République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1079-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et M. Chaïm Nissim, Sylvia Leuenberger, Vesca Olsommer concernant l'introduction de cours sur l'histoire des religions pour les élèves du canton

Débat

La présidente. Je vais ouvrir le débat, puisque je vois qu'il y a plusieurs demandes de parole. Madame la députée Leuenberger, je vous donne la parole.

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Je voudrais rappeler très brièvement l'origine de cette motion, qui a été déposée il y a huit ans. A l'époque, son objectif était de lutter contre l'inculture religieuse qui engendre bien souvent, justement par ignorance, de l'intolérance et des comportements agressifs.

Pour ce faire, on avait proposé de mettre en place des cours d'histoire des religions à l'école, précisément pour expliquer aux jeunes les bases sur lesquelles reposent nos sociétés. Sans ce savoir, il est difficile pour les jeunes d'appréhender le monde et d'en saisir le mode de fonctionnement.

On voulait également rappeler que les religions sont porteuses d'un patrimoine de valeurs qu'elles pourraient - ou qu'elles peuvent - transmettre à la société. Et cette dernière ne saurait se passer de mémoire et de base de connaissances pour évoluer dans un monde qui, depuis une quarantaine d'années, a, il est vrai, laissé de côté l'instruction religieuse au profit d'une société basée sur un profit davantage économique que spirituel ou éthique. Mais, n'étant personnellement pas pratiquante, je ne me permets pas de porter un jugement à ce sujet.

Il faut relever que c'est la première fois depuis un siècle que le DIP se penche sur ce thème parce que Genève - comme Neuchâtel, d'ailleurs - voulait rester neutre en la matière, alors que bon nombre d'autres cantons et pays européens en ont déjà débattu et ont déjà introduit ces cours d'histoire des religions dans leurs cours.

Mais je le répète très clairement: il n'était pas question - et il n'est toujours pas question - de dispenser une instruction religieuse ou de faire du prosélytisme, car nous saluons avec force la séparation du religieux et du politique dans notre canton.

Pour en venir aux conclusions du rapport du Conseil d'Etat - dont les intentions nous conviennent tout à fait - je dois tout de même ajouter un «mais». Le programme est ambitieux: le DIP voudrait en effet prendre toutes les mesures utiles, il voudrait élargir, développer, renforcer, rendre cohérentes les offres de formation, poursuivre le débat, motiver les enseignants. Mais cela demande, Monsieur Beer, une très grande force de persuasion, des moyens financiers supplémentaires et du personnel motivé, car ce sont des sujets sensibles et pas toujours faciles à aborder. Les cours d'histoire sont déjà bien chargés, et le fait d'introduire des cours approfondis les chargera encore davantage.

Comme l'avait dit Mme Hagmann lors du débat sur ARLE, les enseignants ont déjà été très chargés. Cette dernière avait donné une liste impressionnante que je ne répéterai pas... Il me semblait donc honnête d'exprimer ces doutes à propos de ma propre motion. S'agissant du département, je pense que les intentions de M. Beer sont réelles, mais on sait qu'il est facile de coucher des intentions sur le papier et qu'il est plus difficile de les réaliser...

C'est pour cela - et j'en viens à ma conclusion - que je souhaite vivement que le rapport sur cette motion soit renvoyé en commission. Cela nous permettrait d'auditionner le groupe citoyen «Culture religieuse et humaniste à l'école» - j'ai d'ailleurs vu Mme Olsommer et les représentants de ce groupe à la tribune - qui planche de manière approfondie sur ce sujet depuis un an. Il serait intéressant d'écouter ce groupe pour connaître précisément les pistes réalistes que nous pourrions poursuivre - et non pour nous diriger vers des propositions utopistes que nous ne réaliserons jamais.

Ce groupe pense à juste titre - et ce sera le mot de la fin - que si l'instruction religieuse relève du privé - ce que j'approuve à cent pour cent - la cohabitation pacifique des communautés religieuses dans le respect des lois et des règlements en vigueur à Genève relève de la responsabilité de l'Etat.

Pour toutes ces bonnes raisons, je vous remercie d'avance de renvoyer ce rapport en commission.

La présidente. Merci, Madame la députée. Vous demandez le renvoi en commission de cet objet, Madame la députée ?

Mme Sylvia Leuenberger. Oui, Madame la présidente, en commission de l'enseignement !

