République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 21 mars 2002 à 20h45
55e législature - 1re année - 6e session - 26e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 20h45, sous la présidence de M. Bernard Annen, président.
Assistent à la séance: Mme et MM. Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat, Carlo Lamprecht et Pierre-François Unger, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Laurent Moutinot, Martine Brunschwig Graf, Robert Cramer et Micheline Spoerri, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes Caroline Bartl, Erica Deuber Ziegler, Alexandra Gobet Winiger et M. Louis Serex, députés.
Annonces et dépôts
Le président. Les motions suivantes sont retirées par leurs auteurs :
Proposition de motion de Mmes et MM. Juliette Buffat, Pierre Froidevaux, Barbara Polla, Walter Spinucci, Pierre-François Unger, Jean-Claude Vaudroz, Stéphanie Ruegsegger concernant le RHUSO. ( M-1221)
Proposition de motion de Mmes et MM. Juliette Buffat, Christian De Saussure, Marie-Françoise De Tassigny, Marie-Thérèse Engelberts, Pierre Froidevaux, Nelly Guichard, Janine Hagmann, Barbara Polla, Stéphanie Ruegsegger, Micheline Spoerri, Pierre-François Unger, Pierre-Pascal Visseur pour le maintien et le développement de l'Association pour la collaboration entre les cantons de Vaud et Genève dans le domaine de la santé publique et des Hôpitaux universitaires ( M-1241)
Le commission des pétitions nous informe qu'elle désire renvoyer la pétition suivante à la commission d'aménagement du canton :
Pétition concernant la non-conformité du stand de tir de Veyrier ( P-1383)
Débat
Le président. Nous passons à l'initiative Casatax. Je suis un peu emprunté, Monsieur Vanek: vous êtes rapporteur de minorité concernant le projet de loi 8708 et vous êtes à la table des rapporteurs... Mais je vous invite à y rester, étant moins formaliste que votre groupe... (Commentaires.)Oui, nous parlons de l'initiative, initiative que, sauf erreur, vous avez votée... Il est quand même un peu paradoxal que vous soyez rapporteur de minorité sur quelque chose que vous avez voté... Mais ce n'est pas grave... (Commentaires.)Monsieur Vanek, attendez que je vous donne la parole ! Je vous la donne volontiers, si vous me la demandez...
M. Pierre Vanek (AdG), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président ! Vous dites que nous aurions voté cette initiative... En fait, comme toute personne raisonnable, à l'exception des députés du groupe libéral qui, eux, se sont abstenus, nous avons voté contre cette initiative. Donc, effectivement, dans la mesure où l'abstention ne donne pas droit à un rapport quelconque, c'est à Mme Hagmann, en face de moi, que vous auriez pu faire ces observations, si vous vouliez faire du formalisme. Quant à moi, je n'en ferai point. Je suis contre l'initiative et contre le contre-projet: j'ai fait un rapport qui s'oppose aux deux textes et j'ai donc pleinement le droit à la parole et à m'asseoir à cette table en tant que rapporteur.
Mme Hagmann va intervenir sur l'initiative: il est vrai qu'elle s'est abstenue, que son groupe s'est abstenu sur cette initiative, et normalement, à teneur du règlement, Monsieur le président, elle ne devrait pas faire de rapport sur ce texte-là. Mais il est entendu que, politiquement, il n'y a qu'une seule question: celle de l'initiative et de son contre-projet. Je vous propose donc de rompre avec tout formalisme et de nous empoigner sur le fond de la question aussi rapidement que possible !
Le président. Monsieur Vanek, excusez-moi de ce lapsus: il est vrai que vous avez voté contre l'initiative. Mais je répète que nous allons traiter l'initiative et rien d'autre, et que votre rapport de minorité porte uniquement sur le projet de loi. Je répète donc ce que j'ai dit: je ne fais pas de formalisme et j'accepte votre présence à la table des rapporteurs. Je crois que l'incident est clos, à moins que M. Rodrik veuille encore mettre de l'huile sur le feu...
M. Albert Rodrik (S). Monsieur le président, n'ayant jamais mis de l'huile sur le feu dans cette enceinte, je ne vais pas commencer maintenant ! Cela dit, le quiproquo est le résultat d'un carambolage des procédures: normalement nous aurions dû venir ici, dès janvier, demander l'autorisation de rédiger un contre-projet et puis nous retirer dans nos chambres, comme on dit, pour rédiger ce contre-projet. Mais, dans un zèle intempestif que le sujet sans doute mérite, nous avons fait tout à la fois, ce qui entraîne le quiproquo d'aujourd'hui.
Mesdames et Messieurs, il est clair que cette belle initiative n'a pas trouvé un seul défenseur au vote et que, de ce seul fait, nous ne devons parler que du contre-projet. Mais il conviendrait de procéder à un vote formel pour savoir si nous étions autorisés à travailler sur un contre-projet, ce vote n'ayant pas été fait par le plénum.
Le président. Ne vous inquiétez pas, Monsieur Rodrik, je connais la procédure et je l'appliquerai. Madame Hagmann, vous avez la parole...
Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse de majorité. En fait, comme M. Rodrik, je voulais expliquer comment les choses se sont passées en commission. Cela étant fait, je me permettrai de dire quelques mots sur l'initiative, puisqu'il faut que le Grand Conseil prenne une position sur l'initiative, après quoi nous présenterons le contre-projet, si vous êtes d'accord avec cette procédure.
Aujourd'hui, comble de hasard, j'avais dans ma boîte aux lettres une convocation pour une assemblée générale, plus cette plaquette qui s'intitule: «Vivre sous son propre toit, cultiver son petit jardin: un rêve. Depuis 1933, le Coin de Terre en fait une réalité». Cela pour vous dire que le projet que nous allons aborder ce soir, philosophiquement parlant, ne date pas vraiment d'aujourd'hui. La Suisse compte une moyenne de 31% de propriétaires, Genève n'en a que 13,8%, rejoignant ainsi Bâle-Ville en queue de peloton. Une enquête menée par l'EPFL montre que les locataires genevois sont particulièrement nombreux à rêver de propriété. Beaucoup rêvent de propriété, peu entreprennent des démarches. Presque un locataire sur deux à Genève l'est par obligation. Les trois quarts des locataires pourraient être convaincus d'acheter un appartement. En lançant son initiative, la Chambre genevoise immobilière a eu pour objectif de rendre la législation genevoise plus ouverte à la propriété du logement, que ce soit une villa, un appartement, une coopérative d'habitation, ou une forme d'habitat que l'on pourrait imaginer. La Chambre genevoise immobilière a essayé de proposer une formule facilitant l'accession à la propriété, qui était la réduction de moitié des droits d'enregistrement, sans plafond.
Une grande partie de la population, comme je l'ai dit, désire faire ce choix de société. Certains se serreraient même la ceinture sur d'autres points de leur budget pour habiter leur propre logement. Or, nous sommes aussi là, Mesdames et Messieurs les députés, pour exaucer ces voeux, du moins pour essayer de mettre en place une législation qui offre à chacun un cadre de vie correspondant à ses désirs. Les retombées de l'accession à la propriété sont évidentes: la constitution d'un patrimoine est une forme d'épargne; on peut attendre des retombées dues à l'augmentation du nombre de transactions, cela va de soi aussi. Avez-vous pensé, Mesdames et Messieurs les députés, que certains locataires quittent des logements subventionnés pour devenir propriétaires ?
La commission a pesé le pour et le contre de tous les différents arguments proposés par l'initiative elle-même. Elle a examiné, premièrement, la question de savoir comment s'y prendre pour contrôler la réalisation de la condition de l'affectation du logement au domicile pendant trois ans. Elle s'est aussi longuement penchée sur un sujet qui me tient personnellement très à coeur, qui est le Fonds d'équipement communal.
Vous savez que le Fonds d'équipement communal joue des rôles essentiels, quoique souvent méconnus, en matière de péréquation financière et de collaboration intercommunale. Sur le plan de la péréquation financière, il apporte en effet des ressources indispensables aux communes les moins bien loties, en finançant jusqu'à 90% les intérêts de leurs investissements en équipements publics. Ce fonds a également pour but de soutenir les réalisations communales d'intérêt régional et d'encourager ainsi les collaborations intercommunales. Le Fonds d'équipement communal connaît actuellement des difficultés de financement. Il a vu son capital fondre. La question était donc: quid, si Casatax telle que prévue passe, puisqu'une partie des recettes des droits d'enregistrement sont attribuées au fonds? Vous le savez bien, Mesdames et Messieurs, le fonds d'équipement communal est voté chaque année par ce Grand Conseil. En l'occurrence, les communes ont été auditionnées, nous avons eu des garanties: le fonds, qui était plafonné à 18 millions l'année dernière, ne sera aucunement touché. C'est pourquoi, à partir de là, nous pouvons dissocier totalement les deux problèmes.
Sur le plan de l'initiative, après avoir été rassurée, la commission a décidé, dans sa majorité, en étudiant les effets positifs et négatifs de l'IN 115, de lui préférer un contre-projet.
M. Pierre Vanek (AdG), rapporteur de minorité. Je vais m'exprimer sur la question de l'initiative et du contre-projet. Mme Hagmann a fait un petit exposé général et je dois dire que c'était un peu surprenant: je ne l'ai pas entendue se prononcer sur l'initiative... Madame, allez-vous voter contre l'initiative tout à l'heure? Mais il est vrai que je ne dois pas l'interpeller directement et qu'elle ne peut pas me répondre...
Le président. S'il vous plaît, Monsieur Vanek, faites votre déclaration, ce sera déjà bien !
M. Pierre Vanek. Monsieur le président, je participe à un débat, je ne fais pas seulement des déclarations ! Et, dans le cadre de ce débat, je dis que nous discutons effectivement d'une initiative et d'un contre-projet. Encore que parler de contre-projet est un peu abusif, puisque le projet de loi issu des travaux de la commission et auquel nous nous opposons n'a rien contre l'initiative: il reprend les enveloppes, les objectifs, l'argumentaire de l'initiative... En fait, la commission a été contrainte de faire le travail que les initiants, eux, n'avaient pas fait. Ceux-ci ont bâclé le projet d'initiative, qui a péniblement abouti, rappelons-le: l'initiative a abouti, ce n'est pas moi qui l'affirme mais la «Tribune de Genève», «à la raclette», ce qui infirme déjà l'idée que Mme Hagmann propage dans cette enceinte selon laquelle il y aurait un rêve majoritaire... (L'orateur est interpellé.)Oui, mais je peux aussi brandir des petits papiers, Madame Hagmann !
En l'occurrence, je parle du test grandeur nature qui consiste à faire aboutir une initiative, à recueillir le nombre de signatures requis, et je me souviens des articles de presse - que j'ai d'ailleurs cités dans mon rapport de minorité - soulignant que cette initiative avait abouti de justesse. Je ne pense pas que ce soit la faiblesse des moyens financiers et matériels des milieux immobiliers qui ait rendu difficile la récolte de signatures, mais bien plutôt le fait que cette question-là ne rencontre pas l'écho espéré dans la population genevoise. Celle-ci est effectivement composée, et ce n'est pas par hasard, d'une très large majorité de locataires... (Commentaires.)On discutera de cette question, Monsieur Luscher, après le vote sur cette initiative populaire, s'il y a lieu. Pour l'instant, je rappelle simplement les faits pour ceux qui n'y auraient pas été attentifs.
A la base de cette démarche, où nous voyons les milieux immobiliers s'incarner de toutes sortes de manières - comme initiants, comme auteurs du contre-projet, comme députés à la commission, comme auditionnés à la commission, à l'exemple de M. Mark Muller - il y a cette incongruité selon laquelle les Genevois auraient tous, je cite textuellement l'exposé des motifs de l'initiative, ce rêve de l'accession à la propriété. C'est évidemment parfaitement absurde et, s'il fallait raisonner ainsi, on pourrait publier des sondages indiquant que 97% des Genevois rêvent d'être millionnaires, ce qui permettrait de dire ensuite qu'il faut rédiger un projet de loi pour faciliter l'accession et la démocratisation du million ! Puis, on dirait que, oui, ce sont ceux qui sont près de la barre qu'il faut aider, parce qu'autrement ce serait trop cher. Et on distribuerait du pognon à ceux qui sont un peu en dessous du million, permettant ainsi «aux Genevois» de réaliser ce rêve de devenir millionnaire !
Mais, Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le président, on ne discute pas dans cette enceinte de rêves de cet ordre: on discute de projets qui ont un sens politique, qui peuvent se matérialiser. Or, la matérialisation de ce projet-ci, ou de ce contre-projet - car c'est la même chose, l'un étant simplement le toilettage de l'autre - répond en fait à un certain nombre d'objectifs qui n'ont pas été déclarés par ma préopinante, la rapporteuse de majorité. Je veux parler de l'objectif de participer à ce bouquet de mesures antifiscales qui visent à assécher les recettes de la collectivité publique. De très nombreux projets de lois ont déjà été déposés qui visent à éviter de faire payer ceux qui en ont les moyens dans cette République, qui visent à assécher les recettes de la collectivité, qui visent à empêcher celle-ci, par exemple, d'aller dans le sens du remboursement de la dette, qui nous coûte quelque chose comme 400 millions d'intérêts par année, payés, eux, par tous les contribuables ! Ces derniers rêvent peut-être d'accéder à une petite maison, mais là ce n'est pas un rêve: cet argent-là, ils le paient et ils le paieront encore longtemps par votre faute !
Ensuite, nous avons entendu les auteurs du projet dire qu'il fallait ramener le taux de propriétaires genevois - je passe les déclarations excessives des initiants - à la moyenne suisse, ce qui signifie élever ce taux d'à peu près 20 points. Ceci est un objectif, vous le savez, parfaitement irréaliste. J'aimerais, parce que je suis suspect pour certains, comme membre de l'Alliance de gauche, de tenir parfois des discours qui seraient un peu excessifs...
