République et canton de Genève

Grand Conseil

RD 407-1
29. a) Rapport de la commission ad hoc «Enquête Banque cantonale de Genève» en réponse à la résolution du Bureau du Grand Conseil relative au principe de la communication des notes de séances et procès-verbaux des commissions parlementaires. ( -)o RD407
Mémorial 2001  : Résolution N
439 : Adoptée, 4709.
Rapport de Mme Christine Sayegh (S), commission d'enquête «Banque cantonale de Genève»
R 441
b) Proposition de résolution de Mme Elisabeth Reusse-Decrey concernant la communication des notes de séances et des procès-verbaux des commissions parlementaires au pouvoir judiciaire. ( )R441

(RD 407)

La commission ad hoc « Enquête Banque Cantonale de Genève », ci-après commission ad hoc, s'est réunie les 11 avril, 2 et 16 mai 2001 sur convocation de sa présidente en raison de la transmission par le bureau du Grand Conseil d'un courrier du pouvoir judiciaire daté du 16 mars 2001 et sollicitant l'accès à ses travaux résultant de l'adoption de la motion 1234 le 24 septembre 1998.

Elle s'est à nouveau réunie le 17 mai 2001, dès l'acceptation de la résolution du bureau du Grand Conseil votée le même jour afin de répondre à l'invite qui lui était adressée lui confiant l'examen de la demande du pouvoir judiciaire et l'établissement du présent rapport. A l'unanimité les commissaires estimèrent que le sujet avait été complètement traité lors des trois précédentes séances et sollicitèrent de la présidente qu'elle établisse un rapport factuel des séances.

En date du 24 septembre 1998, le Grand Conseil a accepté la proposition de motion 1234 tendant à constituer une commission d'enquête chargée de rendre rapport sur les relations entre la Banque Cantonale de Genève avec respectivement MM. Nessim Gaon et Jurg Stäubli. Le rapport de majorité de la commission ad hoc « Enquête Banque Cantonale de Genève » a été voté par le Grand Conseil le 17 février 2000. La commission ad hoc concluait au renvoi du rapport au Conseil d'Etat accompagné d'une motion concernant la vision de l'exécutif sur le rôle d'une banque publique, la gestion des différentes priorités et l'opportunité de la diversification des activités de la BCGe.

Les activités de la commission ad hoc ont été ensuite suspendues dans l'attente de la réponse du Conseil d'Etat qui n'est pas encore parvenue au Grand Conseil. N'étant pas encore dissoute, la commission ad hoc a donc été sollicitée par le bureau du Grand Conseil pour se déterminer sur la requête du pouvoir judiciaire demandant à avoir accès aux travaux relatifs à la motion 1234 et plus particulièrement aux procès-verbaux tenus lors des auditions.

En application de l'article 189, al. 3 de la loi portant règlement du Grand Conseil (LRGC), les procès-verbaux ne sont pas transmis à des tiers, sauf décision expresse de la commission.

L'article 192 LRGC précise que les commissions et sous-commissions procèdent aux auditions et consultations qu'elles jugent utiles et que lorsqu'un fonctionnaire doit être entendu, le président de la commission en informe préalablement, par écrit, le chef du département intéressé.

Quant à l'article 231 LRGC, il prévoit que les difficultés auxquelles peut donner lieu l'application du présent règlement sont tranchées par le bureau qui, s'il le juge opportun, consulte la commission législative.

Le débat s'est inscrit dans le contexte de la transmission de notes de séances et de procès-verbaux à la demande du pouvoir judiciaire.

Il a d'emblée été rappelé que pour traiter la motion 1234, la commission ad hoc n'avait pas les pouvoirs d'une commission d'enquête au sens strict du terme faute de base légale, qu'elle avait décidé de travailler dans la confidentialité, que pour garantir cette confidentialité le procès-verbal de séance n'était pas distribué et qu'un seul exemplaire sur papier et non par messagerie était envoyé à la présidente et lu en séance sans interrompre le cours des travaux.

C'est ainsi que sur 22 procès-verbaux, un seul, à savoir le dernier, a été formellement approuvé par la commission.

Sachant par ailleurs que les propos tant des députés que des personnes auditionnées sont résumés par le ou la procès-verbaliste, les déclarations ainsi compilées ne peuvent pas être prises à la lettre.

Les commissaires n'ayant pas procédé à une relecture critique de l'ensemble des procès-verbaux, ces derniers devaient être qualifiés de notes de séance vu l'absence d'adoption formelle par la commission.

Enfin les personnes auditionnées n'ont pas eu non plus la possibilité de prendre connaissance des passages concernant leurs déclarations respectives.

Il fut toutefois relevé qu'il n'est pas prévu dans la loi portant règlement du Grand Conseil que les personnes auditionnées puissent vérifier la transcription de leurs propos qui pourtant sont la plupart du temps repris dans les rapports de commission.

Abordant la question de la transmission des procès-verbaux, l'ensemble des commissaires, préalablement à toute prise de position sur le fond, convinrent que les documents demandés par le pouvoir judiciaire ne pourraient être communiqués sans une note explicative décrivant précisément les conditions dans lesquelles ils ont été élaborés.

La discussion porta ensuite sur le contenu à transmettre. Devait-on communiquer la totalité des notes de séances ou seulement des extraits relatifs aux auditions? Ne devait-on pas demander plus de renseignements au juge avant de se déterminer ? Le juge devait-il prendre connaissance des documents au Grand Conseil avant de décider de leur transmission ?

