République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 13 février 2004 à 20h30
55e législature - 3e année - 5e session - 25e séance
PL 9172-A
Premier débat
(M. Grobet vient s'asseoir à la table des rapporteurs.)
Le président. J'espère que vous avez bien mangé... J'essaie de meubler, Monsieur Grobet, le temps que vous vous assoyiez... Avez-vous quelque chose à ajouter à votre rapport, Monsieur le rapporteur ?
M. Christian Grobet (AdG), rapporteur. Monsieur le président, quel que soit le respect que j'éprouve à votre égard, je vois mal comment je pourrais ne pas apporter de complément à un rapport qui n'existe pas ! (Rires et commentaires.)La commission dont vous faites partie m'a chargé de faire un rapport oral. Je ne le compléterai donc pas: je vais le faire tout court !
Je me permets de vous rappeler que notre Grand Conseil a, le 14 novembre 2002, adopté la loi 8636 créant le Tribunal cantonal des assurances sociales, dont l'organisation a été définie par les articles 56T à 56W nouveaux de la loi sur l'organisation judiciaire. La composition du Tribunal cantonal des assurances sociales telle que retenue par notre Grand Conseil comporte des sections composées de trois juges, à savoir: un juge de métier et deux assesseurs représentant respectivement les milieux des employeurs et des travailleurs. Lorsque le Grand Conseil a adopté cette loi, il a été proposé par le Conseil d'Etat que ces juges assesseurs soient élus par le Grand Conseil, et non par le peuple, comme cela est le cas pour l'ensemble des magistrats du pouvoir judiciaire - à l'exclusion du Tribunal des prud'hommes, dont le statut est particulier.
Le Grand Conseil ne s'étant pas souvenu des conditions de l'article 134 de la Constitution, il a, au mois de juin 2003, élu les seize juges assesseurs appelés à siéger au Tribunal des assurances sociales. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)Peu de temps après cette élection, un citoyen a saisi le Tribunal fédéral d'un recours de droit public demandant l'annulation de cette élection en faisant valoir, non sans raison, que la disposition de la loi sur l'organisation judiciaire adoptée par notre Grand Conseil - à savoir l'article 56T prévoyant l'élection des juges assesseurs par le Grand Conseil - violait l'article 132 de la Constitution. A ce moment-là, un certain nombre de membres de la commission législative ont été convaincus que l'élection serait sans doute annulée puisqu'un précédent, vieux de plus de trente ans, avait fait l'objet d'un arrêt du Tribunal fédéral - lequel avait invalidé l'élection de cinq juges du Tribunal administratif élus dans des conditions similaires. Ce constat a amené la commission législative à proposer, à l'automne dernier, une modification de l'article 56T supprimant quelques mots de l'alinéa c) de cet article de sorte que la loi actuelle prévoit - ou plutôt, ne prévoit pas, devrais-je dire - cette élection par le Grand Conseil. En d'autres termes, ces juges assesseurs doivent être élus par le peuple.
Lorsque le Tribunal fédéral a, tout récemment, statué sur le recours de droit public du citoyen auquel j'ai fait allusion tout à l'heure, notre législation était déjà adaptée pour pouvoir réparer l'informalité commise. L'annulation de l'élection en permet aujourd'hui l'organisation immédiate sur la base de la disposition légale qui a été modifiée le 14 novembre 2003. En revanche, la modification législative effectuée à ce moment-là n'a pas réglé la situation qui surviendrait dans l'hypothèse d'une invalidation de l'élection, à savoir que le Tribunal des assurances ne serait plus en mesure de siéger à partir du moment où, l'élection des deux tiers des juges étant invalidée, les juges ne pourraient plus siéger.
Devant ce vide institutionnel qui a pour conséquence la paralysie du fonctionnement du Tribunal des assurances sociales jusqu'à l'organisation par le Conseil d'Etat de l'élection des juges assesseurs - laquelle aura lieu au mois de mai ou de juin - la commission législative a recherché une solution permettant au Tribunal de poursuivre son activité. Nous avons repris une disposition qui avait déjà été imaginée au mois d'octobre mais qui avait été critiquée - à mon avis, à tort - par la présidente du Tribunal des assurances. Cette disposition consiste à prévoir que trois juges de métier - et non un juge de métier et deux juges assesseurs - siégent dans les diverses sections du Tribunal des assurances sociales. Une telle disposition permettrait de garantir la collégialité des sections de ce Tribunal, ce qui correspond à l'un des objectifs de la nouvelle loi.
Nous reprenons aujourd'hui cette proposition visant à compléter la loi sur l'organisation judiciaire - dont vous avez le texte sur vos pupitres - en y introduisant une disposition transitoire. Cette disposition serait applicable uniquement à partir de la promulgation de la présente loi que nous vous proposons d'adopter et jusqu'à la date d'entrée en fonction des juges assesseurs. C'est le texte modifié de l'article 162 qui est soumis à votre approbation. Ce texte deviendra sans objet une fois que l'élection des juges assesseurs aura eu lieu et que ces derniers seront entrés en fonction. A ce moment-là, l'article ordinaire prévoyant que le juge de métier siège avec deux juges assesseurs deviendra applicable.
