République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 décembre 2003 à 15h
55e législature - 3e année - 2e session - 7e séance
P 1443-A
Débat
M. Christian Brunier (S). Nous nous trouvons face à une affaire extrêmement douloureuse. Celles et ceux qui ont lu l'histoire de cette famille du Kosovo auront pu constater qu'elle résume à elle seule toute l'horreur du conflit de l'ex-Yougoslavie.
Je ne referai pas l'historique du dossier. Il faut toutefois savoir que nous avons affaire à un couple avec deux enfants - l'un de huit ans, l'autre de cinq; il s'agit d'un couple traumatisé. En effet, les membres de la commission des pétitions ont ppris que la mère de ces deux enfants a été violée dans un camp par des miliciens serbes devant son mari et ses enfants. Depuis qu'elle a fui l'horreur du conflit de l'ex-Yougoslavie et qu'elle vit en Suisse, cette famille est autonome, elle a trouvé du travail. La commission a notamment pu entendre le témoignage du patron du père. Ce dernier, qui a reçu une formation d'ingénieur et travaillait dans une carrosserie, est reconnu comme un excellent ouvrier. Cette famille n'a en outre demandé aucune assistance sociale et a tenté de s'intégrer au mieux dans notre société.
Malheureusement, Berne a refusé le droit d'asile à cette famille. En dépit du mouvement de solidarité qui s'est créé pour lui permettre de rester dans son nouveau pays d'accueil, les autorités fédérales n'ont rien voulu entendre. Suite à cela, la commission a, pour sa part, décidé de renvoyer la pétition sur le bureau du Grand Conseil. Je ne pense qu'il s'agisse là de la bonne solution et je vais tenter de vous expliquer pourquoi.
Il est vrai que, sur le plan juridique, le pouvoir du canton est minime. Nous ne siégeons cependant pas dans un tribunal et nous ne sommes pas en train de définir des règles juridiques: nous nous trouvons face à un combat politique ! Si la vie de cette famille vous a touchés, vous devez agir pour lui permettre de rester en Suisse. Et la seule réponse politique qu'un parlement puisse donner, c'est de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat ! Il ne s'agit que d'un geste mineur, dont la portée est symbolique et qui ne permettra peut-être pas à cette famille de rester. Je précise que cette dernière, comme toutes les familles menacées d'expulsion, a disparu: soit elle est partie à l'étranger, soit elle est entrée en clandestinité.
Le message politique doit donc consister en un renvoi de la pétition au Conseil d'Etat. Le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil condamne cette famille à jamais, car Berne utilisera encore cet argument pour expulser cette famille et la renvoyer dans le pays où elle a vécu l'horreur !
M. Jacques Follonier (R). S'il est vrai que cette famille a subi de graves dommages et que les horreurs de la guerre ne l'ont pas épargnée, il faut également souligner que la commission a dû se prononcer sur un cas très particulier dont M. Brunier s'est bien gardé de préciser les données exactes. Il me paraît important de replacer le cas de cette famille dans son contexte. Si tant est que la situation de cette famille est vraiment difficile, il n'en reste pas moins que deux éléments n'ont pas plaidé en sa faveur.
Le premier est le suivant: quinze jours avant la présentation de la pétition à la commission, cette famille a retiré sa demande soumise à Berne pour obtenir un deuxième sursis lui permettant de rester en Suisse. Le retrait de cette demande nous a beaucoup surpris, car ce n'est pas au canton de Genève de se subroger au pouvoir fédéral. Cette demande pouvant une nouvelle fois être déposée à Berne, il nous a paru plus judicieux d'agir en premier lieu au niveau fédéral avant de déposer une éventuelle nouvelle pétition. En effet, Genève ne possède ni les compétences, ni la possibilité d'intervenir en premier lieu.
Comme le rapporteur de majorité l'a d'ailleurs relevé, il existe un problème à ce niveau: pour avoir traité à plusieurs reprises de tels objets, la commission des pétitions s'est rendu compte de la faible marge de manoeuvre dont elle disposait.