La proposition de prendre contact avec le juge soit par lettre soit en l'auditionnant afin de préciser l'étendue de l'accès qu'il désire avoir dans les travaux relatifs à la motion 1234 a été abandonnée et la discussion se dirigea, de manière plus générale, vers l'opportunité de la transmission de documents par le Parlement au pouvoir judiciaire, à sa demande, non seulement pour le cas qui nous occupe mais aussi pour toutes les commissions et, par exemple, pour la Commission de contrôle de gestion.

Faudra-t-il désormais prévenir la personne auditionnée que sa déclaration pourrait être transmise sur demande au pouvoir judiciaire dans le cadre d'une procédure pénale ? C'est le lieu de rappeler que le président de la commission d'enquête valaisanne avait déclaré, lors de son audition, que la procédure, dont sa commission avait été chargée, ne serait pas devenue publique si les députés n'avaient estimé que certains faits paraissaient passibles de sanctions pénales et qu'il y avait lieu de transmettre l'ensemble du dossier au Procureur général pour compétence.

La commission ad hoc étant consciente que c'est la première fois qu'une telle demande est faite au Grand Conseil genevois, elle a souhaité évaluer les intérêts en jeu et s'est posé la question de savoir s'il ne fallait pas avoir un débat en séance plénière sur le sujet. Bien que tous les commissaires soient pour la transparence, certains estimèrent qu'une transparence inconditionnelle pouvait à l'avenir porter préjudice aux travaux des commissions dans la mesure où les personnes auditionnées s'autocensureront, d'autres étaient convaincus du devoir du Parlement de collaborer à la procédure pénale en cours.

L'ensemble des commissaires admit néanmoins que dans l'hypothèse où une décision de transmission des documents était prise, il serait alors indispensable que les personnes, dont les déclarations allaient être communiquées, soient prévenues et reçoivent copie des documents envoyés.

Il y aura lieu également de décider si le cas qui nous est soumis doit faire l'objet d'un traitement distinct ou s'intégrer dans un principe général de transmission ou non-transmission des documents.

Après avoir repris l'ensemble des arguments développés au cours des deux premières séances, et malgré les remarques d'un commissaire craignant que l'on assiste à un nouveau débat sur la BCG, les autres commissaires émirent l'idée de faire rapport au bureau du Grand Conseil et laisser le débat se faire en plénière.

En effet jusqu'ici les discussions se sont plutôt orientées vers le fonctionnement du Parlement et non vers une reprise de l'enquête BCGe. Il paraît peu probable qu'il n'en soit pas de même en séance plénière.

Suivant cette idée, le bureau a proposé la résolution 439, votée séance tenante le 17 mai 2001 et invitant la commission ad hoc à examiner la demande du pouvoir judiciaire et rendre rapport au Grand Conseil, lequel se déterminera lors d'une des deux sessions de juin 2001.

Une brève séance permit aux commissaires de prendre position sur la méthode à adopter pour traiter de cette résolution.

Il fut ainsi décidé que les travaux des trois séances précédentes répondaient complètement à la résolution 439 et qu'un rapport factuel pouvait être rendu sans nouvelle réunion. La présidente de la commission ad hoc fut chargée de la rédaction.

Les députés communiquèrent la position de leurs groupes respectifs sur le principe de la transmission des notes de séances et procès-verbaux des commissions parlementaires à la demande du pouvoir judiciaire. Les positions furent les suivantes :

Pour : AdG, Ve

Contre : L, R, DC, S

Le but du présent rapport est de vous communiquer, Mesdames et Messieurs les députés, la synthèse des travaux de la commission ad hoc et de susciter une réflexion nécessaire sur un sujet qui interpelle directement le pouvoir législatif dans ses relations avec le pouvoir judiciaire et dans son mode de fonctionnement.

ANNEXE

Proposition présentée par les députés:Mmes et MM. Elisabeth Reusse-Decrey, Bernard Annen, Anita Cuénod, Etienne Membrez et Antonio Hodgers

Date de dépôt: 17 mai 2001

Proposition de résolutionrelative au principe de la communication des notes de séances et procès-verbaux des commissions parlementaires

Vu les considérants ci-dessus, le Bureau vous propose d'accepter cette résolution.

p.8

Proposition de résolution

(441)concernant la communication des notes de séanceset des procès-verbaux des commissions parlementairesau Pouvoir judiciaire

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:

Le rapport de la Commission ad hoc « Enquête Banque Cantonale de Genève » en réponse à la résolution du Bureau du Grand Conseil relative au principe de la communication des notes de séances et procès-verbaux des commissions parlementaires (RD 407) fait office d'exposé des motifs.

Débat

La présidente. En préambule, j'aimerais relever deux points. Premièrement, les députés suivants : Mme Grobet-Wellner, M. Hiler, M. Lescaze et M. Ducommun, ne prendront pas part au débat pour des raisons d'incompatibilité. Ils ont souhaité que ce soit annoncé au début de nos discussions.

Deuxièmement, je dirai un mot sur la résolution No 441 que vous avez trouvée sur vos tables. Celle-ci a été déposée par moi-même, en tant que présidente du Grand Conseil, pour que nous puissions procéder à un vote, sachant que, pour l'heure, la manière dont les débats se sont organisés ne permet pas un vote sur la question de savoir si nous transmettons, oui ou non, ces notes de séances. Il était donc nécessaire de déposer une résolution invitant le Grand Conseil à choisir ce qu'il entend faire.

