République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 septembre 2003 à 20h45
55e législature - 2e année - 11e session - 67e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 20h45, sous la présidence de M. Bernard Lescaze, président.
Assistent à la séance: Mme et MM. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat, Robert Cramer, Martine Brunschwig Graf, Carlo Lamprecht, Pierre-François Unger et Charles Beer, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Anne-Marie Von Arx-Vernon, Blaise Matthey, Alain Meylan, Stéphanie Ruegsegger et Louis Serex, députés.
Annonces et dépôts
Le président. La commission des pétitions nous informe qu'elle désire renvoyer la pétition suivante à la commission de la santé:
Pétition contre la fermeture de l'hôpital de jour de Colladon ( P-1445)
Mme Nicole Lavanchy (AdG). Mon interpellation urgente s'adresse au conseiller d'Etat M. Lamprecht. Dans la «Tribune de Genève» de ce mardi 16 septembre, il était fait état de la mise en place d'une plate-forme qui était au service des cadres au chômage du secteur bancaire. D'après ce que dit la «Tribune», cette plate-forme est financée pour moitié par le secteur bancaire, par l'Etat pour l'autre moitié, à hauteur de 100 000 F annuels. Cette plate-forme est opérationnelle depuis septembre. D'après ce qu'il était dit, elle emploie un chef de projet - ainsi que, certainement, du personnel administratif - et elle a des locaux qui sont situés au 28 du Pont d'Arve.
Ma question est la suivante: ce projet, à ma connaissance, n'a pas été discuté au niveau de la commission de l'économie. Pourquoi ?
Deuxième question. Les missions qui sont dévolues à la plate-forme sont des missions d'information. Elles servent à avoir une banque de données d'employeurs, elles permettent la réorientation et la documentation. Ce sont des missions qui sont normalement dévolues à l'office cantonal de l'emploi. On se pose donc la question de savoir pourquoi est-ce que l'office cantonal de l'emploi n'est pas suffisamment compétent pour répondre à ces chômeurs-là ? Le cas échéant, est-ce que cela veut dire qu'ils sont compétents pour répondre aux autres chômeurs ? Nous pensons que cela peut porter discrédit à l'office cantonal de l'emploi.
La troisième question est: quel est le statut de cette plate-forme ? Est-ce une association de droit privé, de droit public ? Puisqu'un chef de projet a été engagé, certainement du personnel administratif - secrétariat, etc. - qui est l'employeur ? Sous quel statut ? C'est une question à laquelle j'aimerais bien avoir une réponse.
Pour l'Alliance de gauche, ces questions sont importantes. En effet, puisque ces missions sont dévolues à l'OCE, on pourrait supposer que cela devient une privatisation larvée d'une partie des missions de l'OCE. Deuxièmement, on se pose la question de l'équité de traitement des chômeurs. Pourquoi des cadres bancaires chômeurs obtiennent-ils des prestations qui sont «autres» que celles de tous les chômeurs des autres secteurs ? Cela surtout si on sait que ces chômeurs quittent souvent leurs banques avec des primes de sortie relativement confortables, et qu'ils ont eu des hauts salaires qui pourraient éventuellement subventionner leur requalification.
Enfin, je me pose également la question de la mise en place de cette plate-forme, alors qu'on sait que la droite, actuellement, est en train d'attaquer les mesures cantonales pour les chômeurs, c'est-à-dire de faire en sorte que les chômeurs en fin de droit ne recouvrent pas un nouveau droit.
Je trouve qu'il y a une politique à géométrie variable en matière d'emploi, et j'aimerais qu'il y ait une explication à ce sujet.
Mme Nicole Lavanchy (AdG). Ma seconde interpellation urgente est adressée à Mme Spoerri, conseillère d'Etat au département de justice et police. Je lis, parce que c'est une affaire plus compliquée. Le 7 août 1997, le département des affaires internationales de l'Argentine a adressé, à l'Office fédéral de la justice suisse, un mandat d'arrêt international à l'endroit de deux financiers genevois. Ils ont été mis en cause dans une opération frauduleuse auprès d'une banque sociale de Córdoba en Argentine, à hauteur de 15 millions de dollars US.
Nous croyons savoir que l'Office fédéral de la justice n'a pas donné suite à ce mandat. Il n'a pas interpellé les deux financiers, qui faisaient l'objet de ce mandat d'arrêt international, pour leur demander s'ils entendaient répondre de leurs actes devant la justice argentine. En effet, la convention sur les extraditions entre la Suisse et l'Argentine prévoit que si des personnes, mises en causes dans une affaire, ne peuvent pas être extradées, par exemple parce qu'elles sont suisses, c'est le gouvernement suisse qui doit traduire ces personnes en justice. A notre connaissance, il n'y a eu ni interpellation ni mise en demeure devant la justice suisse.
La question à Mme Spoerri, qui n'est pas ici, est de savoir si elle pourrait donner, à nous et à ce parlement, des informations sur ce qu'il s'est passé au niveau de l'Office fédéral, par rapport à cette affaire. Nous tenons à sa disposition la demande de mandat d'arrêt international qui a été transmise par la justice argentine en 1997. Nous tenons aussi à sa disposition une synthèse du jugement pénal qui a eu lieu le 23 novembre 1998 de la Cour criminelle de Córdoba. Ce dernier établit les faits et condamne une des personnes de cette famille à quatre ans de prison. Cela pour vous dire que les faits en Argentine étaient suffisamment importants pour donner quatre ans de prison à un des membres de cette famille. Nous souhaiterions avoir des informations sur cette affaire et nous tenons à disposition les documents nécessaires.
M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Je m'attendais bien entendu à cette question, puisqu'il y a au moins cinq sujets qui reviennent ce soir, notamment à travers la presse.
Tout d'abord, il faut dire que la structure du chômage n'est pas généralisée, aujourd'hui. Elle touche toutes les branches, et dans chaque branche, il faut faire preuve d'un peu de créativité. Les structures que nous avons sont globales, générales. Nous avons bien entendu ouvert un secteur, à l'office cantonal de l'emploi, spécifiquement pour les gens du secteur des banques, des finances et du commerce. Au-delà de cela, il faut essayer d'avoir des relais avec les responsables des ressources humaines, ceux qui engagent. Si nous n'avons pas ces relais-là, nous n'avons pas les passerelles qui nous permettent de savoir là où il y a des emplois à repourvoir, ni de quelle manière, ni avec quelle formation. Ce sont des gens très spécialisés aujourd'hui, qui se trouvent dans une même situation désespérée, qui touche toutes les couches de la population. Je dirai que les différentes études qui ont été menées... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Le président. Continuez, Monsieur le conseiller d'Etat.
M. Carlo Lamprecht. Je l'ai dit tout à l'heure en répondant à une question de M. le député Catelain, il n'y a pas qu'une seule manière, il faut un peu de créativité. Je viendrai avec une dizaine de propositions pour lutter pour l'emploi, plutôt que contre le chômage, parce qu'on a beau faire tout ce qu'on veut, il faut des emplois.
En ce qui concerne la lutte pour l'emploi, on a commencé par les secteurs qui sont touchés. Un des secteurs qui est touché, c'est le secteur industriel. Il y aura des propositions qui viendront aussi dans ce domaine. Elles ne sont pas tout à fait finalisées. Un secteur très touché aujourd'hui, je l'ai dit, c'est le secteur bancaire. Je rappelle ici que pour mille emplois perdus dans le secteur bancaire, il y a trois mille emplois, associés à ce secteur, d'informaticiens, de consultants, de services, qui sont perdus.
Nous luttons en collaboration avec ceux qui veulent bien collaborer et qui payent aussi, au travers de leurs responsabilités: puisque ce sont les réformes structurelles qui font qu'il y a beaucoup de gens au chômage, on a voulu aussi les impliquer dans cette lutte contre le chômage. Cette structure mise en place a pour objectif d'offrir un relais entre les chômeurs et le marché du travail, et non pas de prendre en main les personnes touchées d'une manière particulière. La structure vise à les aider à trouver un nouvel emploi et à leur donner des outils professionnels que, nos gens, au service cantonal de l'emploi, n'ont pas forcément sous la main, pour essayer de les rendre plus autonomes.
Il subsiste nos structures, les bureaux qu'on a ouverts exprès pour cette branche, à l'office cantonal pour l'emploi à la rue Gavard, qui continuent à s'occuper de cela. Mais, croyez-moi, on prendra d'autres mesures, les unes généralisées, les autres spécifiques à des secteurs, pour essayer de résoudre la crise de l'emploi. Il n'y a pas de formule magique. Si je l'avais, je serais très heureux de vous la vendre, et surtout de la vendre à ceux qui demandent un emploi.
Cette interpellation urgente est close.
M. Bernard Annen (L). Mon interpellation urgente s'adresse à M. Moutinot. Par manque de ressources, de fonds de la Fondation du stade de Genève, l'entreprise générale ne paie plus les entreprises pour cette raison. Cela me paraît tout à fait inacceptable. Les partenaires sociaux ont accepté, à l'époque, et pour cause, les dérogations d'horaires, de manière à faire des heures supplémentaires, avec un certain nombre de conditions, que je n'évoquerai pas ici ce soir par manque de temps. Cependant, une, parmi celles-ci, me paraît importante: «les sous-traitances seront impérativement payées selon les modalités et dans les délais prévus contractuellement.» Aujourd'hui rien n'est tenu.
Vous pouvez me rétorquer, Monsieur le président, que vous n'êtes pas la fondation, même si vous en êtes largement partie prenante. Mais ce qu'il faut dire c'est que dans un certain nombre de surcoûts - et, peut-être, dans les discussions, les présentations que vous ferez notamment à la commission des travaux - vous pourrez donner quelques explications.
Il y a tout de même quelques points d'interrogation. J'en cite un: celui des fenêtres. Il y a, dans ce stade, 88 fenêtres, équipées de moteurs électriques pour, nous dit-on, évacuer les fumées en cas d'incendie. Les spécialistes nous disent qu'avec une fenêtre sur deux cela était amplement suffisant. Un exemple parmi tant d'autres, pour dire que l'Etat n'est pas totalement étranger dans cette affaire, et que les entreprises ont besoin de son aide.
Je poserai par conséquent deux questions, Monsieur le conseiller d'Etat.
Le Conseil d'Etat peut-il user de son influence afin que la fondation se mobilise pour trouver le financement nécessaire pour honorer les factures dues depuis des mois ?
Le Conseil d'Etat peut-il faire pression sur l'entreprise générale afin qu'elle paye ses sous-traitants dans les délais prévus contractuellement ?
Dans la mesure où l'Etat est un gros client de cette entreprise, elle n'a aucun intérêt à perdre de sa crédibilité face à l'Etat.
M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Dans le cadre d'une interpellation urgente, je ne pourrai évidemment pas vous faire un descriptif complet. A l'heure actuelle, et d'après ce que je sais, les négociations sur le coût définitif total devraient aboutir d'ici une dizaine de jours. Le montant prévisible de ce qu'il manque, à ce jour, dans les caisses de la fondation est de dix millions, desquels il convient de déduire les quatre millions prêtés pour la sécurité.
Donc la part de ce à quoi les entreprises ont droit, les sous-traitants en particulier, est de l'ordre de six millions, une fois encore, selon les informations qui me sont transmises par la fondation, qui, comme vous l'avez rappelé très correctement, ne dépend pas directement de mon autorité. Vous avez parlé des fenêtres, pour ma part je n'en sais rien. Ce que je sais, c'est qu'au niveau de la sécurité les exigences qui ont été posées, à juste titre, sont d'une extrême sévérité. Elles ont entraîné, forcément, un certain nombre de surcoûts. Mais on l'a dit pour les tunnels, et notamment celui du Mont-Blanc, on l'a dit pour les piscines, on le dit pour tous les équipements publics: on ne badine pas avec la sécurité. La sécurité a un prix.
Pouvons-nous user de notre influence pour que la fondation trouve des sous ? Oui. Mais, si possible, pas dans cette enceinte, parce que l'Etat de Genève a déjà fait passablement, et il me semble que ça n'est pas à lui de continuer.
Cela dit, vous savez que nous avons voulu qu'une sorte d'ombudsman, pour le désigner comme ça, un mandataire soit désigné en la personne de Me Philippe Burnand, chargé de mettre de l'ordre dans cette fondation et de faire un rapport précis sur ce qui va et sur ce qui ne va pas. Il a rendu au Conseil d'Etat un rapport intermédiaire. Il est bien entendu que dans le cadre des travaux menés par la commission de contrôle de gestion ou de celle des travaux - une des deux ou les deux ensemble - plus de précisions pourront être apportées. Le travail n'est pas, à ce jour, totalement terminé. Bien entendu, par le biais du prêt de l'Etat de Genève, un certain nombre de sous-traitants vont pouvoir être payés. Cependant il manque, c'est exact, un «gap» qui m'est annoncé de l'ordre de six millions environ.
Nous poussons l'ensemble des partenaires, et en particulier ceux qui n'ont pas payé grand-chose à ce jour, que, par pudeur, je m'abstiendrai de citer, de bien vouloir, eux aussi, contribuer à la hauteur de leurs déclarations fracassantes.
Cette interpellation urgente est close.
M. Christian Grobet (AdG). Je voulais aborder le sujet qui a déjà été évoqué tout à l'heure concernant la subvention que les TPG envisagent d'accorder au TCS. M. Cramer ne sera pas étonné quand je lui dirai que sa façon de botter en touche ne me satisfait pas du tout. Dire, comme ça, sur un ton un peu anodin, et en souriant, qu'on va transmettre les remarques et les doléances des députés au conseil d'administration - dont, au demeurant, vous faites partie - Monsieur le conseiller d'Etat, n'est pas sérieux.
Vous êtes membre du conseil d'administration, en tant que représentant de l'Etat. Votre première tâche, en tant que représentant de l'Etat dans le conseil d'administration des TPG, c'est de vous soucier si les choses ont été faites de manière correcte ou non. Alors, à moins que vous n'ayez été absent lors de la dernière séance du conseil d'administration, vous devez savoir que le conseil d'administration ne s'est pas du tout prononcé sur cette question.
La première question que je vous pose, en tant qu'administrateur des TPG, c'est de savoir qui a pris la décision de s'engager dans cette procédure, pour le moins curieuse, avec le Touring Club Suisse ? Je n'en dirai pas plus, parce que d'autres ont dit ce qu'il fallait dire à ce sujet.
La question est beaucoup plus sérieuse que cela. Je vous rappelle que nous avons eu, au mois de février, un long débat sur le contrat de prestations des TPG. Nous avons discuté, en long et en large, de différentes propositions d'amendements visant à baisser ou à modifier, en tout cas par rapport aux décisions du Conseil d'Etat, le montant des divers abonnements TPG. Un certain nombre d'amendements ont été refusés, seul un a été accepté. Cela a amené une augmentation du montant alloué aux TPG. C'est dire, et moi je le soutiens, que les TPG n'ont pas le droit de réduire le montant des abonnements. Vous secouez peut-être la tête, mais je pense qu'il serait de bon aloi - et je m'adresse au Conseil d'Etat, parce qu'à vrai dire les interpellations sont adressées au Conseil d'Etat plutôt qu'à un conseiller d'Etat en particulier - je pense qu'il faudrait mettre l'inspection cantonale des finances sur cette affaire. Parce que, quant à moi, il y a détournement de subventions au profit d'une association et cela n'est pas acceptable, surtout après le débat que nous avons eu ici, et où la majorité de ce Grand Conseil n'a pas voulu - et je le déplore - accorder des prix plus attractifs en ce qui concerne les différents abonnements. Et c'est cela que les TPG doivent faire. Si on veut encourager le nombre d'abonnés aux TPG à augmenter, c'est par une action qui s'adresse à l'ensemble des citoyens, et non à une association en particulier, comme cela a déjà été relevé par certains préopinants.
Par conséquent, je considère qu'il y a violation du contrat de prestations des TPG. Vous pouvez secouez la tête comme vous voulez ! Vous étiez absent lors de ce débat, cela me revient. Nous avons eu un long débat sur le contrat de prestations et, plus précisément, sur le montant des abonnements. Vous auriez dû en tout cas lire le Mémorial après la séance du Grand Conseil pour suivre ce débat, et savoir qu'on a débattu des montants des abonnements et que les TPG ne peuvent pas simplement réduire les montants, comme cela a été annoncé.
Par voie de conséquence, la question que je pose au Conseil d'Etat est de savoir s'il va intervenir pour que le contrat de prestations auprès des TPG soit respecté et que cette proposition, qui a été négociée avec le TCS, soit annulée ? Dans l'hypothèse où les TPG veulent mener une action d'incitation en ce qui concerne les abonnements - ce qui serait une bonne chose - qu'ils viennent faire une proposition devant le Grand Conseil, qui est l'autorité compétente ! On pourrait effectivement imaginer de faire une action promotionnelle en vendant des abonnements annuels à un prix plus bas, par exemple; ou en accordant des rabais à des personnes dont la situation...
Le président. Il est temps de conclure.
M. Christian Grobet. ... financière le justifie au lieu de simplement asperger les rabais à des personnes ayant des revenus et qui peuvent aller d'un simple automobiliste à des gens beaucoup plus fortunés.
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Tout d'abord, je vous rassure, j'étais effectivement là lorsqu'il y a eu le débat sur le contrat de prestations. Cela a été un débat important dont plusieurs d'entre nous se souviennent. Je tiens beaucoup à remercier le Grand Conseil, ou en tout cas la majorité de celui-ci, de l'engagement qu'il a pris pour les transports publics en adoptant ce contrat de prestations.
Par ailleurs, je hochais effectivement la tête en vous entendant, parce que je trouve qu'il n'y a pas lieu de dramatiser à l'excès cette affaire. Si vous voulez la dramatiser, que devrais-je dire, maintenant ? Je devrais dire qu'il se produit, au sein du conseil d'administration, un grave délit d'initié, qui a permis à une entité de s'enrichir de façon inacceptable; que cette entité s'appelle la Ville de Genève qui a toute une série d'administrateurs qui lui sont proches dans le conseil d'administration des TPG, et qui a été la première entité à bénéficier de ce système des contrats «grands comptes».
De quoi s'agit-il, Monsieur le député ? Il s'agit d'une entreprise publique mais qui a une logique d'entreprise. Croyez-le ou non, ce n'est pas le Conseil d'Etat qui lui dit ce qu'elle doit faire. Elle a une autonomie dans la façon d'intervenir, dans le cadre d'un certain nombre de directives qui lui sont données. Quel est le rôle de cette entreprise ? C'est de faire ce que le Grand Conseil lui demande, c'est-à-dire d'accroître son offre de 20% et, si possible, d'accroître, de 20% ces quatre prochaines années le nombre de personnes qui utilisent les transports publics. Elle s'efforce de le faire par toutes sortes de procédés: bien sûr en achetant du matériel, en employant de nouveaux chauffeurs, etc. Mais aussi en essayant de rendre les transports publics plus attractifs et de susciter ce que l'on appelle un «transfert modal», c'est-à-dire de faire en sorte qu'il y ait des automobilistes qui prennent les TPG. Jusque-là je vous dis des évidences. Qu'a-t-on fait dans ce contexte ?
On a imaginé, entre autres procédés, ces contrats «grands comptes». Ceux-ci consistent dans le fait de dire à une entreprise ou à une collectivité: «Si vous me commandez beaucoup d'abonnements annuels - qui sont les abonnements les plus difficiles à placer mais aussi les plus prometteurs - eh bien, je vous fais un rabais sur ces abonnements.» C'est la Ville de Genève qui a été intéressée en premier par cette possibilité, puisque vous savez que la Ville de Genève s'est lancée dans un programme d'incitation à l'égard de ses collaborateurs. Au fond, c'est Genève qui a ouvert le système des grands comptes, en commandant un grand nombre d'abonnements annuels, en ayant un rabais dessus, et en les distribuant à ses collaborateurs. Ensuite, qui a continué à le faire ? Les entreprises qui vivent dans notre canton et qui ont un grand nombre de collaborateurs - je pourrais vous aligner un ou deux noms, mais je pense que c'est le genre de choses qu'on dit plutôt en commission qu'en plénière - se sont, elles aussi, lancées dans cette logique de grands comptes. Elles ont dit: «Nous sommes d'accord de vous acheter un certain nombre d'abonnements. Quelles conditions nous faites-vous» ?
