République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1453
Proposition de motion de Mmes et MM. Jean-Michel Gros, Janine Berberat, Marie-Françoise De Tassigny, Janine Hagmann, Stéphanie Ruegsegger, Christian Luscher, Pierre Weiss, Renaud Gautier, Patrice Plojoux, Caroline Bartl, Pierre Kunz, Pascal Pétroz, Gilbert Catelain, Michel Halpérin, Claude Blanc, René Koechlin pour la suppression de l'usage automatique de la forme féminine des noms de métier, de fonction, de grade ou de titre dans les actes officiels

Débat

Le président. Il y a une avalanche de demandes de parole... Monsieur Gros, vous avez la parole.

M. Jean-Michel Gros (L). Est-ce vraiment une attitude macho de demander les trois choses suivantes ?

Premièrement, le respect de la loi; deuxièmement, le respect de la langue française; troisièmement, d'arrêter de ridiculiser les femmes... (Exclamations.)

J'ai été tout d'abord rassuré sur mon attitude éventuellement «macho», puisque nos collègues féminines de l'Entente et de l'UDC ont signé ce projet de motion... (Exclamations.)Ce qui signifie qu'il ne s'agit au moins pas d'un affrontement hommes/femmes. Non, il s'agit bien davantage d'une simple proposition visant à éviter que le politiquement correct ne serve qu'à isoler notre région de l'ensemble de la francophonie qui constitue, qu'on le veuille ou non, notre terreau culturel, et la langue française est, comme le dit l'Académie française, l'élément fondamental de l'avenir de notre culture.

J'en viens à la première raison d'être de cette motion: le respect de la loi. Le règlement sur lequel est basé l'usage de féminiser les noms ne date pas d'aujourd'hui: il est entré en vigueur le 1er janvier 1989. Il permet cette féminisation des noms lorsque la langue française l'autorise. Il précise qu'il convient d'ajouter un déterminant féminin dans les cas où cela est possible.

Hélas, ce règlement prévoit aussi que la forme féminine est créée selon les modèles existants dans la langue française. Les rédactrices de ce règlement ont probablement été rongées de remords, puisqu'à l'article 4 il est prévu que, pour les noms féminins de métiers qui n'ont pas de masculin, une forme masculine correspondante est dérivée selon les règles du français. Heureusement, jusqu'à aujourd'hui, pas encore trace de sage-homme... (Exclamations.)

Mais ce règlement n'est qu'une application fantaisiste... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)Mesdames et Messieurs les députés, ce règlement n'est qu'une application fantaisiste de l'article 20A de la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels dont il est censé être la stricte application.

Cet article 20A dit simplement et je le cite: «Dans la législation genevoise, toute désignation de personne, de statut ou de fonction, vise indifféremment l'homme ou la femme, sous réserve des domaines liés aux différences biologiques des sexes.»

Cet article, les motionnaires peuvent s'y rallier sans aucun problème. Que l'on cherche un sautier ou une sage-femme, hommes et femmes peuvent postuler. Nous demandons donc simplement que la loi soit respectée et que le règlement y soit strictement adapté.

J'en viens maintenant au respect de la langue française.

Je ne suis pas un spécialiste de la langue française: plusieurs députés de cette auguste assemblée la défendent avec un talent que j'aurais de la peine à leur contester. Mais j'ai le sentiment diffus que cette langue est en train de se faire bouffer - passez-moi l'expression - par l'anglais ou, pire, par une espèce de langage phonétique, propre aux nouvelles technologies.

Je pense qu'en cette matière nous devons conserver des références et, bien évidemment, ces références ne peuvent venir que de la mère patrie linguistique qu'est la France. Cette position peut être contestée, je le conçois - surtout pour un fédéraliste comme moi - mais il existe des situations d'urgence où une référence doit exister et, en cette matière, je n'en perçois pas d'autre.

Et le fait d'inventer des mots, même par l'intermédiaire d'une commission intercantonale, n'est pas une solution.

J'en viens au ridicule qui touche les femmes, dès lors que les termes de féminisation sont soit totalement étrangers à la langue française, soit conformes à une grammaire possible en vertu des règles existantes, mais tellement bizarres qu'ils rendent les femmes manifestement indignes du respect qu'elles méritent. Et je pense que c'est pour cette raison que plusieurs femmes ont signé cette motion.

Oui, Mesdames et Messieurs les députés, en français, le genre féminin est un genre marqué, comme le dit l'Académie française. Et plusieurs femmes l'ont compris... (Exclamations.)Lorsque la Fédération romande des consommatrices s'est transformée en Fédération romande des consommateurs, elle n'a pas perdu son identité. Elle a simplement compris qu'en s'intitulant «consommatrices» elle limitait son impact: elle laissait à penser que seules les femmes allaient faire les commissions... (Rires.)

M. John Dupraz. Moi, j'y vais souvent !

M. Jean-Michel Gros. Eh bien, justement, Monsieur Dupraz ! Avec son nouveau nom, cette fédération englobe désormais tout le monde et a sans doute davantage d'influence, et personne n'aurait l'idée saugrenue de penser que la Fédération romande des consommateurs ne représente que les hommes.

Et croyez-vous vraiment que les maires de nos communes acceptent la féminisation ? Il me souvient encore que lorsque notre ancienne collègue, Béatrice Luscher... (Exclamations.)Eh oui, que d'heureux souvenirs !

Une voix. C'était le bon temps !

M. Jean-Michel Gros. Que d'heureux souvenirs surgissent !

M. John Dupraz. Maintenant, on a son sale gamin ! (Rires.)

M. Jean-Michel Gros. Quand notre ancienne collègue Béatrice Luscher s'est fait appeler pour la première fois «Madame la maire Luscher», elle a tout de suite réagi... Et je peux vous dire que ce n'est pas la seule réaction négative que j'ai entendue. Plusieurs femmes maires de l'Alternative ont réagi de même.

Mais j'ai encore le souvenir d'une autre ancienne collègue, Mme Martine Roset, qui s'est engagée avec coeur dans la compagnie des sapeurs-pompiers de Satigny. Croyez-vous vraiment que la nommer «sapeuse-pompière» lui a été d'un grand secours, avec les diverses contrepèteries que je vous laisse maintenant deviner ? (Rires.)

Autre anecdote que je dois vous rapporter parce qu'elle démontre bien que le combat pour l'égalité entre hommes et femmes n'a aucun rapport avec la féminisation des noms.

Lors du débat aux Chambres fédérales sur la nouvelle Constitution, il était question de savoir si l'on maintenait le préambule «Au nom de Dieu tout puissant...» Oui, la question devait être discutée: fallait-il que notre nouvelle Constitution se réfère encore à une conception religieuse ? Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, un amendement a été déposé, non pas pour remplacer Dieu par «La déesse» - heureusement - mais par «L'Etre divin», sous prétexte que Dieu était masculin !

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, où nous en sommes: nous en sommes à savoir si nous acceptons les diktats de quelques «linguistes» - et je mets ce terme entre guillemets - qui veulent absolument considérer le fait de dire «Mme le rapporteur» comme discriminatoire, ou si nous voulons observer un certain respect de notre culture francophone.

J'en appelle aussi à nos militaires qui, lorsqu'ils se voient appelés «la nouvelle recrue Marcel Bolomey», devraient se sentir discriminés, car de toute évidence la recrue Marcel Bolomey, même si son genre est féminin, n'est pas une femme...

Une voix. Ça dépend de la Marcelle ! (Rires.)

