République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 24 septembre 2004 à 20h45
55e législature - 3e année - 11e session - 69e séance
IN 122-C et objet(s) lié(s)
Débat
M. Pierre Kunz (R), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, permettez que je commence par une note personnelle basée sur le texte que j'ai rédigé sous la rubrique «assimilation ou intégration» de mon rapport. Je dis dans ce texte que la naturalisation est pour l'étranger une rupture profonde, plus que symbolique, assimilatrice. Contrairement à ses enfants, souvent entièrement scolarisés dans leur pays d'accueil, il n'est généralement pas prêt à s'y soumettre, même s'il est établi chez nous depuis des lustres. Si j'ai indiqué cela, c'est principalement parce que j'habite un petit immeuble, dans lequel je suis entouré par deux familles. Dans l'une, le père est écossais et sa femme allemande. Dans l'autre, le père est hollandais et sa femme allemande. Les premiers ont trois garçons et les seconds deux filles. Les cinq enfants ont depuis bien longtemps demandé leur naturalisation. Les parents n'ont jamais été capables de franchir le pas parce qu'il s'agissait effectivement pour eux d'une rupture culturelle trop profonde. Pourtant, ils auraient aimé, depuis longtemps, participer à la vie de la commune de Laconnex dans laquelle j'habite. Ils en ont toujours, jusqu'ici, été empêchés.
Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, je pense très sincèrement que nous devons adopter, donner notre appui formel aux deux initiatives qui vous sont soumises. (Applaudissements.)
M. Jacques Pagan (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Je rebondis simplement sur les derniers propos de M. Kunz. Il dit dans son rapport que «l'acte juridique qu'est la naturalisation ne saurait être certes comparé, surtout en Suisse - Merci Monsieur Kunz ! - à une manifestation impérialiste des citoyens, pourtant, à l'évidence, il s'agit pour l'étranger d'une rupture profonde plus que symbolique, assimilatrice.»
J'aimerais quand même vous dire, Monsieur le député Pierre Kunz - vous devez le savoir - qu'un étranger qui demande à être naturalisé suisse conserve la plupart du temps son passeport d'origine. Ce qui fait que, dans le fond, l'assimilation par le biais de la naturalisation que vous regrettez n'est que très relative.
M. Patrice Plojoux (L), rapporteur de première minorité. Pour le parti libéral, l'intégration dont on parle ne passe pas simplement par le droit de vote. Pour nous, le droit de vote est au contraire l'aboutissement de l'intégration d'une personne étrangère qui habite chez nous.
Pour nous, en définitive, le droit de vote, qui peut être obtenu simplement par la demande de naturalisation, est une manière d'obtenir la totalité des droits et des devoirs des étrangers qui désirent simplement être pleinement intégrés. Saucissonner cette naturalisation en donnant le droit de vote et les devoirs ensuite, ou d'autres choses ensuite, est une mauvaise voie. L'intégration, dans notre esprit, passe par une demande de naturalisation facilitée - les libéraux sont favorables à ces procédures facilitées. Pour nous, le droit de vote ne peut pas être donné gratuitement. Il faut que la personne qui est en face le veuille et le demande. La manière de le demander est la demande de naturalisation à l'issue de laquelle la personne qui le désire obtiendra l'ensemble des devoirs et des droits d'un citoyen, c'est-à-dire le droit de vote, mais également les devoirs d'un citoyen.
M. Antonio Hodgers (Ve). Je crois qu'il faut, en préambule, répondre à la légitime question de savoir pourquoi nous revenons sur ce sujet après qu'il a déjà été soumis à la votation populaire le 4 mars 2001. Il est vrai que le délai est court pour revenir devant le peuple avec un objet qu'il a déjà refusé. Il y a plusieurs raisons. Tout d'abord, le résultat du 4 mars 2001, un vote très serré : 48% de oui et 52% de non, plusieurs communes dont la Ville de Genève ont accepté le texte. Il y a donc une incertitude au niveau de la population qui justifie que la question revienne assez vite.
Deux ans après le vote de 2001, la «Tribune de Genève» et l'association «J'y vis - J'y vote» avaient réalisé une enquête auprès de tous les élus municipaux, près de mille élus de notre canton. Le résultat montre non seulement une très large acceptation - environ 2/3 des élus - du principe du droit de vote et d'éligibilité au niveau communal, mais surtout une évolution significative par rapport à l'enquête sur le même sujet menée par le Conseil d'Etat quatre ans plus tôt.
Je crois que les éléments les plus importants sont les votes qui sont intervenus en Suisse romande. Depuis 150 ans, Neuchâtel avait accordé le droit de vote aux résidents étrangers. Depuis sa constitution, le canton du Jura a fait de même. Plus récemment, le canton de Vaud a introduit le droit de vote et d'éligibilité au niveau communal, de même que le canton de Fribourg. Genève se targue souvent d'être la ville multiculturelle par excellence, la ville internationale, etc. Eh bien, Genève est en queue de peloton sur ce sujet; avec le Valais canton traditionnellement plus conservateur.
L'ensemble de ces éléments nouveaux justifient que l'on demande au peuple de se prononcer une nouvelle fois sur ces questions.
Dans un précédent débat que nous avons eu ici, M. Halpérin, notamment, avait évoqué la notion de citoyenneté. Il posait l'équation simple : citoyenneté égale nationalité et inversement. Je crois que cette notion est juste, mais dépassée. Cette vision de la citoyenneté est celle du XIXe siècle. Aujourd'hui, la citoyenneté n'est pas seulement un état passif lié à la possession d'un document. C'est un état actif, un état d'intérêt vis-à-vis de la collectivité. C'est cette vision de la citoyenneté qui doit prévaloir dans cette société qui bouge, dans cette société cosmopolite, dans cette société d'immigration, même si cela déplaît à certains partis.
Un autre argument important, c'est l'égalité des droits et des devoirs. C'est un argument considérable qui est souvent d'ailleurs évoqué sur les bancs de l'UDC. Je pose la question : au niveau communal, quels sont les devoirs qu'ont les Suisses que les étrangers n'auraient pas ? Aucun. Pourtant, ils n'ont pas tous les droits.
Dans son rapport, M. Kunz a très bien décrit l'enjeu de l'intégration et je tiens à l'en féliciter. Il est clair en effet que partager les responsabilités oblige et implique un respect réciproque des gens qui partagent ces responsabilités. Dans le climat de défiance qui guette notre société, il est important de renforcer la cohésion entre les habitants.
Je conclurai par cette question légitime : qu'est-ce que les citoyens suisses ont à gagner à accorder les droits politiques aux étrangers ? Il faut être clair là-dessus. Nous ne sommes pas là, l'association «J'y vis - J'y vote» n'est pas là pour défendre le droit des étrangers. Les étrangers de ce canton ont des droits civils qu'ils peuvent très bien défendre eux-mêmes. Ce que nous défendons, c'est une vision de la démocratie, une vision du «vivre ensemble» au niveau communal. C'est cela qui importe et c'est là que les citoyens suisses ont à gagner. Cette initiative sera un renforcement de la vie communale qui en a bien besoin. Ceux d'entre vous qui font de la politique au niveau municipal - à part peut-être en Ville de Genève - savent combien il est difficile de recruter, d'avoir assez de gens sur les listes. On voit qu'il y a un désintérêt des citoyens suisses par rapport à la démocratie communale. Elargir le cercle des gens qui pourraient s'intéresser ne peut qu'enrichir le débat démocratique.
Pour ces raisons, je demande à ce parlement d'approuver ces deux initiatives et d'aller dans la rue le moment venu expliquer aux gens - qui ont parfois des doutes légitimes, des craintes, des peurs, le plus souvent irrationnelles - pourquoi ces textes sont importants pour l'avenir de notre République. (Applaudissements.)
M. Pierre Schifferli (UDC). Je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à ne pas soutenir ces deux initiatives. Si vous le faisiez néanmoins vous ne seriez manifestement pas en phase avec les décisions déjà rendues par le peuple à deux reprises. A deux reprises en effet, le peuple genevois a rejeté ce genre de proposition.
Alors même que les délais qui sont indiqués en première page du rapport nous rappellent qu'il faut prendre une décision au plus tard le 5 mars 2005, je m'étonne qu'il faille débattre aujourd'hui, en urgence, de ce projet. Est-ce qu'il s'agit d'une urgence purement idéologique, qu'on veut nous imposer ? Manifestement, elle va à l'encontre des intérêts des citoyens suisses. En dépit de cela, on veut nous imposer encore une fois des solutions déjà rejetées à deux reprises.