Il se trouve maintenant que le Touring Club demande à bénéficier de ces conditions de grands comptes et que les TPG lui accordent ces mêmes conditions. Jusque-là, je dois vous dire, mais peut-être que je manque d'imagination, que je n'y vois rien de répréhensible. Au contraire, ce que je souhaiterais, c'est que l'Etat de Genève - et j'espère que nous arriverons à le faire cet automne - se lance également dans cette logique de grands comptes. Parce que derrière cette logique, il y a quelque chose de souhaitable. Il y a véritablement la volonté d'inciter les automobilistes à utiliser les transports publics et donc à développer cette entreprise.
Outre ces actions grands comptes, il y en a bien d'autres qui sont destinées à l'entier de la population. Si vous lisez les annonces que les TPG font passer maintenant, vous verrez par exemple que, pendant les deux semaines de la mobilité qui sont organisées, fortement promues par les communes, et tout particulièrement par la Ville de Genève, il y a des conditions exceptionnelles qui sont faites aux usagers des transports publics, de façon à inciter à découvrir ce moyen de locomotion. Vous savez peut-être aussi que, chaque fois qu'il y a des événements au stade de La Praille, il y a toute une série d'incitations qui sont faites pour encourager les gens à utiliser les transports publics.
Demain, nous allons essayer de développer des offres de ce type pour les touristes qui viennent à Genève. De sorte que, en même temps qu'ils louent une chambre à l'hôtel, ils reçoivent un ticket leur permettant de se déplacer à bord des transports publics genevois. Pour ma part, je n'y vois rien d'autre que des offres promotionnelles, mais, encore une fois, peut-être que l'inspection cantonale des finances pourrait trouver à y redire, et elle le fera assurément si c'est le cas.
Finalement, ce que je vous ai dit tout à l'heure, c'est que nous avons découvert tout cela par la presse - parce que, je ne sais pas comment vous êtes renseignés, je croyais que les séances du conseil d'administration concernaient des gens qui étaient liés par un secret de fonction... (Manifestation dans la salle.)...apparemment vous êtes bien renseignés sur ce qui s'y passe... (Le président agite la cloche.)...je vous affirme que le département n'était pas informé de cette offre faite au TCS. Pas plus, d'ailleurs, qu'il n'a été informé sur les différentes négociations qui ont eu lieu entre les TPG et la Ville de Genève.
Nous avons trouvé la communication qui a été faite autour de cette offre un peu malheureuse, mais, sur le fond même de l'opération - qui consiste à inciter des automobilistes à renoncer à l'usage de leur voiture ou à l'utiliser moins, pour passer aux transports publics - sur le fait même qu'aujourd'hui le Touring Club dise qu'il est souhaitable d'utiliser les transports publics et qu'il incite ses adhérents à le faire, je crois qu'on a plutôt marqué des points pour les transports publics de ce canton.
Cette interpellation urgente est close.
M. Alberto Velasco (S). Mon interpellation urgente s'adresse à M. Cramer, malheureusement ou heureusement, sur le même sujet...
Une voix. Ah non ! (Le président agite la cloche.)
M. Alberto Velasco. Il y a, Monsieur le conseiller d'Etat, une différence entre la Ville de Genève et le Touring Club Suisse. La Ville de Genève vous achète des abonnements et le Touring Club... (Manifestation dans la salle. Chahut.)
Le président. Messieurs les députés, veuillez écouter M. le député Velasco, qui s'est inscrit depuis une heure et demie.
M. Alberto Velasco. ...et les membres du Touring Club reçoivent une réduction sur leur abonnement. La différence est de taille: le TCS n'achète pas l'abonnement. C'est parce que les personnes sont membres du TCS qu'elles bénéficient d'une réduction de l'abonnement. C'est comme ça que c'est paru dans la presse. On pourrait alors imaginer que d'autres associations, par exemple l'Asloca, qui compte 20 000 membres, que chaque membre... ( Chahut.) ...ait 100 F de moins dans l'abonnement. (Brouhaha.)
Cela pose un problème, Monsieur le conseiller d'Etat, on vous l'a rappelé... (Rires. L'orateur est interpellé.)...Aussi, effectivement... Je ne peux pas parler...
Le président. Monsieur le député, veuillez ne pas provoquer une partie de la salle, faites votre interpellation au Conseil d'Etat.
M. Alberto Velasco. Monsieur le conseiller d'Etat, cela pose un problème: le problème de l'égalité de traitement de toutes les citoyennes et de tous les citoyens de ce canton.
Voici ma première question, Monsieur le conseiller d'Etat: est-ce qu'il y a une garantie que le Touring Club Suisse ne présente plus de recours, au vu de l'accord qui a été fait avec lui, et compte tenu des possibles futures extensions de lignes ? (Applaudissements.)
Ma deuxième question. Par rapport à ce qui a été dit tout à l'heure, est-ce que vous allez, Monsieur le conseiller d'Etat, développer ce concept et l'élargir à toutes les associations de ce canton intégrant le concept d'égalité de traitement ?
Une voix. Les femmes battues !
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Ce débat commence un peu à tourner en rond. J'ai déjà exprimé tout à l'heure, très clairement, qu'il allait de soi que d'autres clubs qui comportent...
Le président. Monsieur Froidevaux, vous êtes prié de vous taire ! (Manifestation dans la salle.)
M. Robert Cramer. ...que d'autres clubs qui comportent des automobilistes, comme, par exemple, l'ATE - on m'a proposé ce nom tout à l'heure - ou peut-être l'ACS pourraient tout à fait bénéficier - me semble-t-il, mais enfin ce serait encore aux TPG de l'examiner, mais je ne vois pas pourquoi ils ne le feraient pas - exactement des mêmes conditions que celles dont le Touring Club a bénéficié.
Et si demain, d'autres associations, du type du Rassemblement pour une politique sociale du logement, ou je ne sais qui d'autre, décident de se regrouper et de faire tout le travail de secrétariat consistant à commander les abonnements annuels, à les répartir auprès de leurs membres, et à faire tout ce travail administratif qui doit être fait pour arriver à suivre cette logique du grand compte, pourquoi ne pourraient-ils pas contracter avec les TPG dans les mêmes conditions ? Cela n'est fermé à personne.
Cela dit, quant à la question de savoir qui fait des procédures, c'est un tout autre problème. D'abord, quand on fait des procédures, encore faut-il savoir si on a qualité pour les faire. Nous ouvrons, dans ce cas, un débat qui, vous le savez, est intéressant, mais qui a déjà été tranché à plusieurs reprises par les tribunaux. Au fond, je crois qu'il serait assez choquant de demander à des sociétés ou à des personnes morales de se restreindre sur leurs moyens. Je vous signale, par exemple, que parce que nous voulons faire passer des lignes d'autobus aux Pâquis, nous sommes actuellement en procédure avec la Ville de Genève. Ces questions sont donc délicates, et on ne peut pas demander aux gens, de façon anticipée, de renoncer à faire des recours.
Cette interpellation urgente est close.
M. Michel Halpérin (L). Je suis presque gêné de venir avec ma petite interpellation après ce débat de poids lourds - je parle naturellement des moyens de transport, non de ceux qui les utilisent ou qui les évoquent. Mon débat, en comparaison, représentera plutôt un entrechat, mais ce sera d'autant plus bref. Ce qui constituera ma manière à moi de rappeler le traitement que je réserve d'habitude à ce mode d'expression qu'est l'interpellation urgente.
Mon interpellation urgente s'adresse à M. le Président du département de l'instruction publique, suite à la lecture des journaux, hier. Cette lecture a suscité inquiétude, et même consternation, en découvrant la probabilité de la disparition des ballets du Grand Théâtre. Je sais bien que c'est un problème qui relève de la compétence exclusive de la Ville ou de la Fondation du Grand Théâtre. Il n'empêche que le désengagement unilatéral de la Ville pose un problème, dans la mesure où il touche à une institution qui est un des phares par lesquels la République s'éclaire et s'honore, en Suisse et à l'étranger.
Dès lors qu'il ne s'agit pas de transférer à l'Etat des charges qui sont celles de la Ville, je me demande simplement, Monsieur le conseiller d'Etat, si votre département ou le Conseil d'Etat, dans son ensemble, envisagent d'intervenir auprès de la Ville, pour la rappeler à ses devoirs, au moins aussi longtemps que la conférence, qui s'est mise en route pour essayer de procéder à une nouvelle répartition des compétences culturelles entre les communes et le canton, n'aura pas abouti.
Dans l'intervalle, il faut que la Ville fasse ce pour quoi elle est faite, ou alors qu'on envisage une sérieuse reconsidération - qui n'est d'ailleurs pas du tout exclue, à mon sens - mais enfin le Grand Conseil en avait décidé autrement autrefois.
Jusque là il me semble que la Ville doit faire son travail et que le Conseil d'Etat pourrait l'y aider.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Je vous remercie de votre interpellation qui traite d'un sujet particulièrement important. Elle relève de la culture dans notre canton, plus particulièrement de l'art lyrique au sens large du terme. Il relève du Grand Théâtre, de son aspect le plus vulnérable: le ballet.
Dans ce choix, il faut déplorer un certain nombre de déterminations au sein même du Grand Théâtre. Mais il ne faut pas s'arrêter à cela, et on doit s'interroger sur le sens de la disparition éventuelle du ballet de notre canton. Ce d'autant plus que, dans le cadre de la conférence culturelle que vous évoquiez, un des sujets prioritaires est de construire et de réaliser, en collaboration avec la ville de Lancy, la Ville et le canton de Genève, la maison de la danse. La danse et l'opéra, en tant que tels, sont des arts pas assez vivants dans notre canton. Nous sommes plutôt, à ce jour, conscients des efforts qui doivent être faits, en complément de ce qui a été fait jusqu'à maintenant.
Il va de soi que l'annonce d'une possible disparition, en tant que telle, est fort fâcheuse pour cette politique de priorité. Vous relevez la question de la compétence qui incombe à la Ville de Genève et à une fondation à caractère municipal, qui ne nous permet pas d'intervenir directement.
Au-delà de cela, il paraît difficile pour le canton d'intervenir de façon péremptoire, face à la Ville de Genève. Nous n'en avons ni le statut ni les moyens. En revanche, comme vous l'avez évoqué, je crois qu'il s'agit de mettre d'emblée en avant l'esprit de la conférence culturelle et de chercher par là à trouver des solutions pour sauver le ballet.
A ce jour, je peux vous dire que nous venons d'envoyer une lettre à nos partenaires de la Ville de Genève et de l'Association des communes genevoises, pour une réunion urgente où nous traiterons à nouveau de ce sujet, de manière que nous puissions trouver une solution qui soit à la hauteur des sommes que nous engageons en matière culturelle à Genève et à la hauteur de notre prétention politique en la matière.
Nous devons faire preuve d'imagination. Il existe un certain nombre de ressources, qui devraient permettre, si l'ensemble des acteurs est responsable, de trouver une solution qui nous permette de sauver à la fois le ballet et la crédibilité, dans notre souhait d'accorder une nouvelle priorité à la danse.
Cette interpellation urgente est close.
M. Pierre Froidevaux (R). Je m'adresse au président du Conseil d'Etat, M. Laurent Moutinot. Vous connaissez, Monsieur le président, l'intérêt du parti radical de voir disparaître la perception des droits de succession et de donation pour la parentèle directe. Nous en avons longuement débattu dans notre parlement et nous avons approuvé la disparition de cette fiscalité qui remonte aux temps féodaux.
Il est maintenant temps que le scrutin populaire s'organise. Pour notre part, nous souhaiterions que vous puissiez en annoncer la date, qui, de notre côté, devrait intervenir au plus tôt.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Comme vous le savez, il appartient au Conseil d'Etat d'en prendre la décision. Il le fera en analysant les objets du vote qui restent à mettre en scrutin. Je peux d'ores et déjà dire, vous l'avez sans doute pressenti, qu'il n'y aura pas de scrutin cet automne, c'est-à-dire après les élections fédérales. En cela nous nous calquons sur les décisions de politique fédérale, comme il est de coutume, et nous n'entendons pas faire de votations spéciales cette année.
En revanche, il y a des sujets qui seront prêts l'année prochaine, et nous aurons à examiner, avec le Conseil d'Etat, le calendrier qui leur convient. Je rappelle qu'il y a Casatax ainsi que d'autres sujets, qui m'ont peut-être échappé pour l'instant.
Encore une fois, nous communiquerons en temps voulu les dates qui seront fixées.
Cette interpellation urgente est close.
M. Roger Deneys (S). Il y a longtemps que j'attendais ce moment. Mon interpellation urgente s'adresse à Mme Spoerri et je suis évidemment déçu qu'elle ne soit pas ici pour me répondre, ce soir.
Elle concerne les hélicoptères qui ont survolé la ville, en tout cas certains d'entre vous l'on peut-être remarqué: la semaine passée, en ville de Genève, on se croyait presque au Vietnam... (Manifestation dans la salle. Chahut.) parce que des exercices de vol à basse altitude ont eu lieu, plusieurs jours de suite, en ville.
Je dois dire que cela est particulièrement choquant, dans la mesure où ce sont des quartiers d'habitation et que ces vols n'ont pas forcément été effectués à une hauteur habituelle.
Mes questions sont les suivantes: d'une part, est-il pertinent de faire ces vols au-dessus de la ville, connaissant les risques que les hélicoptères peuvent causer en cas de crash ? D'autre part, y a-t-il des normes à respecter au niveau de l'altitude minimale de ces engins et ont-elles été respectées ? A mon avis, ça n'est pas le cas et je pense que cela ne devrait pas se reproduire.
J'ai encore une autre question. J'aimerais savoir combien ont coûté ces exercices dont on peut douter de l'utilité ?
Ma question suivante concerne le bruit, car je sais que Mme Spoerri est très sensible au problème du bruit. J'ai eu l'occasion d'aborder cette question avec elle. Ces hélicoptères, à mon avis, font sûrement autant de bruit que les scooters. J'aimerais donc savoir si ces engins respectent les normes acoustiques.
Ma dernière question est plus générale. Elle concerne la pertinence d'avoir des hélicoptères sur un site comme la caserne des Vernets. Quand on sait que sur un tel lieu, qui se trouve en pleine ville, on pourrait construire des logements, est-ce pertinent de laisser une caserne en ville ?
M. Roger Deneys (S). Mon interpellation urgente s'adresse à M. Cramer. Elle concerne aussi les TPG mais pas le sujet précédent - même si je ne partage pas votre point de vue.
Mon interpellation concerne les transports régionaux. J'ai appris que le préfet de l'Ain avait bloqué un passage de frontière pour un bus...
Des voix. De Haute-Savoie !
M. Roger Deneys. ...de Haute-Savoie. Mes sources sont manifestement mauvaises. J'aimerais savoir si le Conseil d'Etat et M. Cramer ont entrepris des démarches par rapport à ce problème.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je répondrai à une partie de votre interpellation, puisque vous avez gaiement mélangé la caserne des Vernets, les hélicoptères, la ville et autres. Je pense que nous aurons à examiner les raisons pour lesquelles il y avait des hélicoptères, mais je vous rappelle quand même qu'il y a à cela souvent plusieurs raisons. Elles peuvent être d'ordres sanitaire, sécuritaire ou topographique, et nous en avons fait l'expérience il n'y a pas très longtemps.
S'agissant de la caserne des Vernets. Si je me lève, c'est pour vous dire, une fois de plus, à tous, et après l'avoir lue aussi, la grande volonté du recteur de construire des logements pour étudiants. Je voudrais aussi vous rappeler pour la seconde et, j'espère, dernière fois, parce que vous êtes tous des gens dotés d'une grande mémoire... (Manifestation dans la salle. Exclamations.) ...que nous avons un contrat et des obligations avec la Confédération. Ces obligations nous conduisent en 2025.
Celles et ceux d'entre vous qui, à ce moment-là, seront toujours présents, pourront cogiter de belles affaires à la place des Vernets. Pour certains des logements, pour d'autres, des logements pour étudiants, pour d'autres encore, un parc, pour d'autres encore, des salles de concerts, etc. Tout ce qui vous fera rêver.
Pour l'heure, nous respectons nos obligations. Je rappelle que nous ne sommes pas libérés de nos obligations militaires, même avec Armée 21. (Applaudissements.)
Cette interpellation urgente est close.
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Monsieur Deneys, je pourrais bien sûr tout simplement vous renvoyer à la réponse que j'ai faite à M. Weiss, puisqu'il a posé la même question que celle que vous avez posée. Par courtoisie, je vous dirai que cette affaire est totalement franco-française. Par conséquent, nous n'avons pas à nous en mêler.
Nous étions invités à une manifestation d'inauguration, demain, et elle a été décommandée. Nous avons écrit à son organisateur pour regretter que cette manifestation soit décommandée, alors que nous avions à inaugurer tout d'abord une première ligne qui, elle, existe bel et bien.
Et puis concernant la seconde ligne, les nuages devraient raisonnablement se dissiper ces prochains jours ou ces prochaines semaines, et elle devrait être opérationnelle d'ici la fin de l'année.
Cette interpellation urgente est close.
Le président. Il sera répondu au reste des interpellations urgentes demain à 17h.
Préconsultation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, notre Grand Conseil a été saisi de la proposition du Conseil d'Etat de conférer à titre posthume cette bourgeoisie d'honneur à M. Sergio Vieira de Mello, représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies et Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, décédé dans les circonstances tragiques que nous connaissons.
Par cet acte, notre parlement veut rendre hommage à un infatigable défenseur de la paix au service des Nations Unies. Son action reflète particulièrement bien des valeurs chères à notre canton, siège européen des Nations Unies réputé pour son esprit propice au règlement pacifique des différends. M. de Mello mérite à un autre titre l'honneur que nous nous apprêtons à lui conférer: francophone et francophile, il a été le digne représentant et défenseur de cette culture qui nous est chère. Son action remarquable dans ses différentes fonctions au sein des organisations internationales présentes dans notre canton a participé au rayonnement international de Genève. En adoptant ce projet de loi en discussion immédiate - c'est ce que je vous propose, Mesdames et Messieurs les députés - notre conseil rend hommage à un homme de valeur ami de notre République.
Je mets aux voix la discussion immédiate pour ce projet de loi.
Mise aux voix, la proposition de discussion immédiate est adoptée.
Premier débat
La loi 9073 est adoptée à l'unanimité en trois débats par article et dans son ensemble.
Préconsultation
M. Robert Iselin (UDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais en premier lieu remercier Mme Brunschwig Graf - même si parfois j'ai des opinions qui sont différentes des siennes - d'avoir eu le courage, l'honnêteté intellectuelle et même plus de présenter ce qui nous a manqué depuis longtemps, c'est-à-dire un budget qui reflète relativement bien la vérité.
Ce budget permet enfin de réaliser que la situation financière de l'Etat de Genève est désastreuse. Cela, l'UDC l'a clamé depuis deux ans, mais vox clamantis in desertoje ne fais pas d'erreur dans cette citation grâce à mon collègue Weiss.
Il est vain d'espérer rapidement un retour à des années de haute conjoncture comme nous en avons connu récemment. Elles ne permettraient d'ailleurs que d'assurer un équilibre précaire et peu marqué de nos finances cantonales qui n'ont laissé apparaître, pendant quelques années, que des bonis qu'il faut bien qualifier de maigrichons.
