République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 1 décembre 2000 à 17h
54e législature - 4e année - 2e session - 59e séance
PL 8388
M. René Koechlin (L). En dépit de l'heure tardive, il me paraît tout de même nécessaire de relever le caractère autoritaire pour ne pas dire totalitaire de ce projet de loi... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)
Autoriser pour cause d'utilité publique la construction de logements de caractère social nous paraît légitime, mais que cela entraîne l'expropriation pure et simple, cela nous paraît tout à fait inadmissible ! D'autant plus qu'actuellement l'Etat et les communes profitent d'un droit de préemption, en zone de développement notamment, lorsqu'il s'agit de construire des logements de ce type. Ce droit de préemption est nettement suffisant et, d'ailleurs, il est assez rarement exercé par l'Etat ou les communes... (Brouhaha.) Je le répète, il est largement suffisant. Et il n'est pas nécessaire de remplacer un semi-remorque par un rouleau compresseur qui implique l'expropriation pure et simple dans des cas semblables !
C'est d'autant plus inutile que dans ce canton, Mesdames et Messieurs, si l'on ne construit pas suffisamment de logements, dans l'écrasante majorité des cas, ce n'est pas par la faute des propriétaires qui s'y refuseraient. Bien au contraire, chaque fois qu'un plan localisé de quartier est enfin adopté, après tous les méandres auquel il est soumis pendant la procédure d'enquête, les propriétaires ne demandent qu'une chose, c'est de pouvoir construire ! Mais généralement on les en empêche encore, parce que toutes sortes d'associations ou de services - ils sont environ une cinquantaine qui doivent donner des préavis - trouvent toujours de bonnes raisons pour s'opposer ou pour faire des difficultés.
Donc, Mesdames et Messieurs, si on ne construit pas suffisamment de logements dans ce canton, il ne faut pas incriminer les propriétaires des terrains. C'est pourquoi je trouve inadmissible, pour ne pas dire scandaleux et en tout cas excessif, de les exproprier sous prétexte que c'est de leur faute si on ne construit pas !
Cela étant, je pose la question suivante : qu'en est-il du propriétaire qui habite sa maison dont il a hérité, une maison de famille, qui fait l'objet d'un plan localisé de quartier et que l'on exproprierait sous prétexte qu'il faut construire des logements de caractère social ? Je vois mal l'Etat chasser ce propriétaire de chez lui... Il n'ose même pas le faire avec les squatters ! Alors, avouez que ce serait plutôt abusif de le faire avec un propriétaire qui occupe légitimement sa propriété ! C'est pourtant bien ce que signifie ce projet de loi : si le propriétaire ne dépose pas une demande d'autorisation de construire dans le délai requis, l'Etat pourra purement et simplement l'exproprier. C'est merveilleux !
L'article 8 de ce projet de loi est de surcroît assez cocasse, parce que la seule condition posée pour que l'Etat ne puisse pas procéder à l'expropriation, c'est que le propriétaire en question n'ait pas déposé une requête définitive en autorisation de construire. Alors, là, je vous avoue que je pousse un «ouf» de soulagement, parce que s'il suffit de déposer une demande d'autorisation de construire pour éviter l'expropriation, c'est simple ! Si je suis le propriétaire, je la dépose tout de suite, car je sais que j'ai encore du temps devant moi - cinq ou dix ans d'attente et d'atermoiements - avant de recevoir mon autorisation de construire, ce qui fait que je peux dormir sur mes deux oreilles ! D'autant plus que je ne serai pas exproprié, puisque j'aurai déposé une demande d'autorisation de construire...
Mesdames et Messieurs, nous étudierons ce projet de loi bien volontiers en commission, mais il est franchement excessif et en tout cas, pour nous, tout à fait inadmissible dans la forme où il est présenté.
M. Dominique Hausser (S). Les socialistes se félicitent des projets de lois qui sont inscrits aux points 73 à 80 de l'ordre du jour, puisqu'ils donnent des instruments pratiques et législatifs pour réaliser une politique sociale du logement.
Je vous rappelle très brièvement qu'il y avait environ quarante mille logements sociaux il y a une vingtaine d'années et qu'aujourd'hui il n'en reste que quinze à dix-sept mille. Si on laisse la situation se dégrader, il n'en restera que quatre ou cinq mille dans quelques années. L'Etat doit absolument se doter de moyens plus efficaces que ceux qui sont inscrits dans nos lois - lois qui sont, il est vrai, fort complexes - pour, conformément à son discours de Saint-Pierre d'il y a trois ans, renforcer sa politique de développement de logements sociaux, décidée il y a bientôt dix ans dans ce parlement.
C'est la raison pour laquelle tous ces projets de lois sont nécessaires, pour tenter d'avoir tout simplement une véritable politique sociale en matière de logements. Et j'espère que tous ceux, dans ce parlement, qui défendent cette politique du logement s'apprêtent à voter rapidement tous ces projets.
