République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 1 décembre 2000 à 17h
54e législature - 4e année - 2e session - 58e séance
M 1371
EXPOSÉ DES MOTIFS
Depuis quelques mois, les utilisateurs du centre-ville de la Ville de Genève sont soumis à différentes propositions visant à restreindre l'accessibilité de celui-ci. Parmi ces utilisateurs, citons les commerçants, mais également les banquiers, les fiduciaires, les avocats, de même que toute entreprise opérant des livraisons au centre-ville.
Sur le plan cantonal, mentionnons tout d'abord deux projets de loi, le projet de loi 8014 et le projet de loi 8148, dont le premier vise à octroyer aux communes des compétences en matière de plan piéton et le second visant à octroyer aux communes la possibilité de « hiérarchiser » la voie publique. La Commission des transports est en train de terminer ses travaux et ces deux projets de loi devraient être présentés en séance plénière avant la fin de cette année. Ils ont suscité un large débat au sein des associations professionnelles cantonales, à tel point qu'elles étudient sérieusement la possibilité de contrer ces deux projets de loi au moyen du référendum, tant ceux-ci sont perçus comme une grave menace à l'accessibilité du centre-ville d'une part, qu'à l'instauration d'une gestion non coordonnée intercommunale de la Voirie d'autre part.
La journée du 22 septembre 2000, journée dite sans voiture, a occasionné des retards de livraison pouvant atteindre la demi-journée pour la plupart des intéressés, pénalisant ainsi nombre d'activités économiques du canton. Les auteurs de cette motion demandent qu'une étude économique neutre soit établie afin de mesurer les conséquences économiques d'une telle journée. Il leur paraît indispensable que le Conseil d'Etat prenne en compte de tels critères dans la problématique de la mobilité du centre urbain à Genève. Les auteurs de cette motion soutiennent les zones piétonnes, soutiennent l'évacuation du trafic de transit hors du centre-ville mais attendent des autorités la mise en place de mesures adéquates permettant aux usagers du centre-ville d'y venir sans encombre soit pour y exercer leur métier, soit pour s'y procurer des biens et services traditionnellement situés à cet endroit.
Au bénéfice de ce qui précède, nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver bon accueil à notre projet de motion.
Débat
M. Gilles Desplanches (L). La présente motion fait suite à la pétition 1313, signée par plus de 4 100 citoyens... (Brouhaha.)
La présidente. Allez-y, Monsieur Desplanches !
M. Gilles Desplanches. Cette pétition traduit le mécontentement et la crainte des citoyens qui constatent le manque de cohérence de la politique de transport. Les conséquences sur l'économie, plus particulièrement sur l'économie de proximité, sont fortement néfastes. On constate que ce manque de cohérence est continu. On en a eu l'exemple hier. Visiblement, c'est la politique même de la majorité actuelle. Les projets de lois 8014, 8148 en sont l'exemple et la journée sans voiture en est certainement le laboratoire d'essai. Force est de constater que cette journée coûte cher : TPG gratuits, service de voirie, police, gendarmerie, animations, brochures, banderoles sur le pont du Mont-Blanc, etc. Or, à la lecture du document de propagande de M. Ferrazino, on constate que si 93% de la population est au courant de cette journée, seuls 10% des citoyens ont utilisé en plus les services publics et délaissé par ce fait le transport privé.
Deux constatations. Soit cette journée ne correspond pas à l'attente de la population, soit, ce que vous avez fait hier, ce n'est pas avec la force et les contraintes que vous allez réussir à obliger les citoyens de notre canton à renoncer au transport privé. Vive la démocratie ! Il est navrant que cette manifestation n'ait pas eu lieu un dimanche ou un jour férié. Cela étant, c'est son coût que nous aimerions connaître. Si l'adage dit que « le malheur des uns fait le bonheur des autres », nous constatons que le citoyen a non seulement été privé de liberté, mais qu'il lui a en plus été demandé de mettre la main à la poche. C'est pour ces raisons que nous demandons au Conseil d'Etat de mettre à l'étude l'analyse de la mobilité de demain en fonction des projets 8014 et consorts et de mandater un organisme neutre - j'insiste sur le mot neutre - pour calculer le coût de la journée sans voiture.
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). En France, 100% des gagnants du loto ont tenté leur chance. A Genève, seuls 90% des participants à la journée « sans ma voiture » savaient que cette journée existait. Autre différence de taille, le gain espéré n'est pas tout à fait le même. En France, quelques millions, à Genève, une ville déserte !
