République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1591
Proposition de motion de Mmes et MM. Anne-Marie Von Arx-Vernon, Jean-Claude Egger, Stéphanie Ruegsegger, Patrick Schmied, Luc Barthassat, Nelly Guichard, Pierre-Louis Portier "Clause péril : un dispositif de prévention insuffisamment utilisé pour protéger les enfants et les adolescents"

Débat

Mme Anne-Marie Arx-Vernon Von (PDC). Cette motion est un cri d'alarme. Elle a été inspirée au PDC par des témoignages de professionnels de l'éducation et de la santé, des personnes qui sont confrontées tous les jours au désespoir et au désarroi de très jeunes enfants ou adolescents qui se trouvent en situation de négligence, quand ce n'est pas de maltraitance.

En tant que visiteuse de prison, j'ai été impressionnée de me trouver face à des jeunes détenus qui avaient eu des attitudes mettant gravement en danger leur intégrité et celle d'autres personnes. On pouvait voir que, très souvent, et dès un très jeune âge, leurs besoins d'éducation et de soins n'avaient pas été pris en considération. Et même lorsqu'ils avaient été pris en considération, que ces jeunes avaient été signalés grâce à l'excellent travail des infirmières scolaires, ils n'avaient pas pu bénéficier de la clause péril parce qu'il n'y avait pas assez de place dans les institutions ou que la politique en place à l'époque n'était peut-être pas assez coordonnée en matière de détection de mauvais traitement ou de négligence envers les enfants. Donc - tout cela étant réfléchi de manière si cynique - en tenant compte des différents paramètres on s'aperçoit que pour pouvoir appliquer cette clause péril, il faut prendre en compte la nécessité de rouvrir des lieux d'accueil pour les enfants, pour apporter un soutien à la parentalité et évidemment, mettre en place un système très coordonné.

Nous pouvons relever avec plaisir l'excellent travail rendu par la CEPP et celui qui sera bientôt rendu par l'Université sur la nécessité de coordonner un dispositif de prévention de la maltraitance. C'est pour cela que cette motion a tout son sens et elle doit être renvoyée à la commission de contrôle de gestion où elle pourra être traitée au regard du travail énorme accompli par la CEPP.

Mme Janine Hagmann (L). La commission de contrôle de gestion s'était saisie de ce sujet et avait donné un mandat à la commission externe d'évaluation des politiques publiques - CEPP- pour faire un rapport. Ce rapport est maintenant revenu à la commission de contrôle de gestion et nous avons auditionné les personnes. Deux rapports sont parvenus, car la CEPP a très bien fait les choses, elle a rédigé un rapport très explicite et, pour les gens pressés et pour les députés qui ne siègent pas dans cette commission, elle en a fait une version condensée. Il est donc assez facile d'en prendre connaissance.

Je remercie le PDC de se soucier de ces problèmes cruciaux et je veux bien que cette motion parte à la commission de contrôle de gestion, mais sachez qu'en fait le sujet est déjà abordé. On sait qu'à Genève il existe un dispositif important qui assure plusieurs objectifs de protection de la jeunesse. Malheureusement, ce dispositif manque de politique commune d'intervention. Il y a de multiples actions, mais la plupart du temps, elles sont dispersées. Peut-être que l'office de la jeunesse manque d'une vision d'ensemble, ce qui induit un manque d'efficacité. La commission de contrôle de gestion pourra étudier le problème plus à fond.

J'aimerais ajouter une remarque tout à fait personnelle. J'ai l'impression que si la clause péril n'est pas souvent mise en pratique, c'est parce que l'on n'a pas assez d'endroits où placer les jeunes. Et pourquoi n'a-t-on pas assez d'endroits ? Je vous parle en connaissance de cause. Les normes édictées par Berne pour les institutions qui reçoivent des enfants dans le cadre de la clause péril sont tellement strictes que, souvent, on ne peut augmenter le nombre d'enfants. Car si l'on n'accepte pas les normes édictées par Berne, on ne touche plus les subventions de l'OFAS. Cela me cause un gros problème. En ce moment, par exemple, plus d'un million de francs de travaux sont investis pour mettre une de ces institutions aux normes, mais pas un enfant de plus ne sera accepté. Pourquoi ? Parce que les experts venus de Berne qui sont restés trois heures avec nous pour discuter exigent pour chaque enfant une chambre de minimum 10 mètres carrés. Je ne suis pas sûre qu'à Genève, dans les familles, tous les enfants aient des chambres individuelles de 10 mètres carrés. Les experts exigent des sanitaires dans des proportions incroyables, des normes de sécurité folles et, dernière chose, le service de sécurité n'accepte pas que ces maisons soient recouvertes de bois. Vous voyez où on en est. On a la bonne volonté d'accueillir des enfants et ces normes nous bloquent. Je suis d'accord, cela ne vient pas de nous mais de Berne, mais on devrait réagir car il n'est pas possible d'avoir des normes aussi strictes pour recevoir des enfants en clause péril... Mme de Haller hoche la tête, je sais bien que c'est autre chose quand les familles reçoivent des enfants, mais je parlais des institutions en donnant un exemple précis. On étudiera tout cela à la commission de contrôle de gestion.

