République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 2 mai 2002 à 8h
55e législature - 1re année - 7e session - 35e séance
PL 8300-A
Premier débat
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG), rapporteuse de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, je ne sais pas s'il est très bon pour la santé de traiter des coûts de la santé le soir à 23h, ou le matin à 8h, mais enfin l'ordre du jour étant ce qu'il est... J'espère néanmoins que ce projet de loi sera traité avec tout le sérieux qui convient. Même si vous avez envie d'avancer dans vos travaux, il faudra le traiter de manière correcte, sans escamoter le débat comme nous l'avons fait vendredi passé... (Exclamations.)
On a pu lire dans la presse, le 18 décembre dernier - cela date, mais je rappelle que ce rapport a été déposé il y a bientôt six mois - les mesures proposées par Mme Dreifuss en vue de limiter les aspects néfastes de la LAMal. Ainsi, la clause du besoin sur l'ouverture de nouveaux cabinets refait surface. Notre ministre reprend à son compte la proposition d'utiliser la totalité des subventions allouées à la réduction des primes, objet de plusieurs interventions parlementaires depuis des années, qui permettrait une réduction sensible des cotisations. D'autres mesures sont encore proposées au Conseil fédéral par notre ministre de la santé pour limiter les hausses, comme l'harmonisation par le bas des réserves des assurances, l'obligation pour les caisses d'assumer collectivement les assurés plus chers par un pool de prise en charge, un meilleur contrôle de certaines prestations médicales et, enfin, la prise en compte du revenu des assurés pour le financement.
Même si, depuis, le Conseil fédéral a malheureusement rejeté toutes ces propositions - nous comptons sur lui pour qu'il les remette sur le tapis - la LAMal, Mesdames et Messieurs, reste une bonne loi. C'est le système suisse de santé qui coûte très cher et, si la LAMal n'existait pas, les personnes âgées ou les personnes à risque paieraient très cher le manque de solidarité entre les jeunes et les vieux, les malades et les bien-portants, solidarité que la LAMal a réalisée pleinement. La loi n'est pas responsable en elle-même de l'explosion de la consommation des soins et des médicaments, mais il faut admettre que les mesures prévues pour la maîtrise des coûts ne sont pas concluantes. Alors, pour améliorer la LAMal et tenter de stopper cette escalade des coûts, il faudra changer la loi au niveau fédéral par un catalogue de mesures - qui existent et qu'il suffirait de mettre en place - concernant la maîtrise des coûts et le financement. Cela est indispensable.
Au niveau cantonal, là où nous sommes aujourd'hui, la marge de manoeuvre est extrêmement étroite, nous l'avons bien vu lors des travaux de la commission de la santé. Une chose est sûre et certaine: la création d'une caisse publique venant s'additionner aux caisses privées ne fera pas baisser les coûts de la santé pour les Genevois. Ce projet de loi ne fait pas de promesses qu'il ne pourra pas tenir. Le financement des primes ne peut pas tenir compte, dans ce projet de loi-ci, du revenu des assurés. Garantir des primes moins chères que la prime moyenne à Genève n'est possible qu'à la seule condition que les cotisations couvrent les coûts de cette caisse. Une caisse publique ou privée ne peut pas faire de déficit, sinon, vous le savez, elle doit augmenter ses cotisations.
Par contre, ce projet de loi de caisse publique a deux avantages qui me semblent tout de même majeurs par rapport à la situation actuelle. Premièrement, la garantie de l'Etat permettra de diminuer sensiblement les réserves exigées par la loi fédérale. Ces réserves, on le sait, sont un facteur de surcoût qui n'est pas justifiable. La création d'une caisse unique au niveau fédéral serait la solution pour fondre les réserves dans le même panier, mais au niveau cantonal ce n'est malheureusement pas réalisable aujourd'hui. Le deuxième avantage, c'est la transparence financière et le contrôle des assurés. Toutes les organisations qui s'occupent de ces questions depuis des décennies et tous les assurés que nous sommes nous plaignons à juste titre qu'en tant que payeurs nous n'avons pas grand-chose à dire. Avec une composition représentative de la population et des assurés et non plus des seuls gestionnaires de caisse, l'occasion est belle pour les assurés de ce canton de s'approprier le contrôle d'une caisse et de tenter d'influencer le cours des choses. La caisse publique est l'occasion pour les citoyens d'avoir accès aux comptes et aux statistiques d'une caisse maladie et de prendre les choses enfin en mains. Malgré le fait que les comptes présentés à l'OFAS par les caisses, selon une grille comptable imposée, soient accessibles aux cantons, le département est dans l'incapacité d'en comprendre les mécanismes. Ne le veut-il pas, ou ne le peut-il pas? La question est ouverte. En l'occurrence, la caisse publique représente donc une chance pour les assurés de ce canton. Cela a un coût certes - la création de cette caisse va coûter 6 à 7 millions - mais l'enjeu vaut bien cet investissement.
Je vous rappelle ici quelques chiffres. Les coûts de la santé en Suisse se montent à plus de 40 milliards; les ménages en financent 27 milliards, soit les deux tiers, dont 17 milliards pour l'assurance-maladie et 10 milliards en paiements directs. Confédération et cantons en financent seulement le quart, payé bien entendu par nos contributions fiscales. Au total, près de 90% des coûts de la santé sont donc financés directement et indirectement par les ménages. Alors, si ces mêmes ménages pouvaient, au moins dans une caisse, dans un canton, commencer à comprendre où vont les milliards qu'ils paient, nous aurions grâce à cette loi un outil pour améliorer la LAMal.
Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais terminer en rendant hommage à un homme, un radical, un conseiller fédéral, un ancêtre de nos amis radicaux, nommé Ludwig Forrer, qui avait tout compris. Fermez les yeux - mais ne vous rendormez pas - pour rêver un peu... Nous sommes en 1899: Forer avait élaboré un premier projet qui se révélait déjà très progressiste. Il prévoyait une caisse nationale centralisée, des primes au prorata du salaire pour des prestations similaires, une participation des patrons de 100% dans l'assurance-accidents et de 50% dans l'assurance-maladie. Bien sûr, ce projet a déchaîné les protestations des organisations qui s'occupaient des caisses, qu'elles soient ouvrières ou patronales. Dix ans plus tard, le projet était modifié pour arriver à un compromis, finalement accepté par le parlement en 1899. Or, on se retrouve aujourd'hui, cent ans plus tard, dans la même situation: le compromis a été attaqué en référendum par les milieux libéraux conservateurs de Suisse romande, associés à la droite catholique; il a été soumis au peuple et le peuple l'a malheureusement rejeté à 70% des votants. Il y a cent ans, les arguments - qui seront certainement donnés tout à l'heure par les opposants - mettaient déjà en avant les tracasseries inutiles, un dangereux centralisme, un abus de bureaucratie...
Ces arguments ont eu gain de cause à l'époque, j'espère qu'ils n'auront pas gain de cause aujourd'hui. Je me tourne donc vers les radicaux ce matin: j'espère qu'ils feront honneur à leur génial ancêtre en votant ce projet de loi qui va dans le bon sens, même si nous sommes encore loin du but, et je vous invite tous à voter ce projet de loi tel qu'il a été adopté par la majorité de la commission. J'aurai des amendements à vous proposer tout à l'heure, mais qui sont d'ordre purement formel.
Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse de minorité. Heureusement que le cas traité aujourd'hui n'a pas été envoyé au service des urgences: je pense que l'actuel président du DASS aurait eu un mauvais point s'il avait mis sept mois pour arriver à le traiter ! Nous avons en effet terminé nos travaux en commission il y a sept mois et sept mois de délai, c'est quand même beaucoup ! Alors, qu'a fait la commission de la santé? Elle a fait une anamnèse satisfaisante, un examen clinique approfondi, un diagnostic - c'est-à-dire une identification par les symptômes - des plus poussés, pour arriver à prescrire un remède miracle, une véritable illusion...
M. Segond avait coutume de dire que la santé n'a pas de prix mais qu'elle a un coût. Ce coût ne laisse personne indifférent, il fait parler de lui quotidiennement, il concerne chacun d'entre nous. Depuis l'annonce, une fois encore, de l'augmentation des primes, les commentaires, les analyses, les éventuelles recettes pour essayer de lutter contre cette terrible inflation fusent de toutes parts. Le groupe socialiste s'y est aussi attelé et propose, dans un but sans doute louable, de créer une caisse maladie cantonale. Je dis louable, parce que ce sujet devait être étudié, parce que problème il y a réellement, parce que la population n'est pas satisfaite. Ce projet a ainsi eu le mérite de mettre sur la table des questions pertinentes sur la manière dont sont calculées les primes d'assurance-maladie. Mais le projet de loi qui nous est proposé répond-il à la demande réelle de baisse des primes? Examinons ce qui nous est proposé. En plus de toutes les caisses existantes, le projet de loi 8300 propose une nouvelle caisse, étatisée, dans laquelle l'Etat met 7 millions, qui serviront de réserves, et qui, en plus, sera garantie sans limite par l'argent des contribuables. Mesdames et Messieurs les députés, est-ce bien raisonnable et, surtout, est-ce efficace? Le monde politique, dans son utopie, pense-t-il qu'il va ainsi faire baisser les coûts de la santé? Comme l'a dit Mme Blanchard-Queloz avec justesse, ces coûts sont élevés et elle a donné certaines des raisons pour lesquelles ils sont élevés, comme l'augmentation de la probabilité de vie, l'âge de la population. Mais le projet de loi n'étudie pas le problème en amont, il donne une recette simpliste: confions à l'Etat, qui fera mieux que les privés. A cet égard, je tiens quand même à donner un contre-exemple: chez les assureurs maladie, les frais administratifs sont en moyenne de 6,5%, à la SUVA, la caisse nationale d'accidents, ils sont de 8%...
D'autres projets, peut-être plus ambitieux, voient le jour un peu partout. Je vous rappelle que le POP vaudois propose de ne créer qu'une seule caisse publique, une sorte de Sécu nationale. L'initiative de l'AdG a récolté bien des signatures. L'UDC, sur le plan bernois, lance aussi en ce moment des pistes. En l'occurrence, une question doit quand même être posée: voulons-nous garder une médecine de qualité, désirons-nous maintenir une médecine de haut niveau, pouvons-nous continuer à garantir le choix du médecin? Pour ma part, je réponds oui. Concernant ce qu'a dit Mme Blanchard-Queloz, il me semble qu'elle n'a pas relevé deux points importants: quel impact psychologique aurait la création d'une caisse étatisée? Je crains qu'au contraire de ce que vous espérez elle soit une incitation à récupérer des impôts en consommant davantage, faisant perdre ainsi aux malades le sens des responsabilités individuelles. En plus de cela, on crée une inégalité de traitement flagrante, puisque les caisses, qui doivent équilibrer leur budget, n'ont pas d'aide de l'Etat, alors que celle-là aurait une garantie totale de l'Etat. Ensuite, cette caisse, vous l'avez vu, pense prendre en charge tous les cas difficiles. Comment s'en sortira-t-elle?
