République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 24 janvier 2002 à 17h
55e législature - 1re année - 4e session - 15e séance
GR 304-A
M. Rémy Pagani (AdG), rapporteur. Cette affaire concernant M. P. F. me touche directement, puisqu'il a travaillé de manière clandestine pendant cinq ans dans notre canton avec sa femme. Puis, celle-ci a fait l'objet de harcèlement de la part de son mari et ils se sont mutuellement dénoncés : ils ont été expulsés par la police pour ce simple fait.
Depuis lors, M. P. F. a fait connaissance d'une autre jeune femme qui réside à Genève au bénéfice d'un permis C et de cette relation est né un petit bébé, il y a six jours.
Notre commission, après avoir évalué l'ensemble de la problématique et examiné la demande très précise de M. P. F. par rapport au solde de sa peine d'expulsion du territoire, soit dix-huit mois, a conclu qu'il fallait accorder la grâce à ce monsieur. Je rappelle qu'il avait été condamné à trois ans d'expulsion pour le simple fait d'avoir travaillé illégalement sur notre territoire comme employé agricole. Il s'est engagé, le cas échéant, à demander un permis de travail à l'office de la population et son ex-employeur s'est aussi engagé à le reprendre pour lui permettre d'être avec sa famille.
Mme Janine Hagmann (L). J'aimerais ici exprimer un avis de la minorité de la commission.
La grâce est le fait du prince : libre donc à chacun de prendre la décision qui lui convient, la décision qu'il va sentir, de faire au mieux...
Mais en accordant la grâce, il faut savoir que nous donnons un signe de pardon, que nous relativisons une faute, que nous diminuons ou supprimons une peine qui a été décidée par la justice, bien souvent parce que des éléments nouveaux sont venus modifier les cas qui nous sont soumis.
En l'occurrence, que constatons-nous ? M. P. F. a été condamné à une peine avec sursis - c'est vrai - mais aussi à une peine d'expulsion du territoire pour violence conjugale ! En ce moment même, le service pour la promotion de l'égalité entre hommes et femmes fait une grande campagne et publie une brochure très intéressante - que du reste je vous recommande - intitulée: «La violence est inacceptable : violence conjugale, que faire?». Et nous, ici, nous donnerions un signe en accordant la grâce à un homme qui battait sa femme !
C'est donc à vous, Mesdames, que je m'adresse principalement: où est notre logique?
M. Pagani vous a expliqué que, dans son esprit, le regroupement familial était indispensable pour le développement harmonieux du bébé, que vient de mettre au monde la nouvelle compagne de M. P. F.
En est-on bien sûr ? Et ne prenons-nous aucun risque à laisser revenir un homme à la nature violente, un homme sans occupation, auprès d'un nouveau-né ? En diminuant sa peine, nous cautionnons ses actes !
C'est pourquoi je vous recommande de refuser cette demande de grâce.
M. John Dupraz (R). Si j'ai bien compris, la grâce porterait seulement sur la réduction de la durée de l'expulsion.
Pour moi, la grâce est le fait du prince, c'est vrai. Mais le fait du prince ne consiste pas à refaire un jugement, il nous permet simplement de modifier la décision de justice sur la base des éventuels éléments nouveaux et marquants.
Or, dans ce cas, il y a un élément nouveau et marquant : la naissance d'un enfant, et c'est à mon avis en fonction de cet élément que nous devons apprécier s'il y a lieu ou non d'accorder la grâce. Du reste, ce monsieur va retrouver un emploi chez son ancien patron et, dans ce cas précis, je pense que nous devons accorder la grâce en raison de cette naissance, car un bébé a besoin de son père. Il faut donner une chance à ce monsieur et faire un geste en sa faveur.
M. Rémy Pagani (AdG), rapporteur. J'aimerais ajouter qu'au départ de l'analyse de ce dossier j'ai eu effectivement les mêmes réactions que Mme Hagmann par rapport aux risques que cette décision représente...
Je me suis donc renseigné auprès de la future épouse - puisqu'il y a promesse de mariage - pour avoir son avis sur la situation. Celle-ci m'a garanti qu'elle prenait la responsabilité de son avenir, et c'est d'ailleurs elle qui a poussé son futur époux à déposer un recours en grâce. On ne peut pas se substituer aux gens et prendre les responsabilités pour eux. C'est vrai qu'il y a des risques, mais, à mon avis, le regroupement familial est un droit suprême que notre parlement doit prendre en considération pour accorder la grâce.
M. Pierre-Louis Portier (PDC). La pesée des intérêts est relativement difficile dans ce dossier...
Comme l'a relevé Mme Hagmann, les faits qui ont débouché sur cette condamnation judiciaire sont extrêmement graves - il faut quand même le souligner - et, malgré la naissance de cet enfant, on ne peut pas laisser impunie une faute très grave et l'effacer d'un coup de baguette magique.
En commission, j'avais fait la proposition suivante, à savoir de réduire la peine d'expulsion de quatorze mois, de façon à marquer tout de même notre désapprobation par rapport à ce cas, tout en permettant à ce monsieur de revenir travailler en Suisse dans un domaine d'activité et à une période - dès le mois d'avril - où on a besoin de bras et où il trouvera un emploi à coup sûr.
Alors, je confirme ma proposition, soit une réduction de la peine de quatorze mois et non pas de dix-huit, comme le propose le rapporteur.
Le président. Bien, Mesdames et Messieurs les députés, je dois faire voter la proposition de la commission, qui est la plus favorable à la personne inculpée. Je vous suggère donc de voter d'abord sur la proposition de la commission, soit la grâce de la peine d'expulsion.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce de la peine d'expulsion) est rejeté.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets maintenant la proposition de M. Portier, soit une réduction de la durée de l'expulsion de quatorze mois et non de dix-huit.
Mise aux voix, cette proposition (réduction de la peine d'expulsion à quatre mois) est adoptée.