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, à partir de maintenant je prie... (Mme Leuenberger interpelle la présidente.)Madame la députée ?

Mme Sylvia Leuenberger. Je me permets d'ajouter que, si j'ai demandé ce renvoi en commission, ce n'est pas pour empêcher les autres orateurs de débattre, mais c'est pour ne pas reprendre inutilement la parole une deuxième fois. Ma demande de renvoi en commission peut donc très bien être traitée après le débat.

La présidente. Je vous remercie, mais, selon le règlement du Grand Conseil, il faudra que les différents orateurs s'expriment sur la demande de renvoi en commission de l'enseignement que vous avez formulée. Ils pourront toutefois également donner leur position sur cet objet. Monsieur le député Schmied, vous avez la parole.

M. Patrick Schmied (PDC). Merci, Madame la présidente. J'irai dans le même sens que Mme Leuenberger, ce dont personne ne sera étonné...

J'aimerais d'abord remercier le Conseil d'Etat d'avoir répondu à cette motion. Il faut quand même le dire, parce que ce n'était pas si évident... Je voudrais aussi le remercier d'avoir donné au DIP la mission très intéressante qui est détaillée à la fin du rapport.

Nous soutenons néanmoins le renvoi en commission de cette motion pour les raisons principales suivantes.

Tout d'abord, l'inventaire de ce qui est fait dans le département donne une impression pour le moins impressionniste et évoque même un peu l'homéopathie... Nous aimerions par conséquent en savoir un petit peu plus sur les actions - par opposition aux activités - qui sont entreprises dans le département.

Ensuite, nous aimerions vérifier une nouvelle fois ce qui a été fait du rapport Hutmacher. Une proposition en particulier nous avait alors paru intéressante: la création d'une commission extraparlementaire pour élargir le débat en dehors du DIP.

Par ailleurs, il nous paraît également intéressant de préciser le rôle et, surtout, de comprendre un peu mieux les craintes du personnel enseignant. Ces craintes semblent avoir pesé très lourd sur ce rapport. J'en veux pour preuve le ton à mon avis - mais peut-être que je me trompe, en tout cas je l'espère - relativement menaçant des syndicats dans leur prise de position qui figure dans le rapport. Cette prise de position nous interpelle, et nous aimerions la vérifier.

Enfin, plus généralement, il s'agit de s'assurer que tout est vraiment en place pour que la dynamique ne s'essouffle pas. Il faut bien sûr éviter la précipitation car c'est un sujet complexe et délicat, mais les élèves, eux, ont des attentes que l'on ne peut pas repousser indéfiniment non plus.

Mme Salika Wenger (AdG). La laïcité est cette forme de tolérance qui veut que personne n'est tenu d'avoir une religion. Personne n'est tenu d'avoir une religion plus qu'une autre. Personne n'est tenu de ne pas avoir de religion. Et, enfin, chacun est libre de changer d'avis.

La laïcité de l'école consiste à écarter tout ce qui serait susceptible d'entraver le principe de libre examen - en somme, tout ce qui peut faire obstacle au sérieux de la libération par la raison.

Deux fois dans les remarques liminaires du rapport, on peut lire que les connaissances en matière religieuse permettraient de mieux comprendre la société, l'histoire et les cultures... Ne serait-ce pas exactement le contraire ? La connaissance de l'histoire n'est-elle pas le meilleur moyen d'expliquer les religions et leur influence sur les sociétés et les cultures ? Quant à la question de la quête de sens, dans son énoncé déjà, elle est religieuse ! Dans cette perspective, l'enseignement de la philosophie me semble par exemple aussi intéressant, sinon plus, que celui de l'histoire des religions. A cet égard, je rends hommage au département, qui va en partie dans le sens de mes remarques préliminaires.

Cette motion induit pourtant un certain nombre de questions qui n'ont pas été traitées... Quelles dérives de notre société ont permis que le débat religieux soit porté dans l'école ? N'est-ce pas là le symptôme que la laïcité est déjà profondément remise en cause ?

Le respect des croyances et celui des croyants sont deux choses bien distinctes. Comment se fait-il que ces deux concepts soient toujours amalgamés ?