Par ailleurs, la loi qui vous est proposée n'est pas claire. Il est indiqué qu'elle peut proposer des prestations complémentaires, ce qui veut dire en bon français qu'elle est libre, soit de sous-traiter ces prestations, soit de les fournir. Qui compensera donc les mauvais risques? Lors de la dernière lecture de la loi en commission, l'Alternative a amendé l'article 8, qui était effectivement quelque peu effrayant puisqu'il était ainsi libellé: «L'Etat accorde à la caisse genevoise une garantie illimitéede ses déficits éventuels.» L'adjectif illimité a été biffé, mais cela change-t-il le fond du problème? Au moment où on garantit un déficit, la notion d'«illimité» est forcément incluse. On assiste donc ici à une sensible augmentation de l'implication de l'Etat et c'est réellement un choix de société qui vous est proposé aujourd'hui, Mesdames et Messieurs.
La plupart des économistes de la santé sont d'avis qu'une caisse unique n'apporte pas de bonne réponse à la problématique des coûts de la santé. La caisse unique, ou la caisse d'Etat conduit forcément à la perte de la liberté de choix de l'assureur maladie dans le cadre de l'assurance de base; à la perte du libre choix de modèle d'assurance alternatif et des rabais sur les primes qui en découlent. Elle conduit aussi au risque de rationnement en assurance de base et à se détourner d'instruments efficaces de maîtrise des coûts. Par ailleurs, rien n'empêchera cette caisse unique d'abuser de sa position dominante en accroissant les primes. Que dire aussi de la situation inextricable de l'Etat, tant politique qu'économique, qui se retrouve aussi bien dans le camp des fournisseurs de prestations, via les hôpitaux par exemple, que dans celui qui paie les prestations fournies? Bonjour les mécanismes de contrôle de dépenses, alors que l'Etat garantira dans les deux cas les déficits ! Comme juge et partie, on ne fait pas mieux. Les dérapages sont programmés, sans parler de l'opacité des mécanismes et de l'absence de flexibilité due à une gestion politisée de l'établissement inhérente à tout étatisme.
En conclusion, la caisse unique ne répond pas au vrai problème que pose la politique de la santé, qui est celui de la maîtrise des coûts dans un environnement de responsabilité personnelle, de qualité et de sécurité d'approvisionnement médical. Un régime de liberté et de concurrence contrôlée semble bien plus apte - moyennant, vraisemblablement, des améliorations dans le financement des hôpitaux et dans les rapports entre fournisseurs de prestations et assureurs - à atteindre cet objectif. C'est pourquoi je vous recommande de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi.
Mme Ariane Wisard (Ve). Les Verts sont satisfaits de voir aboutir ce projet de création d'une caisse cantonale d'assurance-maladie. Cependant, nous sommes conscients que cela ne résout ni le problème du coût de la santé, ni celui des hausses des primes. Actuellement, les primes d'assurance-maladie grèvent lourdement le budget des habitants de notre canton, spécialement celui des familles, et une grande partie d'entre eux ont perdu confiance dans le système suisse d'assurance-maladie. Des assurances, il faut le dire, immensément riches qui pratiquent une politique du profit des plus opaques: ainsi, le cumul des réserves s'élèverait à 10 milliards et nous ignorons où sont investis ces capitaux et leurs produits. Ces bénéfices devraient normalement pallier les augmentations des primes. Des assurances dont les coûts administratifs ont explosé en dix ans, faisant plus que doubler en passant de 929 millions à près de 2 milliards. Des assurances dont le pouvoir ne fait que grandir et qui nous poussent vers une politique de la santé basée de plus en plus sur les seules lois du marché.
Dès lors, il est intéressant de pouvoir offrir une alternative à la population genevoise, en créant une caisse maladie sans but lucratif qui pratique une gestion des coûts transparente et qui s'engage à limiter ses frais administratifs. Une surveillance administrative exercée par le Conseil d'Etat ainsi qu'une information régulière du Grand Conseil sur la gestion et les finances de la caisse permettront d'avoir un contrôle parlementaire essentiel. Nous pourrons ainsi mettre en regard les augmentations des coûts de la santé avec celles des primes. Car, malgré un réel effort pour stabiliser les coûts de la santé à Genève, les primes augmentent de façon aussi constante qu'indécente, sans qu'on puisse obtenir d'explications claires de la part des assureurs.
Quant au montant unique de 7 millions pour la création de cette caisse, constituant la réserve minimum obligatoire afin d'être en accord avec la LAMal, il impressionne moins les Verts que certains montants, parfois beaucoup plus importants, demandés pour des infrastructures routières à destination d'une frange plus limitée de la population...
Le vrai problème reste cependant posé, à savoir l'avenir du financement de la santé dans notre pays et un meilleur contrôle des coûts, en respectant le principe de solidarité entre tous et en rejetant des solutions qui nous amèneraient inévitablement à une médecine à deux vitesses. Les solutions doivent être trouvées au niveau fédéral. Les Verts privilégient le principe d'une prime proportionnelle au revenu et soutiennent l'initiative fédérale du parti socialiste «La santé à un prix abordable». Par ailleurs, nous continuerons notre politique de prévention, en combattant la malbouffe, l'exclusion, la pollution en général, ainsi que les méfaits de la mondialisation et le stress engendré par notre mode de vie citadin, à l'origine de nombreuses pathologies. C'est aussi cela la lutte pour une maîtrise des coûts de la santé. Dans l'intervalle, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous recommandons d'approuver cette loi. (Applaudissements.)
M. Albert Rodrik (S). Une des dernières phrases de Mme Hagmann était : «Il vaut bien mieux la liberté avec une bonne concurrence.» Voilà la chansonnette depuis 1994 du remède LAMal, qui devait fonctionner dans la liberté et avec une saine concurrence. Je n'aurai pas la cruauté de décrire le tableau devant lequel nous nous trouvons aujourd'hui !
La rapporteure de majorité nous a rappelé que, dans les confins de la fin du XIXe siècle, l'assurance-maladie, comme le travail des enfants dans les fabriques, était l'ancêtre de notre sécurité sociale. Cet ancêtre a commencé comme ses enfants, c'est-à-dire par une claque. Pour l'AVS, il en a fallu deux. J'en passe et de meilleures. Pour l'assurance-maternité, on ne les compte même plus, cela va sur les deux côtés du visage. C'est toute l'histoire de la sécurité sociale de ce pays, où, pour faire le moindre petit pas, il faut s'y prendre à trois fois, avec la hantise derrière la tête du tricheur, de l'incommensurable tricheur qui fait que, avec la complication administrative, il ne faut pas exercer la solidarité.
Qu'est-ce que nous avons fait avec la LAMal? Nous avons effectivement évité de crever avec la loi de 1911, qui ne répondait plus à aucun besoin et ne répondait plus à aucun mécanisme. A partir de là, nous nous sommes trouvés face à de nombreux problèmes, ce qui, il est vrai, ne met peut-être pas en cause le fondement de la LAMal, mais il n'empêche que notre peuple finit par la vivre comme une calamité quotidienne, parce qu'elle l'empêche de nouer les trois bouts et elle l'empêche de pouvoir faire fructifier le petit salaire qu'il pourrait avoir parce qu'une trop grosse partie y passe en raison d'un financement inepte.
Qu'est-ce que la LAMal a fait? Elle a créé un shérif, un shérif de la santé que sont les assureurs maladie, qui se prétendent représentants des assurés et qui prétendent réglementer le domaine de la santé. Ne se sont-ils pas baptisés «santésuisse», en parodiant «economiesuisse» bien entendu?
Les gouvernements cantonaux ont une légitimité politique. Les professionnels de la santé ont une légitimité académique et professionnelle. Les assureurs maladie n'ont aucune légitimité et nous ont administré la preuve de leur incompétence en jouant avec notre argent. Alors, aujourd'hui, la proposition qui vous vient du groupe socialiste n'a pas du tout la prétention de remédier à tout cela, y inclus aux besoins de prise en charge, y inclus aux comportements socio-démographiques des patients, sur le dos desquels on place toute la responsabilité - c'est devenu la mode ! C'est parce que les malades se comportent mal que l'assurance-maladie va mal ! N'est-ce pas, Mesdames et Messieurs?
Ce que nous vous disons aujourd'hui, c'est que l'on ne va pas s'en sortir, à moins d'avoir une caisse maladie, une, quelque part, dont on connaisse les mécanismes, grâce à laquelle on comprenne l'usage qui peut être fait de la LAMal, qui ait un minimum de transparence. C'est tout ! Nous n'avons pas de remède miracle, nous n'avons pas le deuxième et le troisième volet de l'initiative mirifique de l'Alliance de gauche. Nous vous disons simplement, Mesdames et Messieurs, que tant que nous ne verrons pas nous-mêmes, en étant au-dedans de la gestion, nous ne comprendrons jamais la chansonnette qu'ils nous chantent depuis six ans. Nous ne verrons jamais où passe l'argent des assurés et, indirectement, où passe l'argent du contribuable par les subsides aux assurés à revenus modestes. C'est de cela qu'il s'agit, Mesdames et Messieurs. Il n'est pas question d'amender les comportements des patients. Il n'est pas question de porter remède aux tares fondamentales de la LAMal, même si elle nous a originellement sauvés de la loi de 1911. Mais il s'agit de dire enfin: «Au fait, que devient l'argent des assurés, que devient l'argent des contribuables, et pourquoi nous trouvons-nous dans cette situation?» Il ne s'agit, Mesdames et Messieurs, ni plus ni moins que de cela et si nous avions un minimum de bon sens, nous pourrions faire ce pas modeste.
Je signale simplement en guise d'exemple que le canton de Bâle-Ville, même sous l'ancienne LAMA, avait une caisse publique. Elle n'a pas éradiqué les autres caisses. Il n'est pas question aujourd'hui de les éradiquer, mais de faire un exercice qui nous assure une chose: est-ce que nous voulons savoir, est-ce que nous voulons comprendre ce que l'on fait de l'argent des assurés et de l'argent du contribuable? (Applaudissements.)