De quoi s'agit-il ? Pour l'initiative 122 l'aînée, il s'agit d'accorder les droits politiques complets en matière communale aux ressortissants étrangers ayant leur domicile légal en Suisse depuis huit ans et résidant dans la commune depuis trois mois au moins. Il faut d'abord savoir que la question du domicile relève non seulement du droit administratif, mais également et surtout du droit civil. En d'autres termes, des personnes dont la situation ne serait pas totalement régulière du point de vue du droit administratif pourraient plaider avoir leur domicile en Suisse. L'inverse se produit d'ailleurs de temps en temps comme lorsque le Tribunal de première instance statue que, nonobstant un permis d'établissement ou de séjour, une personne n'a pas son domicile en Suisse.
Ce qui est le plus étonnant, le plus inquiétant, c'est qu'on veut nous obliger à accepter ce projet au nom de l'intégration. Si on examine ce texte, on se rend compte qu'au niveau suisse on demande un délai de résidence de huit ans, mais trois mois suffisent pour la résidence dans la commune. Il n'y a aucune exigence de durée minimale de résidence dans la commune alors qu'il s'agit - c'est là l'objet de cette initiative - d'accorder le droit de vote au niveau communal. Cela paraît totalement illogique. Il est en effet paradoxal de ne pas vouloir tenir compte d'un délai minimal de résidence et d'intégration dans une commune au moment où il s'agit d'octroyer le droit de vote dans celle-ci.
Je dois dire que j'ai été convaincu par les arguments de MM. Plojoux et Pagan, même si le rapport de M. Kunz était fort intéressant. Les arguments des deux rapporteurs de minorité m'apparaissent beaucoup plus fondés, notamment lorsque M. Plojoux indique qu'être citoyen c'est appartenir à une cité. Il me paraît erroné, du point de vue du principe, de vouloir saucissonner la citoyenneté en accordant le droit de vote au niveau communal, mais pas au niveau cantonal. On crée ainsi plusieurs catégories de citoyens et cette façon de décoller la notion de citoyen de celle de nation me paraît fondamentalement erronée. L'octroi du droit de vote est la conséquence normale du droit de citoyenneté qui lui-même découle normalement et fondamentalement de la nationalité.
Il y a un élément qui a été relevé par M. Plojoux dans son rapport : c'est le problème de la réciprocité. A cela s'ajoute qu'on imagine mal, comme M. Plojoux l'indique, qu'un maire, un conseiller municipal ou un conseiller administratif étranger puisse émettre un préavis de naturalisation alors qu'il n'est lui-même pas suisse et n'a pas voulu le devenir. Il y a là une contradiction. Cela créerait des situations totalement absurdes et paradoxales.
Ce qui me paraît aussi curieux dans cette double démarche qui nous est proposée, c'est qu'il est indiqué, dans les deux textes, que si les deux textes sont acceptés, c'est forcément l'initiative aînée - celle qui accorde également le droit d'éligibilité - qui serait considérée comme acceptée. Elle pourrait cependant avoir recueilli moins de voix que l'autre et pourtant, elle serait acceptée. Il me semble en l'occurrence qu'il y a un problème essentiel du point de vue du respect des droits démocratiques. Je ne comprends pas comment ce Grand Conseil pourrait accepter une telle démarche. Deux initiatives nous sont proposées, l'une recueille plus de voix que l'autre, mais c'est la deuxième, celle qui a recueilli le moins de voix qui serait acceptée et qui entrerait en vigueur.
Du point de vue juridique, je pense que ces initiatives violent l'unité de la matière. Il s'agit d'une manoeuvre politicienne que je trouve un peu étrange, insolite, pour ne pas dire indigne.
M. Hugues Hiltpold (R). En guise de préambule, je voudrais rappeler que les droits politiques ont toujours suscité de vifs débats dans les sociétés qui en débattaient, souvent pour des causes qui, aujourd'hui, sont considérées comme allant parfaitement de soi.
Je pense notamment aux droits civiques de la population afro-américaine qui n'a obtenu l'entier de ses droits politiques que dans les années septante. Je pense également aux femmes suisses qui n'ont pu voter, à Genève, qu'à partir de 1960 et sur le plan fédéral en qu'1971. Qui, Mesdames et Messieurs les députés, remettrait en cause de tels acquis ? Personne.
Le débat de ce soir devrait se placer dans cette perspective d'avenir. Je vous invite tous à vous poser la question de savoir si la proposition qui nous est faite, pour audacieuse qu'elle paraisse aujourd'hui, ne sera pas tout simplement une évidence dans trente ou quarante ans. Le groupe radical, Mesdames et Messieurs les députés, en est convaincu. Il est convaincu que la Genève de demain se fera en intégrant et en responsabilisant les résidents étrangers, de même que la Genève d'hier s'est faite avec d'illustres étrangers.
Il est également convaincu que c'est à l'échelon communal que s'établiront les relations entre les élus et les personnes résidantes, tout comme il est convaincu qu'il faut faire une distinction essentielle entre la naturalisation qui est une démarche toute personnelle d'adhésion à un système de valeur et à une histoire, d'une part, et, d'autre part, la résidence au sein d'une collectivité qui est une démarche issue de la collectivité même. C'est cette dernière en effet qui offre une possibilité d'expression à son résident.
Le groupe radical vous invite tous, Mesdames et Messieurs les députés, à faire preuve de vision pour la Genève de demain. Nous vous demandons de voter l'initiative qui permet d'octroyer les droits politiques complets aux étrangers qui résident depuis plus de huit ans dans leur commune. (Applaudissements.)
M. Georges Letellier (UDC). Sur le principe, l'IN 123 «J'y vis - J'y vote» est du même acabit que le projet de loi sur le recrutement des permis C dans la police. Ces deux projets ont pour objectif de favoriser et d'accélérer l'intégration des étrangers sur notre territoire.
Ne vous y trompez pas, ces initiateurs «patricides» ont une idée fixe : accélérer l'intégration étrangère, très souvent sous le couvert des droits de l'homme. Humanistes, détenteurs de la vérité universelle, leur dessein sur le long terme est de niveler les droits et de niveler les valeurs civiques et démocratiques du citoyen, pour que celui-ci se conforme mieux au moule universaliste mondialiste.
Que les étrangers qui vivent et travaillent sur notre sol respectent d'abord la loi en demandant la nationalité afin de prouver leur attachement à notre pays et à ses institutions. Dans notre démocratie, il ne suffit pas de revendiquer et d'exiger des droits en permanence. Il faut aussi être capable d'assumer ses devoirs. Avoir des droits sans devoirs, c'est la porte ouverte à la désintégration sociale, n'en déplaise aux initiateurs de ces deux projets.
Nous refusons fermement ce continuel chantage à l'intégration forcée. Nous le combattrons. Nous rejetons les soeurs jumelles, l'aînée comme la cadette. (Rires.)
La présidente. C'est une curieuse vision de la famille...
M. Georges Letellier. Je ne me suis pas trompé, j'insiste et je maintiens ! Le précédent projet de loi sur ce sujet - dont le rapporteur était M. Hodgers - défendait les mêmes causes que M. Kunz aujourd'hui. C'est blanc bonnet et bonnet blanc ! J'ai peut-être fait un peu d'humour, mais si vous ne le comprenez pas, ce n'est pas de ma faute...
M. Alain Charbonnier (S). J'aimerais d'abord répondre à M. Schifferli sur le souci qu'il a par rapport au fait que l'on revient devant le peuple avec les mêmes objets. Je rappellerais simplement que si le droit de vote des femmes n'avait pas été soumis plusieurs fois au corps électoral, il n'y aurait pas de femmes dans notre enceinte aujourd'hui. Il a fallu revenir plusieurs fois sur le sujet.
Dimanche, nous allons voter sur l'assurance-maternité, cet objet est déjà passé en votation à plusieurs reprises. Nous avons une telle assurance à Genève, heureusement, mais ce n'est pas le cas dans d'autres cantons. C'est vrai, on revient plusieurs fois devant le peuple, on remet l'ouvrage sur le métier. Je ne crois pas qu'on puisse nous le reprocher.
Sur la question du vote des étrangers, je rappelle qu'il y a eu un premier rejet en 1993 par 71,3% des votants. En 2001, le projet a été rejeté par 52% des votants. En fait, Monsieur Schifferli, vous avez peur, vous avez très peur que l'année prochaine, en 2005, on parvienne à réunir une majorité sur ce thème.
Les socialistes soutiennent évidemment les deux initiatives. Nous avons toutefois une nette préférence pour l'aînée puisqu'elle accorde les deux droits politiques essentiels : le droit de vote et d'éligibilité. Pour nous, ce sont deux droits qui sont difficilement divisibles. Nous soutenons l'initiative cadette par esprit de consensus et par volonté de faire avancer le sujet par la politique des petits pas. Donner les droits politiques aux étrangers au niveau communal après huit ans de résidence en Suisse, ce n'est pas rien.