Des voix. Mais non, mais non!
M. Pierre Vanek. Merci de cet hommage que vous rendez à mon caractère raisonnable ! En l'occurrence, j'aimerais citer une publication datant de début mars éditée par le Département fédéral de l'économie, qui est peu suspect d'être influencé par les idées de mes confrères et consoeurs dans cette salle, ou même par des idées de gauche de manière générale. Dans cette publication, que vous trouverez sur internet si vous êtes intéressés, on lit un appel à la raison: «Il faut rester lucide et comprendre que, même en entreprenant un effort extraordinaire, on ne parviendra pas à relever quantitativement la part des propriétaires à court terme. Pour faire progresser le taux d'un point, il faudrait que tous les nouveaux logements construits pendant une année soient destinés à l'achat en propriété, ce qui n'est ni réaliste, ni souhaitable, pour des raisons d'aménagement du territoire et d'utilisation des sols.» C'est un discours officiel et fédéral: vous serez d'accord que, sur le plan des sols et de l'aménagement du territoire, Genève ne présente pas des conditions meilleures que l'ensemble de la Suisse. Or, il s'agirait, selon les initiants, de combler un écart qui est beaucoup plus grand que celui qu'on peut trouver ailleurs: c'est dire qu'en étant simplement aussi lucide que l'est le Département fédéral de l'économie, on renoncerait à ce genre d'idée !
Il est par contre des idées auxquelles on ne doit pas renoncer, ce sont celles visant à répondre, non pas aux rêves hypothétiques que vous mettez en scène chez les Genevois, mais au cauchemar d'une crise du logement qui s'aiguise pour certaines catégories de la population, notamment les jeunes, les plus démunis, etc.
Dans son argumentaire - je me rappelle que M. Blanc en était indigné - M. Mark Muller, lors de son audition à la commission en tant qu'initiant, présentait les choses ainsi: aujourd'hui, les valeurs de la famille et les valeurs de la religion s'effritent et il s'agit de les remplacer...
Le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, Monsieur, je vous laisse finir votre phrase...
M. Pierre Vanek. ... il s'agit de les remplacer par la valeur sûre que constitue la propriété, qui est inscrite dans la constitution ! (Protestations.)A cet égard, j'aurai plaisir à continuer mon intervention dans un deuxième temps, et je vous dirai deux ou trois choses qui figurent dans notre constitution genevoise à propos du logement notamment, qui méritent d'être rappelées dans cette enceinte !
M. David Hiler (Ve). Tout d'abord une remarque, Monsieur le président: depuis que nous avons changé le règlement, il est très difficile pour les rapporteurs de faire leur travail. On devrait peut-être y réfléchir à nouveau, car sept minutes de parole pour un député, cela suffit probablement, mais, pour un rapporteur, c'est manifestement peu...
Sur le fond de l'affaire qui nous occupe, nous estimons pour notre part que dans une politique du logement il y a place, à côté d'autres priorités, pour une démocratisation de l'accès à la propriété. Nous avons constaté que, pour plusieurs raisons et pas essentiellement des raisons techniques, l'initiative ne répondait que peu à cet objectif. En effet, elle n'était simplement pas ciblée, à savoir que la mesure proposée, soit la diminution de moitié des droits d'enregistrement, profitait à toute personne, qu'elle soit riche ou pauvre, qu'elle ait besoin d'un coup de pouce ou non. De ce point de vue là, une bonne partie de l'argent non perçu n'encourageait en aucune manière l'accès à la propriété.
Ma collègue interviendra tout à l'heure sur le contre-projet, mais s'agissant de l'initiative elle-même, nous la refusons donc, non parce qu'elle est mal rédigée - même si c'est effectivement le cas - mais bien en tant que telle. En effet, et c'est toujours le problème lorsqu'il s'agit de démocratisation de l'accès à la propriété et que les propositions viennent de la majorité actuelle, il y a toujours autre chose, cet autre chose étant l'octroi d'un certain nombre d'avantages à des propriétaires qui n'ont certainement pas besoin de mesures en faveur de la démocratisation de la propriété. L'initiative diminuait ainsi les droits de moitié, y compris pour quelqu'un qui achetait une maison à 5 millions ! Voilà la raison pour laquelle nous n'avons pas de problèmes notoires sur l'initiative: telle qu'elle est rédigée, elle ne répond pas, pour l'essentiel, au but poursuivi.
Le point suivant est un peu plus délicat, mais il faut quand même l'évoquer, à savoir: les droits dont il est question sont-ils un bon impôt? Qu'il s'agisse de propriétaires ou d'immeubles locatifs, est-ce un impôt qui frappe une création de richesses? Pas vraiment, non. Est-ce un impôt susceptible de se répercuter sur les loyers quand il touche les locatifs? A l'évidence oui. Socialement, favorise-t-il une redistribution des richesses? Certainement pas. En d'autres termes, il s'agit d'un type de taxation qui devrait être ramenée au niveau d'un émolument, permettant de couvrir les frais, assez importants d'ailleurs, que la surveillance du territoire exige. Mais, sur le fond, ce n'est certainement pas un impôt qui, en soi, vaut la peine d'être défendu. Le problème, évidemment, comme l'a souligné tout à l'heure M. Vanek, est que, pour le moment et pour quelque temps, nous avons besoin de ressources, y compris de ce type de ressources, parce que nous avons une dette à rembourser, et qu'il nous paraît précoce de débarrasser le système fiscal genevois de ce qui est fondamentalement un archaïsme.
Le contre-projet, lui, propose de mieux cibler cette aide, de sorte qu'elle soit plus profitable à un certain nombre de gens, soit ceux qui achètent des appartements à 300 000 F ou 400 000 F, tels qu'on les trouve couramment sur le marché, et qui de la sorte bénéficieront d'un avantage. Avec les taux actuels, il est plus avantageux d'acheter un tel appartement que de le louer et, après tout, tant qu'à amortir, autant amortir pour soi comme épargne que pour un propriétaire: ce n'est pas beaucoup plus que cela dont il est question.
Maintenant, j'aimerais dire une chose sur un plan plus global. Nous répétons que les grandes vertus qui ont été trouvées par certains à la propriété de son logement comme valeur fondatrice de la société, c'est peut-être marrant, mais ce n'est pas vraiment sérieux... C'est bien, c'est joli, mais ce n'est pas le problème. Le problème, c'est que partout en Europe on manque d'investisseurs. Ceci, certains devraient vraiment le comprendre. Si on n'arrive pas à développer parallèlement le nombre de propriétaires en PPE et les constructeurs d'utilité publique, on va assister à un assèchement du marché qui pourrait être très sévère. En disant cela, nous ne faisons rien d'autre que de défendre un certain nombre de politiques développées depuis longtemps dans les pays nordiques en particulier, où il existe un marché du logement libre, minoritaire, des constructeurs d'utilité publique qui assurent une base stable et à long terme pour le logement social, et, de l'autre côté, le développement de la propriété qui, en Suède par exemple, a évidemment plus d'avenir que sur notre territoire, au vu du nombre de villas qui existent. Nous ne disons rien d'autre que cela. L'initiative, à notre avis, ne répondait que très imparfaitement à cette préoccupation. Le contre-projet a quelques défauts, mais nous lui trouvons essentiellement des vertus dans le cadre de la politique du logement que je viens de décrire.
M. Mark Muller (L). Quelques mots concernant le rapport de minorité tout d'abord. Ensuite, je présenterai la position du groupe libéral sur l'initiative elle-même. Il est vrai que l'initiative 115 a passé à la raclette, comme vous l'avez dit, Monsieur le rapporteur de minorité, mais ce n'est pas une spécialité réservée à notre initiative. Je pense notamment à une initiative relativement récente, qui précède de quelques numéros l'IN 115, soit l'IN 111 pour la réduction des impôts: cette initiative aussi avait passé à la raclette et n'avait abouti que par quelques signatures. Vous vous rappelez tous le sort que le peuple lui a réservé: un véritable plébiscite ! Les conditions d'aboutissement ne préjugent donc en rien du sort que le peuple réservera à l'IN 115 ou à son contre-projet en votation populaire.
Il est vrai que les milieux immobiliers, comme vous dites - et dans votre bouche c'est un gros mot - ont soutenu le lancement de cette initiative. On pourrait d'ailleurs s'en étonner, car les membres de la Chambre immobilière, après tout, sont déjà propriétaires et on pourrait se demander en quoi l'accession à la propriété les regarde. Cela explique probablement pourquoi l'initiative 115 a eu un peu de peine à aboutir. Nous avons dû, comme vous d'ailleurs, lorsque vous lancez des initiatives, descendre dans la rue, tenir des stands et appâter les chalands pour les inviter à signer notre initiative.
Genève a un taux de propriétaires de 13,8%, soit le plus faible de Suisse après le canton de Bâle-Ville. Les initiants ont estimé qu'il fallait tenter de modifier cet état de fait. Ils se sont tout d'abord demandé pourquoi le taux était si faible. La première réponse, c'est que Genève a une législation particulièrement peu incitative, pour ne pas dire plus, particulièrement peu encourageante pour ceux qui souhaitent devenir propriétaires de leur logement. Au contraire, toute une série d'embûches existent et le désir des initiants a été de lever ces embûches. A nul endroit vous ne verrez une aide aux nouveaux propriétaires: on ne propose, on ne demande aucune aide, on souhaite simplement que soient supprimés un certain nombre d'obstacles. Les droits d'enregistrement en sont la démonstration: Genève est le canton suisse qui a les droits d'enregistrement les plus élevés. Les initiants ont simplement souhaité corriger cette situation en réduisant ces droits de moitié en cas d'accession à la propriété individuelle, de sorte que Genève se retrouve dans la moyenne suisse.
Ce soir, la position du groupe libéral va peut-être vous surprendre, puisqu'en commission nous avions décidé de nous abstenir. A l'époque, on se dirigeait assez clairement vers un refus de l'initiative et vers l'élaboration d'un contre-projet et nous ne voyions pas d'intérêt majeur, en commission et sans avoir eu l'avis de notre groupe, de voter pour ou contre l'initiative, comme l'ont fait les autres commissaires. Nous avions donc décidé de nous abstenir.
Lors de notre caucus, nous avons décidé de modifier notre position pour la raison suivante. D'une manière ou d'une autre, le peuple aura à trancher. Comme vous le savez, le 2 décembre dernier, le peuple a adopté le contre-projet à l'IN 112 qui prévoit qu'en cas de modification de la fiscalité, à la hausse ou à la baisse, le peuple genevois doit se prononcer. Dès le moment où le contre-projet ira devant le peuple, la question se posera de savoir si les initiants retireront leur initiative ou pas. La réponse à cette question, pour l'instant, nous ne la connaissons pas, elle n'est pas de notre ressort... (Rires et exclamations.)Or, dans l'hypothèse où le peuple aurait à se prononcer sur l'initiative et sur le contre-projet, le parti libéral, ou en tout cas les représentants de notre groupe à l'assemblée des délégués préconiseront le double oui. C'est pour cette raison que ce soir le groupe libéral votera oui à l'initiative.
Deux mots pour expliquer ce oui. Nous ne partageons pas du tout l'avis de la majorité de la commission selon lequel cette initiative serait mal ficelée ou inapplicable. Le problème - qui avait d'ailleurs déjà été soulevé en commission législative - est celui du contrôle de l'affectation du logement au domicile de l'acquéreur pendant trois ans. La majorité de la commission, dans un premier temps, a estimé qu'il fallait instaurer un système très complexe de contrôle, avec l'inscription d'une mention au registre foncier, etc. Le parti libéral ne partage pas cet avis et estime que l'administration fiscale dispose de tous les instruments nécessaires pour contrôler l'affectation du logement en question au domicile de son propriétaire. En effet, lorsque le propriétaire occupe son propre logement, il paie un impôt sur la valeur locative que l'administration fiscale identifie parfaitement, et lorsqu'il n'habite plus ce logement-là, il ne déclare plus de valeur locative. Il nous paraissait donc que l'administration fiscale pouvait très bien opérer ce contrôle, comme le font d'ailleurs les caisses de pension, lorsque l'acquéreur utilise les fonds du deuxième pilier pour devenir propriétaire de son logement.
Une dernière remarque...
Le président. Oui, il vous reste trente secondes, Monsieur le député...
M. Mark Muller. Une dernière remarque pour le rapporteur de minorité: il a manifestement peu d'arguments à opposer à l'initiative puisque, dans son rapport, il croit utile de s'attaquer personnellement à celui qui vous parle et qui effectivement a fait partie des auteurs de l'initiative. M. Vanek en vient même à faire de la publicité pour mon site internet et je l'en remercie très sincèrement ! Il invite du reste les lecteurs du rapport à venir consulter une photo où je pose entre Batman et Superman... Cela vous intéressera peut-être de savoir que cette photo a été prise devant le Chinese Theatre à Hollywood. Je pense que vous avez dû ressentir un peu de jalousie, Monsieur Vanek, en me voyant poser entre Batman et Superman... (Rires.)...jalousie qui vous a poussé à vous habiller comme le Joker ce soir ! (Rires.)Eh bien, sachez, Monsieur Vanek, que, si vous le souhaitez, je publierai volontiers une photo de vous sur mon site internet !
M. Rémy Pagani (AdG). En dehors de la question du rêve d'être propriétaire, on a entendu des explications étonnantes en ce qui concerne la profusion, si j'ose dire, de locataires à Genève. Je crois qu'il faudrait quand même se poser la question de savoir pourquoi, dans une des capitales mondiales de la gestion de fortune, des placements financiers, il y a autant de locataires. Pour ma part, j'ai toujours pensé qu'il n'était pas possible d'avoir une telle masse d'argent sans la placer, notamment dans la pierre... Ce soir, les bancs d'en face reprochent à notre ville son taux élevé de locataires, mais je crois qu'ils ont fait en sorte, depuis des années, de maintenir ce quota de locataires pour effectivement rémunérer l'investissement foncier. Ils en ont même abusé: je rappelle que, dans les années 80, un immeuble vide, sans locataires, était plus rémunérateur, pour les investisseurs immobiliers, qu'un immeuble avec locataires ! C'était le jeu de l'avion et nous en avons constaté les effets notamment sur la Banque cantonale !
