République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1379
10. Proposition de motion de Mmes et MM. Pierre Vanek, Gilles Godinat, Anita Cuénod, Pierre Meyll, Salika Wenger, Bernard Clerc, Danielle Oppliger, Jeannine de Haller, Rémy Pagani, Luc Gilly et Cécile Guendouz sur la remise en état des immeubles dégradés. ( )M1379

EXPOSÉ DES MOTIFS

En adoptant, l'année dernière, la révision de la LDTR prévoyant la possibilité pour le DAEL d'ordonner des travaux d'entretien d'immeubles dont la structure et l'habitabilité sont en péril, le peuple genevois a donné un mandat clair aux autorités cantonales pour mettre fin à la politique, menée par certains propriétaires, consistant à délaisser délibérément leurs immeubles afin de pouvoir ensuite les démolir en invoquant le coût excessif de leur réhabilitation.

Tel fut le cas, par exemple, des immeubles démolis à l'angle de la rue des Délices et de la rue de Lyon, qui étaient protégés par la loi Blondel, des immeubles de la rue de Chêne-Bougeries, démolis abusivement sur ordre de l'ancien conseiller d'Etat Philippe Joye, ou encore de l'immeuble angle rue de la Terrassière et rue de la Flèche, qui devait être rénové en vertu d'un plan localisé de quartier adopté à cet effet.

Aujourd'hui, on continue à voir, en ville, notamment à la rue de Berne, à la rue Rousseau, à la rue de la Servette, des immeubles comportant des échafaudages ou des éléments de protection mis en place depuis des années pour protéger les passants des chutes de matériaux provenant de façades dégradées. Les travaux de rénovation de la Villa Schaek à Villereuse, dont le maintien est également prévu par un plan localisé de quartier, n'ont toujours pas été engagés malgré les promesses faites, alors que le chantier des nouveaux immeubles est mené tambour battant.

Cette situation est inacceptable. Maintenant que les nouvelles dispositions de la LDTR ont été confirmées par un récent arrêt du Tribunal fédéral, le Conseil d'Etat se doit d'établir l'inventaire des immeubles dont le défaut d'entretien entraîne des dégradations mettant en péril leur habitabilité et leurs structures et d'ordonner aux propriétaires d'exécuter les travaux nécessaires, à défaut de les faire exécuter aux frais de ces derniers par inscription d'une hypothèque légale.

Au bénéfice de ces explications, nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que vous réserverez un bon accueil à la présente motion.

Débat

M. Rémy Pagani (AdG). Cette motion, nous avions espéré ne jamais devoir la déposer, d'autant que nous n'imaginions pas qu'une nouvelle crise du logement se développerait aussi rapidement dans notre cité. Evidemment, avec le retour de la crise du logement, un certain nombre de pratiques caractéristiques des années de spéculation reviennent au galop. C'est ainsi que nous constatons, depuis deux ou trois ans, qu'un certain nombre de bâtiments dans notre ville - par exemple à la rue de Berne, à la rue Rousseau, à la rue de la Servette - sont garnis d'échafaudages de protection ou sont en état de décrépitude avancée. On les laisse sciemment se dégrader pour obtenir, soit des autorisations de rénover, de démolir ou de reconstruire, soit tout simplement le départ des locataires, pour revendre l'immeuble vide à un bon prix, comme cela se pratiquait de manière systématique pendant les années 80.

La loi qui a été votée voici une année permet, aujourd'hui, au département de faire un inventaire des immeubles qui se dégradent, qui sont volontairement retirés du marché pour faire grimper les prix des autres logements et des immeubles considérés, ou qui ont fait l'objet de refus d'accords et notamment de PLQ - je pense là à la villa Schaek, dans le triangle de Villereuse. Nous estimons que le département doit faire cet inventaire et doit appliquer la LDTR, pour que le parc de logements reste disponible et que la pénurie ne s'accentue pas trop. Le département doit faire en sorte que les propriétaires mettent sur le marché un certain nombre de logements qui sont aujourd'hui vides.