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Jean-Michel Gros. Je vous demande ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, tout en le prévenant que, s'il devait nous délivrer un rapport ne tenant pas compte du voeu réel des motionnaires, nous nous verrions dans l'obligation de modifier la loi, ce qui serait, vu l'importance relative de l'objet, vraiment regrettable. (Applaudissements.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, treize députés ont demandé la parole. A raison de sept minutes chacun, cela représente une heure et demie de débat ! (Exclamations.)Je m'adresse à tout le parlement, Monsieur Rodrik, ce n'est pas M. Gros qui s'est inscrit treize fois !

M. Albert Rodrik. Oui, mais il a pondu la motion !

Le président. Mais ça n'a pas d'importance, vous en pondez aussi ! Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas envie de dire ! Madame Mahrer, vous avez la parole.

Mme Anne Mahrer (Ve). Monsieur la présidente, Mesdames les députées...

Le président. Ma vie sexuelle ne vous regarde pas ! (Rires et applaudissements.)

Mme Anne Mahrer. J'ai le plus grand respect pour notre belle langue française et pour les oeuvres majeures de la littérature francophone. Mais, c'est bien connu, lorsque l'Académie française éternue, toute la francophonie s'enrhume... Et la lettre pathétique qu'elle a adressée au Président de la République montre à quel point sa santé est fragile...

La France, notre mère culturelle, s'égare !

Songez que des femmes du gouvernement osent se faire appeler «Madame la ministre» et se permettent de modifier de leur propre «cheffe» - avec deux F - la grammaire française et les usages de la langue !

Pensez que notre université puisse mettre en péril sa renommée en laissant paraître des offres d'emploi qui ne sont plus rédigées au seul masculin !

Imaginez vous référer au dictionnaire de l'Académie française, dernière édition 1935, alors que dans tous les pays francophones, France comprise, des commissions ont établi des règles à la rédaction administrative et législative épicène.

Ces règles ont été adoptées et n'ont jamais été remises en question. La nouvelle Constitution fédérale en tient compte également.

Les Vertes et les Verts vous invitent donc, cher-e-s collègues, à prendre le risque de faire vaciller la renommée de notre université en rejetant fermement ce projet de motion. (Applaudissements.)

Mme Ariane Wisard (Ve). Ma profession de sage-femme me pousse à intervenir sur le sujet abordé dans cette motion. En effet, le métier de sage-femme est, depuis la nuit des temps, une activité exclusivement féminine. Pourtant, depuis une vingtaine d'années, ce métier accueille quelques hommes. Ceux-ci représentent à peine 1% de la profession. Il devenait néanmoins urgent de trouver une dénomination plus adaptée pour ces hommes. En France, le débat a enflammé les passions et a donné lieu à un débat terminologique au cours duquel plus de cent septante termes ont été proposés par deux cent cinquante médecins... Devait-on dire «sage-homme», «matron» - masculin de matronne - «accoucheur», «parturologue», «materniste», «naisseur», «parturiteur» ? L'Académie française, dans sa grande sagesse, a retenu le terme de «maïeuticien», terme formé sur un modèle grec, de maïeutique: art de faire accoucher. Maïeuticien: un mot savant qui donne, ma foi, un certain prestige à la profession...

Cet exemple nous prouve que, quand les hommes exercent une profession traditionnellement féminine, qui plus est comprenant dans son appellation le mot «femme», une masculinisation s'impose et on se donne alors une peine folle pour trouver un bon terme ! (Exclamations.)Excusez-moi, mais «masculinisation» est un terme qui n'existe pas dans le dictionnaire, contrairement à féminisation dont la définition est: action de féminiser, féminiser les noms de métier. Pour les sages de la langue française, «sage-femme» mérite un autre terme pour les hommes exerçant ce métier, par contre «homme-grenouille» doit convenir aux femmes pratiquant cette profession...

Mesdames les députées et Messieurs les députés de l'Entente, signataires de cette motion, les revendications anti-épicènes de l'Académie française, composée de trente-sept académiciens et seulement trois académiciennes, capable de faire oeuvre de beaucoup d'imagination, voire même de perversion pour trouver un équivalent masculin à une profession exercée par 99% de femmes, n'apportent aucune crédibilité à votre motion, car l'égalité dans le langage ne tolère pas deux poids deux mesures.

Les Vertes et les Verts vous prient instamment, Mesdames et Messieurs les députés, de refuser cette motion. (Applaudissements.)

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Madame la présidente... Pardon, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés! Je ne reviendrai pas sur les différents propos tenus par mes «prédécesseuses»... (Exclamations.)...puisque j'y souscris totalement.

M.Gros s'est un peu fait plaisir en essayant de tourner en dérision un sujet qui est loin d'être futile: il fait malheureusement partie - lui et ses comparses signataires de la motion - des esprits un peu chagrins qui veulent ignorer l'évolution logique et naturelle de la langue française. Pour les motionnaires, le français serait ridiculisé par l'usage de vocables tels que «cheffe», «procureure» ou «chancelière». Mais les auteurs - et les «autrices» - de la motion, qui sont bien sûr si pressés de se référer à l'Académie française - dont on sait qu'elle n'est pas précisément un bastion du féminisme - oublient un peu vite qu'au Moyen-Age les femmes pouvaient être meunières, maréchales-ferrantes, chaudronnières ou encore écrivaines, bien sûr.

Alors, nos doctes motionnaires nous expliquent pourquoi ils et elles contestent le titre de «juge» ou de «ministre» au féminin, alors que «le» ou «la» secrétaire n'ont pas l'air de les choquer beaucoup. C'est curieux, mais plus on monte dans la hiérarchie et moins le féminin est toléré. Le chef, c'est normal; la cheffe, c'est ridicule: allez chercher la cohérence dans tout cela !

En faisant passer pour futile ce qui est hautement significatif, les auteurs - et les «autrices» - de la motion veulent nous faire oublier que le langage n'est pas neutre et qu'il rend compte des rapports de pouvoir dans une société. Persister à promouvoir une conception traditionaliste et dépassée du langage, c'est précisément l'empêcher d'évoluer, contrairement à ce qu'ils disent dans leur motion !

Je relève une dernière chose. Dans cette motion il est dit que si évolution du langage il devait y avoir, on ne peut l'imposer à coups de décrets... Sur ce point aussi, les motionnaires oublient que la création de la langue française est due à un acte officiel et que, par exemple, le premier texte en français a été le Serment de Strasbourg, qui n'est pas particulièrement récent puisqu'il date de 842.

En conclusion, je pense que cette motion est inutilement provocatrice et totalement rétrograde, et le seul sort qu'elle mérite est le rejet pur et simple. (Applaudissements.)

Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs, votre démarche est déconcertante, inappropriée, sexiste, mais elle démontre surtout votre archaïsme et votre machisme primaire... (Exclamations et r ires.)

Mesdames et Messieurs les députés, la langue est un instrument de communication. Depuis toujours la langue a évolué, elle s'est adaptée aux changements de la société. Certes, j'en conviens, certains noms au féminin ne sont peut-être pas très beaux, mais est-ce une raison pour dire dans votre exposé des motifs que la langue est mise en danger régulièrement au plan international ? Sur ce point, Monsieur Gros, vous poussez le bouchon un peu loin !

Voilà plus d'un siècle que les femmes se battent pour une plus grande visibilité, pour une plus grande reconnaissance dans tous les domaines de la vie publique. Cette motion revient à nier tout le travail de longue haleine accompli par les femmes depuis de nombreuses années. Et si vous me permettez, Monsieur Gros - si voulez bien m'écouter - j'aimerais citer l'exemple de deux femmes qui ont marqué leur époque.

Marie Olympe de Gouges a revendiqué la première l'égalité entre les hommes et les femmes. Elle a publié en 1791 la première Déclaration des droits des hommes et des femmes.