En ce qui concerne le contenu de l'invite, je précise qu'il ne s'agit pas, pour l'heure, d'une prise de position politique et c'est la raison pour laquelle je suis seule à signer ce texte. En l'état, il s'agit simplement de reprendre l'esprit des travaux de la commission, ce qui doit être fait par le ou la présidente du Grand Conseil dans des situations de ce genre. Cette résolution nous permettra donc de procéder à un vote et reprend, pour l'heure, l'esprit des travaux de la commission. Mais l'invite pourra, bien entendu, être modifiée par les amendements que certains d'entre vous pourraient déposer.

Pour la suite des travaux, je passe la parole à M. le vice-président : je dois en effet m'absenter pour une séance protocolaire.

Présidence de M. Bernard Annen, premier vice-président

Mme Christine Sayegh (S), rapporteuse. Mesdames et Messieurs les députés, la question que nous avons à débattre aujourd'hui se situe dans le contexte étroit de la communication des procès-verbaux de commission, sur demande du pouvoir judiciaire, dans le cadre d'une procédure pénale.

Les procès-verbaux sont le résultat d'une synthèse des débats, faite par le ou la procès-verbaliste et communiquée aux commissaires, pour qu'ils en prennent connaissance et adoptent le texte proposé après y avoir, le cas échéant, apporté des modifications. En l'espèce, on peut se poser la question de savoir si le mode de fonctionnement adopté par la commission ad hoc «Enquête Banque cantonale» permet d'assimiler les notes de séances à des procès-verbaux. En effet, et je l'ai rappelé dans le rapport, c'est à l'unanimité, et sur l'excellente proposition du député Christian Grobet, que nous avons décidé d'une stricte confidentialité et de ne pas diffuser les procès-verbaux, un seul exemplaire étant remis à la présidente sur support papier et non adopté en commission. Ce mode de faire avait pour but de préserver nos faibles moyens d'investigation, faute d'une base légale nous octroyant plus de pouvoirs.

La commission aurait pu s'arrêter là et décider que ces notes de séances ne sont pas des procès-verbaux et ne peuvent donc être diffusées. Toutefois, le débat doit aller plus loin et il n'était pas question de l'éluder de cette manière, car le principe de la transmission des procès-verbaux, dans ce contexte, doit être discuté de manière plus générale. En effet, nous avons voulu renforcer notre pouvoir de contrôle parlementaire, notamment avec la commission de contrôle de gestion et la possibilité de nommer des commissions d'enquête, et il est ainsi rapidement apparu à notre commission qu'il y avait lieu de faire une pesée d'intérêts entre une transparence sans conditions et l'efficacité du contrôle parlementaire, dans le cadre de notre pouvoir de haute surveillance. Il y a enfin une question d'éthique qui doit aussi nous interpeller : les personnes auditionnées devraient pouvoir relire le texte compilant leurs déclarations dans l'hypothèse où une commission décide de transmettre ses procès-verbaux, comme le lui permet la loi.

En matière de confidentialité, relevons que le président de la commission d'enquête valaisanne nous a expliqué que leur commission travaillait dans une totale confidentialité et que c'est le transfert du dossier au procureur général qui a eu pour effet de rendre publics les travaux de la commission. Rappelons qu'en matière d'infraction pénale, les articles 10 et 11 du code de procédure pénale nous obligent à dénoncer une infraction qualifiée de crime, notamment contre le patrimoine. Force est de constater que, dans le présent dossier, aucun fait susceptible de dénonciation obligatoire n'a été porté à notre connaissance au cours de nos investigations. Enfin, le rapport de commission a fait état de l'essentiel de ces travaux et c'est par ce moyen, en général, que la publicité du travail de commission se fait.

Le débat d'aujourd'hui est important et je souhaite que chacun garde bien à l'esprit qu'il se situe dans un contexte bien défini et qu'il ne s'agit pas de vider de sa substance l'article 189 alinéa 3 de notre loi portant règlement du Grand Conseil, permettant, sur décision de la commission, de diffuser ces procès-verbaux.

Le président. Mesdames et Messieurs, une petite question de procédure : comme elle vous l'a rappelé tout à l'heure, la présidente a déposé une résolution No 441. Formellement, je dois vous demander si vous acceptez la proposition qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour.

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

M. Christian Grobet (AdG). Le groupe de l'Alliance de gauche avait effectivement déposé, en date du 24 septembre 1998, la motion 1234 qui demandait à ce que le Grand Conseil constitue une commission d'enquête pour examiner deux dossiers particuliers, ceux de MM. Nessim Gaon et Jürg Stäubli. Or, contrairement à ce qui est indiqué dans le rapport de la commission, au début de la page 2, le Grand Conseil n'a jamais accepté cette proposition de motion. Je pense, Madame la rapporteure, que c'est là une erreur de plume de votre part, puisque, en tant que rapporteure de la majorité de la commission qui demandait le rejet de notre motion, vous devez vous souvenir qu'elle n'a jamais été acceptée par ce Grand Conseil. Bien au contraire, elle a été renvoyée devant une commission ad hoc qui devait examiner l'opportunité de cette demande. Cette commission ad hoc s'est réunie pendant une année - comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, Madame Sayegh, j'ai effectivement suggéré que les débats aient lieu dans la confidentialité pour éviter qu'ils aient lieu sur la place publique - et l'ensemble des partis, sauf l'Alliance de gauche, a conclu, au bout d'un an de travail, que cette motion devait être rejetée et qu'il ne fallait pas créer de commission d'enquête. J'étais moi-même l'auteur d'un rapport de minorité qui demandait le contraire.

