République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1442-A
Rapport de la commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier la proposition de motion de MM. Thomas Büchi, Pierre Froidevaux, Jean-Marc Odier, Louis Serex, Pierre Kunz, Hugues Hiltpold, Gabriel Barrillier visant à recentrer l'école publique sur sa mission fondamentale, soit la transmission des connaissances, à maintenir les notes à l'école primaire et à instaurer un moratoire sur les expériences pédagogiques, celles en cours et celles envisagées par le Conseil d'Etat
Rapport de majorité de M. Jacques Follonier (R)
Rapport de minorité de M. Thierry Apothéloz (S)

Débat

M. Jacques Follonier (R), rapporteur de majorité. Tout d'abord, après les propos de M. Beer concernant l'école et la sécurité à l'école, je ne peux que me réjouir d'un rapport comme celui-ci, qui ne peut que contribuer à améliorer l'état de l'école genevoise.

Concernant le rapport lui-même, je dirai que nous y avons travaillé durant plusieurs semaines et que nous avons auditionné beaucoup de monde. Ce qu'il est important de retenir, c'est que nous nous sommes rendu compte, au fur et à mesure des auditions, au-delà du problème des notes - et j'espère que nous n'aurons pas uniquement un débat sur les notes mais sur la réforme en elle-même - non seulement de l'importance de la réforme mais aussi, à l'analyse complète de cette dernière, qu'elle présentait certains défauts, peut-être pas inhérents à la réforme elle-même mais à sa mise en place.

Premièrement, une des grandes remarques qui nous a été faite sur cette réforme était qu'elle avait peut-être été prévue d'une manière trop ample et, surtout, amenée trop rapidement. Or l'un des buts de ce rapport était de donner une nouvelle dimension à cette réforme afin de pouvoir développer quelque chose d'utile pour l'école genevoise.

Cela étant dit, je suis extrêmement déçu de la concision du rapport de minorité de mon collègue Apothéloz. Je souhaite qu'il nous explique en quoi le fait de prendre des mesures pour favoriser de meilleures connaissances, en quoi le fait d'améliorer l'évaluation ainsi que la compréhension de ces réformes, en quoi le fait de favoriser la communication et d'améliorer la compréhension des professeurs et des parents, en quoi ces invites sont-elles inacceptables?

J'ai une peine énorme à comprendre cet état d'esprit et j'espère simplement que cela est dû à un manque de temps ou de préparation. Mais je voudrais, quand même, qu'au-delà de toutes ces considérations on reste toujours serein dans ce débat en pensant que, finalement, ce sont nos enfants - et c'est cela qui compte! - que nous mettons à la disposition du département par rapport aux décisions qu'il va prendre. Et il est important que la population genevoise - pas seulement les personnes qui ont des enfants mais tout le monde - puisse avoir droit à une vraie compréhension de ce que l'école genevoise est, et de ce qu'elle deviendra peut-être un jour.

M. Thierry Apothéloz (S), rapporteur de minorité. Quelques mots suite à l'invitation de mon collègue Follonier à propos du rapport.

J'aimerais tout d'abord faire un peu de pédagogie, tant il est vrai que nous en parlons beaucoup dans ce rapport alors que, lorsqu'il s'agit de pratique, on se rend compte que les choses ne sont pas aussi simples que cela.

En effet, lorsqu'on fait un peu de pédagogie, on apprend que, pour faire avancer les choses, il faut être positif et employer des termes qui puissent être entendus de part et d'autre. Ainsi, lorsque dans le titre - et même dans les considérants - on lit qu'il s'agit de moratoire, de réforme inefficace et d'autres choses de ce genre, nous ne pouvons pas entrer en matière sur ce type de discours.

S'il est vrai que la commission de l'enseignement a beaucoup travaillé durant des semaines et a pris le temps, Mesdames et Messieurs les députés, d'auditionner un maximum d'acteurs dans la vie de l'école, il faut aussi entendre de leur part un certain nombre de remarques, un peu formulées dans le rapport de M. Follonier.

Je tiens à vous rappeler que le titre de cette motion nous demande d'instaurer un moratoire. Alors, après avoir étudié cette motion et tenté de l'amender, il est ressorti que les radicaux - en particulier - ont déclaré être en faveur d'un certain nombre d'amendements, mais qu'ils n'étaient pas enclins à imaginer autre chose que les considérants - ainsi que le titre - tels qu'ils ont été nommés. C'est également à ce propos qu'un certain nombre de mes collègues de l'Alternative n'ont pas voulu accepter cette motion. Parce qu'il faut être un peu sensible et cohérent entre un titre de motion et les invites attribuées au Conseil d'Etat!

Nous ne sommes pas foncièrement opposés à suivre M. Follonier quant à un certain nombre de choses, tant il est vrai que nous sommes tout à fait conscients du malaise que rencontrent certains enseignants. Nous ne sommes en revanche pas d'accord sur la façon dont on veut procéder.

Ce qui nous dérange également, c'est le profond sentiment que cette motion a été écrite par une association qui a lancé une pétition - qui a rencontré un certain succès - mais qui, je dois le dire, prend des airs sectaires qui nous inquiètent énormément. Notamment lorsqu'on nous demande de revenir à une école de 1930-40 et que ne sont pas pris en compte les événements ayant permis que la pédagogie à l'égard de nos enfants puisse évoluer également.

Voilà quelques mots en introduction. Je reprendrai la parole pour répondre aux députés qui le souhaitent, mais je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de ne pas entrer en matière sur cette motion, tout en regrettant que les radicaux - en particulier - n'aient pas eu l'intelligence, à un moment donné, comme cela a été proposé, de retirer cet objet. La commission était prête, à l'unanimité, à reprendre bon nombre des invites de ce texte et d'en faire une motion tout à fait acceptable; les radicaux ne l'ont pas voulu, c'est bien dommage.

Mme Janine Hagmann (L). Il y a quelque temps, les panneaux d'affichage de Genève étaient recouverts de grandes affiches rouges, éditées par l'école club Migros, qui disaient - elles étaient très interpellantes - «le monde bouge, et vous ?» Et pendant ce temps, que recevions-nous ? Une motion qui demande un moratoire sur quelque chose qui bouge: l'école, et qui bouge - pourquoi ? Parce que le monde bouge.

