République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 15 décembre 2005 à 17h
56e législature - 1re année - 3e session - 10e séance
PL 8640-A
Premier débat
Mme Michèle Künzler (Ve), rapporteuse de majorité. Il s'agit d'un projet de loi avant tout idéologique. Il n'a qu'une incidence minime sur les finances, mais il est important, car il cherche à détériorer le climat fiscal. Le Conseil d'Etat nous a annoncé qu'il imposerait un moratoire sur les hausses d'impôts jusqu'à ce que l'on révise le fonctionnement de l'Etat. Nous proposons de faire de même pour les baisses d'impôts.
En acceptant ce projet de loi, il y a deux risques. Le risque de voir abolir totalement cette taxe, car on pourrait envisager de le faire par des procédures juridiques. L'abrogation totale de cette taxe est la volonté non dissimulée d'une grande partie de la droite. Cela reviendrait à grever lourdement les budgets communaux, car cette taxe représente une grande part des rentrées communales (plus de 10% pour la commune de la Ville de Genève).
Le deuxième risque me semble plus important. Au moment où nous cherchons une concertation, où nous cherchons à évaluer les prestations susceptibles d'être reprises par les communes, est-il utile, ou n'est-il pas absolument dangereux de créer un front sur ce point qui est anecdotique, au risque de mettre en péril tout le reste de la péréquation communale et toutes les autres possibilités que nous avons de réformer l'Etat ? Nous pensons sincèrement que cet objet ne vaut pas la peine d'ouvrir une guerre avec les communes.
Vous ne répondez pas aux demandes des entreprises, cela aussi paraît choquant. Que demandent-elles ? Elles ne demandent pas l'abrogation de ces 10 F par personne ! Elles demandent que l'on passe enfin à une taxation annuelle et non plus bisannuelle, et que l'on ne fasse pas du praenumerando. Les frais administratifs engendrés par deux systèmes de taxation totalement déconnectés, c'est cela qui est vraiment dommageable pour les entreprises !
D'autre part, je ne sais pas si vous savez qu'il n'y pas moins de 169 sous catégories taxées différemment ! Voilà un objet de réflexion et de révision. C'est cela que nous demandons au Conseil d'Etat. Il faut absolument agir pour la perception de la taxe et améliorer son fonctionnement.
Nous vous invitons à suivre la majorité de la commission et à refuser ce projet de loi qui, pour symbolique qu'il soit, ouvrira une guerre avec les communes qu'il n'est pas de bon ton d'ouvrir maintenant.
Le président. Merci, Madame le rapporteur. Je salue à la tribune la présence de notre ancien collègue et ex-rapporteur de minorité, M. Jean Rémy Roulet. (Applaudissements.)
M. Pierre-Louis Portier (PDC). Depuis longtemps, au sein de cet hémicycle, nous parlons de la taxe professionnelle communale qui, incontestablement, revêt un certain nombre de problèmes ou qui, en tous cas, ne satisfait pas nombre d'entre nous, et même pas un certain nombre d'élus communaux ayant l'honnêteté de le reconnaître.
Pour finir, le groupe démocrate-chrétien s'est rallié à la minorité de circonstance, enfin, à l'avis de la majorité de la précédente législature.
On ne doit pas traiter ce problème à la légère. En effet, vous n'ignorez pas que la taxe professionnelle - toutes communes confondues - engendre 125 millions de recettes fiscales pour les communes, dont 100 millions pour la seule Ville de Genève. Il s'agit donc de quelque chose de sérieux.
Par contre, quelque chose interpelle les démocrates-chrétiens, c'est le fait que nous taxions l'emploi. Cela a été l'essentiel des débats en commission. Chaque entreprise est tenue de payer 10 F par employé et cela - à l'heure où nous sommes tant préoccupés par les problèmes d'emploi - est assez contre-productif.
Il y a trois mois, les démocrates chrétiens au sein de la commission ont voté ce projet de loi issu de longs travaux. Je rappelle que 18 séances, ni plus, ni moins, ont été consacrées à l'étude de ce projet. Mais ces 18 séances n'ont certainement pas été inutiles, car elles ont démontré toute la difficulté de résoudre la problématique de la taxe professionnelle communale. N'empêche que les résultats de ces travaux ne se soldent que par une seule et unique proposition, la suppression de ces 10 F.
