République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8083-A
13. Rapport de la commission des finances chargée d'étudier le projet de loi de MM. Dominique Hausser, Bernard Clerc, David Hiler, Jean-Claude Vaudroz et Bernard Lescaze modifiant la loi concernant le traitement et la retraite des magistrats du pouvoir judiciaire (E 2 40). ( -) PL8083
Mémorial 1999 : Projet, 6373. Renvoi en commission, 6375.
Rapport de M. Roger Beer (R), commission des finances

Introduction

Le projet de loi modifiant la loi concernant le traitement et la retraite des magistrats du Pouvoir judiciaire (E 2 40) a été renvoyé à la Commission des finances lors de la séance du Grand Conseil du 23 septembre 1999. C'est lors de ses séances des 7 et 28 juin 2000 que la Commission des finances a examiné ce projet de loi 8083.

Mme Micheline Calmy-Rey, conseillère d'Etat chargée du Département des finances, et M. Patrick Pettmann, directeur de l'Office du personnel de l'Etat, assistent aux travaux. Ils ont répondu aux différentes questions des députés et ainsi largement contribué à la bonne marche de l'examen de ce projet de loi. Qu'ils soient ici chaleureusement remerciés !

Objet du projet de loi

C'est lors de l'introduction des postes à mi-temps dans la magistrature que la Commission des finances a eu l'occasion de débattre du système très particulier de la Caisse de prévoyance des magistrats. La révision de la législation relative au traitement et à la retraite des magistrats du Pouvoir judiciaire a aussi permis d'aborder la question des indemnités de départ accordées aux magistrats en cas de non réélection. Le projet de loi 8083 est issu de ces différents débats.

Les magistrats du Pouvoir judiciaire ne sont pas affiliés à la Caisse de prévoyance de l'Etat (CIA), comme le personnel de l'Administration cantonale. Ils cotisent auprès d'une caisse « virtuelle », c'est-à-dire d'une caisse sans fortune propre ; leurs cotisations apparaissent dans les recettes de l'Etat. En contrepartie, les magistrats du Pouvoir judiciaire bénéficient d'une retraite versée directement par l'Etat, qui inscrit dans ses charges les montants alloués aux magistrats pensionnés.

Outre ce problème de caisse virtuelle, le taux de cotisation des magistrats du Pouvoir judiciaire est préférentiel. Il se monte actuellement à 4,5 % du revenu brut, contre 6,5 % en moyenne pour les employés de la fonction publique, si l'on ramène la cotisation CIA au revenu brut. Cette cotisation représente en fait 8 % du salaire assuré par la CIA.

Le traitement préférentiel des magistrats pose problème. Si cet avantage venait compenser une rémunération jugée insuffisante, c'est cette question qui devrait être abordée.

Le projet de loi initial proposait une réforme en deux étapes. D'une part, les juges entrés en fonction avant mai 1990 (avant-dernières élections judiciaires) verraient simplement un relèvement de leur taux de cotisation afin qu'il soit ajusté au reste de la fonction publique. La caisse virtuelle actuelle serait maintenue, car la capitalisation nécessaire à la constitution d'une caisse de pension serait trop coûteuse pour l'Etat.

En revanche, les magistrats entrés en fonction dès mai 1990 auraient été directement affiliés à la Caisse de prévoyance de l'Etat (CIA). Leur taux de cotisation serait le même que celui des autres employés de la fonction publique.

Finalement, l'article 15 de la loi qui prévoit que « le magistrat dont le mandat n'est pas renouvelé, bien qu'il ait fait acte de candidature, ou dont la charge est supprimée, a droit, s'il ne bénéficie pas d'une pension, à une indemnité égale à 2 mois de traitement par année de magistrature ; les fractions d'années sont calculées proportionnellement » serait abrogé.

De toute façon, l'affiliation à la Caisse de prévoyance de l'Etat et la règle du libre-passage dans la prévoyance professionnelle permettent d'éliminer cette clause.

Audition de Mme Renate Pfister-Liechti, présidente de l'Association des magistrats, et de M. Philippe Thélin, vice-président (les 7 et 28 juin 2000).

L'audition des représentants de l'Association des magistrats s'est effectuée en deux temps. En effet, l'examen du projet de loi 8083 par la Commission des finances a provoqué une assemblée générale de l'Association des magistrats du Pouvoir judiciaire. Elle a eu lieu le 16 juin 2000. Suite à cette séance, un courrier de l'Association des magistrats a été adressé à la Commission des finances le 26 juin 2000 (cf. annexe).

En présentant la position de l'Association des magistrats, la présidente et le vice-président rappellent que ce projet de loi a fait l'objet d'un avis de droit de Me J.-A. Schneider, portant notamment sur certains aspects juridiques particuliers. Selon les conclusions de cet avis de droit, le régime de retraite des magistrats est conforme à la LPP dans ses lignes essentielles.

Pour l'Association des magistrats, il n'y a donc pas de problème au plan de l'organisation de la caisse de prévoyance. Même si ce n'est pas une caisse avec un capital propre, elle est organisée selon le système de la répartition avec une garantie de l'Etat parfaitement admissible.

L'Association des magistrats ne voit donc pas de raison de changer de système. D'autant plus que ce système paraît en soi tout à fait correct et correspond au statut particulier des magistrats. Pour l'Association des magistrats, la magistrature n'est pas un service de l'administration. Ceci est d'ailleurs conforme à la séparation des pouvoirs.

De plus, les magistrats ont un certain nombre de spécificités dont le fait de rentrer tardivement dans leurs fonctions, contrairement à ce qui ce passe en général dans la fonction publique. Une fonction élective signifie aussi qu'à fonction particulière doit correspondre un régime particulier. Pour eux, leur régime particulier s'inspire de celui des conseillers fédéraux et des juges fédéraux. Ce système tient notamment compte du fait que les magistrats doivent rester indépendants.

Pour eux, l'intégration des magistrats à la CIA présente un problème insurmontable. En effet, les magistrats ont souvent des litiges où la CIA est partie prenante, ce qui rend récusable l'entier du Tribunal administratif et plus particulièrement le Tribunal des baux et loyers. La Chambre d'appel et la Cour rencontrent le même genre de problèmes. La situation serait identique si les magistrats étaient affiliés à toute autre caisse publique.

L'Association des magistrats tient à préciser que le niveau du taux de cotisations n'est pas un point essentiel. L'association attache davantage d'importance à l'indépendance de sa caisse de prévoyance. Enfin, l'association souhaite également que le projet de loi puisse entrer en vigueur, si possible au début de la prochaine législature des magistrats, c'est-à-dire en juin 2002.

La problématique soulevée par l'indemnité de départ touchée par un cas particulier lors des dernières élections judiciaires provoque la suppression de l'article 15 concernant précisément cette indemnité de départ. Par rapport à une solution qui serait assimilée aux statuts de la fonction publique, l'Association des magistrats entend rappeler que les magistrats réagissent en général chaque fois que leur fonction est assimilée à celle des fonctionnaires. Ils estiment qu'ils sont élus et ont donc droit à un statut particulier. La comparaison entre la fonction publique, une charge de conseiller d'Etat et celle d'un magistrat du Pouvoir judiciaire provoque un échange soutenu...

