République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 22 avril 2005 à 20h30
55e législature - 4e année - 7e session - 38e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny, présidente.
Assistent à la séance: MM. Laurent Moutinot et Charles Beer, conseillers d'Etat.
Exhortation
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
La présidente. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Martine Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat, Carlo Lamprecht, Robert Cramer, Micheline Spoerri et Pierre-François Unger, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Anita Cuénod, Jeannine de Haller, Antoine Droin, Yvan Galeotto, Jacques Jeannerat, Georges Letellier, Claude Marcet et Pierre Schifferli, députés.
La présidente. M. Pierre Ducrest est assermenté. (Applaudissements.)
Annonces et dépôts
Néant.
La présidente. Le sort a désigné M. Edouard Cuendet (L). (Rires et exclamations.)
Suite du débat
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons la suite du débat sur la pétition 1398-A, que nous avions commencé à traiter dans la séance de tout à l'heure. Je le rappelle surtout pour le nouveau venu. Nous étions en cours de débat et le Bureau avait clos la liste des intervenants.
Monsieur le député Deneys, je vous donne la parole.
M. Roger Deneys (S). Je tiens tout d'abord à dire que je trouve regrettable de diviser les débats sur un objet en deux séances. Nous aurions pu, avec un petit quart d'heure supplémentaire, terminer le sujet lors de la séance précédente. (Manifestation dans la salle.)Qui se souvient de ce que M. Barrillier a dit tout à l'heure ?
Une voix. Regardez le Mémorial !
M. Roger Deneys. Je rappelle que la pétition demande sept semaines de vacances pour tous les apprentis et - Monsieur Barrillier, vos propos étaient en partie exacts, mais vous n'avez manifestement pas lu la pétition jusqu'au bout - au niveau cantonal, d'«organiser avec les partenaires sociaux des réunions tripartites afin de favoriser» - de favoriser ! - «la négociation dans les conventions collectives de sept semaines de vacances pour les apprentis.»
Cette pétition est signée par 1391 personnes qui sont essentiellement, si j'ai bien compris, en apprentissage. Il ne s'agit donc pas d'une demande d'un parti politique quelconque, mais d'une demande des apprentis eux-mêmes afin de bénéficier de sept semaines de vacances. Or, je connais relativement bien la situation, puisque j'ai moi-même des apprentis ne bénéficiant actuellement pas de sept semaines de vacances. Mes apprentis bénéficient du minimum en matière de conventions collectives, mais je n'ai pas de problème à ce propos: je l'assume.
Il y a deux aspects à considérer quant à cette pétition: la question de l'harmonisation et la question de la valorisation de l'apprentissage. Comme cela a en partie été relevé, la question de la valorisation de l'apprentissage n'est vraisemblablement pas résolue par cette pétition car, si davantage de semaines de vacances est valorisant du point de vue des apprentis, du point de vue de l'employeur, ajouter des vacances a bien entendu tendance à rendre les apprentis un peu moins attractifs. Par conséquent, de ce côté-là, il ne faut pas se faire d'illusions. Au vu de la conjoncture économique, cet objectif de sept semaines de vacances pour valoriser l'apprentissage n'est absolument pas réaliste.
En revanche, s'agissant de la question de l'harmonisation, je pense que le débat mérite d'être mené. Etant donné la formulation de la proposition au niveau cantonal, il paraîtrait judicieux que le Conseil d'Etat puisse tout de même participer à l'élaboration d'une certaine standardisation de ces durées de vacances pour tous les apprentis. Il ne faut pas oublier que les apprentis sont essentiellement âgés de 15 à 20 ans et que c'est une période de la vie au cours de laquelle on n'est pas forcément focalisé sur les questions de travail. (Manifestation dans la salle.)C'est là qu'il y a une inégalité de traitement qui a été relevée par rapport aux autres types de formations. (Exclamations.)C'est vrai que l'apprentissage se trouve à cheval entre le monde de la formation et le monde du travail. Il paraîtrait donc normal de mettre en place un accompagnement harmonieux d'un système à l'autre.
Je vous invite donc à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Il ne faut pas se faire d'illusions sur les résultats auxquels elle pourra mener, mais je pense qu'il serait quand même bon pour les apprentis qui se trouvent dans une période de vie pas forcément facile étant donné les perspectives du monde professionnel... (Exclamations.)...Il serait bon qu'ils bénéficient d'une égalité de traitement entre eux.
M. Gilles Desplanches (L). Je rejoins les propos de notre collègue sur beaucoup de points, car j'emploie moi aussi des apprentis. Il n'y en a pas beaucoup, ici, qui en forment. Former des apprentis, ce n'est pas simplement leur offrir un travail: c'est leur offrir un cadre.
Je vois que M. Charbonnier hoche la tête. Former des apprentis, Monsieur Charbonnier, c'est leur offrir un cadre. (L'orateur est interpellé.)Non, je ne crois pas que ce soit un cas personnel de leur offrir un cadre. Former des apprentis, c'est leur offrir des conditions et suivre une certaine méthode. Lorsqu'on forme un apprenti, on doit, dans un laps de temps déterminé, l'amener à un certain potentiel professionnel. Dans beaucoup de métiers, ce potentiel professionnel n'est pas géré au niveau cantonal mais national.
Dans notre branche à nous, les apprentis bénéficient actuellement de cinq semaines de vacances, ce qui est bien moins que dans d'autres secteurs. Ces jeunes sont extrêmement courageux car, faire un apprentissage c'est avoir été capable d'effectuer un choix et être capable de s'insérer dans la vie professionnelle. Ils auront, dans le futur, un emploi. Vouloir valoriser l'apprentissage par le biais d'une offre de sept semaines de vacances est faux.
Par ailleurs, on a aujourd'hui beaucoup de peine à trouver des patrons prêts à s'investir. En effet, former un apprenti, ce n'est pas simplement lui offrir une place de travail. Former un apprenti, c'est s'engager à faire de la formation pendant trois ou quatre ans, de manière constante. Un apprentissage n'équivaut pas à cinq jours de travail car, objectivement, l'apprenti a un jour de cours et il travaille quatre jours dans l'entreprise. Mais ce ne sont pas quatre jours de travail acharné: ce sont quatre jours de formation. A l'échéance de son apprentissage, cette jeune femme ou ce jeune homme est un-e professionnel-le. Nous, les professionnels, sommes fiers de ces jeunes qui s'investissent.
J'ai entendu les propos de M. Charbonnier et de Mme Leuenberger tout à l'heure. Ils tendent à diminuer le rôle de l'apprentissage et, par là même, des individus qui s'investissent dans cette filière; je trouve que c'est dommage. Dans notre branche professionnelle, on ne trouve pratiquement plus d'apprentis. Si on continue à mettre en place des conditions de plus en plus difficiles, vous n'en trouverez tout simplement plus. Il n'y aura plus de maîtres d'apprentissage. Ces jeunes ont quitté le milieu scolaire parce qu'ils rencontraient des difficultés. Ils ont trouvé une autre branche. Bien souvent, ces jeunes se réalisent. Nous avons d'excellents professionnels: très régulièrement, lors de concours, les apprentis suisses finissent parmi les premiers. Cela est surtout dû à la formation duale, qui est sensationnelle. (Applaudissements.)
M. Christian Bavarel (Ve). Nous avons de la chance ce soir: des personnes qui travaillent avec des apprentis s'expriment. C'est une bonne chose.
J'ai entendu beaucoup de choses à la commission de l'économie. Permettez-moi de m'étonner d'entendre des cadres universitaires, voire d'autres personnes exerçant des professions libérales, qui terminent leur formation beaucoup plus tard demander à des jeunes de seize ans de se contenter de cinq semaines de vacances alors que jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans en tout cas, eux-mêmes ont bénéficié d'un nombre de semaines de vacances nettement supérieur. Je suis quelque peu surpris par cela. Il y a là une certaine arrogance qui m'exaspère. (Manifestation dans la salle. Brouhaha.)
Que veut-on pour nos apprentis ? Au moment où l'on a entre 16 et 20 ans, le fait de disposer de sept semaines de vacances semble parfaitement inadmissible, alors que l'on est dans une période de formation, que l'on pourrait exercer d'autres activités, que ce soient des engagements dans la société civile - en suivant une formation d'entraîneur de football, par exemple - en participant à des clans, à des activités culturelles ou encore en partant en voyage avec des amis, ce qui me semble être important.
Si les patrons connaissent autant de problèmes financiers, on sait que le salaire de l'apprenti ne constitue pas le problème majeur et que deux semaines de différence ne sont pas dramatiques. Monsieur Barrillier, je tiens à vous rassurer: nous n'empêcherons pas les métiers du bois - qui le font déjà, et nous les en remercions - et une grande partie des métiers de la construction de proposer plus de semaines de vacances aux apprentis. Cela nous semble être hautement souhaitable.
Par ailleurs, si vous avez eu la chance d'avoir des personnes qui, jeunes, ont pu prendre des responsabilités dans différentes associations, vous savez tous - parce que la majorité des politiques actuels l'ont aussi fait - que sont ces gens qui se sont engagés dans la vie civile. Par conséquent, permettre aux apprentis de bénéficier de plus de semaines de vacances, c'est aussi leur permettre de s'engager dans la vie civile, dans la vie de notre société. La vie professionnelle est extrêmement importante, certes; mais elle n'est pas tout et elle se base aussi sur une citoyenneté. Nous souhaitons que nos apprentis puissent participer à la vie de la cité et qu'ils puissent rencontrer des camarades ayant suivi d'autres formations - notamment des collégiens et des universitaires - de manière à partager des activités communes. En ne leur offrant que cinq semaines de vacances, vous les déconnectez du reste de la société - et je trouve cela regrettable.
Nous vous invitons donc à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC), rapporteuse de majorité. J'aimerais revenir sur les propos peu amènes de Mme Leuenberger, qui a qualifié mon rapport de «léger». Je souhaite tout d'abord la rassurer en lui disant que la commission n'a pas travaillé dans la légèreté; que, si elle avait lu le rapport avec un peu d'attention, elle se serait rendu compte qu'il relate assez fidèlement ce qui s'est passé au sein de la commission. Si elle avait également lu le rapport avec un petit peu plus de profondeur, elle aurait remarqué que nous avons consacré deux séances à cet objet et que nous avons entendu les jeunes à l'origine de cette pétition. Si Mme Sylvia Leuenberger avait souhaité approfondir cet objet, elle aurait pu le faire elle-même ou à travers son groupe. Mais le rapport n'est absolument pas léger ! Je m'érige contre cette critique infondée.
J'aimerais par ailleurs revenir sur des propos qui ont été cités à deux reprises concernant la pétition et le nombre de signatures à son appui. Il a été dit que, cette pétition ayant été signée par plus d'un millier de personnes, il serait logique de l'envoyer au Conseil d'Etat. Tout d'abord, je ne savais pas que les règles démocratiques suivaient un ordre numérique. Jusqu'à cinquante signatures, on dépose une pétition sur le bureau du Grand Conseil, jusqu'à deux cents, on la met je ne sais où et, à partir de mille, on la renvoie au Conseil d'Etat ?! Il me semble que c'est encore à la commission de décider si la pétition est fondée ou non, suite aux auditions qu'elle a pu faire - je le rappelle encore une fois - avec le plus grand sérieux.
Lorsque la gauche, qui a peut-être la mémoire un peu courte, détenait la majorité au cours de la dernière législature, elle a classé sur le bureau du Grand Conseil une pétition de plus de vingt mille signatures qui traitait de la circulation, si mon souvenir est bon. Peut-être qu'à son sens la Ville de Genève n'a pas de problèmes de circulation, mais je ne crois pas que ce soit l'avis de la majorité des Genevois. Si l'on traite les pétitions en fonction du nombre de signatures, la gauche aurait dû porter un peu plus d'attention à cette pétition sur la circulation en son temps.
J'en viens maintenant au fond de la pétition. Je trouve tout à fait aimable de la part des pétitionnaires d'inviter les partenaires sociaux autour de la table pour discuter, mais je crois que c'est peu connaître le rôle et le fonctionnement du partenariat social. A Genève, les partenaires sociaux n'ont, heureusement, pas besoin d'une pétition ou d'un quelconque texte pour discuter entre eux. La preuve en est que, dans les traitements qui sont réservés aux différentes catégories d'apprentis, les partenaires sociaux traitent et adoptent des réalités propres à leur secteur et différenciées selon les secteurs. C'est pour cela que le système fonctionne à Genève. C'est pour cette raison que nous sommes contre la standardisation, qui serait un affaiblissement de notre système. Je vous remercie de suivre l'avis de la majorité de la commission en déposant cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
La présidente. Je donne la parole à Mme Leuenberger qui, ayant été spécialement mise en cause, peut rétorquer.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Merci, Madame la présidente. C'est bien aimable à vous. Je tenais effectivement à répondre à Mme Ruegsegger. Je voudrais lui présenter mes excuses si elle s'est crue personnellement mise en cause. En disant que je trouvais ce rapport léger, je parlais des travaux de commission, et pas forcément de la rapporteuse. (Exclamations.)