En dehors du rêve, du miroir aux alouettes que certains présentent aux locataires de notre canton, il y a quand même une question que devraient se poser les bancs d'en face et les gens qui nous écoutent. J'ai lu, dans le rapport qui nous est soumis, une étude du professeur Tobias Studer, qui dit: «Les plus bas ratios de logements en propriété se situent dans les classes moyennes de revenus situés entre 50 000 F et 70 000 F. C'est là que le besoin de rattrapage devrait être le plus grand et donc que l'efficacité d'une politique active d'accession à la propriété serait la plus forte.» Or, ce qu'on nous propose, Mesdames et Messieurs, dans le projet de loi qui nous est soumis, c'est d'alléger la charge fiscale des propriétaires pour des opérations allant jusqu'à 2 millions ! Pensez-vous sérieusement qu'un banquier ou que n'importe qui prêtera de l'argent aux gens qui devraient être encouragés pour l'accession à la propriété - soit ceux disposant d'un revenu entre 50 000 F et 70 000 F - pour acheter un bien à 2 millions? C'est à ce niveau-là que ce projet de loi est une escroquerie, c'est-à-dire qu'il fait croire à la majorité de la classe moyenne qu'elle pourra accéder à la propriété, alors que ce projet va bénéficier en priorité à ceux qui, comme l'a dit M. David Hiler, sont déjà financièrement très bien lotis. Ce projet va faire bénéficier de ces réductions d'impôts une catégorie beaucoup plus aisée que la population cible.
C'est pourquoi nous allons déposer deux amendements...
Le président. Il n'y a pas d'amendement sur l'initiative, Monsieur Pagani, ce n'est pas possible, vous le savez ! Les amendements ne peuvent porter que sur le contre-projet...
M. Rémy Pagani. J'y reviendrai alors au moment où nous traiterons le contre-projet...
M. Pierre Vanek (AdG), rapporteur de minorité. Je vais tenter de reprendre là où j'en étais à la fin de ma première intervention... Mais avant, une incise pour M. Muller, qui a rendu hommage à mon rapport de minorité et qui étale sa fierté de se voir photographier entre Batman et Superman. Je n'avais pas l'intention de le mentionner, c'était juste une note infra-paginale pour amuser mes collègues, mais enfin puisqu'il a ouvert le sujet, rappelons que Batman est en réalité le milliardaire Bruce Wayne: on voit bien d'où viennent les préoccupations des initiants... Superman, lui, est un extraterrestre qui vient de la planète Krypton et les propos des initiants - mais doit-on dire les initiants ou les auteurs du contre-projet? on ne sait plus très bien sur quel pied danse M. Muller - leurs propos sont effectivement un peu extraterrestres par rapport aux réalités quotidiennes que vivent la majorité des Genevois.
M. Muller s'est ajouté une casquette: en commission, il s'est abstenu et n'a donc pas soutenu son initiative; tout d'un coup, il la soutient à nouveau... Son groupe, qui n'a pas voté l'initiative en commission, va la défendre ici - mais pas par la bouche de Mme Hagmann puisqu'elle s'est abstenue - et M. Muller, auteur du contre-projet, va voter tout à l'heure pour l'initiative, ce qui empêcherait, s'il était suivi, si son éloquence parvenait à convaincre les députés dans cette salle, ce qui empêcherait cette assemblée de voter la loi qu'il a préparée avec tant d'amour en commission... Tout cela est un peu grotesque et les citoyens mériteraient des choses un peu plus claires et un débat politique un peu plus sérieux !
J'en reviens là où j'en étais dans mon exposé liminaire, pour dire que l'initiative, ou le contre-projet, enfin les mesures qui nous sont proposées, visent à assécher les recettes de notre collectivité. M. Hiler a indiqué que les droits d'enregistrement n'étaient peut-être pas un bon impôt, peut-être pas le meilleur... Ce point-là pourrait être discuté. S'il s'agissait simplement de réformer l'assiette fiscale et la manière dont les impôts sont prélevés, on s'assurerait que cette opération soit neutre sur le plan fiscal et on trouverait de meilleurs impôts pour compenser le manque à gagner qui, selon les dernières estimations fournies par le département des finances et basées sur les données de l'année 2000, s'élèverait, arrondi au million, à 25 millions par an ! C'est en effet cette somme qui serait effectivement distribuée - si MM. Muller et consorts l'emportaient - sous forme d'avantages à un certain nombre de gens qui ont les moyens d'accéder à la propriété de leur logement, et pour Genève cela n'est pas rien ! C'est donc de l'argent qui serait distribué à une toute petite frange des habitant-e-s de cette République qui, pour part, pour parler de l'initiative, n'en ont évidemment pas besoin. L'initiative en effet ne fixe aucune espèce de plafond et n'importe qui pourrait s'acheter un palais et se voir octroyer des cadeaux fiscaux au titre de l'initiative, dont M. Muller - c'est le scoop de la soirée - a annoncé qu'il la voterait quand même, avec son groupe et avec, je pense, la rapporteuse dite de majorité assise en face de moi.
Maintenant, à quoi sert cette initiative? Bien sûr, il y a l'aspect fiscal, mais il s'agit aussi de tenter de détourner l'attention concernant l'explosion des loyers, devenus inabordables pour la majorité de nos concitoyens, l'effritement dramatique du parc de logements bon marché et le cauchemar réel, lui, que vivent très concrètement toute une partie de nos concitoyens. Enfin, il y a l'aspect que je relevais tout à l'heure, en parlant de la religion et de la propriété présentées comme des valeurs en quelque sorte équivalentes - ce qui avait choqué M. Blanc du parti démocrate-chrétien - cette mise en scène de la propriété et du propriétaire comme ayant toutes les vertus, comme étant le citoyen modèle, est grave. Cela relève d'une idéologie qui fut un temps pratiquée par certains régimes, qui n'octroyaient, au titre de cette «responsabilité» qui était celle des propriétaires, le droit de vote et a fortiori le droit d'éligibilité qu'à des gens qui étaient effectivement propriétaires.
Dans les débats autour de cette initiative, on a bien entendu des propos de cet ordre-là dans la bouche des initiants ou de leurs compères - ou de leurs collègues, pour rester neutre quant à la formulation... On nous a dit systématiquement que la personne accédant à la propriété de son logement devenait responsable, qu'elle n'était plus assistée, qu'elle se prenait en charge... Mesdames et Messieurs, tout ceci est une injure, une insulte inadmissible envers l'écrasante majorité des travailleuses et des travailleurs de ce canton... (Exclamations et rires.)Cela vous fait rire, ce n'est pas par hasard... Je m'attendais à ces ricanements...
Le président. Il vous reste une minute, Monsieur Vanek...
M. Pierre Vanek. Ces travailleuses et travailleurs, je le répète, contrairement à ce qu'on voit sur les bancs d'en face, sont effectivement ceux qui produisent les richesses réelles dans ce canton, par leur travail, et non par des spéculations, par des activités glauques dont on pourrait aussi parler...
Le président. Revenez au sujet, Monsieur Vanek, s'il vous plaît !
M. Pierre Vanek. En l'occurrence, on vise à diminuer, à discréditer ces gens-là en les traitant d'assistés et d'irresponsables. Il y a effectivement une composante, je dirais idéologique, quasi religieuse, dans cette initiative, qui vise à déligitimer le statut de locataire. Et cela pour empêcher qu'on s'occupe de la situation concrète de la majorité des habitantes et des habitants de ce canton, qui sont des locataires et qui ont besoin qu'on lutte contre la spéculation immobilière, qui ont besoin que la construction et le subventionnement de logements se développent, avec une priorité aux habitations à bas loyer... Dois-je m'interrompre, Monsieur le président?
Le président. Oui, je ne peux vous accorder que sept minutes, sinon il risque d'y avoir des recours...
M. Pierre Vanek. Tout à fait ! Je continuerai donc plus tard. S'agissant des besoins des habitantes et des habitants de ce canton, je citerai simplement l'article 10A de la constitution de la République et canton de Genève, qui porte comme titre: «Droit au logement» !
M. Pierre Froidevaux (R). M. Vanek me fait beaucoup de peine ! Des collègues m'avaient appris que, lorsque le parlement discutait d'un sujet, il fallait parler de ce sujet... Je me rappelle que Michel Balestra me disait: «Quand on joue Brahms il ne faut pas jouer Mozart parce que cela fait déraper la musique !» Je vous propose donc qu'on revienne à l'objet de notre conversation d'aujourd'hui, qui est l'initiative 115 intitulée Casatax.
Première remarque: vous remettez en cause, Monsieur Vanek, la présence de Mme Hagmann comme rapporteure de majorité. J'aimerais relever ici combien son rapport est remarquable et conforme aux travaux de la commission, à quel point l'argumentaire juridique, les arguments contre l'initiative et les arguments pour le contre-projet sont développés avec efficacité et précision.
Mes remerciements ne vont pas seulement à Mme la rapporteure, mais aussi à la Chambre genevoise immobilière qui est à l'origine de ce débat, débat qui nous a permis de remettre en cause une législation si ancienne que plus personne dans ce parlement ne se rappelle en avoir discuté...
Cela dit, lorsque nous avons étudié cette initiative en commission fiscale, le groupe parlementaire radical lui a trouvé quatre défauts, qui ont d'ailleurs été relevés par la plupart des groupes. Le premier, c'est qu'il n'y avait pas de plafonnement concernant la réduction de 50% des droits d'enregistrement proposée. Cela signifiait qu'un objet valant 10, 15 ou 20 millions bénéficiait de la même réduction, ce qui ne paraissait pas conforme à l'objectif visé dans l'argumentaire de Casatax, qui était de favoriser une meilleure accession au logement. Sur ce point, nous avons donc remis en cause l'initiative, en imaginant qu'un contre-projet pourrait mieux favoriser les personnes à revenus plus modestes.
Nous nous sommes aussi inquiétés de savoir si les revenus communaux pouvaient être touchés. Heureusement, lors des débats, Mme la présidente du département nous a assuré que les communes n'allaient pas être gênées par les dispositions légales que nous pourrions adopter, que ce soit l'initiative ou un contre-projet.
Enfin, cette initiative avait encore le défaut de sa faisabilité: nous n'avions pas la garantie que le contrôle serait possible. En effet, lorsque des personnes ayant bénéficié de cette réduction décident de mettre en location le logement acquis ou de le revendre, la réduction qu'elles ont pu avoir doit revenir à l'Etat, dès lors que l'affectation au logement du propriétaire a duré moins de trois ans.
Le contre-projet, lui, a l'avantage d'assurer l'accession à la propriété en améliorant le point qui paraît le plus fondamental et qui est la constitution des fonds propres. Les personnes intéressées à acquérir un bien immobilier doivent pouvoir réunir les fonds propres le plus rapidement possible. Or, cet impôt touche véritablement les fonds propres pour un montant non négligeable. Le contre-projet prévoit que, pour toute acquisition d'un bien immobilier jusqu'à un demi-million, il y a une déduction totale des droits d'enregistrement. Ceci est, pour la classe moyenne, un facteur important pour acquérir son propre logement. En ce sens, l'analyse proposée par M. David Hiler sur le but poursuivi par le contre-projet a retenu toute l'attention du groupe radical: il y a là effectivement un élément de justice sociale.
Mesdames et Messieurs, je vous recommande donc de voter non à l'initiative, car elle a trop de défauts, et d'apporter votre soutien au contre-projet.
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Je n'ai pas grand-chose à ajouter après ce que vient de dire M. Froidevaux, si ce n'est que je rappellerai que le parti démocrate-chrétien a toujours affirmé son soutien à l'accession à la propriété. Il l'a du reste réaffirmé lors d'un récent débat sur le plan fédéral. Nous sommes donc en parfait accord avec le but poursuivi par l'initiative.
Comme l'a rappelé Mme Hagmann dans son excellent rapport, Genève connaît un taux de propriétaires particulièrement faible, le plus faible en moyenne nationale. Nous avons également constaté que beaucoup de Genevois rêvaient d'accéder à la propriété et que ce rêve était entravé par différents éléments, dont notamment le coût. A cet égard, ce projet va dans le bon sens. L'initiative n'est qu'un pas, effectivement, dans cette direction, mais c'est déjà un pas. C'est pourquoi nous soutenons l'esprit de l'initiative.
Cela dit, il est vrai qu'après avoir analysé cette initiative en commission nous avons constaté qu'elle avait quelques défauts. Tout d'abord, s'agissant du changement d'affectation du logement, le problème du contrôle n'était pas vraiment résolu, la responsabilité du notaire n'était pas claire non plus, et surtout il n'y avait pas de limites dans les montants d'acquisition du bien.
Au cours des travaux de la commission fiscale, toutes ces questions ont été abordées. Il a ainsi été proposé de revenir sur la possibilité de déduire les droits dès le départ, dès l'accession à la propriété. Nous avons estimé que, si cette réduction des droits était remboursée après les trois ans, l'initiative n'aurait pas le même effet et qu'il fallait absolument que l'on puisse déduire ces droits tout de suite. Même si cela n'a effectivement qu'un petit effet, c'est un effet quand même important, c'est un signe important en faveur de l'accession à la propriété.
En définitive, nous avons décidé de refuser l'initiative pour permettre la rédaction et le dépôt d'un contre-projet. A nos yeux, ce contre-projet, tout en reprenant l'esprit de l'initiative - que le groupe démocrate-chrétien soutient, je le rappelle - permet tout d'abord de clarifier la situation par rapport au changement d'affectation du logement et simplifie surtout le système qui avait été prévu par l'initiative. Le groupe démocrate-chrétien vous recommande donc, Mesdames et Messieurs, de soutenir le contre-projet et de refuser l'initiative.
