République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8173
7. Projet de loi sur l'acquisition, la mise en service et l'utilisation de certains équipements médicaux (K 1 23). ( )PL8173

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève,

décrète ce qui suit :

Art. 1 But

1 La présente loi a pour but de contribuer à la maîtrise des coûts de la santé tout en favorisant la garantie de la qualité des soins et l'adéquation de certaines mesures diagnostiques ou thérapeutiques particulièrement coûteuses ou difficiles.

2 A cet effet, elle traite de l'acquisition, de la mise en service et de l'utilisation des équipements techniques lourds ou d'autres équipements de médecine de pointe (ci-après : les équipements) dans le domaine hospitalier et dans le domaine ambulatoire, public et privé.

Art. 2 Equipements

1 Sont des équipements au sens de l'article 1, ceux dont l'acquisition, l'utilisation ou l'entretien génèrent des coûts particulièrement élevés, notamment les équipements techniques lourds et d'autres équipements de médecine de pointe, utilisés à des fins de diagnostic ou de traitement.

2 Sont en tout cas des équipements au sens de l'article 1, ceux dont le coût d'acquisition, y compris les frais d'installation, indépendamment du mode de financement prévu, dépasse un million de francs.

3 Le Conseil d'Etat établit la liste des équipements concernés, qui est périodiquement mise à jour.

Art. 3 Personnes concernées

L'acquisition, la mise en service et l'utilisation des équipements ne peuvent être opérées que par des fournisseurs de prestations au sens des articles 35 et suivants de la loi fédérale sur l'assurance-maladie, du 18 mars 1994.

Art. 4 Autorisation

1 L'acquisition, y compris tout acte économique ou juridique équivalant à une acquisition, la mise en service et l'utilisation des équipements sont soumis à une autorisation du Conseil d'Etat.

2 Le remplacement ou le renouvellement des équipements, y compris de ceux qui sont en service au moment de l'entrée en vigueur de la loi, sont également soumis à autorisation. Les équipements en service doivent être annoncés spontanément au département de l'action sociale et de la santé (ci-après le département) dans un délai de soixante jours dès l'entrée en vigueur de la loi.

Art. 5 Demande d'autorisation

1 La demande d'autorisation, dûment motivée, est adressée au département, accompagnée des pièces justificatives.

2 Le requérant doit notamment démontrer que l'équipement qu'il entend acquérir ou mettre en service répond à un besoin de santé publique. Il doit justifier des qualifications et du personnel nécessaires pour en assurer le fonctionnement.

3 Il joint à sa demande une étude financière de rentabilisation permettant d'évaluer les coûts induits.

4 Le département peut exiger que le requérant lui fournisse tout autre renseignement utile, notamment sur le niveau technique et les performances de l'équipement envisagé.

Art. 6 Décision du Conseil d'Etat

1 Le Conseil d'Etat statue à bref délai sur la demande d'autorisation après avoir consulté les fédérations de fournisseurs de prestations et d'assureurs, ainsi que des spécialistes ou d'autres intéressés s'il l'estime utile.

2 Il accorde l'autorisation, à moins que :

3 Le Conseil d'Etat peut assortir l'autorisation de charges et de conditions.

4 La décision du Conseil d'Etat peut faire l'objet d'un recours de droit adminstratif auprès du Tribunal administratif, conformément à l'article 56a, alinéa 2 de la loi d'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941.

Art. 7 Durée de l'autorisation

L'autorisation est accordée pour une durée limitée qui est fixée d'après la période usuelle d'amortissement des équipements.

Art. 8 Inefficacité

1 Tout acte juridique soumis par la présente loi à une autorisation demeure sans effet lorsqu'il est conclu en l'absence d'une telle autorisation entrée en force.

2 Les prestations promises ne sont en ce cas pas exigibles. L'acte devient valable par l'entrée en force de l'autorisation.

Art. 9 Nullité

1 Tout acte juridique soumis par la présente loi à une autorisation est nul si une telle autorisation est refusée, de même que s'il est exécuté avant l'entrée en force de cette autorisation.

