République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 2 mai 2002 à 14h10
55e législature - 1re année - 7e session - 37e séance
PL 8664
Préconsultation
Le président. Je passe la parole à M. Portier... (Le micro de M. Portier ne fonctionne pas.)Il suffit de mettre le volume un peu plus fort... Parlez comme Johnny, Monsieur le député... Excusez-moi, Monsieur Portier, pouvez-vous prendre le micro d'à-côté, car on ne vous entend pas?
M. Pierre-Louis Portier (PDC). C'est bon ? Bien ! Mesdames et Messieurs les députés, le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui est le fruit d'un constat, celui des nombreuses disputes qui émaillent nos débats, tant en commission de l'aménagement qu'en séance plénière à l'occasion des projets de lois concernant le déclassement des hameaux de notre canton. En effet, la loi actuelle prévoit que le périmètre soit délimité «au plus près des constructions existantes». Or, force est de constater que l'interprétation de ce petit bout de phrase a déjà fait couler beaucoup d'encre et de salive dans notre République.
Donc, mon collègue et moi-même vous suggérons de modifier un tout petit peu la teneur législative de cette loi en prévoyant que les limites passent au minimum à 6 mètres des façades.
Ce n'est évidemment pas du tout une attaque en règle contre la zone agricole... Vous l'avez bien compris, puisque l'un des deux auteurs est lui-même agriculteur et qu'il n'est pas le moins entreprenant de notre parlement lorsqu'il s'agit de défendre, justement, ladite zone agricole.
Il nous paraît tout à fait logique en effet, au moment où le débat porte sur un changement d'affectation pour les hameaux, de sorte qu'une partie des volumes de ces hameaux puisse servir à de l'habitat et non plus à de l'activité agricole traditionnelle en général, que les gens qui s'installent dans lesdits volumes bâtis puissent au moins avoir quelques mètres devant chez eux pour y aménager une petite terrasse et profiter de leurs loisirs comme ils l'entendent.
Ce projet de loi ne prévoit aucunement de construire une véranda ou toute autre annexe dans ces 6 mètres. Dans notre esprit, aucun volume bâti ne peut être construit. Il ne s'agit là que d'aménagements de terrasses.
D'autre part, il nous semble assez idiot de se restreindre, comme certains le voudraient, en fixant ces limites au ras des façades. En effet, nous ne connaissons guère d'endroits où les agriculteurs s'amusent à aller labourer les champs jusqu'au ras des façades et portes-fenêtres des futurs habitants. Une petite marge de manoeuvre doit - pensons-nous - être trouvée pour ces installations.
C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs, nous vous proposons de faire bon accueil à ce projet de loi et de le renvoyer, pour l'immédiat, à la commission d'aménagement du canton.
M. Rémy Pagani (AdG). Monsieur Portier, vous avez l'art de simplifier les choses, mais vous oubliez l'essentiel... Vous dites que ces 6 mètres devant les maisons ne représentent pas grand-chose... Vous pourriez évoquer la petite véranda ou le petit parking couvert que l'on pourrait mettre devant sa maison, cela serait plus réaliste et plus honnête !
Mais là n'est pas le véritable problème. Le véritable problème, c'est que nous avons aujourd'hui vingt-trois hameaux dans notre canton, qui vont inévitablement - et c'est déjà le cas aujourd'hui: les résidents sont souvent dans l'illégalité - se transformer, ce qui ne manquera pas de faire monter le prix des terrains en flèche, et ces habitats ne seront accessibles qu'à une certaine catégorie de la population.