Pour nous, les droits politiques n'égalent pas l'intégration. Nous ne sommes pas complètement stupides pour penser qu'il suffit d'avoir des droits politiques pour être intégré. Après huit ans de vie en Suisse, on peut cependant s'apercevoir que les gens sont, le plus souvent, intégrés - cela se vérifie au niveau des naturalisations : peu de demandes sont refusées dans notre canton. La plupart du temps, ces gens ont des enfants qui vont à l'école avec nos enfants. Mardi dernier, j'étais à une soirée de parents à l'école de notre fille aînée, nous étions peut-être trois ou quatre parents suisses sur vingt-sept. Le reste de la classe était des personnes étrangères ce qui n'a posé aucun problème. Les personnes présentes sont intégrées, de même que leurs enfants. Des enfants étrangers viennent jouer avec nos enfants, ils parlent français comme nous, comme vous et cela ne pose aucun problème.
Souvent, en discutant avec les personnes étrangères, on s'aperçoit qu'ils ont une conscience politique égale voire supérieure à la nôtre. Ce sont des gens qui s'intéressent à la politique et qui viennent souvent de pays où la culture politique est plus présente. Ce sont des gens de milieux aisés ou pas, ce n'est pas une question de gauche ou de droite, mais ils s'intéressent à la politique.
Je viens de la commune de Vernier où il y a, d'après les derniers chiffres, plus de 45% de personnes étrangères, c'est-à-dire que sur 30 000 habitants on se retrouve avec 12 000 électeurs et 31 personnes au Conseil municipal. La légitimité de ces gens est plutôt problématique.
Au niveau suisse, cela n'a pas encore été dit bien que cela figure dans le rapport de majorité, il y a d'autres cantons qui nous précèdent et depuis de nombreuses années déjà. Neuchâtel accorde le droit de vote et d'éligibilité également au niveau cantonal. Vaud et Fribourg viennent de l'accorder au niveau communal. Le Jura et Appenzell Rhodes-Extérieures l'ont fait également. Nous ne sommes donc pas les premiers et, au niveau romand, on pourra même dire que nous serons les derniers à octroyer des droits politiques aux personnes étrangères au niveau communal.
Pour les libéraux et l'UDC, si les étrangers veulent des droits politiques, ils doivent demander la naturalisation. C'est facile à dire, je trouve. Comme l'a dit M. Kunz, en donnant l'exemple de voisins qu'il connaît - je crois que nous avons tous des exemples à donner - ce n'est pas une démarche aussi simple. Demander à des gens qui émigrent, s'intègrent totalement, travaillent, ont des amis de toutes nationalités ici, de se naturaliser en échange de droits politiques; cela n'a aucun sens pour le parti socialiste.
Pour l'UDC, en revanche, cela semble avoir un sens. Par moment cependant, la position de ce parti est un peu contradictoire : vous n'êtes pas les champions de la naturalisation facilitée. Dernièrement, nous est parvenu par la poste un brûlot - et je suis encore gentil - qui indique que les musulmans seraient bientôt en majorité. Voilà, votre souci. (L'orateur est interpellé.)N'est-ce pas Monsieur Letellier ? Je vous l'offre si vous le voulez, Monsieur. Moi, je n'en ai plus besoin. Je voulais seulement l'utiliser ce soir...
Ah, M. Brunier veut le déchirer.
Pour l'UDC, il ne faut pas accorder le droit de vote aux étrangers, parce que ceux-ci doivent se naturaliser. Pourtant, quand on veut faciliter la naturalisation, l'UDC ne veut pas en entendre parler non plus au prétexte qu'ils seraient majoritaires dans notre pays. Nous trouvons cette position scandaleuse pour ne pas dire plus. J'espère que le peuple comprendra que ce qui est marqué dans ce tout ménage, que même les journaux n'ont pas voulu publier, ne vaut rien. Ce tract n'est qu'une incitation à la haine. J'espère que quelqu'un aura le courage - il faudrait y réfléchir parmi nous - d'aller plus loin au niveau judiciaire pour régler cette affaire devant les tribunaux.
Nous soutenons évidemment ces deux initiatives avec une large préférence pour l'aînée.
Présidence de M. Pascal Pétroz, président
Le président. Nous avons treize personnes inscrites. Ce débat suscite les passions, semble-t-il. Le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Sont inscrits, Mmes et MM. les députés : Jean-Michel Gros, Pierre Guérini, Gilbert Catelain, Loly Bolay, Pierre Weiss, Anne-Marie Von Arx-Vernon, Antonio Hodgers, François Thion, Christian Grobet, Guy Mettan, Georges Letellier, Antoine Droin, et les trois rapporteurs. La liste est close, de manière que nous puissions voter avant une heure du matin.
M. Jean-Michel Gros (L). Je m'étonne qu'autant d'orateurs soient inscrits pour ce sujet. On peut le dire, le débat a été fait. Il a été largement fait. C'est d'ailleurs pourquoi la commission des droits politiques n'a siégé qu'une seule séance pour traiter de ces initiatives. Ce débat a en effet eu lieu lors du débat sur le projet de loi constitutionnel en l'an 2000, lors de la campagne pour la votation populaire en 2001, lors des débats préliminaires sur ces initiatives l'année dernière. On peut dire que nous avons fait le tour de la question, d'ailleurs, je ne crois pas avoir entendu un argument nouveau par rapport à ce que nous avons pu lire dans toutes les publications.
Je voudrais, puisque cela se fait, rappeler très brièvement les raisons de l'opposition du groupe libéral.
Premièrement, la naturalisation ne nous paraît pas être un acte obsolète ou un argument facile comme l'a dit M. Charbonnier. L'obtention de la citoyenneté n'est pas un moyen d'intégration, mais le couronnement de l'intégration. Nous pensons toujours que cette volonté d'appartenir à une cité, d'en reconnaître pleinement sa juridiction et d'en accepter tous les droits et les devoirs, doit demeurer la voie privilégiée vers la pleine citoyenneté.
Les libéraux veulent, encore et toujours, faciliter cette démarche et là, Monsieur Charbonnier, vous ne pourrez pas nous accuser d'incohérence. Les libéraux ont été d'accord de supprimer la taxe sur les naturalisations. Ils combattent en faveur de la naturalisation facilitée des deuxième et troisième générations en vue de la votation de dimanche prochain.
L'octroi du droit de vote communal nous semble être une sorte de nationalité light. «Nous donnons certains droits parce que vous payez des impôts, parce que vous êtes établis ici.» Ce n'est pas cela, Monsieur Hodgers, la citoyenneté ! Ce n'est pas le fait d'être actif à la société de football, d'habiter simplement ici et de payer des impôts. Le droit de vote accordé aux contribuables pour qu'ils puissent savoir ce qu'on en fait, c'est le vote censitaire. A ce moment-là on peut en venir à un modèle de vote qui prévaut dans les sociétés anonymes. «Si on vous accorde ces quelques droits, vous n'aurez pas besoin de faire ce pas supplémentaire vers la pleine citoyenneté.»
Nous ne sommes pas d'accord avec cette notion de nationalité light. Nous encourageons plutôt nos amis étrangers à faire le pas en leur facilitant la tâche au maximum.
J'évoquerai encore un argument. Le principe de réciprocité ne nous paraît pas non plus totalement ringard. Là aussi, les libéraux se sont engagés en faveur de l'adhésion à l'Espace économique européen, en faveur des négociations bilatérales I et II, tous actes internationaux qui insistent non seulement sur la non-discrimination, mais également sur la réciprocité. Que le droit de vote puisse faire partie des prochaines négociations bilatérales, pourquoi pas. Mais accorder ce droit sans que nos concitoyens puissent exercer le même droit sans leur pays de résidence, nous semble injuste.
Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, pour ces motifs brièvement exposés - il y en aura d'autres que nous exposerons pendant la campagne, bien entendu - nous refuserons cette citoyenneté au rabais. Le groupe libéral demandera au peuple de voter non.
Présidence de Mme Janine Hagmann, deuxième vice-présidente
M. Pierre Guérini (S). Mesdames et Messieurs les députés, je tiens à souligner la qualité du rapport de majorité sur cette problématique.
Si les libéraux n'avaient pas fait un rapport de minorité, contrairement à ce qu'a dit M. Jean-Michel Gros, nous ne verrions pas autant de députés prendre la parole.
Les étrangers nous apportent une vision nouvelle. Mon collègue Charbonnier a rappelé un certain nombre de cantons qui ont déjà accordé le droit de vote et d'éligibilité, parmi lesquels Appenzell Rhodes-Extérieures. Dieu sait si la Suisse dite primitive est conservatrice. Si eux-mêmes, accordent ces droits, je ne vois pas Genève la libérale - au sens de la liberté - ne pas en faire autant.
