République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1335
10. Proposition de motion de Mmes et MM. Anne Briol, Esther Alder, Antonio Hodgers, David Hiler, Fabienne Bugnon, Georges Krebs, Caroline Dallèves-Romaneschi, Louiza Mottaz, Chaïm Nissim et Jean-Pierre Restellini sur les souffleuses à feuilles. ( )M1335

EXPOSÉ DES MOTIFS

Depuis quelques années, l'utilisation de souffleuses à feuilles n'a cessé de croître. Pourtant, les nuisances occasionnées par ces machines sont nombreuses. Tout d'abord, les nuisances sonores sont incontestables : le bruit émis est d'environ 90 décibels (cela correspond au bruit émis par un avion de ligne à 300 mètres) et dure souvent plusieurs minutes. De plus, la combustion du carburant nécessaire au fonctionnement des souffleuses à feuilles génère des composés polluants tels que le dioxyde de soufre et d'azote ainsi que des nuisances olfactives.

De nombreuses publications officielles font état des problèmes liés au bruit et à la pollution de l'air qui, malgré les ordonnances sur la protection de l'air (OPair) et sur la protection contre le bruit (OPB), demeurent lancinants. Par exemple, la publication « Bruit » du Cercle Bruit Suisse de 1998 relève dans son avant-propos « les nuisances sonores augmentent irrésistiblement, et il est à peine exagéré de dire qu'il n'y aura bientôt plus un endroit en Suisse qui ne soit pas affecté par les bruits de la civilisation ». L'avant-projet de bilan de l'état de l'environnement à Genève relève quant à lui que les souffleuses de feuilles mortes engendrent des problèmes environnementaux liés au bruit et que « les actions concourant à assainir la qualité de l'air doivent conduire à une décroissance des émissions ».

De surcroît, l'utilité et l'efficacité des souffleuses ne sont de loin pas démontrées. Bien souvent, un râteau ou un balai ferait mieux l'affaire notamment sur sol mouillé et provoquerait bien moins de nuisances pour son utilisateur (bruit, poids, vibration).

Tous ces éléments d'ordre environnemental et relatifs à la qualité de vie nous invitent à tout mettre en oeuvre pour limiter voire interdire l'utilisation de souffleuses à feuilles. Sachant que ce sont avant tout les collectivités publiques qui en détiennent la majorité, les premières actions allant dans ce sens pourraient être développées dans ce secteur puis élargies au secteur privé.

Au vu de ce qui précède, nous vous prions de bien vouloir accepter cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat.

Débat

Le président. Je passe la parole à Mme Anne Briol, sur les souffleuses à feuilles !

Mme Anne Briol (Ve). Monsieur le président, je vous remercie de votre enthousiasme !

J'aimerais tout d'abord relever que les études effectuées, notamment au niveau fédéral, sont très claires. La population suisse est de plus en plus touchée par les nuisances sonores. Il peut s'agir de nuisances dues au trafic automobile, au trafic aérien ou à d'autres sources de bruit. Malheureusement les normes OPB sont constamment dépassées.

Pour remédier à cette situation, bien souvent des mesures sont prises pour diminuer les immissions, c'est-à-dire le bruit perçu par la population. Cela se fait par la construction d'ouvrages souvent coûteux et peu adaptés aux besoins de la population, tels que des murs antibruit ou des triples vitrages qui enferment véritablement les habitants dans des cloches de verre. Par contre, on ne prend pas suffisamment de mesures pour diminuer les émissions à la source. La présente motion propose d'agir de manière simple et peu coûteuse sur une source de bruit affectant une part croissante de la population genevoise, celle des souffleuses à feuilles.

Le Conseil d'Etat lui-même, dans son avant-projet de bilan de l'environnement, relève les problèmes liés à ces appareils. En envoyant cette motion au Conseil d'Etat, le parlement marquerait son soutien à la mise sur pied rapide de mesures simples et peu coûteuses, mais efficaces, visant à diminuer les nuisances sonores affectant la population. 

M. Jean-Louis Mory (R). Il est vrai que les souffleuses à feuilles sont bruyantes, puisque les utilisateurs de ces machines portent des palmyres...