Finalement, l'avis de l'Association des magistrats du Pouvoir judiciaire sur ces différents aspects se retrouve dans la note déjà citée du 26 juin 2000, rédigée à la suite de l'assemblée générale (cf. annexe).

Discussions de la commission

Les commissaires discutent longuement de l'affiliation des magistrats du Pouvoir judiciaire à la caisse de retraite de l'Etat. L'inégalité du taux de cotisation par rapport à la fonction publique prend toutefois le pas sur la problématique de la caisse virtuelle.

Une unanimité se dessine rapidement pour que le taux de cotisation soit équivalent au taux payé par le personnel de l'Etat, même si les modalités sont quelque peu différentes dans la caisse des magistrats. Enfin, l'indemnité de non réélection doit être alignée sur celle calculée pour l'ensemble des employés de l'Etat, selon la loi B 5 05.

Malgré un ancien accord verbal qui aurait prévu que le salaire des juges devait être aligné sur celui des secrétaires généraux, les commissaires ne pensent pas qu'il soit opportun de donner une classe supplémentaire aux magistrats. En revanche, les différents échanges ont montré qu'il fallait envisager que les substituts obtiennent un salaire équivalent au reste de la magistrature : cela évitera un tournus trop rapide (48 substituts en l'espace de 10 ans).

Le fait qu'aujourd'hui certains magistrats n'entrent pas directement par la traditionnelle filière des substituts, mais directement dans les autres instances accentue encore cette nécessité. L'idée d'un salaire initial, suivi d'un salaire de fonction confirmée, à l'image de la fonction publique, rencontre un large consensus.

Finalement, suite à l'audition de l'Association des magistrats et aux différentes discussions, plusieurs amendements sont présentés à la commission. Ils remodèlent complètement la loi, mais contiennent les différents objectifs du projet de loi, à savoir :

uniformiser le taux de cotisation par rapport à celui des fonctionnaires de l'administration (soit en moyenne 6,5 % du traitement brut) ;

affiliation des magistrats à la CIA : le point de vue des magistrats de refuser l'appartenance de la CIA pour rester le plus indépendant possible, dans la mesure où ceux-ci jugent un certain nombre d'affaires qui ont précisément trait à ladite CIA, rencontre l'approbation d'une majorité de députés. Le fait de séparer clairement les pouvoirs reste une notion fondamentale ;

ne plus différencier les catégories des substituts et des autres fonctions de la magistrature, pour éviter que le poste de substitut ne soit un marchepied pour accéder au plus vite à une fonction où l'on gagne davantage, apparaît également comme une modification importante.

Ainsi, le projet de loi 8083 avec son article unique a été entièrement revu et amendé par la Commission des finances. Face à ces nouvelles propositions, l'entrée en matière est acceptée par 9 oui (2 AdG, 3 S, 1 Ve, 2 R, 1 L) contre 1 non (DC).

Commentaires article par article

Art. 1

Modification de la loi concernant le traitement et la retraite des magistrats du Pouvoir judiciaire (E 2 40) du 26 novembre 1919

Le titre ne change pas.

Art. 2 Traitement

1. Les traitements sont fixés comme suit :

b) juges à la Cour de justice, juges au Tribunal administratif, procureurs, juges d'instruction, juges au Tribunal de première instance et de police, juges juristes au Tribunal de la jeunesse, juges de paix, substituts du procureur général : classe 31 ;

c) abrogé.

2. Le traitement minimum correspondant à la classe indiquée à l'alinéa 1, lettre b, constitue le traitement de fonction.

3. Le traitement de fonction entre en vigueur après 3 ans d'activité dans la magistrature. Le traitement des nouveaux magistrats est fixé en classe 29.

L'article 2, alinéa 1, lettre b amendée, consiste d'une part à créer l'équivalence de traitements des substituts du procureur avec les autres magistrats. Cette équivalence de traitements entre les substituts du procureur et les magistrats rencontre l'unanimité des commissaires (2 AdG, 3 S, 1 Ve, 2 R, 1 DC, 1 L). En revanche, la proposition de passage de la classe 31 à la classe 32 est refusée par 8 non (2 AdG, 2 S, 2 R, 1 Ve, 1 L) contre 1 oui (DC) et une abstention (S).

L'alinéa 1, lettre c est abrogé puisqu'il fixait la classe de traitement des substituts.

L'article 2, alinéa 2 consiste à supprimer la référence à la lettre c qui est abrogée.

Avec l'article 2, alinéa 3, le traitement de fonction entre en vigueur après 3 ans d'activité dans la magistrature. Le traitement des nouveaux magistrats est fixé en classe 29. Cet amendement recueille l'unanimité des commissaires (2 AdG, 3 S, 1 Ve, 2 R, 1 DC, 1 L). Le député DC précise qu'il est d'accord sur le principe mais pas sur la classe, fixée auparavant à 32 dans la première proposition et ensuite refusée par la commission.

Art. 3 Substituts

1. Pour les substituts du procureur général, les augmentations annuelles fixées par l'article 2 de la loi sont doublées.

L'article 3 est abrogé puisqu'il accorde des annuitées doubles aux substituts. Dans la mesure où ces derniers obtiennent un salaire équivalent aux autres magistrats, selon l'article 2, alinéa 1, lettre b, l'article 3 n'a plus sa raison d'être.

Art. 4 Indemnités

1. Les magistrats qui exercent une des charges désignées ci-après ont droit, en plus de leur traitement, à une indemnité annuelle fixée à :

a) 5 % du minimum de la classe 31 pour le président de la Cour de justice, le président du Tribunal administratif, le président du Tribunal de première instance et de police, le président du collège des juges d'instruction et le président du Tribunal tutélaire et de la Justice de paix ;

b) 3 % du minimum de la classe 31 pour le président du Tribunal de la jeunesse, le vice-président de la Cour de justice, le vice-président du Tribunal administratif, le vice-président du Tribunal de première instance, le vice-président du collège des juges d'instruction et le vice-président du Tribunal tutélaire et de la Justice de paix.

Suite au vote précédent, la classe 31 a été rétablie dans les deux alinéas. Cet article reste donc inchangé !

Art. 9, al. 2

2. Le traitement assuré par la Caisse de prévoyance correspond au dernier traitement de base selon l'échelle des traitements à l'exclusion de toute autre prime ou indemnité. Le traitement assuré tient compte du taux d'activité du magistrat et sert de base au calcul des cotisations fixées par équivalence avec le taux du personnel de l'Etat (CIA).

En commission, il est précisé que le pourcentage est de 6,5 %, ce qui représente un taux moyen indicatif. En réalité, ce taux varie de 6,22 % à 6,81 %.

Cet amendement est accepté par 9 oui (2 AdG, 3 S, 1 Ve, 2 R, 1 L) et une abstention (DC).