Nous vous proposons, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion en commission des travaux, pour étudier les modalités de cet inventaire et en déterminer notamment les conditions. En l'occurrence, il ne s'agit pas d'inventorier l'ensemble des immeubles du canton, mais de répertorier quels sont les immeubles qui sont sciemment retirés du marché, ou qu'on laisse volontairement se dégrader pour faire partir leurs locataires. Ensuite, il s'agira de nous assurer que le département mène une politique rigoureuse en ce qui concerne l'application de la LDTR, laquelle permet au département, je le rappelle, d'imposer la rénovation et la remise sur le marché de ces appartements, bon marché pour la plupart.

M. Pierre-Alain Cristin (S). Cette motion, qui demande de dresser un inventaire des immeubles méritant une remise en état, part d'un bon principe. En effet, quoi de plus pitoyable, au beau milieu d'un quartier, qu'une habitation dégradée ou dangereuse pour ses habitants ? C'est pourquoi, en adoptant la révision de la LDTR qui donne autorité au DAEL pour ordonner l'entretien de certains immeubles, nous nous sommes dotés d'un outil fort pour préserver notre patrimoine immobilier. Mais, ici, est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle ? En effet, le travail de titan que demanderait un tel recensement est énorme. De plus, il faut noter que ce travail s'effectue déjà au sein du DAEL, où le service LDTR agit ponctuellement. Ajoutons que le SIB a été dans le sens de cette motion, en effectuant en 1999 un recensement en ville de Genève, dans le cadre de l'étude «Rénover Genève» qui, depuis, est devenue un document de travail pour le département. De surcroît, les locataires eux-mêmes peuvent intervenir auprès du département pour demander des travaux d'entretien.

Ces précisions étant données, j'aimerais insister sur le travail considérable que représenterait un tel inventaire. En effet, on peut imaginer le nombre de personnes et le temps nécessaires pour inspecter tous les immeubles, car l'entretien, Mesdames et Messieurs les députés, ne s'arrête pas aux façades. En plus, il ne pourra s'agir d'une simple inspection visuelle en se promenant dans le canton, car le mauvais état d'un immeuble ne se perçoit pas forcément de l'extérieur. L'article 42A de la LDTR nous parle de «défaut d'entretien». En conséquence, il faudra vérifier l'entier des bâtiments et, ensuite, maintenir l'actualité d'une telle étude, ce qui représente aussi un travail considérable.

C'est pourquoi, prenant en compte ces divers éléments, le groupe socialiste souhaite le renvoi de cette motion en commission des travaux, pour faire le point sur les moyens qui pourraient être mis à disposition pour atteindre le but de cette motion.

M. Olivier Vaucher (L). Permettez-moi tout d'abord de vous rappeler que la LDTR est une loi unique en Suisse. Seul le canton de Genève connaît une législation qui rend la rénovation d'un immeuble locatif aussi difficile.

En effet, en fixant des conditions strictes pour obtenir l'autorisation et, surtout, en ne permettant pas au bailleur de répercuter le coût des travaux sur les loyers, comme le prévoit le droit fédéral du bail à loyer, la LDTR freine la rénovation à Genève.

D'après les statistiques fédérales, Genève rénove deux fois moins vite son parc immobilier que la moyenne nationale. Bien loin d'encourager ce genre de travaux, comme le déclare son article premier avec beaucoup d'humour, la LDTR est au contraire la cause principale de cet état de fait.

La gauche de ce canton, sous prétexte de protéger les locataires, a en réalité mis en place un système de contrôle de la propriété privée. Il lui est en effet insupportable que des propriétaires gèrent eux-mêmes leur immeuble. Il en résulte qu'un grand nombre d'immeubles ne reçoivent pas les travaux de rénovation qu'ils mériteraient. Les premières victimes de cette situation sont, vous l'aurez bien compris, Mesdames et Messieurs les députés, ceux-là mêmes que vous prétendez soutenir : les locataires.