Au rythme que nous avons connu depuis trois ou quatre ans - à la condition que les soldes positifs enregistrés aient été réels, ce qui n'est pas certain - l'Etat de Genève en avait pour des décennies avant de sortir du tunnel financier. Une solution sérieuse, qui attaque le mal à la racine, passe par une réorganisation en profondeur de l'appareil étatique. Ce n'est pas en effet en modifiant quelques données du côté des recettes et des dépenses que l'on remettra les choses d'aplomb. Tout au plus trompera-t-on une fois de plus les contribuables. Le problème présente un grand caractère d'urgence, de sorte que le gouvernement et derrière lui l'appareil étatique doivent s'atteler à la tâche sans perdre une minute. Nous ne pouvons pas attendre 2005. L'UDC estime par conséquent que l'exécutif doit remettre l'ouvrage sur le métier et, pour reprendre ses propres termes, passer de l'esprit d'expansion à l'esprit de rigueur dès lundi prochain.
Pour le surplus, et ceci à l'adresse de la gauche, c'est se payer de mots qu'attribuer ces résultats aux diminutions d'impôts votées ces derniers mois. La plus importante d'entre elles d'ailleurs remonte à deux ou trois ans et a été votée par le peuple: il convient de ne pas l'oublier. Si l'on veut sortir Genève du marasme, il faudra cesser de chasser les hauts revenus, poussés à l'exode financier. Ce système ne fait qu'augmenter le chômage.
Mme Mariane Grobet-Wellner (S). Plus d'un demi-milliard de déficit; près d'un milliard d'insuffisance de financement avec une aggravation équivalente de la dette de notre canton. Voilà le projet de budget 2004 tel qu'établi par notre Conseil d'Etat. Les socialistes tiennent à dire que ce projet est tout simplement inacceptable en l'état. L'augmentation des dépenses se limite à 1,8% par rapport au budget 2003: elle est principalement due à l'augmentation des besoins de la population et non pas à l'augmentation des prestations de l'Etat à son égard. Nous ne pouvons souscrire à un tel résultat. Le problème se situe au niveau des ressources de l'Etat et tout particulièrement de la diminution des recettes fiscales. Nous ne pouvons que constater les dégâts causés par l'acharnement de la droite à proposer des baisses d'impôts. Les socialistes n'ont cessé de tirer la sonnette d'alarme face au travail de sape - parce que c'est de cela qu'il s'agit - de la droite majoritaire. Celle-ci prétendant avec une belle assurance que la diminution de 12% des impôts cantonaux allait amener plus de recettes par l'affluence massive de contribuables fortunés. Cette prévision s'avère aujourd'hui totalement farfelue. Je tiens à rappeler que l'impact de l'IN 111 entre 1999 et 2002 est de l'ordre d'un milliard de pertes de recettes fiscales; pour être précise, ce sont 1 116 900 000 F d'insuffisance de recettes engendrée par cette initiative. Nous l'avions répété à l'époque sans effet et les chiffres nous donnent hélas raison aujourd'hui. Le canton n'a plus les moyens de financer les prestations à la population: voilà le résultat de vos agissements, Mesdames et Messieurs les députés de droite. Vous avez proposé une réduction d'impôt à la population en prétendant qu'il n'y aurait pas de diminution des prestations. Vous avez même prétendu que les recettes allaient augmenter en raison de la venue de contribuables fortunés. Au mieux, vous vous êtes trompés lourdement par ignorance crasse; au pire, vous avez affirmé des contre-vérités en toute connaissance de cause. C'est donc à vous, aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, de faire des propositions concrètes de réduction de prestations, voire d'augmentation de recettes afin de limiter les dégâts.
Les socialistes s'opposent fermement à toute réduction des prestations sociales à la population ainsi qu'au non-respect des engagements salariaux à l'égard du personnel de l'Etat. En conclusion, nous voterons l'entrée en matière et nous étudierons toute autre proposition visant à réduire le déficit. (Applaudissements.)
M. Jean-Marc Odier (R). Permettez-moi de revenir à fin 2001, au début de l'examen du budget 2002. Je reprends une brochure qui nous avait été délivrée alors par le département des finances était dirigé par Mme Calmy-Rey. Le titre de cette brochure est: «Le système genevois de redressement des finances publiques, une méthode et des résultats». En conclusion, on lit, sous la plume de Mme Calmy-Rey: « A l'issue de cette législature, je crois vraiment que le Conseil d'Etat s'est donné les moyens d'une politique budgétaire durable.»
Aujourd'hui on nous annonce 550 millions de déficit. Le Conseil d'Etat annonce également qu'il crée une délégation aux finances. Certes, il hérite d'une situation dont il ne cache pas l'ampleur du caractère désastreux. Nous ne pouvons que le féliciter de montrer la réalité des chiffres. Ce qui nous étonne, c'est qu'il n'ait rien vu venir et qu'il n'ait pas créé cette délégation aux finances avant. M. Weiss a d'ailleurs posé cette question et le président du Conseil d'Etat l'a esquivée en prétendant qu'il ne la comprenait pas.
Mesdames et Messieurs, ce budget est inacceptable et le groupe radical n'entrera pas en matière!
La diminution des recettes était prévisible: moins 265 millions. De 1991 à 1997, soit en sept ans, les recettes ont augmenté de 450 millions. Deux ans plus tard, elles avaient augmenté d'un milliard. Il s'agissait là - c'était clair - d'une hausse purement conjoncturelle. Nous l'avions dit et nous avions demandé au Conseil d'Etat d'être extrêmement prudent; de ne pas intégrer dans le budget des charges stables, des postes et d'affecter les résultats positifs à la diminution de la dette.
L'augmentation des charges - 336 millions cette année - est notamment constituée par 4% d'augmentation des charges de personnel alors qu'il n'y a pas d'inflation. 4% d'augmentation des charges de personnel y compris le personnel temporaire! Cela tient en deux lignes dans le budget. 90 millions de dépenses générales, soit une augmentation de 26%. Les subventions, elles, augmentent encore jusqu'à 70 millions.
Il y a effectivement un problème de report des charges de la Confédération sur les cantons. Il nous faudra résoudre ce problème d'une manière ou d'une autre. Nous devrons cependant forcément réduire les charges.
Je rappelle cette épée de Damoclès qui est le taux d'intérêt. Actuellement, nous avons un taux stable. Pour ces prochaines années en revanche, on entend dire que ce taux serait plutôt à la hausse. 1% de hausse pèsera 100 millions sur nos dépenses.
Comment allons-nous agir? Pouvons-nous travailler ce budget à la commission des finances? Nous répondons que non. Tout simplement parce que les quinze députés de cette commission n'ont pas les moyens matériels de procéder à cet examen. Ce sont des députés de milice! Ils ne peuvent pas avoir les mêmes informations que le Conseil d'Etat et que les collaborateurs de celui-ci qui sont des professionnels. C'est le budget du Conseil d'Etat et il doit venir avec des propositions. Ceux qui pensent que l'on pourrait travailler en sens inverse sont tout simplement naïfs ou s'opposent à la réduction des dépenses. D'ailleurs ce soir encore on nous a demandé l'urgence pour un projet de loi qui n'est pas urgent compte tenu des problèmes financiers de l'Etat. Il s'agit du projet de subvention pour le MAMCO, pour lequel nous pensons qu'il est surtout urgent d'attendre. (Brouhaha.)
Nous attendons du Conseil d'Etat qu'il vienne devant ce parlement avec des propositions d'économies et de modifications législatives. A ce moment-là, les partis pourront se prononcer sur ces propositions et le débat de fond pourra avoir lieu. M. Hiler nous demande un débat de fond; nous, ce que nous désirons, c'est que le Conseil d'Etat vienne avec des propositions après quoi nous aurons un débat de fond. Il faudra forcément réfléchir au rôle de l'Etat et limiter les dépenses aux tâches essentielles de celui-ci.
Des voix. Lesquelles?
Une voix. Les tâches d'autorité. (Vif brouhaha.)
M. Jean-Marc Odier. J'aimerais dire encore que ceux qui entrent en matière sur le budget tel qu'il nous est présenté aujourd'hui endossent une lourde responsabilité face à la dégradation des finances et face au report des charges sur les générations futures. Ces gens entrent en matière sur un déficit de 550 millions, mais ils ne nous donnent pas de piste pour le réduire. (Hilarité sur les bancs de l'Alternative. Brouhaha.)L'an prochain ne sera pas meilleur, car nous rentrons dans un cycle de baisse des recettes. Si nous ne prenons pas, aujourd'hui, les mesures pour réduire les charges et tendre à un équilibre, nous aurons, d'année en année, un milliard supplémentaire de déficit et d'endettement.
Ne pas entrer en matière sur ce budget, c'est marquer notre volonté politique de façon extrêmement ferme. Nous voulons que le Conseil d'Etat la remarque et qu'il revienne devant ce parlement avec des propositions dont nous débattrons sur le fond. C'est la seule manière de réduire les dépenses pour équilibrer les comptes. (Applaudissements.)
M. Jean Spielmann (AdG). Au préalable, à l'attention de M. Odier, je précise qu'il n'y a pas de vote d'entrée en matière sur le budget puisqu'elle est obligatoire. Ce budget retournera donc en commission. Celle-ci l'examinera et prendra sa décision.
Au reste, nous avons eu, nous aussi, une réaction très forte au moment de la présentation de ce budget, parce qu'effectivement il y a une série de problèmes politiques qui sont à l'origine de ce budget. Vous ne pouvez pas ignorer, Mesdames et Messieurs, que dans notre société il y a une augmentation des charges - 5000 personnes de plus - il y a les augmentations nécessaires et utiles au développement de notre société dans toute une série de domaines: la formation, la santé, les prestations sociales, le logement, les transports ou la sécurité. Toutes ces charges ne cessent d'augmenter. La vraie question que nous devons nous poser, c'est de savoir si ces charges sont nécessaires et utiles à la population. Si la réponse est oui, eh bien, il nous faut trouver les moyens financiers et les moyens d'organiser le travail pour répondre à ces besoins.
Je vous entends bien, Mesdames et Messieurs des bancs d'en face, nous dire qu'il y a des problèmes avec le budget et qu'il y a un déficit. Evidemment! Regardez la situation politique dans d'autres cantons et au niveau de la Confédération, Mesdames et Messieurs! Monsieur Odier, vous l'avez mentionné justement: la Confédération reporte de nombreuses charges sur les cantons. M. Villiger s'en va aujourd'hui avec 122 milliards de dette. Sa politique a consisté en des cadeaux fiscaux aux riches, en la réduction du droit de timbre tandis que les impôts pressuraient les petits revenus. C'est exactement la politique que vous conduisez depuis quelque temps ici.
Il y a des lois, Mesdames et Messieurs, et le Conseil d'Etat est obligé de les appliquer. C'est un peu simple de voter des lois qui devraient, selon vos théories, grâce aux baisses d'impôts, grâce aux réductions des recettes, augmenter l'activité économique du canton et réduire le chômage. On voit que partout où cette doctrine est appliquée, c'est exactement le contraire qui se passe. Le résultat de votre politique, ce sont des difficultés économiques pour les PME, l'augmentation du chômage, des difficultés financières pour une grande partie de la population. Cette politique qui échoue partout, vous entendez, Mesdames et Messieurs de l'Entente et de l'UDC, continuer à l'appliquer dans ce canton. Nous ne sommes pas d'accord avec cette position et nous la combattrons par tous les moyens politiques.
Il ne suffit pas, Mesdames et Messieurs les députés, de demander au Conseil d'Etat de présenter un meilleur budget: il faut modifier les lois, car la plupart des dépenses sont affectées par le biais de lois que vous ne pouvez pas modifier sans proposer des projets de lois. Or, vous n'avez pas la volonté politique de le faire, puisque vous demandez au Conseil d'Etat de revenir avec un autre budget. Vous savez très bien que cette alternative est mauvaise et qu'elle n'apportera aucune solution.
Pour nous, nous considérons qu'il y a effectivement des besoins à satisfaire et qu'il faut y répondre. Il y a de l'argent dans ce canton, de l'argent qui permet de répondre aux besoins en matière de santé, de prestations sociales et de formation. Il nous faut aller dans cette direction. Cette crise est une crise des recettes et non pas des dépenses. C'est dans cette optique-là que nous corrigerons ce budget. Nous sommes convaincus que la correction de ce budget doit être effectuée par ceux qui sont responsables des lois et de la mise en place de la politique de ce canton, c'est-à-dire par le Grand Conseil.
On ne peut pas chibrer au Conseil d'Etat! En fait, Mesdames et Messieurs des bancs d'en face, vous voulez renvoyer ce budget à vos amis politiques qui n'ont pas été capables de présenter autre chose que le budget qui nous a été transmis. Je ne vois pas à quoi cela vous amène. C'est une démission politique de votre part! Vous refusez vos responsabilités! Ceux qui, en commission, renverront ce budget au Conseil d'Etat auront refusé de prendre leurs responsabilités politiques, et ce seront les mêmes qui ont mis en place la politique qui conduit au déficit que nous connaissons. C'est cette politique-là qu'il faut corriger. Sans corriger votre politique, Mesdames et Messieurs des bancs d'en face, nous n'arriverons pas à avoir un budget équilibré.
Je terminerai simplement en vous demandant à tous, Mesdames et Messieurs les députés, de bien regarder ce tableau. (M. Spielmann présente un document.)Si vous regardez attentivement ce tableau, vous verrez qu'avec une majorité de gauche au Grand Conseil, on a réussi à inverser complètement la tendance déficitaire. (Hilarité sur les bancs de l'Entente et de l'UDC.)Aujourd'hui on replonge dans le déficit et cela, c'est le fruit de votre politique.
M. Philippe Glatz (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, il m'appartient de vous exposer ici, ce soir, la position claire et sans ambiguïté du groupe démocrate-chrétien. Celui-ci estime que ce budget 2004 doit être renvoyé au Conseil d'Etat. (Rumeur.)Il s'agit pour nous d'exprimer un signe fort aux autorités exécutives afin de leur faire savoir que nous ne sommes pas prêts, d'année en année, à accepter sans autre - et je pèse mes mots - un déficit d'une telle ampleur. Je n'y reviendrai pas, les préopinants ont déjà largement décrit les structures de ce budget.
Selon le groupe démocrate-chrétien, ce budget doit être renvoyé au Conseil d'Etat également pour être un peu retravaillé. Nous savons tous dans cette enceinte qu'il sera difficile pour notre autorité exécutive de nous présenter d'ici le mois de décembre un budget modifié à un point tel qu'il n'y apparaîtrait plus aucun déficit. En effet, le budget de l'Etat est la résultante, principalement, d'un grand nombre d'obligations et de contraintes auxquelles l'autorité exécutive ne peut se soustraire. Lorsqu'elle élabore ce budget, elle doit se référer aux lois que nous, Mesdames et Messieurs les députés, avons votées. Ces lois imposent à l'exécutif de remplir certaines missions. Par conséquent, et nous le savons, il sera difficile de nous présenter un budget équilibré d'ici le mois de décembre.
Le groupe démocrate-chrétien ne fait pas du déficit un épouvantail. Il demande cependant que, si le Grand Conseil doit accepter un déficit, celui-ci doit être accompagné de mesures concrètes... préparées par l'exécutif. (Exclamations.)Ces mesures concrètes nous permettrons de nous projeter positivement dans l'avenir, plutôt que de se laisser aller à surfer sur la vague comme vous en avez l'habitude, Monsieur Brunier. Nous devons être assurés qu'un tel budget ne pourra pas se reproduire en 2005 et en 2006. Ce n'est qu'à cette condition que le groupe démocrate-chrétien pourrait éventuellement revenir sur la position qu'il exprime ce soir. Il exigera que l'on nous présente un projet - en quelque sorte un discours de Saint-Pierre en milieu de législature - afin que nous sachions où nous allons dans les années qui viennent. En effet, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser ainsi aller les choses comme le souhaiterait M. Brunier. En conséquence, nous vous demanderons, demain, une fois que la commission des finances se sera prononcée, de renvoyer ce projet de budget au Conseil d'Etat.
Mme Morgane Gauthier (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, les Verts estiment qu'il faut entrer en matière sur ce budget et que la procédure normale soit suivie.
Après la série «Que fait la police?» on pourrait intituler les épisodes de ces derniers temps «Mais que fait la droite?». Ce serait une sorte de petite ronde: on baisse les impôts; une mauvaise conjoncture économique arrive; horreur! le déficit! on diminue les prestations; on obtient un budget plus ou moins équilibré; on baisse les impôts; et ainsi de suite. C'est un peu enfantin, mais c'est bien ce qui se met en place aujourd'hui.
Que se passe-t-il en commission fiscale et que s'est-il passé ces derniers temps? L'initiative libérale visant une baisse d'impôt de 12% a coûté 340 millions de recettes par année, comme l'a dit Mme Grobet-Wellner. Qu'y a-t-il encore devant nous? Quel projet passera encore devant le peuple? L'initiative sur la suppression des droits de succession qui nous coûtera un minimum de 70 millions de francs, voire plus si le jugement sur les forfaits est cassé. Il reste encore de nombreux projets de lois en suspens devant la commission fiscale pour lesquels les baisses de recettes s'élèvent à environ 200 millions. Cela sans parler des reports de charges de la Confédération, sans parler du refus de la majorité, ce soir même, d'examiner le référendum cantonal sur le paquet fiscal fédéral qui amènera une baisse des recettes fiscales de 110 millions par année. Quand l'économie faiblit, l'Etat, qui se doit d'assumer des tâches, voit revenir les déficits. Nous voulons un Etat pérenne qui assume ses tâches.
Que font l'Entente et l'UDC? Elles n'osent même pas assumer devant la population leurs propositions et surtout les conséquences de celles-ci. Quelles sont les prestations à supprimer, Mesdames et Messieurs? Avons-nous eu des réponses ce soir? Aucune. Est-ce plutôt l'aide aux personnes âgées; les subventions aux hôpitaux; les subventions aux TPG? A qui et où? Dites-nous cela, Mesdames et Messieurs! Voulez-vous toucher au statut de la fonction publique?
Des voix. Oui! Oui! (Brouhaha.)
Mme Morgane Gauthier. Voulez-vous toucher aux EMS? Quels sont les domaines prioritaires? Quels sont les critères qui détermineront les coupes? A toutes ces questions, nous n'avons pas eu de réponses. Il y a deux ans que vous avez la majorité et il y a deux ans que nous attendons votre programme, que nous attendons que vous nous disiez simplement ce que vous voulez faire. Votre solution miracle cette année: renvoyer le budget au Conseil d'Etat pour que celui-ci revoit sa copie.
Vous savez pourtant comme nous, Mesdames et Messieurs, qu'un budget est élaboré pendant de longs mois et se construit par un long consensus.
Les dépenses sont en majorité liées aux lois. Que font l'Entente et l'UDC depuis deux ans? Quelles sont leurs propositions de modifications législatives pour diminuer les dépenses? Aucune. Les seules propositions de lois que nous avons visent à diminuer les recettes fiscales!
Quelles sont les raisons de cette situation me direz-vous? Si vous vous attaquiez aux prestations, Mesdames et Messieurs, auriez-vous peur que le peuple ne vous suive pas et descende dans la rue pour dire qu'il n'est pas d'accord? La conclusion, c'est que vous n'assumez pas vos responsabilités et vous «refilez la patate chaude» au Conseil d'Etat en espérant que ce dernier fasse le sale travail à votre place.
Ce que les Verts demandent ce soir, c'est que la procédure normale d'examen du budget soit suivie et qu'un examen attentif et rigoureux soit fait en commission. Sur certaines propositions, nous pourrions éventuellement suivre la majorité, mais nous attendons depuis deux ans des propositions concrètes. Nous attendons que la majorité fasse des choix et assume ses positions. Nous demandons que notre Grand Conseil, qui est l'organe législatif de ce canton, qui est là pour proposer et voter des lois, fasse son travail. C'est ce que nous vous demandons de faire sereinement dès demain. (Vifs applaudissements.)
M. Pierre Weiss (L). Je crois que s'il suffisait d'augmenter les impôts pour équilibrer les comptes, le mieux serait que l'Alternative lance une initiative en ce sens. Je me réjouirais que le peuple la rejette illico.