2 La nullité de l'acte juridique entraîne l'obligation de restituer les prestations déjà fournies.

3 L'action en restitution peut être intentée soit par les parties, soit par le département, dans un délai de cinq ans dès la fourniture de la prestation qui en est l'objet. Les frais de l'action intentée par le département doivent être mis à la charge des parties.

Art. 10 Mise hors service des équipements pour défaut d'autorisation

1 Le Conseil d'Etat intime l'ordre de mettre immédiatement hors service tout équipement au sens de l'aricle 1 utilisé sans autorisation en vigueur.

2 A défaut d'exécution spontanée, il peut être fait appel à la force publique ; dans ce cas, le Conseil d'Etat fait procéder à l'apposition de scellés.

Art. 11  Suspension et retrait de l'autorisation

1 En cas d'infraction à la présente loi ou aux conditions et charges auxquelles est subordonnée l'autorisation, le Conseil d'Etat peut, en tenant compte de la gravité de l'infraction ou de sa réitération, prononcer les sanctions suivantes à l'endroit du bénéficiaire de l'autorisation :

2 Lorsqu'il a prononcé le retrait de l'autorisation, le Conseil d'Etat ne peut entrer en matière sur une nouvelle demande d'autorisation d'acquisition, de mise en service ou d'utilisation d'équipements au sens de l'article 1 pendant un délai de deux ans à compter du jour où la décision de retrait est entrée en force.

Art. 12 Amende administrative

1 Le Conseil d'Etat peut infliger une amende administrative de 100 F à 200 000 F, indépendamment du prononcé des autres sanctions prévues au présent chapitre, en cas d'infraction à la présente loi, à ses dispositions d'exécution ou aux charges et conditions auxquelles est subordonnée l'autorisation.

2 Si l'infraction a été commise dans la gestion d'une personne morale, d'une société en commandite, d'une société en nom collectif ou d'une entreprise à raison individuelle, les sanctions sont applicables aux personnes qui ont agi ou auraient dû agir en son nom. La personne morale, la société ou le propriétaire de l'entreprise individuelle répondent solidairement des amendes. Les sanctions sont applicables directement aux sociétés ou entreprises précitées lorsqu'il n'apparaît pas de prime abord quelles sont les personnes responsables.

Art. 13 Principe

L'examen des demandes d'autorisations prévues par la présente loi donne lieu à perception d'émoluments, mis à la charge des requérants.

Art. 14 Montant

1 Le montant des émoluments est fixé par le règlement d'exécution; il est au minimum de 500 F et au maximum de 5 000 F.

2 La limite maximale fixée à l'alinéa 1 est adaptée à l'évolution du coût de la vie calculée à partir de la date d'entrée en vigueur de la présente loi, selon l'indice genevois des prix à la consommation.

Art. 15 Recouvrement

Conformément aux dispositions générales de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985, les décisions définitives infligeant une amende administrative ou imposant le paiement d'un émolument sont assimilées à des jugements exécutoires au sens de l'article 80 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, du 11 avril 1889.

Art. 16 Exécution

Le Conseil d'Etat édicte les dispositions nécessaires à l'application de la présente loi.

Art. 17 Entrée en vigueur

Le Conseil d'Etat fixe la date de l'entrée en vigueur de la présente loi.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le Conseil d'Etat a présenté, le 27 août 1997, un rapport sur la politique de santé et la planification sanitaire pour les années 1998 à 2001 (RD 281).

A ce rapport était annexé un avis de droit très circonstancié que le Conseil d'Etat avait demandé à M. Peter Saladin, professeur à l'Université de Berne, aujourd'hui décédé, spécialisé dans l'étude des droits fondamentaux et des problèmes que pose la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons. Cet avis de droit est arrivé entre autres aux conclusions que les cantons sont compétents pour introduire dans leur législation une clause du besoin pour l'acquisition d'appareils thérapeutiques ou diagnostiques, et qu'une telle mesure, examinée à la lumière de la liberté du commerce et de l'industrie, apparaît « dans les circonstances actuelles déjà » … « raisonnablement apte à limiter les coûts de la santé ».

Le 5 novembre 1998, le Grand Conseil a adopté ce rapport et demandé au Conseil d'Etat de procéder à une large consultation en vue d'instituer une clause du besoin pour l'acquisition de certains équipements médicaux.