Je pense aussi à cette femme qui a publié son roman «Indiana» en 1832, sous le nom d'un homme - George Sand - parce qu'elle n'aurait pas pu le publier sous un nom de femme. Aurore Dupin, baronne Dudevant, originaire de l'Indre, a revendiqué pour les femmes les droits à la passion, Messieurs...

Les combats des femmes pour le droit à l'égalité impliquent précisément une interférence externe dans le langage. Si les hommes avaient, au fil des temps modernes, dès l'avènement de la démocratie et de l'histoire de notre langage, concédé une place égale aux femmes dans la société, l'évolution se serait faite naturellement. Mais puisqu'il faut toujours travailler à l'arraché, comme ce soir... (Exclamations.)...les femmes demandent aujourd'hui que la conscience de l'égalité des hommes et des femmes soit rendue visible aux yeux de tous par l'acte délibéré de la féminisation du langage.

Et pour conclure, j'aimerais vous parler d'Aristote. Aristote, le dernier grand philosophe élève de Platon, avait une idée de la femme un peu particulière: Aristote pensait qu'il manquait quelque chose à la femme, qu'elle était un homme imparfait... Cette idée de la femme a pourtant prévalu jusqu'au Moyen-Age et j'ai l'impression, Monsieur, que vous êtes resté au Moyen-Age ! (Applaudissements.)

M. Albert Rodrik (S). Monsieur le président, permettez-moi d'abord de dire que j'ai été surpris de voir que ce débat vous amusait... Il n'a pourtant rien de drôle !

Le président. Je ne suis pas le seul, Monsieur ! (Rires.)

M. Albert Rodrik. Malheureusement !

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, vous avez certainement remarqué que cette motion a été construite comme «Jules César» de Shakespeare: il y a deux parties. Je ne dirai pas que la première représente l'assassinat et la deuxième, la vengeance, mais elle comporte deux volets...

Le premier volet est un pamphlet misogyne vulgaire, mais assez de voix se sont élevées pour dénoncer ce pamphlet misogyne vulgaire.

Je parlerai donc du deuxième volet... Je vois Me Halpérin arriver... Peut-être qu'il nous fera quelques perles misogynes aussi ! (L'orateur est interpellé.)Absolument ! Bien inspiré par la motion 1453 !

Quelle est cette deuxième partie ? C'est le bréviaire du «petit colonisé culturel parfait» ! Non, Mesdames et Messieurs ! Il est dit que la France reste, en quelque sorte, notre mère culturelle... Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Monsieur, ma langue - le français - elle est fertilisée au Québec et au Nouveau-Brunswick; elle est fertilisée aux Antilles et au Liban, et je n'attends pas d'avoir une mère culturelle du côté ouest de ce pays ! La contribution de Césaire et de Schéhadé en vaut bien d'autres, et je n'ai pas besoin que l'Académie française joue le rôle de Securitas pour ma langue ! Que cela soit dit ! (Applaudissements.)Cette langue, Monsieur, des hommes et des femmes de toutes les parties du monde la fabriquent, et ce n'est pas entre l'Ain et Dunkerque qu'elle a son foyer exclusif ! C'est de la colonisation, c'est intégrer spirituellement le statut de colonisé, et de cela, nous n'en voulons pas !

Mesdames et Messieurs, de quoi souffre la langue française ? - et sur ce point M. Gros a dit quelque chose d'intéressant. Elle souffre, bien entendu, de l'envahissement anglo-saxon qui vient de la technologie; elle souffre de ce qu'un certain nombre de snobs de par le monde inventent, ce qu'on appelait à la fin de la Deuxième Guerre mondiale le français «germanopratin», les «évidents», et les mots comme cela ! Mais elle souffre surtout des massacreurs de la syntaxe et de la grammaire qui infestent le monde politique et en particulier cette enceinte, et ce n'est pas le langage épicène qui fait cela ! (Applaudissements.)

Mesdames et Messieurs, le hasard fait bien les choses: cette motion porte le numéro 1453. Savez-vous ce que représente cette date ? C'est ce qu'en Occident on appelle la «chute de Constantinople» et ce qu'en Orient on appelle la «conquête de Constantinople». Et l'histoire raconte qu'après cette chute, ou cette conquête, il y a eu une grande fuite des esprits vers l'Occident... Il me semble ce soir que la fuite des esprits est tragique à droite ! (Applaudissements.)

Mme Anita Cuénod (AdG). La parité, Mesdames et Messieurs les députés, a sa place dans la langue. Une démarche dont la légitimité ne devrait plus être à démontrer... La féminisation des noms, des métiers, des titres, des grades et des fonctions, n'est pas seulement l'affaire des linguistes: elle est l'affaire de la société tout entière. Elle provoque pourtant bien des résistances. La langue a la capacité de s'adapter aux évolutions de la société, en particulier du rôle des femmes dans celle-ci, puisqu'elle est le véhicule de culture.

Je fais mienne cette citation: «Dérober son sexe derrière le genre c'est le trahir»... J'espère que vous rejetterez cette motion. (Applaudissements.)

M. Pierre Vanek (AdG). Je ferai quelques observations.

Monsieur Gros, vous êtes intervenu en indiquant que vous aviez été rassuré après la rédaction de cette motion par rapport au fait que vous n'êtes pas un macho puisque vous aviez consulté les femmes de l'Entente... Sur ce point, il y a quelque chose qui devrait vous donner à réfléchir, car, si je compte bien, le nombre des femmes de l'Entente ne dépasse pas le nombre des doigts d'une main... (Exclamations.)Vrai ou faux ? Je crois que vous avez deux libérales, une démocrate-chrétienne... (Exclamations.)Deux ? Deux démocrates-chrétiennes, une radicale... Les doigts d'une main, ça fait cinq ! Vous vous attribuez peut-être encore, et je vous le concède, un doigt supplémentaire... (Exclamations.)...car, effectivement, c'est le doigt d'une autre main qui est souvent au service de l'Entente - je veux parler de Madame qui siège sur les bancs de l'UDC... (Exclamations.)

Monsieur le président, il serait opportun que ces messieurs se taisent pendant que je parle !

Une voix. Et les dames !

M. Pierre Vanek. Les dames aussi en effet ! Mme Berberat pourrait aussi se taire !

Vous vous êtes vanté d'avoir consulté les femmes de l'Entente, et je tenais à mettre l'accent sur le fait que celles-ci - mon calcul le montre - se comptent sur les doigts d'une main: ce n'est pas par hasard !

En revanche, du côté de l'Alternative, il y a parité entre hommes et femmes. Ce n'est pas par hasard non plus: c'est parce qu'effectivement, contrairement à ce que vous avez dit, dans vos partis et dans vos milieux règnent une mentalité et une culture machistes particulièrement sinistres et rétrogrades ! (Exclamations. Le président agite la cloche.)

En ce qui concerne cette motion, vous vous référez, Monsieur Gros, au respect de la loi... En fait, vous parlez du respect du règlement B2 05 13, qui a été adopté il y a quatorze ans par un Conseil d'Etat qui n'avait rien de... Je ne sais pas exactement comment était composé le Conseil d'Etat il y a quatorze ans...

Le président. Il y avait M. Grobet, ça c'est sûr !

M. Pierre Vanek. Oui, mais la majorité était à droite, et je pense qu'il ne devait pas y avoir de femmes ou de féministes acharnées dans ce gouvernement...

Une voix. Il n'y avait pas de femme !

