République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 29 novembre 2002 à 14h
55e législature - 2e année - 2e session - 8e séance
PL 7594-A
Premier débat
M. Gilles Desplanches (L), rapporteur de majorité. J'aimerais tout d'abord compléter mon rapport de majorité. J'ai en effet omis de mentionner la séance de la commission de l'économie du 17 juin dernier. Cette séance avait pour but de définir la façon dont nous traiterions ce projet en plénière dans la mesure où l'entrée en matière a fait l'objet de deux votes distincts et aux résultats discordants en commission. Il est largement question de ce problème dans le rapport de minorité. La commission s'est prononcée en deuxième et troisième débat, le 17 juin, sur la proposition de Charles Beer. Le résultat de ces deux votes était 11 voix pour, aucune contre et 3 abstentions. Quant au vote final, le projet a été refusé, toujours le 17 juin, par 8 voix contre - à savoir 3 libéraux, 2 radicaux, 2 démocrates-chrétiens et 1 UDC - 3 voix pour - 3 socialistes - et 3 abstentions - 2 Verts et 1 AdG. Voilà, mon omission est comblée, j'en viens au fond de ce projet de loi.
Il avait pour but de faciliter la mise en place d'essais pilotes en matière de partage du travail pour prévenir les licenciements et encourager l'embauche. Ce projet a été rédigé durant la législature dite monocolore, travaillé sous la majorité de gauche et le vote final est intervenu en commission au début de cette nouvelle législature. Ce projet n'a cependant pas souffert du clivage gauche-droite étant donné les abstentions des Verts et de l'Alliance de gauche. La commission a consacré à ce projet treize séances de travail dont huit ont été dédiées à des auditions. Nous avons entendu la commission de surveillance du chômage, l'office fédéral du développement économique et de l'emploi, la CGAS, l'UAPG, M. Ulrich Kohli, professeur d'économie à l'Université, le CES, des représentants d'ABB Sécheron et Mme Calmy-Rey.
Après les auditions et le vote d'entrée en matière, la commission a décidé de suspendre les travaux sur ce projet de loi et de traiter à la place la motion 1058. Le département de M. Lamprecht a confié au professeur Flückiger un mandat en trois parties sur le partage du temps de travail. La première partie s'intitulait «Recherche de modèles et prospection d'entreprises»; la seconde «Mesures retenues pour les entreprises pilotes» et la troisième «Evaluation des différentes mesures». Les conclusions de ces études figurent dans le rapport de majorité.
Au cours des auditions, nous nous sommes aperçus que le partage du temps de travail était, malheureusement ou heureusement, très peu mis en pratique, par les grandes entreprises comme par les petites. L'exemple d'ABB est révélateur à cet égard. Seuls 15% des membres de l'entreprise, soit 35 personnes, étaient d'accord d'envisager une activité à temps partiel. Leurs motivations étaient principalement l'amélioration de la qualité de vie ou des relations familiales, mais aussi les conditions salariales ou des redéfinitions d'activités. Au final, seules 8 personnes se sont déclarées favorables à un partage du temps de travail, c'est-à-dire moins de 3% du personnel. D'ailleurs, les conclusions de «Why not?», l'enquête du professeur Flückiger, démontrent particulièrement bien les difficultés de mise en place et l'inadéquation de ce projet de loi, inadéquation qui ne signifie cependant pas désintérêt.
Je rappelle tout de même que la diminution du temps de travail en France s'est effectuée sous la contrainte des pouvoirs publics et que l'économie a obtempéré, non sans compensations pour les grandes entreprises - qui en ont parfois profité pour se restructurer - mais au détriment des PME. Or, en Suisse, les PME représentent 98% des entreprises et 85% des emplois.
M. Charles Beer (S), rapporteur de minorité. Je ne voudrais pas sombrer dans des propos trop théoriques qui auraient pour effet de décourager notre Conseil de traiter cette question du partage du temps de travail. J'entends malgré tout mettre en évidence un certain nombre de points qu'il est nécessaire de rappeler parce que le rapport de majorité de même que les propos complémentaires de M. Desplanches entretiennent le trouble, le flou et la confusion autour de la notion de partage du travail.