Le présent projet de loi fait suite à cette décision. Il est à remarquer que le 2 février 1998, le Grand Conseil de la République et canton de Neuchâtel avait adopté une loi portant révision de la loi de santé, qui assujettit désormais à l'autorisation du Conseil d'Etat « la mise en service d'équipements techniques lourds ou d'autres équipements de médecine de pointe, dans le domaine hospitalier ou ambulatoire, public ou privé, pour assurer la maîtrise des coûts de la santé et pour sauvegarder un intérêt public prépondérant ».

La maîtrise des coûts de la santé a été l'un des principaux objectifs de l'oeuvre législative concrétisée par la loi fédérale du 18 mars 1994 sur l'assurance maladie.

Selon le Conseil fédéral, il s'agissait d'éviter que la part du revenu national consacrée à la santé ne croisse indéfiniment (Feuille fédérale 1992 I p. 109, N° 221). Les coûts de la santé en Suisse sont en effet parmi les plus élevés du monde. Dans le canton de Genève, ils sont parmi les plus élevés de Suisse. Le montant moyen de la prime d'assurance maladie est dans notre canton le plus élevé du pays.

L'augmentation des coûts de la santé tient pour une part non négligeable au développement d'infrastructures de plus en plus complexes dans le domaine de la médecine de cabinet, dans le secteur hospitalier, public et privé, et dans le domaine des soins ambulatoires.

Dans les domaines où l'Etat est directement impliqué - principalement dans les hôpitaux publics, les établissements médico-sociaux et l'aide à domicile - des efforts de rationalisation importants ont été entrepris.

Il serait cependant vain de chercher à parvenir à une maîtrise des coûts de la santé si l'on ne porte pas une attention particulière à l'installation dans l'ensemble du canton de certains équipements techniques médicaux qui sont particulièrement générateurs de dépenses élevées.

Or, faute d'un régime d'autorisation , l'autorité cantonale, qui a la responsabilité de la politique de santé, n'a même pas une connaissance exacte du nombre de certains de ces équipements actuellement en service à Genève.

Seuls les chiffres relatifs aux IRM sont connus avec certitude. Ainsi, en 1998, la densité d'IRM était de :

a) 4 IRM par million d'habitants en France et en Grande-Bretagne ;

b) 5 IRM par million d'habitants en Espagne ;

c) 6 IRM par million d'habitants en Italie ;

d) 9 IRM par million d'habitants en Suède ;

e) 10 IRM par million d'habitants en Allemagne ;

f) 14 IRM par million d'habitants en Suisse ;

g) 23 IRM par million d'habitants dans les cantons de Genève et de Vaud !

La forte densité de ces équipements techniques médicaux confine au gaspillage. Elle ne peut plus se développer davantage, à moins de mettre en péril l'équilibre financier du système de santé dans le canton.

C'est pourquoi le Conseil d'Etat examine ci-après les différents moyens d'agir, soit :

- d'une part, par une action sur le volume des prestations et sur leur prix ;

- d'autre part, par une action sur l'offre.

Enfin, au terme de cet examen, le Conseil d'Etat propose au Grand Conseil de soumettre l'acquisition, l'utilisation et l'entretien des équipements médicaux coûteux à une autorisation qui serait refusée s'il est démontré que ces équipements ne répondent pas à un besoin avéré.

A Genève, de 1991 à 1996, la population du canton a passé de 384.657 habitants à 400.399 habitants (+ 4,09 %).

Durant le même temps, le nombre de consultations :

a) chez les gynécologues a passé de 173.446 à 172.265 consultations

 (- 0,6 %) ;

chez les pédiatres a passé de 175.086 à 180.228 consultations

 (+ 2,85 %) ;

chez les médecins généralistes a passé de 338.637 à 375.700 consultations (+ 10,94 %) ;

chez les radiologues a passé de 7.300 à 12.375 consultations

 (+ 69,52 %) ;

Toujours dans le même temps :

a) les journées d'hospitalisation dans les Hôpitaux universitaires de Genève ont passé de 916.452 à 829.964 journées (- 9,43 %) ;

le nombre de postes à plein temps dans les Hôpitaux universitaires de Genève a passé de 8.172 à 7.763 postes (- 5 %).