Dans une indifférence populaire à peine moins marquée qu'en 1999, la deuxième journée sans voiture s'est donc tenue le 22 septembre dernier. Pour assurer le succès de l'opération, on n'avait pas lésiné sur les moyens. TPG gratuits, stands divers, prêt de trottinettes, de vélos, de taxis-tandems et autres rollers-skates, enfants dessinant dans la rue et même un conseiller administratif arborant un sourire de circonstance, histoire de montrer combien cette journée « sans ma voiture » - sa journée - était une réussite ! Ce même conseiller administratif, tellement heureux du résultat, s'est fendu d'un rapport élogieux, se basant sur un sondage effectué auprès de 500 personnes ayant participé à l'opération, oubliant au passage les quelques personnes qui avaient renoncé à se déplacer pour l'occasion. Il y avait certes quelques commerçants grincheux pour rappeler que les affaires avaient été sensiblement moins bonnes ce jour-là et que le bilan de l'opération était peut-être un peu plus mitigé que ce que l'on pouvait en attendre et que ce que l'on voulait bien en dire.
Par notre motion, nous souhaiterions élargir le débat et connaître les véritables enjeux et conséquences d'une telle journée et de ses suites éventuelles. Car la journée « sans ma voiture » est manifestement un produit d'appel d'une action plus ambitieuse et certainement moins ludique, qui consiste à verrouiller notre ville en empêchant la mobilité motorisée privée. Le vote d'hier soir, et les amendements visant à entraver la circulation des voitures sur les quais, en est une démonstration. La journée « sans ma voiture » est en quelque sorte l'appartement témoin d'une vaste réalisation, appartement que l'on habille de ses plus beaux atours pour aller chez le client. Quant à nous, nous souhaitons que le bilan, quelque peu simpliste et orienté, réalisé par la Ville de Genève à la suite du 22 septembre soit complété par une réflexion plus large, englobant l'ensemble des répercussions économiques d'une telle manifestation. Ce débat nous semble d'autant plus important que le 22 septembre 2001 tombera sur un samedi, journée importante s'il en est pour le commerce genevois, commerce qui a perdu, est-il vraiment utile de le rappeler, quelque 4 500 emplois en cinq ans.
M. Jean-Marc Odier (R). Depuis le dépôt de cette motion, le Conseil administratif a dressé un bilan qu'il nous a présenté dans une très jolie brochure. J'y reviendrai par la suite.
Première remarque que j'aimerais faire, ce qui m'a frappé lors de cette journée sans ma voiture, c'est qu'il y a effectivement eu moins de voitures, mais surtout beaucoup moins de monde sur leur lieu de travail. Probablement du fait qu'il s'agissait d'un vendredi, que cette opération a permis à beaucoup de gens, des pendulaires, de profiter d'un week-end prolongé. Je doute cependant que ce soit vraiment le résultat que vous recherchiez par cette action.
Pour en revenir au bilan, mis à part le fait que cette brochure a certainement dû coûter assez cher au contribuable, je pense que l'on peut reprocher le manque d'objectivité de ce bilan. Dans ce genre d'action, il serait à mon avis nécessaire d'évaluer les incidences économiques, notamment pour les commerçants du centre-ville. Or, vous n'en tenez pas compte. A lire votre lettre d'introduction de ce merveilleux rapport, vous parlez des conséquences sur la circulation, sur l'air, sur le bruit, ainsi que l'impact auprès de la population. Vous ne parlez nulle part d'incidences économiques ou de l'intérêt des commerçants. C'est une lacune qu'il faudrait revoir. Vous parlez certes des commerçants dans votre rapport, mais ce passage tient sur une petite page alors que le rapport en compte vingt.
Lorsque vous posez la question aux commerçants : « Ne pensez-vous pas que l'idée d'une sensibilisation à cette journée est une bonne chose ? » Vous dites que 37% y sont favorables. Vous ne dites par contre pas que les deux tiers des commerçants sont complètement défavorables à ce genre d'action. C'est pourquoi je parle de manque d'objectivité. Que demandent les commerçants ? Ils demandent simplement à pouvoir travailler, à ce qu'on les laisse tranquilles et qu'on ne les entrave pas et à ce que l'accès au centre-ville soit ouvert à tout le monde et non pas réservé aux personnes se déplaçant à pied ou à vélo. Nous ne sommes pas contre le vélo, mais simplement opposé au système d'une sensibilisation restrictive. Il est un petit peu facile de dire que l'on va sensibiliser les gens à un autre moyen de déplacement. On supprime donc la voiture pour ensuite demander aux gens s'ils ne trouvent pas que le vélo est mieux. Surtout que l'opération est suivie d'un bilan on ne peut plus partial. J'appelle cela une politique démagogique qui est, par définition, un politique faite pour plaire, mais qui ne dit pas combien cela coûte.