M. Pierre Vanek. Pas de femme du tout ! Et pourtant, ce Conseil d'Etat a adopté, il y a quatorze ans, un règlement ! Et vous vous basez sur l'article premier de celui-ci pour l'ériger en principe légal en disant que l'on ne doit utiliser la forme du féminin que lorsque la langue française le permet, et vous demandez cette permission, avec cette mentalité servile que critiquait à juste titre mon collègue socialiste, à l'Académie française ! Alors que, précisément, les articles 2, 3 et 4 de ce règlement parlent de création de mots lorsque la forme spécifique du féminin est possible. De création de mots - et non pas de référence à l'Académie française - ici, concrètement, parce qu'une langue, c'est vivant et c'est un outil ! Et il faut que l'outil soit adapté aux tâches nouvelles qui se présentent. D'ailleurs, c'est peut-être justement parce que les anglophones n'ont pas une attitude dogmatique et sacralisante par rapport à leur langue - qui est incarnée pour la nôtre par l'Académie française - que cette langue arrive à s'adapter, à pénétrer dans les nouveaux territoires technologiques - mais pas seulement technologiques - et à se développer.

Mais la nôtre se porte en fait bien aussi. Et elle se porte bien en dépit des censeurs et des gens de l'Académie française, et de votre acabit, qui veulent la figer, la geler, la rendre incapable de répondre aux réalités nouvelles.

L'article 3 de ce règlement parle aussi de création de nouveaux termes. En effet, pour un métier, une fonction, un grade, il est prévu de consulter la profession concernée - pas Dieu sait où, mais concrètement ici, à Genève. L'article 4 prévoit aussi la création de termes pour des professions féminines tout en respectant les règles du français.

Donc, votre référence exclusive à l'article 1 de ce règlement est parfaitement abusive, puisque les articles 2, 3 et 4 prévoient la création de mots, et non pas de se référer uniquement à un dictionnaire figé ! Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une loi, contrairement à ce que vous dites, mais d'un règlement du Conseil d'Etat et, quel que soit le respect que j'ai pour celui-ci, c'est tout de même un statut un petit peu différent...

Le président. Il vous reste une minute, Monsieur le député !

M. Pierre Vanek. Je reprendrai peut-être la parole plus tard, il y a tellement de choses à dire... (Rires.)

Vous dites aussi des bêtises, Monsieur Gros, dans votre exposé des motifs. Vous expliquez que le dictionnaire de l'Académie française est une référence et, si on n'a pas les moyens - je ne les ai effectivement pas - on peut se référer au Robert, par exemple, que nous avons dans cette salle. Vous citez des noms que vous trouvez ridicules comme «procureure», «chancelière», et vous faites de l'humour à bon marché en indiquant le sens de ce dernier mot qui désigne une sorte de coussin... Mais vous n'avez pas ouvert le petit Robert, celui qui est mis à notre disposition dans cette salle - ce n'est pourtant pas un dictionnaire très moderne: il a près de dix ans, il est de 1993 ! Eh bien, je lis sous «chancelier»: chancelier, chancelière, personne chargée de garder les sceaux, etc., et le terme «chancelière», qui ridiculise selon vous la langue française et qui figure dans ce dictionnaire, est utilisé dès 1762 pour désigner la femme du chancelier... (Rires.)Alors, il est vrai qu'en 1762 on allait vers une période révolutionnaire, une période de bouleversements...

Le président. Concluez !

M. Pierre Vanek. ...vers l'ère des lumières dans cette France voisine à laquelle vous voulez référer. Mais vous ne voulez vous y référer que sous l'aspect le plus féodal et le plus réactionnaire auquel vous faites allusion dans vos considérants...

Le président. Concluez, je vais être obligé de couper votre micro, Monsieur !

M. Pierre Vanek. ...en parlant de Louis XIII et d'autres monarques !

Bien, je conclus, ou plutôt je m'arrête - disons - car il y a encore beaucoup de choses à dire... (Rires.)

Mme Janine Hagmann (L). Je vais essayer de prouver pourquoi je n'ai pas besoin de féminisation de la langue française pour exister... Et j'ai l'impression de n'avoir pas trop mal réussi ma vie en ma qualité de femme.

Nous avons tous et toutes reçu un courrier du réseau des Associations féminines nous disant que de nombreuses études en socio-linguistique et en sociologie ont démontré que ce qui n'est pas nommé n'existe pas...

Pauvres de nous ! Nous n'existerions donc qu'à travers nos nominations et notre langage !

Que dire alors quand ces messieurs les journalistes ne nous nomment pas le lendemain dans les comptes rendus du Grand Conseil: cela veut-il dire que nous n'avons pas existé ce jour-là ?

Beaucoup de langues n'ont pas d'articles définis ou indéfinis de genres différents, et pourtant les femmes de ces pays existent bien ! Comment se sentent-elles dans les pays qui ont des articles neutres comme dans la langue allemande ? Sont-elles d'un côté, de l'autre ? Puisqu'il y a du neutre, n'existent-elles pas ? Je vous rappelle aussi pour la petite histoire que les articles devant les noms ont été donnés selon des critères tout à fait définis. Vous savez très bien qu'on dit «la lune» et «le soleil» et qu'en allemand on dit «der Mond» et «die Sonne», ce qui est exactement le contraire.

Il ne faut pas tomber dans le ridicule. J'étais à un mariage samedi dernier et, à un moment, le pasteur a appelé la «témoine» à venir signer... Inutile de vous dire que lorsqu'il a dit la «témoine» toute l'église a eu le fou rire. Je suis navrée, mais c'est comme ça !

J'en viens maintenant au guide que toutes les administrations ont reçu pour la rédaction administrative et législative épicène. Effectivement, ce guide est un des actes tangibles effectué par le Bureau de l'égalité - il n'y en a malheureusement pas eu beaucoup d'autres... Ce guide nous prend un peu pour des gens peu doués, comme dans PISA, et nous dit qu'il ne faut en tout cas plus dire: «L'enseignant qui respecte les droits fondamentaux de l'enfant favorise l'épanouissement et la personnalité de l'enfant», mais: «L'enseignant et l'enseignante qui respectent les droits fondamentaux de l'enfant favorisent l'épanouissement et la personnalité de l'enfant.»

Moi, ce qui me gêne le plus dans tout cela, c'est que ce guide va beaucoup plus loin: il modifie les règles grammaticales ! Nous avons tous appris à l'école que les adjectifs s'accordent avec les noms qu'ils accompagnent. Dans le cas où un nom est féminin et l'autre masculin, l'adjectif s'accorde au masculin. C'est une règle comme deux et deux font quatre. Et que nous dit-on dans ce guide ? Que pour que la femme se sente vivre, il faut changer cette règle de grammaire ! Il est dit en toutes lettres: «L'adjectif doit maintenant s'accorder avec le nom le plus proche de lui...» ! C'est une modification importante de la règle des accords et j'aimerais bien savoir sur quoi cela est basé.

Je vais raconter une anecdote. Je ne savais pas que mon collègue Jean-Michel Gros allait en raconter une un peu similaire... Nous sommes tous allés avec beaucoup de plaisir à Saanen... Or, le président de la commune était venu prononcer une allocution du 1er Août à Vandoeuvres et malgré son bon français, un peu difficile toutefois, il m'avait demandé s'il pouvait me poser une question très importante pour lui, à savoir s'il devait m'appeler «Madame le maire» ou «Madame la maire». Je lui ai répondu qu'étant respectueuse de la langue française je préférais qu'il m'appelle «Madame le maire». Sa réponse a été spontanée: il m'a avoué que, pour lui, «Madame la maire», cela lui faisait penser à la mère supérieure d'un couvent... (Rires.)

Je n'ai vraiment pas besoin de féminiser mon nom. Je m'appelle Mme Hagmann et le fait de le féminiser et de le transformer en «Hagfrau» ne m'apporterait rien ! (Rires.)J'existe par mes qualités.

De toute façon, je trouve que nous menons un combat inutile, un combat sur la langue, alors que c'est dans le concret qu'il faut agir.