M. Jacques Follonier (R). Il est vrai que la transparence est importante, très recherchée dans le cadre des caisses maladie, et que le groupe radical l'a plusieurs fois demandée. Cependant, il ne faut pas être naïf... L'étude qui a été menée dans le cadre de ce projet de loi est relativement simpliste, à plusieurs titres. Tout d'abord, on s'aperçoit que les complémentaires n'ont pas été étudiées. Or, on sait que, s'agissant de la transparence, un des problèmes majeurs est le passage de l'argent de la caisse d'assurance de base à la caisse d'assurance complémentaire. Il y a déjà là une distorsion qui n'amènera pas la transparence souhaitée avec cette caisse.
Deuxièmement, on n'a absolument pas parlé de l'assurance-accident. Or, l'assurance-accident est nécessaire, ne serait-ce que pour les enfants et pour les chômeurs, je vous le rappelle.
Puis, dans toute cette affaire, il y a quelque chose d'absolument ahurissant, c'est que trois problèmes très concrets ont été oubliés. Est-ce une omission de la part des personnes concernées ou est-ce une volonté? Quoi qu'il en soit, il faut savoir, concernant la fixation des primes de caisse maladie, que l'OFAS fixe la prime de la caisse cantonale ou de la caisse maladie, quelle qu'elle soit, lors de sa création. N'imaginez pas une seconde, Mesdames et Messieurs, que vous pourrez fixer une prime au montant que vous souhaitez: toutes les caisses qui se sont créées se sont retrouvées avec des primes extrêmement élevées, parmi les plus hautes du pays, respectivement du canton. Dès lors, avec cette caisse nous n'aurons pas atteint nos objectifs. Au contraire, l'OFAS nous obligeant à fixer des primes de l'ordre de celles de l'Helsana - puisque c'est celle qui est calculée en moyenne - nous nous retrouverons largement au-dessus de la moyenne genevoise, ce qui nous exposera à de vives critiques de la part de la population.
Le deuxième oubli, c'est santésuisse. Santésuisse s'est bien gardé de nous dire la chose la plus importante, à savoir si elle acceptera cette caisse cantonale dans le fonds de compensation. Beaucoup ici connaissent le système du fonds de compensation, mais je vais le rappeler en deux minutes, car c'est important. Le fonds de compensation permet aux caisses de récupérer certains montants lorsqu'elles ont des mauvais risques, par rapport aux caisses qui ont des bons risques. C'est une sorte d'équilibrage pour éviter que les caisses recherchent les bons risques uniquement. Il y a fort à parier que dans notre caisse cantonale genevoise, si on la créait, il y aurait une majorité de cas lourds et, sans l'apport du fonds de compensation, cette caisse maladie n'aurait aucun avenir, sauf à devoir irrémédiablement y mettre de l'argent. De la même manière, le souhait concernant la transparence ne serait pas réalisé, puisque l'échantillonnage des assurés de cette caisse ne serait pas représentatif.
Enfin, il y a le point des réserves. A ce sujet, j'ai entendu des chiffres ahurissants, à savoir 5 à 7 millions, mais ce ne sont les bons, Mesdames et Messieurs les députés. On compte en moyenne 1000 F de réserves par assuré: si cette caisse maladie genevoise provoque vraiment l'engouement qu'on lui souhaite et qu'elle arrive à 100 000 assurés, c'est 100 millions de réserves qu'il faudra trouver ! Or, je ne suis pas persuadé que le canton ait les moyens de les mettre. Je vous rappelle que ces réserves ne sont pas une simple garantie, un simple papier garantissant ce montant, mais qu'elles doivent réellement être mises à disposition.
Au vu de tout cela, je me permets de dire que nous n'avons pas à jouer les apprentis sorciers, que nous risquons de mettre en place quelque chose d'extrêmement tentaculaire, parce que nous n'avons pas les compétences requises pour le faire. Le groupe radical vous propose donc de refuser purement et simplement ce projet de loi. (Applaudissements.)
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Je crois que le constat est effectivement partagé par tous. L'explosion des primes chaque automne provoque l'irritation des citoyens genevois et c'est bien normal. Chacun y va donc de sa petite recette pour proposer une diminution des coûts de la santé et des primes maladie...
La loi qu'on nous propose de voter aujourd'hui a une ambition: faire la démonstration, par le biais d'une politique de la transparence, des limites de la LAMal. A cet effet, on nous propose la création d'une caisse qui permettra cette transparence, mais de quelle transparence parlons-nous exactement? Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs, que le profil des assurés de cette caisse ne sera pas tout à fait le même que ceux des autres caisses, qu'elle aura notamment un public captif qui modifiera ce profil. On n'arrivera donc à tirer aucune conclusion de cette transparence souhaitée.
La rapporteuse de majorité relève les limites de la LAMal et semble avoir une petite idée des solutions à y apporter lorsqu'elle nous parle de la concurrence entre caisses qui contribuerait à faire augmenter les coûts de la santé et les primes. En l'occurrence, la solution qu'on nous propose est un peu particulière: on nous dit qu'il y a trop de caisses, qu'il y a trop de concurrence entre les caisses, et on nous propose d'en créer une supplémentaire ! Permettez-moi de douter de la pertinence de cet argument...
Le groupe démocrate-chrétien souhaite évidemment chercher des solutions pour faire baisser les coûts de la santé et les primes maladie des Genevois, mais il a de forts doutes sur la pertinence de ce projet de loi pour y parvenir. Tout d'abord, nous doutons qu'on puisse baisser les primes à travers une caisse qui étend le catalogue des prestations. Comment baisser les coûts de la santé lorsqu'on étend le catalogue des prestations? De plus, comme je l'ai dit, on crée un public captif constitué notamment de personnes dans le besoin, à qui on imposera des primes qui, par définition, ne seront pas les plus basses du canton, puisqu'on voit difficilement comment cette caisse pourra parvenir à proposer les primes parmi les plus basses du canton.
Par ailleurs, toute une autre série de questions n'ont pas été tranchées en commission, comme par exemple la question des personnes domiciliées hors du canton, la garantie du déficit par l'Etat, ou encore la conformité juridique de ce projet de loi.
Le but d'une telle loi, pour les démocrates-chrétiens, devrait effectivement être de diminuer les primes d'assurance-maladie des Genevois, mais cette loi ne pourra visiblement pas atteindre ce but. Du reste, les auditions ont montré que l'ASSUAS notamment, qui défend les assurés genevois, est contre ce projet.
Cela étant, on voit, derrière ce projet de loi, se profiler la création d'une caisse unique et qui dit caisse unique dit finalement primes en pourcentage du salaire. Le groupe démocrate-chrétien n'est pas près d'aller dans cette direction.
En conclusion, ce projet ne permettra pas de diminuer les coûts. Il reviendra simplement à créer une caisse supplémentaire, avec des coûts supplémentaires pour l'Etat qui n'ont pas été évalués et que l'Etat ne pourra certainement pas assumer. Le groupe démocrate-chrétien constate que c'est une mauvaise réponse à un vrai problème et, par conséquent, n'entrera pas en matière sur ce projet.
M. Blaise Bourrit (L). Mme Blanchard-Queloz, en défendant le projet qui nous est présenté, a mentionné deux avantages précieux à ses yeux, le premier étant la garantie de l'Etat pour faire diminuer les réserves, et le second étant le contrôle de la caisse par les assurés pour voir, de l'intérieur, comment se fait la gestion d'une caisse. Ces deux principes, qui me paraissent aussi importants, sont entièrement remplis par l'initiative qu'ont justement prise les assurés et les soignants, qui s'appelle l'initiative RAS et que je vous encourage à signer et à faire signer le plus loin possible, car elle intègre entièrement les avantages que vous décrivez.
Pour ma part, je vois un autre avantage à ce projet, c'est la mutualité. Il y a trente ou quarante ans, beaucoup de caisses étaient des mutuelles; avec l'apparition des complémentaires et le mélange des genres, on a perdu le sens de la mutualité. S'il y a un avantage à ce projet de loi, c'est celui de la mutualité.
Par contre, je lui trouve deux défauts majeurs, qui font que j'y suis opposé. Le premier est le risque économique pour l'Etat. D'une part, la garantie est illimitée: même si on a soigneusement et modestement supprimé le mot illimité dans le projet de loi, dans les faits ce sera quand même une garantie illimitée. D'autre part, seront membres automatiques les mauvais risques, les gens affiliés d'office, comme les chômeurs, les requérants d'asile, etc., toutes personnes stressées qui consomment beaucoup de médecine. Ensuite, la possibilité de prendre en charge des prestations complémentaires, comme on vous l'a expliqué tout à l'heure, est aussi un risque de pertes pour l'Etat. Enfin, un article mentionne la possibilité d'ouvrir cette caisse à des assurés d'autres cantons: l'Etat garantirait ainsi le déficit pour des personnes d'autres cantons, ce qui est le comble.
Le deuxième défaut majeur du projet est la double déresponsabilisation de l'assuré. D'une part, vous savez que l'assuré, quand il paie plus de primes, a tendance à consommer plus pour en avoir pour son argent. Dès le moment où il saura qu'il contribue par ses impôts à la gestion de cette caisse, il aura encore plus tendance à consommer et à profiter du système. D'autre part, cette nouvelle assurance cantonale introduit le tiers payant: comme chacun sait, le patient, dans ce cas-là, ne voit pas passer les factures et c'est un motif de déresponsabilisation supplémentaire.
M. Rodrik a évoqué les malades qui, selon certains, se comporteraient mal... Vous savez qu'à Genève, bien qu'il y ait un nombre de médecins considérable, on a du mal à consulter un gynécologue ou un psychiatre, cela parce que les patients se comportent de manière irresponsable et consultent les médecins quand ils ne sont pas malades. Pour juguler l'augmentation des primes - car on ne pourra pas diminuer les primes - pour ralentir l'augmentation des primes, la seule chose à faire, c'est, en amont, en responsabilisant les patients.
Dans le dernier bulletin médical des Anglais, le «British Medical Bulletin», qui est extrêmement lu à travers le monde, on a classé les vingt non-maladies pour lesquelles les gens consultent. Cela reflète absolument ce que nous voyons en tant que médecins à Genève. Voici, dans l'ordre décroissant, les vingt non-maladies jugées les plus importantes par les experts de ce journal: le vieillissement, le travail, l'ennui, les poches sous les yeux, l'ignorance, la calvitie, les rides, les grandes oreilles, les cheveux gris ou blancs, la laideur, la naissance, l'allergie au XXIe siècle, le jetlag, le malheur, la cellulite, la gueule de bois, l'anxiété sur la taille du pénis, la grossesse, la violence sur la route, la solitude... Ce ne sont pas des plaisanteries, ce sont vraiment des motifs de consultation ! Et vous pensez bien que, quand on ne trouve pas la raison pour laquelle ces gens se plaignent de ces pseudo-maladies et qu'on fait de nombreuses investigations pour essayer de trouver une solution, cela coûte cher à la société.