Le deuxième élément qui nous a également beaucoup surpris est le suivant: cette famille a disparu de Suisse et nous ignorons son lieu actuel de résidence. Le chef de service de la division de l'asile de l'office cantonal de la population, M. Ducrest, nous a confirmé ne plus savoir où se trouvait cette famille actuellement. Il est donc difficile d'intervenir en faveur d'une famille avec laquelle nous ne pouvons même plus discuter !
Dans ces conditions et en dépit du regret que nous pourrions éprouver, nous devrions suivre la demande de la commission.
M. André Reymond (UDC). Il s'agit de cas que la commission des pétitions est souvent amenée à traiter dans le cadre de ses travaux.
Je me rallierai aux propos de M. le député Follonier, lequel a rappelé que nous ignorions où se trouvait cette famille: elle se trouve un jour en France, le lendemain à Genève... Je ne vois dès lors pas pour quel motif il nous faudrait renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Même les enfants ne se rendent plus dans l'école genevoise où ils étaient scolarisés.
Je m'étonne par ailleurs d'entendre M. Brunier affirmer que le père de cette famille entretient de bons rapports professionnels puisque, dans de telles situations, ces personnes voyagent souvent avec toute leur famille d'un lieu à un autre, que ce soit en Suisse ou en France.
En tant que président de la commission à l'époque où a été traitée cette pétition, je souhaite que les députés se rallient à la décision de la commission en déposant ladite pétition sur le bureau du Grand Conseil.
M. Claude Aubert (L). Je m'interroge quelque peu sur ce subit retournement de veste. C'est au moins la deuxième fois que l'on assiste à un tel retournement en plénière, alors que la commission avait décidé de déposer une pétition sur le bureau du Grand Conseil... Cela signifie-t-il qu'il faut désormais s'attendre à des retournements de veste successifs chaque fois que la commission prend une décision ?!
Je rappelle que cette dernière l'a été à l'unanimité moins trois abstentions. Je pense donc qu'il nous faut respecter la décision prise par cette commission. (Applaudissements.)
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Il est vrai que je n'étais que remplaçante au sein de cette commission. J'ai toutefois été étonnée de constater que, suite à la disparition de cette famille, la commission a estimé qu'elle ne pouvait plus rien faire et qu'elle a décidé de déposer la pétition à titre de renseignement sur le bureau du Grand Conseil.
Les Verts soutiendront la position de Christian Brunier. En effet, il nous paraît important que le Conseil d'Etat se renseigne sur le lieu où se trouve cette famille, ainsi que sur les événements qui se sont déroulés. Nous soutiendrons donc la demande de M. Brunier, soit de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Christian Brunier (S). Je reprends la parole pour vous fournir quelques explications.
En premier lieu, vous ne pouvez pas tenir compte de la disparition de cette famille pour analyser ce dossier au niveau de l'asile. Vous savez fort bien que la plupart des familles demandeuses d'asile qui se trouvent en voie d'expulsion disparaissent, car elles ont peur d'être mises dans un charter et de quitter immédiatement le pays. Il s'agit donc d'un élément «traditionnel» ou «normal» - si l'on ose dire - de tout dossier d'asile, quel qu'il soit.
La question est la suivante: considérez-vous que cette famille doit rester en Suisse ou non ? Il me paraît difficile de trouver un dossier plus éloquent, présentant des victimes de traumatismes de guerre, et j'ai le sentiment que la plupart des députés ont été sensibles à l'histoire de cette famille.
En deuxième lieu, il est vrai que le parlement genevois n'a pas la compétence de faire rester cette famille en Suisse; il dispose toutefois de la compétence politique d'envoyer un signal à Berne !