Moratoire, c'est un mot qui vient du verbe morari, qui veut dire retarder. Comme vous le savez, cette motion a été lancée par les radicaux; elle a permis à la commission de l'enseignement de se poser des questions qui ont en fait abouti à un travail très intéressant. Qu'est-ce qui s'est passé ? Je dois reconnaître, ici, la qualité de la réflexion, l'excellent rapport de majorité est le témoin des modifications de certaines positions, parce que nous avons constaté, au fur et à mesure des auditions, que nous assistions à une évolution dans la conception de l'enseignement - même par les radicaux, qui, au départ, voulaient ce moratoire. Pour arriver à quoi ? A une motion qui est tout à fait intéressante et qui donne des recommandations au Conseil d'Etat sur une école de qualité que nous voulons tous, je crois.

Est-ce qu'on peut, Mesdames et Messieurs les députés, arrêter quelque chose qui est en train de se construire ? Est-ce que le monde ne bouge pas ? Non ! Quand arrête-t-on la construction d'un immeuble ? Dans le cas où ses bases ne seraient pas solides; c'est justement ce que vous ne voulez pas, vous voulez que les bases soient solides. Au moment où les bases sont solides, on doit continuer et terminer l'édifice... le mieux possible. Moi, j'aimais bien l'expression que Mme Martine Brunschwig Graf utilisait tout le temps, chaque fois qu'elle faisait un exposé sur l'évolution de l'école, elle disait: «mais si on avait découvert l'école idéale, ça se saurait». Et si ça s'était su, il n'y aurait pas eu de récriminations. C'est bien la preuve qu'il fallait qu'on change quelque chose, et que c'est pour cela que la pédagogie, qui est devenue une science, fait évoluer l'école positivement.

La pédagogie, dans le temps, c'était très simple, du style: «suivez ce que je vous dis, ne discutez pas; enseigner c'était affirmer». Mais ça n'est absolument plus le cas dans l'école d'aujourd'hui. Enseigner c'est apprendre à intérioriser, à comprendre, à savoir se servir d'outils, à être curieux; c'est aussi donner des règles de comportement et de savoir faire. La trilogie de l'enseignement du savoir, du savoir être et du savoir faire ne peut pas être dissociée, ça n'est pas possible.

Que veut cette motion ? Je pense qu'elle veut justement ce que nous avons dit hier soir pendant les débats du G8: on ne peut pas s'empêcher, maintenant, d'avoir un débat avant et après-G8. Quelle n'a pas été notre surprise, à tous, d'apprendre que les casseurs n'étaient ni des étrangers ni des petits Suisses-Allemands, qui venaient méchamment chez nous, mais qu'il y avait beaucoup de Genevois.

Alors, là, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons une responsabilité politique: celle d'inciter les enseignants à promouvoir les notions de responsabilité, le sens de l'effort, la discipline. Parce qu'on ne veut pas une jeunesse qui est en train de dévier comme celle que nous avons vue pendant le G8. On ne veut pas une jeunesse qui en arrive aux actes épouvantables qui se sont passés à Yverdon. L'école doit préparer à une vie dont on pourra être fier.

Il faudra évidemment remettre certaines pratiques en cause. Les enseignants, qui sont souvent de bons pédagogues, moi je pense que ce sont de mauvais communicateurs. Les enseignants ont, très facilement, un complexe de supériorité: eux savent, les autres ne savent pas, et ça, ce n'est pas bon. Si ARLE a récolté 28 000 signatures, l'initiative qui a récolté le plus de signatures de toutes celles déposées, ça n'est pas pour rien, Mesdames et Messieurs les députés, c'est parce qu'il n'y a pas eu de communication suffisante, parce que les enseignants n'ont pas été capables de faire passer le message «ce que nous faisons, c'est valable». Cette motion, avec les invites que nous vous proposons, elle, en revanche, en arrive à cette constatation.

C'est vrai, Monsieur Apothéloz, que vous nous avez habitués, en commission, à une hauteur de débat qui était dix fois mieux que ce que vous nous avez pondu dans cette petite page de rapport de minorité. En plus, ce que vous dites n'est pas tout à fait crédible, car nous avons demandé l'avis de Mme Hutter: dans une motion, le titre et les considérants ne peuvent pas être changés. Nous avons modifié les invites, certes, mais nous étions obligés de garder le même titre. Mais, oui, c'est sûr, c'est moi qui ai demandé conseil à Mme Hutter, j'ai la réponse sur mon mail, je ne l'ai pas encore effacée. Avec des invites comme celles-là, on doit accepter cette motion. Elles permettront les débats qui vont intervenir sur un contre-projet à l'initiative.

Monsieur Beer, vu mon ancienneté, je crois que je peux vous donner un conseil: n'oubliez jamais que le pouvoir n'est pas dans la rue. Vous ne l'avez pas prouvé jusqu'à maintenant, à plusieurs reprises. La première a été la décision que vous avez prise en cédant aux parents, qui, soi-disant, paniquaient à cause du virus d'une pneumonie atypique. Vous avez donné congé dix jours à des enseignants rentrant de Chine qui ont profité d'aller faire du golf tous les jours pendant que leurs collègues devaient s'occuper des élèves; je ne suis pas sûre que ça ait été une bonne décision. Vous avez cédé au pouvoir de la rue, et cela ce n'est pas possible. Il faudra bien y penser au moment où un contre-projet sera rédigé.

Ce qui est important, maintenant, c'est que notre école retrouve confiance. Aujourd'hui, il y avait un article de Jean Romain, dans Entreprise, qui mettait en parallèle, une école qui instruit et une école qui milite. Lisez-le ! Moi qui suis opposée à l'initiative ARLE, comme vous le savez, je pense qu'il faut écouter ces gens. On n'a jamais raison tout seul, et les enseignants doivent se dire maintenant: «il y a un problème, pourquoi ?». Quand 28 000 personnes signent une initiative, il faut forcément les écouter. Monsieur Follonier, je vous félicite aussi d'avoir demandé que, ce soir, le débat ne soit pas focalisé sur les notes. Nous l'avons toujours dit, la présidente Martine Brunschwig Graf en premier, les notes, c'est la pointe de l'iceberg, ce n'est pas le véritable motif du débat.