Ce budget, d'autres l'ont dit avant moi, est désastreux et par son déficit et par l'endettement qu'il prévoit. Un peu d'histoire ne sera probablement pas de trop ici. Pendant les années 1991 à 1997, les charges ont augmenté d'environ 500 millions. Cela correspondait à environ 2% d'augmentation par an. De 1997 à 2003, les charges ont augmenté de 4% par an. Pendant les trois dernières années, elles ont augmenté de 6% par an. Si les charges n'avaient augmenté, depuis 1997, que de 2 ou de 2,5% par an, nous n'en serions pas là aujourd'hui. Nous pourrions croire les propos rappelés tout à l'heure par M. Odier.
Il s'agit donc de tirer profit du passé et de rappeler les méthodes utilisées alors. L'explosion des charges vient d'un certain nombre d'automatismes légaux indifférenciés. Il est temps d'y mettre fin. Cette crise est en effet davantage une crise des charges qu'une crise des recettes, qui malgré l'initiative libérale sur les 12% de réductions d'impôts - initiative plébiscitée par le peuple - sont restées stables. Cette réduction des impôts non seulement a été acceptée par le peuple, mais aurait dû inciter le Conseil d'Etat à un certain nombre de réflexions sur les priorités et sur des réformes structurelles. Je regrette que ces réflexions n'aient pas eu lieu. Au début 2003, alors qu'une proposition visant à reprendre le budget 2003 avait été justement repoussée, on nous avait promis une réflexion de fond pour le budget 2004. Je regrette également que cette promesse n'ait pas été tenue. Au passage, je regrette de même que l'audit, plébiscité par le peuple ne soit pas davantage mis en oeuvre. Il y a donc une absence de réflexion sur les priorités en situation de contrainte; cette dernière étant issue de la volonté du peuple.
Pour prendre deux points qui figurent dans ce budget et qui font état d'une priorité exprimée par le Conseil d'Etat, nous disons oui à l'engagement de nouveaux collaborateurs pour le département de l'instruction publique, car la formation est une mission prioritaire de cet Etat; nous disons également oui aux engagements pour la sécurité des citoyens. Ces engagements doivent pourtant se faire à budget constant, autrement dit sans qu'il y ait augmentation globale du nombre des employés de l'Etat. 2,5% par an - c'est ce qui est demandé - c'est évidemment inférieur à la rotation du personnel. (L'orateur est interpellé.)Monsieur Velasco, permettez-moi de finir!
Le Conseil d'Etat demande un certain nombre de suggestions de notre part. Admettons que des premières réponses puissent lui être fournies, par exemple demain soir. Je signale simplement ici qu'un certain nombre de projets de lois ont été déposés par la majorité. Ils concernent par exemple les subventions ou la loi sur le chômage. D'autres attendent, comme le revenu déterminant en matière sociale - je ne comprends d'ailleurs pas que ce projet n'ait pas encore pu être traité par ce Grand Conseil. A ces propositions s'ajouteront d'autres projets de lois que nous ne manquerons pas de déposer, visant une modernisation du statut de la fonction publique. Je note au passage que le peuple genevois avait accepté une telle loi au plan fédéral. En l'absence d'une réflexion de fond, nous proposerons aussi un frein à l'endettement et un frein aux dépenses.
Le parti libéral et ses députés attendent donc du Conseil d'Etat un programme d'assainissement structurel. Il est quand même étonnant que les Conseils d'Etat de Lucerne, de Zurich et de Berne aient proposé des mesures d'assainissement; que le Conseil d'Etat de Lucerne ait restructuré son administration; que celui de Zurich ait proposé 144 mesures visant à dégager 2,7 milliards d'ici à 2007; que le Conseil d'Etat de Berne ait proposé 400 mesures acceptées par 120 voix contre 60 par le Grand Conseil visant à réduire l'endettement de 100 millions par an. Berne, rappelons-le, est endetté pour le même montant que Genève, soit 11 milliards environ. Pourquoi n'a-t-on encore rien entrepris à Genève? C'est une question qu'il faut poser au Conseil d'Etat et c'est la raison pour laquelle nous n'entrons pas en matière sur ce budget et nous le renvoyons au Conseil d'Etat.
Nous avons un objectif: diminuer le déficit d'environ 250 millions pour cette année. Nous sommes bien conscients qu'il n'est pas possible, d'un coup d'un seul, de réorienter le paquebot étatique. Les choses doivent se faire progressivement, mais il y a manifestement une insuffisance de réflexion de fond. C'est celle-là que nous attendons. Il sera aussi possible de réduire un certain nombre de réalisation de la Fondation de valorisation afin de permettre une baisse de l'endettement de l'Etat. Je crois que, de cette façon, nous aurons pu, d'ici à la fin de 2004, réaliser ce retour progressif vers une meilleure fortune de l'Etat. Au passage, nous aurons diminué, dans une situation délicate, le coût de nos emprunts.
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur.
M. Pierre Weiss. En conclusion, la vérité nue est parfois cruelle. Je rends hommage ici, et mes collègues libéraux se joignent à moi, à Martine Brunschwig Graf pour avoir présenté une addition honnête. Avec le poids des chiffres et le choc des graphiques, elle a illustré qu'il y avait une diminution de la détérioration de la marge de l'Etat. Il s'agit maintenant d'aller vers une amélioration réelle de celle-ci.
D'accord donc pour la rigueur si elle commence en 2004. Pour le moment, nous n'en voyons pas suffisamment la trace.
Voici maintenant une proposition, puisque le Conseil d'Etat en demande: on pourrait, sur le plan formel, imaginer qu'une commission mixte soit créée qui regroupe un député par parti, membre de la commission des finances, et le Conseil d'Etat... (Brouhaha.)...afin de suggérer des mesures. Mais je vois à vos réactions ironiques, Mesdames et Messieurs, que vous ne croyez pas que la commission des finances en soit capable. Je retire donc illico ma proposition. Elle aurait permis pourtant d'améliorer notre situation cantonale et d'avoir un budget 2004 que nous pourrions accepter au mois de décembre. Au lieu de cela, nous devrons peut-être commencer l'année 2004 avec des douzièmes provisionnels.
Voilà la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui après la perte de maîtrise qui s'est produite ces cinq dernières années à l'Etat de Genève en ce qui concerne ses finances. (Brouhaha.)Il est temps de reprendre les rênes du char étatique en main. C'est ce que le parti libéral propose.
Le président. La parole est à Mme la conseillère d'Etat Martine Brunschwig Graf qui dispose de dix minutes selon l'article 72 de notre règlement.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais dire en préambule - quelles que soient les opinions des uns et des autres - que le fait d'avoir mis sur la table ce que chacun est prêt à reconnaître de la situation d'aujourd'hui devrait peut-être encourager l'ensemble de ce parlement à se poser la question de savoir comment on sort d'une telle situation.
554 millions de déficit, c'est le signe d'une difficulté, d'une détérioration, d'un endettement et, somme toute, vis-à-vis des marchés financiers, d'une évaluation qui pourrait se révéler beaucoup plus difficile et beaucoup moins avantageuse. C'est pour moi un sujet de préoccupation important parce qu'au-delà de toutes les disputes politiques il y a, pour l'Etat de Genève - en terme d'endettement comme en terme de liberté de manoeuvre pour les dépenses futures - un souci: le souci de ne pas être rattrapé par la machine infernale des intérêts à assumer; des amortissements qui augmentent et en définitive - quelles que soient les opinions dans ce parlement sur ce qu'il faut faire ou ne pas faire - le souci de ne pas se voir ligoter petit à petit. Chacun d'entre nous devrait donc se demander: que peut-on faire?
Ce budget, quoi qu'on en pense, Mesdames et Messieurs les députés, a demandé un effort au Conseil d'Etat. Vous l'aurez constaté dans la croissance des subventions qui n'a jamais été aussi faible depuis longtemps; dans celle des charges de personnel dont vous avez vu qu'une partie est consacrée à la prise en compte des chômeurs et des occupations temporaires. Cette dernière augmentation n'est pas négligeable dans la progression des dépenses de personnel. On constate peut-être moins les efforts du Conseil d'Etat dans les dépenses générales, j'y reviendrai tout à l'heure.
Au-delà de cela, il y a eu, au Conseil d'Etat, un débat et une réflexion, une prise en considération des réalités. Je dirais au passage que nous vivons dans un canton où les débats politiques - tous partis confondus - ne s'enclenchent jamais avant qu'on ait le problème sous les yeux, et encore de façon particulièrement marquée. Et aujourd'hui, si le Conseil d'Etat a déposé un budget - ce qu'il est obligé de faire avant le 15 septembre - et qu'il a précisément déposé ce budget-ci, c'est qu'il en a débattu assez longuement. Si le Conseil d'Etat a formé une délégation aux finances, ce n'est pas par une volonté cosmétique, mais pour montrer que les mesures à prendre n'étaient pas l'affaire simplement de celle qui est responsable des finances. Lorsque j'ai dit dans la presse l'autre jour que, pour que le budget 2004 soit différent, il aurait fallu s'y prendre en novembre de l'année dernière; lorsque nous avons décidé de prendre des mesures pour 2005 et 2006 au mois de novembre de cette année déjà, c'est parce qu'il est vrai qu'on ne manoeuvre pas un bateau comme l'Etat de la même façon qu'un frêle esquif, même si parfois j'ai l'impression qu'il en est un. Ce n'est pas cosmétique quand nous disons que nous prenons les choses en main et que nous entendons prendre des mesures en profondeur.
C'est pourtant aussi totalement irréaliste de penser que l'on peut diminuer ce budget de 250 millions cette année. Je dis cela clairement.
S'agissant des crises de recettes ou de dépenses, il n'est pas normal d'augmenter les dépenses de 6% par année. Ce n'est pas normal, parce que cela présuppose que l'on puisse augmenter les recettes de 6% par année. Si cela s'est produit dans une période de très haute conjoncture, nous savons les uns et les autres que, même avec un bon rythme conjoncturel et à part quelques surprises, les recettes ne peuvent pas suivre l'évolution des dépenses à ce rythme. Même si c'était possible, l'augmentation des charges dues à la Fondation de valorisation qui nous plombe la dette chaque année quoi qu'il arrive, oblige à dégager une marge de manoeuvre qui nous permette réellement, petit à petit, de réduire la dette. Cette marge de manoeuvre ne peut exister si les dépenses croissent de 6%, même en admettant que les recettes croissent au même rythme et dans la même proportion. C'est la raison pour laquelle j'ai dit, en présentant le budget, que ce n'était pas possible de continuer à ce rythme-là. Si nous avions suivi une croissance de 2,5% depuis l'an 2000 aujourd'hui, nous aurions 500 millions de moins et pratiquement pas de déficit!
C'est pourquoi je vous mets en garde, les uns et les autres, contre les anathèmes et contre la volonté de savoir à qui est la faute. Je n'ai pas entendu, dans ce Grand Conseil, à la veille des élections cantonales de 2001 beaucoup de gens déplorer la diminution d'impôts de 12%! Il est vrai aussi que le Conseil d'Etat a pris à son compte, alors même qu'il y était opposé, la diminution des recettes fiscales. Il a pris à son compte le fait qu'on a pu rétablir les finances, comme cela a été écrit, et en même temps baisser les recettes...
Aujourd'hui, le peuple a voté. J'étais de ceux qui s'opposaient à cette baisse et j'ai pris des risques vis-à-vis de mon propre parti; mais aujourd'hui je dis que ce n'est pas la solution de se lancer des anathèmes de ce genre-là. Je dis aussi autre chose à l'intention de la droite du parlement, comme je l'ai fait en commission des finances: il ne serait pas raisonnable de poursuivre, à la commission fiscale, les travaux sur des projets de lois visant des diminutions de recettes de 100 à 150 millions. Ce n'est pas plus raisonnable que de croire qu'on peut rajouter les 300 millions de baisse acceptés en votation populaire. Là réside une partie de nos débats et une partie des accords que nous devons rechercher.
Au-delà de cela, Mesdames et Messieurs les députés, vous choisirez en commission, puisque vous l'avez convoquée demain, ce que vous entendez faire; mais il y a une chose qui me paraît importante à vous dire: il est hors de question pour le Conseil d'Etat de recevoir un budget en retour sans savoir ce que vous entendez faire dans les grandes lignes avec le budget. Des deux côtés!
Je dis aussi à la gauche qu'il n'est pas plus simple de rejeter sur la droite la nécessité de réfléchir aux recettes qui n'existent plus; qu'il n'est raisonnable pour la droite de penser qu'on puisse prendre des mesures sans indiquer des pistes. Nous avons dit que nous étions disposés à prendre des mesures. Nous avons dit que nous étions disposés à faire un travail en profondeur. Nous ne sommes toutefois pas disposés à travailler le budget 2004 à la hache.
Pour le budget 2003, il y a eu une forme d'incantation: chacun a voulu croire que le boni était de 80 millions. L'incantation a été très largement partagée tous partis confondus, à l'exception de certaines interventions. Je vous le dis très clairement: les félicitations de tous bords qui sont venues à ce moment-là, chacun les a partagées d'une façon ou d'une autre. Alors aujourd'hui, il ne faut pas se lancer des horions à travers le parlement; il faut prendre sérieusement des mesures. S'engager dans les mesures, ce n'est pas les donner dans les détails; ce n'est pas travailler rubrique après rubrique et croire qu'on va apporter quelque chose. C'est dire assez clairement quels sont les domaines auxquels on veut s'attaquer. Ces domaines-là sont difficiles. Ils sont pleins de risques, mais ils doivent au moins être évoqués. Autrement, il règne toujours les mêmes phantasmes à l'intérieur du parlement. J'exigerai tout de même, au nom du Conseil d'Etat, que dans le débat que vous avez prévu d'avoir ou que vous envisagez d'avoir, vous ne vous contentiez pas d'évoquer des chiffres, mais que vous soyez clairs sur ce que vous souhaitez faire.
Je terminerai cette intervention en répétant ce que j'ai dit au moment de présenter le budget en commission: nous devons passer de l'esprit d'expansion à l'esprit de rigueur. Cela ne demande pas seulement une rigueur financière, mais aussi une rigueur intellectuelle. Celle-ci nous interdit, je l'ai dit, de faire de la cosmétique. Elle nous interdit d'accepter une fois une règle et d'en demander une autre à un autre moment. Elle nous interdit aussi de croire que le miracle se produira éternellement par le biais de la conjoncture. Elle nous interdit enfin de croire que le miracle se produira dans la division du parlement. Vous avez, Mesdames et Messieurs, un travail à faire qui va au-delà de ce débat. Vous avez, les uns et les autres, la capacité d'y réfléchir, d'y travailler. Si nous voulons des finances publiques durables, je ne pense pas, Mesdames et Messieurs les députés, que nous trouverons la solution en se rejetant la faute. On trouvera cette solution si tous les partis font preuve d'un certain courage politique. Pour sa part, le Conseil d'Etat entend assumer ce courage-là. Il le fera dans la durée et c'est dans cet esprit qu'il a déposé ce budget et qu'il entend travailler pour les budgets suivants.
Ces projets sont renvoyés à la commission des finances
Débat
M. Jacques Pagan (UDC), rapporteur de majorité. Il est 22h20. Je suppose que vous êtes pressés de rentrer chez vous... (Brouhaha.)...et que vous avez lu tous les documents qui vous ont été remis... (L'orateur est interpellé.)Mais pas du tout, Monsieur le député ! Je reprends: comme vous connaissez en principe parfaitement les documents qui vous ont été remis, votre connaissance devrait être suffisante pour pouvoir débattre des problèmes juridiques posés par ce texte. (Brouhaha.)Nous avons toutefois une certaine dette vis-à-vis des téléspectateurs et des téléspectatrices qui suivent les débats de ce parlement et qui essaient de comprendre ce qui s'y passe. C'est la raison pour laquelle je me permettrai tout de même de dire quelques mots concernant cette initiative. Peut-être s'agit-il pour mon opposant d'une perte de temps, mais, en réalité, nous gagnerons le temps que je vous fais perdre du fait que ses explications en seront diminuées d'autant...
Le président. Tant que vous respectez votre temps de parole, vous pouvez y aller !
M. Jacques Pagan. Pourriez-vous, Monsieur le président, me rappeler quel est le temps de parole à ma disposition ?
Le président. Vous disposez de sept minutes par intervention.
M. Jacques Pagan. Combien ?
Le président. Sept minutes.
M. Jacques Pagan. J'essaierai d'être rapide !
Il s'agit aujourd'hui de trancher sur la validité de l'initiative 120, initiative constitutionnelle entièrement rédigée dont le titre est «Pour la sauvegarde et le renforcement des droits des locataires et des habitant-e-s de quartiers». Je vous avoue qu'à la lecture du titre j'ai déjà eu quelque peine à saisir exactement la différence entre les locataires et les habitants de quartiers. J'en ai déduit que, si une nuance était opérée entre habitants de quartiers et locataires, c'est que ces habitants ne pouvaient être que des propriétaires. J'ignore si ma déduction est exacte, mais M. Sommaruga aura l'occasion de préciser sa pensée à ce sujet.
L'objet de cette initiative est d'inscrire dans la constitution diverses normes existant déjà dans le droit positif et portant simultanément sur divers domaines, à savoir: les droits des locataires et des habitants, les mesures que l'Etat doit prendre pour faciliter la construction de logements répondant aux besoins de la population, les démolitions, transformations, rénovations et ventes d'appartements, la préservation de l'habitat ou encore le Tribunal des baux et loyers et la procédure administrative applicable. Cette initiative cherche donc à inscrire dans le droit constitutionnel des normes existantes afin d'empêcher que celles-ci ne puissent être modifiées autrement qu'en passant devant le peuple. Voilà quelle est la finalité de cette initiative: il s'agit de bétonner certaines dispositions éparses de notre législation que l'on a hâtivement regroupées sous un titre générique, lequel ne possède pas en soi une grande signification: «Pour la sauvegarde et le renforcement des droits des locataires et des habitant-e-s de quartiers».
J'ai inséré dans le rapport de majorité le document que les citoyens et les citoyennes ont eu l'occasion de signer - ou, à tout le moins, d'étudier pour déterminer s'il valait la peine de soutenir l'initiative 120. Ce texte me semble suffisamment parlant en lui-même. Je vous le présente ici dans sa forme d'origine. Il s'agit d'un texte extrêmement dense et complexe, qui comporte énormément de dispositions et qui est loin d'être facile à lire. Je dois reconnaître - et cela constitue un argument en votre faveur, Monsieur Sommaruga - que je ne suis pas un spécialiste du droit immobilier ou du droit des locataires. Cependant, pour un juriste habitué à traiter des textes de diverses natures, je vous avouerai qu'il m'a fallu m'accrocher pour aller jusqu'au bout de la lecture de ce texte et tenter de comprendre la substantifique moelle des propos qui y sont imprimés. J'imagine dès lors que le pauvre citoyen ou la pauvre citoyenne se trouvant face à un pareil texte doit passablement ramer pour de se faire rapidement une idée quant à sa signification !
Cette initiative a fait l'objet d'un rapport du Conseil d'Etat. Ce rapport étant relativement volumineux et dense, j'en ai repris la synthèse pour tenter de comprendre la position du Conseil d'Etat. Les conclusions de ce dernier quant à la validité de l'IN 120 sont en demi-teinte, notamment s'agissant de sa validité matérielle, laquelle est admise avec beaucoup de réserve. Le Conseil d'Etat a en effet constaté dans son analyse que trois dispositions devaient être considérées comme étant contraires au droit supérieur - sans pour autant que cela n'entache la validité de l'ensemble du texte. En ce qui concerne la prise en considération de cette initiative, le Conseil d'Etat a estimé qu'elle était inutile, puisque ces dispositions sont déjà incluses dans des lois. Il s'est assez violemment opposé au principe de faire monter des normes législatives dans le cadre constitutionnel en jugeant une telle opération inutile. Cela tendrait au contraire à affaiblir d'une manière générale le texte même de la constitution, laquelle ne doit avoir en son sein que des normes essentielles pour le bon fonctionnement des institutions de notre canton. Quant au fond, le Conseil d'Etat conclut au rejet de l'initiative. Il ne voit toutefois pas d'objection à l'adoption d'un contreprojet réglant diverses questions proches de vos préoccupations, mais sur le détail desquelles je n'entrerai pas en matière en raison d'un manque de temps.