Aujourd'hui, je ne peux pas m'empêcher de rappeler l'incongruité de cette décision après ce qui s'est passé consécutivement à ce vote, à savoir la nécessité de procéder au sauvetage de la Banque cantonale et toutes les affaires qui sont sorties ultérieurement. J'ajoute qu'en commission nous avions demandé, avec d'autres députés d'ailleurs, que la commission d'enquête, si elle était créée, examine le problème des sociétés de portage. Aujourd'hui, il est démontré que ces sociétés de portage étaient un simple paravent, un truc inventé par la Banque cantonale pour cacher ses pertes réelles, qui lui a permis de présenter, pendant plusieurs années, un bilan totalement truqué. Nous avions eu l'occasion dans cette enceinte, il y a trois ans déjà, de dire que nous étions convaincus que le bilan de la BCG n'était, pour utiliser des termes polis, pas conforme à la réalité. Les gens du métier auront compris ce que nous voulions dire...

Mais, à vrai dire, la réalité était encore différente de celle que nous imaginions, puisqu'au lieu des pertes potentielles qui devaient atteindre 1,5 ou 2 milliards, ce sont des pertes potentielles de 4 milliards auxquelles la banque doit faire face. On sait aujourd'hui, suite notamment aux expertises faites sur les crédits hypothécaires, qu'on était donc très loin des provisions de l'ordre du milliard qui avaient été constituées. Au vu du présent rapport, je pense que la position du Grand Conseil aurait été la même aujourd'hui. Mais, si une commission d'enquête se justifiait au moment où nous avons déposé notre motion, c'est bien pour enquêter sur ce sujet, sur lequel beaucoup de citoyennes et de citoyens se posent bien des questions.

Cela dit, nous avons constaté, en commission, que la plupart des commissaires, à l'exception des Verts et de nous-mêmes, ne voulaient pas donner suite à la demande, parfaitement légitime, du pouvoir judiciaire. Mesdames et Messieurs les députés, il est totalement inacceptable que nous ne remplissions pas ce que je qualifierai de devoir constitutionnel de collaborer avec la justice, et ceci sur un dossier particulièrement grave où les citoyennes et les citoyens nous font entendre tous les jours leurs doléances quant à l'importance des pertes qu'a subies la Banque cantonale. Aujourd'hui, après tout ce qui s'est passé, après les mesures de redressement de la Banque cantonale que les contribuables vont devoir financer, on refuserait de transmettre les procès-verbaux de nos séances aux juges d'instruction chargés de définir les responsabilités dans cette affaire ? Cette position est indigne de notre parlement : voilà le point de vue très clair des députés de l'AdG!

Quant aux prétextes qui sont invoqués pour ne pas produire ces notes de séance, ils sont parfaitement ridicules. On nous dit qu'il aurait fallu attirer l'attention des personnes auditionnées sur le fait que les procès-verbaux pourraient être produits. Mais, qui vient devant une commission parlementaire sans penser que ses déclarations en commission risquent d'être relatées en séance plénière ? Des rapports relatant les déclarations faites devant la commission, on en a des exemples à chaque séance. Je ne vous renverrai qu'à un seul rapport à l'ordre du jour de la présente session, celui sur la pétition d'Action Patrimoine vivant concernant la démolition félonne de la villa Blanc, où la commission de contrôle de gestion a entendu tous les hauts fonctionnaires du DAEL. Croyez-vous que ces hauts fonctionnaires ne se doutaient pas que leurs déclarations allaient être reprises dans le rapport de Mme de Haller ? Ils s'en doutaient tellement qu'ils se sont même exprimés avec beaucoup de prudence, comme l'a souligné Mme la rapporteure dans son rapport!

C'est dire que tous ceux qui sont entendus par une commission parlementaire savent que celle-ci peut faire état dans son rapport de ce qui s'est dit. Mais, si à l'avenir on veut le préciser aux personnes auditionnées, notre groupe n'y verra bien entendu aucune objection!

Il n'y a donc aucune raison quelconque de ne pas remettre à la justice ces documents. Je croyais du reste que le Bureau allait préparer une résolution laissant au Grand Conseil l'alternative de voter, soit pour la production de ces documents, soit contre. Je vois qu'en définitive on nous a remis un texte qui ne propose que le refus... Aussi, nous proposons une version amendée de cette résolution. L'amendement proposé par quelques députés socialistes, je ne sais pas s'ils représentent toute la fraction socialiste...

Une voix. Oui!

Le président. Il vous reste une minute, Monsieur Grobet.

M. Christian Grobet. Bien, vous avez donc changé d'avis, la sagesse vous est partiellement revenue... Mais, pour nous, il est totalement insuffisant de dire que les procès-verbaux pourront être simplement «consultés». J'ai eu l'occasion de dire en commission que cette solution créerait une très grave inégalité de traitement à l'égard des parties civiles. En ce qui nous concerne, autant nous voulons que la vérité soit découverte dans cette affaire, autant nous demandons que les règles élémentaires du débat contradictoire devant la justice soient respectées. Il n'est pas question de laisser des juges consulter des documents, avoir des éléments en mains, dont la partie civile n'aurait pas connaissance. Ceci est une violation grossière de tous les principes de l'instruction contradictoire et nous ne voterons pas la proposition socialiste, qui pourrait susciter un recours parfaitement légitime de la part des parties civiles contre une pareille décision.