M. Gros dit qu'il ne faut pas tenir compte du fait que les étrangers payent leurs impôts. Cela n'est pas vrai : les étrangers payent leurs impôts et n'ont aucune possibilité de se prononcer sur leur affectation.
Que les étrangers soient là depuis quinze jours ou depuis huit ou dix ans, ils sont soumis à nos lois et s'y soumettent. Au plan communal, ils ne peuvent pas modifier les lois puisque les communes ont une action délibérative et non pas législative. A partir de là, je ne vois pas quels sont les risques. Où est le problème ? Nulle part.
Certaines personnes étrangères, surtout celles qui sont là depuis 20 ou 25 ans, n'ont pas voulu faire le pas de la naturalisation, pour des raisons personnelles, pour différentes raisons. Ce sont des raisons respectables. On ne peut pas dire, parce que ces personnes ne veulent pas la nationalité suisse, que ce sont des citoyens de deuxième zone.
Parmi eux, il y a des personnes âgées. Les travailleurs étrangers ont aussi des accidents de travail. Ce sont des gens qui ont participé au développement de la vie suisse et au développement de tout ce qui fait la fortune actuelle de notre canton. Ils prennent aussi des risques et ils ont aussi le droit de donner leur avis. C'est une vision nouvelle.
A partir de toutes ces considérations, où est le problème ? Il n'est nulle part. Acceptons ces initiatives. Faisons preuve de modernité ! On parle d'Europe, on parle de mondialisation. Eh bien la mondialisation commence par accepter ses étrangers et par leur donner ne serait-ce qu'une petite voix au niveau communal.
M. Gilbert Catelain (UDC). J'ai participé en commission au débat sur cette initiative et j'ai effectivement été consterné du peu de temps qui y était consacré. En l'espace d'une séance de commission, nous avons pris une position sur un sujet aussi essentiel. Nous avons consacré moins de temps au débat sur le droit de vote et d'éligibilité des étrangers qu'à l'acquisition du terrain par M. Moutinot en violation du règlement du Grand Conseil. C'est aussi déconcertant que l'inculture d'un député socialiste qui assimile le canton d'Appenzell à la Suisse primitive, ce qui est manifestement faux. (L'orateur est interpellé.)
Je ne vous ai pas interrompu.
Ce projet est néanmoins intéressant et il mérite un débat. Pourtant, à mon avis, ce débat n'aurait pas dû avoir lieu dans l'urgence, à des fins électorales. Je relève d'ailleurs qu'on a fait un faux procès à l'UDC en prétendant qu'elle serait contre les naturalisations. Je rappelle à ceux qui manquent de culture historique que l'UDC a soutenu en 1994 le projet de naturalisation facilitée. L'UDC est contre le projet actuel, parce que ce projet va certainement trop loin. L'affiche que vous montrez n'est pas celle de l'UDC de Genève... (Brouhaha.)Comme chez vous, il y a des gens de gauche et de droite. Il y a des gens qui ont des idées qui sont les leurs. D'ailleurs, il ne m'appartient pas de me prononcer sur un projet qui ne porte pas le logo de l'UDC Genève. Ne faites pas d'assimilation, cela ressemble à certaines pratiques qui ont prévalu dans certains pays qui ont vécu sous une dictature de gauche et où l'information était manipulée. (Commentaires.)
Je rappelle encore que la loi fédérale en vigueur dans ce pays, notamment au niveau de la naturalisation, a été présentée, pendant toute la campagne, comme un élément majeur pour l'intégration. On nous dit que la loi actuelle a permis la naturalisation de 250 000 personnes.
Pour en revenir aux initiatives qui nous occupent, je rappellerai que leur défaut majeur est l'absence de critère. Il aurait valu la peine de remettre en cause l'ensemble de la question. Quels sont les critères que nous devons remplir pour avoir le droit de vote sur le plan communal ? Imaginons une personne qui, à la rigueur, ne parlerait pas français et aurait vécu huit ans dans le canton d'Appenzell où la culture est totalement différente de celle du canton de Genève. Est-il vraiment logique qu'au bout de trois mois sans avoir une seule connaissance de la langue française, une telle personne puisse voter sur le plan communal et être élue au conseil administratif ?
Pourquoi créer différentes catégories de citoyens ?
Imaginons maintenant un ressortissant français qui, pour des raisons X ou Y n'a pas pu se domicilier sur Genève et qui travaille depuis trente ans dans le canton de Genève. Une partie de ses impôts finance la politique et les infrastructures communales. Il a une activité sociale sur la commune. Pourquoi cette personne n'aurait-elle pas le droit de vote sur le plan communal ?
On peut remettre tout en cause et ce débat aurait mérité qu'on l'élargisse quelque peu.
J'ai l'impression que nous sommes dans l'esprit du temps. Nous sommes dans une société de consommation où, comme le disait l'association ARLE dans un débat sur une motion de la gauche sur les violences scolaires, on prend un cours ou pas parce qu'il nous intéresse ou non.
Dans le domaine de la nationalité, c'est pareil. Je prends le droit de vote parce qu'il m'intéresse, mais pas la nationalité parce que ça me pose des problèmes...
Je crois que c'est comme le mariage. Quand on se marie on prend un ensemble pour le meilleur et pour le pire. (Brouhaha.)Alors on a créé le PACS, c'est la même culture. (L'orateur est interpellé.)Tais-toi !
On crée ici une sous-nationalité qui créera effectivement des disparités au sein de la population. On peut même imaginer, avec ce projet d'initiative, qu'on arriverait à l'aberration suivante. Quelqu'un qui, pour une raison ou une autre, n'aurait pas pu obtenir la naturalisation malgré une demande de sa part pourrait être élu dans un conseil municipal alors que sa demande de naturalisation aurait été refusée.
Il me semble que dans ce projet, il y a quand même quelques points faibles suffisamment importants qui militent pour le rejet d'un projet finalement très mal ficelé.
Nous rejetterons donc les deux initiatives.
Présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny, première vice-présidente
Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, nous avons eu ce débat ici même il n'y a pas si longtemps. Je suis étonnée de voir la position de certains groupes.
J'aimerais tout d'abord revenir sur une remarque du rapporteur de majorité, dont je le remercie. M. Kunz a dit, en une phrase, tout ce que cela signifie pour des personnes étrangères de refuser sa propre nationalité pour obtenir la nationalité suisse. C'était le cas pour l'Espagne il n'y a pas si longtemps que ça.
Ce n'est pas évident de prendre une nationalité qui n'est pas la sienne. Quand on le fait, on se dépouille. On jette nos racines à la poubelle, même si on est très attaché au pays où l'on vit comme certains d'entre nous sommes très attachés à la Suisse. Ce n'est pas évident de renoncer à sa propre nationalité et d'en reprendre une nouvelle.
C'est toute notre histoire que nous amenons avec notre nationalité. C'est nos racines. Cela, c'est extrêmement important.
J'ai parlé tout à l'heure de certains partis qui ont un petit peu changé de discours. Je pensais au parti libéral. A l'époque, Mesdames et Messieurs, vous étiez beaucoup plus ouverts et vous étiez d'accord sur la question du droit de vote. Vous l'étiez moins, il est vrai sur le droit d'éligibilité. On vous a dit tout à l'heure que les cantons de Neuchâtel, de Vaud, d'Appenzell Rhodes-Intérieures ont accordé aux étrangers le droit de vote et, certains, même le droit d'éligibilité. Comment vous qui êtes les chantres de l'esprit de Genève, de l'esprit d'ouverture, de l'esprit de tolérance, pouvez-vous vous opposer à cette mesure ? Comment pouvez-vous concilier votre fierté de la Genève internationale avec votre position sur le droit de vote et d'éligibilité des étrangers ? La grande majorité des gens qui font la Genève internationale sont étrangers. Vous tenez un double discours, Mesdames et Messieurs, et, pardonnez-moi de vous le dire, ce soir vous me décevez profondément. (Applaudissements.)
Quant à vous, Monsieur Schifferli, je ne discuterai pas du fond avec vous. Je ne veux même pas parler de vos insultes contre les réfugiés. Elles sont pour moi inacceptables. Je vous dirai seulement une chose : vous dites que ces initiatives ne répondent pas à l'unité de la matière. Eh bien pourtant, en commission législative, Monsieur Schifferli, votre collègue M. Pagan était d'avis que ces deux initiatives étaient conformes tant à l'unité de la matière qu'à l'unité de la forme. Monsieur Pagan, vous vous êtes abstenu, mais vous ne vous êtes pas opposé à cela. C'est donc que ces initiatives - et tout le monde l'a dit - sont recevables.