M. Christian Luscher (L). J'aimerais tout d'abord adresser un grand merci à M. Pagani: il a estampillé l'initiative 115 du label «escroquerie» et ce terme a en général pour effet de porter chance aux initiatives ainsi labellisées, lorsqu'elles sont présentées devant le peuple... Je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler que la dernière initiative à laquelle vous avez donné ce qualificatif a largement passé devant le peuple, de sorte que de vos escroqueries, Monsieur Pagani, le peuple en veut ! Je vous remercie donc, chaque fois que vous voulez qu'une initiative passe, de dire qu'elle est rédigée par des escrocs et qu'il s'agit d'une escroquerie !
Plus sérieusement, l'accession à la propriété, qu'on le veuille ou non dans ce parlement, est un des piliers de notre constitution. M. Vanek parle d'idéologie: il est vrai qu'il s'agit d'une question d'idéologie. Effectivement, nous avons en Suisse l'idéologie de l'accession à la propriété, nous avons en Suisse l'idéologie de la propriété individuelle, nous ne connaissons pas les kolkhozes ou les sovkhoses chez nous, nous sommes attachés à ce que chacun puisse devenir propriétaire de son propre logement. Et si nous sommes attachés à cette idéologie, c'est tout simplement parce qu'elle a pour effet, dans nos sociétés où tout est en mouvance, d'ancrer les propriétaires dans leurs biens, dans leurs pierres, et qu'elle a également pour effet de créer des contribuables stables dans notre canton. L'expérience démontre que, lorsque quelqu'un est propriétaire individuel, il a une plus grande envie d'entretenir son bien immobilier, de faire travailler des entreprises pour que son bien immobilier reste en bon état. Tout cela est bon pour l'économie: la stabilité fiscale, parce que le propriétaire reste à Genève, les fonds injectés dans l'économie pour l'entretien de la propriété - ce qui n'est pas toujours le cas, et Dieu sait si vos milieux s'en plaignent et parfois à juste titre, des propriétaires qui louent leur logement à des locataires. Le propriétaire qui est propriétaire de son bien individuel a une propension plus forte à assurer un meilleur entretien.
Cela dit, il est vrai que le montant de 2 millions peut paraître astronomique. A cet égard, je rappelle que, pour acheter une maison à 2 millions, rares sont les bienheureux qui détiennent une somme aussi importante. En général, la banque demande des fonds propres à hauteur de 20%, vous le savez aussi bien que moi, ce qui en l'espèce correspond à des fonds propres de 400 000 F. Mais, lorsque les gens n'ont pas 400 000 F, ils peuvent encore nantir, comme le droit fédéral le prévoit, leur deuxième pilier, de sorte qu'il n'est pas totalement exclu qu'un employé de 45 ou de 50 ans dispose d'un deuxième pilier de l'ordre de 200 000 ou 250 000 F et d'avoirs personnels de sa propre épargne à hauteur de 150 000 F, s'il n'a pas, comme certains le font, acquis un bien immobilier soit dans un autre canton, soit en France voisine.
Le parti libéral a donc décidé de soutenir l'initiative, non pas parce que M. Pagani a dit qu'elle relevait de l'escroquerie, mais simplement parce que nous n'avons pas peur de ce que le peuple dira. Mesdames et Messieurs, que cela vous plaise ou non, les statistiques sont absolument claires: les gens aspirent à devenir propriétaires. Je comprends que cela gêne certains d'entre vous, dans la mesure où le vivier de votre électorat, ce n'est pas les propriétaires. Il se trouve cependant que les mesures qui visent à l'accession à la propriété trouvent, d'une manière générale, la faveur de la population, raison pour laquelle nous n'avons pas peur, de notre côté, de soutenir cette initiative et de la soumettre au peuple. Nous voterons donc tant l'initiative que le contre-projet.
M. Christian Grobet (AdG). Il est vrai, Monsieur Luscher, que cette votation populaire sera intéressante... Même si les moyens de campagne des uns seront certainement disproportionnés par rapport à ceux des autres, on verra effectivement si la majorité des citoyennes et des citoyens est d'accord de voter une initiative qui est - faut-il employer le terme d'escroquerie, je n'en sais rien - mais qui est en tout cas un leurre total.
Je me souviens des débats qui ont eu lieu au début des années 80, lorsqu'on a décidé d'introduire dans notre législation un taux d'utilisation du sol plus élevé en cas de construction de logements contigus. L'idée était précisément de favoriser l'accession à la propriété, mais également et surtout d'utiliser notre territoire limité de la manière la plus rationnelle. A l'époque, Monsieur Blanc, des membres de votre parti comme M. Milleret avaient le souci que cette mesure d'aménagement du territoire n'ait pas comme effet de faire augmenter les prix des terrains en conséquence. On a donc vainement essayé de trouver un système de contrôle du prix du terrain, afin que, en cas de dérogation à un taux de 0,25 ou de 0,30, cette densification n'entraîne pas une augmentation proportionnelle du prix du terrain. Tout cela a été totalement inapplicable et la réalité, c'est que les prix des terrains se sont envolés, démontrant que plus on densifie en zone villas, plus le prix du terrain augmente par rapport au prix d'un terrain pour une villa individuelle.
En l'occurrence, vous le verrez: cette initiative ne va pas réduire d'un centime ce que les futurs propriétaires vont payer. M. Muller est mieux placé que quiconque, en tant que représentant des milieux immobiliers, pour savoir que les prix des villas sont fixés en fonction de ce que les gens peuvent payer et qu'aujourd'hui les prix sont à la hausse, que les prix des terrains sont en train de s'envoler. Par voie de conséquence, on peut dire que tout ce qui sera versé par la collectivité sera empoché par ceux qui font d'énormes plus-values sur les ventes de terrain, les intermédiaires et j'en passe. Il n'y aura aucune baisse du prix d'acquisition des logements, c'est un pur leurre.
Aussi, quitte à vous décevoir, Monsieur Weiss - vous êtes nouveau dans ce parlement et donc excusable: vous entendez tous ces ragots que racontent vos amis politiques... - quitte à vous décevoir, ce soir, je vais voter contre ce projet de loi, contre cette volonté des libéraux de favoriser les contribuables les plus aisés de ce canton. Vous le savez, je suis propriétaire et je suis donc à l'aise pour dire qu'il est parfaitement choquant de vouloir faire des cadeaux fiscaux supplémentaires aux propriétaires, sachant tous les privilèges dont ils bénéficient déjà actuellement, y compris sur le plan fiscal, comme pourrait le confirmer Mme Calmy-Rey.
Il y a là quelque chose d'indécent dans la bouche de ceux qui, sur les bancs d'en face, disent en même temps que les prestations de l'Etat doivent être mieux ciblées. Je pense particulièrement aux prestations sociales, notamment les prestations en matière d'assurance-maladie dont vous avez le culot, Monsieur Froidevaux, de dire qu'on devrait les limiter à ceux qui sont véritablement dans le besoin ! Et encore, on sait ce que vous pensez de ceux qui sont dans le besoin, puisque vous allez recommander de voter contre le RMR... (L'orateur est interpellé.)Oh, peut-être pas vous, Monsieur Dupraz...
M. John Dupraz. C'est de la calomnie!
Le président. M. Dupraz se réveille!
M. Christian Grobet. Ce n'est pas de la calomnie, Monsieur, c'est votre ami M. Froidevaux, vos milieux qui préconisent une politique de la santé visant à aider uniquement les plus humbles et faisant abstraction de la majorité de la population. Du reste, on verra ce que fera M. Unger, mais ses déclarations ne sont pas de bon augure...
Aujourd'hui, vous tenez un double discours: selon vous, l'Etat ne doit intervenir, sur le plan social, que pour les plus pauvres, mais par contre vous êtes d'accord de faire des cadeaux aux plus riches ! C'est absolument scandaleux ! Nous verrons, Monsieur Muller, même si nous n'avons pas les mêmes moyens financiers que vous, mais quoi qu'il en soit je n'ai pas tellement peur de cette votation. En effet, j'ai peine à croire, si la population est bien informée, qu'elle sera d'accord de financer, Monsieur Luscher, des acquisitions de villas en dessus de 2 millions, comme le préconise l'initiative... Voyez-vous, je crois que ce ne sont pas tout à fait les opérations qui méritent l'appui des contribuables !
Le président. Je vous félicite, Monsieur Grobet, vous vous en êtes tenu à sept minutes pile !
Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse de majorité. Mesdames et Messieurs, raclette ou pas, cette initiative a récolté plus de 10 000 signatures. Il y a 10 000 personnes qui attendent d'avoir ce soir un relais au Grand Conseil pour exprimer leur désir: il me semble que vous méprisez aussi ces personnes et que c'est notre rôle de servir de relais ici ! Voilà pour la première chose.
Ensuite, Monsieur Grobet, en bon politique, vous faites évidemment exprès de parler des avantages dont bénéficient les propriétaires. Vous-même, vous êtes propriétaire et vous savez très bien qu'un propriétaire doit assumer beaucoup de choses, que les avantages ne sont pas si grands: un propriétaire paie une valeur locative pour sa villa, il doit assumer absolument tous les frais, mais c'est un désir, un choix de société... (Exclamations.)De plus, vous ne parlez que des villas de 2 millions, alors que le contre-projet, je l'ai dit au début, est tout à fait favorable aux gens qui achèteront un bien de 400 000 ou de 500 000 F. Mon excellent collègue M. Luscher a donné l'exemple d'un achat de 2 millions, mais faites le même test pour un achat de 500 000 F. Pour un achat de 500 000 F, vous devez disposer de 20% de fonds propres, soit 100 000 F, ce que beaucoup de personnes essaient de faire en mettant de l'argent de côté pour réaliser leur rêve: à ce moment-là, les 15 000 F de taxe correspondants seraient totalement supprimés, ce qui est une somme très importante pour les gens concernés.
Dernière remarque à l'adresse du rapporteur de minorité. J'aime bien son langage et sa façon de rédiger parce qu'il fait toujours très attention à utiliser des termes épicènes, c'est-à-dire qu'il fait très attention à mettre les féminins. Mais pourquoi M. le rapporteur ne parle-t-il que d'initiants? Dans l'esprit du rapporteur de minorité, n'y a-t-il qu'un homme qui soit capable de devenir propriétaire? (Rires.)
M. Gilles Desplanches (L). Pour ma part, j'aimerais surtout parler du rapport de minorité, de la façon dont M. Vanek falsifie les dires des uns et interprète à son avantage les dires des autres... Monsieur Vanek, cela vous fait sourire, moi non ! J'estime que, quand on fait de la politique, on essaie d'être honnête, on retranscrit les discussions qui ont lieu en commission de manière qu'on puisse les retrouver dans les rapports. Ce n'est pas votre cas: visiblement, vous aimez interpréter. En l'occurrence, vous me citez en tant que député patron: c'est vrai, je suis un député patron, il n'y en a pas beaucoup, et c'est à cause de gens comme moi, qui sont prêts à suer du matin au soir... (Exclamations.)...que l'économie prospère. Ce n'est pas grâce à des gens comme vous, Monsieur Vanek... (Exclamations, brouhaha.)
Monsieur Vanek, vous écrivez: «Dans le même registre, en commission un député patron, au détour d'une intervention, aura tenu l'un des propos les plus choquants qu'il m'ait été donné d'entendre dans le cadre de nos travaux parlementaires. Parlant d'un salarié locataire qui devient propriétaire, il a lâché au passage qu'ainsi celui-ci «s'assume» enfin et devient «responsable». C'était donc l'objet de votre intervention de tout à l'heure. Ensuite, vous épiloguez en rappelant ce qui s'est passé au début du siècle... Je pourrais aussi rappeler qu'il y a cinquante ans en arrière il y avait des goulags dans le courant politique que vous soutenez, que les gens étaient brimés sur le plan politique... (Brouhaha.)Visiblement, cela fait mal quand on en parle, mais c'est la réalité !
En fait, je me suis posé la question, Monsieur Vanek... Ce serait bien que vous vous concentriez un peu ! (L'orateur est interpellé.)Je m'adresse à vous, parce que vous m'avez personnellement cité !
Le président. Monsieur Vanek, je crois que M. Desplanches utilise les mêmes armes que vous, vous êtes donc quittes !
M. Gilles Desplanches. Je me suis donc posé la question de savoir où se trouvait la fameuse phrase assassine que j'avais pu dire et qui vous avait mis dans un tel courroux. Et je l'ai trouvée dans le P.-V. du 4 décembre ! Dans la prise de position des partis, on peut lire: «Or, il y a bien des Genevois qui ne se risquent pas à ce rêve et qui ont d'autres aspirations. Lors de la dernière séance - il s'agissait donc de la séance du 27 novembre - quelqu'un a pris l'exemple d'un salarié locataire avec deux enfants qui décidait de s'assumer.» Là déjà, ce n'est pas Gilles Desplanches qui parle, puisque le 27 novembre je n'assistais pas à la séance: je n'ai donc pas pu dire cette phrase assassine ! (Rires et exclamations.)
Et puis j'ai trouvé, Monsieur Vanek, la phrase, mais qui date du 20 novembre et que vous avez interprétée: «M. Desplanches ne pense pas que le marché du logement sera influencé par la réduction du taux des droits d'enregistrement tel que le relève Mme Grobet-Wellner. Par contre de jeunes propriétaires se lancent dans ce genre d'entreprise, d'où l'importance pour l'Etat de prendre en compte cette donnée.» Voilà la seule phrase que j'aie prononcée lors des travaux de la commission fiscale, étant donné que je n'ai assisté qu'à très peu de séances et que j'ai laissé ma place à mon excellent collègue Muller. Monsieur Vanek, vous êtes un peu comme Jeanne d'Arc: vous entendez des voix ! Et vous êtes un menteur ! (Applaudissements.)
