République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 18 février 2005 à 17h
55e législature - 4e année - 5e session - 27e séance
PL 9330-A et objet(s) lié(s)
Début du débat sur les prisons: Session 05 (février 2005) - Séance 25 du 17.02.2005
Suite du débat
La présidente. Je prie les rapporteurs de bien vouloir prendre place à la table. Monsieur Hiltpold, vous avez la parole. (Silence.)Il n'y a plus ni son ni tableau d'affichage. Nous avons une panne informatique. Je suspends la séance durant quelques minutes.
La séance est suspendue à 17h45.
La séance est reprise à 17h50.
M. Hugues Hiltpold (R), rapporteur de majorité. Je traiterai très rapidement de la question de la détention préventive, puisque M. Hiler m'a interpellé hier à ce sujet. Bien évidemment, nous n'avons pas d'explication en l'état. La commission des travaux n'avait pas non plus d'explication en l'état, mais nous y avons estimé que c'était un sujet très intéressant et qu'il devait être débattu en commission des visiteurs officiels. Raison pour laquelle la commission des visiteurs officiels auditionnera le Procureur général au mois de mars prochain. Cette année, elle a choisi comme thème d'étude la problématique de la détention préventive.
A propos de Champ-Dollon, je voudrais rappeler - sans vouloir tomber dans le catastrophisme - qu'il y a péril en la demeure et que l'institution a un réel besoin de s'agrandir. Il faut appeler un chat un chat, et ceux qui ne souhaitent pas voter ce crédit d'étude assumeront les conséquences des problèmes qui pourraient survenir.
Mme Anne-Marie Arx-Vernon Von (PDC), rapporteuse. En reprenant les conclusions et les recommandations du rapport de la commission des visiteurs, nous devons réfléchir sur l'opportunité de l'agrandissement de Champ-Dollon. Bien sûr, la priorité doit être accordée à un établissement pour les articles 43 et à un autre pour les mineurs. Mais il faut savoir que l'agrandissement de Champ-Dollon est absolument indispensable et cela a largement été débattu hier, mais il y a aussi une très bonne raison de ne pas repousser toujours et toujours ce projet. Si demain nous devions voter un crédit d'étude pour un établissement sur une parcelle sur le canton de Genève, je peux vous assurer qu'il y aurait tout le temps quelqu'un pour faire opposition avec ce fameux syndrome du «oui, il faut le faire, mais pas devant chez moi.» Donc, aujourd'hui, nous savons que nous devrons mettre en route un projet d'établissement pour les articles 43, mais nous devons très vite répondre aux besoins qui sont engendrés par la surpopulation de Champ-Dollon. Ne tombons pas dans le syndrome de reporter à plus tard, car on sait très bien que ce sera encore reporter aux calendes grecques.
Mme Jocelyne Haller (AdG), rapporteuse. J'aimerais simplement insister sur l'aspect des articles 43 et 45. Comme l'a rappelé hier M. Lescaze, il est paradoxal de constater que c'est depuis 1937 que l'impérieuse nécessité de créer un établissement spécialisé pour les personnes relevant de ce type de mesure se fait sentir. Or, depuis 1937, rien ne s'est passé. Et depuis un certain temps, on entend à nouveau qu'il est urgent de s'attaquer à ce problème. Par conséquent, j'aimerais bien que ce ne soit pas un simple voeu pieu, mais qu'on aille véritablement de l'avant dans cette réflexion.
Quant à la question du crédit d'étude concernant l'agrandissement de Champ-Dollon, il ne s'agit pas, Madame Von Arx, de reporter à plus tard mais de réfléchir plus avant. Réfléchir à cette question permettra d'envisager autrement l'adaptation de la prison de Champ-Dollon, pour répondre mieux aux besoins en matière pénitentiaire. Mais cette réflexion permettra également un traitement adapté selon les problématiques posées. Je pense donc que nous ne devons pas faire l'économie de cette réflexion.