Mesdames et Messieurs les députés, Genève ne serait pas ce qu'elle est sans les étrangers. Ces étrangers que vous décriez, vous l'UDC, ont construit nos routes, nos maisons, vous servent dans les restaurants. Vos femmes de ménage sont étrangères. Ces étrangers-là méritent qu'on leur accorde notre reconnaissance. Ils méritent qu'on leur donne le droit de participer au moins aux votations communales. C'est pour cela que je vous demande d'accepter ces initiatives. (Applaudissements.)
M. Pierre Schifferli (UDC). Mme Bolay a indiqué que je m'en serais pris aux réfugiés. Je n'ai pas le souvenir d'avoir mentionné le terme de réfugié dans mon exposé.
Si, Madame, vous voulez savoir ce qu'il en est des réfugiés, je vous dirais que j'ai dans ma famille un certain nombre de personnes qui sont réfugiées du Viêt-nam. Mon épouse d'abord qui est venue ici et qui a été naturalisée avant notre mariage. Elle a fui le régime communiste. Elle a fui le marxisme-léninisme, comme des millions d'autres Vietnamiens. Ma belle-mère, mes quatre belles-soeurs ont été des boat people.
Je n'ai pas le souvenir d'avoir attaqué les réfugiés, Madame Bolay. Alors, ne dites pas des choses absurdes !
Ces réfugiés-là, voyez-vous, ils ont demandé la naturalisation suisse. Le jour où ils ont reçu leur passeport, ils ont été très fiers de recevoir le passeport suisse et d'exercer leur droit de vote.
Ils ont été heureux d'être accueillis dans un pays démocratique et non communiste. (Applaudissements.)
M. Pierre Weiss (L). Mme Bolay a demandé pourquoi les libéraux, qui sont effectivement fiers de l'esprit de Genève, sont néanmoins opposés à ces deux initiatives jumelles, cadette et aînée. Pour une raison simple, Madame. Une société aussi multiculturelle que Genève, une Genève aussi internationale que celle que nous connaissons a besoin de règles simples et claires. Ses citoyens ont besoin de vivre dans un monde compréhensible.
J'aimerais illustrer quelques arguments fallacieux qui ont été utilisés ce soir. Je ne ferai pas d'humour sur le fait que peut-être certains étrangers qui vivent ici depuis plus de huit ans mais qui ne paient pas d'impôts pourraient, selon le discours que nous avons entendu ce soir, ne pas mériter le droit de vote et d'éligibilité.
Je m'exprimerai plutôt sur un autre argument, plus sérieux. L'assimilation de l'extension du droit de vote aux femmes avec la question du vote des étrangers. Lorsque le droit de vote, qui était l'apanage des seuls hommes, a été étendu aux femmes par un vote populaire, on l'a étendu aux femmes suisses. Lorsque l'âge de la majorité civique a été abaissé de 20 à 18 ans, on a accordé le droit de vote à des citoyens eux aussi suisses.
Aujourd'hui, ce que vous voulez nous faire croire, c'est que si l'on est suisse on a le droit de vote et que si l'on est étranger on a également le droit de vote. Non. Les étrangers ont le droit d'être naturalisés. Ils ont le droit de l'être, comme le veulent les libéraux, avec le plus de facilité possible, sans les obstacles financiers qui ont existé un temps. Voilà une forme censitaire de naturalisation contre lequel, avec l'esprit de Genève qui nous caractérise, nous nous étions élevés.
Nous ne voulons pas en revanche un système où l'on amalgame tout, où l'on vit dans un brouillard, où les citoyens ne comprennent plus le type de société qui est le leur. Il est question de transformer cette société en salami, parce qu'après avoir accordé le droit de vote sur le plan communal on le demandera sur le plan cantonal. Dans quelle vie, dans quel monde voulons-nous vivre où l'on ne connaît plus nos limites ? (Brouhaha. Applaudissement sur les bancs du parti libéral et de l'UDC.)
Mesdames et Messieurs les députés, je crois que sur cette question la position que nous avons est claire. Mon collègue Gros l'a rappelée tout à l'heure. C'est parce que nous voterons deux fois «oui» dimanche que nous voterons deux fois «non» aux initiatives qui nous sont proposées ici. Je prends le pari que ces deux initiatives seront beaucoup plus fortement repoussées que les précédents essais l'ont été. (Applaudissements.)
Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). J'espère que nos collègues députés neuchâtelois, vaudois et appenzellois des Rhodes-Intérieures n'auront pas entendu les commentaires de M. Weiss, sinon ils pourraient s'imaginer vaguement inférieurs à nous ! Ce serait dommage parce qu'ils nous ont donné un bel exemple. (Applaudissements.)
Pour le parti démocrate-chrétien, cette initiative dite cadette est une chance pour la santé de notre démocratie. Etre citoyen c'est appartenir à une cité ! Etre citoyen c'est partager les droits et les devoirs de toute personne vivant au sein d'une commune. Il n'y a pas besoin d'être naturalisé suisse ou d'être né suisse pour avoir des droits et des devoirs. Nous sommes tous concernés par ces notions de droit et de devoir. Qu'y aurait-t-il à craindre des citoyens, même étrangers, qui désirent s'engager pour exprimer leur volonté de servir au sein d'un système politique que nous estimons tous si exemplaire ? On devrait les remercier de s'y intéresser. Qu'y a-t-il à craindre ?
Mesdames et Messieurs les députés, vous savez tous que Genève est devenue prospère grâce à l'apport de citoyens qui n'étaient pas forcément genevois au départ. Nous pouvons être fiers aujourd'hui que des citoyens qui continuent à contribuer à notre rayonnement, à notre économie, à notre culture, s'intéressent à notre vie politique. C'est quelque chose pour laquelle nous devrions vraiment être reconnaissants.
De quoi avons-nous peur ? Arrêtons de brandir la peur ! Arrêtons de brandir la peur des étrangers, pour cacher des intentions nauséabondes et très dangereuses pour notre démocratie.
Pour le PDC, il est normal, naturel, évident, logique, pragmatique, progressiste et sensé que des étrangers intégrés ici puissent bénéficier des droits qui entraînent obligatoirement des devoirs. Arrêtons d'opposer droits et devoirs.
C'est pourquoi le PDC vous invite à soutenir, pour le moment, la cadette afin de donner un signe clair de la force de notre démocratie. N'ayons pas peur. (Applaudissements.)
M. Antonio Hodgers (Ve). Je me permets d'intervenir une nouvelle fois dans ce débat pour apporter peut-être quelques réponses à certaines questions qui ont surgi.
La question peut-être la plus importante est celle de la prétendue opposition entre naturalisation et droits politiques communaux. Si un individu veut participer à la vie de ce pays, s'intéresser à la vie de son quartier, on peut se demander pourquoi il ne demande pas la nationalité suisse. C'est une excellente question et nous devons répondre qu'il faut favoriser la naturalisation.
L'enjeu, en fait, n'est pas là. D'une part, contrairement à ce que certains croient, la naturalisation n'est pas le couronnement de l'intégration. Mesdames et Messieurs libéraux et UDC qui répétez sans cesse cet argument, sachez que c'est un mythe.
Récemment, lors d'un débat à la radio, un jeune UDC a fait un parallèle entre naturalisation et permis de conduire. Il relevait qu'on apprend d'abord à conduire et qu'ensuite on obtient le permis qui est le couronnement du fait que l'on sait conduire. On sait très bien, Mesdames et Messieurs les députés, qu'on passe le permis de conduire avec des connaissances minimales certes, mais que l'apprentissage se fait surtout sur la route et avec la conduite. C'est l'expérience qui permet d'acquérir ces connaissances. Il en va de même de la naturalisation.
Je suis surpris que vous connaissiez peu de naturalisés. Dans mon entourage, les gens qui se sont naturalisés ne s'intéressaient pas à la politique jusqu'à ce qu'ils reçoivent leur passeport. L'acquisition de nouveaux droits produit un intérêt pour la politique. Ils reçoivent chez eux le matériel de vote et doivent se prononcer sur les questions qui leur sont soumises. Ce phénomène fait qu'ils vont commencer à lire la presse, à s'intéresser à nos travaux pour comprendre et pour pouvoir utiliser ces nouveaux droits. Il est évident que la naturalisation est une étape importante du processus d'intégration et elle ne doit pas être bradée. Elle n'est cependant pas l'aboutissement du processus d'intégration.
Les initiatives «J'y vis, j'y vote» prennent le problème sous un angle plus collectif. Que celui qui veut devenir suisse le fasse, mais le problème n'est pas seulement individuel. Il est collectif, c'est un problème de démocratie.