Le président. Monsieur Desplanches, il m'est plus facile de m'adresser à vous, vous êtes un ami: essayez de mesurer un peu vos propos... Monsieur Vanek, vous avez la parole.
M. Pierre Vanek (AdG), rapporteur de minorité. Je prends la parole étant donné que j'ai été mis en cause... Monsieur Desplanches, vous savez comme moi que les P.-V. ne sont pas des Mémoriaux, des transcriptions exactes, à la virgule près, de tous les propos que tiennent les uns et les autres. Mais je comprends votre indignation, parce que vous ne vous êtes pas rendu compte de ce que vous disiez... (Rires et exclamations.)
Le président. N'insistez pas, Monsieur Vanek, s'il vous plaît !
M. Pierre Vanek. Vous avez effectivement cité l'exemple - mais en toute innocence et c'est ce qui est intéressant - d'un salarié de 40 ou 45 ans, avec deux enfants, un peu comme l'a fait M. Luscher tout à l'heure, qui s'assumerait enfin... Peut-être n'ai-je pas cité la bonne semaine, mais vous étiez bien là, Monsieur Desplanches, et vous avez tenu ces propos contre lesquels je me suis insurgé. Cela dit, Monsieur Desplanches, je retire volontiers tout ce que j'ai pu écrire à votre sujet particulièrement, parce que l'esprit de cette remarque est présent dans toutes les interventions ici: il était présent dans le plaidoyer enflammé de M. Luscher pour la propriété individuelle, il est présent aussi dans le rapport de majorité de Mme Hagmann.
Maintenant, pour revenir à des choses sérieuses... (L'orateur est interpellé.)Oui, car cela m'amuse de vous entendre constamment citer mon rapport ! Je gagne ainsi du temps et je peux parler de choses que je n'y ai pas forcément écrites !
Dans son plaidoyer sur les mérites de la propriété privée, M. Luscher a dit que c'était une question idéologique, que notre ordre était fondé là-dessus, etc. C'est bien, Monsieur Luscher, d'avancer à visage découvert: c'est effectivement l'idéologie de votre parti de prôner la privatisation comme solution à tous les maux de cette société et de cette planète. Nous avons vu dans d'autres domaines, prenons par exemple la question de la Poste, à quoi mène la logique ultralibérale de privatisation à laquelle vous vous référez: elle mène à des fermetures de bureaux de poste, elle mène à une dégradation des services et des prestations pour la majorité de la population. Et, pour ma part, quand je défends par exemple les bureaux de poste de quartier, je ne défends pas les goulags ou les sovkhozes: je défends des choses élémentaires, je défends un service public auquel nos concitoyens ont droit.
Maintenant, vous avez aussi fait un long plaidoyer en faveur de la propriété privée du logement et de ses vertus. Pour quitter l'échange un peu pointu que nous avons, Alliance de gauche-parti libéral, je vais citer à nouveau cette publication mensuelle éditée par le Département fédéral de l'économie: «Il est trompeur d'établir une corrélation entre le nombre de propriétaires et la prospérité d'une société. Les comparaisons internationales indiquent qu'un taux élevé de logements en propriété reflète des marchés rigides et une structure économique dominée par les secteurs primaire et secondaire.» Ce qui, vous l'avouerez, n'est pas tout à fait le cas de Genève... «De plus, les données disponibles montrent qu'il n'existe pas de lien direct entre la charge fiscale et le taux de logements en propriété. Pour la Suisse, la faible proportion de propriétaires est imputable à d'autres facteurs.» C'est le Département fédéral de l'économie qui parle, ce n'est pas l'Alliance de gauche !
J'aimerais poursuivre en prenant un argument qui a été évoqué par les initiants et qui relève du même débat. Ceux-ci ont cru bon d'invoquer, à l'appui de leur initiative, l'écologie et le développement durable. C'est une vision, là aussi, extrêmement choquante et réductrice. Ils disent que, parce qu'une personne sera propriétaire de son logement, de son petit logement individuel - il ne s'agit pas de propriété collective, de coopératives d'habitation par exemple, qui ne sont pas visées par l'initiative et qui ne seront pas soutenues - cette personne consacrera, M. Luscher l'a répété, bien plus de soin à l'entretien de son logement. Comme si les problèmes de la planète, les problèmes de l'écologie demandaient que chacun consacre dans son petit coin plus de soin à l'entretien de sa parcelle... Mesdames et Messieurs, le développement durable, l'écologie, ce n'est pas cela ! Ce qu'il nous faut, ce n'est pas un niveau d'égoïsme supplémentaire, mais bien un niveau de solidarité et d'altruisme plus élevé, pour répondre aux défis que posent l'écologie et le développement durable.
Avec des logiques individuelles comme celles-ci, on pourrait prétendre que, bien entendu, chacun prend bien plus soin de sa voiture individuelle qu'il n'en prend des bus des Transports publics genevois... C'est peut-être vrai, mais la réalité veut aussi que, pour cesser d'étouffer dans cette ville, il est vital de développer les transports en commun, de développer des conditions d'une vie collective, d'une vie commune qui soit gérée de manière démocratique, soit le contraire du repli égoïste que vous prônez...
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député...
M. Pierre Vanek. Oui, je termine ! Cette initiative, comme Christian Grobet l'a démontré, est complètement irréaliste, parce qu'elle ne facilitera pas l'accession d'un seul propriétaire à son logement - mais ses fins sont bien entendu autres... Et les objectifs que vous invoquez à l'appui de votre initiative sont, je ne vais pas être insultant comme l'a été M. Desplanches, en parlant de mensonge, ni verser dans les catégories juridiques en parlant d'escroquerie, mais sont en tout cas du pur baratin !
Le président. Mesdames et Messieurs, le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants, il y en a encore dix...
Mise aux voix, cette proposition est adoptée.
Le président. Je vous rappelle que nous devons voter cette initiative ce soir, car nous avons un délai impératif à respecter.
Cela étant, pour détendre un peu l'atmosphère, je vous annonce la naissance du petit Romain, qui est le petit-fils de notre collègue Mireille Gossauer-Zurcher... (Applaudissements.)
M. Claude Blanc (PDC). Je trouve que ce débat commence à déraper... Je ne vois pas très bien ce que la Poste et les transports en commun ont à voir avec notre débat et je considère les propos de M. Vanek sur la Poste et les transports en commun comme parfaitement dilatoires... (Exclamations.)Cela étant, j'aimerais donner acte à M. Vanek - qui fout le camp... - j'aimerais lui donner acte que j'ai été effectivement choqué par certains propos entendus en commission fiscale. Je tiens à préciser ici qu'en ce qui me concerne je n'attache pas à l'accession à la propriété la valeur d'une religion ou d'un succédané de religion !
Ensuite, je voudrais remercier M. Hiler, qui a tenté de recentrer le débat et qui n'y est malheureusement pas parvenu, puisque le débat a continué à déraper. En fait, il faut quand même dire les choses comme elles sont: il y a dans notre canton un certain déséquilibre eu égard au nombre trop bas de propriétaires. On peut disserter sur le taux souhaitable, mais on devrait trouver les moyens d'améliorer l'équilibre. Bien sûr, on n'arrivera jamais à un équilibre parfait, parce que notre canton est fait comme cela, que son territoire est exigu, mais enfin les gens sont logés de toute manière, qu'ils soient logés en tant que locataires ou qu'ils soient logés en tant que propriétaires de leur logement... Au passage, je relève qu'on donne le sentiment ici qu'il ne s'agit que de villas à 1,5 ou à 2 millions. En réalité, il ne s'agit pas seulement de telles villas: il s'agit surtout d'appartements en propriété par étage valant entre 300 000 et 400 000 F, qu'un certain nombre de personnes sont en mesure d'acquérir. Un certain nombre de personnes dans ce canton ont les moyens, ou auraient les moyens, ou pourraient avoir les moyens de se payer un tel appartement; cela stabiliserait l'habitat et tendrait à recréer un certain équilibre.
Alors, comment devenir propriétaire de son logement? Effectivement, il faut avoir des fonds propres et emprunter le reste. Avec les fonds propres, on doit payer les droits d'enregistrement, les banques ne prêtant pas pour payer ces droits. Ceux-ci grèvent donc les fonds propres qu'un couple en début de carrière a souvent de la peine à réunir et, à cet égard, ce serait vraiment un signe à leur donner, un signe d'encouragement à acquérir leur logement que de faire un geste sur les droits d'enregistrement. Droits qui, comme l'a dit M. Hiler, sont d'ailleurs un impôt injuste parce qu'ils ne sont pas prélevés sur un enrichissement de la personne imposée.
Autre chose qu'il faut dire aussi: dans les frais que doivent assumer les gens qui désirent devenir propriétaires soit de leur appartement, soit de leur villa, il y a des frais, je dirais, occultes, qu'on appelle émoluments du Registre foncier. Mesdames et Messieurs les députés, il n'y a aucune loi qui fonde cet impôt-là. Il s'appelle un émolument, mais en réalité, avec les années, il a dérapé et est véritablement devenu un impôt, qui n'a aucune base légale et qui charge probablement encore plus les futurs propriétaires que les droits d'enregistrement visés par l'initiative aujourd'hui. Là, il faudrait que l'Etat fasse bien attention de ne pas faire l'objet un jour d'un recours de droit public, au motif que ces émoluments du Registre foncier sont un impôt déguisé qui n'a pas de base légale... (L'orateur est interpellé.)Mais il n'est même pas possible de déposer un projet de loi, puisqu'il n'y a pas de loi !
Maintenant, en ce qui concerne l'initiative et le contre-projet, je voudrais dire à mes collègues libéraux que je ne les suis plus tout à fait. En effet, en commission nous avons examiné l'initiative de manière attentive, nous avons vu les défauts et les faiblesses qu'elle comportait et nous avons essayé, ensemble, la plupart des députés de la commission, de concocter quelque chose qui tienne la route, si vous me passez l'expression. Je crois que nous avons trouvé ce quelque chose et je ne comprends donc pas du tout pourquoi vous persistez à vouloir courir deux lièvres à la fois. Si nous sommes sûrs que le projet que nous avons concocté tient la route, il nous faut soutenir ce projet, sans diversification abusive qui risquerait de tout faire capoter.
C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, je vous engage vivement à refuser l'initiative, de manière que les choses soient bien claires, et à partir de là nous adopterons un contre-projet que nous soumettrons au peuple. J'espère qu'une majorité confortable de ce parlement sera d'accord pour dire: nous nous sommes entendus sur un contre-projet et nous avons le courage de le défendre !
M. Souhail Mouhanna (AdG). J'ai écouté les représentants des milieux immobiliers dans ce Grand Conseil faire leur profession de foi concernant leur volonté de satisfaire le rêve généralisé, le rêve unanime des Genevois de devenir propriétaire. Mesdames et Messieurs, je vais vous surprendre en vous disant que, moi aussi, j'aimerais que tous les Genevois deviennent propriétaires, non pas pour le plaisir d'être propriétaires mais pour qu'ils aient un logement décent dans lequel ils pourraient vivre.
Cela dit, je voudrais aller au-delà des slogans que vous nous assénez ce soir, au-delà des slogans que vous nous lancez à la figure selon lesquels le peuple redemanderait de ces initiatives qui pourraient permettre à certains d'entre nous de vous accuser d'escroquerie intellectuelle... C'est un politicien américain qui disait qu'on peut tromper une partie d'un peuple tout le temps, qu'on peut tromper tout un peuple une partie du temps, mais qu'on ne pourra jamais tromper tout un peuple tout le temps... Notre rôle ce soir est de faire en sorte que vous ne soyez pas en mesure de tromper tout le peuple tout le temps. Vous avez effectivement gagné sur un certain nombre de tromperies, mais nous allons essayer de faire en sorte que celle-ci ne passe pas, et je vais vous expliquer pourquoi.
Tout d'abord, je ne dis jamais rien sans preuve et je vais vous donner, Monsieur Luscher, la preuve que ce que vous dites ce soir est faux. M. Desplanches a qualifié M. Vanek de menteur, eh bien, on va voir qui est le menteur dans cette histoire !
Le président. N'en rajoutez pas, Monsieur Mouhanna, s'il vous plaît !
M. Souhail Mouhanna. Monsieur le président, je n'irai pas aussi loin que M. Desplanches tout à l'heure !
Je prends par exemple le texte de l'initiative, qui commence ainsi: «En cas d'acquisition de la propriété d'un immeuble destiné à servir de domicile à l'acquéreur...», je m'arrête là. Je vois que vous avez vu très grand, tout de suite: vous pensez que les gens qui ont besoin d'habiter quelque part ont besoin de tout un immeuble, et non pas d'un appartement... (Protestations.)Oui, bien sûr, ce n'est qu'un terme, mais attendez, je vais y arriver, vous ne perdez rien pour attendre !
Dans le PL 8708, c'est pareil. Maintenant, j'en viens aux chiffres articulés par rapport aux droits d'enregistrement. D'après M. Luscher, 2 millions, ce n'est rien: avec le deuxième pilier, on devrait pouvoir arriver, à 40 ou 45 ans, à 400 000 F de fonds propres. Je ne sais pas combien de personnes aujourd'hui à Genève, à l'âge de 40 ans, disposent d'un deuxième pilier de 400 000 F. Admettons que ce soit possible, il resterait 1,6 million à rembourser. Avec un taux hypothécaire de 4%, cela fait 64 000 F d'intérêts par année, c'est-à-dire plus de 5000 F par mois. Vous ne savez peut-être pas, Monsieur Luscher, parce que vous n'êtes pas dans cette catégorie-là, que près du tiers des contribuables genevois gagnent moins de 15 000 F imposables par année et que plus des deux tiers gagnent moins de 75 000 F imposables par année. Où allez-vous trouver ces gens capables de payer l'équivalent de leur revenu annuel en intérêts, sans qu'il leur reste rien pour vivre?