Au moment où je vous parle, les démocrates-chrétiens sont très préoccupés par les difficiles négociations qui auraient déjà dû aboutir entre l'Etat et les communes, et ils l'ont déjà été énormément dans le passé. En effet, par ma voix dans cet hémicycle et par d'autres dans d'autres circonstances, les démocrates-chrétiens réclament à corps et à cris - et depuis longtemps - qu'aboutisse le plus rapidement possible la nécessaire redistribution des tâches entre l'Etat et les communes. Et il nous paraît donc extrêmement inopportun de donner un tel signe politique actuellement, c'est-à-dire de supprimer une partie des recettes fiscales communales. Ces recettes fiscales, rappelons-le au passage, sont le seul domaine fiscal où les communes ont une certaine indépendance et peuvent appliquer la politique qu'elles souhaitent. Mesdames et Messieurs, nous souhaitons que ce projet soit renvoyé en commission, car il nous paraît important de le laisser encore quelque temps en commission et de charger le Conseil d'Etat d'inclure dans le paquet des négociations entre l'Etat et les communes ce problème de la taxe professionnelle communale.
Il y a une autre raison qui nous pousse à faire cette demande. C'est un problème purement technique. Au-delà de la perte fiscale estimée, le critère de l'effectif du personnel reste prépondérant pour la répartition intercommunale de la taxe, lorsqu'un contribuable déploie ses activités dans plusieurs communes, par exemple. Une modification des critères de répartition intercommunale des recettes fiscales aurait des conséquences imprévisibles pour les communes et ces conséquences n'ont indiscutablement pas été suffisamment appréciées par les travaux de la commission. C'est pour ces deux bonnes raisons - un signal politique qui nous semble contre-productif et cette raison technique - que le groupe démocrate-chrétien vous propose le renvoi en commission.
Le président. Puisque vous demandez le renvoi en commission, il n'y aura qu'un député par groupe pour répondre à cette proposition avant qu'elle ne soit mise au vote. Par ailleurs, le nombre des inscrits est assez élevé. Le Bureau vous propose de clore la liste. Sont encore inscrits, outre le rapporteur de minorité et le conseiller d'Etat, Mmes et MM. Janine Hagmann, Jacques Jeannerat, Morgane Gauthier, Michèle Ducret, Mariane Grobet-Wellner et Loly Bolay.
M. Alain Meylan (L), rapporteur de minorité ad interim. Je vous remercie de me donner la possibilité de situer - vis-à-vis de ce rapport de minorité de circonstance - dans quelle circonstance et dans quel périmètre de débat nous nous trouvons. On parle de 2,5 millions. Ce n'est absolument rien en comparaison des recettes fiscales de l'ensemble des communes, mais c'est un signe extrêmement important et absolument nécessaire vis-à-vis des entreprises qui devront assumer la majorité des emplois de ce canton. Il est vrai que ces 10 F ne sont pas grand-chose, mais c'est un signe essentiel pour les entreprises. Ne nous leurrons pas. La fiscalité genevoise des entreprises est la plus lourde de Suisse, selon tous les tableaux que l'on peut produire et que vous avez en annexe au rapport de minorité de mon excellent collègue Roulet. L'aménagement de la taxe professionnelle est certes minime et fait partie d'un ensemble de situations, mais cet aménagement était la volonté de la majorité parlementaire de droite de la dernière législature, qui voulait essayer d'améliorer les conditions-cadre des entreprises.
Cette taxe est basée sur l'emploi, c'est une taxe à l'embauche: si on engage quelqu'un, on va payer la taxe professionnelle de 10 F par personne - ce n'est pas grand chose, je vous l'accorde - mais c'est un signe manifestement négatif que l'on met en avant. On est tous à déplorer le taux de chômage très élevé dans le canton de Genève.
Le débat se fera donc sur le renvoi en commission, mais nous pensons qu'il est nécessaire de voter ce rapport de minorité et qu'il est tout aussi nécessaire - j'ai bien entendu mes préopinants - de revoir le débat avec les communes afin d'équilibrer les dépenses. Et il faut prendre en compte l'avis des entreprises sur le mode de perception postnumerando, praenumerando. La péréquation intercantonale est également à revoir. En somme, il y a du travail.
Mais, je ne pense pas qu'il soit nécessaire à ce stade de renvoyer ce projet de loi qui a suscité de longs débats. Cela ne change rien, c'est seulement une mesure et un petit signe clair qui permettra aux entreprises de voir venir avec un léger optimisme ce que l'on fera, peut-être, dans les mois qui viennent pour leur survie.