Le fait de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil revient à déclarer que nous n'avons pas envie que cette famille reste en Suisse... Or il nous faut vraiment montrer, par un signe politique, notre envie que cette famille reste en Suisse, et cela en renvoyant cette pétition au Conseil d'Etat ! Il s'agit d'un signe politique minimaliste, je le reconnais, mais, dans un dossier de droit d'asile, tout est minimaliste ! Et, bien que minimalistes, ces diverses actions s'additionneront et permettront au moins d'éviter que Berne n'utilise les positions des cantons pour renvoyer des personnes dans leur pays d'origine ! Ces actions permettent parfois même, dans certains cas, à des personnes d'obtenir un permis humanitaire.
Je veux pour ma part bien retourner ma veste lorsqu'il s'agit de sauver une famille. (Exclamations. Le président agite la cloche.)Je pense qu'il vaut la peine d'envoyer un signal positif pour que cette famille puisse rester en Suisse.
M. Pierre Kunz (R). Vous vous trompez de tribune, Monsieur Brunier ! Nous ne sommes certes pas dans un tribunal, mais nous ne sommes pas non plus un groupement caritatif agissant au coup par coup et réfléchissant avec notre coeur plutôt qu'avec notre tête ! (Exclamations.)Nous devons réfléchir avec notre tête, et non faire dans la sensiblerie ! Le peuple nous a élus pour que nous décidions le plus souvent possible de manière objective - avec nos préoccupations et notre projet de société certes, mais non au coup par coup, comme vous nous le proposez !
Votre proposition, Monsieur Brunier, n'est tout simplement pas conforme à notre mandat ! Un travail a été effectué en commission; je ne comprends dès lors pas que, comme l'a noté M. Aubert, vous changiez régulièrement d'avis en séance plénière... (Protestations.)... et que vous vous laissiez entraîner par votre fougue juvénile et par votre sensiblerie ! Quelque chose ne fonctionne pas, Monsieur Brunier, il vous faut comprendre que vous êtes maintenant parmi des adultes ! (Rires et applaudissements.)
M. Gilbert Catelain (UDC). Il s'agit d'un dialogue de sourds: M. Brunier s'exprime sur le fond, alors que les partis de l'Entente s'expriment sur la forme en se référant à un vote qui a eu lieu en commission. On ne parle donc pas du même sujet ! J'interviendrai sur le fond.
Notre loi sur l'asile est très claire: soit le candidat répond aux critères de cette loi, il obtient alors l'asile et peut rester en Suisse; soit il ne répond pas à ces critères, l'asile lui est refusé et, la loi étant ainsi faite, il est contraint de rentrer dans son pays d'origine. Dans le cas qui nous occupe, c'est cette dernière décision qui a été prise par l'Office fédéral des réfugiés. Le canton doit donc mettre en application cette décision, puisque c'est à lui qu'incombe le devoir d'exécuter les renvois.
Il est vrai que quatre ans se sont écoulés entre l'arrivée de cette famille en Suisse, en 1999, et la décision de l'expulser, en 2003. Quatre ans, c'est long ! Vous donnez là entièrement raison à la politique de l'UDC qui cherche à réduire le délai de la procédure d'asile; on peut en effet estimer qu'après une période de quatre ans une personne commence à s'intégrer. Je vous rappelle que c'est le parlement qui a souhaité une telle procédure. Si vous voulez la réduire pour éviter ce genre de problèmes, je vous en félicite, mais je doute que cela soit le cas.
Par ailleurs, je considère que la situation au Kosovo s'est passablement assainie. Comme vous le savez, la Suisse engage de surcroît chaque année plusieurs dizaines de millions de francs dans des programmes de reconstruction et d'aide au retour; une famille de Kosovars qui quitte la Suisse est donc financée pour pouvoir s'intégrer à nouveau dans son pays.
En outre, je ne doute pas que Madame ait subi un viol collectif. Je vous rappelle cependant que des centaines de jeunes françaises sont victimes de viols collectifs dans les banlieues. Or elles ne viennent pas pour autant demander l'asile en Suisse ! Le viol ne constitue pas un critère pour l'obtention d'un permis humanitaire, il s'agit d'un fait de société: on pourrait demander à Solidarité Femmes de nous communiquer des statistiques exactes, mais l'on sait qu'au moins 10 % des femmes sont victimes de viol. On pourrait dès lors construire un certain nombre de logements sur la place de Genève pour toutes les accueillir...