Il y a eu - et je m'en rappelle fort bien, car j'étais présent - un débat de préconsultation en date du 4 avril 2003. A cette occasion, plusieurs partis de l'Entente se sont élevés contre ce texte. Ils ont en effet estimé qu'un tel texte était irrecevable, notamment parce qu'il ne contenait pas une unité de la matière.
J'en viens maintenant à la séance de la commission législative du 6 juin 2003, durant laquelle nous avons eu la possibilité de nous déterminer sur la recevabilité de l'initiative 120. L'unité du genre a été contestée, et nous en reparlerons tout à l'heure. L'unité de la matière a également été contestée - avec, je crois, de solides raisons. La majorité de la commission a en effet estimé qu'il s'agissait de textes épars ne présentant pas une unité qui justifierait l'admission de l'initiative. Ces textes ont été artificiellement groupés sous un titre qui ne possède, lui non plus, aucune signification propre. Il s'agit d'une démarche qui a été utilisée pour essayer d'obtenir l'admission de cette initiative sur le plan constitutionnel. L'unité de la matière n'est donc à notre sens pas réalisée par cette initiative.
Je rappelle à l'attention des personnes qui ne connaissent pas les critères de recevabilité ou de validité d'une initiative que cette dernière doit en premier lieu respecter le principe d'unité de la forme - c'est-à-dire qu'elle doit être soit conçue en termes généraux, soit entièrement rédigée. Elle doit en deuxième lieu respecter le principe d'unité de la matière. Ce principe renvoie au fait qu'une initiative doit proposer un seul but, mais qu'elle peut prévoir plusieurs moyens de l'atteindre pour autant que ces moyens soient unis par un lien matériel. Une initiative doit enfin respecter le principe d'unité du genre: en d'autres termes, elle doit viser la modification soit de la constitution, soit d'une loi, mais non des deux.
Dans le cadre de la délibération de la commission législative, la notion d'abus de droit a également souvent été évoquée; cette notion apparaît d'ailleurs à plusieurs reprises dans le rapport du Conseil d'Etat. Certains commissaires ont trouvé très étonnant de vouloir transformer des normes du droit positif en normes constitutionnelles et ont estimé qu'il s'agissait là d'un abus de droit. Je dois moi-même avouer que le procédé me paraît pour le moins inhabituel. Il y a également, me semble-t-il, un abus de droit dans la mesure où les signatures nécessaires au dépôt de cette initiative ont été obtenues frauduleusement: les citoyens n'ont en effet manifestement pas eu la possibilité de prendre conscience de la diversité des objets que couvre l'initiative.
Le président. Il est temps de conclure !
M. Jacques Pagan. Je m'arrête, Monsieur le président ! Je dirai simplement qu'il est évidemment essentiel que le débat puisse avoir lieu.
Pour conclure, je vous avouerai que j'ai lu un article paru dans la «Tribune de Genève» d'hier. Cet article prédisait que cette soirée serait chaude non seulement en raison des conditions météorologiques, mais également parce que le débat que nous avons est important, car il porte sur des questions qui concernent nombre de personnes - y compris votre modeste serviteur, dont la seule ambition est d'être locataire et qui ne dispose pas de la possibilité d'être autre chose. Croyez bien que je rends ici hommage au travail de l'Asloca, laquelle a réalisé des percées tout à fait remarquables. Je souhaite cependant également faire remarquer qu'à force de vouloir se montrer trop agressif dans la défense des locataires, on va à l'encontre des intérêts de ceux-ci ! (L'orateur est interpellé par M. Sommaruga.)Il faut aussi savoir raison garder ! Je vous laisse la parole, Monsieur Sommaruga ! J'ai en tête les propos concluant votre rapport de minorité: vous insistez sur l'esprit de sérénité qui devrait régner tout au long de ce débat. Mais il faut que cet esprit soit également empreint du sérieux adéquat pour aborder ce genre de problématique ! C'est dans cet esprit que je vous laisse la parole.
M. Carlo Sommaruga (S), rapporteur de minorité. Je tiens tout d'abord à souligner les propos sympathiques tenus par M. Pagan à l'égard de l'Asloca. Il y a cependant toujours un «mais»... Que cela soit il y a trente, vingt ou dix ans, je n'ai jamais entendu aucun représentant de son bord venir féliciter l'Asloca pour son travail, et c'est à nouveau le cas ce soir ! Mais passons sur ce point, car ce ne sont que péripéties...
Il me paraît important de replacer le débat de ce soir ainsi que la question de la recevabilité de l'IN 120 qui nous est soumise dans un contexte historique que l'UDC ignore peut-être compte tenu de son jeune âge. Je rappelle que le mouvement des locataires a, depuis trente ans, lancé plusieurs initiatives qui ont abouti à l'inscription dans la législation genevoise d'un certain nombre de droits: défense du parc immobilier bon marché, introduction d'un Tribunal des baux et loyers doté d'assesseurs ou encore protection contre le démantèlement du parc locatif en vue de la propriété - par exemple par le biais de la protection contre les congés-ventes. Des dispositions ont également été prises pour introduire dans la constitution le droit au logement et pour autoriser la construction en zone de développement de logements sociaux de façon à pouvoir répondre aux besoins prépondérants de la population. Tels ont été les succès du mouvement des locataires et de la volonté populaire - puisqu'un certain nombre d'initiatives ont été acceptées par l'écrasante majorité de ce canton. Or, depuis la fin de la dernière législature et au cours de cette législature, la majorité, soit l'Entente et l'UDC, ont mis en place une machine à la limite de la légalité dont le but est de confisquer les droits des locataires. Cette machine ne consiste pas à déposer un projet de loi remettant en question la LDTR ou la loi générale sur le logement, la LGL, mais à déposer une série de petits projets de lois visant, par tranches successives de salami, à porter atteinte aux droits des locataires et des habitants de notre canton - droits qui ont été, comme je l'ai relevé, acquis dans les trente dernières années.
C'est contre ce hold-up des droits des locataires que l'initiative a été lancée. Il s'agit de mettre un holà à ce procédé à la limite des droits démocratiques. Il est dès lors tout à fait compréhensible que l'Asloca et, de manière plus large, les mouvements des locataires, aient lancé cette initiative pour éviter que ce Grand Conseil ne s'attaque à des dispositions qui ont été voulues par le peuple. L'initiative propose l'inscription de ces dispositions dans la constitution afin que le peuple puisse se prononcer sur la suppression de droits qu'il a lui-même souhaités. Il s'agit là d'une méthode de travail tout à fait cohérente et respectueuse de la volonté populaire. Voilà pour ce qui est du fond de cette initiative. Il est donc tout à fait inexact de parler d'abus de démocratie: il s'agit au contraire de protéger la volonté de la majorité des votants et des votantes de ce canton !
J'en viens maintenant à la manière dont ont été menés les débats en commission législative.
Je tiens à souligner, ainsi que je l'ai mentionné dans le rapport de minorité, que la commission a mené ce débat à la légère et de manière totalement partisane. Quatre membres de l'Entente et quatre membres de l'Alternative siégeaient lors de la séance consacrée au traitement de cette initiative. Or, le débat a été mené de manière que chaque décision aboutisse au choix préalablement déterminé par le président. Il s'agit d'un procédé totalement indigne d'un parlement au XXIe siècle, de surcroît dans un canton qui se veut le berceau de la démocratie !
J'aborde maintenant les questions d'ordre juridique.
Je rappelle que cette initiative respecte l'ensemble des exigences quant à la forme que doit revêtir toute initiative. Elle respecte en premier lieu l'unité de la forme, puisqu'il s'agit d'une initiative totalement formulée. Ce point n'a d'ailleurs été contesté ni par le Conseil d'Etat, ni par la majorité de la commission législative. Cette initiative respecte en deuxième lieu l'unité du genre, puisqu'elle vise à modifier uniquement la constitution, et non le corpus législatif lui-même. Le Conseil d'Etat a lui-même souligné cet élément. Or, il a fallu que, dans un esprit totalement partisan et arbitraire, la majorité en vienne à considérer que cette initiative - qui respecte pleinement l'unité du genre au sens des dispositions de la constitution puisqu'elle ne vise que la modification de la constitution - ne respectait pas cette unité ! C'est dire la légèreté avec laquelle a travaillé la majorité de la commission législative, dont la décision n'est fondée sur aucun élément de jurisprudence ni de droit supérieur !
S'agissant de l'unité de la matière, qui constitue la troisième condition de recevabilité formelle de l'initiative, je reconnais d'une part que l'IN 120 est relativement longue et dense, d'autre part qu'elle touche divers domaines. La question qui doit dès lors être posée est la suivante: une initiative touchant différents domaines est-elle recevable ou non ?
Pour répondre à une telle question, il convient de se pencher sur les antécédents en la matière traités par notre parlement. J'examinerai, au hasard, l'une des dernières initiatives qui a été traitée: il s'agit de l'IN 116, intitulée «Pour un toit à soi» et lancée par les milieux immobiliers. Je rappelle que cette initiative avait pour but de faciliter l'acquisition de son propre logement. Or, aucun député des bancs d'en face ne s'est offusqué de ce qu'elle visait à modifier les lois sur l'épargne-logement, les lois sur l'aménagement du territoire, la loi sur les constructions et installations diverses et, finalement, la LDTR afin de favoriser les congés-ventes et la vente d'appartements ! Nul ne s'est offusqué de cela: on s'est au contraire félicité du fait que cette initiative proposait plusieurs mesures pour atteindre un même objectif !
Notre parlement avait également considéré que l'initiative «L'énergie notre affaire» était pleinement recevable quant à l'unité de la matière dès lors qu'elle visait un but global - soit la préservation d'énergie, l'économie d'énergie et la promotion d'énergies renouvelables - tout en proposant diverses mesures, lesquelles s'étalaient sur quatre pages A4. J'ai d'ailleurs sous mes yeux l'arrêté du Tribunal fédéral suisse.
Dans les deux cas, il s'agit d'initiatives visant un but principal à atteindre par le biais d'une panoplie de mesures diverses. Or, c'est exactement cela que propose l'initiative 120 qui doit être examinée aujourd'hui par notre Grand Conseil ! Le Tribunal fédéral - et il est important de se référer à cette instance - a par ailleurs indiqué à plusieurs reprises qu'il suffisait qu'il existe entre les diverses mesures un rapport de connexité faisant apparaître comme objectivement justifié leur réunion en une seule initiative pour admettre l'unité de la matière d'une initiative.
Je prendrai comme dernier exemple la fameuse initiative «Pour un projet de stade raisonnable» - laquelle a finalement été invalidée, mais non en raison d'un manque d'unité de la matière. Il est important de rappeler que cette initiative touchait différents domaines: économie, politique fiscale, politique décisionnelle ou encore LCI. Or, le Tribunal fédéral a estimé que, s'il y avait là des moyens variés, ils étaient en connexité et visaient tous la volonté de construire un stade raisonnable à Genève.
En d'autres termes, l'initiative 120 ne pose aucun problème en termes d'unité de la forme, du genre ou de la matière. Le traitement que la commission législative a réservé à cette initiative relève purement d'un choix partisan dont le but est d'entraver les droits démocratiques des citoyens et des citoyennes de ce canton, et notamment de bafouer la volonté des plus de douze mille citoyens qui ont signé cette initiative !
Le président. Il est temps de conclure !
M. Carlo Sommaruga. Je conclurai sur la question de l'unité de la matière. Si la majorité de ce parlement devait considérer que cette initiative ne respecte pas l'unité de la matière, la constitution et le règlement de ce Grand Conseil l'obligeraient à envisager la possible scission de cette initiative. Ces dispositions sont en effet prévues dans la constitution. En jugeant cette initiative comme étant irrecevable, la majorité de la commission a non seulement porté un jugement totalement arbitraire, mais elle n'a de surcroît pas accompli son travail jusqu'au bout ! Cela est pour le moins regrettable ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Le débat sur la recevabilité de cette initiative possédant un caractère relativement juridique, je rappelle à tous les membres de ce Grand Conseil que nous sommes régis par l'article 120 de notre loi portant règlement du Grand Conseil. L'alinéa 2 de cet article précise que le Grand Conseil déclare nulle l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la forme ou du genre. La commission législative ayant entièrement reconnu l'unité de la forme, la première question qui sera posée au terme du débat sera la suivante: l'initiative respecte-t-elle l'unité du genre? Si la réponse est négative, nous cesserons immédiatement la discussion, car l'initiative aura été jugée irrecevable. En cas de réponse positive, nous examinerons alors l'alinéa 3 de l'article 120, selon lequel le Grand Conseil scinde ou déclare partiellement nulle l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la matière. La question relative à l'unité de la matière ne sera toutefois posée que si la question de l'unité du genre est tranchée de façon positive. Vous connaissez maintenant tous l'objet sur lequel vous voterez tout à l'heure !
Je prie par ailleurs les très nombreux orateurs inscrits d'être brefs car, le délai étant fixé au 10 octobre, nous devrons voter ce soir. Si nous sommes encore en train de débattre à 1h du matin, une séance extraordinaire sera agendée avant le 10 octobre pour traiter de ce sujet.
La liste des orateurs n'est pour l'instant pas close; huit ou neuf orateurs se sont inscrits. La parole est à M. le député Rémy Pagani. Je vous prie de respecter le temps de parole, qui est de sept minutes par orateur.
Présidence de M. Pascal Pétroz, premier vice-président
Une voix. J'espère que le nouveau président va clore la liste des orateurs !
M. Rémy Pagani (AdG). Je dois avouer qu'à la lecture du rapport de M. Pagan, je n'en ai pas cru mes yeux ! Et lorsque, tout à l'heure, il est revenu à la charge en résumant la position de la majorité de la commission, j'en ai eu froid dans le dos ! Il faut arrêter de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, Monsieur Pagan !
Il est inacceptable de prétendre que cette initiative ne respecte pas le principe d'unité de la matière et que ses signataires n'en ont pas compris la substance sous prétexte que le texte foisonnait d'idées ! J'ai moi-même participé à la récolte des signatures. Or, si je vous avais rencontré devant l'un de nos stands de récolte des signatures, je vous aurais tout simplement expliqué que cette initiative visait à assurer le maintien de logements bon marché au centre-ville. Les personnes qui ont signé cette initiative l'ont d'ailleurs fort bien compris ! Il s'agit de préserver les acquis d'une longue bataille qui s'est soldée par une victoire: cela fait en effet trente ans - même davantage pour certains - que nous nous battons pied à pied pour que soient inscrits dans la législation des instruments permettant par exemple aux locataires de se battre pour maintenir des loyers relativement bon marché ou aux habitants de faire valoir leur droit à la non-transformation de logements en bureaux. Dès le moment où nous avons expliqué cet objectif aux citoyens qui disposent du droit de vote, ceux-ci ont allègrement signé l'initiative, et des deux mains ! Vous ne pouvez donc pas prétendre que des citoyens ont été trompés s'agissant de l'unité de la matière !
J'aborde maintenant le deuxième argument avancé par les détracteurs de cette initiative: ceux-ci prétendent que l'on ne pourrait pas modifier la constitution. Mais là encore, il convient d'examiner la spécificité de la constitution genevoise: celle-ci possède en effet la particularité d'être évolutive, ce dont nous nous réjouissons. Cela n'est pas le cas d'autres constitutions, qui nécessitent la mise en place d'une assemblée constituante pour refaire tous les trente ans une nouvelle constitution. Toute une série de normes ont été introduites dans notre constitution. Je pense notamment aux batailles que nous avons menées pour imposer dans notre canton une politique antinucléaire. Je pense également à l'inscription de la possibilité de réquisitionner des appartements vides - mesure qui a déplu à vos milieux. Ainsi sont inscrits dans notre constitution non seulement le droit au logement, mais également les conditions permettant l'application de ce droit au logement - et notamment la réquisition par l'Etat des appartements vides. La constitution valide ainsi l'occupation de logements pour répondre aux besoins prépondérants de la population. Cette dernière a en effet besoin de logements - et de logements bon marché - au centre-ville. Je ne vous citerai qu'un seul chiffre, Monsieur Pagan: le centre de Zurich a, durant les années 1980 et 1990, perdu cent mille personnes ! Les autorités zurichoises se sont d'ailleurs plaintes - et se plaignent encore aujourd'hui - du peu de vie qui existe au centre-ville à partir de 18h. Cette absence d'activités constitue un déficit important. A Genève, nous avons subi au début des années 1980 la volonté des propriétaires de spéculer sur les terrains situés au centre-ville. Or, grâce à la bataille urbanistique que nous avons menée de concert avec les locataires, nous pouvons nous féliciter de voir depuis la fin des années 1990 revenir une population - je parle bien d'une population, et non des riches ! - au centre-ville ou, du moins, dans des quartiers tels que la Jonction, les Pâquis ou encore les Eaux-Vives.
C'est cette législation que vous cherchez depuis deux ans à remettre en cause en attaquant les plans d'utilisation du sol ou le droit des habitants à se mobiliser et à faire recours: vous mettez des embûches aux habitants qui s'opposent à la transformation de logements bon marché en bureaux ! Je pense notamment à l'épisode qui s'est dernièrement déroulé dans le quartier de Saint-Gervais. Vous cherchez en outre à réduire à néant toute une série d'acquis qui sont passés en votation populaire !
Cette initiative, et c'est en cela qu'elle embrasse l'ensemble du problème, introduit le référendum obligatoire. Elle cherche ainsi à éviter la remise en cause automatique par un vote parlementaire d'un vote populaire gagné de haute lutte - et j'insiste sur ce point - par les locataires réunis en association. En ce sens, elle est à nos yeux tout à fait légitime. Je ne comprends pas pourquoi vous cherchez à en casser la teneur par n'importe quelle argutie juridique, notamment en prétendant qu'elle ne respecte pas le principe de l'unité de la matière !
Pour conclure et bien que cela ait déjà été signalé par mon préopinant, je relèverai que vous n'avez pas appliqué la constitution genevoise jusqu'à son terme, puisque vous n'avez pas envisagé la possibilité de scinder tout ou une partie de cette initiative. C'est que cette initiative toute entière vous gêne, et plus vite elle sera mise à la poubelle, mieux cela vaudra ! J'espère quant à moi que le Tribunal fédéral prendra acte de cette volonté populaire réelle, volonté qui a constitué une victoire importante pour les habitants et les locataires qui se sont réunis en association pour maintenir, contrairement à la majorité des villes suisses et européennes, des logements bon marché et une population au centre-ville. J'espère que le Tribunal fédéral nous donnera raison et renverra cette initiative à notre parlement afin que cette dernière puisse suivre son cours normal.
Le président. Merci, Monsieur le député. Le Bureau a décidé de clore la liste des intervenants. Sont encore inscrits Mmes et MM. Luscher, Roth-Bernasconi, Blanchard-Queloz, Barrillier, M. le rapporteur de majorité, Künzler, Grobet, Pagan, Vanek, Bolay, Velasco et M. le président du Conseil d'Etat Moutinot. Je passe la parole à M. le député Luscher.
M. Christian Luscher (L). Puisque le président nous a exposé l'ordre dans lequel les questions seraient posées, je commencerai par faire une remarque concernant la procédure: nous devrons effectivement trancher sur l'unité du genre, puis sur l'unité de la matière. Mais, à supposer que cette initiative franchisse ces deux premiers obstacles - ce qui me paraît peu plausible - l'on devrait encore se poser la question de l'abus de droit. M. Sommaruga a cité un arrêt dans lequel l'unité de la matière avait été reconnue. Or, je vous rappelle que l'initiative en question a été invalidée pour une question d'abus de droit. L'une des causes de nullité d'une initiative réside en effet dans la notion d'abus de droit qui a été développée par la jurisprudence.