Art. 9, al. 5 Affiliation et contributions

5. L'Etat de Genève garantissant le paiement des prestations dues, aucune fortune n'est constituée. La retenue effectuée sur le traitement assuré du magistrat, à titre de contribution à la constitution des pensions, entre dans les recettes de l'Etat de même que les éventuels rachats.

Cette suppression de la référence au pourcentage est acceptée par 9 oui (2 AdG, 3 S, 1 Ve, 2 R, 1 L) et une abstention (DC).

Art. 15, al. 1 Indemnité en cas de non réélection ou de suppression de charge

1. Le magistrat dont le mandat n'est pas renouvelé, bien qu'il ait fait acte de candidature, ou dont la charge est supprimée, a droit, s'il ne bénéficie pas d'une pension, à une indemnité calculée selon l'art. 23 de la loi relative au personnel de l'administration cantonale (B 5 05).

Contrairement à l'ancien article 15 - dont le projet de loi initial voulait la suppression pure et simple ! -, l'amendement propose une indemnité comparable à celle que touche le personnel de l'Etat.

En cas de suppression de poste ou de licenciement justifié, le personnel de l'Etat reçoit une indemnité égale à 6 fois le dernier traitement mensuel de base, plus 0,2 fois le dernier traitement de base par année passée au service de l'Etat, une année entamée comptant pour une année entière. Le nombre de mois d'indemnités versées ne peut excéder le nombre de mois restant à courir jusqu'à l'âge légal de retraite du fonctionnaire.

Cet amendement est accepté par 9 oui (2 AdG, 3 S, 1 Ve, 2 R, 1 L) et une abstention (DC).

Art. 2 Entrée en vigueur

1. La loi entre en vigueur le 1er janvier 2001.

2. Les art. 2 et 3 entrent en vigueur le 1er juin 2002.

La nouvelle législature judiciaire commence le 1er juin 2002. Cette nouvelle loi entre en vigueur le 1er janvier 2001, à l'exception des articles 2 et 3, dont l'entrée en vigueur est fixée au 1er juin 2002.

L'alinéa 1 est accepté par 9 oui (2 AdG, 3 S, 1 Ve, 2 R, 1 L) et une abstention (DC).

L'alinéa 2 est accepté par 9 oui (2 AdG, 3 S, 1 Ve, 2 R, 1 L) et 1 non (DC).

Vote final

Au terme de ses travaux, la Commission des finances a accepté le projet de loi 8083 modifiant la loi concernant le traitement et la retraite des magistrats du Pouvoir judiciaire (E 2 40) par 9 oui (2 AdG, 3 S, 1 Ve, 2 R, 1 L) contre 1 non (DC).

Nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à accepter ce projet de loi amendé par la Commission des finances.

ANNEXE

p.12p.13p.14p.15

Premier débat

La présidente. Quelqu'un du groupe radical peut-il remplacer M. Beer ? Monsieur Dupraz, je vous remercie. Avez-vous quelque chose à ajouter au rapport de votre collègue ? Non, bien ! Puisque la parole n'est pas demandée, nous passons au vote d'entrée en matière de ce projet de loi.

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Article 1 (souligné)

Art. 2, al. 1, lettre b) (nouvelle teneur),

M. Michel Halpérin (L). Je souhaite proposer un amendement à la lettre b) de l'alinéa 1, s'agissant des deux derniers mots, soit de remplacer «classe 31» par «classe 32».

J'explique. Le projet de loi qui vous est soumis porte essentiellement sur des questions qui relèvent de l'organisation de la prévoyance LPP des magistrats du pouvoir judiciaire. Et, en examinant le rapport de notre collègue Beer - dont je salue le retour parmi nous... - j'ai constaté que la commission qui avait examiné ce projet s'était ralliée à l'opinion des magistrats s'agissant de l'autonomie de la caisse, mais n'était pas entrée en matière sur leurs préoccupations concernant l'ajustement de leurs cotisations qui étaient à 4,5% et qui passaient à 6,5% dans l'esprit des commissaires, au motif qu'il était logique et raisonnable que les magistrats soient traités comme le reste du personnel de l'Etat.

Mesdames et Messieurs les députés, je ferai deux observations et j'exposerai un principe.

Ma première observation est que les magistrats du pouvoir judiciaire, contrairement à l'essentiel du reste de la fonction publique, ont supporté depuis dix ans, sans frémir, les efforts que nous leur avons demandés et ont dès lors accepté une réduction constante de leur pouvoir d'achat pendant ces dix années, de sorte que l'alignement de leurs cotisations de prévoyance que nous proposons représente pour eux une réduction supplémentaire de leur pouvoir d'achat.

La deuxième observation que je veux faire est en rapport avec ce que nous écrit M. Beer et qui, le connaissant comme je le connais, m'étonne un peu de lui. M. Beer écrit : «Malgré un ancien accord verbal qui aurait prévu que le salaire des juges devait être aligné sur celui des secrétaires généraux, les commissaires ne pensent pas qu'il soit opportun de donner une classe supplémentaire aux magistrats.» Alors, Mesdames et Messieurs les députés, quand je dis que ce propos m'étonne de la part de M. Beer, c'est parce que je le sais loyal et soucieux de respecter la parole donnée.

Or, Monsieur le rapporteur, il n'est pas indifférent qu'un accord ait été donné aux magistrats et il n'est pas indifférent que cet accord soit respecté, fût-il verbal. De mon point de vue - mais c'est un point de vue que j'espère voir adopter majoritairement par ce Conseil - un accord engage ceux qui l'ont pris, et je dirai même qu'il engage davantage quand il est verbal que quand il est écrit. En effet, quand il est verbal, il s'agit d'un accord entre gens d'honneur et, par conséquent, je ne voudrais pas que vous laissiez penser, Monsieur le rapporteur, que la classe politique est dépourvue d'honneur.

J'ajoute que cet accord que vous présentez un peu comme perdu dans les limbes n'est pas si perdu que cela, puisqu'il figure noir sur blanc - ce n'est pas tout à fait un écrit mais presque, puisque c'est une retranscription - dans le Mémorial de nos travaux de 1976, où vous retrouverez à la page 2953 que «le traitement proposé correspond à la situation faite aux professeurs d'université ayant une charge entière, et à celle des secrétaires généraux de département». L'accord verbal est donc au moins susceptible de trouver une trace écrite, et il est difficile de s'en départir sans en donner par la même occasion la preuve transcrite.

Le troisième point n'est pas une observation, c'est une question de principe. C'est un rappel de la politique que nous avons engagée durant cette législature, au sein de ce Conseil : nous avons pensé dans ce Grand Conseil - et nous étions unanimes, au moins dans la commission législative et la commission judiciaire - que la population et, par conséquent, les autorités politiques, attendaient de leur magistrature qu'elle soit digne de leurs expectatives.

