République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 août 2004 à 10h40
55e législature - 3e année - 10e session - 62e séance
PL 9169-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
M. Bernard Lescaze (R), rapporteur. L'état d'avancement très lent de nos travaux a fait que, si ce projet de loi et mon rapport étaient prêts à être votés au mois de juin, les choses ont, depuis, un peu avancé du côté de l'université. L'université a en effet souhaité s'efforcer de trouver une solution romande, qui se résume à une solution Lausanne-Genève-Neuchâtel. Nous espérons toujours qu'il y aura une solution romande pour ces titres. Cependant, dans ces conditions, la commission de l'enseignement supérieur, qui s'est réunie hier en présence de M. le conseiller d'Etat Charles Beer, a légèrement modifié, à l'unanimité des partis qui étaient tous représentés, l'article 68 du projet de loi - on va en distribuer la nouvelle teneur, pour ceux qui le souhaitent. Cet article dira désormais: «L'université confère les grades de bachelor, de master et de doctorat. Elle peut délivrer des certificats de spécialisation scientifique ou professionnelle.» Cela est tout à fait conforme à la déclaration de Bologne, à la nomenclature internationale, et la Conférence des recteurs des universités suisses, le 14 juillet dernier, a notamment confirmé que la version anglaise, conforme aux directives de la CRUS, sera toujours la version officielle.
Nous sommes dans un terroir de langue française et, très légitimement, les députés ont souhaité que, comme c'est possible car cela est prévu, au verso de ce diplôme en langue anglaise, il y ait une traduction française. C'est pourquoi nous rajoutons un alinéa 2 à l'article 68: «Le Conseil de l'université» - c'est-à-dire ce Conseil où sont à la fois représentés des professeurs, des étudiants, le personnel administratif et technique et le corps intermédiaire, c'est-à-dire les assistants - «détermine l'équivalent français des titres décernés par l'université.» Nous n'avons pas voulu, nous, introduire dans la loi, cet équivalent; nous n'avons pas voulu nous-mêmes faire le travail de traducteurs, puisqu'il y a possibilité d'union entre les universités romandes. Nous souhaiterions d'ailleurs que la terminologie française soit, si possible, équivalente à la terminologie de la France et de la Belgique, à défaut du Canada, parce que nous pensons qu'il est important qu'il y ait une certaine unification. Mais comme cela ne semble pas être possible - ce n'est en tout cas pas la tâche du Grand Conseil de la République et canton de Genève - d'imposer une traduction qui serait allobroge et qui n'irait pas plus loin que les limites de l'ancien territoire allobroge, nous avons décidé, à l'unanimité, de maintenir les titres en anglais, conformément à la déclaration de Bologne, et d'offrir à l'Université de Genève le soin de déterminer elle-même, en relation avec les autres universités romandes, la traduction qu'elle souhaite. Voilà le travail de la commission, qui est unanime.
J'aimerais, à titre personnel, ajouter que cette question de terminologie n'est pas si anodine qu'il y paraît: en effet, le système de Bologne vise à développer la mobilité dans le temps et l'espace et vise, notamment, à ce que, après trois années d'études universitaires, le titre reçu soit utile dans le marché du travail. Par exemple, la seule université suisse où, pour la première fois, des étudiants sortent avec le bachelor au bout de trois ans, c'est l'Université de Saint-Gall. Et, non pas à ma surprise personnelle mais, semble-t-il, à la surprise de certains enseignants universitaires, 65% des étudiants ont décidé d'entrer dans la vie active et de ne pas faire une maîtrise, un master - ou de faire un master dans une autre université ou encore de revenir à l'université après quelques années de vie pratique.
C'est donc bien là le but de Bologne, et on doit un peu regretter que certaines tentatives, à l'Université de Genève, visent à donner un titre quelque peu ridicule en français, pour faire en sorte que, après trois d'études, les étudiants n'aient pas un titre universitaire qui soit présentable sur le marché. Cette petite crainte, l'attitude des étudiants de Saint-Gall le prouve, est probablement exagérée, dans la mesure où je crois que, sur le plan international, les équivalents anglais s'imposeront de toute façon partout: bachelor, master et docteur.
J'espère avoir été à la fois concis et clair, sur un sujet qui est délicat et qui a plus d'impact qu'on ne le croit sur les plans de l'éducation et de l'économie.
Présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny, première vice-présidente
M. Souhail Mouhanna (AdG). Nous sommes en train d'examiner un certain nombre d'éléments concernant le processus de Bologne, qui me semblent, par rapport au processus lui-même, d'une importance tout à fait secondaire. Nous avons discuté d'une manière tout à fait périphérique de ce processus de Bologne mais, du processus lui-même, de manière approfondie, il n'a jamais été question, parce que le processus démocratique avait été violé, transgressé par la personne qui a signé au nom de la Suisse - il s'agit de M. Charles Kleiber, secrétaire d'Etat. Il n'y a jamais eu de discussion, de concertation ou de débat sur le processus lui-même ni sur le contenu de ce processus. Aujourd'hui on examine des miettes, sur le plan démocratique, pour nous faire croire que nous avons notre mot à dire sur quelque chose d'important, alors qu'il s'agit de quelque chose de tout à fait secondaire.