J'ai trouvé l'autre jour un article dans la «Tribune de Genève» - je pense que vous êtes peu nombreux à l'avoir lu - disant qu'une étude très sérieuse publiée par le «New Scientist» indiquait, je cite: «La race humaine pourrait devoir son intelligence aux femmes et notamment à leurs ancêtres préhistoriques. Celles-ci auraient eu la bonne idée de choisir leurs compagnons en fonction de l'intelligence et non du physique. La suite n'est qu'affaire de chromosomes X, qui vont par paire chez la femme.» Cela me suffit: je n'ai pas besoin de féminisation ridicule de noms ! (Applaudissements.)

M. René Koechlin (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, vive l'égalité ! (Exclamations.)L'égalité des droits, l'égalité des chances, l'égalité des salaires à compétences égales... (Commentaires. Applaudissements.)Mais l'égalité ne signifie pas nécessairement symétrie... Parce qu'alors, si c'était le cas, par souci de symétrie, Mesdames et Messieurs les députés, je vous suggérerais, lorsque nous nous adressons les uns aux autres, que nous disions alternativement «Mesdames et Messieurs les députés» une fois et la deuxième «Messieurs et Mesdames les députées». Par exemple ! Et, lorsque nous parlons de «notre Grand Conseil», alternativement, nous parlions aussi de «notre Grande Conseillère»... Et que nous disions «notre parlement» et «notre parlement-e», et ainsi de suite... On pourrait allonger la liste de ces symétries, mais avouez que si nous les pratiquions, nous nous couvririons de ridicule !

Une voix. C'est déjà fait !

M. René Koechlin. C'est la raison pour laquelle nous demandons le simple respect de la langue française. Parce que si l'on voulait aller au-delà de ce qu'est la langue française, telle qu'elle est dans les dictionnaires - par exemple, oui... - on pourrait parler franglais comme cette Canadienne qui, lorsqu'on lui demandait ce que faisait son mari, répondait: «Le Charlie, il est en train de milker les cows à la barn...», ou alors: «Il est en train de diguer pour put une pipe dans la ditch...» ! Vous avez tous compris, naturellement !

Ou bien le fritalien, qui imposerait de dire «deux espressi» plutôt que «deux espresso», ou de demander: «Où sont les lavabi... (Rires.)...pour faire pipo ?»... (Rires.)

Et ainsi de suite, mais vous reconnaîtrez que si nous imposions ce genre de règles, je le répète, nous nous couvririons de ridicule, et c'est précisément pour éviter ce ridicule que nous avons déposé cette motion, Mesdames et Messieurs. (Applaudissements.)

M. Pierre Weiss (L). Sur ce sujet que nous semblons traiter d'un ton badin, nous touchons du doigt des éléments qui sont très sérieux pour les uns comme pour les autres, et je ne mentionne pas le sexe des uns et des autres...

Toutefois, sur cette question, il s'agit, puisqu'on a parlé tout à l'heure de maïeuticiens et de sages-femmes, de nous comporter en hommes et en femmes sages, et, au fond, de faire prévaloir l'usage sur la dictature administrative d'un quarteron d'amazones... (Exclamations et applaudissements.)

L'isolement linguistique, Mesdames et Messieurs, est une chose que je prends trop au sérieux, parce que je suis Suisse, pour vouloir la laisser s'étendre davantage. Je sais, pour des raisons familiales - mais nombre d'entre vous le savent aussi - les conséquences qui découlent du pouvoir extravagant et de la domination du suisse-allemand sur l'allemand dans la vie courante outre-Sarine.

Voulons-nous vraiment, Mesdames et Messieurs les députés, faire du français cette langue qu'a illustrée dans des conséquences extrêmes mon collègue Koechlin: une langue que nous ne comprendrions plus ? Je me suis rendu à la Nouvelle-Orléans il y a quelques années, et je n'arrivais pas à comprendre le français de la Nouvelle-Orléans. Je me suis rendu au Québec, et j'ai eu de la peine à comprendre le français du Québec. On voulait parler le français du temps de la IIIe ou de la IVe République de Dunkerque à Tamanrasset, malheureusement on ne le comprend pas de Montréal à Morat !

Si l'usage est la chose principale, s'il s'agit donc d'éviter un isolement linguistique, il faut, pour reprendre l'argument de notre collègue Rodrik, non pas penser et lutter en ayant adopté une mentalité de colonisés mais, au contraire, avec une mentalité de résistants, de résistants au provincialisme... Parce que c'est bien l'isolement linguistique qui nous guetterait si nous adoptions ces singularités ! Et je ne donne pas de qualificatif méprisant qui déprécierait les efforts menés par ce quarteron auquel je me référais... Ce quarteron, qui, effectivement, en matière de langue considérée comme véhicule de communication, a des valeurs esthétiques que je respecte mais que je ne considère pas comme le critère prépondérant, et qui, en même temps, fait que si nous le suivions, nous nous séparerions plus que nous réussirions à nous réunir.

C'est cette réunion que j'appelle de mes voeux. C'est le fait que l'usage préside à l'évolution de notre langue - non pas l'Académie - qui veut que, depuis les «Liaisons dangereuses», je dis «Madame la présidente» - pas nécessairement à celle qui s'appelle Mme de Tourvelle - mais qui fait aussi que j'ai de la peine à dire «Madame la cheffe», parce que je considère que l'usage et non pas l'esthétique fait que ce mot n'est pas entré dans les moeurs. N'étant pas entré dans les moeurs, je ne voudrais pas m'y précipiter et par conséquent me singulariser en me ridiculisant.

Mesdames et Messieurs les députés, c'est pour éviter de sombrer dans le ridicule des précieuses décrit par Molière que j'ai signé cette motion et que je vous suggère d'y faire bon accueil. (Applaudissements.)

M. Antonio Hodgers (Ve). Si cette motion est misogyne et conservatrice, ce n'est rien à côté de l'Académie française, et le courrier adressé au Président de la République française q ui est annexé à ce texte, le prouve.

En effet, l'Académie française n'a pas vraiment d'équivalent dans d'autres langues, et c'est certainement une des raisons qui fait que le français compte aujourd'hui cinq fois moins de vocabulaire que l'espagnol et dix fois moins que la langue anglaise...

On nous a donné un exemple tout à l'heure: tout le monde comprend ce que veut dire «masculinisation»... On parle aussi de «traitillés», quand on veut faire référence à des pointillés représentés par des traits... Ce sont pourtant des mots qui sont soulignés en rouge lorsque vous les écrivez dans Word, parce qu'ils ne sont pas considérés comme des mots français. C'est, pour la langue française, une des premières conséquences d'avoir une Académie censée en être la gardienne.

Deuxième chose, évoquée notamment pas Mme Fehlmann Rielle. L'Académie française est conservatrice. Des féminins existent pour certaines fonctions, mais ces fonctions - d'ailleurs citées en exemple - figurent au bas de l'échelle sociale: boulangère, charcutière, épicière... Le mot «directrice» est tout de même utilisé... Il s'agit d'une fonction importante, mais relative, puisque ce titre est utilisé dans l'enseignement, mais pas pour la direction d'une banque ou autre. Comme c'est précisé dans la lettre, le mot «ingénieuse» ne peut pas être utilisé comme le féminin d'ingénieur... Etre ingénieur, n'est-ce pas, c'est valorisant socialement parlant !

Cette manière de considérer la langue française est tellement poussée dans le cadre de l'Académie française que la personne qui dirige cette académie, l'historienne Hélène Carrère d'Encausse, va jusqu'à faire une faute en signant sa lettre, puisqu'elle signe «Directeur en exercice», alors qu'elle est une femme et que «directrice», comme elle le dit dans cette même lettre, existe dans le dictionnaire !