Dans sa détermination, le rapporteur de minorité se plaint qu'une question juridique ait été traitée de manière politique; en cela, il a parfaitement raison. C'est cependant à tort qu'il adresse cette critique à la commission législative: c'est à l'encontre de sa propre personne et du comité d'initiative auquel il appartient qu'il aurait dû formuler ce grief ! Il suffit pour cela de se référer au texte de l'initiative populaire: celui-ci contient plus de trente articles, paragraphes, alinéas ou lettres sur deux pages complètes parfaitement indigestes ! Je mets au défi chacun d'entre nous, s'il veut en comprendre le sens, de passer moins d'une demi-heure à sa lecture ! De surcroît, sa compréhension suppose des connaissances juridiques que seuls des avocats ou des jurisconsultes spécialisés dans le domaine de la LDTR peuvent saisir. Et c'est ce texte, destiné à des spécialistes du droit, que l'on fait signer sur un coin de bar sur la base des explications de M. Pagani ?! Je relève au passage que celui-ci s'est arrogé le droit d'expliquer en quelques secondes l'intégralité du droit immobilier genevois et en particulier de la LDTR alors que cette dernière a donné lieu à des livres entiers de doctrines et de jurisprudence...
Mais en réalité, à quoi tend cette initiative ? Elle tend tout simplement à faire monter des pans complets de la législation dans le texte fondamental de notre République, à savoir la constitution. Ce faisant, Mesdames et Messieurs les initiants, vous avez méconnu - ou feint de méconnaître - le but de notre constitution, qui est de contenir des normes générales, des grands principes qui définissent les structure fondamentales de notre Etat de droit. Je n'ai pas peur d'affirmer que, par cette «manoeuvre» - qualificatif utilisé par le Conseil d'Etat lui-même - vous dévoyez totalement le droit d'initiative: vous faites joujou avec un droit constitutionnel au mépris de ses fondements et dans des buts qui relèvent de la politique politicienne !
Imaginez, si votre initiative devait être déclarée recevable, le risque de perversion du droit d'initiative qui en découlerait: tout un chacun pourrait reprendre les cinquante, cent, cent cinquante, deux cents articles d'une loi ou même d'un règlement pour la ou le faire remonter dans la constitution - ce qui est totalement inadmissible et constitutif d'un abus de droit manifeste, pour ne pas dire crasse ! La constitution n'est pas un fourre-tout ! Elle a pour fonction de contenir les grands principes qui régissent notre démocratie.
Vous nous reprochez de faire de la politique au lieu de faire du droit. C'est au Grand Conseil qu'il appartiendra d'en juger. Mais vous, Monsieur le rapporteur de minorité, qui êtes un juriste émérite et spécialiste du droit en question, regardez-moi dans les yeux et osez prétendre que vous faites du droit, et non de la politique, lorsque vous proposez que le prix à la pièce des appartements - notion forcément évolutive - soit ancré dans la constitution !
C'est parce que cette initiative consacre un dévoiement politique du droit qu'elle est censée exercer qu'il convient d'en déclarer l'irrecevabilité. Il en va de la sauvegarde du droit d'initiative, pilier de notre démocratie directe à laquelle nous sommes tous attachés ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la députée Roth-Bernasconi.
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Il est évident que le dépôt d'une initiative populaire constitue un acte politique. En revanche, lorsque la commission législative examine la recevabilité d'une initiative, elle doit le faire sous l'angle du droit. Et, Mesdames et Messieurs les députés de la droite, vous utilisez précisément le droit pour défendre votre idéologie néolibérale au détriment d'une discussion menée sur la place publique quant au fond ! Il est pour le moins intéressant que ce soit un membre de l'Union démocratique du centre, grand défenseur du peuple devant l'éternel, qui ait rédigé ce rapport de majorité ! Je pense que le petit peuple des locataires saura se souvenir de ceux qui le défendent réellement et qui osent parler de ses droits sur la place publique...
Le respect de la volonté populaire est un principe très important en Suisse. Il est vrai qu'en matière de droit l'on peut mettre deux juristes ensemble et obtenir trois avis différents. C'est cependant toujours avec retenue que le Tribunal fédéral lui-même examine l'irrecevabilité d'une initiative. Il est par ailleurs intéressant de constater que, depuis que la majorité de ce parlement est à droite, on déclare plus souvent qu'auparavant les initiatives comme étant irrecevables... Ce fait est significatif !
Abordons maintenant les aspects juridiques de cette initiative. Il a été dit que l'unité de la forme et du genre était respectée, mais que l'unité de la matière posait problème. L'argument avancé est le suivant: les personnes appelées à se prononcer sur cette initiative ne pourront pas réellement déterminer leur volonté, car elles ne sauront pas s'il faut accepter ou refuser toutes ces questions. Or, comme je l'ai signalé, le Tribunal fédéral préconise une pratique souple en la matière, car une application stricte irait précisément à l'encontre de l'intérêt général. Je ne fais ici que citer la jurisprudence. Le Tribunal fédéral stipule également que le principe de l'unité de la matière est relatif.
Selon la jurisprudence, il existe donc un lien suffisamment étroit entre les différentes propositions contenues dans cette initiative: elles veulent toutes institutionnaliser une législation promouvant des mesures d'encouragement à la construction de logements, à la protection des locataires, de l'habitat et du cadre de vie dans les quartiers. Tous ces éléments sont intrinsèquement liés. Le corps électoral pourrait dès lors fort bien exprimer sa volonté. En outre, comme le rapport du Conseil d'Etat le précise, si certaines dispositions ne convenaient pas, il serait tout à fait possible de fragmenter les sujets en scindant les dispositions qui ne sont pas liées entre elles. Mais vous n'avez même pas voulu entrer en matière sur cette proposition - ce qui prouve bien que vous n'avez pas voulu prendre en considération les arguments juridiques pour laisser la place à l'idéologie dominante dans ce parlement !
Vous avez également mentionné l'abus de droit qui a été invoqué par la majorité de la commission pour invalider cette initiative populaire. Je n'ai toutefois trouvé aucun argument relatif à cette injonction dans le rapport de majorité ! L'on a vu à l'occasion d'autres initiatives - par exemple celles portant sur l'énergie ou sur la fiscalité - que les propositions faites pouvaient revêtir un caractère extrêmement souple. C'est ainsi que le référendum obligatoire existe déjà dans le domaine de la fiscalité - et ce n'est pas nous qui l'avons demandé ! En ce qui concerne l'introduction dans la constitution de certaines dispositions existant déjà dans la loi, nous avons vu dans le cadre de l'initiative «L'énergie notre affaire» qu'un tel procédé ne posait aucun problème au Tribunal fédéral. Ce dernier précise par ailleurs qu'il faut un abus de droit manifeste pour refuser la recevabilité d'une initiative. Or, dans ce cas précis, l'on ne peut guère parler d'abus de droit manifeste ! Nous disposons d'autres exemples où une manière de procéder analogue avait été acceptée.
Mesdames et Messieurs les députés de la droite, vous muselez le peuple en recourant à une procédure indigne d'une démocratie, et ceci pour des raisons purement idéologiques ! Vous disposez de la majorité, et je ne me fais aucune illusion sur l'issue de ce débat. (Brouhaha.)J'ignore s'il y aura un recours sur le plan juridique, mais j'espère pour ma part une chose: que la population et le petit peuple - n'est-ce pas, Monsieur Pagan... - prendront conscience de ceux qui les défendent réellement !
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG). Les citoyens et citoyennes de ce canton apprécieront la manière dont la majorité de ce parlement a traité en commission la recevabilité formelle de l'initiative que, je crois, plus de treize mille personnes ont signée: une seule séance, le 6 juin dernier, et pour quel résultat ?! La majorité de la commission a considéré que cette initiative était irrecevable et qu'elle constituait un abus de droit. Je suis partie à la recherche des arguments qui justifient ces considérations, puisque la commission «considère».
Le premier argument avancé est le suivant: «Nous n'avons pas eu le temps de traiter longuement cette initiative, car les délais légaux impartis étaient trop courts». Mais, si je sais compter, deux mois se sont écoulés depuis le 4 avril, date du débat de préconsultation et de l'envoi de cette initiative en commission. Il n'a donc pas fallu aussi longtemps à la majorité de ce parlement pour entreprendre de démonter les lois mises en place depuis des dizaines d'années pour la défense des locataires... Je suis désolée, mais une telle excuse n'est pas valable ! Poursuivant ma recherche d'arguments, j'ai été rassurée d'apprendre que, pour faire partie de la commission législative, il était utile d'êtes juriste... Je n'invente rien, puisque je ne fais que citer les arguments avancés lors des travaux de ladite commission.
Premier argument avancé: «Le principe fondamental de l'initiative, qui est de faire passer des normes législatives existantes en normes constitutionnelles, est problématique». Voilà. L'argument s'arrête ici: ce principe est problématique... mais en quoi, nous l'ignorons !
Deuxième argument avancé: «L'unité de la matière n'est, quant à elle, pas respectée et ce point-là doit être résolu d'emblée par la commission». Comment ? Aucune réponse !
Troisième argument avancé: cette initiative «touche trop de lois et [...] l'unité de la matière n'est ainsi pas respectée». Je cite ici les propos de M. le président de la commission, qui a pris la parole tout à l'heure. M. le président «considère que cette initiative est un abus de droit et une manoeuvre pour détourner la constitution». En quoi? On ne le sait toujours pas !
Pour terminer, quatrième argument avancé: «S'agissant de la procédure à suivre, les avis sont également partagés quant à l'ordre des questions à trancher [...]. L'unité de la matière sera bien évidemment traitée, à l'instar de l'unité de la forme et de l'unité du genre. Mais par laquelle commencer...». Bref, on ne sait plus vraiment ce qu'il convient de faire...
Comme le président de la commission législative le répète, «cette initiative est [...] un abus de droit», et l'on passe au vote ! Qui est en faveur de l'abus de droit, qui ne l'est pas: telle est plus ou moins la question qui est posée. Quatre commissaires votent en faveur du respect de l'unité de genre, quatre autres votent contre. Dans la foulée, on vote sur l'abus de droit: qui est pour, qui est contre... puis on cesse les travaux !
Je regrette de devoir dire qu'une telle manière de procéder ne rime à rien ! Il convient de savoir de quel objet il est ici question: l'objet qui a été traité avec un mépris et une incompétence affichée, c'est le logement. Or, il ne s'agit là pas un sujet artificiel, comme le rapporteur le précise dans son rapport, mais d'un bien de première nécessité ! C'est pourquoi il faut protéger les locataires ! On peut être d'accord ou non avec le statut de locataire, mais ce dernier existe: il s'agit de la réalité d'environ les trois quarts de la population genevoise, et il mérite à cet égard une protection.
Je constate que le rapporteur ne connaît pas grand-chose à l'histoire de la protection des locataires à Genève: ce n'est pas l'Asloca qui a lancé cette initiative, mais un comité d'initiative formé entre autres de l'Asloca, du Mouvement populaire des familles, de l'Avivo, des associations de quartiers... (Brouhaha.)...bref, des organisations grâce auxquelles la protection des locataires est ce qu'elle est à Genève. Et pourquoi croyez-vous que ces milieux ont dû lancer cette initiative ? Croyez-vous que c'est pour occuper deux heures de la commission législative ?! Croyez-vous vraiment que nous n'avons que cela à faire ?! Vous vous moquez de nous ! Depuis deux ans, la majorité de ce parlement a grignoté article par article les lois des locataires, nous poussant à chaque fois au référendum ! La première tentative s'est heureusement soldée par un échec, mais nous avons été obligés de déposer cette initiative.
J'en reviens à la forme - puisque c'est de cela que nous devons discuter - et aux conclusions de ce rapport. Et là, heureusement qu'il est précisé dans ce dernier que «les commissaires, dont l'avis a majoritairement prévalu, [...] avaient clairement à l'esprit et sous les yeux le texte de l'initiative 120» ! Franchement, ouf ! (Rires.)On lit plus loin les propos suivants: «Ces deux textes sont particulièrement denses et complexes puisqu'ils se réfèrent à des dispositions traitant chacune d'un domaine bien spécifique - qu'il s'agisse de la protection des locataires, de l'aménagement du territoire, de la construction d'immeubles à loyer bon marché et de son financement, de l'organisation judiciaire etc.». Voilà nos commissaires tout perdus, parce qu'ils ne voient pas le lien existant entre la construction de logements répondant aux besoins des personnes, la protection en cas d'abus et le Tribunal des baux et loyers... Ne voyez-vous vraiment pas le lien ?! S'il en est ainsi, je vous propose d'aller demander aux locataires si eux ne voient pas de rapport entre une hausse de loyer abusive due à la pénurie de logements et le tribunal des baux et loyers ! Je m'arrête à cet exemple. Vouloir inscrire cette protection dans la constitution en instaurant un référendum obligatoire - car tel est le principal but de cette initiative, but que le rapport ignore complètement ! - est considéré au final comme une «construction purement artificielle et le fruit d'une manoeuvre politique» !
Pour couronner le tout, ces commissaires juristes ne pouvant pas comprendre la teneur de l'initiative au vu de la complexité des textes, il est évident que les citoyens locataires ne peuvent, eux non plus, pas comprendre... (Rires.)Je cite une nouvelle fois le rapport: «Les droits démocratiques ont été en l'espèce utilisés d'une manière insensée, car la complexité et la diversité de la teneur de l'initiative la rendent d'entrée de cause incompréhensible aux yeux du citoyen». Celui-ci appréciera... Cela revient à traiter les citoyens qui ont signé cette «farce démocratique» d'imbéciles ! Mais allez demander aux locataires si leur réalité est une farce !
Autre excuse - c'est la dernière - encore plus nulle pour invalider ce que les commissaires de la majorité ne peuvent décidément pas comprendre tant le sujet est complexe: il a fallu au Conseil d'Etat vingt-cinq pages pour faire le tour de la question ! Mais, au moins, il a fait le tour de cette question ! Et le rapporteur se permet d'écrire: «De l'aveu même de l'exécutif cantonal, il s'agit d'une manoeuvre essentiellement destinée à rendre plus difficile la modification ou l'abrogation des dispositions concernées, le recours au verdict populaire étant alors de règle» ! Mais oui ! C'est cela même: le Conseil d'Etat a bien compris ce que nous voulions ! (Eclats de rires.)
Des voix. Lui !
Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée ! (Ton amusé.)
Une voix. Le problème, c'est qu'eux ont aussi compris !
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz. Grâce à cette initiative, les dispositions mises en place par le peuple ne pourraient être modifiées que par lui; or, il faudrait bien, pour cela, inscrire dans la constitution tous les textes concernés par cette mesure centrale de l'initiative ! Mais ce que ce rapport ignore - certes volontairement - c'est que le Conseil d'Etat soutient cette préoccupation centrale: comme on peut en effet le lire à la page 44, «le Conseil d'Etat n'est pas opposé à ce que, par le biais d'un contreprojet, certaines préoccupations des initiants trouvent place dans la législation genevoise, soit au niveau constitutionnel, soit au niveau législatif». La volonté de faire voter par le peuple la modification ou l'abrogation de mesures qui ont été voulues par celui-ci mérite examen - quelle que soit, par ailleurs, la matière en cause !
Le président. Vous avez dépassé votre temps de parole, Madame la députée !
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz. J'arrive au terme de mon intervention, Monsieur le président ! Je prie donc la majorité de ce parlement de faire preuve d'un peu plus de compétence et de respect envers les droits démocratiques et de ne pas suivre la farce que représentent les conclusions de ce rapport. Je vous invite à déclarer cette initiative valide. M. le rapporteur Sommaruga vous fournira tous les éléments juridiques nécessaires pour prendre votre décision. (Vifs applaudissements.)
M. Gabriel Barrillier (R). Il est redoutable de prendre la parole après Mme Blanchard-Queloz... Mon intervention sera beaucoup plus brève.
Il est possible de se livrer à une exégèse humoristique du travail de la commission législative, dont je ne suis par ailleurs pas membre. Cette exégèse était agréable à entendre. Je pense toutefois qu'il existe une autre façon de prendre position: c'est de faire preuve d'un peu de bon sens. Lors du débat d'entrée en matière, je me suis souvenu des cours du professeur Jean-François Aubert - que l'on pourrait éventuellement consulter sur la question du fonctionnement et de la hiérarchie des normes constitutionnelles et d'exécution. Il m'était alors tout naturellement apparu que cette initiative consistait en une manoeuvre relativement grossière visant à ancrer dans la constitution, soit dans les normes fondamentales de notre Etat, des dispositions d'exécution relatives au logement, à l'aménagement du territoire et à la participation des habitants à la vie de quartier. Il s'agit là certes de préoccupations extrêmement importantes et prioritaires. J'avais cependant, dans le cadre de ce débat d'entrée en matière, rappelé que l'article 10A de notre constitution garantissait déjà le droit au logement, que toute une série de lois avaient été votées sur la base de cet article constitutionnel et qu'il était possible, si ces lois ne vous plaisaient pas, de les quereller par des référendums facultatifs.
Comme mes préopinants l'ont expliqué, le dispositif que les initiants ont imaginé consiste à faire remonter au niveau de la constitution des dispositions d'exécution afin d'en rendre la modification et l'adaptation aux réalités beaucoup plus difficiles. Cela ne me semble pas être une bonne manière de procéder: il faut selon moi maintenir le système actuel, car ce dernier offre toujours la possibilité de quereller des lois ou des révisions de loi ne plaisant pas à certains par le biais d'un référendum facultatif. Votre proposition revient en revanche à introduire le référendum obligatoire. Je me montrerai là un peu polémique, mais il s'agit peut-être d'une façon de renforcer votre offre publique d'achat sur les locataires...
S'agissant de l'unité de la matière, votre initiative vise, d'une part l'habitant en tant que locataire soumis au code des obligations, d'autre part l'habitant en tant que citoyen soumis à la loi sur l'aménagement du territoire. Or, il s'agit de deux normes fort différentes l'une de l'autre ! J'estime dès lors en toute sincérité que votre initiative ne respecte pas l'unité de la matière.
En ce qui concerne l'abus de droit, mon expérience est moindre que celle des membres des associations qui se trouvent à l'origine de cette initiative, dont je reconnais le militantisme. Je n'oserais toutefois personnellement jamais faire signer une initiative aussi complexe et aussi touffue que celle-ci dans la rue ou dans des assemblées ! J'estime très franchement que l'on trompe le citoyen sur la compréhension, la lisibilité et les véritables objectifs d'un tel texte. Il s'agit en tout cas d'une démarche téméraire. C'est à mon sens tromper l'électeur que de lui faire signer ce genre de texte !
Pour toutes ces raisons, le parti radical se rallie sans peine au rapport de majorité en jugeant cette initiative irrecevable. Je suppose que vous ferez recours auprès du Tribunal fédéral. Nous verrons quelle sera la décision de la haute instance juridique du pays. Mais je vous le dis en toute honnêteté: la ficelle était un peu grosse pour qu'on puisse l'accepter! (Applaudissements.)
Mme Michèle Künzler (Ve). J'ai également été frappée par la légèreté avec laquelle la commission législative a traité ce sujet. En ce qui nous concerne, les considérations qui ont amené la commission à déterminer l'irrecevabilité de cette initiative sont parfaitement oiseuses et vaseuses. Il faut en réalité répondre à trois questions claires et simples. Or, nous, les Verts, sommes parfaitement à l'aise pour y répondre puisque nous nous sommes opposés à cette initiative.
