République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 15 septembre 2005 à 17h
55e législature - 4e année - 11e session - 63e séance
GR 424-A et objet(s) lié(s)
Débat
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC), rapporteuse. Je reviens devant vous avec ce dossier qui avait été renvoyé en commission par ce plénum. En préambule, pour que l'on reste le plus serein possible, je tiens à redire qu'il s'agit de la commission des grâces, que nous avons travaillé dans notre stricte compétence et que nous devons absolument éviter de penser en termes de révision de procès. La situation est très complexe, si complexe que l'on pourrait tomber dans cette dérive.
Il s'agit de cette situation où il y a eu un viol effroyable, dont la personne victime s'est remémorée trois ans après les faits; deux personnes ont été condamnées; après diverses procédures, l'une a été acquittée et l'autre, la personne qui nous concerne aujourd'hui, est restée condamnée.
Il a été particulièrement complexe pour M. S.B. de demander sa grâce, puisqu'il crie toujours son innocence. Pourtant, il s'agit d'une grâce demandée par rapport à un statut de condamné. Nous n'avions pas été capables, la dernière fois, de donner un signe clair. Après avoir réétudié en commission la situation présente et les quelques éléments nouveaux que nous avons retenus sur la base stricte de nos compétences, nous devons décider ce soir d'accorder ou non la grâce à une personne qui a presque purgé une peine de détention. Cette personne, pour les faits nouveaux que nous avons retenus, est de santé extrêmement fragile, dont l'état s'aggrave régulièrement. Néanmoins, M. B. a une relation stable avec une jeune femme qui va bientôt accoucher de son enfant.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de suivre le préavis de la commission qui, dans sa majorité, a décidé d'accorder la grâce à M. B. Si vous le permettez, Madame la présidente, je reviendrai tout à l'heure, en fonction de la décision qui sera prise par ce plénum, avec une proposition de résolution dont l'urgence a été adoptée.
M. Jean Rossiaud (Ve). Lors de la dernière séance du Grand Conseil, j'avais exprimé le désir que ce cas soit renvoyé en commission. Je suis content de voir que l'on s'est enfin mis d'accord sur le fait qu'il fallait éviter d'essayer de réviser ici le procès, que toute la procédure a été menée à terme, que cette personne a été condamnée une première fois, que sa condamnation a été confirmée en deuxième instance et par le Tribunal fédéral - et c'était pour moi la raison principale de mon souhait de renvoyer ce dossier en commission.
Maintenant, il faut penser que cette condamnation a effectivement été confirmée, qu'à l'heure actuelle la personne, pour des raisons de santé, ne purge pas sa peine et qu'il lui reste trois mois à purger. La question que je me pose - et c'est pourquoi je voterai contre la grâce - est: quel message veut-on donner sur l'examen des faits et le déroulement de la justice, et quel est notre rôle en tant que politiques par rapport à cette commission des grâces ?
La présidente. La parole n'étant plus demandée, je vous soumets le préavis de la commission. Je rappelle qu'il s'agit de la grâce du solde de la peine.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce du solde de la peine) est rejeté par 54 non contre 5 oui et 6 abstentions.
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC), rapporteuse. De ce fait, la résolution tombe... (L'oratrice est interpellée.)Bien sûr!
La présidente. Monsieur Rossiaud, reprenez-vous la résolution?
M. Jean Rossiaud. Nous reprenons la résolution en proposant un amendement.
La présidente. Mme la rapporteure renonce-t-elle à cette résolution?
Mme Anne-Marie von Arx-Vernon. Il va de soi que mon nom ne doit plus figurer sur la résolution qui sera proposée, parce que le contexte n'est plus le même. (Commentaires.)
La présidente. Les choses étaient claires: vous deviez vous prononcer sur le préavis de la commission; je vous ai demandé de prendre position quant à la grâce du solde de la peine; vous avez aussi accepté de traiter une résolution en même temps que ce dossier; et Mme la rapporteure vous dit qu'elle retire sa résolution - avec l'accord des autres signataires, je pense - puisqu'elle considère que cette dernière n'a plus raison d'être après le vote négatif. A ce moment, M. Jean Rossiaud intervient en proposant de reprendre cette proposition de résolution, mais avec un autre texte - il vous est distribué - qui remplace l'unique invite. Cette proposition de résolution demande au Conseil d'Etat d'empêcher l'aggravation, par des sanctions administratives d'expulsion, des peines décidées par la justice, en modifiant en conséquence le dispositif législatif et/ou réglementaire. Je vais donc être obligée... (L'oratrice est interpellée.)Oui, Madame, mais je vais d'abord donner la parole dans l'ordre des demandes.