Par cette motion, nous demandons de recueillir d'autres éléments, d'une part le prix de l'opération pour la collectivité et d'autre part l'incidence sur les commerces de l'entrave à l'accessibilité au centre-ville. Ce n'est que sur la base d'éléments objectifs que nous pourrons mettre en oeuvre une politique réaliste, considérant le commerce, son avenir en Ville de Genève et ses conséquences à terme pour la collectivité.
Je terminerai en disant que l'aspect économique est important. J'espère qu'il sensibilisera une majorité de députés dans cette salle et que vous réserverez un bon accueil à cette motion.
M. Jean-François Courvoisier (S). S'il y a une motion inutile, c'est bien celle-là ! Ses auteurs ont sans doute été inspirés par la parole de Cyrano : « C'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! »
Il sera très difficile de calculer, même approximativement, les conséquences économiques de la journée sans voiture. Cela prendrait énormément de temps, temps qui pourrait être mieux utilisé. Pour ma part, je connais plusieurs personnes qui ont renoncé ce jour-là à utiliser leur voiture pour aller faire leurs courses du week-end en France voisine. Certaines ont remarqué qu'elles pouvaient, sans se déplacer au centre-ville ou à Balexert, faire leurs achats dans le quartier qu'elles habitent. Si vous désirez donc faire ce calcul, vous devrez interroger tous les petits commerçants dans chaque quartier pour savoir si leurs ventes n'ont pas augmenté le 22 septembre.
D'autre part, nous sommes tous conscients de l'augmentation insupportable du coût de la santé. Or, les maladies dorsales, dont l'abus de la voiture semble très souvent responsable, représentent une grande partie de ces dépenses. Dans certains pays nordiques, les assurances-maladie doivent renoncer à couvrir les dépenses causées par les maladies dorsales tant elles sont nombreuses. Il est évident qu'une seule journée sans voiture n'aura pas diminué ce genre d'affection, mais cette journée aura une valeur éducative. Elle aura montré à de nombreux citoyens qu'ils peuvent se passer de leur voiture pour faire leurs achats. Cette expérience servira probablement à l'avenir. En utilisant nos pieds, les transports publics et la bicyclette, nous arriverons dans les prochaines années à diminuer les coûts de la santé, ce qui compensera largement les pertes causées par la diminution du trafic automobile. Bien qu'il ne soit pas possible aujourd'hui d'évaluer le montant de ces économies, elles paraissent suffisamment évidentes pour que nous refusions cette motion sans perdre davantage de temps.
M. Albert Rodrik (S). Je suis plus optimiste que mon ami Courvoisier. Je trouve que c'est une excellente idée de demander ce rapport. Il est simplement un peu court. On ne doit pas se contenter des conséquences économiques. Il faut s'interroger en plus sur les conséquences sociales et environnementales. Et l'on ne doit pas se contenter de la journée sans voiture du 22 septembre. C'est beaucoup trop peu ! Il y avait, dans l'année bissextile 2000, 365 jours avec voitures. Je demande donc une étude neutre, scientifique, comparative, sérieuse sur les conséquences économiques, sociales et environnementales de 365 jours avec voiture de l'année bissextile 2000. Nous serons à ce moment tout à fait savants. Je vous remercie d'avance, Mesdames et Messieurs !
M. Christian Ferrazino (AdG). Mesdames et Messieurs des bancs d'en face, vous faites bien trop d'honneur au Conseil administratif de la Ville de Genève et, soit dit en passant, bien peu à certains de vos collègues députés-maires, comme M. Spinucci qui, je le salue ici, a fait un travail très actif pour la commune qu'il représente afin de mettre sur pied cette journée « sans ma voiture ». Tant M. Spinucci que moi-même avons cependant bien peu de mérite, puisqu'il s'agit, vous le savez, d'une idée qui a germé dans l'esprit du ministère français des transports de Mme Voynet, qui a lancé... (L'orateur est interpellé.) ...cette expérience, Monsieur Blanc, en 1998 sur le territoire français. Cette journée « sans ma voiture » a ensuite atteint une dimension européenne.