Enfin, le nombre de consultations ambulatoires (permanences, policliniques et ambulatoire des Hôpitaux universitaires de Genève) a passé de 276.152 à 457.515 consultations (+ 65,67 %).

En ce qui concerne les équipements médicaux lourds et de médecine de pointe, la LAMal a apporté et apportera encore un certain nombre de changements :

De manière générale, la maîtrise des dépenses sanitaires - quelle que soit leur catégorie - exige en principe des actions conjointes sur le volume des prestations effectuées et sur leur prix. De manière particulière, en ce qui concerne les équipements lourds et de médecine de pointe, les nouveautés introduites par la LAMal permettent un meilleur contrôle de la pertinence des prestations, ainsi qu'une régulation par les tarifs.

Toutefois, du niveau actuel d'équipement et des relations complexes entre offre et demande, ces mesures ne sauraient à elles seules résoudre le problème de l'offre et du volume de prestations qui en découle, pour des raisons qui sont reprises au chapitre 4.

Une action sur l'offre, complémentaire à la régulation par les tarifs et par un contrôle des prescriptions, s'avère indispensable, pour les raisons suivantes :

De manière générale, une « politique » d'investissement non coordonnée et non maîtrisée comporte les risques suivants :

Un contrôle de la pertinence des prescriptions médicales est nécessaire, mais pas forcément suffisant pour juguler les effets de l'offre sur la demande.

Des études comparatives approfondies, reprises récemment en Suisse par le prof. G. Domenighetti, chef du service de la santé publique du canton du Tessin, ont montré de fortes variations d'utilisation des différentes prestations de santé d'un pays à l'autre. Par exemple, pour certaines interventions, nos voisins français sont opérés deux fois moins que les Suisses.

Ces études ont suscité des critiques de la part du corps médical, mais leurs résultats sont cohérents avec ceux d'autres chercheurs. Rien ne permet de dire que leurs conclusions générales sont infondées. Par ailleurs, de nombreux médecins admettent que, dans un passé récent, certaines interventions (par exemple l'ablation des amygdales et l'ablation de l'utérus) étaient pratiquées nettement trop fréquemment, sans indications médicales suffisantes.

De telles variations dans les pratiques peuvent certainement exister aussi en matière d'utilisation des équipements lourds et de médecine de pointe. Il est même très probable que ce soit le cas lorsque l'on considère les écarts considérables de densité en IRM présentés au chapitre 2. Dès lors, il faut considérer qu'une offre surabondante se traduit - en raison de la conjonction de facteurs qui impliquent à la fois les attentes de la population, les caractéristiques des pratiques médicales et les soucis de rentabilité des exploitants - par un volume de prestations supérieur à celui qui prévaudrait avec un niveau de l'offre plus raisonnable.

Une offre excessive se traduit par des surcoûts d'investissements et d'exploitation. Le volume de prestations supérieur qui en découle engendre des coûts supplémentaires pour les payeurs. Par ailleurs, une pléthore d'appareils constitue potentiellement un gaspillage collectif.

S'agissant des rapports entre la prolifération de l'offre et la qualité des prestations, deux risques sont à considérer :

De manière générale, il faut rappeler que les pays qui dépensent le plus pour les services de santé n'ont pas nécessairement les meilleurs niveaux de santé (notamment en ce qui concerne l'espérance de vie et la mortalité). Par exemple, les Etats-Unis consacrent aux services de santé un pourcentage de leur revenu national deux fois plus important que celui de la Grande-Bretagne et du Japon sans pour autant atteindre leur niveau de santé. De même, la Suisse, qui vient en deuxième place des dépenses sanitaires, n'affiche pas de supériorité concluante en terme d'indicateurs sanitaires par rapport à ses voisins.

Une clause du besoin est-elle acceptable pour la population genevoise qui s'est habituée à un accès immédiat à toutes les prestations, même les plus pointues ? Il est vrai que des délais indus ne doivent pas être imposés à des personnes nécessitant des soins en urgence. Par contre, dans de nombreuses situations, compte tenu des contraintes financières actuelles, la population doit comprendre que, pour des actes sans caractère d'urgence immédiate, une certaine attente est admissible pour des prestations programmées.