M. Christian Brunier (S). Il y a un certain nombre de députés qui, durant la commission, ont été émus par la situation de double peine que subissait cette personne. En Suisse, les personnes étrangères sont condamnées aux mêmes peines que les Suisses par la justice, mais leur peine peut être aggravée par une expulsion, ce qu'un certain nombre de députés déplore - ils estiment que la justice doit être pareille pour tout le monde. De plus, il y a dans la loi... (L'orateur est interpellé.)Oui, dans la loi, Monsieur Lüscher ! Il y a des dispositions qui permettent à l'administration d'aggraver les peines décidées par la justice: nous trouvons cela incorrect. Une partie de la commission a déposé une résolution pour protester contre cela, mais par rapport à un cas précis. Nous, nous sommes opposés à établir une situation particulière pour ce cas précis, nous souhaitons uniformiser la problématique: l'administration ne doit pas aggraver les peines décidées par la justice, seule la Justice doit être habilitée à prononcer une peine contre quelqu'un qui a commis un délit. Et nous sommes opposés à une aggravation des sanctions, destinée qu'aux étrangers.
Nous déposons donc une résolution pour que le Conseil d'Etat modifie en conséquence la législation et les règlements.
La présidente. Le Bureau vous propose de clore la liste. Sont inscrits: Mmes et MM. Von Arx-Vernon, Adler, Rossiaud, Berberat, Wenger, Pétroz et Lüscher.
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC), rapporteuse. Si j'avais été d'accord de soutenir cette résolution, c'est parce que, dans le cas particulier, la double peine n'avait pas été demandée par le Tribunal. Le Tribunal n'avait absolument pas signifié l'expulsion de cette personne, c'est l'Office cantonal de la population qui avait pris cette décision.
Quant à la proposition faite maintenant, c'est de pouvoir généraliser cette notion de double peine à toutes les personnes qui vont... (L'orateur est interpellé.)Non, laissez-moi finir, Monsieur Deneys! Donc, c'est de pouvoir généraliser cette notion de double peine à toutes les personnes qui vont être condamnées. Et, lorsque le tribunal décide de condamner une personne et prend la décision de l'expulser, il n'est pas de notre ressort de changer la procédure. Je vous remercie. (Brouhaha.)
Mme Esther Alder (Ve). Une précision: ce n'est pas à l'unanimité que les résolutionnaires sont favorables au retrait de cet objet. Je vous rappelle que j'en suis signataire, et je m'oppose à son retrait.
D'autre part, je ne vois pas en quoi le refus de la grâce nous empêcherait de soutenir cette résolution. En effet, la question reste la même pour ce monsieur: il risque de toute façon l'expulsion administrative !
Vous allez voir l'amendement déposé par la gauche: nous voulons profiter de cette situation pour révéler toutes les injustices qui apparaissent lors des expulsions administratives. Et je trouve scandaleux que la droite refuse la discussion sur ce point !
M. Jean Rossiaud (Ve). J'aimerais clarifier un point important. Pour nous, effectivement, la double peine est quelque chose qu'il faut refuser. Mais ce n'est pas le problème de cette résolution-ci. Cette résolution ne porte pas sur une double peine infligée par un tribunal, elle porte sur une injustice faite à une personne dont le tribunal a jugé qu'elle devait être condamnée à la prison, mais pas expulsée ! Ensuite, une décision administrative d'expulsion a été formulée.
Alors, même si l'on trouve que le cas est terrible - et j'ai voté contre la grâce pour cette raison-là, parce que le viol est atroce, mais je ne vais pas entrer dans les détails - cette injustice faite à ce justiciable est intolérable aussi.
C'est pour cela qu'il faut non seulement soutenir cette résolution, mais aussi l'élargir à tous les cas semblables. C'est-à-dire que, quand un tribunal ne précise pas qu'il y a double peine, ce n'est pas à l'administration de décider d'expulser tout de même la personne.
Et nous demandons au Conseil d'Etat de veiller à ce que cela ne se reproduise plus.
Mme Janine Berberat (L). Ce n'est pas sur le fond que je vais intervenir, mais plutôt sur la forme. Apparemment, la résolution est retirée, mais elle doit l'être par l'ensemble de ses auteurs. Par ailleurs, elle peut être reprise et amendée, mais pas redéposée avec un texte différent. Est-elle retirée par l'ensemble de ses auteurs?
Des voix. Non! (Remarques.)
La présidente. Mme la rapporteure von Arx-Vernon a retiré son nom de à cette résolution, mais Mme Esther Alder, qui est signataire, la maintient et a ajouté nom sur l'amendement. Monsieur Kunz, que souhaitez-vous faire ?
M. Pierre Kunz. Je reste! S'il n'en reste qu'un...
La présidente. Monsieur Charollais, vous restez aussi... Monsieur Iselin de même. Donc, il n'y a que Mme la rapporteure qui retire son nom. Madame von Arx-Vernon, vous voulez ajouter quelque chose?
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC), rapporteuse. Je voulais demander que cela soit renvoyé en commission pour que l'on puisse travailler sereinement sur une situation aussi importante. J'avais compris que la résolution portait uniquement sur le niveau judiciaire, or il va de soi que nous n'avons pas la compétence de nous prononcer à ce sujet. Mais, ayant lu un peu plus attentivement, j'ai vu qu'il s'agissait aussi de l'aspect administratif, donc je maintiens mon nom.