Mesdames et Messieurs, ce projet de loi a certainement des qualités, mais il a aussi deux gros défauts, qui sont de déresponsabiliser le patient et de mettre en danger la santé économique du canton de Genève. Je vous propose donc de le refuser.
M. Jean Spielmann (AdG). Je commencerai par répondre à la dernière intervention. La déresponsabilisation des gens est effectivement un des arguments qui est avancé pour s'opposer à ce projet. Permettez-moi de vous dire, Mesdames et Messieurs, que si votre façon de responsabiliser les gens, c'est de continuer dans la direction dans laquelle nous allons aujourd'hui, ce n'est pas forcément la bonne voie...
Dans ce canton, aujourd'hui, l'Etat paie la totalité des cotisations de caisse maladie pour 23 000 personnes qui n'ont pas les moyens de les payer et qui ne voient donc pas le montant de ces cotisations. Est-ce une façon de les responsabiliser? Si on ajoute plus de 100 000 personnes dont l'Etat paie une partie des cotisations, nous voilà déjà à 46 millions de dépenses, simplement pour pallier l'insuffisance des revenus d'une partie de la population. Votre façon de responsabiliser les gens, c'est donc d'en faire des assistés... Mais ce qui est surtout intéressant, pour vous, c'est que l'argent de l'Etat, l'argent public, aille directement aux caisses maladie. Et là se pose le vrai problème de fond, celui du fonctionnement de ces caisses, celui de la situation des assurances sociales dans ce pays. Il est bien sûr difficile, en quelques minutes, de faire le tour du problème, mais permettez-moi d'en rappeler les axes principaux.
Premièrement, quand nous avons voté sur l'Espace économique européen, le Conseil national avait décidé de modifier un certain nombre de lois, dont celles sur les assurances sociales, pour qu'elles soient conformes au droit européen. En effet, le point où nous avons des divergences fondamentales avec les autres pays européens, c'est que notre pays ne connaît pas de sécurité sociale, ne connaît pas un véritable pilier social pour l'ensemble de la population, et nous devions donc changer les lois dans ce sens. Malheureusement, après le rejet par le peuple, ces lois ont été retirées. Depuis, on a mis en place la LAMal et, le soir du vote de cette LAMal, les citoyens suisses ont pu entendre la conseillère fédérale dire que les choses allaient changer, que le peuple suisse devait apprendre à faire son marché dans le domaine des assurances. Concrètement, cela veut dire changer de caisse chaque fois que l'assuré trouve une caisse moins chère, comme le Conseil d'Etat a incité la population à le faire. Or, on sait qu'en réalité les gens n'ont pas envie de changer - heureusement d'ailleurs et je m'en expliquerai.
Cela rappelé, une série de problèmes de fond se posent. Premièrement, la loi n'est pas respectée, les caisses maladie ne sont pas contrôlées. Il n'y a aucun contrôle de l'OFAS et de l'Etat sur la gestion des caisses, tout simplement parce qu'ils n'obtiennent pas les réponses nécessaires et qu'ils n'ont pas les moyens d'investigation pour contrôler ces caisses - je ne parle pas des réserves, mais du simple contrôle. Par ailleurs, notre pays connaît un nombre extraordinaire de caisses maladie, ce qui entraîne des problèmes de frais administratifs, dont certains intervenants ont parlé tout à l'heure. Il faut savoir qu'en Suisse les frais administratifs dans les assurances et les caisses maladie, notamment, sont de 12% à 20% plus élevés qu'en Allemagne. Il est clair que tout ce que je viens d'expliquer - le nombre de caisses, les changements de caisses, les frais administratifs - pose des problèmes de fond, d'autant plus que la collectivité publique, comme le canton de Genève, qui injecte 46 millions de francs pour les caisses maladie, n'a aucun contrôle de ce qui se fait avec cet argent. Partant de là, cela me semble quand même un postulat simple que de vouloir la transparence, de savoir pourquoi les cotisations explosent de cette manière. Et pour avoir une réponse, nous proposons de créer une caisse différente.
Evidemment, c'est au niveau fédéral qu'il faudrait intervenir, c'est la LAMal qu'il faudrait changer. Mais, au niveau de notre canton, il est aussi possible de changer les choses. Bâle l'a démontré. Le canton de Bâle-Ville a mis en place une assurance publique qui, contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure, a montré qu'il était possible de gérer une caisse maladie avec des postulats simples, à savoir la transparence au niveau des cotisations et au niveau des dépenses et la limitation des cotisations. Cette caisse a en effet pour règle de ne pouvoir augmenter ses cotisations - je réponds là à la première interrogation de l'intervenant radical - que pour autant qu'elles restent inférieures de 10% à la moyenne cantonale. La caisse publique bâloise est ainsi la moins chère du canton et, par conséquent, elle n'attire pas seulement les mauvais cas: tous les assurés peuvent être intéressés à rejoindre une caisse meilleur marché.
L'autre élément que l'intervenant radical a critiqué tout à l'heure, c'est le problème des réserves. Le canton de Bâle, en instituant une caisse publique, a joué sur la pérennité de l'Etat et n'a pas eu besoin de dégager des réserves par centaines de millions de francs, contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure. En jouant sur la pérennité de l'Etat, il a pu réduire le coût administratif et le coût financier des réserves. Voilà un élément qui permet de réduire les coûts de manière intéressante en faveur des assurés.
S'agissant de l'équilibre des risques, il est bien clair que cette caisse publique genevoise ne reprendrait pas seulement les personnes qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins. Pour l'instant, l'Etat paie directement les cotisations de ces personnes à des caisses privées sur lesquelles il n'a aucun contrôle: autant qu'il les paye à la caisse publique. On pourrait très bien faire obligation à ceux qui bénéficient de l'aide de l'Etat de s'affilier à la caisse publique, ou alors de renoncer aux subventions du canton. Voilà qui ferait déjà 40 000 ou 50 000 assurés trouvés du premier coup. Mais cette caisse donnant la possibilité à chacun de profiter de cotisations moins chères, on n'y retrouverait pas seulement les cas les plus marginaux. Le problème de l'équilibre est forcément lié à l'offre: puisque c'est le marché qui commande, les gens choisiront forcément la caisse où les cotisations sont moins chères...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député...
M. Jean Spielmann. Je conclus, Monsieur le président, en disant qu'en revanche il manque dans ce projet de loi des dispositions qui précisent le cadre dans lequel cette loi doit être mise en place. Mais, là-dessus, le peuple aura l'occasion de se prononcer, puisque nous avons déposé une initiative populaire en faveur d'une caisse publique, avec le cadre réglementaire nécessaire pour le transfert des gens qui touchent aujourd'hui des subventions de l'Etat et pour la fixation de primes inférieures à la moyenne du canton.
Voilà les orientations que nous proposons. Elles respectent la LAMal et le canton de Bâle a démontré qu'il était parfaitement possible d'aller dans cette direction. Je reviendrai dans une deuxième intervention pour compléter les réponses aux diverses interventions qui ont été faites sur ce projet qui, en l'état, est un bon projet, une bonne base.
M. Christian Brunier (S). Mesdames et Messieurs, ce débat a un avantage: les différents partis sont en train de se révéler... Je rappelle que, lors de la campagne électorale pour la dernière législature, l'ensemble des partis avaient souligné que le problème de l'assurance-maladie était un problème majeur de notre société. D'ailleurs, durant la dernière législature, nous avons très souvent voté des actions symboliques à l'unanimité. Voter des actions symboliques, c'est bien, voter des projets concrets, c'est mieux ! Or, aujourd'hui, nous constatons que, lorsqu'il faut passer à l'action, lorsqu'il faut réaliser des projets qui auront un impact sur la population, un bon nombre d'entre vous se dégonflent.
La création de cette caisse maladie publique - publique et non en monopole - permettra de travailler sur une caisse sans but lucratif, qui agit dans la transparence et qui satisfait en premier lieu les citoyennes et les citoyens, avant de satisfaire des actionnaires. C'est un des outils - je dis bien un des outils - pour lutter contre l'augmentation des coûts de la santé.
Mme Hagmann demande quel impact la création d'une caisse maladie publique aura sur la population. Vous avez raison de vous inquiéter, Madame Hagmann: l'impact, ce sera la condamnation de votre politique, la politique du libéralisme économique, qui est un échec total en matière de santé. La population constatera, a déjà constaté que la concurrence effrénée entre les caisses maladies, sans contrôle ou avec peu de contrôle, ne produit rien de bien.
M. Follonier, lui, nous déconseille de jouer aux apprentis sorciers. M. Spielmann vient de démontrer que nous ne serons pas les premiers: il y a déjà eu des essais, avec des résultats intéressants. Donc, premièrement, nous ne jouons pas aux apprentis sorciers. Deuxièmement, dans votre intervention, Monsieur, vous illustrez quand même un immobilisme politique qui est très dommageable et dont la population actuellement souffre. Il est difficile, là nous sommes tous d'accord, de lutter contre l'explosion des coûts de la santé, il faut donc tout essayer et la création d'une caisse publique est un des moyens, je le répète, un des moyens pour essayer de les juguler.
Bien sûr, la caisse publique n'est pas le remède miracle et nous l'avons tous dit. Néanmoins, c'est un remède qui s'inscrit dans une série de mesures qui sont connues. La première est l'initiative du parti socialiste suisse en vue de fixer des primes proportionnelles aux revenus, ce qui est bien la moindre des choses. Or, vous, la majorité parlementaire, vous opposez à cette initiative, à ce remède. Un autre moyen est d'interdire la publicité des médicaments, comme le proposent les Verts au niveau national. Là aussi, la majorité bourgeoise s'oppose à cette proposition. Un autre moyen est de mettre en place un meilleur contrôle des caisses maladie. A cela aussi, au niveau national, les partis de droite et d'extrême droite s'opposent. Vous vous opposez à tous les moyens d'améliorer la santé publique dans ce pays; aujourd'hui vous allez faire de même et cela est très dommageable pour la population.
Mme Hagmann surenchérit en disant qu'il faut croire les experts et ne pas mettre en place un système compliqué. Madame Hagmann, depuis des années, on croit les experts, on les laisse faire, on les a trop laissés faire... Depuis des années, c'est un échec et, aujourd'hui, la politique doit donc reprendre le dessus. C'est bien au niveau politique que nous devons combattre l'augmentation des primes maladie: nous ne devons plus laisser faire les experts.
