République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 2 mai 2003 à 10h25
55e législature - 2e année - 7e session - 40e séance
PL 8555-A
Premier débat
Mme Jeannine De Haller (AdG). En relisant ce projet de loi qui a été traité en décembre 2001, je suis étonnée - même si, en réalité, je ne le suis pas tout à fait - du refus d'entrer en matière sur un point qui me paraît pourtant vraiment évident.
En effet, pour beaucoup d'entre nous - hommes et femmes, d'ailleurs - il est extrêmement difficile de participer aux séances du Grand Conseil et, donc, à la vie politique de notre canton, vu les horaires des séances qui correspondent exactement au moment où les enfants rentrent de l'école et où il faut s'occuper de leur faire faire les devoirs, de leur donner à manger et de les coucher.
Il me semble donc évident - au minimum - d'inciter et d'encourager les femmes - et certains hommes - à participer à la vie politique en les dédommageant des frais de garde inévitables que cette participation implique. Nous ne sommes pas très nombreuses dans cette enceinte à avoir des enfants en âge scolaire, mais les choses sont très compliquées pour nous selon les horaires des séances, que ce soit entre midi et 14h, entre 17 et 19h, ou les séances plénières qui durent toute la soirée depuis 17h. Ces horaires, je le répète, nous compliquent énormément la vie.
La moindre des choses serait donc d'avoir une compensation financière pour nous aider à payer une tierce personne qui viendrait garder les enfants. Je ne comprends même pas que les députés des bancs d'en face refusent d'entrer en matière sur quelque chose d'aussi évident !
Présidence de M. Pascal Pétroz, premier vice-président
Mme Morgane Gauthier (Ve). Ce projet de loi, présenté par l'AdG, est un bon projet de loi. Je tiens à rappeler que le Bureau précédent, soit celui de la dernière année de la législature précédente, avait décidé de contribuer aux frais des personnes devant faire garder leurs enfants pendant les séances plénières.
Je peux vous dire, puisque j'en bénéficie, que c'est une très bonne chose et que cela fonctionne très bien, mais cette mesure est appliquée uniquement pour les séances plénières du soir, même si les horaires des séances de commission posent aussi problème. Les Verts ont du reste déposé un projet de loi à cet effet, pour trouver une solution à ce problème. Mais les choses ne changent toujours pas et elles ne changeront pas avant trois ans, ou, plus exactement, deux ans et demi.
Il est toujours très difficile de concilier vie professionnelle, vie de famille et vie politique. C'est un problème de fond. Ce projet de loi n'y répond pas véritablement, mais il apporte un début de solution. Et je crois qu'il faut saisir cette occasion. Si le message de ce Grand Conseil consiste à dire qu'il faut laisser les choses comme elles sont, cela signifie que toute une frange de la population est exclue, de fait, de la vie politique, parce que les horaires de nos commissions correspondent aux heures cruciales pour nos enfants. On n'arrête pas de nous dire que les parents démissionnent et ne s'occupent pas de leurs enfants... Mais quand on veut s'occuper de nos enfants, lors de ces moments clés, ce n'est tout simplement pas compatible avec les horaires de la vie politique !
Je peux parler de mon expérience personnelle, si vous le voulez... Il est impossible de trouver une garde pour un enfant scolarisé entre midi et 14h ou entre 17 et 19h. Ou alors, dites-moi comment, Madame de Tassigny, vous qui êtes bien placée pour le savoir !
Pour notre part, nous estimons donc que ce projet est bon et que le message de ce Grand Conseil est mauvais, par la voix de sa rapporteuse.
J'aimerais juste rappeler que, dans sa conclusion, elle invite «chaque parti à mener des actions concrètes pour faciliter l'arrivée des femmes en politique.» Mais regardez votre propre parti, Madame ! Vous êtes la seule représentante féminine des bancs radicaux ! (Exclamations.)Oui, mais c'est bien la preuve... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)...que les partis n'ont pas les moyens nécessaires pour amener les femmes en politique ! (L'oratrice est interpellée par M. Dupraz.)Monsieur Dupraz, je vous remercie !