M. Claude Blanc. Ça s'appelle des «palmyres» ?

M. Jean-Louis Mory. Je répète : ces souffleuses à feuilles sont bruyantes puisque les utilisateurs de ces machines portent des palmyres pour se protéger du bruit. D'autres machines d'ailleurs, comme les tondeuses à gazon, sont des machines à deux temps et il serait vraiment opportun d'apporter des améliorations, au niveau sonore, sur ce type de matériel.

En automne, après la pluie et le vent, il est difficile d'enlever les feuilles tombées sur les routes avec des balais ou autres ustensiles. Ces souffleuses à feuilles sont, pour le moment, le seul moyen efficace de ramasser les feuilles. Vous n'imaginez tout de même pas que les cantonniers utilisent ces machines pour le plaisir ! S'ils les utilisent c'est pour faire du bon travail. Dans les parkings où stationnent des voitures, la souffleuse à feuilles est le seul moyen d'enlever ces feuilles, car il est impossible de les enlever avec un balai.

C'est la raison pour laquelle le parti radical refusera cette motion. (Exclamations.) 

M. Bénédict Fontanet (PDC). J'ai été rempli d'effroi à la lecture de ce projet de motion... Imaginez tous ces pauvres gens agressés par le bruit des souffleuses à feuilles ! Je suis citadin, je suis donc totalement néophyte par rapport à mon collègue Mory en matière de souffleuses à feuilles. Je confesse dans ce domaine, comme dans d'autres d'ailleurs, ma plus parfaite ignorance...

Cela étant je suis conscient des très graves difficultés, des souffrances même - on parle souvent de la souffrance des feuilles dont on nous dit que ce sont des êtres vivants - des feuilles soufflées sans ménagement au moyen de ces outils particulièrement perfectionnés, cruels et bruyants, que sont les souffleuses à feuilles...

Mesdames et Messieurs les députés, dans ce domaine, il me semble que notre parlement prend tout droit le chemin de la Commission de Bruxelles... (Rires.) ...on a vu qu'un certain nombre de nos concitoyens ont fait preuve de beaucoup d'enthousiasme ce week-end... Commission de Bruxelles dans laquelle on a réussi à légiférer sur la courbure des bananes... (Rires.) - autre sujet extrêmement important - et, au nom de mon groupe, je tiens à déclarer aujourd'hui tout à fait solennellement que je déposerai un projet de motion sur la courbure des bananes ! (Exclamations.) La souffrance que peut susciter chez les enfants le fait de mordre dans une banane qui n'est pas courbée convenablement est quelque chose de totalement insupportable ! (Rires. Le président agite la cloche.) A la courbure des bananes, j'ajouterai, Mesdames et Messieurs les députés, une motion sur la taille des roues des poussettes... (Rires.) ...autre souci très important de la Commission de Bruxelles ! En effet, on ne se rend pas compte des dégâts que peuvent provoquer chez les jeunes parturientes, une fois qu'elles ont accouché, des roues de poussettes disproportionnées qui, soit causent des secousses incontrôlées chez les petits nourrissons qui se trouvent dans les poussettes, soit, en raison d'une mauvaise tenue de route, peuvent causer des accidents aux traumatismes souvent irréparables !

Mesdames et Messieurs les députés, l'épouvantable citadin que je suis est hélas - heureusement pour lui - peu concerné par les souffleuses à feuilles, puisqu'à la rue de l'Evêché où j'habite il n'y a pas de parc et, par conséquent, pas d'arbres à proximité, ce qui fait qu'il n'est nul besoin de souffleuses à feuilles et que je ne connais pas la souffrance d'être agressé tôt le matin par le bruit de ces horribles souffleuses. Je m'en rapporterai donc à l'appréciation, non pas de ce tribunal, mais de ce vénérable cénacle pour savoir quel sort il convient de réserver à ces engins.

Si par hasard la motion au sujet de ce grave problème devait être renvoyée en commission, je tiens à vous dire que nous ferions un rapport de minorité... (Rires.) ...pour attirer aussi l'attention du Grand Conseil sur la problématique de la courbure des bananes, qui n'est pas évoquée dans cette motion, mais qui me paraît devoir y être indirectement liée ! (Applaudissements.) 