C'est dire que Mme Ruegsegger, qui considère cette problématique avec des visières très étroites et qui s'inquiète beaucoup pour le centre-ville de Genève, devrait, à défaut de voyager dans d'autres villes européennes, se mettre en contact, puisque les systèmes Internet nous permettent de communiquer très rapidement et relativement loin, avec le centre d'information de Bruxelles, qui vous renseignera avec pertinence sur les expériences réalisées, Madame Ruegsegger, non pas dans une ville comme celle de Genève, mais dans plus de 800 villes européennes. Est-ce que 800 villes européennes se trouvent aujourd'hui totalement dans l'erreur et Mme Ruegsegger dans le juste ? Vous me permettrez de penser que ce n'est pas seulement le nombre, mais aussi la qualité et que la première hypothèse me semble plus exacte.
Quant à nous, la Ville de Genève, nous avons souhaité nous associer de manière très active avec plusieurs communes qui, à nos côtés, nous ont rejoints pour développer avec d'autres villes de Suisse des expériences susceptibles d'inciter nos concitoyens à adopter d'autres comportements en matière de déplacements en milieux urbains. Et, Madame Ruegsegger, puisque vous avez apparemment, à défaut d'une obsession, en tout cas une préoccupation qui semble essentielle, à savoir le coût, sachez que je partage votre préoccupation. Je suis aussi particulièrement attaché aux coûts. Mais il est un coût qui a totalement échappé à votre raisonnement. C'est le coût que l'on appelle externe. S'il y a quelque chose qui coûte très cher aux collectivités publiques, Madame Ruegsegger, c'est le coût de la pollution. Si vous êtes particulièrement attachée à ces notions de coût, vous devriez applaudir des deux mains les mesures prises pour tenter de réduire le trafic en Ville de Genève et par conséquent pour tenter de réduire la pollution qui, elle, engendre pour les collectivités publiques des dépenses très importantes. Vous le voyez donc, votre préoccupation est aussi la nôtre, même s'il faut la nuancer. Nous avons pour notre part, M. Rodrik l'a rappelé tout à l'heure, l'habitude d'examiner ce genre de dossier, non pas avec des ornières qui nous sont placées près du visage, mais de la manière la plus large possible.
M. Claude Blanc. Des ornières ?
M. Christian Ferrazino. M. Blanc se réveille ! Vous savez certainement, Monsieur Blanc, pour en parler de temps en temps, que tant l'Etat que la Ville de Genève se préoccupent de l'Agenda 21. Mais certains s'en préoccupent de façon très théorique, alors que d'autres essayent au contraire de concrétiser un certain nombre d'expériences découlant de l'Agenda 21. M. Courvoisier pensait que l'on devrait rejeter sans autre cette motion. Je vous l'accorde, Monsieur Courvoisier, nous pourrions avoir cette tentation, mais je pense, puisque les bancs d'en face semblent préoccupés d'une manière générale par toute cette problématique - on veut bien penser qu'ils ont véritablement cette préoccupation - que l'on peut compléter le raisonnement qui est le leur et proposer au Conseil d'Etat - je déposerai un amendement dans ce sens - d'établir un bilan sous l'angle des trois piliers du développement durable, à savoir les aspects économique, social et environnemental. Si vous vous préoccupez des conséquences d'une journée « sans ma voiture », il faut vous en préoccuper de manière générale. Un bilan de cette nature permettra justement de prendre en compte les coûts externes, c'est-à-dire les coûts consécutifs de la pollution auxquels je faisais allusion tout à l'heure. Je peux vous dire, mais M. Ramseyer le précisera tout à l'heure mieux que moi, que le Conseil d'Etat n'est pas resté les bras croisés dans cette édition 2000, puisqu'il a accepté de participer à concurrence d'un tiers, avec la Ville de Genève et les TPG, à la gratuité des transports publics sur l'ensemble du territoire du canton de Genève. On ne peut que s'en féliciter !