Voyez jusqu'où cela va ! «Directrice», pour une crèche ou une école, ça va, mais, vous comprenez, quand on dirige l'Académie française, on doit signer «directeur» bien qu'on soit une femme ! C'est bien la preuve par a plus b de l'aspect totalement conservateur de l'Académie française.

Madame Hagmann, vous avez évoqué votre réussite en tant que femme... C'est vrai, vous avez réussi au niveau professionnel, au niveau politique - nous connaissons tous ici votre engagement dans votre commune. Mais si vous siégez ici ou dans votre commune, c'est parce qu'il y a un temps pas si lointain où des gens - essentiellement des femmes, mais aussi des hommes - ont fait des propositions qui ont été à l'époque cataloguées de la même manière que vous cataloguez aujourd'hui le processus de féminisation... (Applaudissements.)Je veux parler du droit de vote et d'éligibilité des femmes ! Et, si vous regardez les textes de l'époque, les opposants - comme vous, aujourd'hui - donnaient les mêmes arguments en disant que c'était absurde, ridicule, d'imaginer qu'une femme puisse devenir maire d'une commune... Voyons ! C'est exactement ce que vous faites aujourd'hui ! Votre réussite, Madame, nous en sommes tous fiers. Nous sommes tous fiers que vous siégiez dans ce parlement en tant que femme, mais, tout de même, regardez un peu mieux le passé, et vous verrez que ce résultat n'est que le fruit d'une lutte acharnée de certains groupes qui étaient à l'époque minoritaires et dont les opposants sont aujourd'hui inexistants.

L'Académie française nous dit que nous devons respecter la langue française... Nous le ferons quand la langue français respectera le rôle social des femmes ! (Applaudissements.)

M. Claude Blanc (PDC). Je trouve ce débat assez psychédélique. Cela me fait penser à Byzance assiégée par les Turcs: les Byzantins dissertaient sur le sexe des anges, alors que les périls étaient imminents...

Evidemment notre Grand Conseil n'a probablement pas beaucoup d'autres choses sérieuses à faire puisqu'il peut disserter aujourd'hui...

Une voix. La motion vient de l'Entente !

M. Claude Blanc. ...si longtemps sur le sexe des mots !

Je vous rappelle tout de même, Mesdames et Messieurs, qui critiquez beaucoup l'Académie française, que celle-ci évolue aussi. Elle ne crée pas les mots, elle se contente de les entériner lorsqu'ils sont entrés dans l'usage commun. Un mot est véhiculé par le peuple pendant des années. Il s'impose petit à petit et, lorsqu'il s'est suffisamment imposé, l'Académie française le consacre en l'admettant dans le dictionnaire de la langue française pendant que d'autres mots disparaissent. Tout d'abord, ils figurent en italique avec la mention «tombé en désuétude» et, un beau jour, ils disparaissent complètement, parce que la langue populaire les a éliminés. Mais le dictionnaire n'impose pas la langue: c'est la langue du peuple qui impose le dictionnaire ! Or, vous, vous voulez faire le contraire: vous voudriez imposer la langue sans attendre que le peuple pratique certains mots ! Imposer ces mots: ça c'est de l'intégrisme ! Et l'intégrisme n'a jamais fait avancer les causes qu'il prétend défendre ! Voilà ce que je tenais à vous dire !

Je ne voudrais pas être trop long, mais en conclusion j'apporterai ma modeste contribution. Je ne sais plus laquelle de nos collègues parlait des sages-femmes et de la dénomination à utiliser pour les hommes : moi, j'ai imaginé qu'on pourrait les appeler les «prudes-hommes»...

M. Michel Halpérin (L). Monsieur le président, mais j'hésite presque à vous appeler «Monsieur, virgule, Madame, le/la président-e»...

Le président. Cela a été fait au début !

M. Michel Halpérin. Je sais que ça vient immédiatement sous la langue et je comprends bien pourquoi, dans un débat comme celui-ci. Pourtant nous sentons bien, Monsieur, que c'est difficile de vous appeler «Madame»... (Rires.)Non seulement en fonction des qualités éminentes que les femmes vous reconnaissent dans cette enceinte - et elles sont les seules à pouvoir en attester... (Rires.)- mais en raison du fait qu'à bien vous regarder le système pileux qui vous ornemente n'est pas celui du sexe féminin...

Il y a des évidences, Mesdames et Messieurs les députés, qui font que, par moments, nous avons un peu tendance à confondre les objectifs et les moyens, à confondre nos désirs et les réalités, le souhaitable et le possible.

J'ai été frappé tout à l'heure, lors de l'intervention de M. Rodrik, dont chacun sait que je lui porte estime et affection, de le voir se mettre en transes... - et ce n'est pas de ma faute si c'est un mot féminin ! (Rires.) -pour nous expliquer que nous étions «colonisés», «machistes», «misogynes», toutes choses qu'il sait pertinemment être fausses... (L'orateur est interpellé.)D'abord, parce qu'en temps ordinaire, Monsieur Brunier, contrairement à vous, M. Rodrik fait raisonnablement le choix de l'honnêteté intellectuelle ! (Exclamations.)Il sait donc pertinemment, lorsqu'il s'adresse à un certain nombre de mes collègues de cette enceinte et notamment aux signataires de ce texte, que nous ne sommes pas misogynes. Il sait par exemple que, moi qui ai signé ce texte, j'aime beaucoup les femmes et pas seulement dans le sens que Sacha Guitry donnait à cette formulation... Il sait aussi que cette affection que je leur porte et qui est aussi respectueuse ne s'entend pas seulement du fait que j'ai du plaisir à leur contact ou à leur conversation, mais du respect que j'ai pour le fait qu'elles constituent la moitié, d'ailleurs la plus abondante, du genre humain et probablement la plus compétente aussi. Et je n'ai pas besoin de les débaptiser pour dire cela ! Et je n'ai pas à être traité de «machiste» parce que je me pose à mon tour la question de l'adéquation des fins et des moyens !

Lorsque j'entends M. Hodgers nous expliquer que la langue française est moins riche que l'anglaise, preuve en soit Word, un léger frisson me parcourt quant à la référence du dictionnaire qu'il a choisi... (Rires.)Mais ce n'est pas là l'objet de la discussion.

Quand j'entends tout à l'heure - mais c'est dans ses habitudes - M. Vanek nous invectiver parce que, lorsqu'il veut prouver quelque chose, il recourt nécessairement à l'invective, je n'en déduis pas que l'invective devrait être au masculin... Je n'en déduis pas non plus que M. Vanek a raison, puisqu'il crie fort... Mais lorsqu'il nous traite de «sinistres machistes», je ne prétends pas que, quand il dit «sinistres», il pense: «à gauche», ce que le mot «sinistre» veut dire... (Rires.)

Par conséquent, j'essaye quant à moi d'éviter la confusion des fins et des moyens, et je suis rassuré de pouvoir vous dire, mon cher collègue Rodrik, que si, effectivement, en 1453, comme vous nous l'avez opportunément rappelé et après vous Claude Blanc, les Byzantins discutaient du sexe des anges pendant que les Turcs en faisaient la conquête - vous observerez que vous avez parlé et de la conquête et de la chute: deux mots qui commencent par «c» et qui sont féminins l'un et l'autre - donc au moins sur ce point vainqueurs et vaincus - vous l'aurez remarqué: il n'y a pas de féminin à vainqueurs - sont tombés d'accord... Pendant donc que les anges et leur sexe étaient au coeur des discussions, Byzance tombait... Bien ! Ce n'est plus un problème contemporain.