En résumé, nous sommes face à un choix de société. Soit on contrôle mieux les coûts de la santé, on crée des caisses publiques, on freine le libéralisme effréné qui a actuellement cours au niveau de la santé publique, et là on a une chance de réussir. Soit ce sont les thèses les plus extrémistes qui passeront et on les connaît. L'UDC a été claire au niveau national: son objectif est de réduire drastiquement les prestations couvertes par les assurances maladie, c'est-à-dire de faire passer une nouvelle fois les contribuables à la caisse. Nous sommes face à un choix de société, prenez vos responsabilités, les citoyennes et les citoyens de ce canton jugeront ! (Applaudissements.)
M. Claude Aubert (L). Mesdames et Messieurs les députés, connaissez-vous l'espérance de vie d'une petite fille née en 2002? Son espérance de vie est de l'ordre de 100 ans. Par là, je veux poser ma première question: quel est le message que le parlement va donner à la population en parlant d'abaissement des coûts de la santé ou de réduction des coûts de la santé? Personnellement, je pense que c'est une mystification de dire que les coûts vont baisser. En réalité, le problème, ce n'est pas tellement les coûts: le problème, c'est le financement. Un de mes journaux préférés, «Domaine public», écrivait: «Globalement, les pouvoirs publics ne prennent plus en charge que 15% des coûts de la santé, alors qu'il y a vingt-cinq ans ils en assumaient 45%.» Il ne faut donc pas confondre le problème du financement et les coûts de la santé. Regardez ce qui se passe autour de nous: que fait l'Angleterre, qui était citée comme le pays modèle, quand elle constate que les personnes âgées attendent maintenant trois ou quatre ans pour se faire remplacer une hanche? L'Angleterre vient de décider un programme pour augmenter jusqu'à 9,4% du produit intérieur brut, sauf erreur, sa contribution à la santé ! C'est dire que, dans tous les pays occidentaux, la santé est un problème.
Ensuite, dans le débat sur ces questions, il y a toujours procès d'intention et méfiance. Quand un médecin parle des coûts de la santé, il est par définition suspect, de même pour un assureur... Par conséquent, il est extrêmement difficile de pouvoir discuter et d'assumer un certain nombre de positions.
J'en viens maintenant à ce qu'on appelle le courage politique. Entre 1996 et 1998, la Berne fédérale a diminué d'un milliard de francs sa contribution à la santé. Il fallait bien trouver ce milliard quelque part et au lieu de dire: «Bravo, nous assumons notre responsabilité», on a dit qu'il y avait des requins et on est parti à la chasse aux requins... Deuxième exemple: les EMS. Qui peut être contre le fait que les EMS soient pris en charge en partie par les assurances? A Genève, de 1995 à 2000, la part payée par les assurances a augmenté de 65 millions. Au lieu de dire: «Bravo, nous assumons notre responsabilité», on dit qu'il y a des requins et on part à la chasse aux requins... Le courage politique, ce serait aussi de se demander si, actuellement, il est encore possible d'avoir une différence politique entre les cantons et la Confédération. Vous savez qu'il y a des conflits cataclysmiques entre la Confédération et les cantons. Parce que personne ne peut se mettre d'accord, parce qu'il y a des conflits d'intérêts majeurs, chacun, dans tous les parlements, essaie de trouver les solutions miracles pour les coûts de la santé.
Par conséquent, je crois qu'il faut dire à la population que les coûts peuvent être maîtrisés, mais qu'ils ne vont certainement pas baisser. Deuxièmement, il y a un énorme problème de financement. Enfin, il y a un troisième problème: il faudra bien que cela se décide un jour entre les cantons et la Confédération, car on ne peut pas toujours faire en sorte que ce soit l'un ou l'autre, puis l'un contre l'autre...
En ce qui concerne ce projet de loi, tous ceux qui se sont exprimés ont dit des choses intéressantes, vues de leur point de vue. Personnellement, je trouve que ce projet, c'est, un peu comme au poker, payer pour voir... Dans ce sens, je ne voterai pas cette loi, parce qu'elle se réduit à payer pour voir. Si vous voulez que ce ne soit pas trop cher, il vous faut aller au service de l'assurance-maladie, où travaille peut-être encore l'ancienne secrétaire générale de la Fédération des caisses maladie: elle pourra certainement vous expliquer comment on fixe les prix. En l'état, ce débat est celui des relations entre la Confédération et les cantons et cet aspect doit absolument être pris en considération dans nos discussions.
M. Gilbert Catelain (UDC). S'agissant de l'état des lieux depuis l'introduction de la LAMal, la LAMal égale tout va mal, n'est-ce pas? Avec ce projet, Genève va aller à contre-courant. Depuis l'introduction de la LAMal, un tiers des caisses de ce pays ont disparu. Genève est marquée par une surconsommation médicale, une surpopulation médicale. Nous comptons, à Genève, une pharmacie au kilomètre carré ! Nous constatons une extension continue des prestations de l'assurance de base, une mise en difficulté des caisses en raison des changements d'affiliation sans les réserves. C'est ce qui se passe avec les personnes âgées qui, à Genève, vont devoir changer de caisse. Et, dans le même temps, le gouvernement socialiste français de M. Jospin a décidé, pour le budget 2003, de réduire l'enveloppe budgétaire de la santé de 5 milliards, au titre qu'il faut financer la RTT, c'est-à-dire les 35 heures... Donc, pas de cohérence entre socialistes en Europe ! (Exclamations.)
En ce qui concerne les frais administratifs, c'est l'argument massue de ce projet. Ces frais représentent actuellement, il est vrai, environ 7% des coûts. La LAMal a introduit deux facteurs d'augmentation des frais administratifs. D'une part, les coûts de correspondance pour demander les diagnostics aux médecins, qui se sont refusés à les envoyer systématiquement. Cela entraîne donc un coût supplémentaire pour les caisses. D'autre part, les changements d'affiliation en fin d'année ou en cours d'année. Ce projet de loi va du reste introduire un troisième facteur d'augmentation, c'est le conseil de fondation, prévu à l'article 9, qui aura des effets sensibles sur les coûts administratifs, car ce ne sera pas gratuit !
Au niveau des assurances complémentaires, ce projet prévoyait à l'origine que la prime de cette assurance complémentaire serait calculée en fonction de la capacité financière des gens, c'est l'article 4. Or, la LAMal prévoit que les assurances complémentaires doivent s'autogérer, qu'elles doivent être indépendantes, saines financièrement. Qui va donc payer?
Au niveau des prestations, ce projet de loi - dont les auteurs pourraient être qualifiés de supermenteurs - prévoyait, à l'article 8, d'intégrer de nouvelles prestations. Or, seule la Confédération est compétente pour intégrer de nouvelles prestations dans l'assurance de base.
Au niveau de l'incompatibilité entre gestion privée et intérêt des assurés, on a entendu deux députés de gauche dire notamment qu'il était scandaleux que les primes ne soient pas calculées en fonction des revenus. Je rappellerai qu'elles le sont partiellement, puisque, quand nous payons nos impôts, une partie va au financement des subsides des primes maladie et des hôpitaux. Finalement, une partie des coûts de la santé sont donc payés en fonction du revenu des personnes.
En l'occurrence, que se passe-t-il à côté de chez nous? En effet, on regarde le problème genevois-genevois, mais on pourrait regarder le problème franco-genevois, puisqu'il y a quand même 30 000 frontaliers qui travaillent sur Genève. Que se passe-t-il pour ces 30 000 frontaliers? Ils pourraient tous être assurés dans un système étatique qui est la Sécurité sociale. Pourtant, la grande majorité d'entre eux est assurée dans le privé et ils peuvent se faire soigner en Suisse et en France, grosso modo à 50% de la prime du Genevois. Je prends mon cas personnel: je paie environ 1000 F pour une famille de cinq personnes. Mon beau-frère, dans la même situation - marié, trois enfants - paie 500 F, sans aucune franchise et sans les 10% de participation aux frais, ceci dans une assurance privée, évidemment.
Concernant les solutions, il n'existe pas 36 000 solutions à ce problème des coûts de la santé, il est vrai qu'ils vont vraisemblablement continuer à augmenter. Dans le système de la LAMal, il existe deux ou trois solutions, à défaut de mettre en concurrence les prestataires de soins. D'une part, limiter les prestations; d'autre part, augmenter les franchises; enfin, revoir le financement des hôpitaux universitaires.
J'en appelle au bon sens, Monsieur Rodrik ! En clair: votez oui à l'initiative UDC, qui prévoit une assurance-maladie qui repose sur trois piliers: une assurance de base couvrant les coûts des prestations des soins médicaux, l'assurance complémentaire selon le droit des assurances sociales et le droit des assurances privées, et une assurance privée selon le droit des assurances privées. «Les assureurs en assurance-maladie offrent des prestations pour l'assurance de base et pour l'assurance complémentaire. Ils concluent des contrats de prestations avec des fournisseurs de prestations médicales qui répondent aux besoins de leurs assurés. Les assureurs en assurance-maladie n'ont pas le droit de participer à des fournisseurs de prestations et ces derniers n'ont pas le droit de participer à des assurances-maladie.» Et le troisième alinéa: «Les contributions de la Confédération et des cantons se montent à la moitié au maximum des dépenses de l'assurance de base, 10% au maximum des dépenses d'assurance complémentaire selon le droit des assurances sociales.»
La deuxième solution, c'est une révision en profondeur de la LAMal, avec un contrôle fédéral qui soit conséquent, avec des instruments appropriés.
Je reviens donc à ce qu'a dit M. Rodrik: c'est vrai, la LAMal actuellement est une calamité et le groupe UDC vous propose donc de rejeter ce projet de loi, qui est une fausse solution à un vrai problème.
M. Dominique Hausser (S). Je ne répondrai pas aux inepties du dernier intervenant ! En revanche, je suis enchanté d'entendre l'ex-président de l'Association des médecins genevois aujourd'hui député, M. Aubert, qui tient un discours parfaitement clair et qui signale où se trouvent les principaux problèmes. Il a mis du temps, mais il a fini par comprendre qu'effectivement politique de santé et financement de cette politique étaient deux volets distincts. Il a raison: quand on parle d'assurance-maladie, on ne parle pas de politique de la santé, mais de financement de celle-ci. Il a raison aussi quand il dit qu'il y a des tensions entre la Confédération et les cantons. Il a raison encore quand il dit que la santé, ou que les prestations de soins plus généralement ne vont pas forcément diminuer à l'avenir. Elles ne vont peut-être pas augmenter par personne, par citoyen, mais elles vont augmenter parce que le nombre de citoyens augmente, parce que leur durée de vie augmente. En l'état, son argument consistant à dire qu'il ne paie pas pour voir, je le comprends et je l'accepte.