Prenons l'exemple de Meyrin qui compte près de 50% d'étrangers. Il y a eu 30% de participation aux dernières élections municipales. Si on enlève les moins de 18 ans, c'est 13% de la population meyrinoise qui a élu ses autorités. On n'est pas loin des taux du suffrage censitaire. C'est là que réside le déficit démocratique et c'est à ce problème que nous répondons à travers ces initiatives.
En ce qui concerne la double nationalité, M. Pagan et d'autres relevaient que la Suisse avait renoncé à demander aux ressortissants étrangers de perdre leur nationalité pour acquérir la nationalité suisse. Certains pays interdisent toutefois la double nationalité : c'était le cas de l'Espagne il y a peu, c'est encore, à ma connaissance, le cas de l'Allemagne.
Monsieur Pagan, vous avez une vision très administrative de la nationalité. Ceux pour qui le passeport est simplement un bout de papier administratif, cela leur sera égal d'en avoir un ou deux. Mais M. Kunz l'a très bien démontré par son témoignage : ceux pour qui la nationalité est un attachement symbolique et affectif vivent très fortement la cérémonie de naturalisation. En effet, dans naturalisation, il y a le mot «nature» et quand on est naturalisé, on change de nature. Cette portée symbolique et affective de la nationalité fait que, même si on ne perd pas son bout de papier d'origine, devenir Suisse peut constituer un sentiment de renoncement, au moins symbolique, à sa nationalité d'origine. C'est pour cela, comme M. Kunz l'a très bien dit, que les étrangers de la première génération ont de la peine à faire cette demande de naturalisation.
Brièvement, en ce qui concerne l'argument de la réciprocité, on en a beaucoup parlé lors de la précédente campagne, et le résultat, le 4 mars 2001, c'est que l'arrondissement électoral qui a enregistré le plus de votes en faveur du projet de loi du Conseil d'Etat était les Suisses de l'étranger avec 66%. Votre position sur la réciprocité, Mesdames et Messieurs les libéraux, c'est du provincialisme, c'est la position du petit parti libéral qui ne ressemble en rien à celui qu'on a connu par le passé. Qu'est-ce que ça veut dire que ce discours : «Que les autres donnent d'abord des droits aux Suisses et ensuite nous donnerons...»
Nous voyons une Genève plus ouverte, plus progressiste et surtout en avant sur ce genre de questions.
M. Plojoux a envisagé un cas, celui d'un magistrat ou d'un élu étranger qui serait amené à se prononcer sur la naturalisation d'un étranger qui voudrait devenir suisse. Monsieur Plojoux, vous savez très bien qu'un élu n'a pas toujours la qualité de ceux qu'il est appelé à nommer. Tout à l'heure nous avons reçu la prestation de serment de magistrats du pouvoir judiciaire alors que la plupart d'entre nous n'ont aucune qualité pour siéger là où nous avons nommé ces gens. Il y a une dissociation entre la qualité propre et la qualité des gens que nous sommes appelés à nommer. Et je vous prends au mot, Monsieur, si les conseillers municipaux devaient posséder les qualités nécessaires pour juger quelqu'un qui veut être naturalisé, alors il faudrait exclure les Suisses de naissance, car seuls les étrangers naturalisés sont passés par cette étape-là.
En ce qui concerne, enfin, le système du vote en cascade inauguré par ces deux initiatives soeurs - et non pas jumelles, Monsieur Letellier. Si on part du principe que qui veut le plus veut le moins, on peut conclure que ceux qui votent pour l'aînée sont d'accord avec la cadette. Si la cadette enregistrait un score favorable de 70% et l'aînée un score de 60%, il y aurait trois camps : 30% qui ne veulent rien du tout, 10% qui veulent le droit de vote sans éligibilité et 60% qui veulent les droits complets. Il est donc normal et logique que l'aînée entre en vigueur.
Monsieur Weiss, vous voulez des règles simples et claires, un monde compréhensible : quoi de plus simple que de dire que ceux qui vivent dans notre ville et qui la construisent participent à la gestion de celle-ci. Quoi de plus évident ? Le reste de la Suisse romande le fait, certains cantons depuis longtemps, et il se trouve encore des libéraux pour s'y opposer ici. Vraiment, le parti libéral n'est plus ce qu'il était.
M. François Thion (S). J'ai lu avec intérêt le rapport de majorité. Monsieur Kunz, je crois que c'est la première fois que je vous applaudis depuis que je siège ici. Je vous félicite.
J'ai lu également le rapport de minorité du parti libéral. Je dois dire que je n'ai pas été vraiment étonné. Le parti libéral a une vision de la démocratie assez restrictive : non seulement il s'oppose au droit de vote des étrangers en matière communale, mais il s'est aussi opposé au droit d'éligibilité des fonctionnaires au Grand Conseil. Vous ne voudriez pas que je sois là, je comprends votre réaction.
J'ai lu le rapport de minorité de l'UDC. Je n'ai pas non plus été étonné que l'UDC soit contre le droit de vote et d'éligibilité des étrangers en matière communale. La position est constante. D'ailleurs, l'UDC est aussi contre les projets actuels de naturalisation facilitée. Cela ne m'étonne pas non plus.
En fait, l'UDC a toujours été quelque part contre les étrangers. Elle utilise cette - je ne dirais pas haine - mais xénophobie pour engranger des voix. Sur tout ce qui touche à l'immigration, l'UDC organise à mon avis une désinformation systématique. L'UDC manipule l'information... (Brouhaha. L'orateur est interpellé.)Les publicités, les affiches, les encarts dans les journaux sont ignobles. Je veux vous dire, très sérieusement, que le message que vous voulez faire passer - si ce n'est pas vous, ce sont vos amis bien proches - sur les musulmans est erroné. Le musulman terroriste, le musulman intégriste, le musulman inapte à la modernité, cette image me dégoûte, je la trouve scandaleuse. Voilà un peu ce que je voulais vous dire. Je ne suis pas étonné de vos positions, mais franchement elles me dégoûtent.
M. Christian Grobet (AdG). J'aimerais dire à M. Weiss ainsi qu'aux représentants de l'UDC que je suis aussi attaché qu'eux à ma citoyenneté suisse. J'y suis très attaché. J'ai une autre nationalité d'origine et depuis que je suis citoyen suisse, je n'ai pas voulu renouveler le passeport de cet autre Etat parce que précisément, je suis très attaché à ce qui est mon pays.
C'est précisément parce que je suis attaché à mon pays que je comprends totalement que d'autres personnes qui résident ici restent attachées aux leurs. Je comprends donc qu'elles n'aient pas envie de devenir des citoyens suisses et d'entreprendre une démarche qui pourrait leur apparaître en quelque sorte comme un abandon de leur origine à laquelle elles sont très attachées.
Ce qui est paradoxal, c'est qu'on constate que ceux qui restent attachés à leur nationalité d'origine parmi les étrangers qui vivent à Genève sont souvent les plus proches de nous : des ressortissants français, des ressortissants italiens ou espagnols. Ce sont souvent ceux qui viennent des pays les plus éloignés qui ont hâte de devenir suisses. Je trouve que l'on doit respecter des gens qui vivent chez nous et qui contribuent à la prospérité du canton. Ils contribuent surtout à ce climat assez extraordinaire que nous vantons : cette Genève multiculturelle, cette Genève ouverte qui est extraordinaire. Les gens qui viennent ici sont toujours frappés à quel point Genève est ouverte à des gens de tous les horizons.
A partir de là, je trouve qu'il y a un respect à avoir à l'égard de celles et ceux qui vivent depuis de très nombreuses années dans notre canton. L'autre soir, j'étais à la poste de Montbrillant et j'ai parlé avec un Italien dont la femme est suisse. Il est là depuis vingt ans et on voit qu'il est totalement intégré. Voilà quelqu'un qui reste attaché à sa nationalité italienne et qui ne peut même pas se prononcer sur des questions qui le touchent directement dans sa commune.
Je pense que cette situation n'est pas normale. Nous devons faire preuve d'ouverture et ce droit de vote au niveau communal, accordé après un certain nombre d'années de résidence, est un droit minimum que nous devons accorder. C'est dans l'intérêt de tout le monde de pouvoir associer le plus possible nos concitoyens, au sens large du terme, à la gestion de nos affaires.
C'est la raison pour laquelle, bien entendu, l'intégralité des députés de l'Alliance de gauche est favorable aux deux initiatives.