J'ai cité votre nom, Madame Ruegsegger, pour que vous me regardiez et que vous m'écoutiez. Je faisais référence, par l'emploi du mot «léger», à l'aspect trop court des travaux. Je l'ai d'ailleurs précisé à la phrase suivante. Je ne suis pas membre de cette commission; j'y ai simplement siégé en qualité de remplaçante, et ce pas au moment des travaux de cette commission. Peut-être aurait-il été bien que, en annexe, figurent les chiffres qui ont été présentés en commission. Cela nous aurait permis d'adopter une meilleure approche.
J'aimerais juste ajouter un petit mot à l'attention de M. Desplanches. En soutenant le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, je veux soutenir l'apprentissage, car je pense que vous faites un travail intéressant et que la formation professionnelle doit être soutenue. Si je relis l'invite de la pétition, elle n'est pas extrêmement contraignante: elle demande à «organiser avec les partenaires sociaux des réunions tripartites» afin de négocier. Peut-être qu'ils n'y arriveront pas. Mais laissez-leur l'opportunité de prendre rendez-vous pour ces réunions afin qu'ils puissent discuter. C'est aussi une forme d'apprentissage civique. S'ils perdent, ils perdent. Mais, au moins, vous ne leur fermez pas la porte. Cela ne mange pas de pain. (Rires.)
La présidente. C'est assez original comme conclusion !
M. Alain Charbonnier (S), rapporteur de minorité. Je ne voudrais pas revenir sur la polémique du nombre de signatures, mais simplement sur le nombre des signatures de cette pétition-là. Il y en 1391; mais il y en avait aussi plus de 2000, quelques années auparavant, pour une autre pétition qui demandait pratiquement la même chose. On peut donc constater une répétition dans ce domaine. Peut-être pourrait-on y prêter un peu plus attention sur les bancs d'en face.
Si j'ai hoché la tête lorsque M. Desplanches s'est exprimé, c'est qu'il nous fait toujours un peu la même scène du patron qui, lui, sait ce que c'est parce que, lui, emploie des apprentis. Nous nous soucions tous de ce problème; nous l'avons tous à coeur. M. Desplanches n'est pas le seul à connaître les tenants et les aboutissants de ce problème.
La pétition ne demande pas absolument sept semaines pour tous les apprentis; elle demande des réunions tripartites aux partenaires sociaux. Ce n'est par conséquent pas du tout une injonction à l'égard du Conseil d'Etat d'instaurer sept semaines de vacances pour les apprentis, mais bien de réduire les écarts qui subsistent - écarts qui varient, je le répète, de treize semaines pour certains apprentis à cinq pour d'autres. Il me semble que, par le biais de la concertation des partenaires sociaux, on pourrait faire un effort afin de réduire ces écarts sans réduire la durée des vacances pour ceux qui en ont beaucoup - car il y a une explication à cela. On pourrait plutôt réfléchir aux mesures susceptibles d'être prises pour ceux qui ne disposent que cinq semaines de vacances afin de valoriser ces places d'apprentissages.
Je vous encourage donc à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
La présidente. Je suis obligée de mettre d'abord aux voix la proposition de la majorité, c'est-à-dire la proposition de dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Monsieur le député Brunier, vous voulez ajouter quelque chose ?
M. Christian Brunier (S). Madame la présidente, je demande l'appel nominal. (Appuyé.)
La présidente. L'appel nominal a été demandé, nous allons y procéder. Nous allons donc voter sur la proposition de dépôt de cette pétition au Grand Conseil.
Mises aux voix à l'appel nominal, les conclusions de la majorité de la commission de l'économie (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 33 oui contre 30 non.
Débat
M. Souhail Mouhanna (AdG). La pétition déposée par les étudiants de l'ESBA - l'Ecole supérieure des beaux-arts - date de quelque temps... Déjà presque deux ans !
Cette pétition exprimait les inquiétudes de ces étudiants quant au sort réservé à leur école. Cette école est unique en son genre en Suisse: elle a une très bonne réputation aussi bien à l'intérieur de nos frontières qu'à l'extérieur; elle offre une formation de qualité reconnue dont la durée est de quatre ans; elle pratique une pédagogie qui accorde une très large place à l'inventivité, à la créativité, à la liberté d'expression et à l'esprit critique, sur le plan artistique en particulier. Il était donc tout à fait normal que les étudiants - et pas seulement eux, mais aussi les enseignants - de cette école se soucient de projets comme, par exemple, la fusion de cette école avec la Haute école d'arts appliqués, dont la culture diffère. Chacune de ces écoles ayant ses spécificités, ils craignaient de perdre, précisément, ce qui a fait jusqu'à présent la réputation et la qualité de l'Ecole supérieure des beaux-arts.
Je vous rappelle que la formation dans cette école se déroulait sur quatre ans et que les changements proposés, c'est-à-dire transformations et intégration dans le système HES, allaient se traduire par la réduction de la durée des études d'une année. Les étudiants et les enseignants craignaient donc de voir la qualité de l'enseignement baisser en conséquence. J'aurai l'occasion d'intervenir sur le sujet des HES en tant que rapporteur de minorité: je ne vais donc pas allonger le débat maintenant.
Je dirai simplement que, depuis, beaucoup de choses ont changé. Je signale qu'au niveau de la commission, nous avons été quelques-uns à voter pour que cette pétition ne soit pas classée et pour qu'elle suive un cours un peu plus efficace que le simple dépôt sur le bureau du Grand Conseil: nous en souhaitions le renvoi au Conseil d'Etat.
Il est peut-être trop tard aujourd'hui pour demander un certain nombre de choses qui pourraient donner satisfaction aux signataires de cette pétition, même si certaines décisions leur ont donné en partie satisfaction. Toutefois, beaucoup d'autres éléments restent en suspens. Dans ce cadre, je propose que cette pétition soit malgré tout renvoyée au Conseil d'Etat, tout en gardant présent à l'esprit qu'un certain nombre de réponses ont déjà été données sur quelques points de cette pétition. Mais, je le répète, il reste encore beaucoup de points à examiner, notamment - j'en parle, puisqu'elle est annexée à ce rapport - la déclaration commune des enseignants de l'Ecole supérieure des beaux-arts, dont je vais vous lire le dernier paragraphe: «Nous accueillerons favorablement tout ce qui, dans le changement de statut en cours, contribuera à préserver ou à rehausser la liberté de pensée et d'action, la diversité, l'ouverture et l'esprit critique. Nous combattrons, en revanche, toute réforme dont l'effet prévisible serait d'étouffer la liberté, de restreindre la diversité ou d'appauvrir la fonction esthétique et critique de l'art». Je crois qu'un tel message doit être envoyé au Conseil d'Etat pour que ce dernier traite encore tous les éléments qui méritent réponse, sans remettre en cause - bien entendu - ce qui a été fait au niveau de l'ESBA jusqu'à présent. Un certain nombre d'éléments devraient inspirer le Conseil d'Etat. C'est la raison pour laquelle je propose que cette pétition lui soit renvoyée.
M. Thierry Charollais (S). La pétition des élèves de l'Ecole supérieure des beaux-arts de Genève nous a permis de débattre de points essentiels tels que:
- La valeur de la formation artistique: peut-on considérer cette formation comme une formation professionnelle comme une autre ? C'est une question qui concerne la «valeur» - mot ô combien ambigu - de l'enseignement de l'art au regard d'autres enseignements prodigués par les HES.
- L'intégration de l'ESBA dans le paysage des HES genevoises: quel doit être son mode de fonctionnement, ses collaborations et son mode de gouvernance ? Ce sont des questions concernant le statut de cette école par rapport aux autres écoles déjà intégrées dans le système HES.
- L'accès aux études, autrement dit la démocratisation de l'enseignement. Les socialistes tiennent à cet aspect - nous avons eu l'occasion de le souligner à plusieurs occasions.
On le voit, ce sont des questions importantes. De ce point de vue, nous remercions les étudiants de l'ESBA d'avoir déposé cette pétition. En effet, ils ont exprimé leur inquiétude tôt, à savoir en 2002. Ainsi, l'étude de leur pétition a pu se dérouler en filigrane du débat sur la loi sur l'enseignement supérieur. Il y avait donc ces deux aspects qui manquent hélas parfois dans le débat: d'une part, l'aspect concret, qui concerne à proprement parler les étudiants et l'enseignement qui leur est offert; d'autre part, la législation fixant les règles cantonales relatives aux écoles dans le paysage de la formation professionnelle supérieure.
Du point de vue de la gouvernance de l'école - aspect ne relevant pas de la commission - l'ESBA a bénéficié, depuis le dépôt de la pétition, de développements intéressants. Des axes de recherche ont été développés, des collaborations - notamment avec le MAMCO - ont été trouvées. Le cursus élaboré a pour objectif de permettre la transversalité entre les disciplines et, surtout, de respecter l'identité des futurs artistes au regard de leur propre discipline. Cela est un aspect positif pour le développement non seulement de l'ESBA, mais aussi de l'art à Genève. Gageons que les futurs artistes qui sortiront de cette école pourront s'épanouir pleinement dans leur art et nous offrir leur message de la manière la plus libre qui soit.
Quant au processus de Bologne, indispensable pour que l'ESBA obtienne le statut de HES, force est de reconnaître que tout n'est pas réglé. Citons la question de la place du master dans une formation artistique: est-il nécessaire de l'obtenir pour l'enseignement artistique ou pour s'offrir sur le «marché de l'art» - et les guillemets sont de circonstance pour mettre en relation «marché» et «art» ? Autre question: quelle sera la place de l'ESBA vis-à-vis de la Haute école d'arts appliqués et, par extension, dans les HES romandes ?
Nous serons très attentifs sur tous ces points. Surtout, n'oublions pas que, dans le système très complexe des HES, il existe des critères très stricts qui sont communs à toutes les filières. Le nombre des étudiants permettant la survie de la filière - nombre appelé «masse critique» - est assurément celui qui est le plus palpable et sujet à toutes les réserves. La pétition des étudiants de l'ESBA met indirectement le doigt sur cet aspect et nous met en garde: peut-on appliquer les mêmes critères pour se prononcer sur des filières aussi différentes que l'information documentaire, la gestion, le cinéma, la peinture ou le dessin ? Comme cela est dit dans le rapport - je cite - «des dispositions particulières doivent être édictées pour tenir compte des spécificités des filières artistiques».
Classer cette pétition ne signifiera pas l'oublier. Mais nous nous préoccuperons de prendre en considération son message avec le plus grand soin. Si la loi sur l'enseignement supérieur que nous avons votée a permis d'intégrer certains aspects du message des étudiants de l'ESBA, d'autres restent encore sans réponse et vont au-delà de cette école. Nous devons donc nous montrer prudents et attentifs.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Etant donné que M. Charollais a été extrêmement complet, je m'en tiendrai à vous dire que nous soutenons toutes les préoccupations qu'il a évoquées. Toutefois, nous allons accepter le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, car l'Ecole supérieure des beaux-arts est entre-temps devenue une HES et elle n'a pas été fusionnée avec la Haute école d'arts appliqués. Cela veut dire qu'il a été répondu favorablement à cette inquiétude à ce sujet. Un directeur a par ailleurs été engagé. Je le répète: les pétitionnaires ayant obtenu satisfaction sur certains points, nous accepterons le dépôt de cette pétition, même si nous rejoignons pleinement vos préoccupations, car il est effectivement important de soutenir l'art. C'est un domaine très particulier qui a du mal à s'adapter et à se plier aux contraintes des HES. Il faut que nous restions très attentifs, car l'art est l'expression d'une société.
M. Hugues Hiltpold (R), rapporteur ad interim. Je rappelle que la majorité de la commission a décidé de classer cette pétition et qu'à l'époque, seules deux personnes issues de l'Alliance de gauche s'opposaient à son classement. C'est vous dire si la majorité était très nette en commission. J'enjoins donc les groupes qui auraient changé d'avis de rejoindre la majorité de l'époque et de classer cette pétition.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Je serai bref, non pas que la matière ne vaille pas quelques commentaires appuyés et détaillés, mais tout simplement parce que M. Charollais a été relativement complet et qu'il ne sert à rien de paraphraser ce qui a déjà été dit avec pertinence quelques minutes auparavant.