C'est la raison pour laquelle nous déposons un amendement à la résolution du Bureau, qui aurait la teneur suivante : «invite le Grand Conseil à transmettre au pouvoir judiciaire et aux personnes inculpées les notes de séances, les procès-verbaux des commissions parlementaires et les documents qui lui ont été remis» - notamment les réponses du comité de la Banque cantonale aux questions que lui avait posées la commission - «en précisant que les procès-verbaux n'ont pas été adoptés et que les résumés des interventions des membres de la commission et des personnes entendues doivent être appréciés avec prudence.» 

Le président. Je vous remercie, Monsieur Grobet, de transmettre votre amendement au sautier, que nous puissions en faire des copies.

M. Georges Krebs (Ve). On croit rêver, ou plutôt on est en plein délire! La justice demande les procès-verbaux d'une commission et celle-ci a besoin de quatre séances pour refuser de les transmettre! C'est inadmissible, c'est vraiment incompréhensible, c'est laisser croire qu'il y a des choses à cacher...

En l'occurrence, on se montre formaliste, on met en évidence le fait que ces P.-V. n'ont pas été formellement approuvés. Je rappellerai quand même que ceux-ci ont été lus par les membres de la commission. Un exemplaire circulait et tous les membres de la commission ont pu les lire, même si nous ne les avons pas approuvés formellement. Face à l'importance du sujet, il est incompréhensible que la commission n'ait pas pris plus rapidement la décision de transmettre ces documents. Pour notre part, nous sommes pour la transparence et pour leur transmission rapide, sans faire de procédure. Ici, la justice nous demande poliment l'accès à ces documents et nous lui proposons de venir les consulter au service du Grand Conseil : sachez que dans d'autres pays, ou même dans d'autres cantons, la justice serait tout simplement venue saisir les documents pour mener son enquête!

Cette façon de passer par-dessus les demandes de la justice, alors que des intérêts aussi importants sont en jeu, est assez révoltante. Sans discuter du fond de l'affaire, sur le principe, il faut absolument que nous transmettions tous les P.-V. Les personnes auditionnées savent très bien ce qu'elles disent, dans toutes les commissions. Il se dit aussi n'importe quoi dans ce Grand Conseil sans qu'il y ait de vérification... En l'état, je pense qu'il faut absolument faire preuve de transparence vis-à-vis de la justice.

M. Charles Beer (S). Mesdames et Messieurs les députés, quand on évoque la Banque cantonale et qu'on évoque la notion de transparence, on a envie d'aligner les deux mots et de dire que la réponse à la question coule de source. Pourtant, ce que certains ont qualifié d'arguties ou de détails mineurs mérite que nous nous y arrêtions quelques minutes.

Un premier rappel, si vous me le permettez, sur le déroulement des travaux de la commission ad hoc, qui n'était pas à proprement parler, c'est vrai, une commission d'enquête. Ces travaux ont vu leurs règles fixées sur proposition du député Christian Grobet, qui a souhaité qu'on applique la loi de la confidentialité absolue, ce que personne n'a remis en cause. L'argument était qu'il ne fallait en aucun cas que tel ou tel élément de nos travaux puisse sortir. Les procès-verbaux ne circulaient donc pas et cette décision a empêché, dans les faits, l'ensemble des commissaires de relire leurs propos et de les approuver. Ceci peut paraître un détail à certains, mais je tiens à dire que c'est en fait une nuance de taille. En effet, les documents de la commission ad hoc ne sont par conséquent pas des procès-verbaux, mais des notes de séances et, là-dessus, notre règlement est beaucoup moins clair qu'en ce qui concerne les procès-verbaux. Je reviendrai sur ce point dans la dernière partie de mon propos.

Deuxième chose importante : lors de nos travaux, conscients de la faiblesse de nos moyens, pour ne pas dire de l'absence de moyens, nous avons admis que la règle de la confidentialité allait de pair avec la protection d'éventuels témoignages que nous recueillerions en commission. Il ne s'agissait pas de taire telle ou telle audition, mais nous voulions, pour avancer dans nos travaux, nous donner la possibilité de recueillir des éléments éventuellement graves qui nous permettraient d'agir en conséquence. Nous avons donc précisé aux personnes auditionnées qu'en aucun cas leurs paroles ne sortiraient.

Le fait d'avoir pris ces deux engagements explique que la simple addition «transparence et Banque cantonale» ne va pas forcément de soi.

Troisième élément : quels ont été les résultats des travaux de notre commission ad hoc Banque cantonale ? D'abord, il faut constater qu'elle n'a pas intéressé tout le monde, en tout cas si l'on prend la fréquentation de la commission... L'Alliance de gauche a été le parti le moins représenté, vous me permettrez de le dire, Monsieur Grobet, puisque vous-même avez rarement pu participer à ces travaux. En l'occurrence, nous nous sommes très vite rendu compte qu'il en ressortait peu de chose, pour ne pas dire rien, qui nous permette véritablement d'agir. Nous étions peut-être moins à la pointe de la dénonciation, il faut le concéder, par rapport à la mauvaise gestion de la Banque cantonale, il n'empêche que nous n'avons rien appris en commission. Vous-même, Monsieur Grobet, sauf erreur, ou d'autres personnes de l'Alliance de gauche, aviez d'ailleurs qualifié les résultats de la commission de «bouillon pour les morts». C'est dire qu'aujourd'hui le débat porte sur le fait de transmettre ou non des notes de séances contenant du bouillon pour les morts, pour reprendre vos propres termes.