Nous savons désormais que le pouvoir politique est passablement délité et que, pour beaucoup de choses qui concernent et la vie politique et la vie administrative, mais surtout l'arbitrage de l'ensemble des conflits que doivent résoudre nos compatriotes, c'est aux magistrats que revient le dernier mot. Et nous avons fait le choix, tous partis confondus depuis 1995 environ, de doter notre magistrature d'une plus grande autonomie, d'une plus grande honorabilité, d'une plus grande respectabilité, et nous l'avons fait dans différents projets, notamment ceux concernant le Conseil supérieur de la magistrature.

Or, voilà que des projets de rencontre expriment, comme c'est malheureusement quelquefois le cas dans le monde politique, des ressentiments modestes à l'égard d'une magistrature qui, j'en conviens, n'a pas toujours fait toute la démonstration de son aptitude à répondre à nos attentes...

M. Bernard Lescaze. C'est toi qui le dis !

M. Michel Halpérin. C'est moi qui le dis ! J'ajoute que, lorsque l'on a des attentes, il faut aussi savoir les exprimer comme il convient.

Mesdames et Messieurs les députés, pour ma part, je refuse que nous donnions le sentiment à nos magistrats, par des messages maladroits, que nous souhaitons les faire passer du rang magistral au rang de fonctionnaires, qui plus est au rang de fonctionnaires mal traités... Je demande que nous leur rappelions, à l'occasion des débats que nous avons sur leur statut, la dignité qui est la leur et qui se traduit aussi par un traitement qui soit convenable.

La modification en question, je m'empresse de le dire pour les comptables qui siègent parmi nous, est modeste, puisqu'elle représente probablement une différence de l'ordre de 3 ou 4%, de la classe 31 à la classe 32. Par conséquent, je demande que nous nous donnions à la fois l'élégance, mais en même temps la clarté politique du message, de faire cette petite modification : «classe 31» devenant «classe 32». Je pense que nous avons beaucoup à y gagner en visibilité, beaucoup à y gagner en droit d'articuler des exigences face au pouvoir judiciaire, et c'est la raison pour laquelle je vous prie d'accueillir comme elle le mérite cette proposition d'amendement.

La présidente. Monsieur le député Halpérin, si vous pouviez nous remettre votre amendement par écrit, ce serait très bien.

M. Claude Blanc (PDC). J'accueille avec un très grand plaisir l'amendement présenté, je le suppose, au nom du parti libéral par M. Halpérin. Je l'accueille avec d'autant plus de plaisir qu'en commission des finances je me suis trouvé désespérément seul, mon cher collègue...

M. Michel Halpérin. Mais je suis avec vous !

M. Claude Blanc. ...pour défendre la position que vous venez d'exposer, mes collègues libéraux ayant délibérément choisi de me lâcher. Je me suis retrouvé tout seul, je le répète, au vote final... (Exclamations.) Parfaitement, tout seul au vote final ! Je suis donc content de voir que les libéraux ont réfléchi et qu'ils ont chargé le plus éminent d'entre eux de venir en repentance.

Mesdames et Messieurs les députés, les juges qui, primitivement, étaient placés sur le même pied que les secrétaires généraux ont vu le statut de ceux-ci changer subrepticement. En effet, le Conseil d'Etat, au début des années 90, au moment où il commençait à rogner sur tous les salaires des fonctionnaires, a subrepticement accordé une classe supplémentaire à ses secrétaires généraux, sans que l'on sache pourquoi. Vous me direz qu'il faut toujours bien payer ses proches collaborateurs : on ne sait jamais de qui on peut avoir besoin quand l'orage arrive ! Mais les juges l'ont appris plus tard, au plus fort de la crise - cela s'était fait si discrètement que c'était passé inaperçu - et ils ont eu, les malheureux, la pudeur de ne rien réclamer, compte tenu de la crise justement. Mal leur en a pris, puisqu'aujourd'hui non seulement on refuse de les mettre au même niveau que les secrétaires généraux mais, de plus, on leur pique 2% de plus sur leur salaire pour leur caisse de pension, ce qu'ils ne contestent d'ailleurs pas ! Et M. Halpérin vient de faire la démonstration qu'une classe supplémentaire représentait environ 4% : si on enlève les 2% pour la caisse de retraite, il ne reste plus que 2% !

Je crois donc, Mesdames et Messieurs les députés, que nous faisons preuve ici d'une certaine mesquinerie en refusant aux juges ce qui leur est dû. Nulle part dans la fonction publique, on n'oserait, par des mesures nouvelles concernant la caisse de prévoyance, baisser réellement le salaire des fonctionnaires. Or, avec les mesures que vous allez voter, vous allez baisser réellement le salaire des juges ! Vous me direz que les juges gagnent suffisamment pour accepter de voir leur salaire baisser, mais ça n'est pas une raison ! Ce n'est pas le signe de reconnaissance que pourtant nous leur devons. D'aucuns nous diront et notamment mon excellent collègue Lescaze que tous les juges ne sont pas à la hauteur de ce que nous attendons...

M. Bernard Lescaze. Laisse-moi dire ce que j'ai à dire ! (Rires et exclamations.)

M. Claude Blanc. Madame la présidente, M. Lescaze me l'a tellement clamé à la buvette que, s'il ne le dit pas en séance plénière, c'est qu'il se sera rétracté ! (Exclamations.)

M. Bernard Lescaze. Et en plus c'est faux ! Espèce de menteur ! (Rires et exclamations.)

La présidente. Monsieur Lescaze, vous direz tout ce que vous pensez tout à l'heure ! Monsieur Blanc, continuez ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)

M. Claude Blanc. Moi, quand M. Lescaze me traite de menteur, j'ai l'impression qu'il me canonise ! (Rires.)

Bien, je reviens à mon propos. Monsieur Lescaze, s'il est vrai que tous les juges ne sont pas à la hauteur de ce que nous attendons d'eux, nous ne devons que nous en prendre à nous-mêmes. En effet, s'il y a eu des difficultés, il faut savoir que la plupart des juges ont été élus pour la première fois par ce parlement, ce parlement qui trop souvent procède à des nominations politiques sans tenir compte de la valeur de la personne... Toutefois, récemment, une nomination a été effectuée sur la valeur : j'en rends grâce à l'Alliance de gauche qui nous a appuyés en disant que notre candidat était le meilleur de ceux qui se présentaient. Merci, Monsieur Grobet !

On dit par ailleurs que Mme Calmy-Rey n'est pas favorable à un reclassement des juges, parce qu'elle craint que les professeurs d'université entrent dans la brèche. Je connais moins que M. Lescaze le problème de l'université, mais peut-être pourra-t-il faire le panégyrique des professeurs pour essayer de les faire entrer dans la brèche. Moi, je me contente aujourd'hui de dire que les juges méritent plus de considération que ce projet ne leur en apporte. Et, franchement, diminuer le salaire des juges, comme cela, c'est un affront qu'il faudrait pouvoir justifier autrement ! Et comme vous ne pouvez pas le justifier, ils le ressentiront comme un affront. 

M. Bernard Clerc (AdG). Je m'aperçois que même le parti libéral tente de faire du syndicalisme ! (Exclamations.) Je dois dire que, quand il essaye de le faire, il s'y prend extrêmement mal...