J'aimerais ainsi rappeler qu'il existe deux formes de réduction du temps de travail : une forme volontaire et une forme obligatoire. M. Desplanches a fait référence tout à l'heure aux lois Aubry qui ont introduit la semaine de 35 heures en France avec des effets dont il n'a mis en avant que les défauts. En Suisse, nous avons une initiative pour 36 heures en moyenne annuelle qui a été refusée très largement par le peuple. Ces deux exemples sont des réductions obligatoires du temps de travail introduites par des lois et s'appliquant à l'ensemble des secteurs de l'économie.
Contrairement à ce que prétend M. Desplanches, le projet de loi dont il est question ici n'a rien à voir avec cette réduction obligatoire. Ce projet ne vise que la promotion du partage du temps de travail, qui plus est une promotion dans le cadre de la loi sur l'assurance-chômage, plus précisément en application de son article 110A. Cet article permet, pour engager un certain nombre de chômeurs et chômeuses, d'utiliser le partage voire la flexibilisation du temps de travail. Le projet de loi 7594 vise à donner un cadre pour l'application de l'article 110A de la loi sur l'assurance-chômage qui, lui, existe de toute façon. Je récuse donc d'avance toute confusion volontaire qui viserait à confondre la réduction du temps de travail obligatoire et l'incitation à la réduction du temps de travail.
Puisque M. Desplanches a cru bon de citer l'exemple des lois Aubry, je me permettrai d'évoquer en retour la loi Robien, votée par le Parlement français en 1995 sous une majorité de droite et qui devait permettre d'inciter au partage du temps de travail en mettant sur pied des expériences dans ce domaine. Il y a aujourd'hui encore des applications concrètes de cette loi, comme il existe de nombreuses expériences de partage du temps de travail, sans loi mais par des arrangements conventionnels, en Allemagne et aux Pays-Bas, pour ne citer que ces pays. L'exemple le plus célèbre est précisément allemand, c'est celui de Volkswagen qui, grâce à un programme de réduction du temps de travail sur une base volontaire financé en partie par les pouvoirs publics a permis d'éviter un chômage trop massif dans l'automobile allemande.
Encore une fois, notre projet est un projet fort modeste d'application d'une loi fédérale. Ce que nous proposons est une mesure parmi d'autres visant à lutter contre le chômage. M. Desplanches a évoqué largement l'enquête «Why not?» et le rapport du laboratoire d'économie appliquée. Il aurait fallu lire toutes les recommandations de ce rapport et notamment la deuxième d'entre elles qui dit : «A l'aide d'incitations fiscales, l'Etat peut donner aux entreprises sur son engagement actif dans la recherche de nouvelles solutions aux problèmes économiques et en particulier du chômage. La position actuelle du département des finances est de traiter les dossiers cas par cas.» J'aimerais maintenant intervenir brièvement sur la forme pour souligner que les travaux ont été interrompus deux fois : à la demande tout d'abord du département des finances qui entendait mettre sur pied trois expériences de partage du temps de travail dans l'administration cantonale qui ont fait l'objet d'un rapport en demi-teinte quant au succès de la mesure; le 15 mai 1998 ensuite, en raison du vote, avec le soutien du DEEE, d'une motion demandant la mise en vigueur des dispositions prévues dans le projet de loi. Ce vote était intervenu dans une configuration politique différente du clivage gauche-droite, puisque les socialistes, le PDC et une partie des radicaux soutenaient la motion, tandis que l'Alliance de gauche d'abstenait. Après ces deux interruptions, la majorité de la commission a décidé en dix minutes, ivre d'une récente victoire électorale, que le projet de loi ne méritait pas une entrée en matière alors que celle-ci avait été acceptée deux ans auparavant. Cela montre qu'il y a un léger problème dans la qualité du travail de la commission, ce que l'on peut constater aujourd'hui encore.