Il convient donc à notre sens de répondre objectivement aux trois questions suivantes. En premier lieu, l'initiative respecte-t-elle l'unité de la forme ? Oui: cette unité est clairement établie puisque l'initiative est entièrement rédigée. En deuxième lieu, respecte-t-elle l'unité du genre ? Oui: l'initiative ne mélange pas les différents niveaux, puisqu'il s'agit d'une initiative constitutionnelle. On peut donc clairement répondre positivement aux deux questions qui nous seront posées.
La troisième question à laquelle il s'agit de répondre est la suivante: l'initiative respecte-t-elle l'unité de la matière ? Il est vrai que l'on peut émettre quelques doutes à l'égard de ce troisième principe. Les dispositions traitent cependant toutes du même sujet au sens large, à savoir le droit du logement. Notre constitution stipule par ailleurs que l'autorité appelée à statuer sur la validité matérielle d'une initiative doit interpréter les termes dans le sens le plus favorable aux initiants. C'est ce point qui est important: on doit toujours respecter la volonté populaire de la manière la plus favorable qui soit !
Les questions qui nous sont posées ne portent pas sur le fond. On a le droit de ne pas aimer cette initiative et de s'y opposer, mais il faut en reconnaître la validité ! C'est cette question qui nous est posée ! Par respect pour les douze mille personnes qui ont signé cette initiative...
Une voix. Mais ils n'ont rien compris !
Mme Michèle Künzler. Qu'ils n'aient rien compris, cela n'est pas la question ! Vous n'avez pas le droit de juger de l'intelligence de vos concitoyens, qui sont peut-être plus malins que vous... Ce qui importe, c'est de savoir si vous respectez vos concitoyens ou non: si vous les traitez d'imbéciles et que vous ne tenez pas compte de leurs signatures, vous ne les respectez pas ! (L'oratrice est interpellée.)Je ne l'ai pas fait signer, Monsieur ! (Applaudissements.)
Présidence de M. Bernard Lescaze, président
M. Christian Grobet (AdG). Outre le rapport de M. Pagan - qui est juriste, mais qui fait sur cette question davantage de la politique que du droit - le débat de ce soir a été particulièrement évocateur. Il faut à cet égard être reconnaissant aux représentants de la droite: encore tout à l'heure, la franchise de M. Barrillier était de bon aloi. Votre opposition n'est pas de nature juridique, car même une personne qui, comme Mme Künzler, n'est pas une spécialiste du droit mais qui possède de bonnes connaissances juridiques, a su expliquer - peut-être bien mieux que les juristes - en quoi les conditions de recevabilité de l'initiative étaient remplies.
M. Barrillier n'a fait qu'invoquer des arguments purement politiques pour affirmer qu'il fallait garder le système actuel et que cette initiative n'était qu'une «grosse ficelle». M. Luscher a pour sa part tenu les propos suivants: «Il s'agit d'une manoeuvre. Il ne faut pas monter dans la constitution des normes législatives, car c'est embêtant: le peuple devra voter si on souhaite les modifier. Ce système ne convient pas». Notez que lorsqu'il s'agissait d'inscrire dans la constitution le référendum obligatoire pour toute modification en matière fiscale, vous l'approuviez des deux mains, et ceci quand bien même une telle disposition porte sur un nombre de pages de loi autrement plus important que les lois dont il est question ce soir ! En revanche, lorsqu'on propose de permettre au peuple de se prononcer en cas de modification des lois relatives, non plus au droit fiscal, mais au droit des locataires, vous vous y opposez !
Votre point de vue consiste donc à instaurer un référendum obligatoire dans certaines circonstances, mais non dans d'autres ! Bien qu'une telle position puisse paraître quelque peu contradictoire, je la respecte. Il s'agit toutefois là d'un avis purement politique et clairement distinct de la question de la recevabilité ou non de l'initiative.
Je souhaite reprendre quelques-uns de vos pseudo-arguments juridiques. Messieurs Barrillier et Luscher. Vous avez tenu le discours suivant: «Mon Dieu, cette initiative est tellement longue ! Les personnes qui l'ont signée n'y ont rien compris, et il en sera de même lorsque l'initiative sera soumise en votation populaire !». Le peuple est donc composé d'imbéciles... Mais qu'a-t-il fait lorsqu'il a voté, il y a deux ans de cela, sur la nouvelle Constitution fédérale ?! Il s'est prononcé sur un texte autrement plus long et plus complexe que celui dont nous discutons ce soir !
Je vous rappelle par ailleurs que notre constitution prévoit expressément la possibilité d'une réforme complète ou partielle de la constitution. Si demain nous changions complètement la constitution, le peuple devrait se prononcer sur cent cinquante articles ! La réalité juridique est ainsi: il est possible de faire signer aux citoyens une initiative constitutionnelle de cent cinquante articles. Votre argument tombe dès lors complètement !
Nous contestons formellement votre accusation selon laquelle lancer une telle initiative constituerait un abus de droit. M. Luscher a évoqué, à ce sujet et sans la citer, une initiative qui aurait été annulée. Il me semble que seule une initiative a été annulée de ce fait: il s'agit de l'initiative sur le stade de la Praille, et non des initiatives citées tout à l'heure par M. le rapporteur de minorité. Le cas de l'initiative sur le stade de la Praille est cependant complètement différent, puisque le Tribunal fédéral avait estimé que c'était un abus de droit que de lancer une initiative sur un sujet n'ayant pas fait l'objet de référendums et remettant tardivement en cause un projet. Or, nous ne nous trouvons ce soir absolument pas dans un tel cas de figure !
Vous avez par ailleurs, Monsieur Luscher, avancé avec beaucoup de force que la constitution étant une loi de portée générale, elle ne devait contenir que des principes et que l'on ne pouvait par conséquent y inscrire toute une série de normes. Le texte de la constitution se trouve sous mes yeux: or, je ne trouve aucun article interdisant cela ! Vous me préciserez donc quel article stipule que la constitution ne pourrait pas contenir des articles très spécifiques...
Un orateur a déclaré tout à l'heure: «Vous inscrivez même le loyer maximum dans la constitution !». Notez bien qu'il est indiqué que celui-ci évolue en fonction du coût de la vie. Mais avez-vous été frappés d'amnésie ?! Je vous rappelle que la Constitution fédérale a limité pendant des années la mise des casinos à cinq francs ! Je pourrais dresser une longue liste de dispositions constitutionnelles analogues, mais je ne dispose malheureusement que de sept minutes... (Brouhaha.)Il est vrai que ces dispositions ont été légèrement épurées avec la nouvelle constitution. L'on peut cependant, sur le plan juridique, inscrire dans la Constitution n'importe quoi - et vous le savez aussi bien que moi ! Peut-être est-ce une erreur de notre système démocratique, mais je ne le pense pas. (Protestations. Le président agite la cloche.)
Par conséquent, vous ne pouvez pas reprocher à cette initiative d'introduire des dispositions dans la constitution, quand bien même ces dispositions devraient, selon vous, figurer uniquement dans les lois ! Notre ordre juridique suisse est clair à cet égard: il ne distingue pas la norme constitutionnelle de la norme législative. Le fait d'exclure l'initiative législative sur le plan fédéral a ainsi eu pour conséquence de farcir la constitution de normes législatives, et il peut en être fait de même dans notre constitution genevoise. Preuve en sont les dispositions relatives à l'énergie, qui figurent dans la constitution. M. le rapporteur de minorité Sommaruga a d'ailleurs bien fait de rappeler que les articles relatifs à l'énergie, dont la constitutionnalité a été admise par le Tribunal fédéral, sont nettement plus longs que l'initiative dont nous discutons ce soir.
Je souhaite maintenant faire quelques remarques sur le travail effectué par la commission législative. Mme Blanchard-Queloz a bien fait de se gausser des travaux de la commission, laquelle ne s'est pas contentée de traiter cette initiative de manière particulièrement cavalière, mais a de surcroît inventé une nouvelle règle... Mme Blanchard-Queloz aurait à cet égard pu aller jusqu'au bout de sa déclamation, M. Sommaruga ayant déjà fait remarquer que l'on posait tantôt une question positive, tantôt une question négative. Mais peu importe: la règle veut qu'en cas d'égalité des voix la question posée par le président soit refusée. Or, dans le cas de ce rapport, on constate que le rapporteur - ou la commission - a interprété l'égalité des voix comme étant une décision en faveur du souhait du président de la commission. Un tel procédé est hallucinant ! Je vous invite, Monsieur Luscher, à relire un précédent rapport dans lequel il était question de la recevabilité d'une initiative: en cas d'égalité des voix, la proposition était refusée, comme cela est le cas pour tous les débats en commission ! Mais dans le cas de l'initiative 120, la commission législative, formée de grands juristes, a inventé une nouvelle jurisprudence: en cas d'égalité des voix, c'est la question formulée dans l'esprit du président qui l'emporte ! Il ne s'agit là que d'une petite anecdote illustrant la manière dont la commission a travaillé.
Quant aux conclusions de l'autre éminent juriste qu'est M. Pagan - que je connais bien pour avoir fait mes études de droit avec lui - je dois avouer, mon cher confrère, que j'ai été fort étonné par le fait que vous ayez procédé à des analyses purement politiques. Vous vous êtes en outre exprimé de manière insensée et en des termes qui n'ont pas manqué de m'étonner de votre part, vous qui êtes si prudent en toutes circonstances !
Le président. Il est temps de conclure, Monsieur Grobet !
M. Christian Grobet. M. Pagan termine son rapport en affirmant que cette réalité s'apparente à une «farce démocratique». Mais permettez-moi de vous faire remarquer que la farce démocratique est bel et bien celle de la commission législative, car il est évident que tant l'unité de la forme que celle du genre sont respectées ! Quant à l'unité de la matière, je vous rappelle que s'il devait y avoir un doute à ce sujet, la constitution précise que l'initiative doit être sauvée en étant scindée... (L'orateur est interpellé.)
Mais écoutez, Monsieur ! Cela m'attriste, cher collègue, de constater que vous n'avez même pas lu l'article de la constitution relatif au traitement du droit d'initiative ! Je conclurai donc mon intervention en vous donnant lecture de l'article 66, alinéa 2, lequel est parfaitement clair s'agissant de l'unité de la matière: «Le Grand Conseil scinde ou déclare partiellement nulle l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la matière, selon que ses différentes parties sont en elles-mêmes valides ou non; à défaut, il déclare l'initiative nulle». Cet article stipule clairement qu'en cas de non-respect de l'unité de la matière, il faut scinder l'initiative ou éliminer les éléments qui n'en font pas partie.
Une voix. Lisez l'alinéa 3, Monsieur Grobet !
M. Christian Grobet. Ecoutez, je ne vais pas vous relire toute la constitution ! (Protestations. Le président agite la cloche.)Nous aurons l'occasion de plaider cette affaire au Tribunal fédéral. Je constate toutefois que vous mettez, une fois de plus, tout en oeuvre pour éviter que le peuple puisse se prononcer. Une telle attitude ne montre qu'une seule chose: c'est que vous avez peur du peuple ! (Applaudissements.)
Le président. Je prie les orateurs de se limiter à leur temps de parole ! La parole est à M. Pierre Vanek.
M. Pierre Vanek (AdG). L'essentiel a été dit. J'aimerais simplement apporter quelques éléments complémentaires.
Le premier élément que je souhaite apporter porte sur une remarque de ma collègue du parti socialiste, Mme Roth-Bernasconi. Cette dernière a déclaré que les députés des bancs d'en face avaient été aveuglés par des considérations idéologiques et qu'il s'agissait de la raison pour laquelle ils combattaient cette initiative. Je pense pour ma part que la droite combat cette initiative pour de multiples autres raisons !
En deuxième lieu et contrairement aux propos tenus par certains de mes préopinants quant au fait que vous n'auriez pas compris la teneur de cette initiative, je suis au contraire convaincu que vous en avez fort bien saisi la teneur ! Ce ne sont évidemment pas que des raisons idéologiques qui motivent vos tentatives malhabiles d'explication juridique de l'invalidité de cette initiative: ce que vous défendez, c'est le portefeuille, non de la majorité des habitant-e-s de notre canton - soit des locataires s'efforçant de défendre leurs droits - mais d'un certain nombre de propriétaires immobiliers, de régisseurs et de spéculateurs. C'est de cela qu'il s'agit ! (Brouhaha.)
En troisième lieu, je constate que les arguments invoqués par M. Luscher consistent à affirmer que les douze ou treize mille citoyennes et citoyens de ce canton qui ont signé cette initiative sont des imbéciles... M. Luscher parlait du coin d'un bar: c'est peut-être ainsi que vous essayez de faire signer vos initiatives, mais notre initiative n'a, elle, pas été signée sur des coins de bar: elle a été signée dans la rue, à la lumière du jour !
En quatrième lieu, il a été dit que cette initiative était incompréhensible. M. Barrillier a évoqué son caractère prétendument «complexe» et «touffu». M. Luscher a renchéri en prétendant qu'il fallait être un spécialiste de ces questions juridiques - ce que je ne suis pas - pour comprendre cette initiative. Mais cela n'est tout simplement pas vrai ! Prenons le texte: les faits sont là ! Je prendrai au hasard quelques extraits que je vais vous infliger - à défaut, comme le suggérait un député, de lire la constitution à M. Luscher... L'article sur le droit au logement mériterait - soit dit en passant - effectivement de lui être relu.
On trouve dans cette initiative des propos que tout un chacun pourrait comprendre, que ce soit à la place du Molard, devant la Migros de la Servette, devant celle de la Jonction ou à d'autres endroits dans lesquels nous avons fait signer cette initiative ! On y lit par exemple ceci: «Pour favoriser la construction de logements locatifs d'utilité publique, garantissant à long terme des loyers répondant aux besoins de la majorité de la population». Jusqu'ici, tout le monde comprend, non ?
Je poursuis: «L'Etat prend les mesures suivantes: il accorde son appui financier en faveur de logements bon marché, qui doivent dépendre de fondations de droit public si cette aide est prépondérante». Le terme de logements bon marché est-il incompréhensible ?! La notion de fondation de droit public est-elle incompréhensible pour la majorité de la population ?! Eh bien non ! Je vois M. Mark Muller hocher la tête et dire oui. La notion de fondation de droit public serait incompréhensible?! Mais non, Monsieur Muller ! Les gens font la différence entre les propriétaires privés visant à maximiser leurs profits et les institutions de droit public ! Ils ne sont pas bêtes: ils connaissent la différence entre le privé et le public, et ils se sont opposés aux privatisations dans d'autres domaines également.
Je continue sur les mêmes dispositions: l'Etat «accorde son aide en priorité à des logements dépendant de collectivités publiques ou d'organismes, notamment des coopératives, ne poursuivant pas de but lucratif». Les gens savent ce qu'est une coopérative ! Ils comprennent la distinction entre des personnes morales qui poursuivent un but lucratif et celles qui poursuivent un but non lucratif ! Il s'agit d'un langage populaire qui n'a absolument rien d'incompréhensible ni de très compliqué !
Moi-même, qui ne suis pas un spécialiste de la LDTR et qui ne suis pas plus intelligent que d'autres citoyens, je comprends très bien le passage suivant: l'Etat «instaure un contrôle des loyers sur tous les logements ou locaux construits par ou avec l'aide de l'Etat ou d'autres collectivités publiques [...]. Les loyers correspondent à un rendement équitable des capitaux investis». Les gens comprennent la notion de rendement équitable des capitaux investis - notion qui contraste avec une situation spéculative et des pratiques d'usurier ! Il s'agit de notions très simples !Je répète que ce texte a été rédigé en termes populaires.
Je lis un dernier extrait du texte de l'initiative: l'Etat «acquiert des terrains notamment par l'exercice de son droit de préemption et les met à disposition d'organismes publics ou privés sans but lucratif». Les personnes comprennent que l'on ne bâtit pas des logements bon marché en l'air, mais qu'on les bâtit sur des terrains ! Ils comprennent également qu'il faut que ces terrains soient mis à disposition de fondations de droit public et qu'il faut donc les acquérir...
Le président. Il vous reste une minute !
M. Pierre Vanek. Cette initiative tient sur deux petites pages A5; je suis bien placé pour le savoir, car j'ai à l'époque fait cette mise en page sur mon ordinateur. Or, il n'y a rien, dans ces deux petites pages, qui soit incompréhensible ! Le fait que soit «également soumise obligatoirement à l'approbation du Conseil général (corps électoral) toute modification à l'une des lois de protection des locataires et des habitants de quartier énumérées à l'article 160 I» ne l'est pas plus que le reste. Tout le texte est parfaitement limpide !
La raison de votre opposition à faire monter ces dispositions dans la constitution cantonale ne réside nullement dans des considérations générales de droit constitutionnel: vous n'êtes pas beaucoup plus bêtes que la majorité des citoyens... Vous avez aussi... (L'orateur insiste sur ce terme.)...compris de quoi il s'agit... (L'orateur est interpellé.)Non, je concède que certains sont évidemment plus bêtes...
Le président. Il faut conclure !
M. Pierre Vanek. Vous vous opposez simplement à ces dispositions sur le plan politique et pour défendre vos intérêts...
Le président. J'ai été suffisamment patient: votre intervention est terminée, Monsieur Vanek !
M. Pierre Vanek. Je conclus: vous n'osez pas assumer vos positions politiques ! C'est pourquoi vous cherchez des cache-sexe à une position hostile aux intérêts de la majorité de la population en invoquant des arguments spécieux !
Mme Loly Bolay (S). Les événements qui se sont produits le 6 juin dernier à la commission législative constituent un véritable coup de Jarnac. Mais nous avons l'habitude: chaque fois que la gauche propose des avantages pour les locataires, vous êtes victimes de crises d'urticaire... C'est l'une de ces crises que vous avez eue le 6 juin dernier à la commission législative !
Contrairement à ce qui est écrit dans le rapport de majorité et aux propos qui ont été tenus tout à l'heure, le Conseil d'Etat admet, d'une part la recevabilité de l'initiative 120, d'autre part le respect par cette même initiative de l'unité de la matière.
Le Conseil d'Etat estime en premier lieu que les dispositions paraissent avoir un rapport intrinsèque: en d'autres termes, elles possèdent un lien de connexité. Les membres de la commission législative ont d'ailleurs fréquemment entendu parler de ce terme. Je pense notamment à l'audition du professeur Hottelier, qui nous a fait un exposé sur les liens de connexité dans le cadre du traitement de l'initiative 119. Le Conseil d'Etat considère par ailleurs que l'unité de la forme est respectée, tout comme l'unité normative - appelée communément l'unité du genre. Enfin, il admet dans ses conclusions que les dispositions actuelles sont suffisantes pour garantir la protection adéquate des habitants et des locataires. Mais là n'était pas le débat de la commission législative !
Si cette commission est composée dans sa grande majorité de juristes, c'est précisément pour placer le débat au niveau juridique. Or, vous l'avez, Monsieur Luscher, placé au niveau politique et partisan ! Cela est inacceptable !
M. Alberto Velasco (S). Je souhaite répondre à mon collègue Barrillier que personne n'a trompé le peuple. Le Conseil d'Etat déclare dans les conclusions de son rapport qu'«il n'est dès lors pas nécessaire de charger la constitution genevoise de dispositions qui ne constituent pas des normes essentielles pour le bon fonctionnement des institutions du canton»; ces normes existent en effet déjà au niveau des lois. Je vous accorde que cette remarque est exacte. Cependant, la plupart de ces lois ont précisément fait l'objet d'initiatives de la part des citoyens ! Lorsqu'au début de la législature la droite a attaqué ces lois issues d'initiatives, il nous a donc semblé logique que l'on vienne devant le peuple pour les défaire. Or, l'unique solution que nous avons eue à notre disposition a été le relèvement de ces dispositions au niveau de la constitution. Le cheminement intellectuel de l'Alternative n'est donc nullement trompeur, mais tout à fait cohérent !