M. Olivier Vaucher. On n'a pas ton expérience, mon cher !

M. Bernard Clerc. Quand il évoque l'effort fait par les juges en termes de baisse de pouvoir d'achat, je confirme : l'ensemble des salariés de la fonction publique a perdu 12% de son pouvoir d'achat. Cela a été voté par qui ? Par vous ! Dans les bonnes années du gouvernement monocolore, avec vos plans de redressement des finances, c'est vous, l'Entente, qui avez baissé le pouvoir d'achat des salariés de la fonction publique de 12% ! Et aujourd'hui vous osez - je dis bien «osez», parce que je trouve cela honteux - demander une reclassification... Et pour qui ? Pour du personnel du secteur public qui se trouve en classe 31 ! Pour le faire passer en classe 32 !

Alors, pour la classe 31, je vais vous le dire, Monsieur Halpérin, le salaire minimum est de 143 000 F et le maximum est de 196 000 F. Et l'annuité qu'ils toucheront l'année prochaine s'élève tout de même à 3 570 F. S'ils passaient en classe 32, comme vous le proposez, ils toucheraient 145 000 F au minimum et 205 000 F au maximum de la classe. C'est vraiment extraordinaire, c'est le monde à l'envers ! Que s'est-il passé en 1995, lorsque vous avez augmenté la cotisation de la CIA, que vous l'avez fait passer de 6 à 8% ? Vous êtes-vous préoccupé de savoir si l'ensemble des salariés de la fonction publique, si les nettoyeurs de l'hôpital allaient perdre de leur pouvoir d'achat ? Bien sûr que non ! (Applaudissements.)

Je m'adresse aux juges, y compris à ceux qui sont dans la tribune ce soir : à l'époque, nous ne vous avons pas entendus marquer votre solidarité avec les salariés de la fonction publique. Nous ne vous avons pas entendus dire que la hausse de la CIA n'était pas admissible. (Exclamations.) Le comité et les instances de la CIA étaient opposés à cette hausse de la cotisation, mais vous avez fait fi de leur avis et de celui du personnel de la fonction publique. Et vous n'avez pas manifesté de solidarité. Pourquoi ? Parce que vous pensiez qu'avec votre système de retraite particulier vous échapperiez à cette hausse !

Nous demandons aujourd'hui simplement que les juges payent la même cotisation que l'ensemble des salariés de la fonction publique, et c'est tout !

On nous dit que les secrétaires généraux des départements ont été augmentés, mais qui les a augmentés ? Les conseillers d'Etat de l'Entente ! Vous, du temps de la période du gouvernement monocolore ! (Exclamations.) Comme vous avez augmenté d'ailleurs un certain nombre de cadres dans l'instruction publique à l'époque, alors que, dans le même temps, vous supprimiez les annuités, vous supprimiez la compensation du renchérissement. Alors, s'il vous plaît, ne venez pas larmoyer aujourd'hui !

Mais au fond, Me Halpérin, vous êtes assez logique avec vous-même et avec vos orientations, parce que votre projet sur la fonction publique - et je me réjouis de voir quelle sera la position politique des juges par rapport à celui-ci - consiste à dire que les bas salaires de la fonction publique sont trop payés, parce qu'ils ne correspondent pas aux règles du marché du travail aujourd'hui, et que les hauts salaires ne sont pas assez payés, parce qu'ils ne correspondent pas, eux non plus, aux règles du marché du travail aujourd'hui. C'est donc logique que vous vouliez augmenter les hauts salaires !

Une voix. C'est une lutte de classes !

M. Bernard Clerc. Notre position à cet égard est extrêmement précise et ferme : nous mettons simplement les cotisations à la caisse de retraite des juges au même niveau que l'ensemble des salariés de la fonction publique. Il n'y a pas de raison qu'ils fassent exception. Et je vous annonce tout de suite qu'après le vote de ce soir, je déposerai un projet de loi qui mettra les conseillers d'Etat au même niveau que les juges... (Rires et exclamations.) ...parce que eux aussi bénéficient d'un statut privilégié, et il n'y a pas de raison que leur taux de cotisation à la caisse de retraite ne soit pas aligné sur celui de tous les salariés de la fonction publique. (Applaudissements.)  

M. Christian Brunier (S). Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que le métier de juge est difficile, de plus en plus exigeant, et que les juges méritent cette classe 32. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, beaucoup de professions de la fonction publique méritent d'avoir des classes en plus.

Je vous rappelle la revendication des infirmières qui date de plusieurs années. Ces infirmières, qui exercent un métier terriblement difficile, demandent deux classes de plus. Pourtant, le Conseil d'Etat leur a dit cette année qu'il n'avait pas les moyens de leur donner ces deux classes.

Je vous rappelle que les aides hospitalières, qui font un travail excessivement pénible et de plus en plus difficile, puisqu'elles sont de moins en moins nombreuses dans les hôpitaux, se battent pour obtenir une classe de plus depuis des années. Elles la méritent cette classe de plus, mais le Conseil d'Etat leur a aussi dit que, pour le moment, il n'avait pas les moyens de la leur accorder.

Il y a ainsi plein de professions de la fonction publique qui méritent d'être mieux payées : les juges, les aides hospitalières, les médecins de l'hôpital, les nettoyeurs, les gens qui travaillent aux Cheneviers près des fours, ce qui est aussi très pénible. Mais, aujourd'hui, je pense que nous devons assurer une certaine équité par rapport à la fonction publique. Je vois donc mal comment nous pourrions donner une classe aux juges et ne pas en donner aux autres personnes qui la méritent.

Mesdames et Messieurs les députés, la classification des fonctions est un problème délicat, qui doit se régler entre le Conseil d'Etat - l'employeur - et les syndicats. Ce n'est pas le rôle du parlement. C'est la raison pour laquelle les socialistes, aujourd'hui, s'abstiendront ou s'opposeront à cette proposition, même s'ils considèrent que cette classe 32 est méritée. 

M. Roger Beer (R), rapporteur. J'imaginais bien que ce projet de loi pouvait poser quelques problèmes, mais je n'aurais pas imaginé qu'il enflammerait pareillement le Grand Conseil.

Je rappelle à M. Blanc qu'un député de son groupe, et non des moindres - Jean-Claude Vaudroz - avait également signé ce projet de loi. Et je crois aussi savoir que celui-ci, contrairement à ce que peut laisser penser le débat passionné qui vient d'avoir lieu, ne portait pas du tout sur des problèmes salariaux ou de valorisation de fonction. Mais il est vrai que ce projet date de septembre 1999 et qu'il a été traité seulement en juin de cette année.

En fait, le but de ce projet de loi était, comme certains l'ont rappelé, d'uniformiser le taux de cotisation de la caisse de retraite des juges avec celui des fonctionnaires. C'était le premier point.

Le deuxième but extrêmement important de ce projet de loi était de ne plus différencier les catégories des substituts des autres fonctions de la magistrature, et, notamment, d'éviter que le poste de substitut ne soit qu'un marchepied pour accéder au plus vite à une fonction mieux payée. Cela concerne quarante-huit substituts qui changent en l'espace de dix ans. Sur ce point le projet de loi était bon.