Restons-en aux faits: il faut, à un moment donné, mettre de côté... peut-être pas notre «sensiblerie», comme dirait M. Kunz, mais quelque chose dans ce goût-là. Il nous faut appliquer le droit sur l'asile - droit qui, je le signale, a été voté par le parlement et accepté par le peuple en votation populaire.
Pour ma part, je ne parlerai pas de retournement de veste: je demande simplement que la loi soit appliquée et que l'on en finisse avec ce genre de pétitions. Il est évident que l'UDC maintiendra sa position, elle soutiendra la décision de la commission de déposer la pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je rappelle à ceux qui l'auraient oublié que nous sommes en procédure d'extraits: nous sommes censés, dans le cadre des extraits, traiter rapidement d'objets non contentieux. Par conséquent, le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Sont encore inscrits MM. Reymond, Etienne, Egger, Brunier, Follonier et Velasco. Nous donnerons en dernier lieu la parole à Mme Spoerri, conseillère d'Etat, avant de procéder au vote.
M. André Reymond (UDC). Pour clore ce dossier évidemment très douloureux, je souhaite rappeler un point essentiel: par sa signature, cette famille a retiré sa demande d'asile. A nos yeux, le dossier est donc clos, cela d'autant plus que cette famille a entamé une procédure en vue d'obtenir un visa pour le Canada.
M. Alain Etienne (S). Je souhaite apporter deux éléments à notre débat.
En premier lieu, cette famille a besoin de temps. Nous avons en effet appris lors de l'audition que la requérante était enceinte, sauf erreur, de six mois. Il nous semblait donc nécessaire de retenir cette personne dans notre canton pour offrir à cette femme la possibilité d'accoucher sur le territoire genevois.
En deuxième lieu, nous avons été informés du fait que le requérant avait entrepris des démarches auprès du Canada pour obtenir un permis de travail. La demande de la pétition consistait donc strictement en l'obtention d'un permis humanitaire, soit d'un sursis pour cette famille dans notre canton.
M. Aubert a évoqué tout à l'heure un retournement de veste... Je tiens cependant à relever qu'il n'est pas évident de traiter d'un tel objet en commission des pétitions, et cela d'autant moins que la composition de la commission change et que ses membres ne sont pas habitués à traiter de tels sujets. Je désirais simplement rappeler ces deux éléments ainsi que la difficulté à traiter cet objet au sein de la commission des pétitions.
Comme l'a rappelé M. Christian Brunier, si ce dossier a effectivement été étudié du point de vue juridique, il convient maintenant de le renvoyer au Conseil d'Etat afin que ce dernier puisse prendre des mesures.
M. Jean-Claude Egger (PDC). Je souhaite également apporter quelques précisions.
En premier lieu, je rappelle que cette famille attendait des papiers pour se rendre au Canada, où l'attendaient des parents ainsi qu'une place de travail. Je désire également citer M. Ducrest: selon lui, si cette famille n'avait pas retiré sa requête à Berne, elle aurait certainement pu bénéficier du droit d'asile compte tenu des nouveaux éléments apportés.
Il est vrai qu'entendre l'intervention de M. Brunier a été un moment très difficile pour tous. Celui-ci n'a cependant pas présenté tous les éléments du dossier; en outre, il ne siégeait pas au sein de la commission des pétitions lorsque nous avons traité ce dossier.
Nous avons certes tous été très émus par le sort de cette famille, et je crois que cela a été un moment difficile pour tout le monde. Mais avec le cas d'une famille qui apparaît, disparaît, et qui retire sa demande à Berne, il fallait quand même que nous justifiions notre travail vis-à-vis des autres familles résidant à Genève et demandant le droit d'asile. Aussi, sans nouvelles de la famille en question, nous avons préféré déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Si l'on avait reçu des nouvelles de cette famille - la rapporteuse ne se trouvant pas dans cette enceinte, puisqu'elle a démissionné - la situation aurait peut-être été différente... Monsieur Brunier, vous semblez savoir où se trouve cette famille: si vous en avez des nouvelles, informez-nous !