M. Pierre Ducrest (L). Je m'aperçois qu'on souffle le chaud et le froid dans ce parlement...

Les souffleuses sont effectivement un problème au niveau du bruit : il faut le reconnaître. Outre le bruit qu'elles font, elles soulèvent de la poussière : c'est une constatation.

Mais il est vrai aussi que l'ère du balai, balai réservé aux sorcières comme chacun le sait, et l'ère du râteau, qui est dévolu aux croupiers des casinos, sont dépassées. S'il fallait limiter, voire interdire ces souffleuses, il faudrait créer des brigades nombreuses de balayeurs, de râteleurs, ce qui serait une solution désuète pour notre époque. En l'occurrence, si les voiries se sont équipées de telles souffleuses, c'est qu'elles permettent de faire un travail efficace. Le problème, c'est qu'on a dû prendre le matériel qui existe sur le marché, qui n'est pas suisse et qui ne répond pas aux normes en vigueur. Il y aurait donc lieu de s'y intéresser pour ménager et la chèvre et le chou, c'est-à-dire éviter la pollution et le bruit tout en effectuant un travail satisfaisant.

C'est pour cette raison que j'ai déposé un amendement pour modifier l'invite comme suit :

«à tout mettre en oeuvre pour limiter l'utilisation de souffleuses à feuilles par les collectivités publiques et les privés, par des machines qui répondent aux normes et aux lois en vigueur.»

Ainsi, cela permettra d'avoir encore des souffleuses pour faire du bon travail, mais des souffleuses modernes. 

Mme Erica Deuber Ziegler (AdG). A la différence de Pagani père, mon père à moi ramassait beaucoup de feuilles au râteau... J'ai donc pratiqué, tout au long de mon enfance, le ratissage des feuilles dans les parcs publics de la commune de Lancy. Alors, chaque fois que je vois une souffleuse à feuilles, il me vient des envies meurtrières... (Exclamations.) Je ne nie pas l'utilité des souffleuses à feuilles, notamment dans les cas cités par M. Mory où il faut aller chercher les feuilles sous les voitures stationnées dans les parkings, dans certaines situations particulières pour préparer le passage des balayeuses automotrices ou pour préparer le passage de balayeurs qui n'ont plus qu'à les ramasser le long d'une bordure de trottoir.

Je pense néanmoins, pour les avoir longuement observées du haut de mes bureaux, qui se trouvaient soit dans un parc public soit encore un préau d'école, que l'utilisation qui en est faite est abusive. En effet, elles sont utilisées pendant des heures sur des aires qui se prêteraient beaucoup mieux à du ratissage avec les outils appropriés, la souffleuse ne servant qu'à atteindre les endroits inatteignables au râteau. Je ne crois pas qu'il faudrait pour autant faire appel à des armées de balayeurs. Et puis cela permettrait peut-être d'offrir quelques emplois et de placer quelques chômeurs...

En tout cas, ce matin même, avant de discuter de ce sujet, j'ai vu comment un employé utilisait sa souffleuse. La soufflerie était justement dirigée vers des poussettes dans lesquelles s'engouffrait toute la poussière - je ne sais pas, Monsieur Fontanet, si les roues de ces poussettes étaient conformes aux normes européennes... - à côté de l'école enfantine de Saint-Antoine où les mamans déposaient leurs enfants. Les feuilles étaient allègrement poussées à cet endroit, sans aucune raison, mais en même temps la souffleuse soulevait terre et poussière en pagaille.

Nous soutiendrons donc cette motion et son renvoi en commission. Nous demanderons aux responsables des services de l'Etat et de la Ville, Monsieur Beer, de faire en sorte de limiter l'usage de ces souffleuses.

Encore un mot, Monsieur Fontanet : la prochaine fois que vous vous exprimerez sur un sujet pour lequel vous n'êtes pas du tout compétent, essayez de vous limiter. Tâchez, par exemple, de garder votre salive pour le jour où on parlera des souffleuses à billets ! (Rires.) 