Enfin, dernier point, la problématique de l'indemnité de départ, suite aux dernières élections où il y a eu - on ne va pas y revenir - un problème assez particulier par rapport à la non-réélection d'un juge.

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, il y a bien sûr également eu des discussions sur le problème de la classe, 31 et 32, comme vous le rappelez très élégamment, Monsieur le député Halpérin, en me lançant une pique très sympathique... Une amie juge m'a téléphoné aujourd'hui et a évoqué le problème de la classe 32. Mais ce qui était intéressant, c'est qu'elle ne savait pas que le projet passait ce soir et que j'en étais le rapporteur. Et même après ce long téléphone, je n'ai pas changé d'avis.

Je vous rappelle que la classe 32 a été soutenue seulement par M. Blanc et qu'aussi bien les libéraux que tous les autres partis ont estimé qu'il fallait rester à la classe 31. Alors, ce soir - je n'en ai pas entendu parler à l'intergroupe, mais je savais que vous alliez intervenir, ce qui me paraît légitime - le Grand Conseil dans sa grande sagesse jugera, mais, je le répète, le problème de la classe 32 n'était pas du tout l'essentiel de ce projet de loi.

Celui-ci portait sur la problématique de la caisse de retraite des juges. L'idée première était de les affilier à la CIA, mais nous nous sommes très vite rendu compte en commission des finances que leur statut d'élus et non de fonctionnaires ne pouvait effectivement pas le permettre. Nous avons donc admis qu'ils soient affiliés à une autre caisse, et nous avons réglé les autres affaires par la même occasion.

Ce soir, il reste la question de la classe de traitement. Comme je crois que tout le monde s'est exprimé à ce propos, je vous suggère, Madame la présidente, de continuer les travaux ! 

M. Bernard Lescaze (R). Il fut un temps, naguère, où les juges se promenaient en belle robe fourrée rouge ou noire bordée d'hermine... (Exclamations.) ...et c'était de la véritable hermine... Aujourd'hui, les épitoges sont en peau de lapin blanc... (Rires.) ...et c'est ma foi tout un symbole !

J'aimerais dire, en revanche et à propos d'autres symboles, qu'un des principes essentiels de notre société est la séparation des pouvoirs. Ce Grand Conseil reconnaît intégralement cette séparation des pouvoirs : il élit les juges, et, vous le savez bien, sitôt ceux-ci élus, ils ont tendance à s'éloigner beaucoup des partis politiques auxquels ils prétendent appartenir. Toutefois, la séparation des pouvoirs n'a jamais - malheureusement - introduit la séparation des intérêts : nous en avons, hélas, une preuve ce soir ! Une preuve institutionnelle, parce que, comme chacun d'entre vous le sait, notre collègue Claude Blanc est juge assesseur, et, aujourd'hui, dans ce Conseil, il a défendu plutôt ses collègues juges assesseurs que son mandat de député : c'est sa morale, c'est son éthique, ce n'est pas la mienne ! (Exclamations et huées.)

Je continue. La séparation des intérêts n'existe évidemment pas entre avocats et juges, car les avocats sont des auxiliaires de justice, et je comprends très bien que notre collègue Me Halpérin se fasse aujourd'hui, pour une question pécuniaire, le fougueux défenseur des intérêts de ceux qu'il côtoie professionnellement quotidiennement, puisque, en leur accordant cette augmentation, il peut imaginer en attendre en retour une certaine bienveillance... (Exclamations et chahut.)

M. Olivier Vaucher. Lamentable ! Petit personnage ! (La présidente agite la cloche.)

M. Bernard Lescaze. J'aimerais d'autant plus le rappeler à vous toutes et tous qu'il y a moins d'une année, c'est le même député Halpérin qui critiquait véhémentement une partie du Palais de justice... (Exclamations) ...une partie des représentants élus par le Grand Conseil et par le peuple. Quel changement ! Quel virage à 180 degrés ! Moi, je ne l'ai pas oublié, même si c'est le cas pour d'autres dans cette enceinte.

La technique du projet de loi est claire et M. le rapporteur l'a parfaitement exprimé : nous avons voulu mettre à niveau les prélèvements sur les caisses de pension. Lorsqu'il y a peu nous avons augmenté les allocations familiales et que nous avons frappé les indépendants, beaucoup d'entre eux n'ont pas vu leur revenu augmenter ; au contraire, il a baissé suite à ce prélèvement. En conséquence, la situation des juges était anormale avant, et elle devient normale maintenant.

Par ailleurs, je ne sais pas quels sont les avocats à la commission judiciaire qui ont fait que, pour l'instant, le projet de loi sur les gains accessoires des juges est toujours bloqué, alors que celui sur les professeurs d'université, que ce soit celui sur les professeurs de médecine ou sur les autres professeurs, a été voté par ce Grand Conseil, n'a pas été contesté devant le peuple, a été contesté par certains professeurs défendus par Me Halpérin devant le Tribunal fédéral, qui l'a débouté...

Par conséquent, Mesdames et Messieurs, je trouve bien inconséquent de demander une augmentation générale, d'autant plus que cette augmentation aurait pour effet de réduire la différence entre le procureur général et les autres magistrats, différence de deux classes qui a toujours été appliquée jusqu'à présent.

On voit donc bien que le projet d'amendement de M. Halpérin est un projet circonstanciel. Le groupe radical ne peut s'y rallier et, en conséquence, vous recommande le rejet de son amendement.

Enfin, Monsieur Vaucher, taisez-vous ! (Rires, exclamations et bravos.)

La présidente. Madame la députée Sormanni, vous avez la parole.

Mme Myriam Sormanni (S). Merci, Madame la présidente ! Ce n'est pas la peine de préciser «Madame la députée», j'ai le même titre que tout le monde !

Je voudrais juste dire, puisqu'on parle de la réévaluation de la classe des juges, qu'une autre profession mériterait véritablement d'être réévaluée et de plusieurs classes, je veux parler des assistants sociaux... (L'oratrice est interpellée.) Je peux terminer, s'il vous plaît ? Vous avez déjà parlé des infirmières, je ne vais pas faire doublon !

Quand on voit le travail que font les assistants sociaux - je les ai côtoyés ces derniers temps - et les responsabilités qui sont les leurs... (Brouhaha.) Vous me direz quand je peux continuer ! Taisez-vous, sinon je ne peux pas parler !

La présidente. Madame Sormanni, veuillez poursuivre !

Mme Myriam Sormanni-Lonfat. J'aimerais bien que l'on ait un minimum de respect !

Je voudrais simplement dire que les assistants sociaux sont très mal reconnus par rapport au travail qu'ils font. A voir le genre de clientèle qu'ils reçoivent au service du Tuteur général et la patience qu'ils doivent avoir pour éviter que certaines scènes ne dégénèrent, je pense qu'ils mériteraient bien d'être réévalués ! 

La présidente. Monsieur le député Claude Blanc ! (Brouhaha.) Monsieur le député Claude Blanc, pour la seconde fois !