Ce que nous demandons, c'est que, de manière pragmatique, posée, on veuille bien étudier ce projet en commission parce qu'il est plus utile que jamais. Les difficultés économiques, notamment dans le secteur bancaire, ne permettent pas de balayer de notre route la piste du partage du temps de travail avec une incitation des pouvoirs publics. Cette mesure est favorable aux chômeurs, aux entreprises et à l'Etat qui n'indemnise pas des gens à plein-temps pour ne rien faire. Il convient donc de renvoyer ce projet en commission.
Le président. Le renvoi en commission ayant été demandé, je prie les prochains intervenants de se prononcer sur cette demande exclusivement.
M. Alain Charbonnier (S). Comme l'ont indiqué les deux rapporteurs, nous sommes face à un rapport de majorité qui se termine sur un vote d'entrée en matière négatif et un rapport de minorité qui se conclut par un vote de troisième débat rejetant ce projet de loi. L'explication de cette situation est simple et en même temps compliquée: elle vous a été en partie donnée par les deux rapporteurs. Lors de la précédente législature, la commission de l'économie a voté deux fois l'entrée en matière: une fois positivement le 4 mai 1998 et une fois négativement le 8 octobre 2001. Il y a effectivement de quoi se poser des questions sur l'organisation des travaux dans nos commissions ! Face à cette situation, la commission de l'économie a décidé, le 17 juin 2002, de prendre en compte le premier vote d'entrée en matière et de passer aux deuxième et troisième débats qui ont débouché sur le rejet de ce projet de loi, sans que la plupart des commissaires présents aient eu accès aux documents des séances antérieures puisqu'ils ne siégeaient pas durant la précédente législature. Aucune trace de cette séance n'apparaît dans le rapport de majorité, ce qui n'est pas très sérieux, j'espère que tout le monde en convient. Ces événements sont révélateurs de l'absence de volonté politique de la majorité de la commission, mais aussi du département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures, en ce qui concerne le partage du temps de travail. Depuis le dépôt de ce projet de loi en mars 1997, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Le taux de chômage a diminué, puis a repris son ascension il y a quelques mois. Il nous paraît indispensable d'étudier toutes les pistes sérieuses pour combattre ce fléau. Le partage du temps de travail, déjà pratiqué par certains de nos voisins - l'Allemagne avec VW par exemple - est une de ces pistes. Nous vous demandons donc de renvoyer ce projet de loi à la commission de l'économie afin qu'il soit véritablement examiné et éventuellement mis à jour. Nous espérons aussi que les dysfonctionnements apparus à la commission de l'économie seront résorbés et qu'un rapport digne de ce nom sera rédigé sur ce projet de loi.
M. Christian Bavarel (Ve). Je veux seulement indiquer que les Verts soutiendront le renvoi en commission.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce rapport en commission est rejetée par 40 non contre 25 oui.
Mme Loly Bolay (S). Le partage du temps de travail est une nécessité. Nous devons l'encourager pour réduire le chômage. Depuis les années 90, notre pays et plus particulièrement notre canton, subissent des taux de chômage records, même s'il y a eu une embellie ces dernières années. Dans l'Union européenne, le débat sur la diminution du temps de travail a débuté en 1983 déjà et la commission européenne a remis un rapport au Conseil de l'Europe qui recommande la réorganisation du temps de travail. J'aimerais vous donner quelques exemples dans lesquels le travail a été partagé avec succès.
Aux Pays-Bas, le taux de chômage était de 12% en 1982. On a introduit la semaine de travail de 38 heures et, entre 1982 et 1997, le taux de chômage est passé de 12 à 5,6%. Depuis 1997, la semaine de travail est passée à 36 heures et le chômage a diminué.