M. Barrillier affirme par ailleurs que les gens ne comprennent pas la teneur de cette initiative. Non ! Le peuple s'étant battu pour chacune de ces lois, il a suffi, lors de la récolte des signatures, d'expliquer aux personnes qu'il s'agissait de lois pour lesquelles ils s'étaient en leur temps battus pour garantir leur protection. Et les gens se souvenaient de ces lois ! Ils n'ont peut-être pas totalement compris le texte de l'initiative, mais ils se souvenaient parfaitement de la difficulté des luttes qui avaient été menées pour garantir la protection des locataires !
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons aujourd'hui que ces lois, qui ont toutes été votées par le peuple, figurent dans la constitution. C'est déjà le cas de certaines lois relatives à l'énergie: si vous examinez l'article 160C de la constitution, vous pourrez constater que celui-ci comporte des articles de lois qui ne devraient pas y figurer. Mais c'est ainsi: ils y figurent ! Il s'agit là d'une norme qui est praticable. Or, nous estimons que, face à la grave pénurie de logements, il devient de plus en plus important de protéger les locataires par le biais d'une initiative qui consacre ces lois au niveau constitutionnel. Et si, comme vous l'avez affirmé, vous n'avez pas peur, allons tous devant le peuple ! Qu'est-ce qui vous empêche d'aller devant le peuple ? Pourquoi n'acceptez-vous pas cette initiative ? Pourquoi avez-vous peur de la soumettre au peuple ? Parce que vous craignez qu'elle ne passe ! Vous avez peur que le peuple vous désavoue ! C'est pourquoi vous utilisez l'argument de la non-recevabilité pour la refuser !
Mais nous nous battrons en faisant recours au Tribunal fédéral ! Je suis convaincu que le peuple votera cette initiative.
M. Carlo Sommaruga (S), rapporteur de minorité. Les diverses interventions des députés de la majorité, notamment celle du président de la commission législative, M. Luscher, prouvent bien que la majorité actuelle, soit l'Entente et l'UDC, prend les locataires pour des imbéciles. Cette majorité est incapable de concevoir que les locataires connaissent leurs droits ! Il faut à cet égard remercier les personnes qui mènent depuis trente ans un travail de défense des locataires et qui ont réussi, grâce à une pédagogie populaire, à faire en sorte que ceux-ci connaissent leurs droits et parviennent à définir leur intérêt. Mais certains juristes siégeant dans cette enceinte sont davantage intéressés par le droit des affaires que par le droit des locataires - lequel est sans doute plus difficile à comprendre que la gestion de capitaux importants... Donc, lorsqu'un texte un peu complexe leur est soumis, les locataires - qui se sont appropriés la connaissance de leurs droits et qui connaissent leur intérêt - savent ce qu'il en est au moment d'apposer leur signature au bas d'une initiative ! La majorité de ce parlement a fait preuve en commission d'un mépris et d'une arrogance qui se manifestent chaque fois qu'est en jeu la défense des intérêts des plus humbles, soit de la majorité des habitants de notre canton.
Je rappelle par ailleurs que tant le Conseil d'Etat que les divers intervenants juridiques ont reconnu l'unité de la forme ainsi que l'unité du genre de cette initiative dans la mesure où l'initiative vise uniquement l'introduction de dispositions dans la constitution. Cette initiative ne peut dès lors être considérée comme nulle. Le dernier point qu'il conviendra tout à l'heure d'examiner concerne l'unité de la matière. Or, comme je l'ai relevé tout à l'heure, il conviendra, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral et selon la décision prise par ce Grand Conseil en conformité avec la constitution, d'admettre l'unité de la matière de cette initiative ou, si vous estimez que celle-ci comporte plusieurs sujets, de la scinder en différents volets. Si l'initiative comporte deux sujets, l'un portant sur l'aménagement du territoire, l'autre sur la défense des locataires, la constitution prévoit en effet de scinder l'initiative en deux volets. Prendre prétexte de cette dichotomie entre la défense des locataires et la défense de l'urbanisme pour déclarer cette initiative nulle signifie que nous n'avez même pas lu la constitution - ce qui est tout de même déplorable !
S'agissant de l'abus de droit - puisqu'il faudra également éventuellement se pencher sur cette question - il conviendra de se rappeler que le Tribunal fédéral n'a pas évoqué un abus de droit, mais un abus manifeste... (L'orateur insiste sur ce terme.)...du droit. Le fait d'inscrire dans la constitution un certain nombre de dispositions déjà existantes dans la législation est un procédé qui peut certes paraître surprenant, mais qui est tout à fait conforme à la loi. Il ne constitue par conséquent pas un abus manifeste. Il faudra donc que ce Grand Conseil rejette toute notion d'abus de droit concernant cette initiative.
En résumé, en menant un travail sérieux de juriste ainsi que nous le demande la constitution, il n'y a qu'une seule décision à prendre: c'est d'accepter la recevabilité de cette initiative ! Toute autre décision serait l'expression d'une arrogance et d'un mépris vis-à-vis de la majorité de la population. Mais nous sommes habitués à cette attitude: nous savons exactement ce que vous pensez et quels sont les intérêts que vous défendez ! Lorsque vous avez présenté et défendu, il y a quelques mois de cela, une initiative en faveur des milieux immobiliers, vous êtes même allés jusqu'à tenter de violer la loi portant règlement de ce Grand Conseil en évitant que cette initiative ne prévoie des clauses de financement ! Telle est votre manière de travailler: vous estimez qu'il est normal de défendre des intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général; en revanche, lorsqu'il s'agit de défendre l'intérêt général et du plus grand nombre, vous êtes aux abonnés absents - ou vous défendez des positions qui vont dans le sens contraire !
M. Jacques Pagan (UDC), rapporteur de majorité. Si j'ai bien compris, il y aura une procédure de vote en deux phases ?
Une voix. Vous avez bien compris, Monsieur le rapporteur !
Le président. J'ai expliqué que je m'en tiendrai strictement à l'article 120 de la loi portant règlement du Grand Conseil: l'unité de la forme ayant été admise, je ferai d'abord voter l'unité du genre. Si l'unité du genre est refusée, l'initiative sera invalidée; si elle est acceptée, nous passerons au vote sur l'unité de la matière, comme le propose M. Sommaruga. Il est cependant clair que l'article 66, alinéa 3 de la constitution ne sera mis en fonction que si acceptons l'étape de l'alinéa 2 ! Voilà quelles ont été mes explications concernant la procédure, et nous nous y tiendrons.
M. Jacques Pagan. Tout à fait. Certains ont plaisanté sur le travail accompli par la commission. Je trouve qu'une telle attitude est injuste: la commission a examiné les différents problèmes posés par cette initiative, et les représentants des diverses sensibilités politiques ont pu s'exprimer avant que nous ne passions au vote. On peut à mon sens soutenir que cette initiative constitue un fait nouveau dans notre ordre juridique dans la mesure où elle fait passer par le biais d'un texte plusieurs dispositions n'ayant aucun lien direct entre elles du niveau législatif au niveau constitutionnel. La commission a estimé qu'il s'agissait là d'une forme d'abus de droit. Comme l'a fait remarquer M. le conseiller d'Etat, il s'agit d'une manière de dévoyer la constitution, laquelle doit s'en tenir à l'affirmation de principes juridiques essentiels.
Une voix. M. le conseiller d'Etat n'a pas dit qu'il s'agissait d'un abus de droit !
M. Jacques Pagan. Si: il est clair qu'il en a parlé à plusieurs reprises. Il n'est pas non plus impossible que cette répétition d'abus de droit ait frappé les membres de la commission. Cette dernière a peut-être eu des difficultés à positionner cette notion, que ce soit au niveau de l'unité du genre ou de l'unité de la matière. (L'orateur est interpellé.)Vous me laissez parler, Monsieur ?! Je reprends: c'est pourquoi je n'ai pas spécialement apprécié l'intervention de Mme Blanchard-Queloz. Le logement des locataires est un problème sérieux que l'on ne peut pas traiter avec ironie, comme l'a fait Mme Blanchard-Queloz. Il faut tenir compte des conclusions qui sont contenues dans le rapport de majorité, conclusions qui sont juridiquement établies.
Je me permettrai simplement de vous dire que cela n'a pas été un acte arbitraire de la part de la commission que de trancher comme elle l'a fait. Pour poser clairement la situation, je me permettrai de vous rappeler en quoi consiste cette conclusion: «Les commissaires, dont l'avis a majoritairement prévalu [...], avaient clairement à l'esprit et sous les yeux le texte de l'initiative 120 et celui du rapport du Conseil d'Etat quand ils se sont exprimés sur celle-ci et ont voté sur les questions posées.» Je n'ai par ailleurs pas ajouté que cette même commission avait, quelques mois auparavant, pris connaissance de l'initiative 119, laquelle est actuellement traitée par le Tribunal fédéral. Des expertises juridiques ont été faites quant à la non-recevabilité de cette initiative. Or, les membres de la commission avaient à l'esprit les principes qui avaient été posés à cette occasion. J'ai là un petit résumé dont je vous donnerai tout à l'heure lecture pour ce qui concerne l'unité de la matière.
Je poursuis la lecture de la conclusion de mon rapport: «Ces deux textes sont particulièrement denses et complexes, puisqu'ils se réfèrent à des dispositions ressortissant à plusieurs lois existantes et traitant chacune d'un domaine bien spécifique - qu'il s'agisse de la protection des locataires, de l'aménagement du territoire, de la construction d'immeubles à loyer bon marché et de son financement, de l'organisation judiciaire, etc.
La réunion de ces dispositions déjà en vigueur mais de rang législatif seulement et leur érection en normes constitutionnelles sous une dénomination commune leur est apparue comme étant purement artificielle - le terme artificiel ou artifice est utilisé par la jurisprudence du Tribunal fédéral - et répondre à la notion de «manoeuvre» ou d'abus de droit dénoncé par le Conseil d'Etat dans son rapport. Aussi la majorité a-t-elle admis - et c'est un point important sur lequel vous devez réfléchir - en fonction du traitement strict qu'il y a lieu de réserver à l'examen d'une initiative constitutionnelle entièrement rédigée, qu'il n'y avait pas de lien suffisamment étroit entre ses diverses composantes nonobstant l'appellation générique commune dont elles sont affublées pour que l'initiative satisfasse aux conditions de l'article 66 de la constitution genevoise et puisse être déclarée recevable.
L'invalidation totale d'une telle initiative leur est apparue s'opposer avec d'autant plus de force que les droits démocratiques ont été en l'espèce utilisés d'une manière insensée. La majorité des commissaires en veut pour preuve le texte même de l'initiative lequel, par la complexité et la diversité de sa teneur, ne pouvait être d'entrée de cause compréhensible aux yeux du citoyen / de la citoyenne appelé(e) à le soutenir par sa signature. Une autre preuve de ce qui précède est à trouver dans le volumineux rapport du Conseil d'Etat...» (Brouhaha. L'orateur est interpellé par M. Charbonnier.)
Le président. S'il vous plaît, Messieurs !
M. Jacques Pagan. Vous l'avez lu, Monsieur Charbonnier, mais Mme Blanchard-Queloz ne l'a, elle, pas lu, puisqu'elle n'en a pas fait mention dans son intervention ! (Protestations.)Elle s'est uniquement contentée de se gausser du travail fait en commission ! (Chahut.)Or, la conclusion de ce rapport résume la pensée émise par les différents commissaires. Vous ne pouvez pas soutenir le contraire ! (L'orateur est interpellé.)Mais, bien sûr, Monsieur, vous le saviez très bien ! Vous n'avez d'ailleurs rien dit pour contester cette pensée !
Le président. Avez-vous terminé, Monsieur le rapporteur ?
M. Jacques Pagan. Oui, Monsieur le président.
Le président. Merci. La parole est à M. le conseiller d'Etat Laurent Moutinot.
M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Lorsque vous avez à traiter de la recevabilité d'une initiative, il vous est demandé un effort totalement surhumain: on vous demande de faire abstraction pendant quelques instants de vos convictions politiques et de faire oeuvre juridique. Or, j'ai le regret de constater que vous avez ce soir échoué dans cet effort.
Je ne prétends pas, dans une matière aussi délicate, que la position du Conseil d'Etat soit forcément irréprochable. Il faut cependant faire une analyse quelque peu pondérée du texte que vous avez à apprécier. L'article 66 de la constitution genevoise, repris textuellement à l'article 120 de la loi portant règlement du Grand Conseil, vous permet de déclarer nulle une initiative qui, par hypothèse, ne respecterait pas l'unité de la forme. (L'orateur insiste sur ce terme.)Vous avez jugé qu'elle était respectée: cette initiative est effectivement rédigée de toutes pièces et elle n'émet pas un voeu, mais elle propose un texte de loi tel quel. Sur ce point-là, nous sommes d'accord. Vous pouvez déclarer nulle une initiative qui ne respecte pas l'unité du genre. Par là, on entend une initiative qui voudrait introduire des normes à la fois dans la constitution et dans une loi - et, pourquoi pas, dans un règlement. J'ai beaucoup de peine à comprendre - et, à vrai dire, je n'ai trouvé aucun argument qui la justifierait - la décision de la commission législative selon laquelle l'unité du genre ne serait pas respectée. Pourquoi ? Tout simplement parce que la totalité du texte qui vous est proposé l'est comme un article constitutionnel. L'unité de genre est donc forcément respectée !
Tout autre est la question de savoir s'il est opportun que toutes ces dispositions finissent dans la constitution... On retombe là dans le politique, et on peut diverger sur l'habileté qu'il y a à faire cet exercice. Mais, sur le plan formel, proposer un article constitutionnel rédigé de toutes pièces respecte manifestement l'unité de la forme et l'unité du genre ! Le but de ces dispositions est simple: il ne s'agit pas de compliquer le travail de qui que ce soit, mais de parvenir à une question suffisamment claire et homogène pour que les citoyens puissent y répondre par «oui» ou par «non» et que ce «oui» ou ce «non» ait un sens.
Les deux critères de base que sont l'unité de la forme et l'unité de genre sont respectés. A partir de là, d'autres problèmes peuvent se poser. L'un est celui de l'unité de la matière, dont personne n'a traité puisque la majorité a arrêté son raisonnement à l'unité du genre. Le Conseil d'Etat - avec quelques hésitations je l'admets, car la question est délicate - a considéré que l'unité de la matière pouvait être admise. On pourrait certes être d'un avis différent, mais il s'agit d'une position soutenable dès lors que le Tribunal fédéral nous impose d'examiner les initiatives en nous efforçant, tant que faire se peut, de respecter la volonté des initiants.
Dernier élément à considérer: l'initiative est-elle contraire à un droit supérieur ? Sur ce point, mes critiques changent évidemment quelque peu de camp: Monsieur le rapporteur de minorité, vous affirmez que cette initiative respecte sans problème le droit supérieur. Non ! Un certain nombre d'éléments ne respectent pas le droit supérieur. Le Conseil d'Etat en a d'ailleurs clairement dressé la liste: il s'agit de l'article 160E, lettre e), alinéa 1, de l'article 160F, alinéa 2 et de l'article 160G, alinéa 3. Je ne vous expliquerai pas pourquoi dans le détail, car le rapport du Conseil d'Etat me semble suffisamment explicite à cet égard. Si l'on valide la totalité de l'initiative, il y a de toute évidence un risque que, suivant l'avis du Conseil d'Etat, le Tribunal fédéral considère que ces trois éléments violent le droit supérieur.
Si j'ai bien compris la procédure de vote, M. le président va faire voter les critères les uns après les autres. Pourquoi pas. S'agissant de l'unité de forme et de l'unité du genre, je suis catégorique: vous devez considérer cette initiative comme recevable ! Si vous suivez cette première recommandation du Conseil d'Etat, vous devrez ensuite retrancher de l'initiative les trois éléments qui sont contraires au droit supérieur. Le reste de l'initiative demeure cependant recevable: celle-ci est en effet tellement longue que les éléments restants sont suffisants pour qu'il vaille la peine de soumettre le texte au scrutin populaire.
Le président. Merci. Nous allons procéder au premier vote qui, comme on vient de vous le rappeler...
M. Christian Grobet. Je demande la parole !
Le président. Allez-y !
M. Christian Grobet (AdG). J'ai mis en exergue les erreurs de forme du rapport de majorité. Je fais donc, en fonction de ces erreurs, toute réserve sur la procédure de vote telle qu'elle est préconisée tant par la commission que par vous-même.
Le président. Monsieur Grobet, je procède au vote selon l'article de notre règlement du Grand Conseil, et non selon le rapport de la commission ! La commission ayant reconnu l'unité de forme, je mets maintenant aux voix l'unité du genre, comme nous y oblige l'article 120, alinéa 2. Cet article stipule en effet que le Grand Conseil déclare nulle l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la forme et du genre. Cette disposition est reprise de l'article 66 de la constitution.
Monsieur Luscher, vous pouvez prendre la parole, mais sur le vote uniquement !
M. Christian Luscher (L). Vous avez certainement raison de procéder de cette façon. J'entrevois cependant un problème: on pourrait en effet considérer que plusieurs motifs conduisent à l'invalidité de cette initiative. A mon sens, je vous suggère donc très respectueusement, Monsieur le président, de mettre aux voix la validité de l'initiative. Les motifs qui ont déjà été évoqués par ce Grand Conseil - à savoir les problèmes d'unité du genre, d'unité de la matière et d'abus de droit - seront, le cas échéant, débattus devant le Tribunal fédéral. Dès lors, la seule question qui se pose est la suivante: cette initiative est-elle ou non valide ?
Le président. Non, Monsieur le député ! L'article 120 de la loi portant règlement du Grand Conseil, que le président du Conseil d'Etat a également évoqué, stipule très clairement que l'initiative est nulle si l'unité de genre ou de forme n'est pas respectée, mais qu'elle peut être scindée si l'unité de la matière est reconnue. Je suis navré: même si la décision - quelle qu'elle soit - est attaquée devant le Tribunal fédéral, donnons-nous au moins les apparences de la légalité ! (Rires et applaudissements.)
Monsieur Rodrik, vous pouvez intervenir, mais uniquement sur la procédure de vote ! Je trouve que tout cela n'est pas très raisonnable...
M. Albert Rodrik (S). Monsieur le président, votre échange récent avec M. Luscher et d'autres montrent que l'examen de cette initiative constitue un long travail. Cette initiative doit donc retourner en commission, quels que soient les délais. (Vives protestations.)
Une voix. C'est impossible !
M. Albert Rodrik. Mais si: elle doit y retourner, car le travail n'a pas été fait !
Le président. Le renvoi en commission étant demandé, je le mets formellement aux voix.
Une voix. Et le délai ?
Le président. Mais nous agenderons une séance supplémentaire ! Monsieur Sommaruga, vous pouvez intervenir sur la procédure de vote uniquement !
M. Carlo Sommaruga (S), rapporteur de minorité. On nous affirme que le renvoi en commission est impossible: cela est inexact. Il est tout à fait possible de renvoyer cette initiative en commission pour qu'un travail sérieux y soit mené. Si la commission rend un rapport rédigé un peu plus intelligemment et sur la base d'un travail juridique de la majorité et si le rapport est déposé au-delà du délai fixé par la constitution et la loi portant règlement du Grand Conseil, la seule sanction de cet éventuel retard consiste en un vote populaire. On peut donc tout à fait renvoyer cette initiative en commission. Si la commission législative ne finit pas son travail dans les délais, c'est le peuple qui tranchera la question !
Le président. Je mets donc aux voix le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi à la commission législative est rejeté par 47 non contre 36 oui.
Le président. Je mets maintenant aux voix la reconnaissance de l'unité de genre de l'initiative. Celles et ceux qui reconnaissent l'unité de genre de l'initiative et en acceptent donc la validité voteront oui, les autres voteront non.
(L'appel nominal est demandé et appuyé.)
Mise aux voix à l'appel nominal, l'unité de genre de cette initiative est déniée par 40 non contre 37 oui et 6 abstentions.
Le Grand Conseil déclare donc cette initiative nulle en application de l'alinéa 2 de l'article 120 de la loi portant règlement du Grand Conseil.
Le président. Je vous souhaite un bon retour dans vos foyers.
La séance est levée à 0h05.