Dernier élément important : comme il ne s'agissait pas d'une commission d'enquête à proprement parler, nous ne sommes pas aujourd'hui dans la situation dramatique où il s'agirait de transmettre ou non la vérité. Ceci est faux. Nous ne sommes pas dans le cas de la commission d'enquête sur la Banque cantonale valaisanne, qui, se rendant compte de ce qu'elle avait entre les mains, a bien entendu informé la justice de ce qu'elle avait appris, de ce qu'elle était en train de dévoiler. Pour notre part, nous n'avons rien découvert. Du reste, si nous avions découvert quelque chose, si vous aviez découvert quelque chose, vous auriez instantanément proposé d'en informer la justice, ce que vous n'avez pas fait!

Par rapport à la faiblesse de l'enjeu, la question est donc aujourd'hui de savoir quels moyens de travail nous voulons pour notre parlement. Je ferai ici le parallèle avec la commission de contrôle de gestion. Celle-ci travaille depuis près de deux ans sur les offices de poursuites et faillites, je crois qu'il n'est nul besoin de le rappeler à ce parlement et encore moins à l'Alliance de gauche. Au cours de nos travaux, notamment sur les cas de mobbing dénoncés à l'office des poursuites et faillites de Carouge, nous avons enregistré les demandes suivantes : il s'agissait de protéger tous les témoins de leur hiérarchie, en leur permettant de témoigner de façon anonyme devant des experts liés par le secret de fonction, qui ne transmettraient que les résultats des entretiens recueillis. En tant que commission de gestion, nous ne sommes pas allés si loin, mais nous avons pris l'engagement - qui peut être défait demain, que ce soit dit clairement - de ne pas transmettre de pièces recueillies par les experts permettant que soit dévoilée l'identité de telle ou telle personne ayant mis en cause, soit des processus, soit des personnes, dans le cadre de la gestion des offices des poursuites et faillites.

Le président. Il va vous falloir conclure, Monsieur le député...

M. Charles Beer. Je conclus en disant ceci : il y a là un risque de précédent extrêmement dangereux. Si nous accédons à la demande de la justice, nous ne lui transmettrons que du bouillon pour les morts, mais en revanche nous mettrons en cause les faibles moyens d'investigation que nous avons dans les cas de mauvaise gestion de l'Etat. D'où notre amendement, parce qu'aujourd'hui il n'est pas concevable de remettre à la justice des procès-verbaux, auxquels auront accès les parties civiles, qui n'ont pas été relus et qui sont truffés de fantaisies suite à l'habitude qu'ont les commissions de parler de choses et d'autres. Vous-même avez d'ailleurs proposé, avec d'autres députés, de les tripatouiller avant de les transmettre, de manière à retirer ces fantaisies, parce que vous êtes parfaitement conscient qu'il y a dans ces procès-verbaux un certain nombre de choses qui pourraient par la suite mettre en cause, soit des députés, soit des tiers qui n'ont rien à voir avec les cas de mauvaise gestion. La seule solution que vous avez trouvée pour éviter cela, c'est de proposer de tripatouiller les procès-verbaux une année après!

M. Claude Blanc (PDC). M. Beer a dit l'essentiel de ce qu'il fallait dire. M. Grobet essaie de dramatiser la situation, mais, en ce qui concerne la commission Banque cantonale, il est vrai que les procès-verbaux ne recèlent que du bouillon pour les morts. Le juge d'instruction, de par les investigations qu'il a pu mener par ailleurs, a certainement obtenu beaucoup plus de renseignements qu'il n'en trouverait dans ces documents. C'est dire qu'il ne faut pas se fixer uniquement sur ce dossier, qui n'est en lui-même pas si important, puisque le juge d'instruction sait déjà beaucoup plus de choses qu'il n'y trouvera là-dedans. Les membres de la commission qui ont lu ces procès-verbaux le savent bien.

Pour ma part, j'aimerais amener le débat sur un plan général. La présidente du Grand Conseil nous présente un projet de résolution nous invitant à refuser de transmettre les notes de séances et les procès-verbaux à la justice. Le groupe socialiste, quant à lui, propose que le pouvoir judiciaire vienne en prendre connaissance dans les locaux du Grand Conseil. Tout cela est bel et bon, mais, moi, j'en reviens à la loi qui dit, à son article 189, alinéa 3 : «Les procès-verbaux ne sont pas transmis à des tiers, sauf décision expresse de la commission.» Dans le cas particulier, la présidente du Grand Conseil, qui était nantie par le juge d'une demande de consultation, a transmis cette demande à la commission. Celle-ci s'est rendu compte qu'elle ne pouvait pas, à elle toute seule - d'autant qu'en fait elle n'existait plus, puisqu'elle avait terminé ses travaux - se prononcer là-dessus, et c'est pourquoi elle a saisi le Grand Conseil. Mais, en l'occurrence, on ne peut pas, par une résolution, passer par-dessus la loi et dire que le pouvoir judiciaire peut prendre connaissance des dossiers. On est obligé, pour cela, de modifier l'article 189 de la loi portant règlement du Grand Conseil.