Enfin, j'aimerais insister encore sur un élément, celui du point 32. Nous avons beaucoup parlé de Champ-Dollon, de questions pénitentiaires ou de certains types de mesures particulières. Mais je ne voudrais pas que le débat sur la santé mentale soit occulté et je répète donc ce que j'ai dit hier, à savoir que la réforme de la psychiatrie doit être menée à son terme et que tous les éléments du dispositif doivent être mis en place. Aujourd'hui, certains éléments font défaut dans l'accompagnement et le traitement des personnes présentant des problèmes de santé mentale.
M. David Hiler (Ve), rapporteur de minorité ad interim. Il nous paraît que ce débat a été utile, certains points font l'objet d'un assez large consensus qu'il nous faut encore mettre en pratique. La première chose - si j'ai bien compris les intervenants - c'est la priorité absolue que chacun dans cette salle - semble-t-il - accorde à la question des articles 43 et 45. Dans la note qui nous a été délivrée par le département de justice et police et de la sécurité, j'ai cru comprendre que cette priorité était maintenant intégrée et que nous serons très prochainement saisis d'un projet de loi à ce propos. C'est une bonne nouvelle.
Cela semble un peu plus compliqué, mais une deuxième priorité est de ne pas accueillir de mineurs à Champ-Dollon. Là aussi, nous avons - de façon peut-être un peu moins précise - une volonté politique claire de résoudre ce problème.
Nous savons encore qu'il y a un problème que nous ne résoudrons pas - simplement parce qu'il ne dépend pas que de nous - c'est que certaines personnes condamnées devraient aller dans des établissements de détention, mais elles restent un temps à Champ-Dollon.
Au vu du déroulement de ce débat, il nous reste un point important. J'aimerais dire à M. Baud et à M. Hiltpold la chose suivante. Nous voulons bien comprendre, au vu de la déclaration du Conseil d'Etat, qu'il ne convient pas de poursuivre le débat jusque dans ses derniers détails et qu'il faut aller de l'avant avec ce projet d'étude. Mais la détention préventive se pratique à Genève de façon contraire à tous les autres cantons suisses et nous amène à un taux de détention préventive deux fois plus élevé qu'à Zurich ou à Bâle-Ville, et cinq fois plus élevé que dans les cantons de Suisse primitive. Si nous ne résolvons pas ce problème, et compte tenu du délai nécessaire à la construction d'un bâtiment, nous aurons une poudrière à Champ-Dollon pendant cinq ans - c'est le temps qu'il faudra pour construire.
Si nous ne résolvons pas ce problème, au moment de l'ouverture des nouveaux locaux, lorsque nous aurons terminé l'agrandissement de 100 places de Champ-Dollon et trouvé 60 places tant pour les articles 43 que pour les mineurs, nous serons à nouveau en surpopulation. Si la pratique et le trend de la justice actuelle en matière de détention préventive se poursuivent, nous serons en surpopulation avec exactement les mêmes risques que nous connaissons aujourd'hui. C'est pourquoi nous renonçons à ce renvoi en commission. La note est explicite, mais nous demandons que se poursuive le processus entre la commission des travaux et celle des visiteurs, concernant la problématique générale de la détention préventive.
J'aimerais répéter que ce n'est pas une atteinte à la séparation des pouvoirs. La séparation des pouvoirs prévoit que le Conseil d'Etat gouverne et que ce parlement légifère. Est-ce que cela a empêché un quelconque député de dire que le Conseil d'Etat gouvernait mal ? Non. Il ne me semble pas que cela ait provoqué une gêne. Nous n'avons pas le droit de juger, ni d'instruire. Par contre, nos juges sont des élus et nous avons le droit d'avoir un débat ouvert et démocratique sur un certain nombre de pratiques nous concernant tous et qui ont des conséquences désastreuses pour les justiciables, pour la police et pour le personnel de la prison. Et même pour la justice qui, préférant mettre indirectement un certain nombre de moyens ici, ne les a pas ailleurs. Je crois qu'une bonne manière de résoudre le problème de Champ-Dollon serait de donner les moyens à la justice d'avoir un peu plus de juges d'instructions et de substituts du procureur, afin de désengorger la justice. Là aussi, nous avons un problème structurel et on voit bien, en dernière analyse, que c'est le parlement qui a les clefs pour résoudre ce problème, puisque c'est le parlement qui vote le budget.