La motion demande une évaluation, cette évaluation doit être claire et compréhensible, qu'elle soit mise avec des notes, peut-être, les explications, à mon avis, vont plus loin que les notes. Ce que je demande, ne revenez pas aux notes moyennes. Un enfant doit être évalué par rapport à un but à atteindre, par rapport à des objectifs qui ont été fixés, mais pas par rapport à d'autres élèves; ce serait complètement ridicule et amènerait à des aberrations du style «si on est dans tel quartier, on a des notes qui n'ont pas la même valeur, la même signification que dans un autre quartier».

Vous avez aussi fait un faux procès à Mme Martine Brunschwig Graf, en disant qu'elle voulait absolument supprimer l'évaluation. Ce n'est pas vrai. En commission, on retravaillera tout ça. Il est évident qu'une évaluation tous les quatre ans pour qu'un enfant sache s'il peut aller plus loin, s'il peut changer de cycle, c'est peut-être trop long, et nous en reparlerons. Nous attendons avec plaisir, enfin avec intérêt, le contre-projet qui sera présenté. C'est bien que le débat sur l'école ait lieu, parce que souvent, c'est un sujet qui n'est pas abordé dans cette enceinte. (Applaudissements.)

Présidence de M. Pascal Pétroz, premier vice-président

M. Gabriel Barrillier (R). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, enfin ce débat sur l'école publique arrive dans cette enceinte. Depuis des mois, depuis des années, le débat fait rage sur le fonctionnement de l'institution scolaire. Il a à peine été éclipsé par les événements de ces derniers jours. Et puis, je le préciserai à l'attention de M. Apothéloz, je suis l'un des co-auteurs de cette motion. Et je puis vous dire que, quand j'ai rédigé une partie de cette motion, je ne connaissais pas l'existence d'ARLE. Par conséquent, notre motion est bien antérieure à l'apparition de cette association.

Il n'empêche qu'ARLE a déposé une initiative, cela a été dit, avec 28 000 signatures, j'aimerais quand même vous le dire, avec l'appui d'un très grand nombre d'enseignantes et d'enseignants. Et ce malgré les pressions de la direction du DIP ou le discours politiquement correct des associations professionnelles d'enseignants - voire de la position assez ambiguë de certaines associations de parents, qui sont prises en sandwich entre ces dirigeants de syndicats dits progressistes. Mesdames et Messieurs les députés, l'écrasante majorité - 28 000 signatures ! - des parents veulent que l'on fasse une pause dans les réformes, qui attendent plus de visibilité et de sérénité, et, surtout, une école performante.

Et je dois dire qu'en tant que lecteur de ce rapport j'ai été très intéressé par l'audition du SRED, représenté par MM. Bottani et Grin, dont l'audience est connue. Ce qui m'a vraiment frappé dans cette audition, et dans l'analyse du SRED, c'est le positionnement parents-enseignants. Là, le rapport est tout à fait clair, il note une fracture entre les attentes des parents, qui souhaitent de l'école qu'elle assure les apprentissages de base, alors que les enseignants, de l'autre côté, mettent l'accent sur la socialisation, le développement de l'esprit, de solidarité et de coopération. Il y a donc une fracture entre les enseignants et entre les parents. Je ne me réjouis pas de cette fracture, mais elle est constatée scientifiquement.

Les radicaux, Mesdames et Messieurs les députés, savent bien que leur motion n'a pas plu dès le début; ni à droite, Madame Hagmann, ni à gauche, bien entendu. Pourquoi ? Parce qu'ils avaient mis le doigt sur toute une série d'interrogations au sujet du fonctionnement, des performances, et de l'avenir de cette institution, que se posent, nous l'avons vu, tous les acteurs. Je rends ici hommage à notre collègue Follonier. Notre collègue a dû batailler ferme, nous le savons, en commission, pour défendre notre travail d'analyse. Il lui a fallu du courage pour obtenir que nos objectifs ne soient pas fondamentalement écornés. Je lui rends hommage, parce que je sais que ce chemin était difficile et je ne veux pas critiquer nos cousins de droite mais, je l'ai dit tout à l'heure, ils étaient dans une position très inconfortable. D'ailleurs ils quittent la salle, maintenant, je les en remercie.

Rappelons que notre motion a pour buts principaux de marquer une pause dans les réformes: elle est voulue par les parents, de manière à permettre au Grand Conseil de reprendre le contrôle démocratique de l'institution scolaire, comme c'est son rôle.

Le débat, vous le savez, aura lieu; il va s'amplifier, puisqu'une initiative a été déposée. On ne pourra pas l'éviter et c'est tant mieux.

Notre motion, plus modestement, a eu le mérite de débroussailler le terrain - ça a été dit lors de nombreuses séances, d'ailleurs je suis un peu déçu, c'est vrai, du rapport de minorité, qui est un peu mince, au regard de la lourdeur des critiques que vous avez adressées au rapporteur de majorité - et de clarifier les défauts actuels du système. Je sais, Mesdames et Messieurs les députés, que beaucoup d'enseignantes et d'enseignants, notamment dans le primaire, n'en peuvent plus; beaucoup veulent jeter l'éponge, prendre leur retraite anticipée, parce qu'ils manquent de directives claires sur les objectifs à atteindre. Beaucoup se plaignent du manque de soutien de leur hiérarchie, face aux mutations de notre société - nous allons en parler tout à l'heure - et des attentes, souvent contradictoires, des parents souvent déboussolés.

Pour conclure, le groupe radical peut se rallier aux conclusions de la majorité de la commission et vous invite à suivre ces conclusions.

Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cette motion a occupé la commission de l'enseignement de longs mois. Les auditions furent particulièrement intéressantes, elles ont permis aux commissaires de travailler de manière constructive, dans un esprit de tolérance, malgré des opinions très divergentes. Le problème initial de cette motion consistait à préciser quelles étaient les réformes concernées par ce texte, les commissaires radicaux ne sachant pas très bien lesquels ils visaient, je vous le rappelle.