Ce que j'entends dénoncer par mon intervention c'est justement cette dérive anti-démocratique que représente le processus de Bologne. Il s'agit, pour nous à l'Alliance de gauche, d'un processus qui va à l'encontre de la démocratisation des études. M. Lescaze a parlé, tout à l'heure, d'un taux d'étudiants de l'ordre de 65% entrant dans la vie active: cela montre bien que le processus de Bologne va dans le sens d'une régression de la qualité. On dit que le processus de Bologne va rehausser le niveau de formation; je prétends que non, parce que, actuellement, pour avoir une licence, il faut généralement quatre ans d'études; avec le processus de Bologne, si je me réfère au chiffre avancé par M. Lescaze, 65% de gens, au bout de trois ans, rentreraient dans la vie active. Cela montre bien que 65% de gens seraient donc moins bien formés. D'ailleurs, dans les décisions de la Confédération concernant les subventions pour la formation, on a constaté une baisse extrêmement forte des subventions, notamment dans le domaine de la formation dans les hautes écoles spécialisées, et lorsque l'on sait que, au bout de trois ans, seuls 25% des étudiants continuent, cela constitue bien la preuve que le niveau de la formation va baisser.
Par ailleurs, on a choisi l'option de la «marchandisation» de la formation: les étudiants deviennent des clients, le marché devient un marché de la formation, on va tout droit dans le sens de l'AGCS, l'Accord général sur le commerce des services. On veut justement chercher la rentabilité exclusivement à court et à moyen termes. Or, comme on le sait, l'université a d'autres tâches que celle de fournir de la main-d'oeuvre aux entreprises. Il s'agit d'un lieu où se prépare l'avenir à très long terme: la recherche fondamentale est essentielle et, de la manière dont les choses sont en train d'évoluer en ce moment, nous allons complètement à l'encontre de cette mission fondamentale de l'université et de la formation supérieure.
Nous sommes contre le processus de Bologne, mais les propositions de M. Lescaze constituent un petit quelque chose de positif. Ainsi, notre position est la suivante: un navire va dans une mauvaise direction mais, à l'intérieur de ce navire, certains aménagements pourraient être bons ou meilleurs que d'autres.
C'est la raison pour laquelle nous sommes en faveur des quelques modifications, c'est-à-dire les amendements de M. Lescaze, mais globalement, nous ne voterons ces différents éléments. Nous nous abstiendrons, donc.
M. Thierry Charollais (S). Ces projets de lois, l'un déposé par le Conseil d'Etat, l'autre par trois de nos collègues, ont le même objectif: fixer les modalités d'application de la déclaration de Bologne à l'université de Genève. En gros, ce texte a pour but d'harmoniser les structures d'études en Europe et d'améliorer la reconnaissance des diplômes entre les universités européennes. Autrement dit, il s'agit de créer un espace universitaire commun dans lequel les étudiants, dont ceux de l'université de Genève, pourront suivre une formation de qualité, basée sur la reconnaissance des diplômes et, par conséquent, un meilleur accès à l'emploi. Concrètement, les objectifs de la déclaration de Bologne ont été précisés dans les Directives du 4 décembre 2003, éditées par la Conférence universitaire suisse. Ces directives, contraignantes, concernent l'université de Genève dans son ensemble, que ce soient ses professeurs, ses assistants, ses chercheurs, ses étudiants autant que la recherche que l'on y mène ou l'enseignement que l'on y donne. C'est donc la place de l'université de Genève dans le paysage universitaire suisse et européen qui est en jeu. Il faut savoir que des critiques et des objections s'élèvent, face au système Bologne. Des craintes sont exprimées, non seulement par des étudiants, mais également par des membres du corps intermédiaire ou professoral. D'ailleurs, en ce qui concerne les critiques des étudiants, on peut notamment se référer au supplément «Emploi» du journal «Le Temps» paru aujourd'hui.
Parmi ces craintes figure celle que la qualité de l'enseignement universitaire soit sacrifiée sur l'autel de la compétitivité entre les instituts universitaires, c'est-à-dire que les critères de rentabilité soient retenus au détriment de la diversité des filières offertes, de certains programmes de recherche ou, tout simplement, du bon fonctionnement de l'institution.
Une deuxième crainte concerne la mobilité des étudiants, qui serait réservée à une élite pouvant seule assumer des coûts pour étudier dans telle ou telle université. Autrement dit, il s'agit d'une menace pesant sur la démocratisation des études qui est soulevée ici.
Enfin, troisième crainte: celle que la mise en oeuvre la Déclaration de Bologne soit trop hâtive, c'est-à-dire bâclée en fonction d'échéances fixées de manière technocratique. Autrement dit, une mise en oeuvre qui aurait pour conséquences des problèmes d'adaptation des règlements des études et une surcharge du travail administratif.