Quant au discours du président actuel de l'AMG, par ailleurs député, M. Bourrit, il est probablement lié au fait que M. Bourrit est plus jeune et surtout qu'il a une autre spécialité. Vraisemblablement, le fait de pratiquer telle ou telle spécialité fait la différence dans les discours des professionnels ou des prestataires de soins, parce que les recettes peuvent être différentes. M. Bourrit a écrit il y a quelques jours qu'il soutenait l'initiative des socialistes, parce que ceux-ci avaient raison de défendre des primes proportionnelles au revenu. Mais, parallèlement, il dit qu'il faut diminuer les prestations couvertes par l'assurance obligatoire, sous-entendu - mais cela, il a oublié de le dire - qu'il y a des prestations de soins probablement nécessaires, mais qui rapportent: autant qu'elles soient couvertes autrement, de sorte que certains prestataires de soins échapperaient au contrôle de l'Etat, alors que leur prestation est finalement un service public.
J'ai aussi entendu M. Follonier, pharmacien, dire que ce projet de loi n'était pas intéressant, parce qu'il ne couvrirait que les mauvais risques. M. Bourrit l'a dit aussi d'ailleurs... Comme s'il y avait des bons et des mauvais risques, comme s'il n'y avait pas simplement des citoyens qui vivent leur vie et qui, ma foi, traversent leur existence avec plus ou moins de chance. Doit-on les cataloguer en risques, bons ou mauvais, traduisibles en dollars, ou en euros, ou en francs suisses? Le fonds de compensation, bien qu'imparfait, existe pour essayer de corriger les déséquilibres: c'est vrai, c'est un emplâtre.
S'agissant des complémentaires, la caisse publique que nous proposons ne fournit pas de prestations complémentaires autrement que comme un guichet unique, un service. Cette caisse ne va pas mettre en place un système de complémentaires, mais si des gens souhaitent être assurés pour telle ou telle prestation, la caisse pourra répondre que, oui, cette possibilité existe, qu'elle a passé des accords avec des assurances privées, régies, elles, par d'autres lois. Quant à la LAA, elle fait partie de cette caisse publique par définition, puisque la LAMal l'impose.
Concernant les réserves et les mécanismes de garantie, il ne s'agit pas de mettre 1000 F par personne, ou 100 millions pour 100 000 Genevois assurés... Nous avons besoin d'une réserve de départ, mais nous proposons, pour éviter ce stockage des réserves qui a lieu actuellement, de mettre une garantie de l'Etat. Je sais que M. Froidevaux va certainement intervenir pour rétorquer que c'est la porte ouverte aux gaspillages de ses deniers publics en tant que contribuable ! Mais il ne s'agit pas de cela.
Un intervenant a relevé qu'aujourd'hui les caisses ne s'en sortent plus, qu'elles fusionnent ou déposent leur bilan, parce qu'elles n'arrivent pas à résister. A cet égard, il faut être clair: l'avenir, c'est effectivement une règle unique d'assurance-maladie, de cotisations, pour l'ensemble des contribuables de ce pays. Avant d'y arriver, l'étape No 1 consiste à savoir comment travaillent les assurances-maladie et le seul moyen de le savoir, c'est d'être les patrons d'une caisse maladie.
Enfin, Monsieur le président, je demande l'appel nominal sur ce projet.
Le président. Bien volontiers, s'il est soutenu... Je passe la parole à M. Pierre Froidevaux.
M. Pierre Froidevaux (R). Mesdames et Messieurs les députés, je ne vous proposerai pas de soutenir ce projet de loi, parce qu'il s'agit d'un nouvel écran de fumée en ce qui concerne la transparence des coûts...
En l'occurrence, l'Alternative vise un but stratégique qui a été clairement expliqué aujourd'hui: il s'agit d'arriver à ce que le coût payé par les citoyens, à travers les primes d'assurance-maladie, soit un jour si élevé que la population accepte que les primes soient calculées en fonction du revenu et que cet impôt déguisé devienne un véritable impôt !
Monsieur Rodrik, nous allons parler de transparence des coûts. Vous vous rappelez que, sous l'ancien régime, j'avais réclamé des chiffres, à cor et à cris et avec le seul instrument dans ce parlement qui obligeait le chef du département d'alors à répondre, à savoir l'interpellation urgente. A quatre reprises, je suis revenu à la charge pour demander qu'on nous explique comment est composée une prime d'assurance-maladie. Ensuite, il y a eu changement de chef de département et j'ai demandé à M. Unger de s'exprimer. Nous avons déposé une motion, que vous avez tous votée, Mesdames et Messieurs, demandant qu'il réponde en décembre. M. Unger nous a dit qu'il répondrait dans les six mois réglementaires. Le délai est passé et nous n'avons toujours pas d'explications. Dans cette motion, je rappelais les articles de la LAMal qui donnent toute latitude au chef du département cantonal - comme c'est le cas au niveau fédéral - d'exiger la structure des primes. Si une assurance ne s'exécute pas, elle ne peut plus pratiquer sur le territoire genevois. Alors, que fait l'exécutif de cette possibilité que lui donne la loi? C'est la question qui se pose, j'espère qu'un jour on aura la réponse...
Dernièrement, j'ai rédigé une nouvelle motion et je suis passé dans tous les groupes. Je suis passé devant vous, Monsieur Rodrik, je vous ai demandé de la signer et vous avez refusé. Vous étiez le seul, Monsieur Rodrik ! M. Hausser a dû retirer sa signature, parce que M. Rodrik ne voulait pas que cette motion aille une nouvelle fois au Conseil d'Etat, car vous suivez un but stratégique, Monsieur Rodrik... (L'orateur est interpellé par M. Rodrik.)On peut reprendre le document, si vous voulez, Monsieur Rodrik ! Je disais que vous suiviez un but stratégique, à savoir que ces primes deviennent un véritable impôt, et nous allons essayer de comprendre pourquoi...
S'agissant de la réponse à mes interpellations, je l'ai reçue, comme vous tous, lors de la précédente législature, mais elle était tellement opaque que personne n'en a pu faire l'analyse. En résumé, je demandais, Monsieur le conseiller d'Etat, quel montant ont payé les Genevois aux assureurs depuis 1995 jusqu'en 2000. Je demandais ensuite quelle était la part facturée par le secteur public et quelle était la part facturée par le secteur privé. Il était facile au chef du département de connaître le montant total que les assurés genevois paient, le montant de ce que l'Etat facture aux assureurs, et d'en déduire ainsi la part du secteur privé. J'ai reçu cette réponse, dont j'ai fait l'analyse et qui donne les chiffres suivants: entre 1995 et 1999, date des derniers chiffres proposés par le département, qui sont donc tout ce qu'il y a de plus officiels, l'ensemble des activités médicales privées a augmenté de 2 millions. Pendant le même temps, le service public a demandé 180 millions aux assureurs. Il s'agit donc bien, Monsieur Rodrik, d'un impôt, d'une forme de taxe personnelle. A cela, il faut encore ajouter 40 millions et quelques pour les pharmacies, mais je rappelle qu'entre temps nous avons réussi à soigner ce fléau qu'est le sida. 40 millions pour le sida, je crois que tout le monde est d'accord de les payer.
C'est dire que vous entamez un mauvais débat en disant qu'il n'y a pas de transparence. Il y a la transparence, ces chiffres auraient dû figurer dans ce projet de loi, on aurait dû en discuter et essayer de comprendre pourquoi les Genevois doivent payer 180 millions de plus à l'Etat via les prestations publiques et pourquoi c'est devenu une taxe personnelle insupportable. En l'état, je n'accepte pas de vous suivre dans ce faux débat et je recommande à ce Conseil de refuser l'entrée en matière sur ce projet.
M. Souhail Mouhanna (AdG). Je commencerai par répondre au dernier intervenant, qui disait que ce projet de loi était un écran de fumée, parce que derrière lui se profilait une assurance-maladie proportionnelle au revenu. En tout cas pour ce qui concerne l'Alliance de gauche, ce n'est nullement un écran de fumée. C'est clair, c'est évident, je le dis haut et fort: nous voulons effectivement une véritable assurance sociale, une sécurité sociale financée, à l'instar de l'AVS, par des cotisations proportionnelles au revenu ! Je ne crois pas que la personne qui gagne 6000 F ou 7000 F et qui doit payer 300 ou 400 F d'assurance de base soit un privilégié par rapport à quelqu'un qui gagne 1 million et qui paie la même prime ! Il y a une justice sociale à assurer dans ce pays, comme partout ailleurs. C'est le sens du combat que mènent l'Alliance de gauche et, au-delà, les forces de gauche en général.
M. Bourrit, lui, dit que les malades sont irresponsables - comme certains disent que les chômeurs sont irresponsables, que c'est leur faute s'ils sont chômeurs ! - et il prétend que cette caisse inciterait les gens, sous prétexte qu'ils paient des impôts, à «consommer» beaucoup plus de prestations médicales... En pensant au niveau de revenu des gens que représente M. Bourrit, je me dis que, finalement, la responsabilité dont il parle est peut-être celle des gens qu'il représente...
Mme Hagmann est horrifiée à l'idée qu'on étatise les caisses... D'autres ont donné l'exemple de l'Angleterre... J'aimerais rappeler ici qu'en Angleterre le système de sécurité sociale va effectivement très mal parce que l'Etat anglais est précisément dirigé par des gens complètement acquis aux principes néolibéraux ! Ceux-ci veulent justement faire de l'assurance-maladie anglaise un contre-exemple pour justifier les privatisations. On a vu, d'ailleurs, ce que cela a donné au niveau des chemins de fer, par exemple ! C'est dire que donner l'exemple de l'Angleterre, c'est donner l'exemple à ne pas suivre. Il y a tout ce qu'il faut, en Angleterre, pour que le système de sécurité sociale fonctionne à satisfaction, mais les gouvernements, que ce soit celui de Tony Blair ou, avant, de Margaret Thatcher, ne veulent pas que cela marche correctement.
Je voudrais également répondre à M. Follonier, qui ne pouvait imaginer qu'on puisse réunir les 100 millions de réserves nécessaires pour cette caisse maladie. A ce sujet, je rappellerai que, lorsqu'il s'est agi de combler les pertes occasionnées par le pillage de la Banque cantonale, l'Etat de Genève a trouvé 2,7 milliards ! Et, quand il s'agit de 100 millions, ce serait impossible? Il y a une exagération, un manque de sérieux à avancer ce genre d'argument.