J'insisterai sur trois points. Le premier concerne la nomination d'un directeur en la personne de M. Jean-Pierre Greff, qui est une personnalité reconnue dans le domaine de la formation, des beaux-arts et, plus généralement, de l'art contemporain et qui est en train de faire à nouveau de l'Ecole supérieure des beaux-arts de Genève une référence, tant il est vrai que celle-ci était entrée dans une phase de léger déclin.
Deuxième élément important: l'adaptation au système HES. Ce qui est important dans cette adaptation, c'est de ne pas y perdre son âme. C'est de ne pas entrer dans une logique de fusion avec les arts appliqués. C'est de ne pas entrer dans une logique d'«employeurs», entre guillemets... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)C'est de défendre, au niveau de l'application de la Déclaration de Bologne, le principe du master qui n'est pas forcément acquis pour l'ensemble des HES. Il va de soi que le sens de l'adhésion au régime HES par la loi ouvrant son champ aux beaux-arts passe par la reconnaissance du master comme référence pour les beaux-arts à partir du moment où il n'y a pas de débouché sur le marché du travail.
Troisième point, qui me paraît également important... (Brouhaha. La présidente agite la cloche avec vigueur.)Merci beaucoup, Madame la présidente ! ...c'est la reconnaissance de la Conférence des directeurs de l'instruction publique et, plus généralement, le fait qu'une école d'art comme celle-ci puisse s'adapter à un mouvement qui ne concerne pas seulement la Suisse mais l'ensemble des Hautes écoles d'art en Europe, ce qui instaure un mouvement modulaire qui rompt avec le schéma de l'académie. Et c'est bien cette voie que nous suivons, notamment en choisissant avec Jean-Pierre Greff l'adaptation au système HES et, plus généralement, en nous engageant dans la Déclaration de Bologne, en défendant les valeurs de l'Ecole supérieure des beaux-arts.
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets les conclusions de la commission des pétitions, soit le classement de la pétition, au moyen du vote électronique. Le vote est lancé.
Mises aux voix, les conclusions de la commission de l'enseignement supérieur (classement de la pétition) sont adoptées par 56 oui contre 7 non.
Débat
M. Claude Aubert (L), rapporteur. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas forcément le sujet de cette pétition, je rappelle qu'il s'agit de la lecture en classe d'un ouvrage intitulé «Le grand cahier» de Mme Agota Kristof.
Indéniablement, ce livre décrit des scènes de zoophilie, qui, considérées comme telles à l'état brut, ne peuvent que choquer lecteurs et lectrices. Lire en classe un texte embarrassant ne saurait aller de soi, la clairvoyance des enseignants étant un préalable indispensable pour qui voudrait, au travers de la littérature, parler du monde et de ses turpitudes...
La majorité de la commission, par douze voix contre deux, a choisi de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil en indiquant, d'une part que les pétitionnaires avaient soulevé des problèmes importants mais, d'autre part qu'il appartenait aux écoles, cycles et collègues, dans une concertation adéquate, de trouver des solutions à ces questions délicates, favorisant une juste utilisation de la liberté d'enseigner, sans qu'il soit nécessaire de remplacer le bon sens par des directives frôlant la censure.
M. Robert Iselin (UDC). Lors d'un débat précédent, je m'étais aventuré à demander la modification de la loi sur l'instruction publique, considérant que les parents conservent un droit absolu sur l'éducation de leurs enfants. Ce Grand Conseil m'a donné tort. Je pense qu'il a eu raison, et j'ai accepté ce verdict.
Aujourd'hui, il s'agit de décider si l'on est libre de lire des ouvrages à caractère pornographique dans les écoles du canton... J'en vois qui rient... Je dois vous dire que j'ai connu une République dans laquelle les magistrats étaient les défenseurs de la propreté morale ici bas ! Ça semble ne plus être le cas... Il y a des centaines d'oeuvres qui montrent la beauté de l'âme humaine, et l'on ferait mieux de lire ces textes aux jeunes - je rappelle qu'il s'agit de jeunes de 15 ou 16 ans, et non de 20 ou 25 ans, âge auquel ils sont libres de faire ce qu'ils veulent - au lieu de leur salir l'esprit avec les scènes décrites dans le livre de Mme Agota Kristof.
J'ai malheureusement dû, à mon grand dam, le lire deux ou trois fois...
Une voix. Tu y as pris goût ?
M. Robert Iselin. ...mais je dois vous dire que la peinture qu'elle laisse du monde moderne et de l'âme humaine est tellement triste que je ne voudrais en aucun cas que mes enfants - et encore moins mes petits-enfants - lisent des choses pareilles !
Je conclus donc en demandant que ce texte soit renvoyé au Conseil d'Etat.
M. Gabriel Barrillier (R). J'aimerais d'emblée dire tout le respect que je porte aux propos tenus par mon collègue Iselin qui, comme d'habitude, déclenchent des ricanements... Je trouve que ce n'est pas très sympathique pour notre collègue, qui montre une certaine grandeur d'âme ! (Exclamations et applaudissements.)
J'aimerais également vous dire une deuxième chose. Tout à l'heure, vous nous avez reproché de ne pas prendre au sérieux une pétition signée par mille ou mille cinq cents apprentis... En l'occurrence, cette pétition a été signée par deux mille huit cent quatre-vingt-une personnes, et je constate que vous n'en tenez pas compte du tout, surtout certains d'entre vous. Je vois que la démocratie est à géométrie variable !
Une voix. Bravo !
M. Gabriel Barrillier. Cela dit, en lisant le rapport de cette commission - je parle de la commission, et non du rapporteur - on constate qu'elle manie la langue de bois. En examinant les résultats du vote sur le renvoi au Conseil d'Etat, on s'aperçoit que trois députés libéraux et un radical se sont abstenus... J'en déduis que nos cousins libéraux doivent être un peu gênés aux entournures !
Je vais vous lire la conclusion de ce rapport, car elle est vraiment intéressante: «Renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat signifierait, dans le contexte actuel - mais quel est-il ? cela ne veut rien dire ! - que la commission prend fait et cause pour l'invite de la pétition - signée par deux mille huit cents pétitionnaires: «agir pour que cesse rapidement l'obligation de lire des livres à caractère pornographique dans les écoles publiques de notre canton». C'est clair ! Dans le paragraphe qui précède, vous reconnaissez que ce problème est de «première importance» ! Votre conclusion est donc complètement fausse: vous n'avez pas eu le courage de prendre une décision claire ! A mon avis, il faut respecter les deux mille huit cents pétitionnaires et avoir le courage de dire que ce n'est pas à l'école et aux enseignants de décider de ce que l'on peut lire, mais que c'est au parlement, qui représente le peuple, de donner des directives en la matière ! (Exclamations.)
C'est la raison pour laquelle, en ce qui me concerne, puisque j'étais déjà intervenu sur ce sujet par le biais d'une interpellation, je propose de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat ! C'est logique !
La présidente. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Sont inscrits Mmes et MM. François Thion, Jocelyne Haller, Pierre Weiss, Gilbert Catelain, Jacques Follonier et Janine Hagmann. Monsieur le député Thion, je vous donne la parole.
M. François Thion (S). Mesdames et Messieurs les députés, je crois que l'on vous doit quelques explications sur cette pétition...
Je vais d'abord situer les choses. Je dirai deux mots sur l'auteur, un mot ou deux sur le livre, je m'exprimerai sur les circonstances qui ont conduit à lire cet ouvrage dans une classe de deuxième de l'Ecole de culture générale, puis je conclurai.
Mme Agota Kristof est une romancière d'origine hongroise, d'expression française. Monsieur Barrillier, vous pouvez écouter ! Elle est née en Hongrie en 1935; elle a connu l'occupation allemande, la dictature des nazis, puis la dictature du parti communiste. Elle a été réfugiée en 1956 en Suisse, Monsieur Iselin. A l'époque, il était assez simple d'obtenir un permis de réfugié.
«Le grand cahier» est le premier livre d'une trilogie. Il a été publié en 1986. Il a été suivi d'un deuxième livre intitulé «La preuve», publié en 1988, et d'un troisième «Le troisième mensonge», paru en 1991. Il faut avoir lu les trois livres l'un après l'autre pour comprendre qu'ils dénoncent le totalitarisme d'une manière remarquable, qu'il soit d'extrême droite ou du parti communiste soviétique.
Traduit en vingt langues, ce livre est conseillé comme lecture par le Ministère de l'éducation nationale en France. Il est lu dans des classes en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne et au Danemark.
Une voix. Et en Valais ! (Rires.)
M. François Thion. Ce livre a reçu le Prix des auditeurs de France-Inter en 1992 et la qualité de l'oeuvre est attestée à la fois par les critiques littéraires et par de nombreuses études universitaires.
J'en viens maintenant sur les circonstances qui ont conduit à lire cet ouvrage dans une classe de deuxième de l'Ecole de culture générale. Pour quelle raison procéder à une telle lecture s'adressant à des jeunes de 16 ans - ou, plutôt, de 17 ans, Monsieur Iselin ? Ce livre est extrêmement facile à lire: le style est clair, les chapitres sont extrêmement courts - deux ou trois pages au maximum - les phrases aussi et elles comportent peu de métaphores. En fait, c'est très bien pour des élèves qui n'ont pas l'habitude de lire. Un rapport a été fait par le Conseil d'Etat sur l'enseignement du français, sur la lecture, sur l'écriture, et je peux vous dire que ce bouquin - comme d'autres de ce genre - est tout à fait à la portée d'élèves de l'Ecole de culture générale et est susceptible de les encourager à lire.
J'en viens maintenant aux scènes de déviances sexuelles. Il faut les situer dans leur contexte ! Elles sont évoquées dans un contexte particulier où rien n'est normal. La toile de fond de l'histoire est la guerre, pendant l'Occupation, à une époque où sévissaient la disette et la déportation. J'ajouterai que, par rapport à l'ensemble du bouquin, ces scènes sont quantitativement extrêmement infimes.
Je conclurai en disant qu'il serait très dangereux que des députés du Grand Conseil se mêlent d'établir une liste des lectures autorisées dans nos écoles. Je ne voudrais pas faire un parallèle spécieux, mais cela me rappelle des faits qui se sont passés dans certaines communes françaises gérées par des maires du Front national qui ont censuré les bibliothèques municipales en interdisant des livres sur la mondialisation, le racisme ou le rap au nom de je ne sais quel critère ! Je n'aimerais pas que l'on en arrive à une telle situation, Monsieur Iselin ! (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (AdG). J'ai lu «Le grand cahier» il y a bien longtemps... Ce n'est pas un ouvrage facile, et je peux comprendre les interrogations de M. Iselin et, même, les partager. Seulement, à cette même question, je n'apporterai pas la même réponse.
Cette réponse figure notamment dans le rapport de M. Aubert. Je la trouve particulièrement pertinente, et je me permets de vous la lire. Il écrit en bas de la page 2: «Les jeunes sont confrontés quotidiennement à de la barbarie dans les différents médias. Vaut-il mieux les laisser découvrir cela par eux-mêmes ou profiter d'un encadrement pédagogique pour aborder ces réalités de notre monde ?» Nous sommes là au coeur du problème. Nous sommes placés dans la problématique de l'enseignement, et c'est bien de cela qu'il s'agit, puisqu'il s'agit de la lecture d'un ouvrage à l'école !
Monsieur Barrillier, j'aimerais quand même vous dire que, contrairement à ce que vous affirmez, ce n'est pas au parlement de déterminer les contenus pédagogiques ni de décider de ce qui doit être lu ou non en classe ! Que ce soit enfin entendu !
Là encore, si vous me le permettez, je vous citerai un passage du rapport de M. Aubert, qui est fidèle à ce que la majorité de la commission de la pétition a exprimé. Je cite: «...la majorité de la commission indique que la thématique soulevée par les pétitionnaires est de première importance - nous en sommes tous conscients: nous ne la banalisons pas ! - mais qu'il appartient aux écoles, cycles et collèges, dans une concertation adéquate, de trouver des solutions à ces questions délicates, favorisant une juste utilisation de la liberté d'enseigner, sans qu'il soit nécessaire de remplacer le bon sens par des directives frôlant la censure.» Et permettez-moi de dire que M. Aubert a été relativement modéré en parlant de «directives frôlant la censure» parce que, ce que nous avons entendu, c'est véritablement de la censure et pas quelque chose d'approchant !
Il est question ici de la liberté d'enseigner, mais aussi de la compétence des professionnels, de la réflexion menée par le département autour des contenus pédagogiques et des instruments utilisés pour véhiculer un certain nombre de préoccupations et de savoirs. Il me semble que la moindre des choses serait de lui faire confiance. Il ne faut y voir aucun mépris pour tous les signataires de cette pétition, Monsieur Barrillier ! (Applaudissements.)