En Allemagne, 1 million d'emplois ont été sauvés grâce au partage du temps de travail. Et ceci sans parler de ce qui a été fait chez Volkswagen où 30'000 emplois ont été sauvés. D'autres pays ont suivi le mouvement, comme l'Autriche, comme l'Italie ou l'Espagne. Je mentionnerai enfin la loi Robien rédigée par M. Gilles de Robien, qui est aujourd'hui ministre du gouvernement de M. Raffarin.
Mesdames et Messieurs les députés, le tissu économique genevois est composé à 80% de PME. Il est vrai que l'organisation du temps de travail dans les petites et moyennes entreprises est une chose complexe. J'aimerais cependant souligner l'exemple de la région Rhône-Alpes qui a mis en place un dispositif par lequel l'Etat français et la région ont financé la réorganisation des petites et moyennes entreprises. Grâce à ce dispositif, une diminution de 10% du temps de travail a permis une augmentation de 12% de l'emploi dans les petites et moyennes entreprises.
Enfin, je regrette que la commission de l'économie n'ait pas procédé véritablement à un débat de fond sur ces questions. Cela est pourtant plus que nécessaire dans la mesure où le monde du travail est à nouveau en difficulté; une hécatombe est à prévoir notamment dans les banques. C'est pour cette raison que je reformule la demande de renvoi en commission
Le président. Il faudra reformuler cette demande plus tard dans le débat, Madame la députée. Nous n'allons pas procéder au vote sur le renvoi en commission après chaque intervention alors que celui-ci a été largement refusé à l'instant.
M. Jacques Jeannerat (R). Chacun le sait, le concept de partage du temps de travail a pratiquement toujours échoué, quelle que soit la conjoncture économique et quel que soit le pays où l'on a tenté de l'introduire. Les rares exceptions à ces échecs - M. Beer et Mme Bolay les ont citées - ce sont les grands sites industriels, notamment en Allemagne, et encore pour des périodes limitées. Ainsi, l'incitation au partage du temps de travail ne saurait absolument pas être appliquée dans notre pays puisque l'essentiel du tissu économique est composé de PME. Les radicaux vous recommandent donc de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi.
M. Pierre Weiss (L). La question du temps de travail et de son partage m'intéresse depuis un certain temps. Je m'intéresse en effet aux modes intellectuelles qui vont et viennent en fonction de la conjoncture. Je crois que nous nous trouvons actuellement dans une période où elle s'en va, tel le reflux de la mer. Néanmoins, pour la bonne forme, et puisque ce projet de loi nous est soumis, il convient d'en dire quelques mots. Je ferai en sorte de ne pas être trop long.
Lorsque le SECO a été entendu par la commission de l'économie, il a fait état avec une certaine réserve de la possibilité pour Genève de se transformer en canton pilote et il a indiqué qu'aucun blanc-seing ne serait accordé à notre canton.
Je crois qu'il convient de bien distinguer la situation des entreprises privées de celle des entreprises publiques. Ce projet de loi ne prend pas en compte suffisamment cette distinction. Ainsi, il prétend vouloir encourager le partage du travail à l'Etat, mais dans le même temps il pose comme condition pour le soutien financier aux essais-pilotes un chômage particulièrement élevé dans une branche spécifique. Cette condition n'est pas remplie pour l'Etat.
En ce qui concerne les entreprises privées, il faut rappeler que les êtres humains, les travailleurs ne sont pas des fourmis interchangeables qui suivraient la reine des fourmis. Non ! Ce sont des personnes qui ont des compétences différentes. Ce sont des personnes qui ont des qualifications particulières qui font qu'elles ne sont pas remplaçables par décret. Par conséquent, il est, vu la structure économique que nous connaissons en Suisse, peu pertinent de proposer une telle loi.