Une dernière chose à Mme Ruegsegger, qui trouvait que ce projet était une mauvaise solution à un vrai problème: pour ma part, je n'ai pas entendu le groupe démocrate-chrétien proposer une vraie solution à ce vrai problème ! Il est vrai que ce projet de loi est très loin de l'objectif que nous visons, nous Alliance de gauche, c'est-à-dire une sécurité sociale qui soit à l'avantage de l'ensemble de la population. Nous, nous considérons que la mission essentielle de l'Etat est d'assurer aux citoyens les meilleures conditions de vie. Comme l'éducation, assurer les meilleures conditions sanitaires à la population est une mission fondamentale de l'Etat. C'est pourquoi nous voulons cette sécurité sociale pour toutes et tous. Ce projet de loi en est loin, mais il représente une avancée par rapport à la situation actuelle. C'est la raison pour laquelle nous le soutiendrons.
M. Jean Spielmann (AdG). Le deuxième volet de mon intervention portera sur le fond politique des interventions entendues ici. Il s'agit de différencier un peu les problèmes. On oppose une politique étatiste à une politique privée, on oppose une politique de couverture des coûts et de paiement des cotisations et on oublie que, derrière tout cela, il y a une finalité. En l'occurrence, il y a dans la vie des objets qui échappent aux lois du marché ou qui devraient échapper aux lois du marché, si on veut développer une société démocratique dans laquelle chacun trouve sa place. Comment voulez-vous soumettre au marché l'enseignement, la santé, la culture? Dans des domaines aussi fondamentaux que la formation et la santé, nous avons le devoir, en tant qu'élus, de mettre en place des dispositifs qui permettent à chacun de se développer harmonieusement, de trouver des solutions qui échappent aux lois du marché.
Aujourd'hui, le problème qui nous occupe est le fonctionnement du système de santé, plus particulièrement des assurances. Alors, on peut bien sûr prendre le problème par le biais que vous proposez, qui consiste à faire confiance aux lois du marché, à ne rien contrôler du tout, à démanteler complètement l'OFAS et tous ses fonctionnaires censés contrôler les caisses maladie, celle-ci devant rendre des comptes annuels et présenter leur bilan, de façon qu'on sache où vont les cotisations des citoyens. M. Froidevaux l'a rappelé tout à l'heure: il essaie depuis longtemps de savoir la vérité. Mais il arrive à la vérité par un biais assez particulier: il part de ce que l'Etat paie - ce qui est facile à déterminer dans les comptes - il évalue ensuite, par je ne sais quelle méthode, le total des dépenses privées, puis il fait une addition, enfin il soustrait ce que paie l'Etat et il arrive à définir les dépenses des privés et de l'Etat. Mais en fait, Monsieur Froidevaux, aucun citoyen qui paie ses cotisations ne sait comment est géré son argent par les caisses maladie, ne sait quel est le volume des dépenses de la santé, ne peut contrôler ce qu'on fait de son argent. L'Etat lui-même, qui se rend compte que les gens ne peuvent plus payer les primes des caisses maladie, qui ont explosé ces dernières années, paie, je le répète, la totalité des cotisations de plus de 20 000 personnes, paie une partie des cotisations pour plus de 100 000 personnes ! Il dépense 46 millions de francs par année simplement pour que ces gens puissent continuer à être affiliés et il paie ce montant directement aux caisses. Est-ce votre formule pour responsabiliser les gens? Ce n'est pas notre point de vue, nous avons une tout autre conception de la santé, une tout autre conception de la politique sociale.
En l'occurrence, la première nécessité, c'est la transparence, c'est que les gens qui paient des cotisations sachent au moins ce qu'en font les caisses. Or, depuis le temps que vous interpellez le conseiller d'Etat, qui est de votre bord politique, vous savez très bien qu'il vous a toujours répondu la même chose: les caisses maladie ne donnent pas les comptes, les bilans. Personne aujourd'hui n'est capable de dire quelles sont les dépenses des caisses maladie et de les contrôler. Il n'y a plus de contrôle, c'est le libéralisme pur et dur voulu par les politiques qui me font face ici, et malheureusement par d'autres aussi, qui a provoqué cette situation. Aujourd'hui, il faut corriger cela. Pour ce faire, il y a plusieurs moyens, mais l'un est simple, c'est que l'on crée une caisse publique, de sorte que la population puisse en contrôler le fonctionnement et savoir où va son argent, et que l'on donne à cette caisse publique un certain nombre d'orientations plus sociales que ne peut le faire le marché.
S'agissant de la viabilité d'une telle caisse, permettez-moi de vous dire qu'il ne s'agit pas d'une utopie. Je reviens à l'exemple bâlois: au départ, cette caisse publique était effectivement financée par le canton, avec 8% de remboursement par année, et elle a remboursé plus rapidement que prévu. Cette caisse maladie aujourd'hui tourne financièrement et l'Etat ne doit plus la subventionner. Elle a résolu une bonne partie des problèmes concernant les assurés, notamment ceux dont l'Etat prenait en charge les cotisations, et elle arrive, en respectant les règles du marché, à être plus concurrentielle que les autres, grâce, c'est vrai, à la pérennité de l'Etat qui couvre les réserves, mais reste qu'elle fonctionne à la satisfaction des gens. Alors, pourquoi ne voulez-vous pas tenter une telle expérience? Je vais vous le dire ! En fait, vous êtes pour le marché, quand c'est vous, les privés, qui pouvez empocher les cotisations des affiliés, y compris celles des gens aidés par l'Etat; vous êtes pour le marché quand l'Etat subventionne vos amis politiques des caisses maladie qui engrangent des millions. En revanche, vous être contre le marché, contre la concurrence, quand les pouvoirs publics et la population veulent mettre en place une caisse qui soit contrôlée, transparente, et qui fonctionne dans l'intérêt des assurés. Voilà la divergence que nous avons: nous sommes pour les prestations à la population, nous défendons les intérêts de la population; vous défendez les intérêts d'une catégorie de gens, les intérêts de ceux qui font augmenter les cotisations.
Alors, évidemment, vous allez rejeter ce projet, mais il y a une parade à cela, c'est l'initiative. L'initiative populaire posera clairement le débat et j'espère bien que nous arriverons à convaincre la population qu'il y a des solutions concrètes pour remédier à l'inacceptable situation actuelle, qui voit les privés gruger les gens, voler l'argent de ceux qui cotisent et encaisser, en plus, 46 millions de francs par année, payés par les contribuables pour subventionner certains assurés des caisses maladie, dont on ne sait pas ce qu'elles font avec notre argent et dont la moindre qualité n'est en tout cas pas la transparence !
Le président. Mesdames et Messieurs, ce débat a duré une heure et demie. Sont encore inscrits Mme Janine Hagmann, M. Jacques Follonier, Mme Blanchard-Queloz et enfin M. Pierre-François Unger. Le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants.
Mise aux voix, cette proposition est adoptée.
Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse de minorité. J'ai été mise en cause et je voudrais répondre brièvement à certains intervenants. Monsieur Mouhanna, oui, je peux vous l'assurer et le répéter haut et fort: je suis contre une étatisation de la médecine et, en le disant, je suis persuadée que beaucoup de citoyens seront d'accord avec moi. Je suis contre une étatisation de la médecine, ceci doit être bien clair.
Monsieur Spielmann, vous avez donné l'exemple de Bâle, mais vous oubliez une chose, c'est qu'il n'y a plus aucun autre canton qui ait véritablement une caisse cantonalisée. Bâle a créé cette caisse il y a quatre-vingts ans pour les personnes qui avaient des problèmes financiers. Mais savez-vous, Monsieur Spielmann, à combien se monte la prime de l'assurance de base? Elle est de 285,50 F, alors que par exemple, à la Panorama, l'assurance de base est à 253,60 F. C'est dire qu'à Bâle la caisse cantonale n'a pas une prime plus basse que les autres. Quant au canton de Vaud, vous savez bien que la caisse cantonale a disparu.
En l'occurrence, je crains que, de nouveau, Genève veuille se montrer meilleure que les autres et crée un Sonderfall.Vous le savez et on l'a entendu dans ce débat - qui était d'ailleurs d'un bon niveau - le problème des caisses maladie se joue à Berne. Alors, essayons de trouver une solution, mais ne nous lançons pas, pour l'instant, dans une entreprise dont nous ne savons pas du tout comment elle va aboutir.
M. Jacques Follonier (R). Le problème est complexe, on l'a vu, mais je suis tout de même un peu surpris d'entendre certains propos, qui prouvent bien qu'en dehors de la complexité de la LAMal il y a la difficulté à la comprendre. Tout d'abord, j'aimerais souligner un point primordial: on ne peut pas obliger un assuré à changer de caisse. Cela étant posé, on peut aller un peu plus loin dans le débat.
J'avoue que, quand j'entends tel député dire qu'il n'existe pas de bons ou de mauvais risques et qu'on doit parler d'assurés et de citoyens, j'ai encore plus peur de voter pour une caisse cantonale. En effet, cela signifie que la concurrence âpre que vont livrer les autres caisses à cette nouvelle concurrente n'a pas été calculée. En fait, il existe aujourd'hui des rabatteurs qui vont chercher les bons risques - car c'est ainsi que cela s'appelle - et si ce député ne le sait pas, il pourra se renseigner auprès des caisses.
S'agissant du montant des primes, à Genève, la prime de l'assurance de base varie de 290 F à plus de 400 F et c'est ce que personne ne sait expliquer. A l'époque, j'avais été invité par M. Piler à faire le contrôle des caisses maladie en tant que Genevois: en l'occurrence, on s'est aperçu qu'il existait un lobby des caisses maladie et que des primes plus ou moins élevées étaient fixées en fonction de certaines volontés et non en fonction des réserves ou des résultats ! Dès lors, il y a fort à parier - je maintiens ce que j'ai dit - que la caisse genevoise, dans les cinq premières années au minimum, aura une prime élevée. Et je me demande comment vous justifierez cette prime élevée auprès de la population, comment vous justifierez que les gens passent dans une caisse où les primes seront de 50 F, voire de 60 F plus élevées que la prime moyenne genevoise. Vous n'arriverez pas à le justifier.
Enfin, avant de rédiger votre projet, vous avez certainement pris contact avec les caisses maladie. Vous savez donc qu'il existe une statistique des assurés et une statistique des assureurs, qu'au jour d'aujourd'hui les caisses maladie ont délibérément choisi de se baser sur la statistique des assureurs, c'est-à-dire celle qui tient compte des factures faites sur le canton et qui ne tient pas du tout compte de l'arrivée d'autres personnes venant d'autres cantons. Or, déjà rien qu'en changeant ce système on pourrait diminuer les primes genevoises.
Je ne pense pas que vous arriverez à la transparence des caisses maladie avec ce projet. A mon sens, vous voulez juste vous donner bonne conscience, mais ce n'est pas cela qu'il faut faire !