La question, qui est d'ailleurs posée à ce parlement aujourd'hui, est de savoir si on veut maintenir dans ces hameaux les conditions qui permettent encore d'avoir une activité professionnelle, ou si on veut en faire des ghettos - excusez-moi du terme - pour riches qui pourront avoir 6 mètres devant chez eux pour y mettre - pourquoi pas ? - une petite piscine, une petite véranda ou un parking... (Exclamations.) (Le président agite la cloche.)...ou même agrandir leur petit chez-eux. Cette question est très importante, parce que, vous le savez Mesdames et Messieurs les députés, quand les viticulteurs viennent se plaindre en commission de l'économie des difficultés qu'ils rencontrent, ils évoquent aussi le prix du terrain qui grève leur bilan d'exploitation. Ils disent, par exemple, qu'ils doivent aller trouver du terrain ailleurs, moins cher. Les maraîchers sont aussi venus se plaindre à juste titre en commission de l'économie. Le mal qui leur est fait au niveau de la libéralisation des marchés est en effet extrêmement préjudiciable.
Le déclassement de ces hameaux avait été voté sur des limites «au plus près des maisons» - c'était le compromis sur lequel nous étions tombés d'accord. En les déplaçant de 6 mètres, nous allons participer à la valorisation inévitable du prix des terrains. Nous allons créer une bulle spéculative à cet endroit, qui éjectera de fait certaines catégories de la population, y compris les derniers paysans qui sont encore dans ces hameaux.
Nous le regrettons, c'est pour cela que nous sommes fermement opposés à ce projet de loi.
M. John Dupraz (R). C'est avec satisfaction que le groupe radical accueille ce projet de loi.
Je rappelle, après les propos excessifs de M. Pagani - il est moins sourcilleux avec le droit lorsqu'il s'agit de protéger les squatters et, pourtant, les squatts sont des zones de non-droit - que la disposition actuelle en vigueur, s'agissant des hameaux, est issue des travaux de ce parlement d'il y a une quinzaine d'années.
La précision sur les limites fixées «au plus près des maisons» existantes avait été apportée par votre serviteur. Mais quel était l'objectif ? Il était tout simplement d'éviter, lors d'un déclassement d'un hameau en zone à bâtir, que ne soit créée une mini zone de développement entre le bourg constitué et cette zone de déclassement, où de nouvelles maisons auraient pu être construites, car cela aurait dénaturé le hameau. Mais il n'a jamais été question, en prenant cette disposition, de tracer la limite du périmètre au ras des maisons, comme vous le voulez par absolutisme, intégrisme et bêtise de gauche, qui vous caractérisent systématiquement... (L'orateur est interpellé par M. Grobet.)Mais, Monsieur Grobet, je ne vous ai pas parlé ! Vous êtes un des seuls députés de gauche à être à peu près éclairé, alors, s'il vous plaît ! (Rires.)
Le président. Monsieur Dupraz, un peu de tenue, s'il vous plaît !
M. John Dupraz. Monsieur le président, on m'a provoqué, je réponds ! (Exclamations.)Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés...
Le président. Monsieur Dupraz, laissez-moi le temps de vous exhorter au calme !
M. John Dupraz. ...nous estimons que ce projet de loi est un bon projet, qu'il apporte une précision judicieuse. En fait, ces 6 mètres sont la distance usuelle qui est utilisée dans les zones de villas pour construire des maisons individuelles. Et cela correspond tout à fait à l'urbanisme des hameaux.
Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à faire bon accueil à ce projet de loi et à l'étudier avec attention en commission.
M. Alain Etienne (S). A première vue, le parti socialiste n'est pas favorable à ce projet de loi...
Nous comprenons les préoccupations des auteurs de ce projet, cependant, nous préférons nous en tenir à la notion de limite «au plus près des constructions», qui nous semble plus claire et plus facile à appliquer. Accorder 6 mètres en plus, c'est donner...
M. John Dupraz. C'est pas en plus !
M. Alain Etienne. ...des droits à bâtir supplémentaires aux propriétaires, ce n'est pas seulement le droit d'aménager une terrasse ou un jardinet !
Par ailleurs, je constate que ces aménagements existent déjà. Et puis, il faudra nous expliquer pourquoi 6 mètres et pas 4 ou 8...