La présidente. Je vous propose de clore la liste. Sont encore inscrits Mmes et MM. Leuenberger, Haller, Thorel, Baud et Beer.

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Les personnes qui se sont exprimées avant moi ont dit l'essentiel. Je souhaitais rajouter que la clause péril est un outil à manier avec précaution, car il peut être salvateur quand il est utilisé à bon escient, mais catastrophique si ce n'est pas le cas. Il faut se rappeler que la clause péril enlève un droit fondamental aux parents.

Le rapport de la CEPP propose une analyse très fine, avec des recommandations et des pistes très intéressantes. La CEPP dénonce un recours croissant à la clause péril sans uniformité de pratique ainsi qu'une inadéquation du dispositif d'accueil. Comme l'a dit Mme Hagmann, certains placements se font en dehors de la clause péril et des pratiques très diverses sont mises en places. Souvent, les moments critiques ne sont pas couverts et le soutien aux familles est insuffisant, alors que c'est là que l'on devrait agir pour pouvoir régler les problèmes familiaux.

Je suis tout à fait d'accord pour renvoyer cette motion à la commission de contrôle de gestion, mais il faut surtout que le Conseil d'Etat mette ensuite en oeuvre les pistes recommandées par la CEPP. Cette commission fait des importantes recommandations - on travaille une année ou deux sur des sujets - mais la mise en oeuvre coûte cher et se révèle compliquée, alors souvent, c'est lettre morte. Si on ne met pas en oeuvre ce qui est proposé, on ne va pas transformer la politique actuelle en matière de clause péril ou de maltraitance. Je souhaite vraiment que la commission de contrôle de gestion puisse influencer le Conseil d'Etat pour prendre au sérieux les recommandations de la CEPP.

Mme Jocelyne Haller (AdG). Un premier constat devrait nous alarmer, ce sont les chiffres livrés par la CEPP. En 1990, 12 cas de maltraitance avérés, 10 clauses péril prononcées. En 2002, 360 cas de maltraitance avérés, 20 clauses péril prononcées. L'accroissement relevé par ces chiffres n'est pas seulement alarmant, il est également troublant. Il n'y apparemment pas de constance ni de logique dans les augmentations et les différences entre le nombre de situations de maltraitance avérées et le nombre de clauses péril prononcées.

Il conviendrait ainsi de porter un regard attentif sur ces chiffres et veiller à garantir le suivi de ces situations. Mais il convient également de se garder de conclusions hâtives, car si l'on s'inquiète de la pertinence du prononcé d'une clause péril ainsi que du suivi des situations - et Dieu sait si cela est important - il importe d'être cohérent et de veiller à garantir aux services concernés les forces de travail suffisantes, car c'est bien souvent là que le bât blesse.

Il faut donner des forces adéquates à la PDJ pour lui permettre d'exercer son mandat de protection de la jeunesse. Dans le cas contraire, cela constituerait une preuve magistrale d'incohérence.

Il faut également faire un inventaire des places d'accueil pour enfants et adolescents. Les professionnels de terrain pourraient témoigner qu'elles font cruellement défaut. Ils pourraient aussi vous parler de ces situations précaires - voire dangereuses - qui se maintiennent faute d'alternative de placement.

J'aimerais revenir sur ce qu'a dit Mme Hagmann. Les places d'accueil ne sont pas uniquement des lieux de placement ou de passage. Dix mètres carrés, ce n'est pas énorme pour héberger des personnes en difficulté. Dix mètres carrés ne sont vraiment pas grand-chose. Il faut être très attentifs, car on s'est battu pendant très longtemps pour que les normes de sécurité pour l'hébergement des personnes en difficulté soient respectées précisément, auparavant il y avait de graves lacunes. Ce n'est pas de ce côté qu'il faut faire des économies, car ces normes sont garantes de la qualité de l'accueil dispensé par ces lieux.

Aussi, à cause de tout cela et précisément parce qu'il y a péril en la demeure, l'AdG vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cette proposition de motion à la commission de contrôle de gestion.

Mme Marie-Louise Thorel (S). La clause péril est un des éléments importants faisant partie de la problématique générale de la maltraitance. Dès lors, il nous paraît judicieux de ne pas le dissocier de l'étude générale de ce sujet et du rapport de la CEPP. Le groupe socialiste votera donc le renvoi de cette motion à la commission de contrôle de gestion.