Certains tout à l'heure, je crois qu'il s'agissait de M. Desplanches, constatant que les chiffres qui avaient été enregistrés par rapport à l'augmentation des usagers des transports publics n'étaient pas si extraordinaires que cela, se sont finalement demandé à quoi bon persister si les citoyens n'ont pas pris d'assaut nos transports en commun le 22 septembre. Je peux vous dire, Monsieur Desplanches, qu'une augmentation de 10 à 15% sur la ligne du tram 12 entre 12 h et 14 h - ce sont les chiffres que les TPG nous ont transmis sur la base de comptages précis - correspond à une augmentation énorme en terme de nombre d'usagers supplémentaires. Une réduction de 10% de la circulation sur les grands axes de la Ville de Genève correspond également à une réduction très importante, réduction qui a permis à tout un chacun traversant la ville ce jour-là de constater que même une réduction minime du trafic en ville, de l'ordre de 5 à 10%, permettait une grande fluidité du trafic. Cela nous légitime d'autant plus à intervenir pour trouver un certain nombre de mesures qui réduiront le trafic automobile de l'ordre de 10%, car une telle diminution permet de modifier de manière très importante l'ensemble des déplacements en milieu urbain. Je n'allongerai pas davantage, Madame la présidente. Je dépose mon amendement et je ne doute pas, Madame Ruegsegger, que vous le voterez également, puisque votre préoccupation intègre ou devrait intégrer l'aspect environnemental et social de cette mesure.
M. Georges Krebs (Ve). C'est avec un très grand plaisir que nous avons appris le dépôt du complément de M. Ferrazino sur l'aspect des coûts sociaux et des coûts écologiques. C'est un point important. Il y a un autre point sur lequel il faut encore insister. C'est la fluidité remarquable du trafic sur les grands axes. Nous avons pu remarquer qu'une toute petite diminution de la circulation avait permis aux bus de circuler de façon vraiment très fluide.
Le coût économique, les milieux économiques ont toujours cela à la bouche. Il ne faut cependant pas oublier le commerce de proximité. On peut très bien limiter ses déplacements, car on ne doit pas nécessairement acheter au centre. Il existe des commerces dans toutes les régions et tout le monde peut en bénéficier. On n'est pas obligé d'aller en France. S'y ajoutent les problèmes de pollution, le bruit, la dégradation des bâtiments et la santé. Tout cela représente un coût encore bien plus important que l'on ne veut jamais chiffrer. Ce sera l'occasion, avec ce complément, cette invite supplémentaire, d'examiner cela dans le détail.
M. Gilles Desplanches (L). Je crois qu'il est utile de préciser certaines choses. On parle de 10% de circulation en moins, après avoir offert les TPG gratuits, après avoir interdit la circulation et après avoir organisé des manifestations. Je ne crois pas que l'on puisse se targuer d'un grand succès. On peut simplement dire que le mode de circulation n'a pas intéressé les Genevois.
Le but de cette motion est avant tout de qualifier et de connaître le coût économique. Mais si vous voulez ajouter d'autres coûts, pourquoi pas, Mesdames et Messieurs les députés ! C'est même avec plaisir que nous voterons cette motion !
Deuxièmement, il faudra aussi prendre en compte le commerce de proximité. Celui-ci, Monsieur Krebs, a largement subi les conséquences de ce détournement de circulation. Les gens ne sont pas allés au centre-ville, les voitures ont circulé, mais elles ne sont pas non plus allées dans les quartiers. La plus grosse partie des consommateurs s'est rendue en France. C'est peut-être votre vision du commerce. Je la comprends. Je l'apprécie, mais je pense qu'il serait utile à ce moment-là qu'elle puisse être mentionnée dans le rapport.
M. Pierre Ducrest (L). Le jour 22e de septembre de l'an de grâce 2000, le tsar de la ville où nous nous trouvons, relayé par quelques petits tsarévitchs de communes suburbaines, a pris un ukase concernant le véhicule que l'on appelle voiture. Il faut tout de suite préciser qu'il ne s'agissait pas d'ukases dans les communes voisines qui ont joué ce jeu, mais de simples fermetures de petites artères ne nuisant pas réellement à la circulation, petites artères qui sont d'habitude fermées lorsqu'une fête se déroule dans ces communes. Ce n'était donc que du folklore ! En Ville de Genève, ce folklore s'est avéré être plutôt nuisible. Nuisible, parce qu'il arrivait à un mauvais moment, c'est-à-dire pendant un jour ouvrable, et parce qu'il s'agissait, je vous l'ai dit, d'un ukase, car le tsar en question ne dispose pas encore des lois nécessaires pour agir directement dans ce domaine. Il a donc commencé par essayer pendant une journée.