J'aimerais remercier Mme Nussbaumer - que je remplace ici - pour avoir mis ces éléments sur la table. Il me paraît que nous avons fait, en quelques mois, bien des pas en avant. J'aimerais également remercier Mme la présidente du département pour avoir donné sous forme de note ce que nous aurions souhaité avoir en commission des travaux à l'époque.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. La prison de Champ-Dollon a une trentaine d'années. A l'époque, le projet de prison avait été amputé de l'étage qui vous est demandé aujourd'hui. En trente ans, la population du canton a augmenté d'à peu près 100 000 personnes, c'est-à-dire 30%. Les déplacements au travers des frontières ont augmenté dans des proportions que l'annuaire statistique n'indique pas, mais vous pouvez les imaginer. Nous ne demandons aujourd'hui que de revenir à la capacité qui avait été considérée comme raisonnable lorsque la population n'était que de 300 000 habitants. Mais, le Conseil d'Etat a eu les mêmes réflexions que vous sur cette situation incompréhensible de la détention préventive genevoise.
Premier élément. Pourquoi est-ce que la détention préventive à Genève est aussi forte ? Les statistiques dont nous disposons ne permettent pas de donner une explication claire et rationnelle. Il y a probablement, dans la cause même de l'utilisation considérable de la détention préventive, un véritable phénomène culturel auquel participe bien entendu la justice, mais aussi - plus généralement - l'opinion publique qui, avec cette exigence d'immédiateté, fait que l'on arrête les gens tout de suite, quitte à les relâcher trois jours après.
Par conséquent, je pense qu'il est légitime - comme vous vous apprêtez à le faire - que le Grand Conseil débatte sur la question de savoir pourquoi on se trouve dans cette situation, et qu'il puisse prendre des orientations politiques dans le cadre de ses compétences pour remédier à cette situation peu satisfaisante.
La deuxième raison pour laquelle la prison de Champ-Dollon est en situation de surpopulation, c'est la présence de personnes condamnées qui devraient être détenues dans un établissement d'exécution de peine. Là aussi, certains efforts peuvent être envisagés, mais il faut savoir que les établissements d'exécution eux-mêmes sont pleins. Le coulissement me paraît donc difficile. A certains moments, Mme Spoerri avait pu obtenir quelques avantages pour qu'on le fasse. Je ne suis pas sûr qu'on pourra définitivement le faire, mais désengorger la prison en favorisant le départ des personnes condamnées vers les établissements adéquats est une piste à suivre.
En troisième lieu, se trouvent à Champ-Dollon des personnes qui ne devraient pas y être, les mineurs. Vous savez que les travaux de CLAplus sont en train de se terminer. Il est à craindre que la capacité reste un peu insuffisante, néanmoins, les promesses qui vous ont été faites par Mme Spoerri et le Conseil d'Etat ont été tenues et cet établissement pourra fonctionner avec son agrandissement dans les semaines qui viennent.
En dernier lieu, la question des articles 43 et 45. J'ai ici le projet de loi de crédit d'étude pour cet établissement dans sa version 0. Je ne vous le donne pas car il doit être encore corrigé et amélioré. Vous pouvez avoir la certitude que ce ne sont pas des idées mais un véritable document, et que la prochaine finalisation de ce document nous permettra de vous le transmettre et d'intervenir dans des délais rassurants.
Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, même si on arrive à résoudre tous les problèmes qui créent de la surpopulation - et nous allons les résoudre car nous en avons la volonté - il n'en demeure pas moins une situation insatisfaisante de surpopulation et c'est la raison pour laquelle il faut augmenter la capacité d'accueil de Champ-Dollon.
Ceci pour trois raisons. La première est une question de sécurité générale des détenus et du personnel. Il faut se donner les moyens d'éviter des évasions ou d'autres actes.
Deuxième raison, la dignité des détenus. Certains d'entre vous ont dit à juste titre que le degré de civilisation d'une société se mesure à l'aune dont cette société traite les plus démunis, qu'il s'agisse des détenus comme d'un certain nombre d'exclus du monde de travail ou de notre société.