Un inventaire des réformes, dans les différents ordres d'enseignement, a été finalement élaboré par le département, et nous pouvions alors mesurer l'étendue des changements déjà entrepris, et en cours, dans l'enseignement. Certaines réformes sont administratives, d'autres sont beaucoup plus fondamentales. Alors quel moratoire pour quelles réformes ? Au terme de nos travaux, comprenant bien l'absurdité d'un moratoire, les radicaux nous ont proposé de nouvelles invites, bien plus consensuelles que les premières. Je ne reviendrai pas sur le titre, ni sur les considérants, que nous trouvons inconvenants, pour ne me concentrer que sur ces nouvelles invites.

Certaines mériteraient notre soutien, car elles reflètent ce que nous défendons: par exemple, les invites 3 et 4, qui reprennent nos préoccupations d'optimaliser la communication entre les différents partenaires de l'école, en la rendant, notamment, compréhensible pour tous. L'invite 7 est tout à fait en accord avec l'esprit écologiste: elle demande une répartition des ressources, selon les besoins spécifiques des écoles, en tenant compte des établissements plus particulièrement sollicités par l'intégration des enfants non francophones. Nous pouvons tout à fait soutenir l'invite demandant les mêmes objectifs d'apprentissage et plans d'études, pour toutes les écoles du canton, dans les degrés obligatoires.

En revanche, nous sommes défavorables à l'égard d'autres invites: si l'évaluation régulière des réformes, entreprises dans tous les ordres d'enseignement, est absolument nécessaire, si en informer le Grand Conseil s'avère pertinent, nous désapprouvons que le Grand Conseil soit l'organe de décision pour étendre ou poursuivre les réformes.

M. Barrillier a confirmé, dans son intervention, notre crainte. Nous sommes pour une évaluation des réformes faites par les professionnels de la pédagogie, afin que ceux-ci les adaptent, les réorientent le plus finement possible, et en accord avec les acteurs du terrain. Imaginez seulement une seconde que des députés interviennent de manière aussi dirigiste à l'hôpital cantonal: personne, dans cette assemblée, ne se permettrait de remettre en question les techniques opératoires ou les traitements choisis dans des institutions de santé. Nous laissons cette tâche à des professionnels, et c'est sage. Faisons de même avec la pédagogie.

Les réformes en cours, à l'école primaire, ont pour but principal de lutter contre l'échec scolaire. D'ailleurs, la plupart des pays européens s'engagent dans la même voie du changement: la Finlande, première au test PISA, a d'ailleurs déjà mis en place un système à peu près identique à celui que l'on vise. Malgré ces constats, paradoxalement, certains veulent combattre ces changements censés amener plus de réussite dans notre canton, comprenne qui pourra. A trop traîner les pieds, Genève, berceau de la pédagogie, prend malheureusement le risque de ne plus mériter ce titre.

Permettez-moi quand même d'aborder la question des notes, même s'il est désormais de bon ton de ne plus parler des notes, maintenant que ARLE a décidé de lancer son initiative - soutenue par de nombreux députés de droite. Précisons que les notes ont déjà été abolies de la première enfantine à la deuxième primaire. Il s'agirait aujourd'hui de les abandonner dans les quatre degrés suivants, c'est-à-dire jusqu'à la sixième primaire. L'invite 5 de cette motion suggère d'assortir des notes aux évaluations écrites: si cette proposition paraît, au premier abord, séduisante, elle n'est pas sans danger, car le chiffre, certes simple à comprendre, risque finalement de totalement occulter les mots, beaucoup plus nuancés et riches en enseignement pour les élèves et les parents. De toute manière, ARLE a mis un terme aux idées consensuelles et radicalise le ton avec son initiative.

Lors de leur assemblée générale, les Verts se sont prononcés contre l'initiative ARLE et en faveur d'une autre évaluation que celle chiffrée. Pour les Verts, l'école primaire doit rester généraliste et ne pas se focaliser sur la sélection des élèves.

Permettez-moi de conclure en citant le professeur Albert Jaccard qui, rêvant être ministre de l'éducation nationale, déclarait: «Moi ministre de l'éducation nationale, je n'ai qu'une obsession: que tous ceux qui me sont confiés apprennent à regarder les autres et leur environnement, à écouter, discuter, échanger, s'exprimer, s'émerveiller. A la société de s'arranger avec ceux qui sortent de l'école, aux entreprises d'organiser les évaluations, à la formation de leur personnel et à l'entrée des fonctions. Il faut que les rôles cessent d'être inversés, l'éducation nationale ne produira plus de chair à profit.» Et dans une loi fictive, dont je ne citerai que les deux premiers articles, Albert Jaccard ajoutait: «Article premier. Il faut supprimer tout esprit de compétition à l'école. Le moteur de la société occidentale est la compétition et c'est un moteur suicidaire. Il ne faut plus apprendre pour et être le premier» et «Article 2. L'évaluation notée est abandonnée. Apprécier une copie ou, pire encore, une intelligence, avec un nombre, c'est «unidimensionaliser» les capacités des élèves. Elle sera remplacée par l'émulation; ce principe, plus sain, permettra la comparaison pour progresser et non pour dépasser les camarades de classe. Mettre des mots, à la place des notes, sera plus approprié.»

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, les raisons fondamentales qui conduisent les Verts à refuser cette motion. (Applaudissements.)

Le président. Le Bureau, ou plus exactement les deux membres encore présents, vous propose, à l'unanimité, de clore la liste des intervenants.

M. François Thion (S). C'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons pris connaissance de ce rapport, fruit des travaux de la commission de l'enseignement et de l'éducation. La motion a permis de faire un tour des réformes introduites, aussi bien au cycle d'orientation qu'à l'école primaire. De nombreuses personnalités ont été auditionnées, représentants du département de l'instruction publique, représentants des enseignants et représentants des associations de parents.

J'aimerais reprendre quelques points de cette motion, en premier lieu la première des huit invites adressées au Conseil d'Etat. Les motionnaires demandent, en effet, au Conseil d'Etat, de prendre toutes les mesures permettant de respecter les objectifs de l'école publique, et, plus particulièrement, la mission définie à la lettre a) de l'article 4 de la loi sur l'instruction publique, qui demande de: «Donner à chaque élève le moyen d'acquérir les meilleures connaissances dans la perspective de ses activités futures et de chercher à susciter, chez lui, le désir permanent d'apprendre et de se former.» Si cet alinéa de l'article 4 est évidemment d'une grande importance, il n'est pas le seul but de l'enseignement public à Genève.