M. Pierre Weiss (L). Emma Bovary a eu de la chance de ne pas croiser M. Barrillier sur son chemin... Parce que, l'eût-elle croisé, je crois que son destin en aurait été changé !
Monsieur Barrillier, avec toute l'amitié que je vous porte, vous savez fort bien qu'il y a eu dans le passé, notamment au XIXème siècle - et la littérature française le montre à l'envi - des ouvrages qui ont été condamnés. Pensez, par exemple, aux «Fleurs du mal» !
Mais, de même que j'ai indiqué ce soir qu'il n'appartenait pas à notre Grand Conseil de se prononcer pour dire quelle était la vérité en matière d'histoire, ni à l'administration ni au gouvernement, de même dis-je maintenant qu'il n'appartient pas à notre Grand Conseil de décider de ce qui doit être lu ou non à l'école ! Selon la conception responsable que j'ai de la liberté, il appartient aux commissions instituées par le département de l'instruction publique de décider des listes d'ouvrages qui peuvent être lus dans les classes - même si certains, extrêmement délicats, exigent des explications.
D'ailleurs, le rapport le dit: «Pour la commission, il est indéniable qu'une scène de zoophilie, considérée comme telle, à l'état brut, ne peut que choquer lecteurs et lectrices.» Précisément, une telle scène ne doit pas être considérée à l'état brut; elle doit placée dans son contexte ! Elle doit faire l'objet d'une explication ! Il convient de penser à ce que signifie l'oeuvre de Mme Kristof - que, comme beaucoup d'entre nous, j'ai d'ailleurs lue avant le dépôt de la pétition dont il est question ce soir et, à plus forte raison, après.
En résumé, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, c'est avec courage - et non pas sans courage - avec une conception de la liberté «responsabilisatrice» que je soutiens la position de la majorité de la commission et que je me range derrière le rapport de notre commissaire. (Applaudissements.)
M. Gabriel Barrillier. J'ai rien compris ! (Rires.)
M. Gilbert Catelain (UDC). Je suis un peu déçu de la tournure des débats de ce soir... (Rires. L'orateur est interpellé.)Hier soir, à la salle de l'Alabama, l'Abbé Pierre nous a donné une magnifique leçon de morale. Il nous a fait partager sa conception de la vie, de ce qu'elle devrait être... Et je suis persuadé que, s'il était présent, vous n'auriez jamais dit ce que vous avez dit ce soir !
M. Christian Brunier. Il est pour le droit d'asile !
M. Gilbert Catelain. Je suis pour le droit d'asile tel qu'il existait avant la loi sur l'asile: il était discrétionnaire, et ça fonctionnait excellemment bien !
Pour en revenir à cet ouvrage, je l'ai lu, mais je l'ai personnellement trouvé ennuyeux et je n'en ai en tout cas pas gardé un souvenir impérissable. Il a certes un intérêt historique par rapport à ce qu'ont vécu certaines personnes pendant une période bien déterminée de l'Histoire - à savoir, l'occupation allemande jusqu'à la Libération - mais il est étonnamment silencieux sur le régime qui a suivi... (L'orateur est interpellé.)On nous a fait la leçon, j'en fais une ! (La présidente agite la cloche.)
Dans le rapport, il est dit, je cite: «Mme I. Hirschi reconnaît que la scène de la jeune fille handicapée avec le chien est très dure...»
M. Renaud Gautier. Pour le chien ! (Eclats de rire.)
M. Gilbert Catelain. Tout à l'heure, nous avons eu droit à une présentation du mouvement «Ni putes ni soumises», qui se bat pour la position de la femme dans la société et le respect de ses droits... Et l'on fait lire à une partie de notre jeunesse un livre dans lequel, pour l'éduquer, on lui explique qu'il existe des cas de zoophilie dans notre société. En ce qui me concerne, je vous le dis franchement, je préfère que mes filles ne lisent pas ce bouquin - et surtout pas à l'école !
On nous a fait tout un discours sur la censure... Alors, je suggère aux députés de droite de lire le livre intitulé «La désinformation». Il vous expliquera comment, à l'Education nationale française, les choix sont tendancieux... Même dans les dictionnaires, les portraits représentent toujours des hommes de gauche, si possible, sur fond rouge... (Rires et exclamations.)Les livres étudiés en littérature se rattachent toujours à une certaine tendance politique... Mais personne ne dit rien, car cela fait partie du mondialisme socialiste ! D'ailleurs - tout le monde le sait - vous ne risquez pas de trouver beaucoup de libéraux et de radicaux à l'Education nationale française ! (Rires et commentaires.)
«Vaut-il mieux - trouve-t-on encore dans ce rapport - les laisser découvrir cela par eux-mêmes ou profiter d'un encadrement pédagogique pour aborder ces réalités de notre monde ?» Je ne sais pas s'il faut forcément traiter les exceptions... Ce serait déjà pas mal d'inculquer aux jeunes les bases générales, de leur expliquer le comportement à adopter en société, les règles sociales et ce qui va avec !
Pour le reste, je crois que les parents ont aussi un rôle à jouer en matière d'éducation et leur mot à dire en matière d'instruction publique. J'entends régulièrement dire dans ce parlement qu'il faut associer les parents à l'éducation, qu'il faut les impliquer dans le système éducatif et, lorsque ces mêmes parents dont on a voulu qu'ils s'impliquent manifestent leur désapprobation, on veut refermer le couvercle, leur signifiant ainsi qu'ils n'ont pas leur mot à dire, qu'ils doivent rester à leur place et laisser les professionnels s'occuper de l'éducation sexuelle de leurs enfants !
Quoi qu'il en soit, l'image de la femme dans ce livre n'en sort pas grandie, ce qui ne va pas aider les jeunes hommes dans notre société à modifier leur comportement - comportement qu'un certain nombre d'associations et d'organes de l'Etat tentent d'ailleurs de combattre comme ils le peuvent.
En tant que représentant d'une partie de cette population, en tant que chef de famille, en tant que père d'enfants mineurs, je m'oppose à la lecture de ce type d'ouvrages à l'école. J'estime que l'on ne devrait même pas avoir besoin de déposer une pétition sur le bureau du Grand Conseil ou de la renvoyer au Conseil d'Etat pour que les enseignants choisissent d'eux-mêmes des livres qui n'engendrent pas une telle polémique pour atteindre les mêmes objectifs !
M. Jacques Follonier (R). Nous étions deux: nous étions deux dans cette commission à vouloir renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Je suis fort aise de constater ce soir que nous avons fait des émules: c'est une excellente chose !
Il faut donner un signe clair au département, car il lui appartient tout de même de veiller à ce que le choix des livres proposés à nos élèves soit adéquat.
Nous n'allons pas parler du livre ce soir... M. Thion s'est livré à un vibrant plaidoyer sur la qualité de ces trois ouvrages. Il a raison, mais la seule chose dont nous devons parler aujourd'hui, c'est de la manière d'aborder ce livre: c'est ce qui est important.
Mme Irschi, qui a proposé la lecture de ce livre, nous a expliqué en commission la manière dont elle a traité cette lecture et la vision qu'elle a proposée de ce livre. Et cette vision est exactement celle décrite M. Thion: c'est une vision large, sur toile de fond de la guerre, dans un milieu très particulier.
En ce qui me concerne, ce qui m'a choqué - et qui continuera à me choquer longtemps - c'est qu'un enseignant donne à lire un ouvrage qui expose des problèmes de pédophilie et de zoophilie sans aborder le fond du problème. Ce pourrait être une bonne chose si l'on attaquait véritablement le fond du problème, si l'on utilisait ce livre pour expliquer aux élèves - et je vous rappelle qu'il s'agit de jeunes du cycle qui ont entre 15 et 16 ans... (Exclamations.)- de quoi il retourne réellement.
M. François Thion. Ils sont à l'ECG ! Ils ont 16 ou 17 ans, ce n'est pas la même chose!
M. Jacques Follonier. Monsieur Thion, il y avait en tout cas un élève de 15 ans: je peux vous l'affirmer ! Si vous voulez que je donne son nom, je peux le faire ! Quoi qu'il en soit, le choix de ce livre n'a pas d'importance. Ce qui est important, c'est la manière d'aborder le problème ! Pour ma part, je trouve dommage que Mme Hirschi nous dise carrément qu'elle n'a abordé ni le problème de la pédophilie ni celui de la zoophilie et qu'elle a laissé les élèves avec leurs doutes, sans les aider à comprendre la réelle difficulté de ce livre - peut-être aussi son intérêt. Ce sont des sujets d'actualité qui pourraient peut-être être évoqués dans le cadre de l'enseignement genevois. Je regrette, mais ce n'est pas de cette manière qu'il fallait aborder le problème. On ne peut pas laisser de telles questions ouvertes sans proposer de réponses à des jeunes qui, peut-être, le souhaiteraient.
C'est pour cette raison que je reste persuadé qu'il est logique et utile de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, parce qu'il en est de sa responsabilité, Mesdames et Messieurs les députés ! Le conseiller d'Etat chargé de ce dicastère ne peut pas se décharger en disant que tout cela n'est pas grave: il a un rôle à jouer, celui de contrôler ce qui est enseigné dans son dicastère. On ne peut pas laisser les choses aller ainsi sans réagir quelque peu. Il me semble que, ce soir, nous avons un choix à faire: il est simple. Renvoyons cette pétition au conseiller d'Etat ! Il saura probablement prendre les bonnes décisions.
Mme Janine Hagmann (L). Je me suis déjà exprimée deux fois sur ce livre. Je serai donc très brève ce soir.
Je voudrais en premier lieu adresser toutes mes félicitations à M. Aubert pour son rapport d'une extraordinaire finesse sur un sujet aussi difficile. Il n'a pas mis un mot de trop ni l'inverse. Bravo, Monsieur Aubert, vous avez fait un très bon travail !
Vous savez fort bien, Mesdames et Messieurs les députés - je me suis assez souvent exprimée à ce sujet dans cette enceinte - que je n'ai pas des idées conservatrices sur l'école. Je diverge un peu de mes collègues à propos de la lecture de ce livre, et je vais vous expliquer pourquoi. En effet - et Dieu sait si je pense que ce n'est pas à nous de choisir les livres à étudier à l'école - cela m'est complètement égal que ce livre parle de zoophilie ou de pédophilie, car les adolescents sont hélas habitués à certaines images.
Par contre, je suis tout à fait choquée par le manque total de moralité de ce livre. Dans une civilisation judéo-chrétienne comme celle dans laquelle nous voulons élever nos enfants, mettre en scène deux adolescents tuant sans aucun état d'âme une personne qui vient d'être violée par une «tournante» n'est pas admissible. C'est donner une image très négative, très malsaine - et c'est cela, Mesdames et Messieurs les députés, qui m'a personnellement gênée. Je ne vous cache pas que j'ai eu de la peine à dormir après avoir lu ce livre.
Par ailleurs, pour avoir eu l'occasion de rencontrer des parents d'élèves de cette classe, je peux vous dire qu'ils se sont sentis quelque peu frustrés, car ils estiment que c'est à eux d'aborder certains domaines de la vie avec leurs enfants. Pour autant, je ne critique pas du tout la professeure qui a fait un travail considérable - je ne fais pas partie de la commission qui l'a auditionnée, mais mes collègues de groupe m'ont dit tout le travail qu'elle avait entrepris et combien cet encadrement avait été nécessaire. Je vous remercie, Monsieur Thion, de nous avoir appris que ce livre était reconnu. C'est vrai, mais, entre la reconnaissance générale dont fait l'objet un livre et la décision d'imposer sa lecture à un groupe d'enfants alors que certains parents ne sont pas d'accord, il y a un monde. Comme je vous l'ai dit, j'émets des réserves sur ce mode de faire, surtout parce que j'estime que nous devons vivre selon une morale que nous ne pouvons pas ignorer et que nous avons l'obligation de transmettre. (Applaudissements.)
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Beaucoup de temps et d'énergie pour une question qui, visiblement, préoccupe nombre de nos concitoyennes et concitoyens ayant signé cette pétition. Les travaux ont été très animés et ont principalement porté sur le fait de savoir s'il était opportun ou non de lire «Le grand cahier» à l'école.
Mesdames et Messieurs les députés, je vous prierai tout d'abord de m'excuser d'être arrivé en retard, mais j'étais retenu à une cérémonie protocolaire qui avait lieu à 19h pour remettre le prix Reinhart - qui est la plus haute distinction du théâtre suisse - à Dominique Catton, du théâtre Am Stram Gram, en présence de Pascal Couchepin, conseiller fédéral, et de Patrice Mugny, conseiller administratif de la Ville de Genève. Pratiquement au moment où nous devions reprendre la séance, M. Catton était en train de prononcer son discours, et j'ai jugé indispensable d'observer une attitude de politesse élémentaire.