M. Claude Blanc (PDC). Excusez-moi, Madame la présidente, j'étais distrait par M. Dupraz qui m'envoyait ses coquineries habituelles ! (Rires et exclamations.)

J'aimerais tout de même revenir sur la perfidie des propos de M. Lescaze... (Rires et exclamations.) Sur la perfidie, disais-je, des propos de M. Lescaze qui laissait entendre que je pourrais avoir un intérêt quelconque, une solidarité de classe avec les magistrats du Palais de justice...

M. Bernard Lescaze. Absolument !

M. Claude Blanc. Monsieur Lescaze, je suis modeste... (Rires et exclamations.) Je suis modeste, mais ma position est encore plus modeste que ma personne ! Vous savez très bien que le poste de juge assesseur suppléant ne donne droit qu'à des cachets à la vacation. Et vous, Monsieur Lescaze, qui courez tous les cachets de la République... (Rires.) ...vous devriez le savoir mieux que personne ! C'est vrai, il a des cachets partout et il arrive même qu'il en ait deux à la fois, mais cela c'est une autre question !

Revenons aux choses sérieuses ! J'ai entendu avec un peu de peine M. Clerc et M. Brunier, notamment, faire un amalgame en assimilant purement et simplement les magistrats à la fonction publique. Or, la magistrature représente tout de même le troisième pouvoir de la République : ce n'est pas la fonction publique ! C'est d'un autre ordre, et cela mérite une haute considération, exactement comme nous revendiquons une haute considération, comme le Conseil d'Etat revendique une haute considération. La magistrature a de lourdes responsabilités et elle mérite une haute considération. Alors, les propos que vous avez tenus - indépendamment des problèmes financiers qui, dans le fond, ne sont que des problèmes matériels - me semblent inacceptables sur le plan moral ! Je trouve que vous devriez tout de même avoir un peu plus de considération pour le troisième pouvoir de cette République !

Il est vrai que la fonction publique - M. Clerc l'a indiqué - a perdu 12% de son pouvoir d'achat, mais, dans cette affaire, les juges étaient compris dans la fonction publique et ils ont aussi perdu 12% pendant cette période. Et, en plus, on leur enlève 2% aujourd'hui, alors qu'on a tendance à rendre à la fonction publique ce qu'on lui a enlevé pendant les dernières années. Cela me paraît donc injuste !

Je vais m'arrêter, car je sais bien que je parle dans le désert, mais j'aimerais vous mettre en face de vos responsabilités et du mépris que vous semblez porter à la magistrature, ce qui n'est pas à votre honneur, je le pense tout à fait sincèrement ! 

M. Michel Halpérin (L). J'ai écouté avec intérêt et peu de conviction votre harangue, Monsieur Clerc : on peut naturellement faire mille et une comparaisons...

L'objectif que je défendais et qui ne me paraissait pas devoir vous être foncièrement étranger était double et vous n'avez répondu à aucune de ces deux préoccupations. Je demandais ce qu'on faisait des engagements pris et de la parole donnée - cela ne vous intéresse pas, puisque vous n'en parlez pas - et quelle idée vous vous faisiez de la magistrature que méritait ce canton - vous n'y répondez pas, parce que cela ne vous intéresse pas ! Cela ne vous intéresse pas non plus, Monsieur Brunier ! Vous dites que cela vous intéresserait dans d'autres circonstances : nous attendrons que les circonstances arrivent !

Et puis, il y a vous, Monsieur Lescaze... Encore que «Monsieur», c'est peut-être beaucoup dire ! (Exclamations.)

Vous qui connaissez bien la rhétorique et le droit, puisque vous avez étudié et l'une et l'autre, vous savez que lorsqu'on n'a pas d'argument de fond, on procède par ce que les latinistes, qui étaient de grands rhétoriciens, appelaient les attaques ad hominem : quand on ne sait pas s'exprimer sur le contenu, on s'exprime sur l'orateur !

Et donc, Monsieur Lescaze, vous qui avez fait la démonstration ces dernières années que vous n'aimiez qu'une partie du Palais de justice - pas tout à fait la même que la mienne, mais la vôtre avait l'avantage d'être minoritaire, sauf dans ce Conseil - vous avez aujourd'hui démontré que le débat sur la parole donnée ne vous concernait pas, pas plus que le débat sur l'avenir de la magistrature ne vous intéressait.

Vous ne vous êtes pas demandé, avec M. Blanc, après les libéraux, si nous avions besoin d'une magistrature qui intéresse un certain nombre de juristes compétents, capables d'arbitrer intelligemment les conflits qui surgissent dans notre République comme dans toutes les sociétés humaines !

La seule chose que vous vous êtes demandée, c'est de savoir si M. Blanc, comme juge assesseur suppléant, pouvait avoir un intérêt ! Si vous aviez lu l'article que nous votons, vous sauriez que les juges assesseurs, et à plus forte raison les suppléants, ne sont pas touchés par la norme. Et vous avez imaginé - mais vous ne le pensez pas, parce que vous m'avez vu fonctionner depuis tant d'années ici - que j'avais un intérêt virtuel ou de complaisance à l'égard du Palais de justice.

Moi, Monsieur Lescaze, je dis presque toujours ce que je pense ; je ne dis jamais ce que je ne pense pas, et je serai content le jour où vous ferez de même...

M. Claude Blanc. Bravo !

M. Michel Halpérin. Pour l'instant, j'observe que vous avez procédé par insinuation, par calomnie, mais que vous êtes à l'abri par notre règlement... Je vous en tiendrais donc rigueur si j'en avais la capacité, mais je ne vous poursuivrai pas en justice pour cela ! (Exclamations. L'orateur est interpellé.) Je ne vous avais pas adressé la parole, cela ne vous a pas empêché de me calomnier !

Cela dit, je vous invite, Mesdames et Messieurs les magistrats du pouvoir législatif - en effet, vous n'êtes pas des fonctionnaires de l'Etat, quoiqu'il vous arrive d'émarger aux comptes de l'Etat, mais le pouvoir législatif de la République - à ne pas vous pencher sur le triste destin des avocats complaisants ou de ceux qui ne le sont pas. Je vous invite à vous demander quel type de magistrature vous souhaitez au pouvoir judiciaire, si vous souhaitez la rabaisser ou la rehausser, si vous souhaitez lui adresser un message qui soit un message d'encouragement pour son autonomisation, ou si vous souhaitez lui marquer le mépris dans lequel M. Lescaze et quelques-uns d'entre vous avez montré, il y a un an ou deux, que vous teniez également les professeurs d'université en droit et en médecine ! 

M. Bernard Lescaze (R). Des attaques personnelles ont été lancées, et ce n'est pas moi qui les ai commencées... (Exclamations.) Et ce n'est pas moi qui les terminerai. Je laisse la bave du crapaud à ceux qui la méritent ! J'aimerais citer, pour ceux qui, comme l'honorable préopinant, aiment à se piquer de littérature, Chateaubriand : «Il ne faut user de notre mépris qu'avec parcimonie tant est grand le nombre des nécessiteux.» (Exclamations, rires et applaudissements.)