Mais, pour l'instant, le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil me paraît être la bonne solution.
M. Christian Brunier (S). Je tiens à rassurer M. Egger: effectivement, je ne siégeais pas en commission des pétitions, mais je connais suffisamment le dossier puisque, avant le traitement de la pétition, j'étais intervenu auprès de Mme Spoerri pour défendre cette famille.
Ensuite, je ferai remarquer à M. Kunz, qui m'accuse de remettre en cause une décision de commission, qu'il s'agit là de mon droit de député ! (L'orateur est interpellé par M. Kunz. Le président agite la cloche.)
Tous les députés remettent des avis de commission en cause ! Si vous ne voulez pas que le parlement remette en cause les avis de commission, il faut le dissoudre !
Quant au traitement au coup par coup, Monsieur Kunz, je vous dirai que, s'il existe certes des règles générales, toutes les demandes d'asile sont traitées au coup par coup, et heureusement ! Il est normal que l'on analyse chaque situation spécifique, cela est dans la logique même !
Je souhaite également répondre à M. Catelain. Tout en admettant que cette famille a vécu de terribles événements, il minimise la situation en soutenant que de nombreuses familles vivent des drames analogues et en faisant allusion aux banlieues françaises... Il rappelle en outre que la Suisse financera le retour au Kosovo de cette famille... Vous avez raison, Monsieur Catelain, mais c'est bien cela le problème ! Lorsque vous avez vécu un viol, devant vos enfants, devant votre mari, à l'endroit où vous avez vécu pendant un certain temps, eh bien, de revenir sur les lieux, c'est dramatique! Et lorsque vous avez trouvé une terre d'accueil, où vous avez trouvé un emploi, où vous vous êtes fait des amis, où vos enfants sont nés et ont grandi, c'est d'autant plus dramatique de devoir repartir ! C'est çà le problème ! Et c'est cela qu'il convient d'analyser! Il ne s'agit pas simplement d'une question d'argent ou de dire: «On leur paie leur billet de train, tout va bien et ils vont être heureux!»...
M. Catelain a également insisté sur le fait que la loi doit être appliquée. Alors, il est vrai qu'il existe des lois très dures en matière de droit d'asile - d'ailleurs, en Suisse, votre parti a contribué à durcir ces lois, malheureusement, et elles sont à la limite de l'humanité ! Or, heureusement, s'agissant des permis humanitaires, une appréciation est faite par des humains et il ne s'agit pas que de l'application d'une loi ! On ne fait pas qu'appliquer des critères en acceptant ou en refusant une demande: il y a une appréciation humaine ! Et cette appréciation humaine, nous pouvons l'influencer, modestement, certes, mais nous le pouvons !
C'est pourquoi le parlement doit aujourd'hui reconnaître l'horreur vécue par cette famille et donner un message politique positif pour que cette famille puisse rester en Suisse.
Maintenant, je le répète à M. Egger: j'ignore où se trouve actuellement cette famille, mais, si elle se trouve encore en Suisse, il est normal qu'elle se cache. Toutes les familles menacées d'expulsion le font; il n'y a donc aucune raison que cette famille échappe à ce qui est, si l'on ose dire, une «quasi-tradition». Et nous agirions de même si nous étions à la place de ces personnes !
Alors, je vous demande vraiment un geste politique simple: le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat. Ce dernier pourra alors nous indiquer quelles sont ses limites pour venir en aide à cette famille.