L'école ne peut se résumer à une institution qui transmet des connaissances. Vous avez oublié la suite de l'article 4 de la loi sur l'instruction publique, permettez-moi de rafraîchir quelque peu vos connaissances. Cet article 4 dit, à la lettre b): «L'enseignement public a pour but, dans le respect de la personnalité de chacun, d'aider chaque élève à développer, de manière équilibrée, sa personnalité, sa créativité, ainsi que ses aptitudes manuelles, intellectuelles, physiques et artistiques.» La lettre c) dit de «veiller à respecter, dans la mesure des conditions requises, les choix de formation des élèves.» La lettre d) dit de «préparer chacun à participer à la vie sociale, culturelle, civique, politique et économique du pays, en affermissant les sens des responsabilités, la faculté de discernement et l'indépendance de jugement.» La lettre e), de «rendre chaque élève progressivement conscient du monde qui l'entoure, en éveillant en lui le respect d'autrui, l'esprit de solidarité et de coopération, et l'attachement aux objectifs du développement durable.» La lettre f), de «tendre à corriger les inégalités de chance de réussite scolaire des élèves, dès les premiers degrés, à l'école.»

Cela dit, revenons aux indispensables connaissances de base. Nous sommes tous d'accord pour dire que c'est un objectif essentiel. Comment avancer dans la vie sans savoir lire et écrire, savoir calculer, savoir s'exprimer ? Chacune des disciplines scolaires - le français, l'histoire, la géographie, la biologie, les mathématiques, la musique, le dessin, pour n'en citer que quelques-unes - apporte à nos élèves des connaissances essentielles, qui leur permettront de prendre leur place dans la société, d'en devenir des acteurs, des citoyennes et des citoyens. Ce que nous ne devons pas oublier, cependant, c'est que tout le monde n'apprend pas à la même vitesse: les élèves ont plus ou moins de difficultés devant certains apprentissages. Tous n'ont pas les mêmes facilités et tous n'apprennent pas de la même façon et au même rythme. Il faut donc différencier les approches pédagogiques. C'est pourquoi il est parfois nécessaire de mettre, sur place, un encadrement plus individualisé, d'avoir recours à des méthodes différenciées.

Mais cette motion a surtout pour objectif de réintroduire les notes à l'école primaire dans chacune des disciplines. Elle est donc directement liée à la rénovation de l'école primaire, réforme qui touche, à l'heure actuelle, 40% des écoles. En gros, la rénovation de l'école primaire tient compte des différents rythmes des élèves, qui passent par des cycles d'apprentissage qui peuvent prendre plus ou moins de temps mais qui, en aucun cas, ne remettent en question les priorités de l'école telles qu'elles sont définies dans l'article 4 de la loi sur l'instruction publique.

Dans les écoles en rénovation, les enseignantes et les enseignants ne sont pas seuls face aux élèves: des rencontres et des discussions entre collègues permettent d'évaluer régulièrement les progrès de chaque élève, au cours de différents cycles d'apprentissage. Les maîtres ne sont plus seuls, face aux élèves et à leurs parents, et les témoignages, que j'ai pu recueillir à ce sujet, sont tous positifs. Je dois dire, en passant, que les enseignantes et enseignants du primaire dans les écoles en rénovation, ont très mal ressenti la motion dont nous débattons; ce d'autant plus que les carences et les lacunes scolaires, à la sortie de l'enseignement obligatoire, décrites dans l'enquête PISA, touchent des élèves qui n'ont pas encore connu la rénovation.

Un mot sur la réforme du cycle d'orientation. Elle est caractérisée, d'une part, par une redéfinition des objectifs d'apprentissage, pour chacune des disciplines, et, d'autre part, par l'introduction d'une nouvelle grille horaire. Une troisième nouveauté est la disparition des sections au profit des regroupements: regroupement A, dont faisaient autrefois partie les élèves de latine, de scientifique et de moderne; et le regroupement B, les autres élèves. La nouvelle grille horaire est déséquilibrée et les disciplines comme le dessin sont en voie de disparition. Ce déséquilibre pourrait bien augmenter les carences et les lacunes de nombreux élèves, en particulier ceux qui se trouvent dans les ghettos du regroupement B.

Reste l'affaire des notes, dont nous n'avons pas fini d'entendre parler. En 1910, les enseignants genevois calculaient dix moyennes mensuelles pour douze disciplines scolaires et pour la conduite. Cela donnait, à la fin de l'année, cent trente informations chiffrées. Il y a quelques années, les élèves genevois étaient classés du premier au vingt-sixième, vingt-septième ou au trentième rang, et le classement figurait dans le carnet scolaire. Les parents étaient-ils mieux informés sur le travail de leurs enfants ? Je n'en suis pas sûr.

En 1992, la pédagogie à évolué, le carnet de l'élève de l'école primaire genevoise comportait trois moyennes pour cinq disciplines, donc quinze informations, au total. Pour montrer les limites de la note, prenons un exemple concret: si nous mettions vingt «premiers de classe» dans la même classe, croyez-vous que tous auraient des 6 et des 5 ? La réponse est négative. Quel que soit le groupe à évaluer, vous retrouverez une partie de bons élèves, une majorité de moyens, et une partie d'élèves jugés insuffisants.

L'impérieuse nécessité sociale de distinguer les bons des mauvais amène les enseignants à attribuer des notes différentes aux élèves, en les répartissant sur différents points d'un axe, quelles que soient leurs prestations effectives. C'est un problème scientifique connu. Autre exemple: un 4 de mathématiques ne nous donne aucune information précise. L'élève a-t-il mal appris ses tables de multiplication ou confond-il le rectangle avec le triangle ? Comme vous le voyez, l'information chiffrée est très souvent lacunaire. A partir de là, vaut-il vraiment la peine de conserver un système de notes ? Pensez-vous que la note est toujours un moyen objectif d'évaluer le travail d'un élève ? Je n'en suis pas sûr.

L'école et son environnement changent...

Présidence de M. Bernard Lescaze, président

Le président. ...Il est temps de conclure, Monsieur Thion. Il y a encore douze orateurs inscrits, et vous avez parlé depuis six minutes quarante secondes.