Prenons maintenant les choses dans l'autre sens. Pour un logement à 500 000 F, les droits d'enregistrement s'élèvent à environ 15 000 F. S'ils diminuent de moitié, les gens vont gagner 7500 F, voire 8000 F ou, disons, 10 000 F. Mesdames et Messieurs, vous avez un autre moyen pour permettre aux gens d'acquérir un logement, c'est de faire en sorte que leur revenu leur permette de payer ces quelques milliers de francs ! En effet, si on augmentait les salaires de 3, 4 ou 5%, en tenant compte d'un salaire annuel de 60 000 F, c'est-à-dire de 5000 F par mois, on récupérerait en très peu d'années le cadeau que vous voulez faire au niveau des droits d'enregistrement. Mais vous qui prétendez vouloir permettre aux gens d'acquérir leur logement, de devenir propriétaires, vous êtes aussi ceux qui vous opposez à toute amélioration des revenus des salariés, aux prestations sociales, à toute amélioration des conditions de vie des travailleurs... (Exclamations.)...et vous venez aujourd'hui nous lancer à la figure tout ce que les travailleurs ont obtenu...
Une voix. Ce sont des conneries !
Le président. Monsieur Vaucher, s'il vous plaît, laissez terminer l'orateur !
M. Souhail Mouhanna. Les conneries, vous en êtes spécialiste ! Monsieur le président, vous savez, il ne m'impressionne pas; il peut dire ce qu'il veut, il ne m'impressionne pas... Je ne suis pas là par votre volonté, Monsieur, et vos conneries, vous les dites tous les soirs !
Le président. Veuillez continuer, Monsieur Mouhanna...
M. Souhail Mouhanna. Je continue, Monsieur le président, mais s'il n'arrête pas, je suis aussi capable de lancer des invectives de ce genre, et je peux même aller plus loin !
Pour notre part, nous nous opposons à ces cadeaux que vous voulez faire à vos milieux, à une toute petite minorité. Si vous voulez vraiment aider les gens à devenir propriétaires de leur logement, il faut soutenir la construction de logements, il faut améliorer les conditions de vie des gens, faire en sorte que toutes et tous gagnent suffisamment d'argent pour vivre décemment, pour trouver un logement qui leur convienne et qui leur permette de vivre dans des conditions acceptables !
Mme Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat. A propos de l'initiative, le Conseil d'Etat n'était pas enthousiaste, à tel point que, dans son rapport sur la prise en considération de cette initiative, il écrivait ne pas y être favorable, argumentant que son objectif, à savoir favoriser l'acquisition de son propre logement, est atteint par la nouvelle loi sur l'imposition des personnes physiques. En effet, dans le cadre de la détermination de la valeur locative cantonale, un abattement de 4% par année d'occupation continue est appliqué, jusqu'à un taux maximum de 40%, et un taux d'effort de 20% a été introduit.
De plus, la commission législative avait émis des doutes en son temps sur l'exécutabilité de cette initiative. Celle-ci n'est pas une bonne initiative dans sa forme et elle ne l'est pas non plus sur le fond, puisqu'elle fait des cadeaux fiscaux, sans aucun plafonnement, à des personnes qui n'en ont pas besoin.
En ce qui me concerne, je ne pleure donc pas de joie ce soir... J'ai la responsabilité du financement des prestations publiques et il est vrai qu'une initiative, ou un contre-projet qui diminue les recettes fiscales de l'ordre de 20 à 25 millions pose des difficultés supplémentaires dans le financement des prestations publiques, comme dans le cadre du remboursement de la dette de l'Etat de Genève qui, vous le savez, reste élevée.
Je ne suis pour autant pas opposée à des diminutions d'impôts, du moment qu'elles restent raisonnables. Je ne suis pas non plus opposée à ce qu'on prenne un certain nombre de mesures incitatives en faveur de l'accession à la propriété. Par contre, là où il y a problème, c'est quand on donne 15 000 F, par exemple, à des personnes qui achètent un bien de plusieurs millions de francs...
Le contre-projet a l'avantage sur l'initiative de poser un plafond, un plafond de 2 millions de francs, qui a été discuté en commission. Je dois dire que celle-ci a travaillé de façon constructive et je partage le sentiment de M. Blanc ce soir, à savoir que je ne comprends plus très bien où on se situe aujourd'hui, puisque j'avais cru que nous étions partis pour favoriser le contre-projet au détriment de l'initiative, qui, sur le fond, n'est pour moi pas acceptable.
Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat se satisfait de la solution qui a été trouvée en commission. Je vous invite donc à entrer en matière sur le contre-projet et à refuser l'initiative.
Mme Mariane Grobet-Wellner (S). Nous étions partis pour scinder ce débat en deux et parler d'abord de l'initiative et ensuite du contre-projet. Je constate qu'on parle des deux objets en même temps, je vais donc faire la même chose.
L'initiative populaire Casatax, après avoir été envoyée à la commission fiscale pour étude, s'est avérée à ce point mal ficelée, inadéquate, inapplicable que même son initiateur, notre collègue député Mark Muller, et le parti libéral n'ont pas voulu - ou décemment pas pu, au choix - la soutenir lors du vote en commission. Les initiants, qui ne manquaient pourtant pas de moyens, ont du reste eu toutes les peines du monde à récolter les signatures nécessaires, pour finalement y arriver in extremis. S'est alors posée une question, à savoir s'il était important d'opposer un contre-projet à cette initiative. A ce stade, les socialistes ne se sont pas opposés au principe. Il nous semblait qu'il devait être possible de trouver une formule qui permettrait à ceux qui, disposant de moyens limités sous forme de fonds propres épargne, souhaitaient acquérir leur logement pour y établir leur domicile principal - par exemple de jeunes couples - de le faire.
Disposant d'un délai, je le rappelle, jusqu'à fin mars 2003, et non fin mars 2002, pour préparer un tel contre-projet et le faire adopter par le Grand Conseil, nous devions avoir le temps de faire un travail sérieux. C'était sans compter avec la quasi-frénésie du représentant des initiants et du parti libéral, suivis par la majorité de la commission, pour faire le forcing et concocter un contre-projet qui, au mieux, peut être qualifié d'emplâtre sur une jambe de bois. Non seulement celui-ci rate sa cible et celle, je le rappelle, des signataires, de toutes les personnes qui ont signé cette initiative, à savoir la démocratisation de l'accession à la propriété de son logement pour ceux qui le désirent, mais en plus il pose des problèmes d'application, notamment en ce qui concerne le suivi de l'utilisation du bien en tant que domicile principal à 100% par l'acquéreur. Et tout ceci à la charge de la collectivité pour la modeste somme de 20 à 25 millions !
Je me contenterai ici d'énumérer les raisons principales pour lesquelles ce contre-projet ne nous satisfait pas du tout. Premièrement, tel que conçu, il a pour effet d'accorder un cadeau de 15 000 F, aux frais des contribuables, à tout acquéreur de domicile personnel, qu'il en ait besoin ou qu'il n'en ait absolument pas besoin. Par exemple, ce contre-projet prévoit que celui qui achète une villa pour le prix de 2 millions, même si cet achat est entièrement financé par des fonds propres, reçoit, comme les autres, 15 000 F de cadeau de la collectivité. Si les socialistes sont prêts à entrer en matière sur le fait de donner un coup de pouce nécessaire à ceux qui ont des moyens d'épargne limités, nous nous opposons évidemment résolument à une telle redistribution, que je qualifierai de redistribution à l'envers, de nos recettes fiscales.
Deuxièmement, les limites fixées par la majorité de la commission sont totalement exagérées et ne correspondent en rien au souci exprimé par les initiants, à savoir l'accès à la propriété de leur logement pour ceux qui ont de la peine à réunir les fonds propres nécessaires de 20% minimum. Le fait de disposer de 15 000 F supplémentaires pour l'achat d'un bien d'un million par exemple, avec 50% de fonds propres, permettra sans doute de s'accorder un aménagement un peu plus coûteux, un peu plus confortable, et c'est tant mieux, mais ce ne doit pas être aux frais de la collectivité.
Troisièmement, et je terminerai par là, l'aspect peut-être le plus problématique du présent contre-projet réside dans le fait que le droit ne doit pas être versé au moment de l'achat, pour être ensuite restitué au bout des trois ans d'occupation à 100% par l'acquéreur. Compte tenu du fonctionnement du marché immobilier à Genève, rien n'empêcherait le vendeur d'augmenter le prix des objets en fonction des disponibilités accrues des acheteurs potentiels. Ce risque concerne évidemment davantage les objets immobiliers à la portée d'un acquéreur ayant un budget fonds propres de 100 000 à 200 000 F. J'ai soulevé cette problématique plusieurs fois en commission fiscale lors de nos travaux, mais sans résultat concluant, si ce n'est une tentative, que je qualifierai de timide, de mon collègue Mark Muller de faire un parallèle entre les mécanismes économiques de la fixation des salaires et ceux du marché immobilier à Genève. Cette tentative a été relatée par Mme Hagmann dans son rapport de majorité et c'est pour cette raison que je me permets de la relever ici.
J'avoue très franchement que j'ai beaucoup de peine à croire à une telle méconnaissance des règles élémentaires...
Le président. Il va vous falloir conclure, Madame...
Mme Mariane Grobet-Wellner. Oui, je vais conclure, Monsieur le président. J'ai donc beaucoup de peine à croire à une telle méconnaissance des règles élémentaires de fixation des prix du marché immobilier à Genève, en déséquilibre notoire et constant entre l'offre et la demande, de la part du secrétaire général de la Chambre immobilière genevoise !
En conclusion, le groupe socialiste s'oppose fermement à ce contre-projet bâclé et totalement inefficace par rapport au but annoncé, tel qu'il vous est présenté ce soir, et je vous invite tous à faire de même.
M. Christian Luscher (L). J'aimerais d'abord tordre le cou à une allégation générale et non motivée, selon laquelle cette initiative serait mal ficelée. Je ne dis pas cela parce que je suis l'un des initiants, il se trouve simplement que j'ai le texte sous les yeux et que, contrairement à la plupart des projets tortueux et compliqués qui sortent des commissions de ce parlement, cette initiative est particulièrement claire. Elle est lisible, elle est compréhensible pour n'importe quelle personne qui veut bien lire ses trois alinéas, de sorte qu'on ne peut pas dire qu'elle est mal ficelée. Qu'elle soit criticable, c'est une chose, mais on ne peut pas se permettre de dire qu'elle est mal ficelée pour éviter d'exposer les raisons pour lesquelles on s'y oppose ! (L'orateur est interpellé.)Je ne suis pas du tout contre, Monsieur Spielmann, vous n'avez pas suivi les débats, je suis désolé de vous réveiller ! Nous sommes au deuxième épisode, vous avez raté le premier !
Cela dit, il faut voir les choses en face: il est vrai que cette initiative peut poser un problème. Effectivement, on ne voit pas pourquoi on devrait faire profiter d'un cadeau fiscal quelqu'un qui achète une maison à 5 millions. Mais enfin, soyons concrets, examinons les transactions immobilières d'appartements, de petites villas jumelles: ce sont les acquéreurs de ce type de biens qui vont profiter le plus de la baisse proposée par l'initiative.
Pour revenir à l'escroquerie précédemment évoquée par mon collègue Pagani, dans cette escroquerie-là déjà, il était question d'une baisse linéaire. On ne peut pas toujours adapter la baisse en fonction des revenus. En revanche, constatons que, dans cette initiative-ci, plus le prix d'acquisition est bas, plus le pourcentage d'économie sera élevé pour l'acquéreur, de sorte qu'en fin de compte tout le monde devrait être satisfait de cette initiative.
Puis, un peu d'humilité: il est vrai que nous, les juristes, lorsque nous rédigeons des textes, nous ne nous rendons pas toujours compte des termes que nous utilisons, ou du moins de la façon dont ils sont compris dans la population. M. Mouhanna, tout à l'heure - et j'ai ri, mais à tort probablement - a dit que les gens, au fond, n'avaient pas besoin de s'acheter des immeubles. Il est vrai que le terme immeuble peut prêter à confusion, mais, juridiquement, un immeuble est simplement l'inverse d'un meuble. Par exemple, ce pupitre-ci est un immeuble parce qu'on ne peut pas le bouger de son socle, de même qu'une cabane de jardin posée sur un socle de béton est un immeuble... Monsieur Mouhanna, je vous rassure donc: il ne s'agit pas du tout de privilégier les gens qui achètent des immeubles abritant plusieurs appartements, il s'agit simplement de privilégier les gens qui achètent soit un lopin de terre, soit un appartement, soit une petite villa jumelle. Ce sont ces gens-là qui sont visés par l'initiative.
Quant à M. Vanek, il disait tout à l'heure: «Luscher, vous avez enfin enlevé vos lunettes, le diable sort, vous défendez les propriétaires !» Eh bien, oui, cela fait de nombreuses années que je défends les propriétaires, que je les défends avec fierté, que je fais effectivement tout ce que je peux pour défendre loyalement, honnêtement et parfois intelligemment, j'espère, la cause des propriétaires. Mais l'idéologie, Monsieur Vanek, de la propriété individuelle, ce n'est pas l'idéologie des libéraux: c'est l'idéologie du peuple suisse, telle qu'elle résulte de la Constitution. Alors peut-être devriez-vous émigrer dans un autre pays, mais tant que vous serez dans ce pays il faudra vous faire à l'idée que notre Constitution fédérale vise à favoriser l'accession à la propriété.
Enfin, je répondrai à M. Grobet concernant le RMR, et ce sera le dernier point que j'aborderai. On nous dit qu'il n'est pas très logique de vouloir faire des cadeaux aux propriétaires et de ne pas vouloir en faire aux gens qui en ont besoin... (Protestations.)...ou d'accorder de l'argent à ceux qui en ont besoin. Je retire volontiers, Monsieur Grobet, le mot cadeaux !