Notre problème contemporain, comme l'a dit aussi Claude Blanc, c'est de savoir si, pour être politiquement corrects, nous essayons de faire ce que, précisément, M. Hodgers et d'autres disaient ne pas vouloir faire... Vous, Monsieur Rodrik, vous disiez qu'il fallait féconder le langage, et lui disait qu'il fallait le laisser aller à son évolution... Laissons-le: n'inventons pas des néologismes qui nous font honte ! Tel était le sens de la motion. J'observe d'ailleurs que l'invite de cette motion consistait à demander qu'on renonce non pas à la féminisation mais à la féminisation automatique. Alors, vous êtes en train de penser - c'est ce que j'appelle la confusion des fins et des moyens - que si nous automatisons les féminisations nous allons améliorer la cause des femmes. Et moi je pense l'inverse ! Pour les raisons qui ont été mieux décrites par d'autres et notamment par des dames.

Laissez-moi conclure par une citation parce qu'elle est irrésistible, non seulement parce qu'elle vient d'un philosophe français dont on sait qu'il n'est ni machiste, ni colonisé, ni surtout misogyne, mais de surcroît parce qu'elle est joliment dite et que ce qui est joli a tendance à marquer le pas sur ce qui est laid, primaire et saugrenu.

Ce texte vient de «l'Imparfait du présent», un fort bel ouvrage récent du philosophe Alain Finkielkraut, qui ne cherche pas ses marques à droite en général. Le titre de ce texte: «Nos ancêtres les gauloises».

Si je termine par cette citation badine, ce n'est pas parce que le sujet n'est pas sérieux mais parce que, quand je vous vois, vous, si crispés sur un sujet qui aurait dû être traité par tous y compris par vous avec légèreté, j'espère vous y conduire grâce à Finkielkraut.

Je constate que les femmes et les hommes politiques de ce pays- il parle de la France, remarquez bien, qui n'a donc pas l'air trop en retard sur nous sur ce plan-là non plus - parlent désormais une langue au-dessus de tout soupçon. Jamais dans leurs discours vous ne trouverez de Lyonnaises sans Lyonnais; les citoyens sont toujours précédés des citoyennes; les habitantes et les habitants ne se quittent plus; les Parisiennes et les Parisiens font bloc; les Toulousaines marquent les Toulousains à la culotte... Bref, une indéfectible parité grammaticale attache pour l'éternité l'électrice à l'électeur. A nous la société civile de continuer le combat -c'est ce que vous nous proposez - et de remédier dans la conversation, comme dans la littérature, à l'immémorial effacement du féminin, afin d'offrir aux jeunes générations un monde neuf, un monde sans domination, un monde vraiment libre où les deux sexes seront enfin traités à parts égales.

Et voici les quelques vers finaux:

Maître corbeau et Maîtresse corneille, sur un arbre et sur une haute futaie perché et perché-e, tenaient en leur bec et en leur corné-e un fromage et une tasse de crème fraîche.

Maître renard et sa compagne par l'odeur alléché et alléché-e leur tiennent à peu près ce langage et leur disent ces paroles:

Eh, bonjour et bonne journée, Monsieur du corbeau et Madame de la corneille, que vous êtes joli, que vous êtes joli-e, que vous me semblez beau et belle,

Sans mentir, si votre ramage et votre ritournelle se rapportent à votre plumage et votre livrée, vous êtes le phénix et la «phénixette» des hôtes de ces bois et de ces forêts.

Ce poème,mes chers collègues, pourra être étudié...

Le président. Il faut conclure, Monsieur le député !

M. Michel Halpérin. ...par les garçons et les filles de l'enseignement primaire et de l'école communale. (Applaudissements.)

M. Pierre Vanek (AdG). Quelques mots encore... J'avais dit tout à l'heure que je m'arrêtais, mais que je n'avais pas terminé...

Le président. Concluez, je m'en réjouirai !

M. Pierre Vanek. Je vais justement conclure avec votre permission en faisant encore quelques remarques.

Dans l'exposé des motifs de cette motion, on évoque - je crois, ou est-ce dans les considérants ? - notre université... On se réfère à l'Académie française, à Louis XIII et à je ne sais quoi...

Quand on parle de langue à Genève, on peut évoquer des noms célèbres: on peut parler du linguiste de Saussure qui a contribué de manière décisive à l'évolution de la linguistique. Je lisais un article récent du «Monde» qui situait Genève autrement que comme ville satellite de ce royaume français auquel vous vous référez, qui parlait de cette belle demeure du XVIIIe siècle, pas loin de la place Neuve à Genève, où on avait trouvé toutes sortes de papiers importants pour la famille de Saussure dont des papiers sur ses écrits linguistiques. Et le journaliste du «Monde» - je ne vais pas tout résumer, vous pouvez retrouver l'article - indiquait qu'un des apports essentiels de Ferdinand de Saussure était cette idée, qui a été présente parmi deux ou trois choses que vous avez dites en face, que la langue, comme système, s'étudiait au présent et n'avait rien à voir avec son histoire.

Effectivement, vous vous êtes référés - certains d'entre vous, sur les bancs d'en face - à l'usage de la langue au présent. Mais vous semblez mal connaître cet usage ! Il y a pourtant des outils qui permettent de savoir quels sont les mots qui sont largement utilisés aujourd'hui. Je pense par exemple à Internet.

Dans le premier paragraphe de votre exposé des motifs, vous considérez que le terme de «procureure» est ridicule et qu'il défigure la langue française... Vous vous êtes trompés sur le mot «chancelière», je vous l'ai indiqué dans la première partie de mon intervention... Si vous mettez le mot «procureure» dans un moteur de recherche sur Internet - je l'ai fait - en 0,71 seconde, vous trouvez 14 100 occurrences de ce terme, ce qui prouve combien il est usité ! C'est l'usage commun des gens qui mettent des informations sur un site Internet et non l'usage d'un quarteron de féministes... (L'orateur est interpellé par M. Barrillier.)C'est vous qui avez employé ce terme !

Le président. Non, ce n'est pas M. Barrillier !

Des voix. Un quarteron d'amazones !

M. Pierre Vanek. Si vous voulez ensuite vous référer à l'usage en France, puisque c'est de ce côté-là que vos regards se tournent, j'ai aussi fait la recherche sur Internet à propos de «procureure» et j'ai été voir où ce terme était utilisé. On le trouve par exemple dans une liste récente parue au Journal officiel français concernant les promotions et nominations en matière de légion d'honneur.

On y lit qu'en 2000 une Mme Tarfellod Gervaise, Ginette, Géraldine, épouse Knoll, était «Procureure générale près la Cour d'appel d'Orléans». Elle a servi fidèlement la République française pendant trente ans et a obtenu la légion d'honneur. Eh bien, si vous voulez proscrire ce genre de termes, c'est vous précisément qui faites preuve d'isolement. M. Weiss parlait d'isolement linguistique régional... Vous n'avez manifestement pas étudié la question, car si nous suivions les diktats que vous proposez dans cette motion, c'est nous qui nous isolerions de l'usage de plus en plus commun de toute la communauté francophone en général, y compris des usages officiels de cette République par rapport à laquelle vous voulez vous montrer plus royalistes qu'elle ne l'est.

Ce point me semble donc tout à fait clair. Cette motion ne présente aucune espèce d'intérêt: on a perdu un peu de temps, mais, enfin, c'est vous qui dictez les débats dans ce Grand Conseil et qui avez soumis cette motion, puisque vous êtes la majorité.

En conclusion, je voterai évidemment contre cette motion. Et j'ai une proposition à faire qui peut être formulée en termes de motion d'ordre et que je soumets à cette assemblée. Je propose, contrairement à d'habitude, que ce ne soit pas les hommes et les femmes de cette assemblée qui se prononcent sur cette motion, mais que les députés hommes s'abstiennent volontairement de voter... (Exclamations.)...pour donner la possibilité aux femmes qui ont été élues et qui siègent dans cette enceinte de se prononcer sur la manière dont il faut les nommer et les traiter sur le plan linguistique.