Qu'il existe - j'ai lu encore très attentivement la motion - un large consensus sur l'intérêt d'une prise en compte du fait religieux à l'école laïque, personne n'en doute... Depuis la séparation de l'Eglise et de l'Etat, les lobbies religieux n'ont de cesse de vouloir reprendre le terrain politique qui leur a été confisqué. Faut-il faire leur jeu en les laissant entrer par la petite porte de l'enseignement spécifique du fait religieux à l'école ?

Le principe qui doit prévaloir est que l'école doit être soustraite à la pression de tout groupe politico-religieux quel qu'il soit. Il est aussi grand temps de songer à assurer la liberté de conscience de ceux qui ne se réclament d'aucune identité religieuse particulière. Nous devons faire en sorte que l'école publique reste le lieu décisif où la liberté citoyenne se forme, en signifiant aussi que personne n'est tenu de se définir à priori par une appartenance religieuse. Cela me semble être une démarche extrêmement importante - et, dans ce sens, le rapport du département est assez clair.

Aussi, l'Alliance de gauche refuse le renvoi en commission de ce rapport et vous demande d'en prendre acte.

M. François Thion (S). Le rapport est assez complet. Je ne reviendrai donc pas dessus...

Je relèverai simplement que le fait religieux est enseigné dans les différents ordres de l'enseignement, ici à Genève. Il est évoqué à l'école primaire, lors des fêtes chrétiennes ou d'autres fêtes religieuses, au cycle d'orientation dans certains cours en particulier - cours d'histoire, cours de géographie. Pour les avoir donnés, je peux vous garantir que l'on parle du fait religieux au cycle d'orientation, en 7e, en 8e, en 9e, dans les cours d'histoire et dans les cours de géographie. J'ajouterai que, quand c'est d'actualité, on en parle aussi dans les cours d'informations aux médias. Cela se fait également dans les différentes écoles du postobligatoire - dans les cours de sciences humaines, par exemple, ou encore dans les cours d'histoire de l'art, pour lesquels il est très important d'enseigner le fait religieux. Par conséquent, cela se fait déjà.

Je dirai que le gros problème, à l'heure actuelle, c'est la formation continue des enseignants. Je pense qu'il y a un manque à ce niveau. Si les anciens professeurs ont encore une bonne connaissance du fait religieux, ce n'est plus le cas pour un certain nombre de nouveaux enseignants, qui ont plus de difficultés à entrer dans les détails, dans certains textes. Moi-même, il m'arrive d'avoir à chercher des renseignements à l'extérieur pour pouvoir donner certaines explications aux élèves !

Ce débat sur l'enseignement du fait religieux me rappelle les débats sur l'enseignement de l'éducation citoyenne... On aimerait que des cours d'éducation citoyenne soient dispensés partout; on nous dit qu'il y en a à l'école primaire, au cycle et au postobligatoire, mais, en examinant la grille horaire, on constate que c'est une discipline peu enseignée. On a réussi à ce qu'il y ait des cours au cycle d'orientation - une demi-heure d'éducation citoyenne de temps en temps - mais je pense que c'est insuffisant.

S'il fallait choisir entre les deux enseignements pour fixer une heure dans la grille horaire, je donnerai la priorité à l'éducation citoyenne plutôt qu'à l'enseignement du fait religieux.

Au nom du parti socialiste, je vous demande simplement de prendre acte de ce rapport et de ne pas le renvoyer en commission. Je crois que le travail de commission a déjà été fait et qu'il n'y a pas lieu de le refaire.

M. Robert Iselin (UDC). Celui qui vous parle a connu le temps où, à Genève, on se rendait une fois par semaine - que l'on soit calviniste, comme moi, catholique romain ou catholique chrétien - à des cours d'enseignement religieux après les cours du collège. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Cela n'est plus le cas et, en dépit de mes croyances, je pense que c'est préférable.

Par contre, prétendre, comme l'a fait Mme Wenger, que la laïcité recule est, à mon avis, un extraordinaire abus de langage ! La laïcité est bien établie, et c'est bien.

En revanche, comme le relève très bien le rapport du Conseil d'Etat, l'inculture dans ce domaine est énorme. On m'a rapporté un fait tellement surprenant concernant l'Italie que j'ai moi-même de la peine à y croire... Un groupe d'architectes italiens visitaient le merveilleux musée de Sienne, où l'on peut voir les madones peintes par ces grands artistes - qui leur prêtaient d'ailleurs les traits de leurs petites copines... (Rires.)