M. François Thion. Eh bien, ça va très bien, j'ai juste le temps de terminer. L'école et son environnement changent, disais-je; la société évolue, l'école doit également évoluer. Après la suppression des classements, des prix donnés aux bons élèves, nous pouvons imaginer de passer à une nouvelle réforme, la suppression des notes. Mesdames et Messieurs les députés, cette motion est intéressante, car elle permet un débat sur l'école genevoise. Malheureusement, certaines des propositions, comme le retour des notes et la transmission comme unique objectif de l'école sont inacceptables, rétrogrades et ne font que baisser, de manière inquiétante, le niveau de l'école.

C'est pourquoi le groupe socialiste refuse de suivre la majorité de la commission.

Le président. Vous avez dépassé de vingt secondes le temps de parole. La parole est au député Schmied. (L'orateur est interpellé.)Non, mais, les manoeuvres d'obstruction, on les connaît, on essaie de terminer cet objet ce soir, si on n'y arrive pas, on terminera la fois prochaine, mais vous avez tort d'agir comme ça sur cette motion. Monsieur le député Schmied.

M. Patrick Schmied (PDC). C'est vrai que, comme le disait M. Barrillier - qui n'est plus ici, parce que maintenant, ça l'intéresse peut-être moins - c'est vrai que, quand cette motion est arrivée, nous l'avons trouvée assez peu intéressante, du fait qu'elle était rédigée de façon assez excessive. Surtout, et fondamentalement, elle mettait l'ensemble de tous les problèmes possibles et imaginables de l'école sur le dos des réformes.

Néanmoins, cette réforme a été l'occasion, au sein de la commission, d'un débat extrêmement intéressant qui a abouti de manière satisfaisante pour nous - et là aussi, comme M. Barrillier, j'adresserai un hommage, bien que peut-être pas aussi vibrant, au député Follonier, qui a su s'adapter et rendre la motion intéressante pour l'ensemble de la commission.

Ce qui est apparu intéressant dans les débats, c'est que, quand on parle de réforme, Mesdames et Messieurs les députés, on se rend compte que ni les motionnaires ni le département ne savent très bien de quoi on parle. Et ça a été assez frappant de voir les motionnaires dire «on ne sait pas très bien ce que sont les réformes, peut-être que le département pourrait nous le dire». Le département, bien embarrassé, au bout de quelques semaines, quelques mois, nous a fourni une ébauche de ce que pouvaient être les réformes, sans grande hiérarchie, il faut bien le dire.

Le résultat de cette motion, les invites, en tout cas, correspondent, pour nous, au bon sens. D'abord, on remet un peu de connaissances dans les exigences sur l'école - nous, démocrate-chrétiens, n'avons pas d'états d'âme sur la question des notes, à condition qu'elle ne soit pas considérée comme la panacée universelle, ce qui est malheureusement le cas de l'initiative d'ARLE.

L'introduction d'une culture de l'évaluation, dans ce département, nous paraît tout à fait nécessaire, parce que, quand on évalue des élèves à longueur d'année, il est normal qu'on accepte d'être soi-même évalué de temps en temps.

Une autre invite très importante concerne l'égalité entre les écoles. On a quand même un petit peu l'impression - et on espère que la réponse à cette motion nous rassurera - que, dans les écoles, chacun fait un peu ce qu'il veut et chacun met la barre un petit peu où il veut. Du coup, on n'a pas la garantie d'avoir l'égalité de l'offre par rapport aux élèves.

Enfin, le plus important, je dirais, c'est la communication. Tarte à la crème s'il en est, voilà un département qui a une peine absolument exceptionnelle à communiquer avec les parents et avec les enseignants. Le résultat, du côté des parents, c'est le succès extraordinaire de l'initiative ARLE. Pour moi, pour nous, il est très clair que si cette initiative a un tel succès, c'est parce qu'on a, en face, des parents totalement exaspérés par l'école. Cette dernière leur parle dans un langage totalement abscons et les exclut, en réalité, de sa communication, en se reposant, comme le disait Mme Wisard, sur ces fameux professionnels, qui sont tout sauf convaincants, à la vérité. Donc cette invite sur la communication du département est la plus importante à mes yeux. Le jour où les enseignants seront capables, dans une réunion de parents d'élèves, d'expliquer, en français, ce qu'ils font pendant l'année, et que les parents partiront et qu'ils auront compris, on aura fait un très grand pas en avant, Mesdames et Messieurs les députés.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, qui en fera certainement le meilleur usage.

Le président. Sage proposition, Monsieur le député. C'est une motion, en effet.

Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Tout à l'heure, Mme Hagmann a dit que nous avions toutes et tous la responsabilité de l'école. Personnellement, je fais un constat un peu triste: quand on parle d'une centaine de jeunes violents, mal élevés, tout le monde est là, tout le monde s'excite, la presse est présente. Quand on parle de la majorité des jeunes et des élèves de Genève, qui sont bien élevés, qui font bien leur travail, ça n'intéresse plus personne. Cela veut tout dire. (Applaudissements.)

Par ailleurs, je tiens à remercier les rapporteurs pour leurs rapports fort intéressants, j'ai eu beaucoup de plaisir à les lire, mais à mon avis, il y a une réflexion qui manque.

On oublie que c'est la question scolaire qui rejoint la question sociale. En effet, déjà Jean Jaurès, à l'aube du XXe siècle, disait ceci: «la politique de la formation est indissociable de la politique sociale.» De ce fait, je tiens à dire aux partis - qui veulent maintenant réformer l'école en revenant en arrière, en invoquant plus de discipline, des notes - qu'ils sont les mêmes à vouloir couper dans les prestations sociales et à vouloir vider le service public de son sens. Si des parents n'arrivent, aujourd'hui, plus à faire face aux nombreuses tâches qui leur incombent, pour élever leurs enfants, c'est qu'elles et ils n'arrivent plus à concilier une vie professionnelle de plus en plus stressante avec une vie de famille harmonieuse.

Les attentes face à l'école ont, aujourd'hui, également changé. L'extension de la logique du marché à des domaines qui en étaient jadis préservés touche aujourd'hui l'école. On peut voir trois processus qui se conjuguent pour accélérer ce mouvement.