Cela étant dit, deux principes ont été évoqués qui ne sont pas sans intérêt : celui de la parole donnée d'un accord qui aurait, selon le rapporteur, été conclu il y a plus de vingt ans. C'est évidemment difficile. Je n'étais pas dans ce Grand Conseil, la plupart d'entre nous non plus. Ce qu'il y a de certain, c'est que depuis plus de vingt ans les tâches des secrétaires généraux de départements se sont beaucoup plus transformées que celles de la magistrature qui ont pourtant subi une évolution.

Et il y a le second point, beaucoup plus important, à savoir quelle dignité nous accordons au métier de juge. Personnellement, j'en accorde une très grande, mais je pense - j'imagine évidemment bien que d'autres députés peuvent ne pas avoir cette même vision des choses - que tout ne se mesure pas à l'argent et que l'éminente dignité des juges ne saurait être rehaussée par 2 000 ou 3 000 F de plus par an. Et ceux qui le pensent sont véritablement dans l'erreur, ou alors ce sont eux qui ont un profond mépris pour la fonction de juge. Et c'est aussi pour cette raison morale que je refuse cet amendement. (Applaudissements.)

M. John Dupraz. Royal ! 

M. Albert Rodrik (S). Je dois dire qu'à un âge avancé comme le mien, je viens ce soir d'apprendre quelque chose : la valeur, la dignité et la qualité du pouvoir judiciaire de ce canton dépendent d'une classe de fonction dans l'échelle des traitements. J'arrête là, je n'en dirai pas plus ! C'est une triste révélation ! 

Mme Micheline Calmy-Rey. Oui, nous avons besoin d'une magistrature de haute qualité ! Oui, nous avons besoin de professeurs d'université excellents ! Oui, nous avons besoin d'une fonction publique de grand niveau ! Mais je ne pense pas que le critère de la classe 32 soit un critère d'excellence à lui tout seul. Cela serait vraiment trop marquer de mépris pour ceux qui ne sont pas rémunérés en classe 32.

Je suis heureuse, Mesdames et Messieurs, de voir que, sur tous les bancs confondus, vous êtes d'accord pour améliorer la rémunération de la fonction publique, pour la remercier aussi de cette façon, et que les uns et les autres méritent plus que ce qu'ils n'ont à l'heure actuelle. J'espère que vous en tirerez les conséquences budgétaires le moment venu !

Mais, Mesdames et Messieurs les députés, il ne faut pas vouloir faire ce travail au travers d'une loi dont ce n'était pas l'objectif de départ et dont ce n'est toujours pas l'objectif. Le but du projet de loi qui a été originellement déposé était de corriger un certain nombre de choses, c'est-à-dire de relever le taux de cotisation pour la constitution des rentes au niveau de celui de la CIA et de transférer à la CIA les magistrats entrés en fonction dès mai 1990. C'était cela le but du projet de loi d'origine !

Après un certain nombre de discussions en commission, celle-ci s'est déclarée d'accord, tous partis confondus, avec le projet de loi qui vous est soumis ce soir, et ce projet de loi se développe autour des axes suivants :

1) le taux de cotisation est porté au niveau de celui de la CIA par équivalence, soit 6,5% du traitement de base au lieu des 4,5% prélevés aux magistrats aujourd'hui, c'est-à-dire le rétablissement d'une égalité de traitement avec les autres fonctionnaires;

2) l'indemnité en cas de non-réélection ou de suppression de charge est fixée conformément à l'article 23 de la loi générale relative au personnel de l'Etat, ce qui implique une diminution par rapport aux dispositions actuelles, par exemple l'indemnité après huit ans de magistrature sans droit à une rente, représentait seize mois de salaire avec l'ancien système et 7,6 mois de salaire avec le nouveau système. Ce qui est prévu dans ce projet de loi est donc plus juste;

3) la suppression de la différence salariale entre les juges qui seraient en classe 31 et les substituts du procureur général qui, eux, sont actuellement en classe 26. Tous les magistrats atteindront la classe 31, après trois ans de magistrature, à l'exception du procureur général qui conserve le statu quo.

Mesdames et Messieurs, je crois qu'il faut conserver les objectifs de ce projet de loi. Pour ce qui concerne la réévaluation générale des fonctions, nous en reparlerons à d'autres occasions et en particulier à l'occasion des discussions budgétaires, mais, pour l'instant, je vous remercie de bien vouloir voter le projet de loi tel qu'il est issu des travaux de la commission des finances. 

La présidente. La parole n'étant plus demandée, je mets aux voix l'amendement proposé par M. Halpérin consistant, à l'article 2, al. 1, lettre b), à remplacer «classe 31» par «classe 32».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Mis aux voix, l'article 2, alinéas 1, 2 et 3, est adopté.

Mis aux voix, l'article 3 (abrogé) est adopté, de même que l'article 9, alinéas 2 et 5 et l'article 15, alinéa 1.

Mis aux voix, l'article 1 (souligné) est adopté, de même que l'article 2 (souligné).

Troisième débat

Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue :

Loi(8083)

modifiant la loi concernant le traitement et la retraite des magistrats du pouvoir judiciaire (E 2 40)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article 1

La loi concernant le traitement et la retraite des magistrats du pouvoir judiciaire, du 26 novembre 1919, est modifiée comme suit :

Art. 2, al. 1, lettre b (nouvelle teneur)

 lettre c (abrogée)

 al. 2 (nouvelle teneur)

 al. 3 (nouveau)

2 Le traitement minimum correspondant à la classe indiquée à l'alinéa 1, lettre b, constitue le traitement de fonction.

3 Le traitement de fonction entre en vigueur après 3 ans d'activité dans la magistrature. Le traitement des nouveaux magistrats est fixé en classe 29.

Art. 3 (abrogé)

Art. 9, al 2 et 5 (nouvelles teneurs)

2 Le traitement assuré par la caisse de prévoyance correspond au dernier traitement de base selon l'échelle des traitements à l'exclusion de toute autre prime ou indemnité. Le traitement assuré tient compte du taux d'activité du magistrat et sert de base au calcul des cotisations fixées par équivalence avec le taux du personnel de l'Etat (CIA).

5 L'Etat de Genève garantissant le paiement des prestations dues, aucune fortune n'est constituée. La retenue effectuée sur le traitement assuré du magistrat, à titre de contribution à la constitution des pensions, entre dans les recettes de l'Etat de même que les éventuels rachats.

Art. 15, al 1 (nouvelle teneur)

1 Le magistrat dont le mandat n'est pas renouvelé, bien qu'il ait fait acte de candidature, ou dont la charge est supprimée, a droit, s'il ne bénéficie pas d'une pension, à une indemnité calculée selon l'art. 23 de la loi relative au personnel de l'administration cantonale (B 5 05).

Article 2 Entrée en vigueur

1 La loi entre en vigueur le 1er janvier 2001.

2 Les articles 2 et 3 entrent en vigueur le 1er juin 2002.