République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 mai 2000 à 17h
54e législature - 3e année - 8e session - 20e séance
IU 856
M. Bernard Lescaze (R). Mon interpellation urgente pourrait s'appeler : «Squat et patrimoine». Elle s'adresse d'abord à M. Moutinot, mais également au procureur général, auquel le chef du département de justice et police et des transports voudra bien transmettre son contenu, afin que, suivant notre procédure, il puisse y répondre.
Au moment même où le Tribunal administratif, dans sa grande sagesse, décide de classer, contre l'avis de la commission des monuments et des sites, le Palais Wilson, lourdement restauré, un certain nombre de propriétés publiques - en mains de la Ville et surtout de l'Etat de Genève - mais également un certain nombre de domaines privés, qui ont été jugés dignes d'une protection particulière, d'une inscription à l'inventaire, voire d'un classement, subissent aujourd'hui de très graves déprédations et sont au bord de la destruction totale, pour certaines d'entre elles.
J'aimerais d'une part savoir dans quelle mesure le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement est prêt à assurer les surcoûts nécessaires à la restauration des immeubles en mains publiques, lorsque ceux-ci ont été squattés ou continuent de l'être et quand leur substance historique devient quasiment nulle. Je vais donner, bien entendu, quelques exemples.
J'aimerais savoir également, et cela est à l'intention du procureur général, si, dans le cadre de la défense du patrimoine - que la justice genevoise semble avoir à coeur d'entreprendre, en témoigne la jurisprudence du Tribunal administratif - le procureur général est décidé à modifier sa jurisprudence en matière de jugement d'évacuation des squatters et d'exécution de tels jugements, lorsqu'il s'agit d'un immeuble dont la substance patrimoniale historique est gravement menacée par ces occupations illicites.
Je citerai quelques exemples, dont le premier est la villa Fromel située sur le plateau de Frontenex. Cette villa a été jugée suffisamment importante par les organes du patrimoine pour pouvoir être maintenue. La Ville comme l'Etat ont décidé de la protéger. Le plan d'aménagement a été modifié, le plan localisé de quartier également, de façon que les immeubles modernes permettent de conserver cette villa.
Or, celle-ci a été squattée. Et, alors que les témoignages photographiques montrent qu'il y a trois ans, en 1997, la substance intérieure de cette maison du XIXe siècle était parfaitement conservée, aujourd'hui il n'en reste strictement rien, de sorte que de nombreux architectes et ingénieurs, notamment des représentants de l'aménagement, de l'équipement et du logement reconnaissent que la reconstruction de cette maison coûtera plusieurs millions et qu'il vaudrait mieux la démolir.
A quoi sert-il donc de protéger le patrimoine, au détriment même d'autres intérêts, et de le laisser, ensuite, être purement et simplement détruit par une occupation illicite ?
Second exemple : le même phénomène est en train de se produire à la villa Gardiol qui, elle, n'est pas sur la rive gauche, mais sur la rive droite. Cette villa a été attribuée à l'Union interparlementaire, mais étant également occupée par des squatters, son décor du début du siècle, quasiment unique selon les spécialistes - dont je ne suis pas, pour cette époque - est également en train de disparaître.
J'aimerais savoir ce que tant le département responsable, puisque cette villa est propriété de l'Etat, que les organes judiciaires entreprennent pour la conserver.
Troisième cas : le château de La Gara, l'un des plus beaux domaines du XVIIIe siècle genevois, qui, pendant trente ans, est resté inoccupé, sous la protection du fermier voisin, et qui est squatté depuis une année. Le décor du XVIIIe siècle est en train de disparaître. Le squat ayant eu lieu l'été dernier, il a fallu se chauffer pendant l'hiver : des poêles ont donc été installés dans des pièces qui avaient conservé leur décor et les tuyaux de poêles atteignent les chéneaux. Je vous rends ici attentifs au risque éventuel d'incendie. Il est vrai que ce domaine ne concerne pas le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement. En revanche, La Gara étant un domaine classé, il concerne directement nos autorités judiciaires.
Je pourrais allonger la liste avec, par exemple, le domaine des Cèdres à Bellevue. Vous vous rappelez la restauration très coûteuse de la villa La Concorde entreprise par la Ville de Genève, villa qui, précisément, alors que son intérieur avait été longtemps conservé intact, a été singulièrement mise à mal par les squatters qui s'y étaient installés.
Je souhaite donc connaître très rapidement les mesures que ne manqueront pas de prendre les autorités que j'ai nommées, voire le Conseil d'Etat dans son ensemble, car il n'y a pas de raison de protéger, d'une part, le patrimoine lorsqu'il a déjà été lourdement rénové, fût-ce par arrêt du tribunal administratif au Palais Wilson, et de laisser, dans le même temps, se détruire un patrimoine, parfois beaucoup plus intéressant, simplement parce qu'il est occupé illicitement ! (Applaudissements.)