La présidente. Alors, il y a donc une modification. Les personnes ayant demandé la parole s'exprimeront sur le renvoi en commission de cette résolution.
Mme Salika Wenger (AdG). Sur le renvoi en commission: je serais enchantée que cette résolution soit renvoyée en commission judiciaire pour que des professionnels puissent en discuter, mieux que nous maintenant en plénière. Néanmoins, il me semble que l'on a un problème de confusion des rôles; je veux dire que la justice se prononce, et il me semble difficile d'imaginer que des fonctionnaires puissent ordonner une peine supplémentaire qui n'entre pas dans leurs fonctions. Je suis donc assez d'accord pour le renvoi en commission et je soutiendrai cette résolution.
M. Pascal Pétroz (PDC). Poser la question sur le renvoi en commission, c'est déjà y répondre: ce n'est pas sur un coin de table, de manière complètement bricolée, que l'on va régler ce que d'aucuns appellent le problème de la double peine, ce que d'autres appellent une sanction et une peine, parce qu'il ne s'agit pas tout à fait de la même chose. Et notre groupe soutiendra le renvoi en commission.
Ce que je tiens à relever, c'est que les choses ne sont pas aussi simples qu'on veut bien le dire. Les mesures d'expulsion administrative peuvent être prononcées dans des cas où il n'y a pas eu de condamnation judiciaire: si, par exemple, la personne se comporte mal - j'ai eu l'occasion de voir une fois, lors de mes pérégrinations, quelqu'un qui avait accumulé un nombre important de dettes... Qu'en est-il dans ce type de situation ? Ces questions ne sont pas simples, nous devrons les évoquer en commission.
Je pense que la commission choisie doit être la commission judiciaire et non la commission des grâces. Par conséquent, le groupe PDC soutient le renvoi de la résolution à la commission judiciaire.
M. Roger Deneys (S). Le parti socialiste soutiendra le renvoi en commission, même si, en fait, et contrairement à ce qu'a dit M. Pétroz, le projet de résolution que nous vous proposons vise uniquement les cas où une mesure administrative a été prise en plus de la peine prononcée. C'est bien là que la commission des grâces est relativement mal à l'aise, que ce soient d'ailleurs les représentants de la droite ou de la gauche. Ce n'est pas vraiment la question de la double peine qui nous préoccupe ici, mais le fait que s'ajoute à une peine une sanction administrative, sur laquelle nous ne pouvons agir. C'est là qu'il y a un problème à régler.
La question de la double peine est bien plus politique - et on n'est sûrement pas d'accord à ce sujet. Ce n'est pas pour cela que l'on reprend cette résolution aujourd'hui. Ce qui est un peu dommage avec ce renvoi en commission, c'est que, dans le cas présent, on ne pourra rien faire pour M. S.B., parce qu'il faudra encore un certain temps avant que ce dossier soit traité en commission.
Mme Esther Alder (Ve). Effectivement, les Verts soutiendront le renvoi en commission, afin que le débat se fasse plus sereinement.
M. Michel Halpérin (L). J'interviens ici parce que je voudrais d'une part expliquer pourquoi le groupe libéral ne souhaite pas renvoyer ce texte en commission: il a été étudié en commission des grâces; il s'agit d'un cas particulier; l'urgence a été adoptée sur un cas particulier, et je pense que la discipline de fonctionnement de ce parlement voudrait que l'on ne saute pas trop facilement du particulier au général.
D'autre part, je voudrais expliquer en ma qualité de président de la commission des grâces - à ce titre, je n'ai pas participé au vote, mais au débat - pourquoi la commission a estimé qu'il était souhaitable d'attirer l'attention du parlement sur une anomalie.
Notre commission est compétente, et le Grand Conseil après elle, pour prononcer des grâces sur des sanctions prononcées par des tribunaux disposant des éléments pour les formuler. Dans des cas comme celui-ci, où le tribunal choisit de ne pas procéder à une expulsion, lorsque l'administration prononce cette deuxième sanction postérieurement au jugement, elle échappe à notre pouvoir de grâce, ce qui n'est pas normal. Il n'est pas normal que l'administration, par ce biais, échappe au contrôle parlementaire des sanctions rendues par les tribunaux.
C'est la raison pour laquelle, en ce qui me concerne, j'ai trouvé que cette affaire présentait suffisamment d'intérêt pour que le parlement s'en saisisse par voie de résolution. Qu'ensuite l'administration suive ou non les recommandations que nous lui faisons, c'est un autre sujet.
Je pense que nous pouvons traiter tout cela tout de suite et ne pas perdre davantage de temps dans une navette qui n'a pas de sens en elle-même.
La présidente. Je vais donc soumettre au vote le renvoi de cette résolution à la commission judiciaire.
Mis aux voix, le renvoi de cette proposition de résolution à la commission judiciaire est adopté par 52 oui contre 7 non et 6 abstentions.