A notre sens, ces craintes sont fondées. De ce point de vue, le projet de loi du Conseil d'Etat vise à répondre à ces craintes. En effet, le Conseil d'Etat a raison de prôner une mise en oeuvre suivant des critères définis, destinés à rendre cette réforme pertinente. D'une part, on nous propose une mise en oeuvre progressive des directives de la CUS, qui concernent uniquement les subdivisions universitaires devant entrer dans le système Bologne pour la rentrée 2004; d'autre part, les critères d'adhésion doivent obéir à un objectif de légitimité: d'abord au sein de la subdivision concernée, où un fort consensus doit exister; ensuite la subdivision doit être soumise à une forte concurrence de la part d'un autre établissement supérieur. Finalement, des questions d'application concrètes au nouveau cursus de formation des étudiants doivent être réglées.
En deux mots, le Conseil d'Etat veut appliquer les directives de la CUS de manière progressive, consensuelle, prudente et qui soit légitime aux yeux de tous. En outre, le Conseil d'Etat est conscient que seules certaines subdivisions de l'université sont prêtes à entrer dans ce nouveau système, mais que la majorité ne l'est pas encore. Cela mérite notre soutien.
Concernant le projet de loi de nos collègues Lescaze, de Tassigny et Weiss, il soulève plus spécifiquement la question de la dénomination des diplômes ainsi que de la langue utilisée pour l'appellation de ces diplômes. Ce n'est pas un problème anecdotique. Bachelor, master, baccalauréat académique: on pourrait conclure à un combat linguistique qui tient plus du point de détail. Or, donner un nom constitue la première étape pour reconnaître une chose, une idée, une personne. La langue utilisée procède de la même démarche, même si certaines langues, ou plutôt une en particulier a tendance à dominer dans le monde universitaire.
Ce projet de loi réclame les deux points suivants: une dénomination commune de tous les titres universitaires à l'Université de Genève, ceci suivant les recommandations de la CUS et de la CRUS; la nécessité que figure, sur tous les diplômes délivrés sous le système Bologne, le titre traduit en français. Or nous avons vu avec satisfaction, cela a été rappelé notamment par le rapporteur, que les recteurs des universités de Lausanne, Genève et Neuchâtel ont répondu à cette préoccupation linguistique dans leur lettre du 14 juillet dernier.
Vous l'aurez donc compris, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste soutiendra ces deux projets de lois. (Applaudissements.)
Présidence de M. Pascal Pétroz, président
M. Jacques Baud (UDC). Je veux parler à propos de l'EPFL qui a introduit le master dernièrement. Un certain nombre d'étudiants genevois vont donc passer ce master. Ils sont, pour beaucoup, subventionnés, donc ils ont une bourse de l'Etat de Genève. Est-ce qu'au verso de leur master, délivré par l'EPFL, il faudra qu'il y ait une traduction en français ? Pour qui ? On se le demande ! Cela devient un peu ridicule. Le terme «master» est reconnu sur le plan international. Je pense que cela suffit amplement. Il faut arrêter d'avoir cette manie de vouloir tout franciser. J'ai vu au Canada, dans des traductions en français, des anglicismes qui étaient d'un ridicule achevé, comme «la pompière».
On part dans le même sens, ici. Cela n'est pas acceptable, surtout au niveau universitaire. Cela devient ridicule. Acceptons ce qui est, un master est un master, il est reconnu internationalement, et arrêtons avec ces histoires de vouloir tout traduire en français, c'est vraiment ridicule.
M. Claude Aubert (L). Une brève intervention pour rétablir un certain équilibre. On peut, devant tout changement, osciller entre le doute et le soupçon - et mes préopinants étaient plutôt de cette catégorie - mais le silence d'une partie des députés peut aussi indiquer que beaucoup de gens oscillent entre la confiance et l'engagement. Il fallait souligner ici que le processus de Bologne, comme tout processus, dépend de ce que l'on en fait. Il y a des gens pour qui l'avenir est dans le progrès.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous allons voter sur la prise en considération de ce projet de loi issu des travaux de la commission. Monsieur le rapporteur, si j'ai bien compris, il y a une petite subtilité: les deux projets sont fondus en un seul. Il s'agit donc de voter la prise en considération du projet de loi qui figure en page 9 de votre rapport.
Les lois 9169-A et 9175-A sont regroupées en une seule loi.
Mise aux voix, la loi 9169-9175 est adoptée en premier débat par 51 oui et 6 abstentions.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les articles 65, alinéa 2 (nouvelle teneur) et 67, alinéa 5 (nouveau).
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement consistant à modifier l'alinéa 1 de l'article 68 et à ajouter un alinéa 2. Voici la teneur de cet amendement: Grades des étudiants (nouvelle teneur, l'alinéa 2 ancien devenant l'alinéa 3). 1 L'université confère les grades de bachelor, de master et de doctorat. Elle peut délivrer des certificats de spécialisation scientifique ou professionnelle. 2 Le Conseil de l'université détermine l'équivalent français des titres décernés par l'université.
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 59 oui (unanimité des votants).
Mis aux voix, l'article 68 ainsi amendé est adopté, de même que l'article 100.
Mis aux voix, l'article 1 (souligné) est adopté, de même que l'article 2 (souligné).
Troisième débat
La loi 9169-9175 est adoptée article par article.
Mise aux voix, la loi 9169-9175 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 61 oui et 7 abstentions.