Troisième raison, la crédibilité de notre politique pénitentiaire. Sur proposition de Mme Spoerri, le Conseil d'Etat a adopté une planification pénitentiaire à laquelle il entend se tenir et pour laquelle il a besoin de votre appui. La planification peut avoir de légers coulissements; il est possible que, par le biais des travaux en cours, les deux crédits d'étude - celui sur la prison de Champ-Dollon et celui que vous allez voter sur l'article 43 - permettent que les projets se rejoignent et que l'on puisse faire un choix dans un sens ou dans l'autre. Mais aujourd'hui on ne peut pas se permettre de perdre du temps, car des impératifs fondamentaux de sécurité, de dignité et de crédibilité l'exigent.
Encore une remarque. Il ne faut jamais construire trop de prisons, et cela pour une raison très simple : quand une prison est construite, elle est presque toujours pleine. Si aujourd'hui, nous avions un taux de détention comparable aux Etats-Unis, nous ne serions pas en train de parler de l'agrandissement de Champ-Dollon, mais de la construction de plusieurs établissements similaires. Je crois qu'au moment où un certain nombre de choses fort raisonnables ont été dites dans ce débat pénitentiaire, c'est à l'honneur de la République que d'avoir une politique pénitentiaire crédible et qui n'est en rien excessive.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Au terme de ce débat, je souhaite remercier l'ensemble des députés, et tout particulièrement la commission des visiteurs dans sa précédente et dans son actuelle composition. On retrouve l'ensemble de ses remarques et de ses travaux dans le RD 558 qui accompagne la volonté du Conseil d'Etat - comme l'a dit mon collègue M. Laurent Moutinot.
J'aimerais aussi rassurer M. Hiler. Il est vrai que la séparation des pouvoirs nous est chère, mais face à des situations nouvelles, aiguës, quand Genève se trouve dans une situation qu'elle ne peut continuer à admettre, il faut avoir d'autres nouvelles idées. Je m'engage devant ce parlement - j'ai commencé à le faire - à réunir régulièrement le pouvoir judiciaire, le Parquet, le Tribunal de la jeunesse, l'Office pénitentiaire et la police, pour que nous puissions aider la commission des visiteurs qui explorera le problème de la détention. Je voulais le préciser et vous remercier d'approuver l'ensemble des travaux.
M. Rémy Pagani (AdG). Hier soir, pendant le débat très riche concernant la politique pénitentiaire de notre canton, et comme nous étions insatisfaits des réponses du Conseil d'Etat, nous avons proposé de renvoyer cet objet en commission, dans la mesure où la commission des travaux n'avait pas auditionné le pouvoir judiciaire. Nous prenons acte aujourd'hui de la prise de position du président du gouvernement M. Moutinot en ce qui concerne... (Exclamations.)Excusez-moi. Enfin, nous prenons acte de la prise de position de M. Moutinot et de Mme Spoerri en ce qui concerne la mise en oeuvre - la mise en oeuvre ! Nous restons cependant très sceptiques, car je rappelle que cela fait quatre ans que nous avons voté l'agrandissement de la Clairière, et c'est seulement dans peut-être quelques semaines que cet agrandissement sera effectif. Mais enfin, toujours est-il qu'il faut être positif dans la vie ! Donc, nous prenons acte de cette détermination. Nous aurons l'occasion de nous déterminer pour le vote du crédit définitif à la commission des travaux et j'invite le gouvernement à nous démontrer - preuves à l'appui - que tous les problèmes soulevés hier soir et rappelés aujourd'hui seront en voie d'être résolus. Par conséquent, nous retirons notre demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le rapport divers 558 est approuvé par 76 oui (unanimité des votants).
Mis aux voix, le projet de loi 9330 est adopté en premier débat par 64 oui et 15 abstentions.
La loi 9330 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 9330 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 53 oui et 26 abstentions.
Le Grand Conseil prend acte du rapport divers 437-A.
Mise aux voix, la motion 1599 est adoptée par 81 oui (unanimité des votants).