politique de donner ce signal, et si des initiants ne sont pas capables de le faire dans leur texte, je pense que c'est raisonnable de nous assurer qu'un projet de loi l'y oblige.
Dans ce sens-là, nous vous invitons donc à renvoyer ce projet de loi à la commission fiscale afin d'étudier une mise en oeuvre concrète pour ce projet.
M. Jacques Jeannerat (R), rapporteur de majorité. Je m'oppose au renvoi en commission de ce projet de loi. Le débat a été court en commission mais l'argument de base était tellement évident que nous ne sommes pas entrés en matière. Je suis tout à fait d'accord avec le fait qu'il faille toujours dire la vérité aux électeurs mais, dans le domaine qui nous concerne, ce n'est pas seulement difficile: ce n'est faisable que de façon approximative et aléatoire. En effet, il n'est pas possible de mesurer précisément les mesures fiscales. On le voit très bien pour l'élaboration du budget, ce n'est pas M. Hiler qui va me contredire.
Ce sont donc des éléments de nature tellement approximative qu'on ne peut pas les inscrire dans une loi, donc ce projet de loi ne tient absolument pas la route.
M. Gilbert Catelain (UDC). Sur le fond il sera inutile de renvoyer ce projet de loi en commission, parce que le débat a eu lieu. L'article 7 est relativement simple: ce projet de loi est pour moi légitime.
Il serait très utile pour ce parlement de connaître l'incidence d'une diminution d'impôts ou de taxes; le seul problème, c'est que la modification de loi qui nous est proposée instaure un axiome qui veut qu'une diminution de l'assiette d'impôts ou de taxes engendre de facto une diminution de recettes, ce que l'histoire contredit. (Manifestation dans la salle.) On sait pertinemment, comme dans la facturation du prix de biens et de services, qu'une diminution de prix engendre généralement une augmentation de volume et qu'à Genève, en particulier, si vous diminuez l'impôt et respectivement les taxes, vous aurez un effet d'appel d'air qui peut engendrer une augmentation de recettes. Instaurer, décréter dans une loi, comminatoirement, qu'une diminution de taxes ou d'impôts instaurera une réduction de recettes...
Une voix. ... de dépenses !
M. Gilbert Catelain. ... ou de dépenses, c'est à mon avis totalement présumer de la réalité fiscale.
Sur cette base, je vous recommande de ne pas voter le renvoi en commission de ce projet de loi.
Mme Michèle Künzler (Ve). Je ne suis pas favorable au renvoi en commission puisque sur le même thème il y a eu le frein à l'endettement.
J'aimerais répondre à M. Catelain. On nous dit sans arrêt la même chose: en baissant les impôts, on va augmenter les rentrées. Mais ce n'est pas vrai partout. C'est vrai dans certains paradis fiscaux, qu'il faudrait mieux appeler les parasites fiscaux, parce que cela ne peut marcher que lorsqu'on est dans un cercle attractif, comme Zoug l'est pour Zurich ou comme Cologny l'est par rapport à Genève. Dans ce cas, on peut baisser les impôts, parce qu'on bénéficie de tous les avantages et on attire la clientèle riche qui bénéficie de la baisse. Mais si vous baissez les impôts dans un endroit peu attractif d'un point de vue économique, social et culturel, cela ne servira strictement à rien, parce que personne n'ira dans un trou perdu. Voilà la réalité.
Ce n'est que dans le cadre d'un cercle attractif que vous avez raison, et Genève n'est pas dans ce contexte; elle est dans un contexte de ville centre qui doit avoir des rentrées importantes et qui ne peut pas se permettre de baisser les impôts, parce que cela entraînera des diminutions de prestations et que les gens n'y viendront plus.
Le président. Je mets aux voix la proposition de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9194 à la commission fiscale est rejeté par 61 non contre 15 oui et 1 abstention.
Mis aux voix, le projet de loi 9194 est rejeté en premier débat par 44 non contre 24 oui et 11 abstentions.