Pour que cette disposition légale puisse entrer en vigueur immédiatement... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)...nous vous recommandons de voter la clause d'urgence. Il s'agit d'une disposition qui soustrait au droit de référendum la disposition transitoire que nous vous proposons d'adopter afin d'en permettre l'entrée en vigueur immédiate.
J'aimerais rappeler que la clause d'urgence n'a été adoptée que très rarement par notre Grand Conseil. Elle constitue, en droit suisse, une exception au droit de référendum admise sur le plan constitutionnel tant fédéral que cantonal pour autant que l'autorité qui l'applique puisse justifier d'une urgence réelle. Dans le cas d'espèce, il s'agit d'une urgence réelle, puisque le Tribunal des assurances ne peut plus fonctionner. On se trouve devant un vide institutionnel qu'il convient de combler le plus rapidement possible. J'ajouterai que la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d'utilisation de la clause d'urgence est tout à fait claire, puisque celui-ci a récemment traité deux cas de contestation portant sur deux clauses d'urgence votées par notre Grand Conseil. Je m'excuse d'intervenir brièvement à ce sujet, Monsieur le président, mais je rappelle que le Grand Conseil est tenu de motiver les raisons pour lesquelles il adopte cette clause d'urgence s'il devait y avoir un recours contre l'adoption de la clause d'urgence. C'est la raison pour laquelle je vous expose la motivation qui, à notre sens, justifiait l'adoption de cette clause d'urgence.
Durant ces dernières années, je n'ai connaissance que de trois cas d'adoption de la clause d'urgence s'apparentant à la proposition que nous vous soumettons ce soir. Le premier cas concernait les dispositions de la loi de procédure civile sur le nouveau droit du divorce. Nous souhaitions que ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 1999, simultanément au droit fédéral. Comme nous avions voté cette loi au mois de décembre 1998, nous avions adopté la clause d'urgence afin d'être certains que le droit fédéral puisse être appliqué dans notre canton dès le 1er janvier 1999. Il s'agit là du premier cas où nous avons adopté la clause d'urgence - laquelle n'a fait l'objet d'aucune contestation. Le deuxième cas concernait un enjeu extrêmement important: il s'agissait de la loi du 19 mai 2000 assurant le refinancement de la Banque cantonale et la création de la Fondation de valorisation des actifs de la BCGe. Cette clause d'urgence a, en revanche, fait l'objet d'un recours de droit public. Le Tribunal fédéral a admis la clause d'urgence en estimant que, si le délai référendaire avait été prévu, la banque aurait dû fermer ses portes. Il a donc jugé que l'entrée en vigueur de cette loi avait un caractère urgent. La troisième clause d'urgence récemment votée par notre Grand Conseil portait sur l'entrée en vigueur immédiate de la réforme des offices des poursuites. Bien que l'urgence ait été moins évidente que dans les deux cas précédents, le Tribunal fédéral a une nouvelle fois estimé que c'était au Grand Conseil de décider s'il y avait urgence ou non. Il a donc confirmé la clause d'urgence votée par le Grand Conseil.
En résumé et en conclusion, dans le cas présent, la clause d'urgence est motivée par le fait que, si la loi n'entre pas en vigueur immédiatement, le Tribunal des assurances sociales ne pourra pas fonctionner durant encore un mois et demi. Or, ce vide institutionnel est inacceptable pour les droits des citoyens en matière de saisie de la justice. Je vous recommande donc, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir voter cette loi en trois débats immédiatement.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je dois vous dire que j'ai été quelque peu «libéral» - sans mauvais jeu de mots ! - dans l'aménagement du temps de parole dans la mesure où, comme vous l'avez très pertinemment relevé, il s'agit d'un rapport oral et que les explications que vous avez fournies permettront d'éclairer utilement le Tribunal fédéral s'il devait être saisi ultérieurement à l'occasion d'une contestation. Permettez-moi néanmoins de vous faire savoir que vous avez parlé durant treize minutes ! Record battu ! (L'orateur est interpellé par M. Grobet.)Peut-être... Quoi qu'il en soit, il faut parfois savoir faire preuve de souplesse ! La parole est à M. le député Bernard Lescaze.
M. Bernard Lescaze (R). Le groupe radical est tout à fait d'accord avec la nouvelle disposition transitoire, dont j'espère que chacun a le texte sous les yeux. M. Grobet a bien fait de rappeler l'origine du débat ainsi que la nécessité d'adopter la clause d'urgence. Nous sommes également d'avis que cette clause ne pourra faire l'objet d'aucune contestation auprès du Tribunal fédéral. La commission législative a légèrement modifié la formule proposée par M. Grobet, en tenant notamment compte des remarques des juges siégeant au Tribunal cantonal des assurances sociales. C'est bien entendu cette dernière version que nous adopterons.