Premièrement, s'il est vrai qu'il y a épuisement d'un certain modèle d'autorité scolaire, ce n'est que le reflet de notre société, que nous avons nous-mêmes construite, alors que nous sommes passés par un système scolaire à l'ancienne, autoritaire, à la discipline, telle que souhaitée par les auteurs de la motion. Regardez comment nous nous comportons, comment nous nous traitons entre nous, et vous aurez tout compris.

Deuxième chose. On assiste à la propagation d'une représentation de l'école comme un prestataire de services dont on exige qu'il aide les élèves à trouver un emploi futur. Est-ce vraiment l'unique rôle de l'école ? N'est-ce pas cette vision qui amène aujourd'hui des jeunes à ne plus voir la vie en rose et, de ce fait, à se comporter de manière violente et inadéquate ? Mesdames et Messieurs les députés, il faut vraiment se poser des questions.

Troisième paramètre. Il y a une difficulté croissante à prendre en charge l'hétérogénéité des populations scolaires. La mondialisation a une influence sur l'école, dans le sens que l'éducation devient un produit mondial, par le jeu de la mobilité et par internet, qui doit se vendre et répondre à une demande à la fois mondialisée et individualisée. Il y a décloisonnement de l'espace éducatif et déconnexion entre la source du savoir et le lieu où il est transmis.

Tous ces paramètres, Mesdames et Messieurs les députés, doivent être inclus dans une réflexion sur l'école, car nous ne pouvons changer l'école si nous ne sommes pas prêts à réfléchir sur le lien avec le changement de la société. Et tant que ces réflexions ne seront pas liées aux propositions sur l'école, nous ne ferons qu'ajouter des sparadraps sur des blessures beaucoup plus profondes. C'est la raison pour laquelle nous aimerions que la réflexion soit élargie et nous refusons donc les conclusions du rapport de majorité. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Caroline Bartl (UDC). Parler de rencentrer l'école publique, c'est admettre l'existence d'un problème. Comme nous pouvons le constater, le débat qui tourne autour de l'école publique genevoise divise deux camps, difficilement réconciliables. D'un côté, nous avons ceux qui pensent que l'école doit efficacement transmettre les connaissances, mais qui ne peuvent que prendre acte d'un échec patent, lors d'études comparatives. D'un autre côté, nous avons ceux qui ne jugent pas indispensable cette mission fixée dans la loi, et qui ne peuvent ni se montrer critiques face aux méthodes actuelles d'enseignement ni accepter l'existence d'une dérive. En plus, pour ces derniers, l'école aurait pour but la socialisation des élèves, champ perpétuellement mobile et ouvert à toutes sortes d'expérimentations pédagogiques.

Je pense que les performances des écoliers genevois, aussi mauvaises soient-elles, ne seront jamais un indicateur pertinent des réformes de l'école elle-même, même si cette dernière est la plus chère de Suisse romande. Cela fait trente ans que l'école est en réforme, il ne faudrait pas oublier que le but premier était cette volonté d'augmenter l'efficacité de transmission des connaissances jugées insatisfaisantes ou améliorables, et force est de constater que ce but a été mis de côté, et que la réforme perpétuelle des moyens est devenue un but en soi.

Je suis contente que cette motion soulève des problèmes importants, tant au niveau des notes qu'au niveau des cycles de quatre ans, parce que je pense que l'abandon des évaluations chiffrées et des cycles annuels diluent les repères, et cela finit par miner l'école.

Répudier les notes, c'est perdre un niveau de repères compréhensibles qui permettent des barèmes clairs et non arbitraires, des moyennes, des pondérations. Répudier les cycles annuels, c'est perdre le repère que consacre le passage annuel à un degré supérieur. Et il me semble que des cycles de quatre ans auraient de graves conséquences, surtout pour les plus faibles, qui se verraient distancés sur de plus longues périodes, et qui, au bout du compte, n'arriveraient plus à surmonter les obstacles.

Je pense que refuser des évaluations claires et régulières, ce serait aussi prendre le risque de laisser croire que c'est l'école, et non plus les élèves, qui aurait peur d'être jugée sur ses résultats.

Pour terminer, j'estime qu'il est temps que l'école arrête de se substituer au rôle éducatif des parents, en inculquant aux élèves des normes sociales.

Par conséquent, mon groupe et moi-même soutiendrons la motion. (Applaudissements.)

M. Souhail Mouhanna (AdG). Depuis quelque temps, je suis impressionné par la fréquence des interventions du groupe radical, au niveau de l'école publique et par cette capacité de laisser croire que les radicaux n'ont aucune responsabilité dans la dégradation de l'école publique.

Vous parlez de ce qui se passe dans l'école publique depuis trente ans. Depuis plus de trente ans, je suis ce qui se passe à l'école publique, puisque j'y enseigne, je suis donc bien placé pour savoir - bien mieux que certains d'entre vous - ce qui s'y passe.

Vous parlez de la démotivation des enseignants. Mais vous oubliez, tous, les dénigrements que vous avez exprimés à leur égard pendant toute la période monocolore des années nonante. Vous oubliez la contribution que vous avez apportée à la dégradation des ressources nécessaires à l'amélioration du système éducatif. Passons. Je ne vais pas reprendre tous ces éléments, mais, puisque vous voulez recentrer les choses sur la transmission des savoirs, je vais me concentrer sur cette motion.

Vous prétendez que la mission essentielle de l'école publique est la transmission des savoirs. Eh bien, non. Ce n'est pas la mission mais unedes missions essentielles de l'école publique. Les missions essentielles sont articulées dans l'article 4 de la loi sur l'instruction publique, et je tiens à lire la totalité de cet article... (Manifestation dans la salle.)...parce que quand vous parlez de recentrer, vous semblez dire que le reste n'a pas d'importance. Or, justement, le reste vous gêne: voilà pourquoi vous ne voulez pas qu'on en parle ! Et j'en entends déjà quelques-uns qui voudraient que je n'en donne pas lecture; mais je vais vous décevoir.