En l'occurrence et premièrement, cette initiative ne profite pas à ceux qui sont propriétaires comme vous et moi, Monsieur Grobet: elle profite précisément à ceux qui sont locataires et qui veulent accéder à la propriété. Deuxièmement, ce que les aspirants propriétaires demandent, ce n'est pas du tout une prestation de l'Etat, c'est simplement une diminution de la contre-prestation de l'Etat. Ici, je note avec plaisir que, quelle que soit la position du gouvernement sur l'initiative Casatax - j'ai cru comprendre qu'il y était substantiellement et profondément défavorable - le gouvernement est d'accord pour dire, contrairement aux discours idéologiques qui sont tenus par certains ce soir et dans une approche intelligente et constructive, que les droits de mutation, d'une certaine façon et dans une certaine limite, doivent être diminués. J'aimerais à cet égard rendre hommage à Mme Calmy-Rey. J'en ai terminé, Monsieur le président !
M. Jean Spielmann (AdG). Il est clair que les initiants, en lançant un texte formulé, ont plusieurs possibilités. La première, c'est d'avoir un bon texte d'initiative, de le défendre jusqu'au bout et donc de le voter en commission... Or, à moins que j'aie mal lu le rapport de Mme Hagmann, il semble qu'en commission aucun commissaire libéral n'a voté l'initiative ! Pourquoi? Parce que, pour présenter un contre-projet, il faut d'abord rejeter l'initiative qu'on a déposée...
La nouvelle législation, en l'occurrence l'article 122B du règlement, prévoit qu'une initiative populaire formulée votée par le Grand Conseil devient une loi ordinaire. Mais cette loi ordinaire, et c'est le but de mon intervention, va poser une série de problèmes et c'est là que vous vous faites rattraper par vos propres propositions. Monsieur Blanc, vous dites qu'il n'y a pas de base légale aux droits d'enregistrement et à la perception du droit foncier: je vous renvoie à la loi D 3 30, loi sur les droits d'enregistrement: «Les droits d'enregistrement sont un impôt qui frappe, etc.», avec le détail des émoluments et taxes, et c'est là où je veux en venir. Mesdames et Messieurs, vous dites que ce n'est pas un impôt: par conséquent la loi que vous avez rédigée pourrait très bien être votée aujourd'hui par le Grand Conseil sans passer en votation populaire. Etes-vous d'accord jusque-là? Cette initiative devrait passer en votation populaire si elle était soumise au nouvel article 53A que vous avez introduit dans la constitution, qui prévoit que toute loi qui modifie un impôt doit être soumise à votation populaire. Mais si ces droits ne sont pas un impôt, je me tourne du côté des responsables: quid de cette question? Certains contestent que ce soit un impôt: est-ce un impôt, oui ou non? cette loi doit-elle passer devant le peuple en fonction de l'article 53A?
Pour ma part, je prétends que le moyen le plus direct et le plus facile pour vous de faire passer ces mesures serait de voter votre initiative et d'appliquer l'article 122B du règlement, qui prévoit qu'elle devient alors une loi ordinaire. Mais, alors, pourquoi avez-vous voté contre cette initiative en commission? Eh bien, c'est parce que vous vous êtes rendu compte que l'initiative posait un certain nombre de problèmes et vous avez donc décidé de déposer un contre-projet. A partir du moment où on est l'auteur d'un contre-projet, c'est qu'on est contre l'initiative. Le débat aujourd'hui pose problème, parce qu'il ne peut pas y avoir de contre-projet s'il n'y a pas rejet de l'initiative. En général, on vote d'abord le rejet de l'initiative et on mandate une commission pour rédiger un contre-projet. Ici, on a fait les deux choses en même temps, c'est ce qui pose effectivement problème.
En réalité, il faudrait accepter l'initiative, qui deviendrait une loi ordinaire, et le problème serait classé. Mais cela, vous ne le voulez pas, parce que vous savez très bien - et c'est pourquoi vous avez rédigé un contre-projet - que vous avez failli dans la présentation de votre initiative, qu'elle comporte des choses qui ne sont tout simplement pas applicables et que vous marqueriez un magnifique auto-goal en votant votre propre initiative. Alors, si M. Luscher est toujours aussi décidé à voter le texte de l'initiative, on verra le résultat !
Sur le fond maintenant, voilà des élus qui déposent des projets de lois, en prétendant travailler pour la réduction de la dette de l'Etat, qui font des propositions ici, en reprochant à ceux qui ont géré les finances de la République durant ces quatre dernières années, le Grand Conseil notamment, d'avoir failli à leur tâche - alors que nous avons rétabli les finances publiques - et qui viennent proposer des diminutions de recettes de l'ordre de 20 millions de francs en faveur de gens qui n'en ont pas besoin ! Et cela sans plafonnement, comme Mme Grobet-Wellner l'a très bien rappelé ! Je comprends, Monsieur Luscher, que vous utilisiez le mot de cadeau, car c'est là véritablement un cadeau. Et ce cadeau est en totale contradiction avec votre volonté affichée de rétablir les finances publiques. Aussi, tant que vous ferez des cadeaux de ce type-là, tant que vous viendrez devant ce Grand Conseil faire des propositions qui vont totalement à l'encontre de tout ce que vous prétendez, s'agissant de rétablir les finances publiques et de réduire la dette, vous serez en totale contradiction et vous ne serez pas du tout crédibles dans votre argumentation.
Ce soir, vous avez le choix: soit vous votez l'initiative que vous avez rédigée et qui est inapplicable, et ce sera terminé. Soit vous refusez l'initiative - c'est votre intention - et vous votez le contre-projet. Celui-ci n'est, pour nous, pas acceptable et je suis persuadé que, dans la situation politique dans laquelle nous nous trouvons, nous arriverons à faire comprendre à la population genevoise la duplicité de votre démarche, qui ne vise en fait qu'à faire des cadeaux à vos amis, et là nous ne marchons pas !
Mme Michèle Künzler (Ve). Les Verts voteront clairement en faveur du contre-projet. Il est vrai que celui-ci a un coût, mais en l'occurrence il favorise l'accès à la propriété. A cet égard, nous n'aimons pas le débat idéologique qui oppose, d'un côté, le rêve d'être propriétaire: c'est totalement ridicule, si la seule chose dans la vie à laquelle on puisse se raccrocher, c'est une propriété, c'est la pierre, c'est vraiment construire sur du sable. Non, cela nous le refusons ! De même, quand la propriété est présentée comme une spoliation par le grand capital, non merci, là non plus, nous ne vous suivons pas !
La présidente du Conseil d'Etat, Mme Calmy-Rey, a dit que le contre-projet pouvait être acceptable du moment qu'il prévoyait un plafonnement. C'est nous qui l'avions proposé en commission et qui avions formulé le contre-projet, qui en l'occurrence favorise les petites acquisitions, c'est-à-dire que les gens qui achètent des biens en dessous de 500 000 F sont exonérés, mais les autres, rassurez-vous, continuent à payer. Celui qui achète un bien à 2 millions continuera à payer 60 000 F de droits. Le rabais est donc extrêmement ciblé, car nous ne voulions pas faire de faveurs à ceux qui achètent des grandes propriétés, comme c'était le cas dans l'initiative. En 2000, quelqu'un a acheté une villa à 16 millions et a payé 500 000 F de droits d'enregistrement: si la situation se représente, un tel acheteur continuera à payer ce montant-là en droits d'enregistrement. Nous avons donc ciblé les petites acquisitions, les appartements, parce que nous ne pensons pas possible que chacun ait une villa.
Ce soir, nous avons déposé un amendement visant à réduire encore le plafond. Un plafond à 2 millions est effectivement trop élevé - même s'il concerne assez peu de gens - et nous voulons le fixer à 1 million, montant qui nous semble tout à fait acceptable. Mon collègue a dit que cet impôt pourrait être supprimé, mais il est évident que, dans la situation actuelle, ce n'est pas possible. Ce soir, nous voulons donc le cibler, de sorte à enregistrer une perte de recettes acceptable de 20 millions, car il y a un effort à faire pour les propriétaires: c'est aussi une forme d'habitation possible, qui doit être accessible, sans que cela devienne un choix idéologique.
M. Christian Grobet (AdG). M. Spielmann a soulevé un problème réel, dont nous débattons du reste depuis un moment et sur lequel il faudra bien que le Conseil d'Etat s'exprime. Les dispositions constitutionnelles sur le droit d'initiative sont très claires: pour qu'il y ait un contre-projet, il faut que la majorité de notre Conseil ait refusé l'initiative. Le fait que l'initiative soit refusée par la majorité du Grand Conseil ne signifie pas pour autant, bien entendu, qu'elle n'est pas soumise en votation populaire: elle est soumise en votation populaire, sauf si ses auteurs la retirent. Quant au contre-projet, il n'est soumis en votation populaire que si l'initiative est mise en votation populaire. C'est-à-dire qu'en vertu des dispositions constitutionnelles applicables au droit d'initiative, si l'initiative est retirée, le contre-projet n'est pas mis en votation populaire. Du reste, un quotidien a mis en évidence cette incongruité...
Ce soir, on a vu, je ne dirais pas avec étonnement, les radicaux, les démocrates-chrétiens, qui soutenaient cette initiative au départ, dire tout d'un coup qu'ils ne la soutenaient pas. Bien entendu, les libéraux ne veulent pas se déjuger, mais cela ne leur coûte rien de dire qu'ils continuent à soutenir leur initiative... Pour ma part, je suis prêt à parier que, lorsque nous aurons voté, on apprendra, comme par hasard, que les auteurs de l'initiative - ce n'est d'ailleurs pas le parti libéral: c'est un comité qui a le droit de faire ce qu'il veut - retirent l'initiative pour tenter, comme le permet la constitution, d'éviter le vote populaire.
Mais enfin, entre temps, nous avons quand même voté cette disposition constitutionnelle qui dit, à l'article 53A, que si une loi a pour conséquence, soit d'augmenter, soit de diminuer les impôts, elle doit obligatoirement être soumise en votation populaire - c'est le référendum obligatoire. Alors, la question posée tout à l'heure par M. Spielmann est parfaitement pertinente: oui ou non, le contre-projet constitue-t-il bel et bien une modification en matière de taxation? Vous hochez la tête, Madame la présidente... Personnellement, j'espère en tout cas que, devant cette absence de clarté, à mon avis volontaire, on ne demandera pas le troisième débat ce soir, de sorte que nous ayons demain une réponse réfléchie et documentée de la part du Conseil d'Etat. Les citoyennes et les citoyens de ce canton ont en effet le droit de savoir si, oui ou non, cette loi qui sera votée ce soir par la majorité de ce Grand Conseil sera soumise obligatoirement en votation populaire... Il ne suffit pas de hocher la tête, Monsieur Lescaze ! Vous qui êtes un homme de loi très consciencieux, vous admettrez avec moi qu'il n'est pas sage, à 22h30, de commencer à lire des articles de loi et à les interpréter. Nous devons avoir une déclaration solennelle demain, de la part du Conseil d'Etat, sur cette affaire, dans laquelle il dise très clairement ce qui se passera si l'initiative est retirée: oui ou non, en vertu des nouvelles dispositions constitutionnelles, y aura-t-il référendum obligatoire? C'est la moindre des choses vis-à-vis de la population, et la «Tribune de Genève» a eu parfaitement raison de mettre en exergue le flou, et les conséquences auxquelles certains ne s'attendaient pas, des dispositions constitutionnelles votées il y a sept ans et qui, de fait, portent atteinte aux droits populaires !
Le président. Nous n'en sommes pas encore là, Monsieur... La parole est à M. Sommaruga.
M. Carlo Sommaruga (S). Pour ma part, j'étais en effet persuadé qu'on se dirigeait vers un vote populaire obligatoire. Toutefois, à la lecture des dispositions légales, il apparaît clairement que nous pourrions rejeter ce soir l'initiative, puis accepter ultérieurement le contre-projet, avec l'incertitude quant à savoir s'il y aura référendum ou pas. Cette façon de procéder n'est effectivement pas correcte, puisqu'un petit groupe d'initiants pourrait ainsi manipuler l'exercice des droits démocratiques. Il faut donc savoir ce qu'il en est: soit on considère qu'il y a un référendum obligatoire, soit on sait, ce soir déjà, qu'il n'y aura pas de référendum.
En l'occurrence, si les dispositions légales prévoient un délai pour se prononcer sur l'initiative elle-même et un autre délai pour se prononcer sur le contre-projet, c'est justement pour permettre la clarification de la position des initiants, c'est-à-dire pour savoir s'ils souhaitent retirer leur texte. Le groupe socialiste pense qu'il est opportun que le Conseil d'Etat donne sa position à ce sujet, dans la mesure où, à ce jour, nous n'avons pas d'engagement quant à l'éventuel retrait de l'initiative par les initiants. Parallèlement, les initiants doivent nous dire exactement ce qu'il en est et ils ne pourront le faire que demain. Dès lors, il est judicieux que la suite du débat ait lieu demain.
Quelques mots maintenant sur le fond de l'initiative. On nous dit que la volonté de devenir propriétaire à Genève est un fait, et un fait majoritaire. MM. Muller et Luscher savent pertinemment que c'est faux. En effet, ils faisaient partie des milieux qui ont défendu l'initiative fédérale «Un logement pour tous» et ils savent très bien que le peuple genevois l'a refusée à 63%. Il y a donc une majorité de Genevois qui ne sont pas pour la propriété et qui défendent en fait des loyers bon marché, parce qu'ils n'ont pas les moyens d'accéder à la propriété.