Le président. Monsieur Dupraz, s'il vous plaît !
Mme Morgane Gauthier. Tout cela pour dire qu'il faut absolument soutenir ce projet de loi. Même si ce n'est qu'un début, c'est la bonne direction à prendre ! (Applaudissements.)
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). En 1893, la Nouvelle-Zélande fut le premier pays à donner aux femmes le droit de vote et d'éligibilité. En Suisse, nos mères ont dû attendre 1971 pour avoir accès aux institutions politiques. (Exclamations.)La démocratie en Suisse est donc toute jeune, car un pays qui exclut la moitié de sa population à l'accès aux droits démocratiques ne peut pas être qualifié de pays démocratique.
A l'échelle planétaire, la part des femmes dans les parlements s'élève à 13,8% en moyenne. Les pays nordiques arrivent largement en tête avec une moyenne de 38,8%, alors que la Suisse se place au vingt-et-unième rang, à égalité avec l'Autriche. Genève a eu durant plusieurs années une représentation de femmes au parlement cantonal plus forte que les autres cantons, mais, avec l'arrivée de l'UDC, parti machiste par excellence... (Rires et exclamations.)...et le virage à droite des autres partis de l'Entente... (Vif brouhaha.)Mais, regardez ! Regardez ! (Le président agite la cloche.)Elle est où la femme, dans le groupe UDC ? L'a-t-on entendu s'exprimer une seule fois ? ...la part des femmes, ici, a fortement diminué - de 36% à 23%.
On peut se demander pourquoi les femmes occupent surtout les bancs de la gauche... Moi, j'ai deux explications à cela. D'une part, les femmes de gauche ont en général un discours clair quant à la défense des intérêts spécifiques qui concernent les femmes, comme, par exemple, l'augmentation des crèches, la parité, l'aide pour la garde des enfants, etc. Le fait qu'aujourd'hui une femme de l'Entente - et je ne vous attaque pas personnellement, Madame de Tassigny, parce que je vous aime bien - défende un rapport refusant d'apporter une aide aux députées mères - ou, plus rarement, aux députés pères - démontre bien que les femmes de droite se laissent utiliser comme porteuses d'eau... (Exclamations.) ...ou, plutôt, comme porteuses d'idées contraires aux aspirations de la majorité des femmes... Et je le regrette infiniment !
D'autre part, les buts mêmes des partis politiques font que les femmes se sentent probablement plus à l'aise dans un parti qui défend en priorité la justice sociale ou le développement durable. En effet, défendre la cause des femmes, c'est défendre un projet politique global, c'est lutter pour une égalité tant formelle que réelle entre les sexes. Cette politique est novatrice, radicalement critique, et vise à substituer une démocratie réelle à une démocratie formelle.
Les féministes dérangent, Mesdames et Messieurs, parce qu'elles remettent en cause un modèle de société basé sur le masculin, sur le patriarcat ou sur le capitalisme. Or, il est évident que si l'on veut défendre cette vision de la société, il est plus difficile de le faire dans un parti qui défend le modèle dominant actuel, basé sur le capitalisme et le libéralisme sauvages. (Exclamations. On entend des cris d'animaux.)J'explique ma vision par rapport à ce problème ! (Le président agite la cloche.)
Venons-en maintenant au sujet de ce rapport. Le groupe socialiste soutient évidemment ce projet de loi pour les raisons suivantes. En effet, si notre parlement manque encore cruellement de représentantes féminines, c'est qu'elles sont moins disponibles pour faire une carrière politique, à cause de leur double, voire triple charge: familiale, professionnelle et politique. Quand on sait qu'aujourd'hui encore la grande partie du travail domestique et éducatif est assumée par les femmes, on ne s'en étonne guère ! D'autres éléments interviennent certainement aussi comme, par exemple, le fait qu'elles sont moins bien représentées dans les organisations économiques, car elles manquent encore cruellement de réseaux ou de lobbies efficaces, et que les médias les considèrent encore souvent comme quantité négligeable. (Exclamations.)
M. John Dupraz. Vous n'êtes pas beaucoup sortie !
Mme Loly Bolay. Mais, c'est vrai !