Monsieur Desplanches, je ne vous ferai pas l'injure d'ignorer que vous fabriquez de temps à autres des gâteaux. Vous savez donc que les tranches des gâteaux ne sont pas divisibles à l'infini. En revanche, la surface des gâteaux peut, elle, être étendue. Voilà ce qu'il faut faire. Ne soyons pas malthusiens face à la question du temps de travail ! Qu'aurions-nous fait si nous en étions restés à la masse de travail disponible au XIXe siècle ? Aurions-nous renoncé à moderniser les structures de travail pour éviter aux tisserands de tomber dans le chômage ? C'est cela la logique du partage du travail; c'est ce qu'il convient de refuser.
Le professeur Kohli, mon ancien collègue, aujourd'hui directeur de la Banque nationale, a bien dit qu'il n'y avait pas de corrélation entre la durée du travail et le taux de chômage. Mais ce qui vaut dans un sens vaut aussi dans l'autre : ce n'est pas parce que l'on diminuerait le temps de travail que l'on pourrait diminuer le taux de chômage. Cela vaut aussi pour des pays qui sont des artefacts de la réflexion superficielle sur le temps de travail comme les Pays-Bas. Pourquoi y a-t-il eu aux Pays-Bas une diminution forte du chômage à une certaine période ? Précisément parce qu'une législation a été introduite faisant passer des personnes que l'on ne voulait plus décompter au nombre des chômeurs dans un système qui s'apparente à l'assurance-invalidité. Madame Bolay, je crois qu'il conviendrait que vous accroissiez vos connaissances de néerlandais et que vous puissiez constater ce qui s'est passé effectivement dans ce pays-là.
En outre, les aides au secteur privé seraient, même si elles étaient accordées sous forme indirecte par le biais d'incitations fiscales, un retard à la rationalisation. Nous travaillerions contre l'intérêt même des travailleurs en empêchant un accroissement de la richesse collective totale du pays. C'est une raison supplémentaire de s'opposer à ce projet de loi. En revanche, les entreprises qui le souhaiteraient ne doivent pas être empêchées de procéder à des expériences de partage du temps de travail, mais sans incitation de l'Etat. L'exemple de Volkswagen est intéressant, tant en ce qui concerne l'entrée dans une expérience de partage du travail que pour la sortie d'une telle expérience. Je le répète, les moyens de la collectivité publique ne doivent pas être dépensés dans ces expériences. Il ne faut pas penser que l'on pourrait soigner un mal par un autre mal.
Mesdames et Messieurs, ce qu'il faut à Genève pour diminuer son taux de chômage, c'est attaquer le mal qui ronge notre économie et qui frappe un nombre non négligeable de travailleurs. Il faut modifier d'autres lois et non pas ajouter une loi inutile. Ce qu'il faut modifier c'est la législation cantonale sur le chômage, mais aussi des dispositifs particuliers relatifs à l'assistance sociale. On pourrait aussi penser à des compléments de formation pour des chômeurs qui se trouvent dans une phase difficile de leur vie et sont, pour certains, découragés, ou qui ne disposent plus de compétences pertinentes pour être remis sur le marché du travail.
Cet ensemble d'arguments, dont j'espère qu'il vous a convaincus, Mesdames et Messieurs les députés, me porte à souhaiter que nous passions au prochain point de l'ordre du jour avant que nous nous soyons épuisés à démontrer qu'il est inutile d'en parler encore aujourd'hui.
Le président. A défaut du temps de travail, il faudra penser à partager le temps de parole, car vous avez parlé 6 minutes et 40 secondes, Monsieur le député.
M. Claude Blanc (PDC). Si le préopinant vous a fatigués, je m'efforcerai d'être d'autant plus bref que je suis moins érudit que lui.