Mme Janine Hagmann (L). Je vais donc strictement respecter ce que vous avez demandé et m'exprimer uniquement sur le renvoi en commission. Il est évident que je redemanderai la parole une fois que le renvoi en commission sera voté, pour m'exprimer sur le fond du projet de loi.
Sur le renvoi en commission, j'ai deux choses à dire. Je suis un peu étonnée que le groupe PDC vienne demander un renvoi en commission alors que nous avons déjà passé un nombre incroyable d'heures à nous occuper de ce projet de loi en commission. Nous avons auditionné tout ceux que nous avons pu auditionner, nous avons auditionné deux fois les communes, plus une fois la Ville de Genève qui est venue indépendamment des communes et, surtout, nous avons eu l'outrecuidance de demander aux deux rapporteurs, que je remercie et que je félicite, de mettre le turbo pour rendre leur rapport avant les élections. C'était un énorme travail.
Mme Künzler avait demandé à la commission la possibilité de renvoyer le délai pour rendre ce rapport et la commission - en tous cas les groupes de l'Entente - a dit: «Nous exigeons, Madame Künzler, que vous fassiez votre rapport avant les élections.» M. Jean Rémy Roulet que je tiens à remercier également pour son excellent rapport, lui, avait respecté les délais et pour finir, nous avions ce sujet sur nos tables.
Au nom du groupe libéral, je m'oppose formellement au renvoi en commission. Ce serait un manque de respect vis-à-vis des deux commissaires qui ont fait d'excellents rapports. Monsieur le président, je vous prie de prendre note que je reprendrai la parole plus tard.
Le président. J'ai pris note, Madame la députée.
M. Jacques Jeannerat (R). Les radicaux sont un peu surpris par la proposition de leur collègue démocrate-chrétien de renvoyer en commission ce projet de loi. C'est un peu bafouer le travail de la commission qui a déjà consacré 18 séances à cet objet. Les éléments, on les connaît. J'aimerais en rappeler quelques-uns.
Je pars de trois constats. Comme l'a dit le remplaçant de M. Roulet à la table des rapporteurs, la fiscalité des entreprises sous l'angle genevois est une des plus lourdes de Suisse. Il y avait un excellent article samedi dernier dans le journal Le Temps, avec un graphique, qui le démontrait.
Cette taxe professionnelle a été introduite à l'époque napoléonienne et elle correspond à des principes de cette époque. A l'époque, le patron qui avait beaucoup d'employés et de grandes surfaces dans son entreprise passait pour un patron riche, c'est peut-être moins le cas aujourd'hui.
Troisième constat. Désespérément, le taux de chômage reste élevé à Genève et il faut faire quelque chose contre cela. Le PL corrige partiellement les trois aspects négatifs de ces constats. Certes, le PL ne fait une réduction que de 10 F par employé, ce qui est peu pour les entreprises, mais cela représente 2,5 millions pour l'ensemble des communes qui perçoivent cette taxe.
Certains affirment que c'est un projet purement symbolique, je suis d'accord. Mais, en tenant compte d'un taux de chômage irrémédiablement bloqué sur deux fois le taux de chômage en Suisse, il faut que nous fassions quelque chose. Le symbole est très important. Il en va de la crédibilité du pouvoir législatif et si nous ne votons pas des projets tels que celui-ci, on maintient un impôt sur l'embauche, c'est-à-dire contre l'emploi. La population ne comprendrait pas que nous agissions de la sorte.
Ce projet de loi ne touche pas la pérennité de cette taxe professionnelle puisque les deux autres piliers que sont la surface louée et le chiffre d'affaires suffisent à maintenir les principes de cette taxe.
Pour terminer, Monsieur le président, je vous annonce que je demanderai le vote nominal car j'aimerais qu'il reste une trace de ceux qui votent contre l'emploi à Genève.
Mme Morgane Gauthier (Ve). Tout comme Mme Hagmann, je m'efforcerai de ne pas débattre sur le fond mais bien sur l'amendement, comme cela est prévu dans notre règlement.
Tout d'abord, j'aimerais rappeler - comme Mme Hagmann l'a fait - les conditions qui ont prévalu pour le dépôt du projet de loi. Je tiens à rappeler que la commissaire des Verts qui a fait le rapport de majorité a subi des menaces, des pressions en commission, qui ont été extrêmement violentes et totalement inacceptables. C'est le premier point et comme Mme Hagmann en a parlé, je me permets également de parler de ce qui s'est passé par rapport au délai de dépôt.