Mme Maria Roth-Bernasconi. Monsieur Dupraz, vous avez lu l'étude...
Le président. S'il vous plaît, Monsieur Dupraz !
Mme Maria Roth-Bernasconi. Monsieur Dupraz, vous avez lu l'étude de l'université ?
Mme Loly Bolay. Mais tais-toi, Dupraz !
Mme Maria Roth-Bernasconi. Monsieur Dupraz, avez-vous lu le rapport qui a été fait par l'université de Berne sur la présence des femmes dans les médias...
Le président. Ne vous adressez pas à M. Dupraz, Madame Roth-Bernasconi !
Mme Maria Roth-Bernasconi. ...après les élections de 1999 ? (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Mesdames et Messieurs les députés, comptez les interventions des hommes et des femmes citées dans les médias, et vous aurez vite compris ! Au début de cette année, «Le Temps» - pour ne pas le nommer - a demandé à certaines personnalités ce qu'elles attendent de l'année 2003... Eh bien, aucune femme n'a été interrogée ! Voilà, comment les femmes sont représentées dans les médias !
Ce projet de loi, présenté à l'époque par nos collègues de l'Alliance de gauche, ne mange pas de pain... (Rires et exclamations.)Mais il est un petit signe en faveur des jeunes femmes et des quelques hommes qui ont la charge de petits enfants. Et Mme Morgane Gauthier l'a très bien expliqué, elle qui a l'expérience de cette situation. J'en ai moi-même fait l'expérience, car mes enfants étaient encore petits quand j'ai commencé à faire de la politique. Cela peut donc être une mesure incitative favorable pour une catégorie de la population très peu représentée dans ce parlement: les jeunes mères de famille.
Donnons donc ce petit signe à cette catégorie de personnes et adoptons ce projet de loi modeste mais fort symbolique ! (Applaudissements.)
Le président. La parole est à vous, Monsieur Jean-Michel Gros. (Exclamations de satisfaction.)
M. Jean-Michel Gros (L). Le groupe libéral partage les conclusions du rapport de Mme de Tassigny...
L'idée de ce projet est certes sympathique, le problème est certainement réel, et les trois préopinantes l'ont bien évoqué: oui, c'est un problème pour les mères de participer à la vie politique pour des questions d'horaires des sessions. Il n'est certainement pas très commode de faire garder ses enfants, surtout les enfants en bas âge. Et que l'on ne m'oppose pas l'article 24, parce que je ne suis pas concerné par ce problème ! (Rires.)Mais comme le dit ou le sous-entend le rapport, en octroyant une indemnité pour la garde des enfants, nous ouvrons une boîte de Pandore, parce qu'ensuite il faudra également donner des indemnités spéciales à ceux qui ont à charge une personne âgée, à ceux qui doivent engager une personne supplémentaire au bureau, à ceux qui ont la garde d'un conjoint handicapé, etc. Je crois que c'est aller trop loin !
Mesdames et Messieurs les députés, l'article 46 de notre loi portant règlement du Grand Conseil précise que l'indemnité due aux députés est décidée en fin de législature par le Bureau. Pour le groupe libéral, cette indemnité est globale. Elle doit couvrir tous les inconvénients de la charge de député. Alors: est-elle suffisante ? Ça, c'est sûrement une bonne question, et nous suggérons que les deux Bureaux qui vont se succéder d'ici aux prochaines élections se penchent sur cette question et revoient, le cas échéant, cette indemnité à la hausse.
Les problèmes particuliers de chaque député ne peuvent pas être pris en compte par cette indemnité. C'est peut-être - on l'a dit et Mme de Tassigny l'a souligné - à chaque parti aussi d'examiner chaque cas particulier. Nous avons appris en commission que le groupe SolidaritéS avait mis sur pied un système de prise en charge des enfants en bas âge et organisait lui-même cette prise en charge. Eh bien, bravo ! C'est très bien que le parti se préoccupe de ce problème. Peut-être les autres partis devraient-ils en prendre de la graine !