Si je vous évoque ce fait, ce n'est pas seulement pour m'excuser, mais pour vous dire que je me trouvais tout à coup dans la fosse d'un théâtre, un lieu où se produisent mille choses, où l'on vit des instants extrêmement forts, où l'on produit des pièces, des oeuvres d'art.
Récemment - vous le savez - «Le grand cahier» a été produit dans un théâtre à Genève, et ce spectacle a rencontré un grand succès. Il a été reconnu par la critique, par des enseignantes et des enseignants ainsi que par des professionnels de tous les horizons.
La manière dont on parle de cette oeuvre - permettez-moi de vous le dire - est profondément insultante pour Agota Kristof, écrivaine hors du commun qui a demandé l'asile politique à la Suisse et qui a choisi de vivre à Neuchâtel. Depuis cette terre neuchâteloise, elle a produit un certain nombre d'oeuvres qui n'ont pas seulement été reconnues par quelques intellectuels du milieu des lettres, mais aussi par les auditeurs de France-Inter qui lui ont consacré, à travers la distinction du Livre Inter, une reconnaissance méritée.
Peut-on dès lors se permettre de faire le procès d'une oeuvre dans un parlement ? J'aimerais à cet égard rendre hommage au rapport de qualité de M. Aubert qui a su, tout en soulignant la responsabilité des différents acteurs de l'instruction publique, éviter un tel procès qui ne grandit pas notre parlement - je le dis pour celles et ceux qui prononcent des sentences...
Deuxième élément important, Mesdames et Messieurs les députés: le corps enseignant. Ce dernier n'est pas dénué de responsabilités, de sens des responsabilités, de professionnalisme. Quand un professeur recourt à une oeuvre - je dis bien une «oeuvre» - il faut un sens pédagogique. Et l'on peut, à cet égard, rendre hommage à l'enseignante en question - comme aux autres enseignants - qui a eu le courage d'aborder une oeuvre n'étant pas facile et ne racontant pas qu'une jolie histoire. Une oeuvre qui raconte tout simplement la vie avec ses perspectives, mais aussi ses pièges - pour ne pas dire ses saletés, ses immondices.
Mesdames et Messieurs les députés, à travers un travail parlementaire de cet ordre, nous devons à tout prix éviter de laisser entrer la censure non seulement dans ce parlement, mais également dans le rôle et le positionnement du magistrat politique.
Monsieur Iselin, il n'est pas de la responsabilité politique du chef de département de lire toutes les oeuvres et tous les manuels utilisés à l'école. Il est de la responsabilité d'un chef de département d'encadrer en faisant confiance aux professionnels dotés de l'expérience et des compétences pour entourer l'étude d'une telle oeuvre. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)
Mesdames et Messieurs les députés, je terminerai par cette anecdote - vous ne m'en voudrez pas - que je dédie plus particulièrement aux censeurs... Cette anecdote est tirée d'un livre d'un écrivain portugais, António Lobo Antunes, qui, dans un livre particulièrement intéressant, relevait le sens de la police politique portugaise du très célèbre Salazar. Il racontait que la police politique entrant dans une librairie avait décidé de confisquer les oeuvres qui pouvaient pervertir la population. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Ladite police politique a alors saisi les oeuvres de Lénine, de Staline et de Racine ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vais vous soumettre les conclusions de la commission, soit le dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil, au moyen du vote électronique. Le vote est lancé.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 54 oui contre 26 non et 3 abstentions.
Débat
M. Claude Aubert (L), rapporteur de majorité. Je vous suggérerai, pour changer d'ambiance, de vous déplacer... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)...au bord d'un grand estuaire dans lequel vous pouvez voir un immense navire quitter le port et aller vers son destin. Depuis la rive, vous pouvez bien évidemment penser que ce bateau n'aurait jamais dû être construit... Vous pouvez aussi penser qu'il est fantastique d'avoir construit ce bateau... Vous pouvez avoir diverses opinions, mais une chose est vraie: c'est que ce bateau va son chemin.
D'un point de vue purement historique, j'indiquerai à celles et ceux qui ne connaissent pas forcément le domaine des Hautes écoles spécialisées que la loi fédérale a été votée en 1995, soit il y a dix ans. Je rappellerai aussi... (Brouhaha persistant. La présidente agite la cloche avec vigueur.)...que nous sommes liés par un concordat international... intercantonal, pardon, excusez-moi: c'est un lapsus révélateur ! Un concordat, disais-je, intercantonal, qui a été signé en janvier 97, soit il y a huit ans, et que le Conseil général genevois a accepté en juin 97 le contre-projet «Offrir aux jeunes une meilleure chance de formation à l'emploi».
Tout cela pour vous dire que les HES existent, qu'elles fonctionnent. On peut être d'accord, on peut ne pas l'être... Et, si vous me permettez cette plaisanterie - c'est une heure où les enfants ne regardent plus la télévision - je vous dirai qu'il y a toujours des gens qui pensent que, si ma grand-mère avait des testicules, elle serait mon grand-père et que, par conséquent, je serais sa petite-fille ! On peut donc toujours penser que, si les choses étaient différentes, la situation serait autre...
La majorité de la commission a pris acte de ce rapport, en relevant bien évidemment les questions et les préoccupations des uns et des autres. On trouve, au fond, trois tendances à l'intérieur de la commission de l'enseignement supérieur: la première est plutôt favorable à une centration confédérale - en d'autres termes, il faut quitter le plan cantonal, car l'avenir des HES est lié à la Confédération. La deuxième est favorable à une centration genevoise - c'est-à-dire que Genève doit s'occuper de la qualité de ses écoles. Et la troisième est pragmatique: puisque le navire est lancé, il faut essayer de l'utiliser au mieux.
Je m'arrêterai là, en me réjouissant bien évidemment d'entendre l'exposé du rapporteur de minorité qui va, avec son brio habituel, nous indiquer tous les pièges possibles par rapport aux HES. Mais - je le répète, et je n'aurai pas besoin d'y revenir - ses préoccupations ne sont pas celles de la majorité de la commission.
M. Souhail Mouhanna (AdG), rapporteur de minorité. Nous avons souvent connu des situations dans lesquelles la majorité parlementaire ne choisit pas ce qui pourrait être l'intérêt général... On le vit depuis quelques années déjà dans ce Grand Conseil... Ce que vient de dire M. Aubert n'est donc nullement une démonstration de ce que mon avis sur cette question serait minoritaire dans la société.
J'ai en tout cas la conviction que ce que je défends est dans l'intérêt de la majorité de la population et, plus particulièrement, des jeunes qui aspirent à recevoir une formation professionnelle de qualité.
Je ne sais pas comment M. Aubert peut se permettre de dire ce que je pourrais penser ou ne pas penser, d'autant plus qu'il classe les membres de la commission en trois catégories ! Pour lui, il y a la centration genevoise, la centration confédérale et, troisième catégorie, les pragmatiques: ceux qui pensent - ce n'est d'ailleurs pas ce qu'il écrit dans le rapport - que, puisque le navire est lancé, il faut essayer de faire au mieux...
Eh bien, Monsieur Aubert, moi, je me reconnais dans les trois catégories ! Dans les trois: parfaitement ! Vous avez souvent essayé, en les dénigrant systématiquement, de faire croire que tous ceux qui se sont battus pour une formation professionnelle de qualité accessible à toutes et à tous - c'est-à-dire une formation démocratique, accessible aux uns et aux autres, dans l'intérêt non seulement de notre canton mais de notre région et de la Suisse toute entière - étaient opposés aux HES. Demander qu'il y ait plusieurs HES, c'est être opposé aux HES ? C'est le mensonge permanent !
Monsieur Aubert, vous venez d'évoquer le contreprojet qui a été accepté par le peuple. Je rappelle que ce contreprojet était à l'époque opposé à une initiative populaire et qu'il a récolté 47,5% des votes de la population. Il reprenait un certain nombre d'éléments qui se trouvaient dans l'initiative. Puisque vous vous référez au contreprojet, je ne me référerai plus du tout à l'initiative.
J'ai dit que je me reconnaissais dans les trois catégories. Le navire est en effet lancé. Ce navire, depuis quel quai a-t-il été lancé ? Du quai du contreprojet - je vais donc en parler. Mais la différence entre vous et moi, Monsieur Aubert - peut-être: pardonnez-moi de vous prêter cette vision des choses ! - c'est que, vous, vous êtes d'accord que le navire soit envoyé par le fond et que l'on amuse la galerie en demandant aux marins d'aménager les cabines mais, surtout, sans se préoccuper de la destination du navire. Contrairement à vous, moi, je m'occupe de la destination du navire - et je ne veux pas qu'il coule. C'est cela, la différence !
Je vais le démontrer - car vous savez bien que, dans le cadre de ma profession, j'ai l'habitude de démontrer ce que je dis. Le contreprojet - c'est le peuple qui l'a voté - dit en son titre 2: «Offrir de meilleures chances de formation et d'emploi pour les jeunes. L'offre de formation du canton de Genève devra assurer aux étudiantes et étudiants, en fonction des filières qu'ils choisiront - qu'ils choisiront ! - a) les meilleures possibilités de formation de base et de formation postgrade; b) les meilleures chances de stages et de collaboration avec les milieux professionnels; c) les meilleures chances d'insertion professionnelle.» Je suis d'accord avec ces trois propositions. Je ne suis donc pas en désaccord avec tous les éléments du contreprojet, comme vous pouvez l'imaginer - d'autant qu'ils sont empruntés à l'initiative !
Le titre 5 dit ceci, Monsieur Aubert: «La participation du canton de Genève à une structure HES de Suisse occidentale devra respecter les principes suivants: a) maintien et développement d'une formation de qualité dans les établissements de formation - maintien et développement, j'insiste encore une fois: maintien et développement ! - b) statut de droit public pour le personnel des établissements HES genevois; c) garantie de la gratuité ou du remboursement des études pour tous les étudiantes et étudiants qui en bénéficient aujourd'hui conformément à la loi sur l'encouragement aux études du 4 octobre 1989 - et vous savez que la démocratisation et la gratuité des études étaient l'un des axes de notre combat - d) maintien d'un accès à l'école d'ingénieurs par une voie renforcée et complétée par un diplôme équivalent à la maturité professionnelle; e) libre-passage assuré, etc.» Voilà un certain nombre d'éléments avec lesquels je suis d'accord !
Que s'est-il passé, Monsieur Aubert ? Dans son message de 1994, qui a été suivi par la loi du 6 décembre 1995 instituant les Hautes écoles spécialisées, le Conseil fédéral avait tracé un certain nombre de perspectives par rapport au développement des HES qui consistaient précisément à attirer les jeunes dans ces formations, à renforcer ce que l'on peut appeler «la recherche appliquée», la collaboration avec l'économie, etc. et à reconnaître l'ensemble des écoles qui étaient reconnues à l'époque par la Confédération. On avait articulé des chiffres astronomiques assez réjouissants... Pour une fois, on investissait beaucoup dans la formation professionnelle et les crédits allaient précisément permettre de faire un saut qualitatif et quantitatif à ce niveau...
Mais, petit à petit, les choses ont changé...
La présidente. Monsieur le rapporteur, il faudra bientôt terminer !
M. Souhail Mouhanna. Déjà !
La présidente. Allez encore un peu, vous êtes tellement passionné ! (Exclamations.)
M. Souhail Mouhanna. J'espère que j'aurai la possibilité de reprendre la parole. Justement, je me réserve pour vous donner des éléments montrant que les gens ont été trompés sur toute la ligne ! J'ai sous les yeux le graphique sur l'évolution des principaux agrégats budgétaires de la HES-SO... Pour vous donner une petite idée de l'évolution des contributions financières des cantons partenaires, au niveau des dépenses par étudiant en francs constants, je vous cite les chiffres suivants: l'indice est de 100 au départ - soit aux comptes 2001 - il est de 86,5 en 2005, soit 14,5% de diminution, et la perspective 2008, soit le plan financier de cette immense découverte...
La présidente. Il faudra vous arrêter, Monsieur le rapporteur !
M. Souhail Mouhanna. ...sur le plan de la formation professionnelle est de 77,8, soit quasiment moins 23% d'investissement par étudiant dans le domaine de la formation professionnelle !
Je reviendrai sur ce point, Madame la présidente.
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. Le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Sont encore inscrits Mme et MM. Jean Rossiaud, Jacques François, Thierry Charollais, Claude Aubert, Guy Mettan, Pierre Weiss et Janine Hagmann. Monsieur le député Rossiaud, je vous passe la parole.