Je comprends que Mme Reusse-Decrey nous présente une résolution pour ce cas précis, comme je comprends que les socialistes présentent un amendement. Mais on ne peut pas généraliser à partir de ce cas-là et, pour ma part, je ne vois pas le moyen d'en sortir.

Cela étant, M. Grobet s'est gaussé des arguments qui avaient été invoqués devant la commission, à savoir que les personnes auditionnées devraient être dûment informées des possibilités qu'aurait la justice de prendre connaissance de leurs déclarations. Il me semble normal que la personne interrogée sur un sujet donné sache à quoi vont servir les indications qu'elle peut donner, l'usage qu'on pourra en faire. Tout le monde ne sait pas que les commissions ont le droit de relater ce qui s'est dit. La plupart des gens parlent devant nos commissions en toute bonne foi - enfin, pas toujours... - en pensant que ce qu'ils pourront dire restera au niveau du Grand Conseil. Aussi, si on compte transmettre les procès-verbaux, il faudrait au moins les prévenir, il faudrait au moins l'indiquer quelque part.

Dans ce sens, si on modifie l'article 189 de la loi - ce qui est, à mon avis, le seul moyen de changer la situation - il faudra aussi ajouter que les personnes auditionnées sont dûment informées. Mais alors, dès l'instant où on dira aux personnes auditionnées que leurs propos pourront être utilisés contre elles - car c'est bien ainsi qu'il faut traduire les choses - j'ai bien peur que les auditions deviennent extrêmement maigres et que personne ne veuille plus parler. D'autant que nous n'avons pas la possibilité d'obliger les gens à parler, ni à prêter serment. Nous les convoquons, ils viennent ou ne viennent pas. S'ils ne viennent pas, nous n'avons aucun moyen de coercition. Par conséquent, nous risquons bien de tuer cette source de renseignements que constituent les auditions que nous pouvons mener sur différents sujets.

C'est dire qu'il faut bien y réfléchir. Il est évident, Mesdames et Messieurs, que vous ne résoudrez pas le problème par la voie d'une résolution, mais bien par une modification de la loi. Si on décide de modifier la loi, ce que je peux comprendre, il faudra bien y réfléchir et prendre les mesures nécessaires pour que tout se passe dans le bon ordre.

Dans le cas particulier Banque cantonale, la question a été posée à la commission, qui s'est déclarée incompétente, et le Grand Conseil est appelé à se prononcer. Mais je vous en prie, Mesdames et Messieurs, ne prenez pas le cas de la Banque cantonale pour essayer de généraliser pour toutes les commissions. Car c'est bien ce que vous dites : vous parlez des commissions au pluriel, sauf erreur. En l'état, vous ne pouvez pas le faire par voie de résolution : il faut envisager de modifier la loi.

M. Michel Halpérin (L). Je vais essayer d'être bref et de ne pas répéter ce qui a été excellemment dit par MM. Beer et Blanc. Mais il faut tout de même que je vous présente, à mon tour, le sentiment du groupe libéral sur ce sujet ayant valeur de modèle et d'exemple, puisque c'est en fait une première à laquelle nous nous livrons aujourd'hui.

Je me contenterai, en premier lieu, d'abonder dans le sens de ce que vient de soutenir M. Blanc, en disant qu'en effet nous ne pouvons pas, par la voie d'un vote quelconque, fût-il celui d'une résolution, violer la loi. Nous avons le devoir élémentaire, me semble-t-il, de respecter la loi, d'autant que nous en sommes les auteurs, même si c'est collectivement et abstraitement. Nous ne pouvons pas piétiner l'article 189 de notre règlement, en considérant que nous n'avons pas à appliquer nos propres textes. En conséquence de quoi, si nous voulions déférer à la demande présentée par le juge d'instruction, il faudrait en effet que nous commencions par modifier l'article 189. Mais ce n'est pas tout : il faudrait que nous nous demandions s'il est convenable, ayant modifié la loi, d'appliquer la nouvelle loi avec effet rétroactif, ce qui pour les juristes dans la salle, et même pour quelques autres, pose un très sérieux problème.

Première conclusion donc : si nous votions cette résolution, elle serait nulle en droit et n'importe qui pourrait, par conséquent, l'attaquer triomphalement devant n'importe quelle juridiction.

Ma deuxième remarque, c'est que l'attention des commissaires, du Bureau et de ce plénum jusqu'à maintenant semble, très curieusement, n'avoir été attirée que sur la moitié de la lettre du juge d'instruction à l'origine de nos travaux. Le 16 mars dernier, M. Dumartheray avait consacré la deuxième moitié de sa lettre à la motion 1234 et aux travaux de la commission ad hoc, mais la première moitié de sa lettre - d'une certaine manière plus intéressante, à mon avis - portait sur les travaux de la commission parlementaire qui avait présidé à la naissance de la nouvelle banque, née de la fusion des deux anciennes. Personne, apparemment, ne s'est posé de question à ce sujet, de sorte que je me sentirais un peu emprunté ce soir, à supposer qu'on aborde vraiment le fond du débat, de répondre à M. le juge Dumartheray que nous sommes d'accord pour la motion 1234, mais que nous devons encore réfléchir pour les deux lois par lesquelles la CEG et la BCG sont devenues la BCGe. En l'occurrence, nous avons fait le travail à moitié : cela n'étonnera pas M. Krebs qui disait tout à l'heure - il avait parfaitement raison, mais j'espère qu'il parlait surtout pour lui - qu'on dit n'importe quoi dans ce Grand Conseil! Se pose donc ici un problème de fond, qui s'ajoute à un problème de forme tout à fait important.