Il faut savoir que les indemnités sont en partie dues aux députés mais que, souvent, ces derniers les reversent à leur parti ou à leur groupe. Dans certains groupes, cela vire quasiment au racket, puisque plus de 70% des jetons de présence sont prélevés ! Sur ce point aussi, il y a peut-être quelque chose à faire. Au lieu de demander une indemnité spéciale pour la garde des enfants, peut-être ces partis devraient-ils prélever une somme moins importante pour les personnes obligées de payer une aide. Ce serait également une solution à étudier. (Applaudissements.)
C'est dans ce sens-là: pour ne pas ouvrir une boîte de Pandore - et non pour nous opposer à ce problème réel - que le groupe libéral vous demande de refuser ce projet.
Des voix. Bravo !
Mme Morgane Gauthier (Ve). Je voulais juste ajouter une petite chose. Il ne s'agit pas d'un débat gauche/droite. C'est un message que nous devons envoyer. C'est très différent ! Il ne s'agit pas de savoir s'il y a plus de femmes sur les bancs de la gauche que sur les bancs de la droite. Il s'agit d'un problème global !
Notre parlement est-il d'accord d'envoyer un message pour montrer sa volonté d'aider les femmes qui ont des enfants en bas âge ou les personnes qui ont des charges de famille à participer à la vie politique de ce canton ? C'est la question que nous devons nous poser. La réponse qui nous est donnée est non... Très bien ! Mais justifiez ce refus correctement ! Vous dites que l'on risque d'ouvrir une boîte de Pandore... Trouvez-vous que c'est une justification correcte ? Moi, je ne le pense pas du tout ! Cet argument n'est pas bon. L'accepter, c'est accepter de laisser de côté une partie de la population ayant une charge de famille. Nous voulons un parlement cantonal représentatif, c'est-à-dire que les parents doivent aussi être représentés pour s'occuper de leur avenir et de l'avenir de leurs enfants. Vous pouvez m'opposer l'article 24, Monsieur Gros, si vous voulez, mais je trouve que votre justification n'est absolument pas valable ! (Applaudissements.)
M. Claude Blanc (PDC). J'ai été très intéressé par ce qu'a dit tout à l'heure mon excellent collègue Gros, et je suis tout à fait d'accord avec lui que c'est au parti d'assumer les difficultés de ceux de leurs membres qui ne peuvent pas se libérer pour les séances du Grand Conseil en raison de leurs charges de famille. Je le répète, je suis tout à fait d'accord avec lui sur ce point, mais, pour le reste, je lui rappelle que nous sommes précisément en train d'examiner à la commission des droits politiques un projet de loi visant précisément à donner aux partis les moyens de réaliser la proposition de M. Gros. J'invite donc nos amis libéraux à revoir leur position par rapport au projet de loi sur le financement des partis politiques et puis, comme cela, tous les problèmes seront résolus...
Je suis donc prêt à dire que ce projet de loi est superfétatoire, mais à condition que le projet de loi sur le financement des partis politiques puisse être voté. (Applaudissements.)
Mme Marie-Françoise De Tassigny (R), rapporteuse. J'attendais la fin des interventions, car je pensais bien que le débat serait un peu tendu...
Mais on ne peut pas m'accuser de ne pas défendre la cause des femmes dans ce parlement en ma qualité de rapporteuse. Et je n'ai vraiment pas l'impression non plus de me sentir muselée ou brimée par les partis que je représente...
La véritable égalité des droits, c'est que chaque député puisse accomplir son mandat. Que dire des députés qui doivent quitter leur fonction dans la journée, ce qui représente pour eux un manque à gagner ! Ce n'est pas seulement un problème pour les femmes: c'est un problème pour tout parlementaire !
Cette motion aborde un problème tout autre, qu'il faut considérer dans une vision générale de notre parlement et de la charge que cela représente pour chacun de nous qui sommes ici dans ce parlement pour faire de la politique. Il faut poursuivre notre politique de développement des modes de garde intensément et revoir véritablement l'organisation du parlement. C'est ainsi que nous donnerons un véritable signal. (Applaudissements.)
Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat par 38 non contre 32 oui.