Je profite de ce débat pour faire remarquer à l'assemblée que nous avons, au mois de novembre, eu raison d'ajouter à la loi une nouvelle disposition afin que les élections des substituts et des procureurs se déroulent conformément à la loi. Nous disposions là d'un avis de droit du Conseil d'Etat selon lequel des élections n'étaient pas nécessaires. Eh bien, si nous n'avions pas modifié la loi, nous nous retrouverions aujourd'hui dans une situation analogue ! Je tiens à le faire savoir, car il nous a été reproché de nous montrer quelque peu pointilleux. En réalité, nous avions raison de l'être !
Je vous recommande donc de voter les modifications apportées à la LOJ ce soir.
Le président. Merci, Monsieur le député. Le texte tel qu'il ressort des travaux de la commission a été déposé sur vos places. Il s'agit de la version A, qui a apparemment été distribuée tout à l'heure. La parole est à M. le député Olivier Vaucher.
M. Olivier Vaucher (L). Il va sans dire que le groupe libéral votera ce projet de loi ainsi que l'excellent rapport que notre collègue Grobet nous a présenté. Cette problématique étant fort juridique et n'étant moi-même pas spécialiste dans ce domaine, bien que les explications de M. Grobet aient été très claires, je lui poserai la question suivante: quel pourrait être l'objet d'un référendum ? Le problème dont nous devons traiter me paraissant clair, je vois mal pourquoi ou sur quel objet il pourrait y avoir un référendum !
Je vous remercie de me répondre tout en réitérant la volonté de notre groupe de voter ce projet de loi.
Le président. M. le rapporteur et président de la commission législative va vous répondre, Monsieur Vaucher.
M. Christian Grobet (AdG), rapporteur. La question de M. Vaucher est pertinente. Il va de soi que la modification législative que nous présentons est extrêmement modeste. Je me permets cependant de vous rappeler qu'en vertu de notre constitution genevoise, dès qu'un projet de loi - aussi modeste soit-il - est adopté, il se trouve soumis au droit de référendum. Le simple fait de modifier un mot dans une loi ouvre le droit de référendum. Au mois de novembre, on n'a du reste fait que supprimer trois mots. Dans 99% des cas, les citoyennes et citoyens ne font bien entendu pas usage de ce droit. Ce dernier est néanmoins garanti par la constitution. Par conséquent, si nous n'adoptons pas la clause d'urgence, la loi ne pourra pas entrer en vigueur avant l'expiration du délai référendaire et la promulgation de ladite loi. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Je profite de cette occasion pour compléter la remarque de M. Lescaze: nous avons en effet apporté une légère adjonction à l'article 162. Le texte est en réalité demeuré identique, mais il a été précisé qu'il n'était pas nécessaire que l'instruction de causes - c'est-à-dire l'interrogatoire des parties ou l'audition de témoins - soit conduite par trois juges, ce travail pouvant être effectué par un seul juge. Dans des juridictions telles que le Tribunal administratif ou la Cour de justice, la pratique est du reste de déléguer l'instruction à un juge. Il semblerait qu'au Tribunal des assurances sociales la pratique ait plutôt été de mener l'instruction à trois. Afin d'éviter précisément toute ambiguïté à cet égard, on accorde au tribunal cette facilité consistant à pouvoir faire instruire un dossier par un seul juge. La délibération sur les décisions devra en revanche, bien entendu, être prise par les trois juges.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. La parole est à M. le député Pierre Guérini.
M. Pierre Guérini (S). Conscient des problèmes que posait l'entrée en vigueur de la loi sur le Tribunal cantonal des assurances, le parti socialiste soutient ce projet de loi et le votera.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le président du Conseil d'Etat Robert Cramer.
M. Robert Cramer, président du Conseil d'Etat. Au nom du Conseil d'Etat, j'aimerais en premier lieu remercier la commission législative et, au premier chef, son président, Christian Grobet, également rapporteur de ce projet de loi... (L'orateur est interpellé.)... - projet de loi déposé par quelques autres éminents députés...
Des voix. Ahhh !
M. Robert Cramer. ...que je tiens également à remercier ! Vous avez en effet très rapidement mis un terme à une lacune institutionnelle affectant une juridiction importante de notre canton. Il est hautement souhaitable que l'on puisse voter ce projet de loi tel qu'il vous est soumis, notamment avec la clause d'urgence. Cette disposition permettra au Conseil d'Etat, dès la semaine prochaine et nonobstant la période des vacances scolaires, de faire publier par pouvoir provisionnel cette loi dans la «Feuille d'avis officielle». J'entends également que nous puissions poursuivre rapidement la suite des opérations en examinant la possibilité de faire procéder aux élections judiciaires complémentaires nécessaires à la plus proche échéance - soit, très vraisemblablement, au mois de mai, en même temps que les prochaines votations fédérales. Je pense que cela devrait être possible.
La loi 9172 est adoptée en trois débats par article et dans son ensemble.
(Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Le président. Voilà une affaire rondement menée