M. Jacques Follonier (R). J'ai de la peine à comprendre un point: ce rapport a été rédigé par Mme Roth-Bernasconi, qui est socialiste. Cela prouve que, parmi les Socialistes, certaines personnes font preuve d'intelligence et d'une compréhension des problèmes... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
J'ajouterai ceci: Mme Roth-Bernasconi écrit que «Berne n'a donc pour le moment pas refusé la demande mais ne s'est tout simplement pas prononcée. Une demande de réexamen est envisageable en tout temps». Et je suis, comme beaucoup d'entre nous, prêt à faire en sorte que cette demande puisse être déposée à Berne. Nous nous rejoignons sur ce point, Monsieur Brunier.
En revanche, il ne me paraît pas opportun d'agir au niveau cantonal. Pourquoi ? Votre consoeur précise la raison pour laquelle nous ne pouvons - et nous ne devons - pas le faire. Si vous aviez lu ce rapport, vous l'auriez d'ailleurs compris: elle indique que «la commission et le Conseil d'Etat doivent rester crédibles et défendre les dossiers qui ont une chance d'aboutir. Or, étant donné que la famille peut encore déposer une requête à Berne, et qu'elle ne l'a pas fait (vu le retrait), sa crédibilité serait entachée, ce qui nuirait à d'autres dossiers».
Je ne dirai qu'une chose, Monsieur Brunier: je ne veux pas sauver qu'une famille, mais je veux en sauver beaucoup ! Si vous ne voulez en sauver qu'une, tant mieux pour vous ! Pour ma part, je ne vous suivrai pas !
M. Alberto Velasco (S). Je souhaite faire savoir à M. Aubert que, si je dois retourner ma veste pour éviter de commettre une injustice, je le fais ! Les députés socialistes ont certes pu voter d'une certaine façon en commission, mais notre caucus - car le fonctionnement de notre groupe est démocratique - en a décidé autrement. Nous pouvons donc défendre ce cas aujourd'hui.
J'estime par ailleurs, s'agissant de l'intervention de M. Catelain, qu'il est peu moral de comparer un viol se produisant dans une banlieue française - soit dans un pays démocratique régi par des lois, gouverné par des autorités et constitué de citoyens - avec un viol se déroulant dans un pays en guerre où n'existe ni loi, ni citoyen. Il existe une sacrée différence entre ces deux cas ! L'UDC nous a toutefois habitués à de telles comparaisons...
L'argument selon lequel cette famille a trouvé un emploi au Canada et serait en partance pour ce pays me semble insuffisant. Nous avons un devoir en tant qu'autorités politiques: si nous sommes convaincus que le renvoi de cette famille constitue une injustice, notre devoir est de faire en sorte qu'elle ne soit pas renvoyée dans son pays ! Cette famille pourra ensuite faire ce que bon lui semble: aller au Canada ou rester en Suisse.
Par ailleurs, les propos de M. Brunier sont exacts: pour avoir travaillé à l'Université populaire albanaise à l'époque où cette région était en guerre, j'ai pu constater que des familles ou des personnes «partaient dans le noir», comme on dit, parce qu'elles avaient peur d'être expulsées. Nous savions où elles se trouvaient, mais les autorités, elles, l'ignoraient.
En guise de conclusion, je vous dirai ceci: M. Ducrest, avec lequel il m'est arrivé de m'entretenir concernant des cas difficiles, nous a toujours assurés que, sans être une garantie de satisfaction, l'appui par un Grand Conseil d'une demande de permis humanitaire à Berne constitue un poids relativement important aux yeux des autorités fédérales. C'est la raison pour laquelle j'estime que, si nous sommes convaincus que nous ferions un acte de justice, il nous faut absolument renvoyer cette pétition à Berne ! (Applaudissements.)
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Je me retrouve dans une situation quasi identique à celle qui s'est présentée il y a quelques mois. L'un de vos collègues, Monsieur le député, m'avait adressé une demande analogue à celle que vous formulez aujourd'hui. Je lui avais expliqué en son temps que cette demande était illusoire, et je ne peux malheureusement que répéter les même propos aujourd'hui.