Sans vouloir ouvrir tout le dossier du logement, car il est long, un parallèle peut être fait avec la construction de logements dont nous avons aujourd'hui, comme vous le savez tous et comme certains des préopinants l'ont dit, grandement besoin : en bloquant systématiquement les projets, en introduisant mille chicanes et en prônant la «dédensification», la gauche, et plus précisément l'Alliance de gauche a provoqué la pénurie de logements que nous connaissons tous aujourd'hui. Une pénurie qui, d'ailleurs, vous arrange fort bien, puisqu'elle vous permettra à nouveau d'accuser les régisseurs et les promoteurs de tous les maux de la planète, mais dont les victimes, à nouveau, Monsieur Vanek, sont les jeunes couples et les familles qui cherchent à se loger.

Nous reviendrons bientôt devant vous avec des propositions constructives qui nous permettront de répondre à ces besoins urgents.

Mesdames et Messieurs de l'Alliance de gauche, l'introduction de l'article 42A dans la LDTR et votre motion sont un magnifique aveu d'échec. Votre politique a échoué. Sous couvert de protection des locataires, vous avez créé un parc d'immeubles fort mal entretenus.

Vous vous êtes alors demandé comment il vous fallait corriger le tir. La solution raisonnable aurait dû être d'assouplir la loi ! Hélas, votre réponse a été, comme on aurait d'ailleurs pu s'y attendre, de contraindre les vilains qui ne rénovent pas leurs immeubles à le faire, sous la menace de sanctions, d'inscription d'une hypothèque légale et j'en passe.

Bravo ! Mesdames et Messieurs les députés de l'Alliance de gauche, croyez-vous vraiment que vous allez parvenir à de bons résultats avec cette méthode ? Croyez-vous qu'obliger un propriétaire qui n'en a pas les moyens à faire des travaux soit efficace ? Permettez-moi d'en douter.

Ne pensez-vous pas plutôt qu'il faudrait offrir les conditions légales appropriées aux propriétaires concernés pour leur permettre de rénover normalement, comme les propriétaires d'immeubles des autres cantons suisses peuvent le faire ?

Après avoir tout fait pour que les propriétaires d'immeubles locatifs du canton ne puissent pas rénover, vous voulez les y obliger. Bien ! Mais vous ne leur permettez toujours pas de rentabiliser normalement ces travaux. Vous les placez entre le marteau et l'enclume ! Ce n'est pas comme ça que vous attirerez à Genève des investisseurs et que vous rétablirez la confiance qu'ils doivent avoir en notre système pour y investir.

Un mot encore, pour terminer. Ne vous faites pas trop d'illusions sur les moyens que l'article 42A de la LDTR donne au département. Le Tribunal fédéral, dans son récent arrêt rendu suite au recours de la Chambre genevoise immobilière, a clairement précisé que cet article ne donnait pas plus de pouvoir à l'Etat que les dispositions de la loi sur les constructions, qui permettent déjà au département d'ordonner des travaux lorsqu'un immeuble présente un problème de salubrité ou de sécurité.

Mesdames et Messieurs les députés de l'Alliance de gauche, je suis heureux de vous le dire : vous avez manqué votre coup. La CGI a été déboutée par le Tribunal fédéral, certes, mais déboutée avec raison, puisque l'interprétation du Tribunal fédéral de l'article 42A de la LDTR est très restrictive et ne permet pas, je vous le rappelle, à l'Etat d'agir aussi férocement contre les propriétaires du canton que vous le souhaiteriez.

Pour toutes ces raisons, nous espérons que la commission rejettera cette motion.

M. Claude Blanc (PDC). Je reviens à l'exposé un peu fumeux de M. Cristin, plus exactement à ses conclusions, tout autant qu'aux conclusions de M. Vaucher. Sans aborder le fond, je vous rappelle, Mesdames et Messieurs les députés, que cette motion invite simplement le Conseil d'Etat à dresser un inventaire. Or, je ne vois vraiment pas ce que la commission des travaux pourra faire pour aider le Conseil d'Etat à dresser un inventaire. Envoyez, si vous voulez, cette motion au Conseil d'Etat et, ensuite, nous travaillerons sur l'inventaire ! Vous avez cette fâcheuse habitude, quand vous ne savez pas que faire avec un projet, de l'envoyer en commission... En l'occurrence, que voulez-vous que la commission des travaux - j'interviens parce que je la préside ! - fasse de ce texte ? Que le Conseil d'Etat fasse d'abord cet inventaire, sur la base de la motion ; ensuite, nous verrons ce que la commission des travaux peut faire. En l'état, nous ne pouvons pas faire nous-mêmes l'inventaire et le Conseil d'Etat n'a pas besoin de nous pour le faire.