M. Jacques Baud (UDC). Il s'agit de la santé et de la sécurité de nos enfants. La commission de contrôle de gestion a fait un travail conséquent et important à ce sujet. Nous demandons donc le renvoi de cette motion à la commission de contrôle de gestion, cela lui permettra de compléter son travail.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. J'aimerais d'abord vous dire que je suis entièrement favorable au renvoi de cette motion à la commission de contrôle de gestion. Le travail entamé doit être mené à bien. C'est un travail en profondeur et il convient d'éviter de se disperser dans l'étude des mêmes problématiques. Cela dit, un certain nombre de choses entendues dans ce débat méritent un certain nombre de précisions de ma part.

En premier lieu, le rapport de la CEPP - qui sera complété incessamment par un rapport du département de sociologie de l'Université de Genève - nous montre à quel point un travail en profondeur est engagé. Ce travail a commencé il y a plus d'une année, et j'aimerais vous signaler - comme j'ai eu l'occasion de le faire à la CEPP - que nous n'avons heureusement pas attendu l'ensemble de ces conclusions pour prendre des mesures sur le dispositif. J'ai souhaité en informer la commission de contrôle de gestion, elle m'a répondu qu'il n'y avait pas d'urgence, que ce point ne serait pas traité pour le moment et qu'on attendait d'abord - ce qui me paraît logique - le rapport de l'Université avant d'en rendre compte. J'aimerais bien que l'on puisse tenir compte du fait que le Conseil d'Etat a des choses à dire à la commission de contrôle de gestion et que, selon son calendrier, elles puissent lui être communiquées.

En second lieu, j'aimerais également vous informer de quelques points et rétablir un certain nombre de choses qui me choquent dans l'exposé qui a été fait.

Premièrement, je suis entièrement d'accord avec vous sur le fait qu'il y a une grave pénurie de lieux de placements et de lieux de placements d'urgence en particulier. Le Conseil d'Etat entreprend un inventaire et une gestion à «flux tendu» des places, il doit s'engager dans un travail de mise à disposition des places complémentaires qui font défaut aujourd'hui.

Deuxièmement. Mme Haller a dit que la protection de la jeunesse manquait de forces, c'est sans aucun doute vrai. Il y a bien un problème de moyens, mais je trouve particulièrement grave de dire que des assistants sociaux formés, chevronnés, sont amenés à renoncer à prendre des clauses péril parce qu'il manque des places dans les institutions. Est-ce que l'on se rend compte de ce que cela veut dire au niveau de l'éthique professionnelle des travailleurs sociaux concernés ? J'estime que c'est une grave mise en cause, certes involontaire - elle est induite par la problématique - mais cela mérite de ma part un certain nombre de rectificatifs. En effet, s'il y a des problèmes en ce qui concerne les nombres, ils ont été relevés par l'excellent rapport de la CEPP. Heureusement, entre le «rien du tout» et le mandat coercitif d'urgence où l'on prend un enfant avec les forces de police, il y a le travail social. Dans tous les cas de maltraitance recensés ici, on sous-entend qu'il faudrait une clause péril et l'intervention de la gendarmerie dans l'heure, comme cela se faisait à d'autres époques ? Non, Mesdames et Messieurs. Cela veut dire que l'on doit - dans le travail social - chercher la meilleure adaptation possible pour que ces enfants ne soient plus maltraités, non seulement immédiatement, mais aussi dans la durée. Est-ce que je tire de tout cela que nous fonctionnons bien ? La réponse est non. Je vous appelle donc encore une fois à renvoyer cette motion devant la commission de contrôle de gestion, car la problématique est trop importante pour que l'on ne cherche pas à améliorer - chaque fois qu'il y a des marges - ce qui peut être fait.

Mesdames et Messieurs les députés, ayons un minimum de mémoire. Vous traiterez tout à l'heure de ce qu'il en était des enfants du voyage à une époque où l'on sous-entendait que chacun de ces enfants était maltraité et il était retiré de sa famille. Entre retirer systématiquement un enfant de sa famille par les forces de police et le laxisme le plus général, il existe non seulement la rigueur dans l'application de la clause péril, mais également l'éthique du travail social et l'engagement des travailleurs sociaux.

C'est sur cela que je vous demande de travailler avec rigueur, au sein de la commission de contrôle de gestion, parce que chaque enfant maltraité mérite notre attention et mérite que l'on s'interroge en permanence sur le fonctionnement de notre service.

Mis aux voix, le renvoi de cette proposition de motion à la commission de contrôle de gestion est adopté par 50 oui (unanimité des votants).