Ces mesures coercitives ont un coût. Je ne veux pas revenir là-dessus, mes préopinants en ont parlé. C'est ce coût que nous souhaitons connaître. C'est pourquoi nous avons demandé, par le biais des invites de cette motion, de réaliser une étude. M. Rodrik a parlé de 365 jours. Vous voulez connaître, Monsieur Rodrik, le rapport de prix des 365 autres jours ? C'est facile ! Vous prenez les comptes rendus à la page des impôts et vous aurez le chiffre des rentrées fiscales. La réponse vous est donc donnée. Par contre, ce qui nous importe à nous, c'est de connaître le coût de cette journée, non pas seulement au niveau financier, mais aussi au niveau des désagréments qu'a pu engendrer ce genre de démarche au sein de la population. Vous parlez de l'aspect social. Mais que pouvaient faire de braves personnes âgées, se trouvant dans une rue bloquée et sans voiture à disposition, pour se déplacer, ne serait-ce que pour aller voir leur médecin ou se rendre à l'hôpital ? Vous n'avez pas pris en compte cet aspect !
Il est donc facile de parler des transports publics et de leur gratuité. Il se trouve néanmoins que nous avons étudié, mardi dernier, en commission des travaux, les comptes rendus des TPG. Ces comptes nous font souci, parce que cette fameuse entreprise autonome ne l'est pas autant que l'on voudrait le croire. Si vous continuez dans ce jeu-là, elle ne sera bientôt plus du tout autonome. C'est peut-être le but que vous poursuivez. Cela dit, ce qui devait demeurer du folklore risque de devenir un élément de préoccupation, sachant que l'objectif est de renouveler cette opération l'année prochaine. Je vous rends donc attentif, surtout le tsar dont j'ai cité tout à l'heure la présence. Il faudrait qu'il attende un peu et qu'il s'adresse à l'ensemble de la population, d'une façon consensuelle, pour savoir s'il est logique de toucher une multitude de gens qui se rendent simplement à leur travail avec le moyen de transport à leur disposition parce qu'ils n'en trouvent pas d'autres. Avec les mesures coercitives que l'on prépare, les obstacles que l'on met à la construction de parkings ou d'autres éléments, l'impossibilité de se rendre à son travail constitue un élément à prendre en compte. Je n'irai pas plus loin pour cette fois-ci ! Je demande bien sûr, comme mes préopinants, à ce que cette motion soit renvoyée au Conseil d'Etat.
M. René Koechlin (L). Une journée sans voiture est une expérience. Je ne sais pas si c'est en raison de ma profession, mais je suis en général assez intéressé par les expériences. Je vous rappellerai que nous avons déjà vécu, dans les années 73-74, une telle expérience. C'était alors la crise du pétrole - vous vous en souvenez certainement ou du moins les moins jeunes d'entre vous - et l'on avait décrété des dimanches sans voiture. On avait vu réapparaître dans la campagne genevoise des fiacres tirés par des chevaux. Les gens, au lieu de se promener en voiture, se promenaient en fiacre, pour autant qu'ils en aient un évidemment ! J'avais personnellement trouvé cette expérience intéressante à divers titres.
J'aurais aussi trouvé l'expérience du 22 septembre dernier intéressante si l'on s'était donné la peine d'en dresser un bilan objectif. Or, je constate, en écoutant tous les préopinants, sans exception, un manque manifeste d'objectivité. Les uns ont pour but la suppression ou la réduction drastique du trafic automobile, et les autres : le maintien du statu quo. Ces projets étant antagonistes, leurs défenseurs respectifs manquent nécessairement de l'objectivité que j'appelle, en ce qui me concerne, de mes voeux, parce que je pense qu'une expérience n'est valable que si l'on en dresse un bilan impartial ou non tendancieux, d'où que provienne la tendance. Ce que je déplore ce soir au sein de ce parlement, c'est de n'avoir encore entendu aucun discours vraiment objectif. Toutes les déclarations qui m'ont précédé étaient tendancieuses !
Une voix. Merci René !
M. René Koechlin. La seule intervention que je relève - bien qu'elle provienne d'un de mes adversaires habituels - c'est celle de M. Ferrazino lorsqu'il dit : « Faisons en sorte que le bilan se préoccupe des conséquences économiques - comme le demande la motion - des conséquences sociales - comme le demandait M. Rodrik...
Une voix. Et environnementales !