M. Beer a mentionné tout à l'heure les expériences de partage du temps de travail à l'Etat et il a indiqué avec un euphémisme que ces expériences avaient rencontré un succès en demi-teinte. M. Beer est bien bon, parce qu'en fait de succès en demi-teinte, c'est un échec complet. Cette expérience n'a pas fonctionné. Pourquoi n'a-t-elle pas fonctionné ? Parce que lorsqu'il s'agit de diminuer le temps de travail, tout le monde répond présent; mais dès que l'on aborde le volet salarial de la diminution du temps de travail, tout le monde répond absent. Le partage du temps de travail c'est toujours pour les autres. Ceux qui ont du travail ne veulent pas le partager et leur salaire encore moins. C'est pour cette raison essentiellement que l'expérience en question a été un échec. Ainsi, l'article premier de cette loi qui vise à encourager les essais pilotes menés par le canton est hors de saison : ces essais n'ont plus à être encouragés, ils ont échoué.
Par ailleurs, l'article 2 prévoit des allégements fiscaux. Je rappellerai à ceux d'entre vous qui font partie de la commission fiscale que nous avons essayé de concrétiser l'initiative pour l'accession à la propriété par des allégements fiscaux et que nous nous sommes aperçus que la LHID ne nous permettait plus d'accorder des allégements pour réguler l'économie. Par conséquent l'article 2 est lui aussi dépassé.
Enfin, l'article 10 est parfaitement inopérant. Il précise que les salariés dont le contrat serait résilié pendant la durée de l'expérience de partage du travail auront droit à une indemnité calculée sur le salaire assuré avant la réduction. L'assurance-chômage n'acceptera jamais cela.
Vu le nombre d'article qui sont caduques ou inopérants, je crois que l'on peut rejeter la loi en bloc.
M. Souhail Mouhanna (AdG). Je n'entrerai pas dans le détail de ce projet de loi. Ce que l'Alliance de gauche défend, c'est la réduction du temps de travail sans réduction de salaire. (Brouhaha.)Il semble que cela vous surprenne, Mesdames et Messieurs les députés, je vous rappelle que le temps de travail au début du XXe siècle était de l'ordre de 80 heures hebdomadaires. Moins d'un siècle après, le temps de travail a été divisé par 2,5 et les salaires multipliés par 7. Cela n'a pas empêché l'économie de se développer comme vous le savez. Il est donc toujours possible d'abaisser le temps de travail en maintenant le salaire à son niveau antérieur. Diminuer le temps de travail en diminuant les salaires en proportion revient en fait à imposer un travail à temps partiel.
J'aimerais également répondre à M. Weiss qui a parlé tout à l'heure d'un gâteau qui n'est pas extensible. Il est clair que le gâteau en question se réduit à vue d'oeil pour les travailleurs. Cependant les administrateurs de Swissair, du Crédit Suisse ou d'ABB se servent toujours les plus grosses parts... en millions, voire en dizaines de millions. Pour compenser ce déséquilibre, on procède à des licenciements. L'Alliance de gauche est favorable à l'interdiction des licenciements et la réduction du temps de travail sans réduction de salaire, cela est possible à la condition d'un partage équitable des richesses produites par les travailleurs.
M. Robert Iselin (UDC). L'UDC n'est généralement pas en faveur de ce type de lois. Elles sont coercitives, elles engendrent une grande quantité de fonctionnaires et elles gênent la souplesse nécessaire à l'économie. Je voudrais indiquer en outre, en complément de ce qu'a dit mon collègue Weiss, que des expériences de réduction du temps de travail ont déjà été conduites en Suisse.
Il y a environ 25 ou 30 ans, la fabrique Ritter à Winthertur qui produit des machines à tisser célèbres dans le monde entier a traversé une grave crise. La direction de Ritter a proposé à ses employés soit de se séparer de 20 ou 25% d'entre eux, soit de diminuer le temps de travail pour assurer les emplois de tous. Les travailleurs de l'usine Ritter ont librement voté par 57% contre 43 la réduction du temps de travail pour tous. C'est un exemple, Mesdames et Messieurs les députés. Je pense que ce type de solution est dix fois meilleure que des lois qui comprennent des dispositions coercitives qui interdisent tout renvoi pour raisons économiques. Comment voulez-vous qu'une affaire progresse si l'on empêche les renvois pour motif économique ?
Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat par 38 non contre 31 oui.