M. Hubert Dethurens (PDC). La crise du logement que nous avions connue il y a quelque dix ans ou un peu plus, se profile à nouveau à l'horizon. Nous devons tout mettre en oeuvre pour construire rapidement des logements. Le parti démocrate-chrétien est conscient de cela et soutiendra le plus souvent possible la construction de logements sociaux. Ce thème est d'ailleurs inscrit dans le programme du parti démocrate-chrétien.
Mais dans ce même programme est inscrit le droit à la propriété privée, et je dirai même que c'est un des piliers principaux de ce programme... Inscrire dans la loi la possibilité d'exproprier en prétextant que les logements sociaux manquent n'est pas acceptable !
La cause de cette pénurie doit de toute évidence être recherchée ailleurs. Combien de plans localisés de quartiers ont été refusés et combattus par ceux-là mêmes qui aujourd'hui crient au loup ? La législation mise en place encore récemment en est aussi une des causes. De plus, les terrains nécessaires à ces constructions existent et sont déjà la propriété de l'Etat.
Le parti démocrate-chrétien suggère donc d'utiliser la carotte plutôt que le bâton et d'envisager des mesures incitatives plutôt que coercitives. Dans ces différentes lois, il est souvent question de consultation de diverses commissions. Je connais l'attachement du chef du département à ces préavis. Mon propos n'est pas de dénigrer ces commissions ni leur préavis, mais ne serait-il pas mieux de prévoir dans la loi que ces commissions, telle la CMNS, travaillent en concertation avec les communes concernées ?
Une voix. Bravo !
M. Hubert Dethurens. Cela aurait pour avantage, dans la plupart des cas, de débloquer certaines situations, qui sont bloquées précisément par manque de dialogue.
De plus, cela répondrait à un voeu souvent exprimé dans cette enceinte qui consiste à donner plus de responsabilités en matière d'aménagement et de construction à ces mêmes communes. Qui donc est mieux habilité qu'elles pour anticiper et négocier les conflits engendrés par de nouveaux équipements ? Trop souvent, le préavis communal n'est pas respecté. Et ce n'est pas de la faute de M. Moutinot, c'était le cas bien avant lui.
Naturellement, le parti démocrate-chrétien renverra ce projet de loi en commission. Je me rallie à l'avis de M. Koechlin sur ce point.
M. Laurent Moutinot. Nous vivons dans une société formidable : nous admettons tous qu'il est possible d'exproprier pour construire une route, mais d'aucuns estiment que cela ne devrait pas être possible pour construire du logement. Il me paraît pourtant que le logement est plus important que la route, s'agissant des intérêts généraux et du bien-être de la population ! Je rappellerai aussi que l'expropriation suppose en droit suisse, bien évidemment, indemnisation pleine et entière.
Nous sommes tous d'accord ici, je crois, pour dire qu'en matière d'aménagement et de construction, il y a un certain nombre de blocages. Les projets de lois que le Conseil d'Etat vous soumet aujourd'hui, dont certains ont déjà été renvoyés en commission, ont pour objet d'accélérer le processus de construction de logement social.
J'aimerais dire à M. Koechlin et à l'Entente en général que je suis prêt à recevoir toute proposition visant à améliorer et à accélérer le processus de construction de logements. Mais si vous vous bornez à combattre ces projets, nous n'aurons pas les instruments nécessaires pour lutter contre la pénurie de logement social et nous n'aurons rien d'autre qu'un statu quo dont nous ne voulons plus. Je souhaiterais par conséquent que vous réserviez bon accueil en commission à l'ensemble des projets de lois déposés par le Conseil d'Etat et que vous les complétiez par des dispositions habiles, pertinentes, qui permettent de débloquer la construction d'autres types de logements.
Je vous rappelle tout de même que, statistiquement, la plupart des oppositions que nous recevons au département sur des projets de construction proviennent des voisins qui font valoir leur propre droit de propriété et non pas des grandes associations à but idéal. C'est cette contradiction-là, Monsieur Koechlin, qu'il conviendra de résoudre pour accélérer le processus de construction.
Monsieur Dethurens, vous savez que je suis très attaché au préavis des communes, mais je suis toutefois surpris de lire dans un journal qu'une commune de la rive droite s'oppose à la construction de villas en zone villas tout en demandant qu'on construise davantage... Il y a quelquefois des contradictions internes chez certains d'entre vous qui m'échappent !
Mesdames et Messieurs les députés, je souhaite que nous parvenions en commission à améliorer ces projets, qui ne sont certainement pas parfaits, et surtout à les compléter par toutes les mesures pertinentes que vous proposerez. Si vous vous y opposez, nous resterons dans une situation de blocage insatisfaisante.
La présidente. Monsieur Ducrest, un député de votre groupe a déjà pris la parole et nous sommes en débat de préconsultation. Je ne peux donc pas vous donner la parole.
M. Pierre Ducrest. Madame la présidente, je voulais juste demander la discussion immédiate...
La présidente. Il aurait fallu que le député qui a pris la parole au nom de votre groupe le fasse avant, Monsieur le député ! Ce projet est renvoyé en commission ! (Commentaires.)
Ce projet est renvoyé à la commission du logement.