J'aimerais toutefois, à titre personnel, faire une proposition. J'étais de ceux qui, lors du premier débat, considéraient qu'on devait se contenter du droit de vote. Je suis persuadé que si nous avions voté uniquement sur le droit de vote communal, l'initiative ayant échoué de très peu, je pense que ce droit aurait été acquis. Le problème du droit d'éligibilité - j'y suis favorable sur le plan communal - est un problème plus délicat. Ce que je crains - et j'espère que M. Weiss se trompe - c'est qu'en mettant simultanément au vote ces deux initiatives, on risque d'avoir plus de voix négatives qu'on pourrait le penser. J'ai toujours été pour la politique des petits pas, en matière de droits civiques comme en d'autres domaines. Je trouve, Monsieur le président du Conseil d'Etat, que vous devriez réfléchir à faire voter d'abord sur l'initiative du droit de vote et ensuite, plus tard, sur la deuxième initiative. C'était une très bonne idée de lancer les deux initiatives, mais ce serait dramatique que nous perdions une deuxième fois sur une question sur laquelle il serait possible de l'emporter. J'ai l'impression, avec les personnes qui se sont ralliées à l'initiative cadette, qu'un vote favorable est possible sur cette dernière. Je ne voudrais pas que cette initiative échoue, parce qu'on voudrait faire simultanément le second pas qui pourrait être le pas de trop.
M. Guy Mettan (PDC). Beaucoup de choses ont déjà été dites et je ne voudrais pas prolonger inutilement le débat. Il se trouve que je suis membre du comité d'initiative et j'aimerais rappeler deux arguments qui n'ont pas encore été tellement mentionnés ce soir qui m'ont fait adhérer à ces comités d'initiatives.
Si je suis favorable sur le principe à ces deux initiatives, c'est d'abord par pragmatisme. J'ai simplement constaté, au cours de ma vie de citoyen, que les étrangers à qui on accordait le droit de vote ou qu'on intégrait dans notre communauté devenaient très rapidement plus suisses que les autres suisses. Dès lors, Messieurs de l'UDC, je ne comprends pas votre résistance. Vous avez chez vous, dans vos propres rangs, des exemples parlant - je pense à M. Freysinger, mais il y en a des tas d'autres - de gens qui étaient étrangers et qui, dès qu'on leur a donné l'occasion de devenir suisses, ont même voté pour votre parti parce qu'ils sont devenus plus Suisses que les Suisses. Alors de quoi avez-vous peur ? Monsieur Letellier, vous êtes vous-mêmes un exemple de cela. Je ne comprends donc pas votre résistance.
Nous avons, dans notre législation, deux façons d'intégrer les étrangers. La naturalisation facilitée d'une part et le droit de vote dont on parle maintenant. Vous êtes, Messieurs de l'UDC, opposés aux deux choses, alors même que vous savez vous-mêmes que nombre d'étrangers deviennent suisses parce qu'ils se sentent intégrés, ils se trouvent bien dans notre pays et très rapidement, ils adoptent nos valeurs à 120% plutôt qu'à 100%. Dès lors, vous n'avez pas de crainte à avoir et je ne comprends pas vos réticences à ce sujet. C'est le pragmatisme qui parle.
J'aimerais encore dire une chose. Qui dans ce parlement aurait pu être élu comme député si, à un moment donné, dans l'histoire de sa famille, des gens n'avaient pas accepté une naturalisation facilitée ou une intégration ? Nous sommes tous des étrangers et des descendants d'étrangers et c'est grâce à l'ouverture d'esprit de nos ancêtres que nous sommes aujourd'hui éligibles dans ce parlement. Je ne vois donc pas pourquoi, aujourd'hui, en 2004, nous devrions être plus rétrogrades que nos ancêtres.
La deuxième raison, c'est que j'ai l'intime conviction que le code de la nationalité en vigueur est devenu obsolète. En effet, dans un monde qui est de plus en plus ouvert, de plus en plus globalisé, nous assistons à l'émergence d'une double citoyenneté : une citoyenneté nationale, locale, et une citoyenneté mondiale, universelle.
Nous, comme citoyens, nous avons besoin de ces deux nationalités. Moi, je me sens citoyen de Genève, de ma commune et je me sens citoyen du monde. Alors pourquoi une ville qui se prétend internationale comme Genève refuserait-elle cette double citoyenneté ? Là je me tourne vers nos amis libéraux : votre parti défend la globalisation et refuse cette double citoyenneté ! Il me semble que si nous nous prétendons internationaux, nous devrions ouvrir une brèche en faveur de cette double citoyenneté et admettre qu'on peut être à la fois pleinement citoyen de notre ville et de notre canton et citoyen du monde.
En accordant le droit de vote et le droit d'éligibilité, nous ouvrons cette brèche et nous permettons enfin de ne plus exclure 38% de la population de la participation à notre vie politique.
M. Antoine Droin (S). Ce soir, j'aimerais apporter peut-être un autre regard, surtout par rapport aux deux partis qui sont particulièrement opposés à ces deux initiatives. On a beaucoup entendu de choses ce soir, mais personne n'a parlé de la question de l'ethnocentrisme.
Je pense que trop souvent le regard que l'on pose sur l'autre fait référence à ce qu'on est soi-même et ne prend pas en compte le regard que l'autre peut avoir sur lui-même et celui qu'il peut porter sur notre civilisation. Il me semble que quelquefois, il est important, primordial, qu'on puisse se mettre aussi dans la peau des autres et arrêter de juger à partir de son aspect «bon Suisse».
J'ai entendu ce soir que les initiatives iraient à l'encontre des intérêts de la Suisse. Qu'est-ce que c'est que les intérêts de la Suisse ? En quoi être étranger serait synonyme d'être contre les intérêts de la Suisse ? J'avoue très franchement que je ne comprends pas. Est-ce qu'être suisse c'est être un super-citoyen ? Est-ce que c'est être en-dessus d'un citoyen de n'importe où ?
On a entendu également que la naturalisation est le couronnement de l'intégration. Nous pourrions tous et toutes faire un exemple d'humilité en ne prenant les autres que pour ce qu'ils sont comme hommes et comme femmes en cessant de les traiter d'étranger et de l'exclure pour cela. Les choses iraient bien mieux sans doute.
Je rejoins les propos de M. Mettan : qu'est-ce que la Suisse aujourd'hui dans un monde qui s'universalise, dans une Europe qui est de plus en plus ouverte ? Le monde de demain, ce n'est justement pas l'ethnocentrisme dont je parlais tout à l'heure, mais c'est bien une citoyenneté universelle et je pense que les deux initiatives vont dans ce sens. C'est pourquoi je vous demande de les accepter.
M. Jacques Pagan (UDC), rapporteur de deuxième minorité. J'aurais souhaité, Madame la présidente, pouvoir répondre, le cas échéant, aux propos de M. Pierre Kunz. (Brouhaha.)Peut-être ma connaissance de la loi portant règlement du Grand Conseil est-elle insuffisante... C'est le privilège de M. le rapporteur de majorité de conclure. Bien.
J'aimerais simplement résumer les débats : nous sommes en présence de deux écoles qui s'affrontent. L'une, représentée par l'UDC et le parti libéral, pense que les droits politiques au niveau communal font partie intégrante de la nationalité suisse. Nous devons donc faciliter en quelque sorte l'accession à la nationalité suisse en dehors de laquelle il n'est pas possible d'avoir une activité politique dans notre pays. Cela me paraît absolument normal, cela n'a rien de révolutionnaire. Ce n'est pas du tout dirigé contre les étrangers, c'est simplement conforme à notre ordre juridique actuel. Je me permets à ce sujet de vous renvoyer à l'article 3 de la loi sur l'exercice des droits politiques qui dispose précisément que l'activité politique au niveau communal est réservée aux ressortissants suisses.
Il y a l'autre école qui dit qu'il faut être plus libre, plus généreux, plus ouvert, etc. Je comprends que des gens aient cet avis-là et le défendent. Je ne suis simplement pas d'accord avec eux, ils ne sont pas d'accord avec moi. Il appartiendra au peuple souverain de trancher. Je crois qu'à un moment donné il n'est plus possible de dialoguer, d'échanger, parce que les positions sont clairement établies et on ne peut rien faire pour rapprocher ces deux blocs-là. De notre côté, il y a une question de principe qui est absolument incontournable.
Il n'y a pas de peur de l'UDC vis-à-vis des étrangers. Il n'y a pas de résistance de l'UDC vis-à-vis des étrangers. Je suis même un tout petit peu étonné de la manière dont les étrangers sont traités dans cette enceinte... On parle toujours d'intégration, on parle d'assimilation, mais, dans le fond, les étrangers qui viennent chez nous, on ne leur demande que de respecter notre ordre public et les autres, Suisses comme étrangers. C'est tout. A part cela, on ne veut les contraindre en rien. S'ils ne veulent pas s'intégrer, c'est leur affaire et cela fait partie de leur liberté. Ils ne veulent pas s'assimiler, c'est leur affaire, cela fait partie de leur liberté. Ils ne veulent pas demander le bénéfice de la naturalisation suisse, c'est leur affaire et leur liberté. Je crois qu'il faut savoir aussi respecter l'étranger dans tout ce qu'il a d'original et d'irremplaçable. C'est cela que je voulais vous dire.
