République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 14 juin 2002 à 14h
55e législature - 1re année - 9e session - 44e séance
M 1374-A et objet(s) lié(s)
Débat
Mme Maria Roth-Bernasconi (S), rapporteuse. Je voudrais dire quelques mots sur ce rapport qui est assez long. Tout d'abord pour vous informer que nous n'avons pas voulu avoir un débat de fond en commission sur les personnes en situation illégale, c'est-à-dire les sans-papiers. Il y a deux raisons à cela : d'une part nous avons deux motions en attente devant la commission des droits de l'Homme et d'autre part ce problème est de compétence fédérale et nous avons peu de marge de manoeuvre. Nous avons donc examiné cette thématique sous l'angle des droits humains et nous avons constaté que tout être humain a droit d'avoir accès à la justice. Il s'agit d'un droit humain. Nous voulions aussi, avec ce rapport, encourager le canton de Genève à poursuivre sa politique d'ouverture et d'humanisme. Nous y tenons vraiment fortement. En dernier lieu, ce qui nous semble important, c'est de faire passer le message aux personnes concernées via les associations qui s'occupent d'elles.
Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). L'excellent rapport de Mme Maria Roth-Bernasconi reflète fidèlement l'exercice périlleux auquel s'est livrée la commission pour aborder, au plus près de la conscience des commissaires, les graves atteintes aux droits de la personne justifiant la motion 1374, qui avait pour but de dénoncer un imbroglio de contraintes mettant les personnes clandestines victimes de mauvais traitements, voire d'esclavagisme, dans l'impossibilité de déposer plainte et de faire valoir leurs droits sous peine d'être expulsées.
Parmi ces nombreuses contraintes, vous me permettrez d'en citer quelques-unes. Les contraintes affectives : nombreuses sont les femmes clandestines maltraitées par un compagnon ou par un employeur parfaitement légal qui use de chantage à l'expulsion pour abuser de leur victime. Les contraintes alimentaires : nombreuses sont les personnes clandestines obligées d'accepter d'être sous-payées pour un travail parfois inhumain et pourtant indispensable au remboursement des dettes contractées dans leur pays d'origine, aux payements dus à des réseaux maffieux de passeurs, ou encore pour financer la survie de la famille restée au pays, mais aussi parfois pour payer les études d'enfants que ces personnes ne verront jamais grandir. Les contraintes juridiques : les personnes clandestines évidemment ne connaissent pas leurs droits, ignorent même ce que cela signifie d'être défendu par des lois appliquées correctement. Souvent ces personnes se disent prêtes à accepter l'inacceptable plutôt que de demander de l'aide. Les contraintes sociales et économiques, enfin : combien de personnes clandestines n'ont pas eu la possibilité de se former décemment? Il n'y a pas, chez les clandestins, que des universitaires préférant faire le ménage ou garder nos enfants plutôt que d'être un professeur mal payé dans des pays du tiers monde. Les clandestins analphabètes sont encore plus fragilisés, car en cas d'expulsion ils sont renvoyées vers un enfer social et économique.
Fort de ces constats, le PDC avait souhaité proposer la motion 1374 qui traitait simultanément tous ces aspects, l'un entraînant inévitablement les autres. Les pistes que cette motion proposait d'étudier avaient trait aux droits des personnes à la justice, à la formation, au soutien psychologique et financier.
Sous l'éminente présidence de M. Halpérin et avec l'aide précieuse de tous les membres de la commission des droits de l'Homme, envers qui je suis très reconnaissante, une nouvelle motion vous est proposée, moins ambitieuse, mais plus réaliste. L'aspect principal y est traité : l'accès à la justice des personnes en situation irrégulière à Genève. Un des buts est atteint et je vous en remercie.
Nous avons pu constater combien le canton de Genève peut être fier de l'humanisme qui règne tant dans l'esprit du Procureur général qu'au sein du département de justice et police et de son office cantonal de la population.
La motion 1451 proposée à ce Conseil par la commission des droits de l'Homme unanime est une première réponse concrète à un problème douloureux. C'est le premier pas d'un processus de reconnaissance envers les personnes victimes qui ne doivent plus jamais se taire. C'est aussi un premier pas vers notre détermination à ne plus rester muets devant autant d'injustice.