Deuxièmement, on nous dit qu'un des piliers de la Constitution fédérale est la propriété privée de son logement. Si la Constitution prévoit la défense de la propriété, elle ne défend pas la propriété de son logement en soi. Par ailleurs, si l'on se réfère à la constitution genevoise, on trouve, à l'article 10A, que tout le monde cite, parfois à tort, l'alinéa 2 qui dit: «L'Etat et les communes encouragent par des mesures appropriées la réalisation de logements en location ou en propriété - je vous l'accorde - répondant aux besoins reconnus de la population.» Excusez-moi, mais quand on parle d'un bien de 2 millions, ce n'est pas un besoin reconnu de la population ! Avec la mesure proposée, il s'agit en fait de favoriser les personnes qui disposent déjà d'importants moyens.
On nous dit encore que cette initiative ne favorise pas les propriétaires qui sont déjà propriétaires, mais qu'elle favoriserait uniquement des locataires qui voudraient devenir propriétaires... Monsieur Luscher, je ne sais pas si vous avez bien travaillé le texte ou si vous l'avez mal ficelé, mais cette initiative permet, telle qu'elle est rédigée, de pouvoir échapper à la taxation même lorsqu'on est déjà propriétaire. En effet, si un propriétaire d'un bien de 500 000 F le vend au bout de quatre ans et en achète un autre à 1 million, il bénéficie une deuxième fois, alors qu'il est déjà propriétaire, d'une diminution des droits d'enregistrement. Il y a là un système qui peut être purement spéculatif, sur un logement, sur une villa, et cela vous le taisez. Vous le taisez, mais vous savez très bien que cela est possible. Il est par conséquent inadmissible de dire que cette initiative favorise l'accession à la propriété pour des locataires, alors qu'elle vise aussi et surtout des propriétaires qui revendraient leur bien pour le remplacer par un autre plus cher, et ceci en bénéficiant d'une réduction des droits d'enregistrement. Avant d'asséner un certain nombre de prétendues vérités, il faut voir le texte qu'on a écrit et quelle est sa portée ! En résumé, il est trompeur et fallacieux de prétendre que cette mesure s'adresse uniquement aux locataires pour les aider à devenir propriétaires.
Qu'en est-il du niveau de revenus pour accéder à son logement? On l'a déjà dit ce soir: la tranche de la population qui exprime une forte demande de logement est la population qui a des revenus moyens, c'est-à-dire des revenus entre 50 000 et 70 000 F. Or, ce ne sont pas les personnes avec ces revenus-là que vous proposez d'encourager à accéder à la propriété de leur logement, puisque celles-ci ne peuvent à l'évidence pas mettre de côté quelque somme que ce soit pour l'acquisition d'un bien.
C'est un état d'esprit particulier qui a guidé les élus de la droite en commission, lorsqu'ils ont évoqué la question du suivi de l'intention du propriétaire afin de vérifier si les conditions de l'exonération partielle des droits d'enregistrement étaient remplies dans le temps. Un représentant libéral a proposé de simplement laisser faire et de ne faire aucun contrôle du devenir de l'immeuble acheté, sous prétexte que le département des finances disposait des moyens de contrôle par le biais de l'imposition de la valeur locative. Or, vous savez très bien que, si en cours d'année, on vend l'immeuble, il n'y a aucun moyen de savoir si la personne va payer ou non la valeur locative à la fin de l'année. Ce système de contrôle était donc de la poudre aux yeux, comme l'est toute l'initiative telle qu'elle est présentée. Le contre-projet prévoit, lui, un système de contrôle efficace. Quoi qu'il en soit, on voit bien finalement quel est l'esprit des initiants sur le fond et dans les méthodes de contrôle qu'ils proposent.
L'initiative est choquante à un autre titre. Lorsqu'un locataire ne peut pas payer son loyer parce qu'il a des revenus trop bas, il peut s'adresser à l'office cantonal du logement pour demander une allocation logement. Mais, selon la loi générale sur le logement, lorsque le loyer est trop cher, on exige du locataire, pour renouveler son allocation logement, qu'il cherche activement une solution de remplacement. En d'autres termes, on met une pression systématique sur les petits revenus pour qu'ils cherchent chaque fois des logements, soit plus petits, soit plus adaptés à leurs revenus. Du côté des gros revenus qui peuvent se payer des propriétés à 1, 1,5 ou 2 millions, voire plus, il n'y a aucune pression. Bien au contraire, par l'initiative Casatax, on leur fait des cadeaux fiscaux. Ceci n'est pas admissible.
Par ailleurs, on nous dit encore, et c'est mon avant-dernier commentaire, que l'initiative va venir en aide aux personnes...
Le président. Monsieur Sommaruga, vous arrivez au bout de votre temps de parole. Je vous laisse encore trente secondes...
M. Carlo Sommaruga. Je termine avec cet argument: M. Luscher nous dit que cette aide est destinée à la population qui, aujourd'hui, achète déjà, preuve en sont les transactions à 400 000, 500 000 ou 600 000 F qui paraissent dans la FAO. Eh bien, précisément, Monsieur, ces personnes-là achètent déjà, sans avoir besoin de la mesure que vous préconisez, puisque les ventes sont publiées dans la FAO. Nous ne voyons donc pas à quoi elle sert finalement, si ce n'est à favoriser des personnes qui sont déjà propriétaires et qui disposent de gros revenus. Pour ce motif, effectivement, cette initiative comme le contre-projet posent problème et nous ne saurions les accepter.
Le président. Avant de passer la parole à M. Vanek, je signale que se sont encore inscrits, après la clôture de la liste des intervenants, M. Rodrik, M. Blanc et M. Spielmann: je ne pourrai malheureusement pas leur donner la parole...
M. Pierre Vanek (AdG), rapporteur de minorité. M. Luscher s'est insurgé tout à l'heure, disant que l'initiative n'était pas mal ficelée, qu'elle était très claire, remarquable... C'est évidemment une opinion qu'il a le droit d'avoir, même si elle n'a pas été défendue en commission par ses collègues de parti...
Par contre, quand il dit que cette initiative ne profite pas aux propriétaires - dont il est - il confond deux choses qu'il ne devrait pas confondre en tant que juriste, à savoir les intentions déclarées des auteurs d'un texte et leurs effets réels. Or, comme mon préopinant M. Sommaruga l'a dit, l'initiative stipule qu'«en cas d'acquisition de la propriété d'un immeuble destiné à servir de domicile à l'acquéreur, les droits d'enregistrement et les éventuels centimes additionnels sont réduits de moitié». En l'occurrence, parmi ceux qui ont les moyens d'acquérir un immeuble - un immeuble autre que votre pupitre, Monsieur Luscher ! - figurent en premier ceux qui sont déjà propriétaires, c'est une évidence. Un propriétaire d'un immeuble valant, disons une somme quelconque - je ne suis pas à l'aise avec ces montants, parce qu'ils n'ont rien à voir avec le quotidien de la majorité de nos concitoyens - un propriétaire d'un immeuble valant 1 million, qui voudrait étendre son habitation à un logement qu'il achèterait pour 2 millions, bénéficierait évidemment, vous le savez, des dispositions de cette initiative. Il y a donc là - je n'emploierai pas de mot trop fort - peut-être pas une escroquerie, mais du moins quelque chose d'inexact, quand vous dites que cette initiative ne profite pas aux propriétaires. A l'évidence, les propriétaires d'immeubles sont les premiers susceptibles de profiter des mesures que vous proposez.
Ce qu'on peut dire aussi, c'est que la grande majorité des Genevois, qui n'ont aucune espèce de possibilité d'aspirer à la propriété de leur logement parce que ce sont des salariés sans fortune aucune - et ce malgré les démonstrations que vous avez faites tout à l'heure et quel que soit leur rêve: ils rêvent aussi de gagner au loto... - ne profiteront en aucune manière de cette initiative, alors qu'elle est financée par une réduction des rentrées de notre collectivité de l'ordre de 25 millions, 25 millions qui pourraient et devraient bien plutôt être affectés à répondre aux besoins prépondérants de la population.
Une dernière remarque à M. Luscher. Vous vous êtes enflammé tout à l'heure et vous avez dit que cette idéologie de la propriété privée que vous défendiez avec beaucoup de fougue n'était pas celle du parti libéral, mais celle du pays, celle de la Constitution fédérale. Et vous m'avez suggéré d'émigrer et d'aller voir dans un autre pays, si je n'étais pas content de cette idéologie-là... Monsieur, dans ce pays, il n'y a pas de délit d'opinion. On y a le droit, en principe du moins, de défendre des positions et des propositions qui sont en rupture avec les dispositions de la Constitution fédérale, ou de la constitution genevoise d'ailleurs, sans être sommé d'émigrer par les représentants de l'ordre établi ! Il existe même des mécanismes, qui sont ceux de l'initiative que vous employez aujourd'hui et qu'il m'est arrivé d'employer à l'occasion, pour modifier les dispositions de la Constitution, qu'elle soit fédérale ou cantonale. Il est donc hors de propos de me conseiller d'émigrer parce que je ne suis pas d'accord avec l'idéologie que vous défendez de manière bouillante ici, cette idéologie de la privatisation... M. Blanc ne voulait pas que je parle de la Poste ou d'autres choses ce soir, mais tout cela forme un continuum. Monsieur Luscher, vous admettrez que la politique du parti libéral n'est pas faite de petits morceaux complètement déconnectés, mais qu'il y a un certain rapport entre vos positions sur les services publics et leur privatisation et les positions que vous défendez ce soir. C'est une évidence...
Le président. Revenez au sujet, Monsieur Vanek...
M. Pierre Vanek. C'est une évidence que je me suis contenté de rappeler.
Je reviens maintenant à un aspect plus terre à terre, qui n'a été évoqué, et je l'en remercie, que par mon vis-à-vis, Mme Hagmann, et qui est la position de l'Association des communes genevoises. Mme Hagmann a mis en annexe à son rapport une page A4 rappelant la position de l'Association des communes genevoises, qui exprimait les plus fortes réserves à l'endroit de l'initiative Casatax, parce que les droits d'enregistrement sont une des sources qui alimentent le Fonds d'équipement communal. L'ACG a expliqué l'importance de ce fonds pour certaines communes en particulier, prenant entre autres l'exemple de Vernier qui, si ce fonds n'existait pas, verrait ses centimes additionnels, déjà bien élevés, passer de 50 à 55,5 centimes. C'est là le document de l'ACG.
Mme Hagmann s'est évertuée à rassurer ses confrères des communes en disant que le fait de voter cette initiative, ou son contre-projet, ne signifiait pas que le Fonds d'équipement cesserait d'être alimenté, puisque de toute façon, par ailleurs, le Grand Conseil est maître de son alimentation et qu'il n'y a pas de lien mécanique entre l'un et l'autre. Mais, au-delà de ce que Mme Hagmann a dit et même si c'est juste, car on pourrait compenser d'éventuelles baisses liées à cette source que sont les droits d'enregistrement...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député, il vous reste trente secondes...
M. Pierre Vanek. Je conclus... En commission, on a posé très explicitement la question aux représentants de l'ACG: quelle serait votre position, les communes soutiendraient-elles le projet au cas où il n'aurait pas d'incidence sur le Fonds d'équipement communal? Les deux représentants de l'ACG ont répondu, d'une part, en faisant état de leur scepticisme déclaré quant aux effets de l'initiative et en disant que le fait de modifier le pourcentage de propriétaires ne changerait pas grand-chose, que cela ne marcherait pas - je résume au maximum, puisque je n'ai que trente secondes... D'autre part, ils ont expliqué que, même si les députés maintenaient le taux de contribution suite au vote de l'initiative, «l'Etat lui-même devrait accentuer - je cite - son taux d'effort. Ainsi le cadeau des communes se répercuterait sur la charge cantonale et rendrait ainsi plus difficiles les espoirs des communes de voir réalimenter le fonds en question à hauteur de leur attente». Ceci est une précision qui, je crois, était due aux représentants de l'ACG.
Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse de majorité. A 23h, il n'est plus temps de refaire les débats de commission, comme beaucoup le font malheureusement ce soir... Je propose de ne pas attendre demain et de donner la parole à Mme Calmy-Rey pour qu'elle nous dise, comme elle nous l'a dit en commission, que le contre-projet devra passer devant le peuple, parce qu'il y a modification de l'assiette fiscale.
Le président. Mesdames et Messieurs, la seule chose dont on soit sûr, c'est qu'il est 23h ! Pour le reste, il y a pour le moins un flou, mais quel que soit l'avis juridique que nous aurons, nous allons devoir nous prononcer sur l'initiative. La proposition du Bureau est donc que nous votions sur l'initiative et seulement sur l'initiative, et, cas échéant, nous reprendrions les débats demain. Madame Calmy-Rey, je vous passe la parole.
Mme Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat. Mon avis, je le répète, c'est que, quels que soient les résultats des travaux du Grand Conseil, l'objet devra être soumis au vote populaire. En effet, les droits d'enregistrement sont un impôt: ceci est inscrit à l'article 1 de la loi sur les droits d'enregistrement.
Cela étant, je pense qu'il faut se rallier à la proposition qui vient d'être faite par le président du Grand Conseil, ce qui permettra de vérifier encore une fois que la qualification d'impôt répond bien à la réalité des choses, que, juridiquement, le droit d'enregistrement est véritablement un impôt et non pas une taxe, puisque les taxes ont été exclues des objets qui devront être soumis à votation populaire. Pour éviter tout malentendu futur, je vous propose donc d'en rester à la proposition qui vient d'être faite par le président du Grand Conseil. Je vous ai dit ma conviction et, demain, je vous apporterai l'avis des juristes de l'administration fiscale, ce qui vous permettra de voter en toute sérénité.
Le président. Bien, c'est la proposition que nous allons retenir. Je mets aux voix l'initiative, conformément à l'article 121, alinéa 2 du règlement du Grand Conseil. Le vote électronique est lancé...
Mise aux voix, l'initiative 115 est rejetée par 67 non contre 20 oui et 1 abstention.
Le président. Mesdames et Messieurs, je vous rappelle que demain nous commençons nos travaux à 14h. Je lève la séance et vous souhaite une excellente fin de soirée !
La séance est levée à 23h.