A notre avis, ce projet de loi va également à l'encontre de la volonté d'une réelle préservation des hameaux. Nous ne sommes pas convaincus par votre proposition, et nous l'étudierons avec attention en commission.
M. René Desbaillets (L). Je déplore tout d'abord qu'il faille faire une loi pour déterminer ce que signifie «au plus près»: 6 mètres, 12 ou 15 mètres... Cela me paraît très grave !
Je donnerai une petite explication pratique. On demande à l'heure actuelle à l'agriculture suisse d'avoir des prix eurocompatibles, si ce n'est pas mondiocompatibles... Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'être ingénieur pour savoir que pour obtenir des prix compétitifs, il faut avoir de grosses machines. Et avec un tracteur qui fait 4 mètres de long, plus une charrue de 4 mètres derrière, il est difficile de labourer à moins de 6 mètres d'une maison. C'est une raison pratique: il faut au moins 6 mètres pour travailler le sol avec du matériel moderne.
On sent dans les propos de M. Pagani davantage de jalousie par rapport à ceux qui ont la chance d'habiter à la campagne que de raisons objectives et constructives...
Mme Anita Frei (Ve). Les Verts accueillent ce projet de loi avec bienveillance.
Une voix. Bravo, les Verts !
Mme Anita Frei. En effet, le but du déclassement des hameaux est de préserver leur substance architecturale, qui inclut également les espaces extérieurs et les prolongements extérieurs qui sont si caractéristiques des villages et hameaux genevois.
Nous soutenons aussi la nécessité de garantir une transition entre la substance bâtie et les terres cultivées. On ne peut pas imaginer passer abruptement de l'une à l'autre: un hameau a besoin d'une respiration. Traditionnellement, on trouvait toujours derrière les maisons les espaces de jardin, puis les vergers, puis, ensuite, les cultures. C'est ainsi qu'était organisée la campagne.
Dans l'idéal, cependant, nous préférerions qu'il y ait un plan de site pour tous ces hameaux qui présentent de grandes qualités, qui définisse très exactement et très clairement la nature et la qualité des espaces ouverts, en particulier des espaces en limite de la zone de déclassement.
Pourquoi 6 mètres de distance ? Parce que c'est la distance usuelle aux limites de parcelles. C'est un choix raisonnable, qui, en plus, n'octroie pas de droits à bâtir supplémentaires, parce que je ne vois pas vraiment ce qu'on pourrait construire dans ces 6 mètres.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Comme M. Desbaillets, je regrette que l'on doive légiférer en la matière.
L'expérience des précédents déclassements montre que, lorsque le projet de loi était trop large et créait un développement du hameau, il n'a pas été voté, et que lorsque le projet définissait une limite à l'aplomb des murs, il n'a pas été voté non plus, suscitant d'autres réactions.
La proposition de 6 mètres correspond - c'est vrai - aux projets qui ont été votés facilement par votre Grand Conseil et c'est vraisemblablement une norme assez raisonnable et assez juste, notamment pour les raisons rappelées par Mme Frei. S'il est précisé noir sur blanc dans la loi «6 mètres au minimum», je crains des déclassement aux formes assez bizarroïdes, compte tenu de la typologie de certains de nos hameaux. L'idée me semble juste, mais en reprenant ce qui s'est fait, je crains une rigidification trop stricte de la règle que vous déposez. Il me semble que nous pouvons nous mettre d'accord sur une direction générale: on ne doit pas saisir le prétexte d'un déclassement pour construire un village de plus et on ne fixe pas les limites du périmètre à l'aplomb des murs des maisons. Il y aura certainement quelques difficultés pour formuler cette direction, parce que, fondamentalement, vous proposez dans l'esprit de codifier la pratique acceptée par tous. C'est évidemment plus difficile à rédiger qu'à concevoir, mais la sagesse de vos députés en commission de l'aménagement permettra certainement de résoudre ce problème.
Ce projet est renvoyé à la commission d'aménagement du canton.