Une voix. Les coquins !

M. Robert Iselin. Les coquins ! Eh bien, on m'a rapporté qu'en ressortant, l'un des architectes a demandé: «Mais qui est cette dame, avec un petit garçon dans les bras, que l'on voit partout ?» ! Je trouve cela incroyable !

On peut contester l'influence du christianisme sur le continent européen - cela me paraît un peu délicat, mais enfin, si certains veulent se livrer à cet exercice, ils le peuvent - mais je pense qu'il est essentiel que les jeunes reçoivent une éducation dans ce domaine. Le problème est évidemment celui de l'enseignement et des enseignants... Parce qu'il est très difficile, quelle que soit la position que l'on occupe, d'être objectif. Comment voulez-vous qu'une personne comme moi, élevée dans le calvinisme «pur et dur» - comme le disait un membre du Conseil d'Etat en ajoutant: «pur, en tout cas, mais dur, je n'en suis pas certain» parce qu'il ne voulait pas se mettre trop mal avec moi - puisse dispenser cet enseignement et se prononcer en toute ouverture sur le catholicisme romain ou sur l'orthodoxie ?

C'est sur ce point que porte le problème, et c'est la raison pour laquelle je pense que ce rapport doit être renvoyé en commission.

Mme Janine Berberat (L). Je dirai tout d'abord que le groupe libéral souhaite que cette motion soit renvoyée en commission de l'enseignement.

Pour quelle raison ? Parce que cette motion, déposée en 1996 et dont le rapport vient de nous être fourni huit ans plus tard, a fait ce que l'on appelle une diretissima:le Grand Conseil l'a renvoyée directement au Conseil d'Etat.

En ce qui me concerne, je souhaite, en raison à la fois de la pertinence des problèmes soulevés et des craintes exprimées tant par M. Thion que par Mme Wenger, consulter le terrain, c'est-à-dire les enseignants. Cela nous permettrait de savoir ce qu'ils pensent de cette problématique, comment ils pourraient la gérer et comment ils la gèrent déjà au quotidien. Car s'il est vrai qu'elle a toute sa pertinence aujourd'hui, elle comporte aussi tous les dangers. On peut bien penser que, dans une même classe, certains élèves ne sont pas vraiment concernés par la religion... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)...alors que d'autres le sont tout particulièrement. Il faudra que les enseignants tiennent compte de ce fait en donnant un cours tout à fait neutre et en gardant une certaine distance. Il m'apparaît vraiment important que ces enseignants soient, non seulement très motivés, mais aussi très bien formés. Nous devrons donc être particulièrement attentifs à la formation que recevront ces enseignants.

Je propose donc que cette motion soit renvoyée à la commission de l'enseignement.

M. Bernard Lescaze (R). Le groupe radical a pris connaissance avec intérêt de la réponse du Conseil d'Etat. Il ne s'associera pas totalement au groupe démocrate-chrétien en remerciant le Conseil d'Etat pour sa réponse, car ce dernier n'a fait que respecter la loi qui lui impose de répondre aux motions. Par contre, il l'a fait sans respecter la loi, puisque le délai n'a pas été observé - et de loin pas, cette motion ayant été déposée il y a bientôt neuf ans.

En revanche, la réponse en tant que telle nous satisfait, comme c'est le cas du groupe socialiste. Nous ne demanderons pas le renvoi en commission de cette motion, mais nous tenons simplement à en prendre acte.

Pour quelle raison ? Parce qu'en réalité, nous ne sommes pas favorables à la création d'un nouveau cours d'histoire des religions. Et puis, la perspective dans laquelle semble s'être placé le Conseil d'Etat dans sa réponse nous paraît juste. Elle devrait probablement accentuer le fait - ce que souhaitait notamment l'ancien député démocrate-chrétien Jean-Claude Genecand - qu'il y ait une meilleure prise de conscience, à tous les niveaux de l'école, des fondements de notre civilisation européenne, notamment de ses fondements gréco-latins et judéo-chrétiens.