L'article 4 dit ceci: «L'enseignement public a pour but, dans le respect de la personnalité de chacun :

a) de donner à chaque élève le moyen d'acquérir les meilleures connaissances dans la perspective de ses activités futures et de chercher à susciter chez lui le désir permanent d'apprendre et de se former;

b) d'aider chaque élève à développer de manière équilibrée sa personnalité, sa créativité ainsi que ses aptitudes intellectuelles, manuelles, physiques et artistiques;

c) de veiller à respecter, dans la mesure des conditions requises, les choix de formation des élèves;

d) de préparer chacun à participer à la vie sociale, culturelle, civique, politique et économique du pays, en affermissant le sens des responsabilités, la faculté de discernement et l'indépendance de jugement;

e) de rendre chaque élève progressivement conscient de son appartenance au monde qui l'entoure, en éveillant en lui le respect d'autrui, l'esprit de solidarité et de coopération et l'attachement aux objectifs du développement durable;

f) de tendre à corriger les inégalités de chance de réussite scolaire des élèves dès les premiers degrés de l'école.»

Toutes ces missions sont essentielles. Le savoir sans la conscience, que vaut-il ? Or c'est justement ce que vous voulez: le savoir sans conscience, pour pouvoir utiliser les gens comme vous voulez, comme ceux que vous défendez... (Manifestation dans la salle. Le président agite la cloche.)Oui, vous voulez que les meilleures connaissances soient acquises, pour pouvoir réaliser son projet professionnel et son projet humain. Vous savez, il y a beaucoup de gens qui ont beaucoup de connaissances. Par exemple, tous ces pilotes, de grande valeur, de Swissair. Et vous savez ce qui s'est passé: toutes ces suppressions d'emplois, qui mettent à la rue des dizaines, des centaines et des milliers de gens, qui sont parfaitement formés, mais qui, à cause de l'appât du gain et du culte du profit, sont mis à la rue par vous, qui faites fi de tout ce que l'école publique a fait pour former ces gens-là. Vous oubliez cela.

M. Barrillier a parlé tout à l'heure des 27 000 signatures que l'initiative d'ARLE a récoltées. Eh oui, Monsieur Barrillier, c'est vrai que c'est un score impressionnant - d'ailleurs comme tous les objets qui pourraient être concentrés sur quelque chose de parfaitement partiel.

Je vous donne un autre exemple. Un référendum, c'est 7000 signatures. J'ai fait partie, moi, d'un comité référendaire, qui défendait le maintien de la brigade sanitaire de la police que certains de ceux d'en face, qui se prétendent défendeurs de la police, ont combattu, parce qu'ils voulaient justement que la police reste un instrument de répression. Justement, il y a eu 20 000 signatures, mais on a vu qu'à l'arrivée - à cause de toutes les interventions, de la mobilisation, de tout l'argent qui ont été investis pour déposséder la police d'un instrument de proximité avec la population - le référendum a récolté 40% d'avis favorables, Monsieur Barrillier. Ne vendez pas la peau de l'ours avant de l'avoir abattu. Je vois que vous êtes maintenant extrêmement heureux de voir ARLE vous fournir un certain nombre d'arguments, mais, je vous le dis très franchement... (L'orateur est interpellé.)Ecoutez, parmi les gens d'ARLE, il y a des personnes que je connais et que je respecte énormément, mais elles n'ont pas que ce que vous croyez qu'elles défendent. Elles défendent bien d'autres choses, mais vous ne prenez que ce qui vous intéresse. Je vais vous dire, Monsieur Barrillier, Mesdames et Messieurs du parti radical - plutôt les messieurs, d'ailleurs, essentiellement - vous devriez être très reconnaissants à ARLE...

Le président. ...Il faut conclure, Monsieur Mouhanna.

M. Souhail Mouhanna. Je conclus, Monsieur le président du Grand Conseil. Je conclurai par ceci: vous devriez être très reconnaissants à ARLE de vous avoir fourni la feuille de vigne qui vous permet de cacher votre impuissance... (Rires.)...à améliorer l'école publique. (Applaudissements.)

M. Hugues Hiltpold (R). La motion radicale s'inscrit en plein dans la problématique des réformes et des rénovations scolaires. Beaucoup de personnes ont appelé ces dernières de leurs voeux, à en juger par l'actualité récente qui a vu l'aboutissement de l'initiative dont on a discuté précédemment - elle a récolté, je vous le rappelle, près de 28 000 signatures.

Ce soir, tout le monde s'accorde à dire que le débat est utile. Je tiens simplement à rappeler qu'en débat de préconsultation le groupe radical a fait l'objet d'un certain nombre de gausseries et de railleries de la part de députés se trouvant tant à ma gauche qu'à ma droite, et que nous étions accusés de profaner un certain nombre de billevesées. C'est pourquoi je suis très heureux, ce soir, de constater que tout le monde s'accorde à dire que le débat est utile: c'est déjà une bonne part du marché qui est remplie.

Deuxième élément. Les travaux qui ont eu lieu en commission se sont déroulés dans une certaine ouverture d'esprit, les débats ont été sereins et plus ou moins constructifs - quand je dis «plus ou moins», c'est que nous sommes arrivés à un certain nombre d'invites amendées et aussi consensuelles que l'on puisse l'être dans une commission. Le but, Mesdames et Messieurs les députés, était identique pour tous: c'était une école de qualité que nous voulions tous.

Je tiens à rappeler que le rapport de minorité, que je considère pour ma part comme faible, m'a personnellement étonné, parce que M. Apothéloz - que je considère comme quelqu'un de sensible et de censé - nous avait habitués à des arguments un peu plus constructifs. Cela m'amène à deux conclusions.

La première, c'est que si on dit «non» à une motion, simplement parce que son titre et ses considérants ne conviennent pas, c'est qu'on a une susceptibilité que je considère comme malvenue.

Deuxième conclusion: on n'a aucun autre argument à faire valoir.

C'est la raison pour laquelle je vous invite à voter les invites telles qu'amendées, et à ne pas rentrer en matière sur les amendements, parce je crois qu'il n'y a pas de raisons de refaire le débat qui a eu lieu en commission. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo, t'as bien parlé.

Le président. Merci Monsieur le député, nous tâcherons de nous en souvenir pour quand nous reprendrons les travaux à ce sujet, c'est-à-dire probablement dans quinze jours.