M. Jean Rossiaud (Ve). Se prononcer aujourd'hui sur le rapport divers 497 a évidemment moins d'intérêt depuis que nous avons voté le projet de loi 8853 instaurant la HES genevoise.
Mais je voudrais quand même intervenir pour rappeler que nous ne sommes pas rassurés quant à l'évolution des HES. Comme le dit le rapporteur, le navire est en marche - certes - mais il est toujours possible de l'aiguiller, même si la route est quelque peu téléguidée de Berne.
Les Verts ont toujours appuyé la création puis la mise en place des HES, sans croire pour autant que cela se ferait sans heurt, sans problème, sans danger quant à la qualité des formations. Nous avons toujours pensé que, si l'évolution vers la HES était souhaitable, elle était néanmoins porteuse de danger et que nous devions rester attentifs à la mise en oeuvre des HES. Nous suivons d'ailleurs le même raisonnement quant à Bologne.
Si nous avons soutenu les HES, c'est qu'à notre sens, elles favorisent l'harmonisation des diplômes et permettent une plus grande mobilité pendant les études et, surtout, qu'une fois les diplômes obtenus, elles favorisent à terme une plus grande démocratisation des études et l'accès à des formations d'une meilleure qualité.
La démocratisation des études ne devrait pas s'accompagner d'une baisse du niveau de la formation, mais, sur ce point, nous avons encore de sérieux doutes.
La démocratisation des études ne devrait pas non plus signifier que l'on privilégie systématiquement une approche théorique à une approche métier fondée sur la pratique, sur le geste, sur l'expérience - et, sur ce point encore, les HES ne vont pas dans le bon sens.
La démocratisation des études devrait permettre à l'ensemble de la population d'atteindre un niveau culturel élevé et continuant à s'élever. C'est une condition de la démocratie.
Nous devons continuer à nous montrer extrêmement vigilants sur ce point, car toute la politique voulue par la Confédération et par certains milieux patronaux vise à la concentration, à la délocalisation, à la suppression des filières, à la spécialisation et aboutit à un grand appauvrissement du niveau culturel de l'ensemble de la population. Cette perte de la diversité est dommageable: elle est dommageable pour tous en général et pour chacun en particulier.
Les Verts continueront donc à exiger une formation de qualité adaptée aux professions en vigueur et diversifiée dans son offre.
M. Jacques François (AdG). M. Mouhanna a déjà dit un grand nombre de choses intéressantes concernant ce rapport. Mon expérience quotidienne me donne tout de même envie d'aborder quelques points - d'autant, Monsieur Aubert, que je ne regarde pas le navire, mais que je suis dedans un certain nombre d'heures par semaine... (L'orateur est interpellé.)Oui, il faudrait une bouée de sauvetage !
C'est vrai que le rapport de M. Aubert laisse tout de même entendre qu'un certain flou règne dans la HES et dans la HES-SO. Bien sûr, la réalité est toujours difficile à cerner pour une commission du Grand Conseil - d'autant que, lorsqu'on pose des questions à des directeurs, ils ne donnent que des réponses de directeurs... Alors, disons les choses plus sèchement: actuellement, les HES sont plus près d'une pétaudière que d'un flou ! C'est le cas, du moins, là où je connais bien la situation.
Deux points parmi d'autres, si vous le permettez, choisis en raison de leur importance.
Premier point: la saga de la recherche. Vous savez que la recherche appliquée était considérée comme l'un des piliers lors de la fondation des HES. Je ne vous raconterai pas ici les huit dernières années de la vie d'un responsable de recherche dans la HES-SO. Je me contenterai de vous dresser un inventaire qui tient du capharnaüm: création d'une réserve stratégique, création de centres de compétences, création de réseaux de compétences nationaux, création d'instituts de recherche semi-privés dans certaines écoles, puis on défait les centres de compétences pour les refaire légèrement différents. Dernièrement, on a finalement défini des instituts qui regroupent la recherche à l'intérieur des établissements selon des filières ! Plus fou encore: on définit des domaines très précis pour chaque école, qui est chargée de rechercher dans un domaine et pas dans celui d'à côté ! Attention: collaboration, concurrence, mais pas tout le temps ! Le financement centralisé, décentralisé, par école: maintenant, il n'y a pratiquement plus de financement ! Contrôles constants par un comité scientifique, puis par un comité économique - le contrôle du contrôle - et, enfin, le contrôle de la HES, tout en haut !
Depuis huit ans, l'organisation de la recherche appliquée est en constante modification tous les mois, sans que l'on puisse y voir un semblant de cohérence. Dans les laboratoires où se fait finalement la recherche, les professeurs, les assistants, les ingénieurs commencent à désespérer. Il y a bientôt plus de managers que de chercheurs, plus de travail administratif que de travail de recherche, plus de blablabla que de projets !
J'ai ici le dernier chef-d'oeuvre de la HES-SO: un exemple de convention de recherche entre la direction générale, à Delémont, et une école de Fribourg... C'est incroyable: c'est un monument ! Je suis sûr que c'est le frère de Coluche qui l'a écrit: ce n'est pas possible autrement ! Vous vous le rappelez certainement, Coluche disait: «Quand un technocrate répond à ta question, tu ne comprends plus la question que tu as posée !».
Mesdames et Messieurs, le fonctionnement de la HES-SO, en sureffectif technocratique et «managerial» - en français dans le texte - est un véritable scandale ! Cela coûte évidemment beaucoup d'argent pour aligner des papiers comprenant en deux lignes les mots: «stratégie», «objectif stratégique», «réseau», «synergie», «indicateur de performance», «axe stratégique», «axe de revalorisation», et blablabla et blablabla... (Rires.)
Deuxième élément que je voudrais aborder, qui est beaucoup beaucoup plus grave: l'enseignement. En ce qui concerne l'enseignement, qui devrait rester, me semble-t-il, le travail essentiel des HES, la nouvelle sauce bolognaise qui découpe les études en bachelor et master - toujours en français dans le texte ! - a été l'occasion de réformes qui, dans certaines écoles de la HES-SO, sont extrêmement graves pour les étudiants. Avec le nouveau système, il ne fait pas de doute que les bachelors auront une formation très inférieure à celle qui a été prodiguée jusqu'à maintenant, en tout cas dans l'ensemble des écoles d'ingénieurs de la HES-SO.
Pourquoi ? Entrée en formation d'un niveau plus bas, suppression d'un nombre d'heures par semaine considérable, suppression de plusieurs semaines d'enseignement, intégration des diplômes à l'intérieur des trois ans font que, pratiquement, l'équivalent de trois quarts d'année d'enseignement a disparu sur les trois ans. Cela correspond donc à une diminution considérable. Et, contrairement à ce que prétendent certains - comme Mme Lyon, conseillère d'Etat vaudoise et grande prêtresse actuelle de la HES-SO - cela ne pourra pas être compensé par de nouvelles méthodes d'enseignements car, vous le savez, pour un ingénieur, les connaissances nécessaires ne cessent d'augmenter chaque jour.
C'est vrai: la formation de master correspond, elle, à une amélioration de la formation. Mais, là où le bât blesse, c'est que les masters seront conçus pour accepter 25% des bachelors - propos, d'ailleurs, de la même Mme Lyon ! L'arithmétique, Mesdames et Messieurs, est difficilement contournable: 75% des étudiants de notre école auront une formation plus basse et moins bonne que jusqu'à maintenant; 25% auront une formation légèrement meilleure. Voilà l'équation !
J'ajoute que rien n'est encore prévu pour les étudiants entrés dans le système bachelor-master. On ne sait pas, pour l'instant, quels seront les masters que les étudiants pourront suivre à Genève. Des étudiants sont donc déjà en formation sans savoir quelles études ils pourront terminer dans leurs écoles ! Peut-on trouver cela normal ? Peut-on continuer à se moquer de cette manière des étudiants ? Allons-nous continuer encore longtemps à écouter les déclarations d'autosatisfaction des directeurs généraux et de leurs adjoints ? Et comment agir dans un système supracantonal qui prendra de plus en plus d'autonomie dans les années à venir ?
La présidente. Il faudra terminer votre intervention, Monsieur le député !
M. Rémy Pagani. Pour une fois qu'il prend la parole ! (Rires de la présidente et de l'assemblée.)
M. Jacques François. C'est vrai que je suis peu bavard, d'habitude ! (Exclamations.)Mesdames et Messieurs les députés - j'en terminerai par là, Madame la présidente - on nous a vendu les HES comme étant un développement fantastique de la formation professionnelle... Pour l'instant, ce n'est qu'un mensonge ! A nous, Mesdames et Messieurs, de ne pas transformer ce mensonge en escroquerie ! (Applaudissements.)
M. Thierry Charollais (S). Je ne sais pas si ce sont les peu bavards qui vont s'exprimer aujourd'hui, mais enfin, bref ! (Commentaires.)
Mesdames et Messieurs les députés, non seulement par son volume, mais grâce aux informations qu'il contient, le rapport du Conseil d'Etat pose des questions importantes concernant l'enseignement professionnel supérieur... D'ailleurs, non sans une certaine malice, le rapporteur de majorité soulève ces questions de manière quasi métaphysique, tandis que le rapporteur de minorité traduit une inquiétude provoquée par un mode de fonctionnement qu'il ne s'agit en aucun cas d'occulter. La malice et l'inquiétude vont ici de pair, car elles évoquent toutes deux un mode de faire qui a semé le trouble mais qui amène aussi une meilleure compréhension de ce qui se passe dans la HES genevoise.
Les questions soulevées par le rapport du Conseil d'Etat sont parfois difficiles à qualifier: certaines paraissent techniques; d'autres semblent politiques. Les notions de filières et de domaines de formation, les critères d'évaluation de ces filières, les termes telles que la masse critique des étudiants suivant une formation, la gouvernance des HES, etc., bref, toutes ces notions quelque peu technocratiques, quelque peu barbares et, je dois dire, difficiles à saisir pour un néophyte ayant débarqué en commission avec l'étude d'un tel rapport - vous l'aurez compris, c'est moi - sont en réalité techniques et politiques.
Ce rapport constitue une base d'informations très précieuse: il nous permet de bien saisir les dimensions de la politique de l'enseignement supérieur professionnel.
En deux mots ces dimensions sont les suivantes:
- Supracantonales et intercantonales: on ne parle plus de la traditionnelle notion de compétences cantonales au sens strict du terme, mais de coopération intercantonale, qui doit se concrétiser via le Comité stratégique de la HES de Suisse occidentale. On change ici d'échelle. Amener des écoles à collaborer est un aspect positif, mais les risques de dérives ne sont pas à sous-estimer, notamment les dérives technocratiques. En outre, nous nous sommes tous posés la question de la compétence des députés dans un tel contexte. De manière générale, il nous faudra bien vite trouver de nouveaux modèles de prise de décision, la dimension intercantonale prenant de plus en plus d'importance dans nos débats.
- Cette politique se veut adaptative, capable de travailler en synergie avec les autres entités du système de l'enseignement supérieur. Ces entités sont d'abord les universités, avec lesquelles des passerelles avec les HES existeront - théoriquement, du moins - grâce à la mise en oeuvre de la Déclaration de Bologne. Les HES sont également appelées à jouer un rôle important dans la recherche appliquée - les difficultés ont d'ailleurs été soulevées par mon préopinant. On ne soulignera jamais assez l'importance fondamentale de la matière grise et de l'innovation dans le développement économique, ce qui est parfois oublié dans les faits.
- Mais cette politique met à mal la notion du fédéralisme au sens traditionnel du terme: ici, nous ne sommes plus dans un contexte de partage des tâches équilibré - ou, du moins, clair - entre la Confédération et les cantons, ceci même avec l'entrée en vigueur de leur nouvelle répartition, votée par le peuple le 28 novembre 2004. Au contraire, en ce qui concerne les HES, la Confédération fixe les règles, distribue les cartes et, ma foi, les cantons doivent suivre la mise qui leur est imposée tout en tentant de rééquilibrer les règles du jeu. La prise de position des cantons dans le débat de la révision de la loi fédérale sur les HES en est un exemple éclairant.
- Cette politique se veut concurrentielle: entre les écoles, les sites, les cantons et, même, entre deux départements fédéraux, qui se disputent le dossier dans l'optique de la révision de la loi fédérale sur les HES.
Vous imaginez alors la question qui nous préoccupe tous: qui contrôle ? Quelle place pour le contrôle parlementaire des députés ? Quel partage des tâches entre le législatif et l'exécutif ? Où se situe le pouvoir de décision ? Quelles sont les répercussions pour les étudiants au niveau de l'enseignement et des débouchés professionnels ? Ces questions, Mesdames et Messieurs les députés, nous nous les sommes souvent posées au cours de nos discussions.
