République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 15 novembre 2002 à 14h
55e législature - 2e année - 1re session - 3e séance
PL 8785
Préconsultation
Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste vous propose ce projet de loi, car la question du jeu excessif ou jeu pathologique est un véritable problème de santé publique. L'association «Rien ne va plus» a été créée en 2000. Elle est un centre de prévention des problèmes de jeu excessif et offre une série de prestations et services aux personnes touchées par ce fléau. Il faut dire qu'à Genève environ 7000 personnes souffrent de ce problème, sans parler de leurs familles qui sont également touchées. Je ne serai pas très longue dans mes explications, je vous demande tout simplement d'appuyer ce projet de loi, étant précisé que l'association «Rien ne va plus» était subventionnée par le Casino de Genève, dont on connaît tous le sort. C'est la raison pour laquelle je vous demande d'accepter ce projet de loi et de le renvoyer en commission.
M. Christian Grobet (AdG). Je voulais simplement intervenir pour dire que, bien entendu, nous appuyons la démarche socialiste qui vise à soutenir l'association «Rien ne va plus», qui fait effectivement un travail important et apprécié en matière de prévention du jeu excessif.
Mme Loly Bolay a bien fait de rappeler que si cette association a perdu une subvention, c'est que cette dernière était versée par le Casino de Genève. L'AdG estime que, selon le même principe que celui du «pollueur-payeur», ce devrait être l'établissement qui est à l'origine de l'offre de jeu - et qui peut donc provoquer le jeu excessif - qui devrait prendre en charge les conséquences de son activité. Je rappelle que c'est un autre casino que celui défendu par la Ville de Genève qui a bénéficié de la concession du Conseil fédéral. A ce sujet, ce sera peut-être intéressant de savoir - mais je pense que ce dossier ne relève pas de la compétence des deux conseillers d'Etat ici présents - où en est la mise en exploitation de ce casino à Meyrin, et si le Conseil d'Etat a suivi de près l'évolution de ce dossier. Vous avez sans nul doute lu dans la presse, comme moi, que le bénéficiaire de la concession ne va finalement pas l'exploiter et que la concession va de fait être remise à une autre société française. Celle-ci aurait, semble-t-il, racheté le capital-actions de la société concessionnaire, mais il s'agit en fait d'un transfert de concession. On sait la réputation qu'ont certains casinos français, et elle n'est en tout cas pas celle que le Conseil fédéral et moi espérons pour Genève. Il est notoire en effet que la mafia a envahi un certain nombre de sociétés françaises de casinos. Je dois dire que le fait qu'une société puisse, par le biais d'une reprise d'actions, mettre la main sur une concession qui a été délivrée à une autre société, a de quoi m'inquiéter. Je crois pouvoir dire que je ne suis pas le seul. Je sais que notre nouveau président a beaucoup à faire, mais il nous a promis de nous rendre son rapport sur les débats que nous avons eus sur la question du casino; il y a là un certain nombre d'informations qui ont étonné l'ensemble des membres de la commission législative. Du reste, c'est à cette occasion-là que nous avions entendu l'association «Rien ne va plus».
Nous devrions avoir rapidement une information de la part du Conseil d'Etat sur la situation de Meyrin, pour savoir notamment si le Conseil d'Etat est intervenu ou a envisagé que, précisément, cette société verse une contribution à l'association «Rien ne va plus». J'estime en effet que ce casino devrait contribuer au travail de cette association. C'est la raison pour laquelle je crois que le contexte assez particulier de cette affaire justifierait, comme il s'agit d'une demande de subvention, que le projet de loi soit renvoyé devant la commission des finances, mais aussi que la commission législative donne son avis sur le projet de loi. Les deux auteurs en font partie et on y avait longuement débattu de cette question. Le projet de loi serait l'occasion d'obtenir un certain nombre de renseignements complémentaires, nécessaires pour apprécier l'attribution de cette subvention.
Le président. Je vous rappelle que nous sommes en préconsultation, que ce projet de loi, s'il est renvoyé en commission, ira aux finances puisqu'il s'agit d'une subvention, et qu'effectivement, le Bureau et les chefs de groupe ont suggéré que la commission des finances prenne l'avis de la commission législative. La parole est à M. le conseiller d'Etat Unger, qui souhaite répondre directement à certaines des questions posées.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Merci Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il est vrai que le jeu pathologique est un vrai problème de santé publique, au même titre que toutes les autres dépendances, qu'elles soient à des substances ou, respectivement, à des comportements légaux ou illégaux. A cet égard, il est du devoir de la santé publique de s'occuper de prévention. J'observe toutefois que le projet, tel qu'il nous est soumis et qui sera certainement amendé en commission, pose un certain nombre de problèmes.