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG), rapporteuse de majorité. Il me faut rectifier ce qui vient d'être dit par M. Follonier. Comme l'a rappelé l'OFAS lors de son audition en commission, quand une caisse est créée, comme on ne sait pas quelle sera la composition des assurés, c'est la prime moyenne cantonale qui est fixée. Cela nous a été confirmé par l'OFAS, l'organe qui va octroyer à cette caisse, si elle voit le jour, l'autorisation de pratiquer. Ensuite, effectivement, la caisse doit couvrir ses coûts, ses déficits, et c'est ensuite que cela se détermine.
Beaucoup de choses ont été dites dans ce débat sur les coûts de la santé et, à cet égard, MM. Aubert et Hausser ont rappelé qu'il ne faut pas tout mélanger. Il y a des problèmes de financement et des problèmes de coûts de la santé, mais ce projet de loi ne prétend pas du tout faire baisser les coûts de la santé. Ici, je dois rectifier ce qu'a dit M. Catelain. En fait, il s'est trompé de projet de loi: il a pris comme base le projet de loi initial, qui prévoyait effectivement une extension du catalogue des prestations, mais ce point a été longuement discuté en commission et a finalement été supprimé. Il faut donc qu'il lise le projet de loi final qui se trouve à la fin du rapport: il verra alors que toute son argumentation tombe.
Si beaucoup de choses ont été dites au niveau des coûts - en l'occurrence, ce sont tous les acteurs de la santé qui doivent, ensemble, pallier ce problème des coûts, on l'a déjà dit - peu de choses ont été dites par les opposants sur la marge de manoeuvre cantonale qui existe et que j'évoquais au début, même si elle est limitée. Peu de propositions ont été faites dans ce cadre-là et, s'il y a une chose que pourrait permettre ce projet de loi et cette caisse maladie, c'est la transparence. A cet égard, il est faux de dire que les caisses ne fournissent pas les comptes: nous avons à disposition les plans comptables que l'OFAS demande aux caisses. Ces plans comptables sont remplis par les caisses et les cantons peuvent les obtenir. Alors, je le répète, est-ce que le département ne veut pas fournir ces chiffres, qui sont pourtant réclamés à cor et à cris par M. Froidevaux, mais pas seulement par lui? Ne peut-il pas ou ne veut-il pas? La question reste ouverte. En l'état, le département devrait se débrouiller pour nous donner ces chiffres - car ils sont en sa possession - s'il veut être crédible pour s'opposer à ce projet de loi, à cette caisse publique qui permettrait d'y voir un peu plus clair.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Je tiens d'abord à relever le niveau des débats qui furent les vôtres aujourd'hui et qui ont probablement reproduit la qualité des débats que vous avez eus en commission, comme en atteste votre rapport, Madame, extrêmement intéressant et instructif au regard des diverses opinions formulées.
Cela dit, j'aimerais toutefois observer que les coûts de la santé font toujours l'objet d'une confusion avec leur financement. Certains préopinants l'ont dit: aujourd'hui, il ne s'agit en réalité ni de voter un outil destiné à maîtriser les coûts, ni de voter un outil destiné au financement. Alors, quel est le but de l'objet qui vous est soumis ce jour? J'avais compris que le but principal du projet de loi était double. Tout d'abord, il s'agissait de nous aider à mieux répondre à vos interrogations concernant la constitution du montant des primes d'assurance-maladie. Vous avez raison, Monsieur le député Froidevaux, je vous dois des explications et c'est la raison pour laquelle ensemble, en commission des affaires sociales, nous avons posé des questions à l'OFAS et au service de l'assurance-maladie, avec qui nous travaillons à répondre aux questions posées. Vous méritez des réponses, comme l'ensemble de ce parlement.
En l'occurrence, nous voulons savoir comment sont constituées les primes. Depuis deux ans, grâce à une initiative cantonale de notre parlement, nous avons accès à un certain nombre de données à l'OFAS. Nous pouvons examiner l'ensemble des primes genevoises en une journée, pour l'ensemble des assureurs, qui sont un peu plus de cinquante. Il est clair que les conditions dans lesquelles nous avons, pour le moment, accès à ces comptes sont insuffisantes pour répondre par le menu aux questions posées. A cet égard, le projet de loi, sans aucun doute, permettrait de répondre à la question: comment se constitue le coût des primes? Mais faut-il pour autant voter ce projet? j'y reviendrai par la suite...
La deuxième interrogation majeure, sur laquelle les uns ou les autres ont insisté, est l'obligation de constituer des réserves et l'usage qui en est fait. Ce que l'on observe en tout cas, c'est que le transfert d'une personne, d'une assurance qui pratique des primes chères dans une autre qui pratique des primes moins chères, se fait sans le transfert de la réserve attenante. Ceci est évidemment une entorse massive et inacceptable à un système qui se prétend concurrentiel. A cet égard, la LAMal dans sa forme actuelle est morte: il n'y a pas de vraie concurrence, compte tenu des entraves prévues dans la loi. Je le dis ici haut et clair, quand bien même cela me brouillera avec tel ou tel ténor d'un parti si proche qu'il est le mien, au niveau fédéral ! Mais au moins le message est clair.
Quand on veut en savoir plus sur les réserves, il faut les constituer. Sur ce point, le projet de loi qui vous est soumis propose en fait de soustraire la caisse publique à la constitution de réserves, puisqu'il les transforme en une garantie de l'Etat. De toute évidence, on ne va donc pas apprendre grand-chose dans ce domaine.
Encore une fois, les deux buts, modestes, de ce projet - savoir comment se constitue le coût des primes et ce qu'on fait des réserves - sont évidemment louables. Il se trouve néanmoins que, pour des raisons que j'ignore - était-ce la proximité des élections? - certaines difficultés de ce projet, connues même par ceux qui le défendent, ont été éludées. Ces difficultés sont au nombre de quatre.
La première difficulté est liée à la comparaison avec Bâle. M. Spielmann a eu raison de parler de l'expérience bâloise, qui est une expérience quasi séculaire d'une caisse publique. Les chiffres, que je tiens à votre disposition, montrent que la prime de la caisse publique de Bâle est équivalente à la prime moyenne bâloise, mais que, sur 58 assurances pratiquant à Bâle, seules dix-sept sont plus chères et quarante sont moins chères ! Quand on prend un exemple quelque part, il mérite d'être pris jusqu'au bout !
Deuxième difficulté, c'est l'illusion qu'à travers la caisse telle qu'elle est prévue les primes puissent baisser. Lorsqu'une caisse se constitue, l'OFAS lui impose en général la prime moyenne cantonale. Vous me direz qu'à Genève c'est déjà bien, compte tenu de nos primes très élevées. Ce d'autant que la disparité dont faisait état M. Follonier est bien plus grande encore que ce qu'il a dit, puisqu'en réalité la prime la plus chère à Genève est de 595 F par mois pour l'assurance de base, dans une caisse dont je tairai le nom par respect pour son futur exit ! En l'occurrence, c'est une illusion de penser qu'on pourra faire baisser les primes, sachant qu'on imposera à cette caisse - ce qui est d'ailleurs illégal - d'accepter telle ou telle catégorie de population. Monsieur Hausser, je suis très sensible à votre argument selon lequel, derrière les assurés défavorisés, il ne faut pas voir ni les dollars, ni les euros, ni les francs... Mais vous ne pouvez pas nier, Monsieur, vous qui êtes aussi médecin et qualifié en santé publique, qu'un certain nombre de déterminants sociaux ont hélas une influence sur les coûts de la santé, comme un certain nombre de déterminants sanitaires ont hélas des influences sur le social. A cet égard, vous ne pouvez pas prétendre que l'opération est neutre.
Troisième bât qui blesse dans ce projet, c'est la question des complémentaires. J'en ai entendu une formulation douce dans la bouche de M. Hausser, qui disait que la caisse mettrait juste les assurés en relation avec ceux qui font de la complémentaire. Mais ce n'est pas ce qui est écrit. Ce qui est écrit, c'est que la caisse peut proposer quelque chose dans le domaine des complémentaires. Si votre intention est juste de donner des adresses, il faut l'écrire tel quel, ce sera beaucoup plus clair.
Enfin, Mesdames et Messieurs les députés, je suis un peu surpris que les entorses au droit fédéral avérées dans ce projet n'aient pas été plus discutées, parce que de telles entorses sont tout simplement impossibles au plan cantonal. Celles-ci sont de quatre natures. D'abord, le tiers payant: vous savez parfaitement que le principe du tiers payant ne peut s'appliquer que dans le cadre d'une convention entre assureur et fournisseur de prestations, c'est l'article 42 de la LAMal. Il en résulte que ce système ne peut pas être imposé aux fournisseurs par une loi cantonale. Cet article est donc contraire au droit fédéral.
Deuxièmement, l'obligation faite aux bénéficiaires de l'aide sociale de s'affilier à la caisse cantonale est contraire à l'article 4 de la LAMal, qui garantit à l'assuré le libre choix de l'assureur.
Troisièmement, les subventions cantonales pour réduire les primes via la dotation du fonds de réserve: ce système ne peut pas être appliqué uniquement pour la caisse cantonale, en vertu du principe de non-discrimination. Autrement dit, tous les assurés de toutes les caisses devraient pouvoir en bénéficier. Cette disposition est donc contraire au droit fédéral.
Enfin, l'article 4, alinéa 2 du projet est contraire au droit fédéral en vertu du principe de domiciliation. Si j'ai bien compris, vous aviez introduit cet article en vue d'un éventuel droit d'option pour les frontaliers, anticipant ainsi les bilatérales. Mais c'est le principe de domiciliation qui fait foi en matière de droit fédéral. Un Vaudois qui travaille à Genève, par exemple, devra s'assurer dans le canton de Vaud. On ne peut donc pas étendre cet accueil, le principe de domiciliation étant inscrit dans le droit fédéral.
Ainsi donc, Mesdames et Messieurs les députés, bien qu'ayant beaucoup apprécié le travail que vous avez fait, je suis obligé, en mon nom et au nom du Conseil d'Etat, de vous dire que ce projet n'apporte pas de solution aux coûts - il est vrai qu'il ne le prétendait pas - n'apporte pas de solution au financement - il est vrai qu'il ne le proposait pas - mais qu'il est en revanche doté d'un certain nombre de défauts, dont quatre entorses au moins au droit fédéral, qui nous empêchent de l'accepter sous sa forme actuelle. (Applaudissements.)
Le président. Mesdames et Messieurs, nous allons voter l'entrée en matière de ce projet de loi. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places pour l'appel nominal, demandé tout à l'heure par M. Hausser. (Appuyé.)
Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat par 43 non contre 35 oui.