Monsieur le président, je vous propose donc formellement une motion d'ordre pour ce vote spécifique sur la féminisation des noms de métier: que les hommes s'abstiennent de se prononcer sur ce sujet qui concerne les femmes au premier chef.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants: je vous soumets cette proposition.

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

Le président. Ont encore demandé la parole M. Mouhanna et M. Catelain.

Monsieur Vanek, en ce qui concerne votre proposition, chacun fera selon sa conscience. Je vous donne la parole, Monsieur Mouhanna.

M. Souhail Mouhanna (AdG). J'ai été impressionné tout à l'heure par votre intervention, Monsieur Koechlin, quand vous avez levé les deux bras et que vous avez crié: «Egalité n'est pas symétrie !»...

Eh bien, je m'inscris en faux et j'affirme que l'égalité en mathématiques est à la fois symétrique, réflexive et transitive ! Je dirai même que ce sont les inégalités qui sont antisymétriques, Madame Hagmann ! J'ai donc été quelque peu choqué par votre affirmation, Monsieur Koechlin, et j'espère que vous consulterez quelques ouvrages de mathématiques pour apprendre que l'égalité est effectivement symétrique.

Deuxième chose. N'étant pas de langue maternelle française, lorsque, adolescent, j'ai commencé à apprendre le français, la première chose que j'ai retenue c'était que devant le genre masculin on devait mettre «le» et devant le genre féminin on devait mettre «la». Quelle fut ma surprise lorsque j'ai vu écrit, par exemple, Mme le maire ! Je me suis posé des questions, car je ne comprenais pas... Je ne savais pas à l'époque qu'il y avait une Académie française. Et j'ai mis beaucoup de temps avant de me faire à l'idée de devoir dire la même chose que les autres, bêtement, sans logique.

Cela étant dit, Madame Hagmann, votre intervention m'a rappelé un épisode de l'histoire. A une époque, en effet, beaucoup de femmes étaient contre le droit de vote - on l'a vu - beaucoup de femmes étaient pour l'élévation de l'âge de la retraite, et bien d'autres choses... Madame Hagmann, si je vous demandais si vous seriez d'accord de priver les femmes de leur droit de vote, je suis sûr que vous diriez non. En tout cas je l'espère ! Cela prouve que votre attitude aujourd'hui est une attitude malheureusement rétrograde et dogmatique. Je suis persuadé - d'ailleurs, l'histoire nous le prouve - qu'une langue qui n'évolue pas devient à la longue une langue morte. Je pense que la langue française aura beaucoup à gagner en intégrant un certain nombre de mouvements, d'évolutions. Autrement, c'est une autre langue, et notamment la langue anglaise qui prendra le dessus, et c'est déjà le cas ! D'ailleurs, ce qui me choquait aussi dans la langue anglaise, c'est qu'on utilise youindifféremment pour la femme ou pour l'homme, et cela me choque toujours.

Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais vous dire enfin que le rejet de cette motion s'impose, parce qu'il ne s'agit pas de faire un cadeau aux femmes: c'est un droit ! Et ce droit me fait aussi penser que, s'il y avait plus de femmes au pouvoir un peu partout dans le monde, il y aurait peut-être moins de guerres et nous n'aurions peut-être pas besoin d'aller quémander la ratification de l'accord contre les mines antipersonnel... Pour ma part, je crois que tôt ou tard l'égalité sera ! (Applaudissements.)

M. Gilbert Catelain (UDC). Je tâcherai d'être bref sachant que les ventres commencent à être vides et que tout le monde a envie de se restaurer...

Personnellement, j'ai signé cette motion. Je n'en fais pas une question de principe, mais elle me semble équilibrée.

Je reviendrai sur les propos de M. Mouhanna, et je trouve dommage qu'il n'ait pas connu Mme Hagmann plus tôt: il aurait probablement signé cette motion avec nous... (Exclamations.)

Je rappelle que nous ne sommes pas du tout opposés à la féminisation de certains mots. Au contraire ! J'ai toujours appelé mon institutrice «ma maîtresse»... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)

Ce que nous contestons au travers de cette motion - cela a déjà été dit, mais je le répète, car il faut marteler les choses pour qu'elles soient entendues - c'est le caractère obligatoire de la forme féminine, automatique, doctrinaire, autoritaire et dictaroriale. Nous pensons à l'intégration des différentes communautés qui composent notre société et ce canton en particulier, pour qui l'apprentissage de la langue française n'est déjà pas une chose facile, y compris sa lecture. Cet apprentissage deviendrait un véritable chemin de croix, là je pense que M. Blanc me soutiendra... (Brouhaha.)Pour ma part, je proposerai...

Le président. Monsieur Rodrik, enfin vous commencez à rire... Ça me fait plaisir !

M. Gilbert Catelain. ...que la «Tribune de Genève» fasse un sondage sur son site Internet pour avoir une image réelle de ce que pense la population de ce canton à ce sujet.

Le président. Madame Calmy-Rey, il vous appartient de conclure.

Mme Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat. Certains d'entre vous ont parlé de l'amour et du respect qu'ils auraient pour les femmes... Il ne s'agit pas ici d'amour et de respect, mais de reconnaissance ! (Applaudissements.)

Mesdames et Messieurs, certains d'entre vous ont exprimé la peine qu'ils avaient à dire «Monsieur le président», «Madame la présidente», mais peu leur chaut d'appeler une femme «Madame le directeur». La langue française connaît pourtant deux genres grammaticaux: le féminin et le masculin, et il est donc grammaticalement correct d'écrire, comme le faisait Stendhal en 1835, «une banquière hollandaise, enchantée de venir...». Dire «mon avocat», «le ministre», en parlant d'une femme, c'est nier la singularité de sa personne.

L'expression «Madame le ministre» est contraire à la logique: elle emploie un générique dans un énoncé spécifique !

Elle est contraire à la grammaire: le genre est d'abord l'accord des déterminants !

Elle est contraire à la civilité: elle impose un masculin à une personne féminine !

Et d'ailleurs la féminisation a existé et elle s'étend: à témoin - puisque nous devons prendre la France pour exemple - l'article 19 de l'instruction générale du Bureau de l'Assemblée nationale: «Les noms des députés et des députées sont publiés au Journal officiel».

La pratique est également rentrée dans de nombreux dictionnaires. On trouve par exemple, dans le Robert 2000, les rubriques «autrice», «procuratrice», «inventrice».

Mesdames et Messieurs les députés, il ne s'agit pas de l'affaire d'un quarteron d'amazones: il s'agit bien d'une motion qui a été rédigée par un quarteron «d'amazons» mal inspirés ! (Applaudissements.)

Le président. Monsieur Pagani, je vous donne la parole, mais ne vous exprimez que sur la procédure.

M. Rémy Pagani (AdG). Monsieur le président, je vous rappelle que mon collègue Pierre Vanek a fait la proposition formelle que vous ne fassiez voter que les femmes. C'est une motion d'ordre, je vous demande de la mettre aux voix et, ensuite, de faire voter la motion.

Le président. Je n'accéderai pas à votre demande tout à fait légitime, car cette procédure n'est pas prévue dans notre règlement. Je la refuse donc. Chacun fera selon sa conscience.

Mesdames et Messieurs les députés, nous allons procéder au vote sur cette motion par vote électronique.

Mise aux voix, cette proposition de motion est rejetée par 42 non contre 40 oui et 2 abstentions.

(Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie en tout cas d'avoir tranché: je n'aurais pas voulu porter cette responsabilité ! Je lève la séance et vous donne rendez-vous à 20 h 30 pour le budget.