M. René Koechlin. Et environnementales, comme devait le demander Monsieur...
Une voix. M. Rodrik !
Une voix. M. Rodrik aussi... Très bien ! Mais soyons réalistes lorsqu'on parle des conséquences sociales. J'ai constaté pour ma part quelques conséquences sociales qui se sont malheureusement avérées négatives. Des personnes âgées ont été franchement handicapées par l'impossibilité dans laquelle elles se trouvaient d'utiliser la voiture... (Brouhaha.) C'est une personne qui m'est proche... (L'orateur est interpellé.) Non, ce n'est pas tendancieux ! (Brouhaha.) C'est peut-être tendancieux, mais c'est quelque chose que j'ai vécu ! Une personne habitant en ville s'est retrouvée dans l'impossibilité d'utiliser sa voiture.
Il faut que ce bilan aborde les trois domaines évoqués et qu'il soit dressé de façon absolument objective, autrement dit par des personnes dont on est sûr qu'elles ne sont pas tendancieuses, ou qu'elles n'ont pas a priori la volonté soit de réduire le trafic automobile, soit de maintenir le statu quo. Cela constituera probablement la principale difficulté : de faire en sorte que les personnes qui seront chargées d'établir ce bilan soient suffisamment neutres. Je fais confiance au Conseil d'Etat pour qu'il les trouve. En ce qui me concerne, j'accepterai la proposition d'amendement qui demande à ce que le bilan porte sur les conséquences économiques, sociales et environnementales. Moyennant quoi, je vous demande de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
M. Walter Spinucci (R). Toute règle a son exception. La règle de cette partie-ci du parlement est, ce soir, de ne défendre que les intérêts économiques. Je partage ce souci. Mais j'aimerais que l'on apporte tout de même quelques nuances, nuances très bien définies par mon collègue Rodrik, c'est-à-dire les éléments sociaux et environnementaux.
Je ne veux pas critiquer, ni prendre en considération les statistiques figurant sur la brochure éditée par la Ville de Genève. Je vous apporterai simplement un témoignage personnel recueilli sur place auprès des personnes qui ont manifesté soit de la satisfaction, soit de l'insatisfaction par rapport aux mesures prises. Ce bilan est favorable à 50% et défavorable à 50%. Je le trouve donc extrêmement positif. Mais il est important de relever une seule et unique chose. C'est la nécessité de sensibiliser les personnes au fait que l'on ne peut pas continuer à porter atteinte à la couche d'ozone par l'émission de gaz nocifs à l'effet de serre. (Applaudissements.)
M. Albert Rodrik (S). Deux phrases pour mon ami Ducrest et une phrase pour M. Koechlin. Première remarque pour mon ami Ducrest, l'organisation de vie bagnolo-centriste n'est pas l'unique étalon de vie. Il y en a d'autres. Deuxième remarque : je signale à toutes fins utiles que la majorité de la douma des boyards, c'est-à-dire nous, approuve en général la ligne du tsar Christian 1er des steppes de la Ville de Genève. Quant à M. Koechlin, notre ancien président, mon cher ami, j'avais l'impression de me retrouver à la commission fédérale du tabac, où les marchands de tabac nous demandaient tout le temps « une science neutre, une science neutre qui puisse dire que le tabac ne donne pas de cancer du poumon, de l'oesophage, etc. » J'espère qu'on vous la trouvera, cette science neutre ! Mais cela m'a véritablement fait revivre ces années avec ce monsieur en face de moi qui voulait absolument une science qui soit neutre pour dire que le tabac n'était pas nocif. On va donc vous trouver quelqu'un qui vous dira que la bagnole n'est pas nocive. Bravo ! Vive le Conseil d'Etat qui va le trouver !
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Simplement pour dire que le but de la motion était précisément de compléter une réflexion initiée par la Ville de Genève et dressant un bilan social. Nous souhaitons compléter cette réflexion par des éléments économiques. Il va donc sans dire que nous acceptons la proposition d'amendement de M. Ferrazino.
La présidente. Nous sommes saisis d'un amendement présenté par M. Ferrazino qui consiste à remplacer les trois invites de la motion par une seule invite :
« A établir un bilan sous l'angle des trois piliers du développement durable, à savoir économique, social et environnemental, de la journée du 22 septembre 2000. »
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
Mise aux voix, cette motion ainsi amendée est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1371)concernant une demande d'étude des conséquences économiques de la journée "; sans ma voiture " du 22 septembre 2000