Conscient des limites de l'exercice, le groupe socialiste acceptera ce rapport pour les raisons suivantes:
- Je l'ai déjà dit, ce rapport constitue une base de connaissances de ce qui se fait dans la HES genevoise et au niveau de la HES de Suisse romande de manière substantielle: il contient donc des informations capitales, et il s'agit de le prendre comme tel.
- Les HES sont la résultante d'un processus récent, mis en place il y a moins de dix ans. Cela ne signifie pas pour autant un chèque en blanc. Le groupe socialiste restera très attentif aux aspects fondamentaux de cette politique, à savoir l'accès à la formation, la mobilité géographique des étudiants, le choix des sites, la gestion des filières et des domaines de formation. Il s'agira également de veiller à la qualité de l'enseignement - et qui dit qualité de l'enseignement dit également corps enseignant.
- Le projet de loi 8853, qui a notamment introduit le Conseil de l'enseignement supérieur, a été voté le 10 juin 2004. Pour rappel, c'est cette loi qui permettra d'instaurer plus de lisibilité à la politique de l'enseignement professionnel telle qu'elle est menée à Genève et de lui conférer la légitimité nécessaire à sa réussite.
Le rapport qui nous occupe maintenant nous permet de voir les enjeux qui se présentent pour un avenir très proche. En conclusion, nous disposons donc à Genève de la base d'information, des premiers instruments pour mener cette politique.
M. Guy Mettan (PDC). Après toute la volée de bois vert qui a été distribuée à mon collègue Claude Aubert, j'aimerais quand même le soutenir pour la raison suivante... Et je m'étonne un peu de la position de la gauche, qui accepté de prendre acte de ce rapport - en tout cas les Verts et les socialistes - et qui, par la suite, applaudit aux propos de M. Mouhanna et de M. François...
Je rappelle tout d'abord deux choses. En premier lieu, quand ce rapport nous a été remis il y a maintenant dix-huit mois, tout le Grand Conseil l'a salué - et à juste titre car, pour la première fois depuis la mise en place des HES, un document analysait ce qui se passait. C'est vrai qu'il n'est pas si facile de comprendre un système qui consiste, au fond, en un work in progressen constante évolution. Mais, pour la première fois, un rapport du Conseil d'Etat fournissait une évaluation claire de la situation, des enjeux en cours et, aussi, une anticipation sur les années à venir - anticipation dont on a d'ailleurs beaucoup parlé à la commission de l'enseignement supérieur que je présidais à l'époque. Nous avons tous salué ce rapport; nous le jugions excellent - il suffit de reprendre les procès-verbaux du Grand Conseil de cette époque pour s'en rendre compte. Je m'étonne donc de voir, dix-huit mois plus tard, beaucoup d'entre vous trouver ce rapport mauvais et vouloir le rejeter.
Deuxième chose. Ce rapport était - cela a été rappelé - lié à l'adoption de la loi 8853 sur les HES, dont nous avons beaucoup discuté et qui a été adoptée par notre Grand Conseil il y a quelques mois - elle aussi à une large majorité. Dès lors, le rapport dont nous parlons ce soir n'avait, au fond, plus beaucoup d'objet puisqu'il avait été concrétisé par cette loi sur les HES. Je m'étonne donc également que l'on vienne maintenant contester ce rapport.
Et puis, j'aimerais tout de même dire à nos amis les professeurs des HES qu'il y a des arguments que je n'arrive pas à comprendre... En effet, vous semblez contester la valeur de ces HES, mais vous paraissez oublier, vous qui êtes professeurs, que les étudiants plébiscitent ces HES. Ils les veulent, ils veulent des bachelors, ils veulent des masters ! Alors, au lieu de nous donner des leçons sur ce que devraient être les HES, vous feriez mieux d'écouter vos étudiants et de prendre acte de leur satisfaction. C'est un point que je voulais souligner.
Par ailleurs, si les difficultés de gouvernance que vous évoquez sont certes réelles, vous oubliez tout de même que c'est en partie à cause de vous que ces difficultés ont surgi ! Parce que vous multipliez les obstacles à la réalisation d'une bonne gouvernance des HES: vous vous enfermez dans une vision cantonale; vous refusez toute collaboration intercantonale; vous refusez tout ce qui vient de Berne parce que vous avez peur d'être mangés par Berne et, ce faisant, vous multipliez ainsi les strates, les couches du millefeuille. Dans ces conditions, la gouvernance des HES devient évidemment très difficile.
Enfin, vous oubliez de mentionner que, si nous nous enfermons dans notre «petit cantonalisme» pour avoir une belle HES genevo-genevoise, nous ne recevrons plus les subventions de Berne. C'est parfait ! Mais qui va payer la différence ? Je vous le demande ! (Commentaire.)Voilà: il faut augmenter la dette ! Evidemment, ça, c'est toujours possible ! Vous ne parlez donc pas non plus de l'aspect financier.
J'aimerais que nous votions ce rapport sans trop nous exciter et que nous arrêtions de prendre des mesures dilatoires pour essayer de retarder toujours le plus possible la mise en oeuvre d'une vraie HES-SO romande, nationale, avec de vraies ambitions pour nos étudiants. (Applaudissements.)
La présidente. Monsieur François, vous avez le droit de rétorquer brièvement !
M. Jacques François (AdG). Je voudrais vous dire, Monsieur Mettan, vous qui prétendez que je n'écoute pas mes étudiants, que vous, en tout cas, vous n'écoutez pas les autres députés ! (Rires.)
En l'occurrence, les choses sont plus graves, et je sais très bien ce qu'en pensent les étudiants. Je n'ai à aucun moment critiqué la réalisation des HES ! Nous ne revenons pas du tout sur le cantonalisme ! J'ai simplement voulu montrer le fonctionnement actuel de la HES-SO en relevant qu'il s'agissait d'un capharnaüm et que l'on ferait bien de faire un peu attention, quels que soient les buts que l'on veut atteindre. Vous m'accusez de «cantonalisme étroit»... C'est complètement idiot, Monsieur Mettan !
Vous dites que les étudiants sont favorables à ces HES... Mais tout le monde y est favorable ! Seulement, il faut faire les choses de manière adéquate, ce qui n'est pas le cas ! Ne dites pas que les profs et ceux qui essaient de travailler sont responsables de la gouvernance ! Si au moins ils étaient responsables ! Cela voudrait dire qu'on leur aurait au moins une fois posé une question à ce sujet !
M. Pierre Weiss (L). Je m'abstiendrai - j'imagine que vous le regretterez peut-être, mais peut-être vous en réjouirez-vous - de faire du populisme coluchien... La chose n'est pas absolument nécessaire pour nos débats et, en la matière, je préfère toujours l'original aux copies.
Je retiendrai simplement des propos de notre collègue de l'Alliance de gauche que la bureaucratie des HES est envahissante et je me réjouis de le voir, lui et les membres de son groupement, se joindre à nous pour diminuer les postes de bureaucrates qui, peut-être à l'excès - mais nous le verrons sur pièce - enflent les effectifs du DIP... Cela fera l'objet d'un débat intéressant lors du budget. Je ne critiquerai pas davantage le jargon d'enseignants parlant à d'autres enseignants que je ne le ferai de celui de directeurs parlant à d'autres directeurs...
Je relève, dans cette affaire, que les HES représentent une réforme extrêmement importante de la décennie écoulée et qu'elles sont un élément incontesté de l'héritage de Martine Brunschwig Graf. Nous savons l'impulsion qu'elle a su donner à cette réforme sur le plan suisse et nous savons aussi - je crois - la conviction avec laquelle son successeur a repris en quelque sorte l'héritage. Il va encore certainement nous le montrer encore plus dans les années à venir...
Il ressort simplement à ce stade qu'il existe deux tendances et non pas trois, cher collègue Aubert - je ne reviendrai pas sur la troisième tendance. Il existe, d'un côté, la tendance «allobrogienne» - pour reprendre le terme d'un ancien conseiller d'Etat radical - les «Allobrogiens» qui souhaiteraient que tout se passe autour de cette colline et, surtout, que l'on n'en sorte pas; et puis, de l'autre, on trouve ceux qui ont une vision plus helvétique.
A cet égard, je souhaiterais ne pas me référer à des paroles tenues dans ce débat, mais à des termes écrits par le rapporteur de minorité qui me semblent quelque peu - je l'espère tout du moins - dépasser sa pensée ou, en tout cas, constituer à l'égard du DIP et de l'Etat en général une exagération - et je pèse mes mots. Il dit ainsi en page 11 du rapport: «...cette réforme est devenue un énorme mensonge d'Etat.» Quand on ose dire qu'une réforme est devenue un mensonge d'Etat, il convient, non pas de se contenter de l'écrire dans un rapport, mais de prendre d'autres dispositions... Je me réjouis de savoir quelles seront-elles pour révéler le mensonge d'Etat ! Ce sera probablement une demande de démission de ceux qui mentent au nom de l'Etat... Monsieur Beer, je crois que votre siège est en danger ce soir quand je vois ce qui est écrit ici ! (Exclamations.)
Après avoir dit que la réforme était devenue un mensonge d'Etat, on nous peint - je n'ose pas dire le diable sur la muraille, dans une République laïque - pour le moins un drame shakespearien. Il est en effet écrit: «Avec Bologne ce sera encore plus grave, ce sera la baisse de niveau pour ce qui est du bachelor, les restrictions à l'entrée dans les masters, l'aggravation des concentrations et des délocalisations, l'augmentation des taxes, la remise en cause de la démocratisation des études, les privatisations et la mainmise du patronat sur les écoles de la République.» Il ne manque plus que la disparition du pain au chocolat !
Mesdames et Messieurs les députés, dans ces conditions, il me semble qu'il ne nous reste qu'une possibilité concernant le rapport du Conseil d'Etat sur la réforme des HES: c'est évidemment de suivre la position de la majorité, de refuser le ronronnement provincial qu'à juste titre le directeur d'une école d'art lausannoise dénonçait dans les colonnes d'un journal du «Matin» par les termes suivants: «Soyons clairs: les médiocres attirent les médiocres et les gens de qualité les gens de qualité !». Peut-être cela ne plaît-il pas à certains, mais c'est ainsi !
Mme Janine Hagmann (L). Je n'avais pas vu, Madame la présidente, que mon collègue Pierre Weiss, avait demandé la parole. Après lui, je n'ai pas grand chose à ajouter...
Je regrette simplement que l'on continue à s'écharper. J'espère que ce n'est pas seulement en raison d'un «cantonalisme obtus», mais parce que chacun désire améliorer la formation. Je signale juste aux membres de la commission intercantonale que je les attends lundi à 9h30 à Lausanne et qu'ils pourront exprimer tous leurs desiderata à Mme Anne-Catherine Lyon, responsable de cette commission.
M. Claude Aubert (L), rapporteur de majorité. A la fin de ce débat, je suis totalement rasséréné, car j'ai entendu de la part de ceux qui soutiennent le rapport de minorité des assurances qui me font chaud au coeur. J'étais en train de me demander si les enseignants resteraient à bord jusqu'à ce que tous les étudiants soient sauvés si, d'aventure, le bateau venait à sombrer...
J'ai entendu que les enseignants resteraient à bord et, cela, c'est quand même capital !
Toutefois, en tant que membre de la commission de l'enseignement supérieur, j'aimerais savoir si l'assurance qui a été donnée peut être transformée en une force de proposition. Que proposez-vous pour que le bateau ne sombre pas ?
M. Souhail Mouhanna (AdG), rapporteur de minorité. Je dirai tout d'abord deux mots à M. Weiss, qui pratique le charlatanisme politique depuis que je le fréquente dans ce Grand Conseil à un tel degré que, finalement, il ne trompe plus personne - en tout cas pas celles et ceux qui ont suivi un certain nombre de ses interventions dans ce Grand Conseil.
Il m'a mis au défi d'expliquer ce qu'est ce «mensonge d'Etat»: je vais vous le dire ! C'est, par exemple, parler dans le contreprojet de «maintien et développement des formations professionnelles à Genève» - je vous l'ai lu tout à l'heure. Monsieur Weiss, avez-vous dit un seul mot quand six filières ont été supprimées à Genève - cinq filières à l'Ecole d'ingénieurs et la filière de l'Ecole d'arts appliqués ? Vous n'avez rien dit ! Mais on parle tout de même de «maintien et développement»: c'est un premier mensonge - et vous avez menti à la population ! Vous avez prétendu... (L'orateur est interpellé.)Oui, vous avez lu une phrase de M. Keller, que la Radio Suisse romande suit depuis plusieurs jours pour le valoriser. Il dit ceci, mais vous vous gardez bien de tout lire, Monsieur Weiss ! Je cite: «La politique des copains a toujours existé et, pour parler vrai, je préfère appartenir à cette famille d'action et de pensée...» C'est la politique des copains, Monsieur ! Et c'est cette politique des copains qui fait que l'on supprime des filières de grande qualité à Genève et que l'on maintient des filières de moindre qualité avec moins d'étudiants que dans d'autres cantons. Cela, vous ne le dites pas, Monsieur Weiss !