Je souhaite insister sur la remarque de certains députés: le rapport de Mme Roth-Bernasconi est parfaitement objectif - si je puis me permettre de m'exprimer ainsi - car il relève de façon synthétique l'ensemble des données... (L'oratrice est interpellée par un député.)Oui, Monsieur le député ! Je constate que vous dites non. Or je vous dis oui !
On pourrait évidemment remettre en cause le travail de la commission des pétitions, ainsi que la valeur du rapport de Mme Roth-Bernasconi... Je vous laisse prendre la responsabilité d'une telle action !
Monsieur Brunier, je vous ai écrit le 16 septembre... Vous m'avez interpellée; vous avez été la Xe personnalité à le faire. J'ai entendu, reçu, écrit et répondu, à props de la famille Ramiqi un nombre incroyable de lettres; nous avons organisé des entretiens; des interpellations m'ont été adressées, et des interpellations ont même été adressées directement aux conseillers fédéraux ! Tout a été tenté - et cela, comme l'a rappelé M. Catelain, depuis quatre ans ! Tout a été tenté ! Tout !
Alors, à un moment donné, Mesdames et Messieurs, il nous faut parvenir à une conclusion ! La commission des pétitions l'a fait - avec du courage car il n'est pas facile d'aboutir à des conclusions de ce type. Mais nous ne pouvons malheureusement plus rien faire ! Et c'est vrai qu'aujourd'hui la famille Ramiqi a pris elle-même ses dispositions, puisqu'elle a suspendu son recours et a disparu de la circulation. Cette famille souffre, comme bien d'autres, des effets épouvantables de pays en guerre. De nombreuses autres familles se trouvent cependant dans le même cas, et il nous faut, à un moment donné, prendre nos responsabilités. Je reconnais que cela n'est, dans ce cas particulier, pas facile. Le canton ne dispose toutefois d'aucune marge de manoeuvre, si ce n'est de faire en sorte que les dossiers constitués soient les plus intelligents et les plus crédibles possibles. Il me semble que toutes les mesures ont été prises dans ce sens. C'est pourquoi je vous demande, au nom du respect d'un droit que je qualifierai d'humanitaire - car je considère que toutes les personnes qui se sont occupées de cette famille ont démontré des qualités humanitaires remarquables - d'accepter le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
En tant qu'autorités nous ne sommes plus en mesure de faire quoi que ce soit; la seule possibilité qui subsiste, c'est que la famille Ramiqi elle-même décide de relancer un ultime recours à son titre personnel auprès de la commission de recours en matière d'asile. C'est la seule possibilité qui reste. Je vous demande donc, Mesdames et Messieurs, d'accepter les conclusions de la commission des pétitions.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Avant que nous votions, je vous donne lecture de l'article 172 de notre règlement, de manière à préciser la procédure que nous allons suivre: «Après avoir délibéré sur le rapport de la commission, le Grand Conseil statue sur l'une des quatre propositions formulées par la commission: renvoi à une autre commission du Grand Conseil; renvoi au Conseil d'Etat ou à une autre autorité compétente; dépôt sur le bureau à titre de renseignement ou classement».
Je vous ferai donc voter en premier lieu sur la proposition figurant sur le rapport. Si celle-ci est acceptée par la majorité de notre Conseil, le débat s'arrêtera là. Si celle-ci est refusée par la majorité de notre Conseil, je mettrai aux voix la proposition de M. Brunier - laquelle consiste à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
Je tenais à vous apporter cette précision afin de clarifier la procédure de vote. Nous allons voter sur la conclusion... Madame Schenk-Gottret, vous avez demandé la parole: vous l'avez !
Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Monsieur le président, je demande l'appel nominal. (Appuyé.)
Le président. L'appel nominal ayant été demandé, nous procédons à ce dernier. Celles et ceux qui acceptent les conclusions de la commission des pétitions répondront oui, celles et ceux qui la refusent répondront non.
Mises aux voix à l'appel nominal, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 41 oui contre 26 non et 3 abstentions.