Cela étant, il faut maintenant se poser les questions que M. Beer s'est posées tout à l'heure, au sujet de la nature des renseignements que nous avons recueillis. Je ne siégeais pas dans cette commission et je ne sais pas quel genre de bouillon c'était, mais tout observateur raisonnablement informé admettra que ce que des parlementaires peuvent recueillir dans une commission d'enquête ou ad hoc, c'est forcément beaucoup moins que ce que n'importe quel juge d'instruction peut recueillir. En effet, nous savons, sans avoir étudié le droit constitutionnel, que le juge d'instruction est l'homme le plus puissant de la République et que, si notre parlement n'est pas dépourvu de puissance, les travaux qu'il peut mener pour recueillir des informations ne sont pas franchement ce qu'on peut trouver de plus efficace et de plus utile... Par conséquent, nous allons apporter des informations à un juge qui les connaît déjà, puisque toutes celles qui méritaient d'être dites figurent dans le Mémorial, ayant été relatées dans le rapport de la commission ad hoc et débattues en séance plénière.

Mais, en admettant que nous fassions cela, malgré le peu d'utilité que cela aurait, nous commettrions alors une double erreur, à la fois vis-à-vis des commissaires et des personnes qu'ils ont entendues. Comme l'a dit M. Beer, ces dernières ont droit au respect des convictions dans lesquelles elles se sont présentées devant nous. Elles ont reçu l'assurance que leurs propos n'étaient pas destinés à une vaste diffusion et ont donc déposé dans des conditions moins protectrices que celles qui leur auraient été garanties en qualité de témoin ou de partie dans une procédure pénale, sachant que l'article 48 du code de procédure pénale assure à chacun qu'il n'est pas obligé de témoigner lorsqu'il pourrait se mettre en cause.

Puis, il y a le respect qui est dû aux commissaires, Mesdames et Messieurs. Je ne trouve pas trop demander que nous nous donnions à nous-mêmes le droit de protéger notre manière de nous exprimer lorsque nous sommes en commission. Je suis d'ailleurs tellement convaincu d'avoir raison que, sans violer aucun secret de nos travaux de commission, je peux vous dire que M. Grobet est d'accord avec moi. Nous travaillons en ce moment, lui et moi et quelques autres, sur la nouvelle loi sur l'information au public. A cette occasion, nous nous sommes demandé, en commission judiciaire, s'il fallait que les procès-verbaux de nos commissions soient publics ou non. C'est une vraie question : jusqu'ici, nous y avons répondu unanimement par la négative, non parce que nous avons quelque chose à cacher, mais parce que nous voulons que nos travaux en commissions parlementaires puissent se dérouler dans un climat de confiance entre nous. Si nous mettons un terme à la confidentialité, nous perdrons cette confiance en nous.

Finalement, je voudrais revenir sur le dernier élément de principe qui m'apparaît d'une importance considérable et à raison duquel, essentiellement, le groupe libéral vous demandera de rejeter les propositions de transmission et les amendements qui y sont liés. Ce principe est celui de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir parlementaire est sur pied d'égalité avec le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Il n'a pas à déférer à l'un ou à l'autre. Il ferait beau voir, Mesdames et Messieurs les députés, que l'un d'entre nous, voire une commission, voire le plénum, ait la singulière idée de solliciter d'un juge d'instruction qu'il veuille bien nous transmettre son dossier pour nous permettre de parfaire une de nos enquêtes parlementaires. Nous nous ferions immédiatement couvrir de sarcasmes par la République tout entière et par la presse en particulier, au motif que les députés devraient apprendre à respecter la séparation des pouvoirs et notamment l'indépendance du pouvoir judiciaire. C'est pour l'avoir oublié qu'un pays voisin, aujourd'hui, connaît quelques problèmes...

En l'occurrence, faudrait-il que le pouvoir soit séparé dans un sens, mais pas dans l'autre ? Cela me paraît tout de même assez extravagant. Pour ma part, je tiens beaucoup à ce que l'on aille jusqu'au bout de ce rouleau-là et qu'on ait le courage de dire non, pour voir si le juge d'instruction aura celui, inattendu, d'effectuer une perquisition au sein du parlement. J'aimerais voir cela de mes propres yeux!

C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, je conclurai ainsi : vous ne pouvez pas suivre les propositions de M. Grobet, dont on a l'impression, à les lire, qu'elles appartiennent à Mme Reusse-Decrey, mais on aura compris que c'est une reconception du texte de Mme Reusse-Decrey pour dire exactement le contraire de ce que dit notre présidente! Donc, non à M. Grobet - cela ne m'est pas difficile, j'ai l'habitude - mais également non à M. Beer qui, lui, m'étonne, car après avoir défendu les bons principes il leur donne de mauvaises réponses. Comment pouvez-vous, Monsieur Beer, défendre la confidentialité et la séparation des pouvoirs, tout en demandant qu'on autorise le pouvoir judiciaire à venir sur place consulter les documents ? C'est comme si vous disiez : «Ne perquisitionnez pas : venez simplement, on vous invite!» C'est une faiblesse de notre pouvoir de faire cela et je vous demande de ne pas faiblir sur des questions de principe! (Applaudissements.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, il est 19 h. Nous interrompons ici nos travaux et les reprendrons à 20 h 30 avec les interventions de M. Grobet et de Mmes Bugnon et Sayegh. Bon appétit!