Et puisque vous voulez savoir ce qu'est ce mensonge d'Etat, je continue. Vous avez parlé d'augmentation des taxes... Eh bien, regardez les projets: le master plan ! Oui, Monsieur, on parle de 4 ou 5000 F de taxes et même davantage ! Eh bien, nous verrons ce qui va se passer à ce niveau-là !
Et puis - mais ça ne m'étonne pas de vous, Monsieur - vous vous êtes fait un missionnaire zélé de la politique qui consiste à privatiser et à mettre au profit d'une minorité de gens l'ensemble de toutes les activités qui pourraient bénéficier à la société ! Vous voulez tout simplement qu'elles profitent à une minorité !
M. Charollais disait tout à l'heure qu'il était novice en la matière, mais qu'il était satisfait de voir toutes les informations fournies dans ce rapport qu'il fallait le soutenir... Moi, je ne parle pas du rapport ! On y trouve certes un certain nombre d'informations importantes. Mais je parle de l'orientation du rapport dans mon rapport de minorité ! La demande d'autorisation au Conseil fédéral commence ainsi: «La HES-SO oriente prioritairement ses efforts pour satisfaire les besoins des marchés et de ses clients.»... Il n'y a plus de citoyens ! Il y a des marchés et des clients - mais, de cela, vous ne parlez pas !
A un autre endroit, par rapport à la gouvernance, il est dit: «Plutôt que de centraliser ses activités, la HES les intègre par une gouvernance de type matriciel combinant la coordination des métiers aux impératifs géographiques.»
Et puis, ensuite, de quoi nous parle-t-on ? Du contrôle de la commission interparlementaire. Eh bien, c'est quoi cette matrice ? On a vu le film «Matrix»... Le seul problème, c'est que l'élu n'est pas la commission interparlementaire, car il est dit à ce sujet: «Pour des raisons de lisibilité, la commission interparlementaire et l'organe de révision ne sont pas représentés dans la matrix.» Justement, parce qu'ils n'ont aucun rôle, Monsieur ! Pourtant, lors du vote sur le contreprojet, vous aviez assuré à la population qu'il y aurait un contrôle démocratique parlementaire adéquat ! Cela ne sert à rien: il y a deux séances par année et vous prétendez qu'ils ont la possibilité de faire des recommandations ! Donnez-moi une seule recommandation faite par la commission interparlementaire jusqu'à présent ! Aucune, aucune, aucune ! Pour le seul vote qui est intervenu, il a fallu s'y prendre à deux reprises parce que j'avais proposé une résolution pour demander au Conseil fédéral de respecter ses engagements ! La première fois, cela a été refusé et, la deuxième, cela a fini par être accepté parce que cette commission n'a rien à dire: c'est une chambre d'enregistrement ! Il n'y a pas de contrôle démocratique !
Enfin, je vous dirai encore quelques petites choses, puisque l'on parlait justement d'une immense avancée sur le plan de la formation professionnelle... Il y a toute une page où l'on ne parle que de «clients», de «marché», de «produits», etc. Si c'est cela la formation professionnelle, Monsieur Weiss, eh bien, je comprends que vous soyez très enthousiaste pour ce genre de politique, étant donné tout ce que cela sous-tend.
Et je frémis en entendant les mensonges alignés par M. Mettan... Il ne dit que des mensonges: c'est du blablabla, de la parlotte ! Moi, je vous apporte des preuves: ce sont des chiffres qui sont donnés dans le rapport du conseiller d'Etat lui-même. Il s'agit d'un mensonge permanent ! Le Conseil fédéral a menti à la population ! Les milliards ne sont plus là ! Toutes les écoles reconnues ? Non, concentration ! Les HES compteront cinq cents étudiants ? Non, il y en aura une dizaine et, ensuite, il y en aura sept ! On veut toujours concentrer plus !
Quand vous parlez de la HES-SO, Mesdames et Messieurs les députés, regardez ce qui se passe au Tessin ! Ce canton a sa HES et, là, on ne parle pas de concentration de filières et de tout cela ! Par contre, le Conseil fédéral se permet de dire à six cantons romands que leur gouvernance doit se faire autrement et il leur dit ce qu'ils doivent faire en la matière !
Nous avons malheureusement le sentiment que les responsables de la HES-SO au niveau politique - soit, précisément, le Comité stratégique - se font un malin plaisir de faire en sorte que les décisions prises n'aillent pas contre la volonté du Conseil fédéral. Ils sont même très contents que ce dernier prenne un certain nombre de décisions derrière lesquelles ils peuvent se cacher pour appliquer la politique du Conseil fédéral qui consiste, en fin de compte, à aller dans le sens des privatisations. On a vu, d'ailleurs, la création d'une nouvelle HES privée qui a été reconnue par la Confédération. Vous voulez bien que l'on reconnaisse des HES privées, mais vous ne voulez pas que l'on reconnaisse une HES sur le plan genevois. Là vous êtes vraiment super généreux ! Comme si nous n'étions pas là pour défendre aussi les intérêts de Genève !
La présidente. Monsieur le rapporteur, il faudra bientôt terminer !
M. Souhail Mouhanna. Eh bien, justement...
La présidente. Monsieur le rapporteur !
M. Souhail Mouhanna. Je termine, Madame, en trente secondes, si vous le permettez !
Eh bien, justement, ce qu'il y a derrière tout cela, c'est la volonté d'aller dans le sens de la privatisation, dans le sens de la sélection par l'argent, dans le sens de la mainmise du patronat avec l'appétit de profit de certains milieux contre l'intérêt des petites et moyennes entreprises, dans le sens de la mainmise du patronat sur les centres de formation professionnelle alors qu'il ne finance en rien ce système puisque ce sont les citoyennes et les citoyens qui le financent !
Nous sommes favorables à une formation professionnelle qui aille dans l'intérêt de la société, de la collectivité, des citoyennes et des citoyens. Nous ne voulons pas que cette formation professionnelle devienne un produit offert sur un marché à des clients !
M. Pierre Weiss (L). Je voudrais dire deux choses seulement. En premier lieu, je renvoie les députés présents et, derrière eux, tous les citoyens qui les ont élus aux propos que tiendra Mme Lyon, par exemple, pour prendre un autre successeur à l'oeuvre de Mme Brunschwig, à laquelle je faisais allusion tout à l'heure. Ils verront bien, avec une personne d'une autre orientation politique, si les mensonges sont tels que les dépeint M. Mouhanna ou si, au contraire, il n'y a pas par hasard un individu qui se trompe et beaucoup qui voient la réalité.
Deuxièmement, je remercie M. Mouhanna de m'avoir exonéré de la responsabilité de la Deuxième guerre punique... (Rires.)
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Nous arrivons au bout du département de l'instruction publique, du point de vue du traitement de notre ordre du jour.
Aujourd'hui, j'ai entendu parler de drogue et de dealers dans les préaux, de pornographie dans les classes, de violence à l'école, de l'Union soviétique de la musique et, enfin, de mensonges d'Etat... Tout cela nous montre - et j'en suis vraiment rassuré - que la vie au département de l'instruction publique n'est pas un long fleuve tranquille car, dès que l'on parle d'école, il y a non seulement la réalité objective, mais également des sentiments, de la représentation - et ce n'est pas du tout un commentaire ironique de ma part. Je veux juste montrer à quel point les enjeux peuvent être à la fois de l'ordre de la raison et du passionnel.
Mesdames et Messieurs, il s'agit ici d'un modeste rapport de gestion, qui montre quel a été le développement des HES au cours des dernières années, environ jusqu'au milieu de l'année 2003. Il trace également des perspectives avec la redéfinition du paysage de l'enseignement supérieur suisse et signale un certain nombre de difficultés directement liées au développement des HES. Oui, Mesdames et Messieurs, il y a un certain nombre de difficultés - pour ne pas parler d'aspects technocratiques - dans le fonctionnement HES actuel !
S'agit-il d'un problème genevois ? La réponse est non ! Il faut prendre en compte le fait que nous avons une HES de Suisse occidentale, qui est un centre de décision; nous avons un niveau de gouvernance cantonale; enfin, nous avons un niveau de gouvernance école par école.
Mais à ces trois niveaux s'ajoute la règle du jeu fixée par l'autorité fédérale, l'Office fédéral de la formation et des technologies, qui, en tant qu'office, fixe les critères de l'évaluation sur un plan académique, les critères de gestion ainsi que les critères financiers. Vous trouvez dans ce rapport le compte rendu de cela. Peut-être que l'excellent niveau académique de la plupart des filières évaluées aurait mérité d'être mis en évidence. Quelques-unes de ces filières n'ont malheureusement pas été à niveau sur le plan académique. Pour ce qui est de la gestion, il s'agit d'un autre problème, puisque nous avons très souvent des critères qui peuvent mettre en danger - qui ont mis en danger et mené à la fermeture un certain nombre de filières.
Peut-on dire pour autant que l'ensemble des Hautes écoles ont bénéficié du système HES ? La réponse est non ! Toutes les écoles ont-elles souffert du système HES ? La réponse est également non ! Un certain nombre d'écoles ont bénéficié de la possibilité HES: je pense, par exemple, à la Haute école de gestion; à l'Ecole supérieure des Beaux-Arts, qui a été évoquée tout à l'heure; je pense encore, dans une certaine mesure, à l'Ecole du Bon Secours et, pourquoi pas, à celle de Lullier.
En revanche, dans d'autres centres de formation - je pense particulièrement à l'Ecole d'ingénieurs, à la Haute école d'arts appliqués et, dans une moindre mesure mais néanmoins avec conviction, à l'Institut d'études sociales - la mutation peut être plus douloureuse. Elle peut être plus douloureuse parce qu'elle implique des fonctionnements nouveaux conduisant, dans certains cas, à la fermeture de filières - ce qui peut représenter autant d'appauvrissement pour la formation de proximité en général dans notre canton.
Le rapport de gestion avait une autre vocation: dire quels étaient les enjeux à venir pour les HES en général et pour la HES de Suisse occidentale. J'ai en effet voulu, à travers ce rapport, dire combien il avait été difficile de dire non à l'OFFT, de dire non, également, aux représentants de l'administration de Delémont lorsque ces derniers ont proposé une privatisation de la gouvernance de la HES-SO en déclarant que les conseillers d'Etat devaient se retirer et laisser leur place à des représentants de l'économie privée pour gérer des écoles pratiquement intégralement financées par des fonds publics. A ce moment-là, conseillères d'Etat et conseillers d'Etat de l'ensemble des cantons de Suisse occidentale, toutes tendances politiques confondues, ont répondu unanimement non.
Il n'est pas question d'aller vers une telle privatisation ! Il n'est pas question non plus d'aller vers une telle perte de contrôle de la gestion de nos écoles ! Parce qu'il faut bien le dire: un certain nombre de ces propositions accompagnaient une diminution des promesses faites par la Confédération quant au subventionnement des HES, particulièrement dans les domaines social et santé.
A partir de là, nous constatons que les Hautes écoles spécialisées entrent dans une phase qui représente toujours, par certains éléments, la croissance, mais aussi des difficultés car, quand l'argent se fait rare, malgré les structures intercantonales, un certain nombre d'intérêts cantonaux resurgissent. Telle est bien la situation dans laquelle nous nous trouvons - et nous aurons l'occasion, probablement à travers le prochain rapport de gestion, de vous en donner les lignes force.
Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à prendre acte de ce rapport en estimant que, comme toute construction, les HES représentent des risques, mais aussi et surtout la possibilité pour toute une partie des jeunes gens qui nous sont confiés d'entrevoir une possibilité de formation au-delà du CFC, au-delà de la maturité professionnelle, d'obtenir un titre HES, d'abord un bachelor, ensuite un master - lorsque, certainement dans un avenir plus lointain. seront créés des masters.
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. La commission dans sa majorité a proposé de prendre acte de ce rapport. Je vous fais voter sur cette proposition.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission de l'enseignement supérieur (prendre acte du rapport) sont adoptées par 53 oui contre 10 non et 1 abstention.
La présidente. Je voulais vous remercier spécialement, Mesdames et Messieurs les députés, pour votre bon travail de ce soir. Je me réjouis de vous retrouver jeudi matin à 8h du matin. Bonne nuit à tous. (Applaudissements.)
La séance est levée à 22h40.