Le premier, c'est d'offrir des ressources thérapeutiques. La thérapeutique n'est pas du domaine de la santé publique, elle est du domaine de la santé tout court. Il n'y a pas de raison particulière de financer des soins gratuits pour les joueurs pathologiques, alors que les toxicomanes-dépendants devraient, eux, dépenser ou faire dépenser par leur caisse maladie une certaine somme. Il y a là quelque chose qui ne joue pas. Il faut séparer la prévention de l'aspect thérapeutique.
Deuxième élément, purement formel, j'en conviens : lorsque des députés produisent un projet de loi qui induit une dépense supplémentaire, et que cette dépense dépasse 60 000 F - mais, Mesdames et Messieurs, c'est notre bien commun - il est prévu par notre constitution que les députés fournissent la source de financement.
J'en viens à ma conclusion, parce qu'au fond - M. Grobet vient de le dire aussi bien, sinon mieux que ce que j'allais faire - pour une fois, nous avons cette source de financement ! Mesdames et Messieurs, un casino va s'ouvrir, et ce casino doit de toute évidence - pour autant qu'il s'ouvre... - selon le même principe que celui du «pollueur-payeur» cité par M. Grobet, contribuer à la hauteur qui doit être la sienne. Les gens qui exploitent des casinos se doivent d'assumer les charges liées à la perturbation de la santé publique qu'ils introduisent.
J'en profite - mais ça n'engage que moi, car c'est antérieur à ma présence au Conseil d'Etat - pour vous dire toute l'opposition que j'avais formulée à l'époque à la loi sur les casinos, et toute l'opposition que je ferai à ce qu'on tende à nos jeunes et aux gens les plus fragiles les outils de leur propre destruction.
M. Gilbert Catelain (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, j'abonde dans le sens du conseiller d'Etat par rapport à ce projet de loi, qui nous dit que si rien ne va plus pour les joueurs du casino, on peut dire au contraire que tout va pour le mieux au niveau des casinos.
Je constate qu'à l'annexe du projet de loi le budget 2001 de cette association était grosso modo de 123 000 F au niveau des recettes et de 116 000 F au niveau des dépenses, et qu'on veut porter ces recettes à 275 000 F en 2005, soit une augmentation supérieure à 100 %. J'observe aussi que jusqu'à présent cette association a pu exercer sans subvention de l'Etat - ce qui est tout à son honneur - et je m'étonne que la commune de Meyrin, qui va héberger ce casino de catégorie A, ne soit pas intégrée dans ce projet de loi, alors qu'elle bénéficiera des recettes fiscales liées à l'exploitation de ce casino. Personnellement, j'inviterais donc les auteurs de ce projet de loi à contacter la commune de Meyrin, qui pourra faire de bonnes oeuvres. M. Blanc ne pourra pas me démentir sur ce point-là, vu sa couleur politique.
En conséquence, il apparaît qu'une subvention de l'Etat de Genève ne se justifie pas pour l'instant, sachant que le casino de la commune de Meyrin pourra lui aussi suppléer à la subvention qui était accordée à l'époque par le casino de la ville de Genève. Au demeurant, on pourrait demander au conseil administratif de la Ville de Genève de faire aussi un petit geste au profit de cette association.
M. Claude Aubert (L). Il est assez rare qu'on ait dans un projet de loi le développement d'un type de raisonnement. Or ce type de raisonnement est extrêmement important à comprendre, parce qu'historiquement il a façonné le paysage sanitaire et psychosocial genevois.
Ce raisonnement est très simple, il est ou a été extrêmement utile, et on pourrait le formuler de la manière suivante: si vous avez un problème, vous créez une structure. Si l'on remonte dans le temps, par exemple aux années 60-70, il y avait ici à Genève une volonté politique et populaire de développer toute une série de structures. Bravo, c'était magnifique. Il y avait un problème avec les personnes âgées, on a créé l'hôpital gériatrique; il y avait un problème avec les toxicomanes, on a créé un service adapté; un problème avec les enfants, on a créé la guidance. C'est merveilleux, c'est fantastique.