Car, sans aller jusqu'aux outrances de l'exemple donné par M. Iselin, il est tout de même frappant de constater que, lorsqu'ils voient un tableau avec un personnage tout nu avec des flèches, des adolescents imaginent que c'est une icône gay - une icône gay un peu sado-masochiste - car ils n'ont jamais entendu parler de Saint Sébastien ! Alors, il y a là effectivement un véritable problème. Mais ce problème doit être résolu dans les divers enseignements dispensés par les enseignants. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Le Grand Conseil ne peut pas prendre la décision de l'imposer. Ce n'est d'ailleurs pas à nous de surcharger des programmes que, par ailleurs, on trouve souvent beaucoup trop chargés.

En revanche, il faut insister sur le fait que cette connaissance de la perception du fait religieux dans le monde ne doit pas s'adresser seulement aux autres, comme cela est dit dans le rapport, mais qu'elle doit porter aussi sur nos origines. Car, et c'est aussi indiqué assez justement, «Pour connaître vraiment l'autre, il faut d'abord bien se connaître soi-même». L'effort doit porter sur ce point.

Comme le Conseil d'Etat charge le département de l'instruction publique de répondre aux invites dans cette perspective, le groupe radical se déclare satisfait de cette réponse sur un sujet effectivement très important à l'heure actuelle pour notre civilisation.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Vous me permettrez, en premier lieu, de revenir sur la question du délai avec lequel répond le département... J'espère que vous ne m'en tiendrez pas grief à titre personnel, étant donné que cette motion a été déposée il y a neuf ans et que, pour ma part, je suis entré en fonction il y a à peine deux ans.

Mais si je dis cela - j'insiste pour être tout à fait clair - ce n'est pas pour mettre en cause ma «prédécesseure». Je n'aurais pas l'inélégance de le faire, rassurez-vous, et je n'en ai nulle envie. Pourquoi ? Tout simplement parce que, saisi par cette motion, le département de l'instruction publique a tout de suite eu la volonté de traiter de cette problématique avec le doigté, le sérieux et la profondeur qu'un tel sujet commandait. Je me permets de vous faire savoir qu'il avait déjà commencé à le faire avec un groupe exploratoire en 1994. En effet, traiter d'un tel sujet, ce n'est pas seulement traiter d'un pan de notre culture; ce n'est pas seulement traiter de la question de la place de l'enseignement des religions; ce n'est pas seulement traiter des grilles horaire. Cette problématique remet en cause deux notions fondamentales: d'une part, la laïcité telle que nous la connaissons; d'autre part, ce que nous devons transmettre à partir des plans d'études au sein de l'école obligatoire et des écoles postobligatoires.

Le département a donc mis en place en 1994, à titre exploratoire, le groupe de travail «Culture religieuse et école laïque», lequel a rendu un rapport en 1998. Je veux parler du rapport Hutmacher, que vous avez tous en votre possession. Ensuite, à peine entré en fonction, j'ai dû animer pour le département, avec MM. Régis Debray et Walo Hutmacher, un débat public sur le sujet. Je le répète: je ne me pare pas des plumes du paon, car ce débat avait été prévu par Mme Brunschwig Graf et je n'ai eu qu'à l'animer lorsque je l'ai remplacée. Par la suite, nous avons repris ce travail en profondeur dans un groupe départemental pour débattre de ce sujet en profondeur avec les directions, les syndicats et les représentants des enseignants, qui étaient à l'unisson de leur hiérarchie en ce qui concerne l'approche du sujet.

Nous n'avons bien sûr pas respecté la loi, puisque nous avons largement dépassé le délai imparti de six mois. Nous ne pouvons qu'en être désolés, et je vous prie, au nom du Conseil d'Etat, d'accepter toutes nos excuses pour ce retard. Toutefois, je me plais à mettre en évidence notre volonté de bien faire, car jamais une motion n'aura engendré autant de travaux, une telle réflexion et un tel support à la réflexion. Je souhaiterais que cet aspect soit pris en considération. Je comprends de vos interventions que tel est le cas, et je m'en félicite.

Dès lors, comment aborder ce sujet sans remettre en cause le principe de laïcité, qui nous tient plus à coeur que jamais ? Comment faire en sorte de combler un certain nombre de lacunes sans entrer sur un terrain particulièrement explosif ? Au-delà de toute la réflexion qui a été fournie par le rapport Hutmacher de 1998, nous avons également cherché à nous inspirer de ce qui pouvait être fait ailleurs. C'était le sens de la venue à Genève, le 5 avril 2003, de M. Debray, qui est particulièrement compétent puisqu'il avait été chargé par le premier ministre français de l'époque de produire un rapport sur l'enseignement du fait religieux. D'où l'idée, que nous avons reprise ici, de faire entrer dans chaque plan d'études la nécessité de transmettre le fait religieux à travers les différentes disciplines et les différentes branches d'enseignement - et non de créer un cours d'histoire spécifique lié aux religions.