M. Rémy Pagani (AdG). Sans allonger, je dirai qu'il est effectivement plus simple de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

Cela dit, par rapport à tout le fatras des affirmations de M. Vaucher, je voudrais rétablir un fait. Il est vrai, Monsieur Vaucher, que nous sommes le seul canton suisse à avoir une LDTR et je m'en félicite, parce que Genève est aussi la seule ville suisse qui n'a pas perdu un habitant depuis les années 60. Zurich, qui n'a pas ce type de loi, a perdu 100 000 habitants. Le centre-ville de Zurich et de toutes les villes suisses, ainsi que la majorité des villes européennes, ont perdu des habitants, du fait de la spéculation, du fait des changements d'affectation qui ont eu lieu au centre-ville. C'est une réalité, ce sont des faits que vous devriez apprendre à lire, Monsieur Vaucher. Nous, nous nous glorifions de voir que la population habite encore des quartiers populaires comme les Pâquis, les Eaux-Vives ou la Jonction. Cela est dû aux batailles des habitants, des locataires qui, grâce à la LDTR, ont vu le niveau des loyers et leur existence au centre-ville protégés. Vous avez beau raconter tout ce que vous voulez, cette réalité est incontournable, Monsieur Vaucher.

Cela étant, il y a effectivement, dans vos milieux, un certain nombre de propriétaires qui ne supportent pas d'être contrôlés au niveau des loyers pratiqués, qui ne supportent pas d'être limités dans leurs abus. Face à ceux-ci, nous estimons que l'Etat doit faire prévaloir les droits de la population et le bien commun.

Je propose que nous renvoyions cette motion au Conseil d'Etat.

M. Laurent Moutinot. Mesdames et Messieurs les députés, je suis plutôt partisan d'un renvoi à la commission du logement, qui connaît bien la LDTR et qui pourra recevoir rapidement toutes les indications souhaitées. Il me semble plus judicieux de traiter ce sujet en commission, plutôt que vous receviez un rapport écrit du Conseil d'Etat, mais je le ferai si vous le souhaitez. Sur les invites de cette motion, je dirai trois choses. La première, c'est qu'un travail d'inventaire ne me paraît pas utile, compte tenu de l'excellent inventaire du SIB sur lequel nous travaillons et compte tenu des informations que nous avons d'autre part. C'est une question de priorité dans le travail.

Deuxièmement, je suis navré pour les auteurs de la motion, mais je suis quand même obligé de le dire : l'immeuble 2, rue de Lyon cité en exemple, a été autorisé à la rénovation le 30 mai 2000, avec un bonus à la rénovation à la clé, mais ensuite il y a eu un recours. Ce n'est donc pas le département qui aurait manqué de s'occuper de ce dossier. Pour la villa Schaek, c'est à peu près la même situation, en ce sens que le chantier a débuté et qu'ensuite une demande complémentaire a été déposée qui vient seulement d'être délivrée.

Je vous expliquerai volontiers, pour tous les cas qui vous posent problème, ce que nous avons fait ou pas fait. A ce jour, nous avons examiné dans une dizaine de cas l'opportunité d'appliquer les nouvelles dispositions de la LDTR. Nous en sommes au premier stade qui consiste à interpeller le propriétaire. Il est vraisemblable que, dans quelques cas, il y aura des suites ; dans d'autres non, parce que précisément les choses se normalisent. Je vous expliquerai volontiers en détail comment nous appliquons la LDTR, en commission du logement de préférence, parce que vous pourrez y poser des questions. Mais si vous voulez un rapport écrit du Conseil d'Etat, vous l'aurez, c'est à votre bon vouloir.

La présidente. Monsieur Pagani, êtes-vous d'accord avec la proposition de renvoyer cette motion à la commission du logement ? Bien, nous passons au vote.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission du logement.