Seulement, au bout d'un moment, on en arrive à la limite du système. Cette limite pourrait s'appeler la fragmentation. Prenons un exemple qui m'est plus familier, c'est celui de la médecine: à l'époque on avait ce qu'on appelait la médecine interne, ensuite se sont dégagées un certain nombre de spécialités telles que la pneumologie, la cardiologie ou l'infectiologie. Chacune de ces unités était extrêmement utile et heureusement qu'on les a créées, mais vous voyez progressivement un système qui commence à ressembler à un baobab, parce que chaque unité a un staff, que celui-ci grandit, et qu'au bout d'un certain nombre d'années, vous avez besoin de dix ou quinze patients pour animer un ensemble gigantesque. Plus prosaïquement et plus dramatiquement, il est certain que le drame de Meyrin est lié aussi à cette pathologie d'un système, qui s'appelle la fragmentation.
«Forum santé» est allé un peu dans mon sens, en disant qu'il fallait s'occuper de la personne, et pas forcément du symptôme. Si on continue dans la caricature, un joueur pathologique qui a un conflit de couple va être orienté vers un centre qui s'occupe de thérapies de couples; comme il aura des problèmes familiaux, on va l'orienter vers un centre de thérapies de familles, etc., etc.
Dans le projet de loi, on a une solution: pas dans le projet de loi lui-même, mais dans les considérants. Cette solution consiste à cesser de réfléchir en termes d'addition, pour se pencher sur la connexion. Nous avons à Genève des ressources immenses en termes d'associations, de groupes de thérapies, d'institutions et autres, et il me semble extrêmement important que l'on change de politique - parce qu'il s'agit vraiment d'un choix politique - et que l'on décide d'utiliser les ressources existantes et de les mettre en connexion. On éviterait ainsi de prolonger un système qui foisonne, parce que - je vous le fais remarquer - tout le monde est d'accord de poursuivre la création et le développement du baobab, mais dès l'instant où l'on voit qu'il y a un baobab, on s'en étonne et se dit que c'est beaucoup trop cher.
En ce qui concerne les libéraux, même s'il est très louable de vouloir s'occuper de ce problème de cette manière-là, nous pensons que pour des raisons politiques il faut changer d'arguments, il faut cesser d'additionner pour se mettre à connecter, c'est pourquoi nous ne pouvons pas nous associer à ce projet de loi.
M. Claude Blanc (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, ayant été invité par M. Catelain à le contredire, je vais au contraire lui dire que je suis d'accord avec lui. Je voudrais rappeler ici, pour rejoindre les propos de M. le conseiller d'Etat Unger, qu'il y déjà un certain nombre d'années - évidemment les députés survivants sont peu nombreux, mais il en reste quelques-uns - quand a commencé la fâcheuse aventure du Casino de Genève, dont on ne savait pas encore qu'elle finirait aussi fâcheusement, nous étions deux dans ce parlement à essayer de nous opposer à l'ouverture de ce casino. L'initiative venait d'ailleurs de Mme Jacqueline Damien, notre ancienne collègue. Nous étions donc tous deux à mener un combat d'arrière-garde contre ce casino, puis nous avions été submergés par le vote du peuple suisse qui a libéralisé le jeu dans notre pays, tout ça parce qu'on disait à l'époque: «si on ne joue pas à Genève, on ira jouer à Divonne ou à Evian et ce sera la même chose, si ce n'est que notre bon argent nous échappera.» Tout le monde sait que dans ce pays, le culte de l'argent est très développé, mais voilà où on en arrive, Mesdames et Messieurs les députés, lorsqu'on adore l'argent à ce point-là.
Pour revenir à ce que disait M. Catelain, je suis tout à fait d'accord avec lui pour dire que les pollueurs doivent être les payeurs. Je ne sais pas si c'est la commune de Meyrin qui devrait le faire, mais cela est certain concernant le casino, pour autant qu'il s'ouvre. Nous sommes entièrement d'accord là-dessus. Je ne vois en tout cas pas l'Etat se mêler de ça. Vous savez ou nous en sommes par rapport à l'étude du budget, vous savez ce que nous avons tous demandé au Conseil d'Etat, à savoir de maîtriser les dépenses budgétaires, vous savez qu'une partie des efforts de la commission des finances a justement porté sur le contrôle des subventions qui se multiplient chaque année. Chaque fois qu'on vient avec un nouveau projet de subventionnement, il faut être extrêmement restrictif, et voir s'il n'y a pas un autre moyen de résoudre le problème posé.
Ce projet de loi est renvoyé à la commission des finances, avec la demande à celle-ci qu'elle interroge, le cas échéant, la commission législative.