Moi, Monsieur Mettan, je suis comme vous un citoyen du monde, mais j'aimerais simplement rappeler que cette notion n'est pas une notion juridique ou politique. Elle vient en droite ligne du philosophe Socrate qui disait qu'avec la recherche de la philosophie, de la sagesse, nous pouvons tous être citoyens du monde parce que, Dieu merci, les vérités fondamentales, transcendantales, unissent tous les peuples du monde quel que soit le régime politique auquel ils appartiennent.
M. Patrice Plojoux (L), rapporteur de première minorité. M. Guérini nous disait tout à l'heure que si une personne ne désire pas acquérir la nationalité, alors qu'elle le peut, il n'y a pas de raison que cette personne devienne un citoyen de deuxième zone. Nous sommes de ceux qui pensons au contraire que le titre de citoyen n'est pas gratuit, parce que ce qui est gratuit, c'est le cas de le dire, est sans valeur. Le titre de citoyen doit faire l'objet d'un désir mutuel et d'une volonté manifestée de celui qui désire l'obtenir.
En ce qui concerne les audaces dont nous devrions faire preuve aujourd'hui, Monsieur Hiltpold, en accordant le droit de vote aux étrangers, il me semble que cela nous ramène à la question de la réciprocité. Parlons de réciprocité justement. Etre citoyen du monde, c'est effectivement un beau projet, mais de nombreux Suisses de l'étranger aimeraient également obtenir les droits que l'on veut donner aux étrangers chez nous. Or, en accordant ces droits, on s'enlève tout moyen de négocier, dans le futur, pour obtenir cette réciprocité. J'aimerais rappeler qu'en Europe ce n'est pas loin donc et beaucoup parmi vous sont de ceux qui aimeraient que la Suisse rejoigne l'Europe, un citoyen étranger ne peut pas être membre d'un exécutif communal, maire ou adjoint, et ce même s'il est européen. C'est le cas en France par exemple. En Europe toujours, le citoyen européen peut effectivement obtenir le droit de vote dans un autre pays, mais il doit choisir le lieu où il veut voter. Il ne peut pas voter dans deux lieux à la fois, il doit donc abandonner un autre lieu. Je crois que ce sont aussi des arguments importants. Ce sont des éléments qu'il ne faut pas galvauder en vue de négociations que nous aurons dans le futur. Il faut permettre à nos négociateurs d'avoir ces arguments en main lorsqu'ils devront s'en saisir.
Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, je crois que la parole appartiendra maintenant aux citoyens lors de la prochaine votation. Ils auront l'occasion de revenir sur ces arguments.
M. Pierre Kunz (R), rapporteur de majorité. Ce débat a mis en évidence le grand malentendu qui règne au sujet de la citoyenneté. Ce malentendu règne particulièrement dans notre pays qui commence si lentement et aujourd'hui seulement à s'ouvrir à un monde qui change, évolue et grandit si vite.
Etre citoyen, écrit M. Plojoux dans son rapport, c'est appartenir à une cité. Eh bien, Monsieur Plojoux, c'est exactement ce que je pense et ce que pensent les initiants. Pourtant, et c'est la confusion à éviter, la citoyenneté, la qualité de membre de la cité, n'équivaut pas, en tant que telle, à l'appartenance à une nation. Il s'agit de deux échelles très différentes : d'une part l'échelle de la vie quotidienne, de la vie des gens, et, d'autre part, celle du passeport celle de l'appartenance à une nation construite à coup d'actes législatifs dans les meilleurs cas et à coups de fusils dans les autres.
Or, nous avons intérêt, nous avons même besoin, d'une participation accrue des étrangers à la vie de nos communautés, de nos villages, de nos quartiers. Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur Plojoux, Monsieur Pagan, adopter ces initiatives ce n'est certainement pas faire preuve de générosité, ce n'est certainement pas faire preuve d'humanitarisme, c'est agir dans l'intérêt bien compris de Genève et de son avenir.
Présidence de M. Pascal Pétroz, président
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Je commencerai par un clin d'oeil historique et patriotique. Vous savez tous que nous ancêtres qui vivaient dans cette région étaient les Allobroges. Vous êtes probablement moins nombreux à savoir qu'en gaulois «allobroge» signifie «peuple venu d'ailleurs». S'il y avait, à Genève, autant d'étrangers que le montrent les statistiques, il y a fort longtemps que notre République aurait connu des problèmes extrêmement difficiles. La réalité, nous la connaissons tous, c'est que bon nombre de ces étrangers de passeport sont en réalité des Genevois de résidence, de coeur. Ils travaillent chez nous et contribuent, financièrement, culturellement, au rayonnement de notre cité. S'il y a avait 38% d'étrangers à Genève, c'est-à-dire de gens qui sont complètement à côté de ce qu'est Genève, ce serait totalement invivable. Le fait est qu'il existe cette catégorie d'habitants de ce pays qu'on appelait à Athènes des métèques. Ils étaient là depuis longtemps, ils participaient depuis longtemps, mais ils n'avaient aucun droit démocratique.
Pourquoi sommes-nous dans cette situation et comment pouvons-nous en sortir ? Principalement - et c'est un point sur lequel je me félicite d'une unanimité incluant l'UDC - c'est l'extrême nécessité, sur un territoire limité, de faire les efforts nécessaires pour que la population soit intégrée, qu'elle ait une cohérence, qu'elle ait une capacité à vivre ensemble.
A partir de là, il y a évidemment plusieurs méthodes - Monsieur le président du Conseil d'Etat vous me pardonnerez - il y a les excellents travaux du bureau de l'intégration. De façon plus large et institutionnelle, au début, au milieu ou à la fin de l'intégration, on peut en discuter, il y a la naturalisation. Elle est plus ou moins rapide et facile, plus ou moins conditionnée, on peut aussi en discuter.
L'histoire montre que ceux qui étaient étrangers à Genève, encore étrangers ou déjà devenus suisses, sont parmi ceux qui ont fait énormément pour le rayonnement de notre cité.
Le droit de vote aux étrangers selon les conditions des deux initiatives, ce n'est certes pas la panacée. J'aurais, pour des raisons philosophiques, toutes sortes d'objections à ce système. Pourtant, comme le Conseil d'Etat qui soutient massivement ce projet, je suis arrivé à la conclusion que c'était un des éléments qui permet effectivement d'exister à cette situation très curieuse de Genève, à ce multiculturalisme dont beaucoup ont vanté les qualités. Nous devons développer notre capacité d'intégration et, de ce point de vue, l'octroi du droit de vote aux étrangers comme le droit d'éligibilité, tel que proposés par l'une ou l'autre des deux initiatives, vont dans le sens des intérêts de la République en favorisant la cohésion de sa population. (Applaudissements.)
Le président. Je vais vous donner quelques précisions sur la procédure de vote qui est réglée par l'article 121 alinéa 2 de notre règlement : «Le débat se conclut par un vote sur l'acceptation ou le refus de l'initiative. En cas de refus, le Grand Conseil décide immédiatement de préparer ou non un contre-projet qui peut, le cas échéant, être approuvé lors de la même séance.» Nous allons donc procéder à un vote ou deux selon le résultat du premier. Je vais vous faire voter successivement sur l'IN 122, puis sur l'IN 123. Nous voterons tout d'abord sur l'acceptation de l'initiative 122. Si elle est acceptée, nous passerons au vote sur l'IN 123. Si elle n'est pas acceptée, je vous ferai voter sur le principe du contreprojet. En principe, ce contreprojet devrait être élaboré par la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil qui s'est chargée de l'examen au fond de cette question.
Je vous vois perplexe, Monsieur Grobet, ce n'est pas moi qui le dit, c'est l'article 121 alinéa 2. En ce qui concerne les problèmes juridiques, je vous regarde toujours parce que, quand vous êtes perplexe, c'est en général mauvais signe... En l'occurrence, j'ai bien lu le règlement.
Je mets aux voix l'initiative 122. (Brouhaha.)L'appel nominal est demandé et largement soutenu.
Mise aux voix à l'appel nominal, l'initiative 122 est acceptée par 45 oui contre 28 non et 2 abstentions.
Le président. Je mets aux voix l'initiative 123. L'appel nominal est également demandé et soutenu.
Mise aux voix à l'appel nominal, l'initiative 123 est acceptée par 49 oui contre 22 non et 4 abstentions.
Le président. Vu l'heure tardive, je lève la séance et vous souhaite un bon retour dans vos foyers.