M. Alain Etienne (S). Je suis toujours surpris des déclarations de M. Fontanet qui tourne nos propos en dérision à chaque fois que nous abordons des problèmes liés à l'environnement. Je ne trouve pas cela très normal ! Il est important que les communes reçoivent ce message de notre part et que ce problème soit examiné.

Le parti socialiste, contrairement aux Verts, soutient plutôt le renvoi de cette motion à la commission de l'environnement et de l'agriculture.

M. Robert Cramer. Comme vient de le relever M. Etienne, cette motion se fait l'écho d'un certain nombre de préoccupations, que j'entends de plus en plus dans les communes de ce canton et qui se traduisent par des résolutions qui me sont renvoyées par les conseils municipaux au sujet du bruit provoqué par les souffleuses à feuilles. Il est tout à fait possible, Monsieur Fontanet, que les élus municipaux soient plus proches des réalités perçues par la population de ce canton qu'on ne peut l'être à la Tour Baudet...

Quoi qu'il en soit c'est un véritable problème, d'ailleurs bien connu des autorités, puisque, comme M. Mory le relevait tout à l'heure, les souffleuses à feuilles sont tellement bruyantes que leurs utilisateurs doivent se protéger les oreilles par des protections individuelles, doivent porter des casques antibruit. Le niveau sonore de la plupart de ces machines dépassent 90 décibels, ce qui est beaucoup.

L'autorité fédérale s'est préoccupée de ce problème. En 1989, il a été question de mettre en oeuvre l'article 5 de l'ordonnance sur la protection contre le bruit en légiférant en matière d'homologation des machines mobiles. Et, parmi elles, il y aurait eu les souffleuses à feuilles... Mais cette proposition n'a pas été à son terme, de sorte qu'aujourd'hui nous ne disposons pas dans la législation - malheureusement, Monsieur Ducrest - de procédure de marquage, de procédure d'expertise qui permettrait à l'autorité fédérale d'autoriser telle ou telle machine par rapport à telle ou telle autre. Et il n'est bien sûr pas envisageable, au niveau cantonal, de légiférer sur le type de machine que l'on peut mettre sur le marché ou pas.

En revanche, il est possible, sur le plan cantonal, de prendre des mesures quant à l'utilisation de ces machines et de faire un certain nombre de recommandations. Prendre des mesures quant à l'utilisation, c'est bien sûr prendre des mesures par rapport aux horaires. Vous savez qu'aujourd'hui il est interdit d'utiliser les machines bruyantes, dont les souffleuses à feuilles et les tondeuses à gazon, les dimanches et les jours fériés, et entre 20 h et 8 h du matin les jours ouvrables. C'est peut-être de ce côté que l'on devrait s'orienter en donnant des recommandations pour éviter l'utilisation abusive de ces machines.

Il m'apparaît dès lors que les mesures qu'il est possible d'envisager relèvent assez clairement de ce qui est de la sphère de compétences du Conseil d'Etat. Je n'ai pas le sentiment que le renvoi en commission de cette motion enrichira considérablement le débat. Il risque plutôt de retarder le moment où l'on pourra prendre des mesures réglementaires qui pourraient être utiles, et c'est la raison pour laquelle je vous suggère de renvoyer directement cette motion au Conseil d'Etat, de sorte qu'il essaye, dès cet automne, notamment à travers des campagnes de sensibilisation et d'incitation, de convaincre les personnes intéressées à acquérir des appareils moins bruyants et qu'il envisage les modifications réglementaires qui pourraient s'avérer utiles. 

M. Alain Etienne (S). Suite aux explications de M. Cramer, le parti socialiste renonce au renvoi en commission de cette motion et votera la motion pour l'adresser directement au Conseil d'Etat. 

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, si la proposition de renvoyer cette motion en commission est retirée, je vais mettre aux voix l'amendement proposé par M. Pierre Ducrest, consistant à modifier l'invite originale, comme suit :

«à tout mettre en oeuvre pour limiter l'utilisation de souffleuses à feuilles par les collectivités publiques et les privés, par des machines qui répondent aux normes et aux lois en vigueur.»

Cet amendement est mis aux voix.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cet amendement est rejeté par 32 non contre 26 oui.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion(1335)

sur les souffleuses à feuilles