Pourquoi nous, les Verts, sommes opposés au renvoi en commission ? Premièrement, parce que c'est au Conseil d'Etat d'établir un dialogue dans un climat de confiance avec les communes. C'est donc à lui de présenter un projet de loi sur cette problématique de la taxe professionnelle communale qui pose effectivement passablement de problèmes, tout en ayant discuté avec les acteurs concernés.
Le deuxième point est que ce projet de loi pose plus de problèmes qu'il n'en résout, même s'il s'attaque à l'un des trois piliers de la taxe professionnelle. Il n'est donc pas judicieux de retravailler sur ce projet de loi qui ne convient à personne et qui ne résout absolument rien.
Le troisième point est qu'entre-temps, il y a eu le démarrage des groupes de travail sur les péréquations intercommunales et les répartitions de charges entre les cantons et les communes. Les travaux devront être rendus avant le premier semestre de l'année prochaine, si je ne me trompe pas.
Nous refuserons de renvoyer ce projet de loi en commission car nous refuserons d'entrer en matière et de continuer à travailler sur un projet de loi qui est tout simplement mauvais.
Mme Mariane Grobet-Wellner (S). Cette fois, la montagne a accouché d'une souris. La droite a voulu faire le forcing dans un but purement électoral, à la veille des élections cantonales. Mais, malheureusement, elle a manqué son coup à cause de l'absence d'une de leurs commissaires au moment du vote.
Ce projet de loi n'a qu'une portée symbolique... (Brouhaha.) Oh! Mais ce n'est pas possible...
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur Portier par exemple, vous avez demandé le renvoi en commission, mais si vous voulez continuer à babiller avec M. Hodgers, allez le faire à la buvette, je vous prie.
Mme Mariane Grobet-Wellner. Alors, je continue. Je disais que ce projet de loi n'a qu'une portée symbolique, dans la mesure où il propose d'exclure un des trois éléments de base pour le calcul de la taxe professionnelle communale, à savoir un montant de 10 F par employé. Pour la majorité des contribuables, cela signifie une diminution de quelques dizaines de francs par année de la facture totale. Il faut rappeler que plus d'un quart des contribuables sont actuellement exonérés de la taxe.
La taxe professionnelle constitue une part non négligeable des recettes fiscales des communes genevoises. Au moment où il est question de vouloir transférer aux communes des charges actuellement assumées par le canton, il est particulièrement inopportun de vouloir réduire leurs recettes. L'association des communes genevoises et la Ville de Genève nous ont fait part de leur opposition à ce projet dans la mesure où aucune recette compensatoire n'a été envisagée.
Je souligne enfin le gaspillage - que je considère regrettable - que signifie cette façon de procéder. La commission fiscale a consacré à l'étude de ce projet de loi de la droite une vingtaine de séances, dix-huit pour être exacte, mobilisant quinze députés, des fonctionnaires du département des finances, des procès-verbalistes, et j'en passe.
La rapporteure a fait l'objet d'un harcèlement que je qualifierais - heureusement - de peu habituel, pour que le rapport soit déposé et traité en plénière avant l'élection du Grand Conseil. Ma collègue en a fait état tout à l'heure, mais peut-être dans d'autres termes. La droite qui ne cesse de répéter qu'elle cherche des économies partout où cela est possible ferait mieux de ne pas dilapider pareillement les deniers publics en bâclant son travail.
La question de la taxe professionnelle et les bases de sa perception - à savoir le chiffre d'affaires, les loyers des locaux professionnels et le nombre d'employés, peuvent être revues - à condition d'observer une stricte neutralité des recettes des communes.
De même, en ce qui concerne le principe de postnumerando. Plusieurs pistes allant dans ce sens ont été évoquées lors de nos travaux. Il convient de les étudier sérieusement afin de ne pas perdre tout bénéfice des travaux déjà accomplis en commission. C'est pour cette raison que je vous appelle à renvoyer ce projet de loi à la commission fiscale pour qu'elle puisse terminer convenablement son travail avec l'aide du Conseil d'Etat et ne pas perdre le bénéfice du travail déjà accompli. Je tairai volontairement le total de ce qu'a coûté cette économie de 10 F et vous remercie de votre attention.
Le président. Je vais mettre aux voix la proposition de renvoi en commission et j'ai pris note que Mmes Hagmann et Gauthier ne se sont exprimées que sur le renvoi en commission. S'il était refusé, elles pourront reprendre la parole, à l'inverse des autres intervenants qui ont eu l'occasion de le faire sur le fond, la liste étant close.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 8640 à la commission fiscale est adopté par 46 oui contre 40 non 3 abstentions.