Avons-nous atteint le but souhaité ? Fonctionnons-nous aujourd'hui à satisfaction ? La réponse est non !

Mais le sujet est, je le répète, délicat, et nous proposons un certain nombre d'axes de travail. Nous proposons notamment d'accentuer l'effort de formation continue du personnel enseignant qui en est demandeur. Ce dernier souhaite également pouvoir prendre des initiatives et demande au département de bien vouloir s'engager dans lesdites démarches - et je pense que c'est une excellente chose.

Je voudrais toutefois vous indiquer que nous ne pensons pas terminer la réflexion avec ce qui a été produit à ce jour: nous entendons que le débat continue. Et nous sommes tout à fait prêts, selon notre dernière suggestion de réponse, à entrer en matière sur la création d'une commission extraparlementaire permanente qui pourrait traiter du sujet - ceci, pour répondre directement à M. Schmied. J'accepte volontiers cette proposition, et j'en prends d'ores et déjà l'engagement devant vous.

Ce sujet est particulièrement sérieux et nous montre que nous devons surtout travailler dans une logique de plan d'études - et c'est le dernier point sur lequel je me permettrai d'insister - qui laisse une certaine liberté au personnel enseignant de traiter plutôt tel ou tel aspect de ce plan d'études, en mettant en évidence un certain nombre de points fondamentaux par rapport à l'acquisition des connaissances. Mais nous devons resserrer un peu le mécanisme pour nous assurer qu'au cours de la scolarité obligatoire, un élève ne puisse pas échapper totalement à la transmission du fait religieux. C'est cela, notre volonté !

Pour ce faire, je vous rappelle que nous fonctionnons, comme pour tous les plans d'études, avec des structures paritaires. Nous avons ce que l'on appelle des «représentants de branches» du personnel enseignant, qui ne sont pas des syndicalistes mais qui représentent leurs pairs et qui participent à la réflexion. C'est une excellente chose, car cela nous permet de disposer d'une très bonne liaison entre la volonté politique et le terrain quand une décision est prise.

Nous pourrions bien sûr décréter mille autres initiatives, mais elles ne seraient guère suivies d'effets si nous n'avions pas à coeur d'agir dans la concertation. Nous entendons donc préserver cette marge de manoeuvre du personnel enseignant. Nous entendons également préserver son implication dans la définition des champs d'études, le cas échéant pour resserrer un certain nombre de ces aspects en ce qui concerne le fait religieux.

Il n'est pas question, pour le département, de consacrer un enseignement spécifique. Pourquoi ? Encore hier soir, vous l'avez constaté au travers de multiples discussions: les attentes vis-à-vis de l'école sont énormes, et nous avons de la peine à y répondre. Dégager aujourd'hui un enseignement de l'histoire des religions nous poserait immanquablement un problème de surcharge; cela poserait un problème de compétence pour savoir qui devrait et qui serait qualifié pour enseigner; cela poserait aussi immanquablement la question de la laïcité - question qu'un certain nombre de cantons ont décidé de traiter différemment du nôtre en recourant à la méthode Enbiro.

Alors, Mesdames et Messieurs, nous avons l'impression d'avoir pris du temps, d'avoir étayé notre réflexion et d'avoir rempli les objectifs, tout en reconnaissant que nous avons encore du pain sur la planche - et nous sommes prêts à vous rendre rapport régulièrement sur l'avancée des travaux.

Le renvoi en commission nous paraît dès lors inutile, mais, si vous désirez vraiment entrer encore plus avant dans ce sujet pour nous faire de nouvelles suggestions, c'est votre liberté et votre marge de manoeuvre.

La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets maintenant le renvoi de ce rapport à la commission de l'enseignement, au moyen du vote électronique. Le vote est lancé.

Mis aux voix, le renvoi de ce rapport à la commission de l'enseignement et de l'éducation est adopté par 33 oui contre 23 non et 3 abstentions.