En conclusion, le PDC vous invite à accepter la motion 1451 de la commission des droits de l'Homme et à la renvoyer au Conseil d'Etat. En outre, j'indique que nous retirons notre motion 1374.
M. Antonio Hodgers (Ve). Permettez-moi d'abord de souligner l'esprit constructif qui règne au sein de la commission des droits de l'Homme, qui est en fonction depuis bientôt deux ans. Avec ses neuf membres, cette commission travaille dans l'esprit des droits humains et surtout dans la volonté d'approfondir ensemble ces questions. Je crois que l'exemple que nous donne cette motion aujourd'hui montre bien que chaque député arrive en commission l'esprit ouvert et avec la volonté de voir jusqu'où nous pouvons aller dans notre direction commune qui est l'amélioration des droits humains.
Bien entendu, nous soutiendrons cette motion. La pratique genevoise, nous l'avons entendu en commission, est tout ce qu'il y a de plus louable et de plus humain compte tenu des loi fédérales qui produisent la situation que nous connaissons. Cette situation, Mesdames et Messieurs, malheureusement, cette motion ne la résoudra pas. Aujourd'hui, en effet, il y a des hommes et des femmes, surtout des femmes, qui sont violés, battus, et qui ne peuvent pas aller devant la justice, car le résultat de la procédure est l'expulsion vers le calvaire qu'ils ont fui. Voilà le problème principal que nous avons abordé et que, malgré notre bonne volonté et l'ouverture de la justice genevoise, nous ne pourrons pas résoudre. Tant qu'une personne en situation irrégulière n'aura pas la garantie qu'à l'issue de la procédure la police ne sera pas là pour la renvoyer chez elle, elle n'ira pas devant la justice. Et ce même si aujourd'hui il y a une pratique qui fait qu'en règle générale la justice ne s'adresse pas forcément à la police ou en tout cas pas à la police des étrangers pour dénoncer un plaignant en situation irrégulière. Nous ne convaincrons pas l'immense majorité des victimes de violations graves du Code pénal de dénoncer leurs agresseurs. Cela continuera d'être, pour notre République, un manquement aux droits humains, à la Charte des droits de l'Homme. Même si de jureces personnes peuvent faire appel à la justice, de factoelles ne le font pas et des violations graves du Code pénal ne sont pas poursuivies dans notre République.
La problématique est, bien sûr, de niveau fédéral. La commission a reconnu ses limites et elle a travaillé avec ses moyens. Les Verts soutiennent cette motion, mais il ne faut pas donner l'impression que le problème est clos. Ce n'est de loin pas le cas.
M. Antoine Droin (S). En ce qui concerne l'accès à la justice des personnes en situation irrégulière, les travaux de la commission nous ont permis de constater que la pratique de la justice genevoise est proche des souhaits exprimés par les motions 1374 et 1451 et proche de l'esprit des commissaires de la commission des droits de l'Homme.
La marge de manoeuvre des clandestins victimes d'infractions est limitée. Il faut cependant reconnaître - et c'est heureux - que le principe d'opportunité est appliqué par les juges, qui ne dénoncent pas à la police les personnes en situation illégale, ou du moins qui ne le font pas systématiquement. Nous constatons avec satisfaction que les préoccupations de notre parlement relatives à la situation de non-droit que vivent des personnes qui ne peuvent se défendre lorsqu'elles sont victimes, sont prises en compte. Nous respectons en cela l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droit de l'Homme et l'article 4 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Ce qui est gênant pour le législateur, c'est que pour être en accord avec les règles régissant les droits humains, nous devons, dans le cas qui nous préoccupe, avoir une certaine souplesse face à l'application de la loi. Existe-t-il donc une opposition entre les droits humains et le droit commun ? Non, Mesdames et Messieurs les députés, car dans ce cas d'espèce il s'agit bien de permettre à toute personne en situation illégale d'avoir un accès à la justice pour pouvoir se défendre. Cela n'empêchera toutefois pas d'éventuelles victimes clandestines d'être renvoyées dans leur pays à la fin de la procédure judiciaire. Bref, accepter la motion 1451 renforce l'esprit de la Genève humaniste.
Le Grand Conseil prend acte du retrait de la motion 1374.
Mise aux voix, la motion 1451 est adoptée.