Dans tous les cas, on peut affirmer qu'aujourd'hui, personne ne peut démontrer qu'une diminution de la densité excessive d'équipements médico-techniques lourds dans le canton entraînerait une péjoration de la santé de la population.

Compte tenu de ce qui précède, le Conseil d'Etat a la conviction qu'il s'agit de soutenir les innovations de la loi fédérale relatives au contrôle de la pertinence des prescriptions et à l'introduction d'un tarif national par une action complémentaire sur l'offre, qui permette de contenir les risques énumérés ci-dessus et de maîtriser les coûts associés à ce secteur d'activité.

En se soumettant à une clause du besoin pour la mise en service d'équipements techniques lourds ou d'autres équipements de médecine de pointe, les acteurs du système de santé - des secteurs public et privé - contribuent à l'effort visant à contenir la hausse des coûts de la santé, ainsi qu'à une utilisation optimale et rationnelle du parc d'équipements médico-techniques.

La compétence du canton pour adopter cette réglementation n'est pas contestable.

En vertu de l'article 3 de la Constitution fédérale du 29 mai 1874 (Cst.), norme reprise sous le même chiffre par la Constitution fédérale du 14 avril 1999 (N. Cst.) qui devrait entrer en vigueur le 1er mars 2000, les cantons sont en effet compétents dans toutes les matières que la Constitution n'a pas attribuées à la Confédération. Lorsqu'une matière déterminée a été attribuée à la Confédération, les cantons demeurent compétents dans toute la mesure où la Confédération n'a pas fait usage de sa compétence.

La compétence de légiférer dans le domaine de la santé publique est partagée entre la Confédération et les cantons.

La Confédération s'est vu attribuer la compétence législative en matière d'assurance maladie (art. 34 bis Cst. et 117 N. Cst.), compétence dont elle a fait largement usage en adoptant la LAMal. Elle a également réglementé, à partir de l'art. 33 al. 2 Cst., l'exercice des professions médicales sur l'ensemble du territoire de la Confédération.

En revanche, les cantons demeurent compétents en matière de planification hospitalière, dans les limites de l'art. 39 LAMal, dont l'art. 39 al. 1 lit. d leur commande de prendre en considération les organismes privés dans le cadre de la planification qu'ils établissent.

Pour le surplus, l'entrée en vigueur de la LAMal a souligné les responsabilités des cantons dans la maîtrise des coûts de la santé, maîtrise que les fournisseurs de prestations doivent contribuer à assurer en veillant au caractère économique des prestations qu'ils doivent accomplir (art. 54 et 57 LAMal).

L'opinion émise le 18 septembre 1984 par l'Office fédéral de la justice dans le cadre d'une révision partielle de la LAMal demeure donc pleinement valable, aux termes de laquelle les cantons ont un intérêt vital à ce que leurs dépenses de santé soient maintenues dans des limites convenables (JAA 1984, p. 493, ch. 112).

La conclusion à laquelle est arrivé l'avis de droit du professeur Saladin pour qui les cantons ont la compétence d'introduire des clauses du besoin en matière d'hôpitaux et d'équipements hospitaliers reste donc actuelle après l'entrée en vigueur de la LAMal.

Que le législateur ait renoncé à introduire dans celle-ci une clause du besoin pour l'ouverture d'établissements médicaux et hospitaliers n'est nullement décisif du point de vue de la compétence, dès lors que le texte de cette loi n'a pas exclu que les cantons prennent à leur compte une telle mesure pour autant qu'elle respecte les droits constitutionnels des citoyens et, nommément, la liberté du commerce et de l'industrie garantie par l'art. 31 Cst. (liberté économique au sens de l'art. 27 N. Cst.).

La liberté du commerce et de l'industrie protège toute activité économique qui tend à réaliser un gain ou un revenu et, en particulier, les professions de la santé pour autant naturellement qu'elles ne soient pas exercées au titre d'une fonction publique (ATF 118 I 176; 113 I 97). La liberté du commerce et de l'industrie exclut que l'exercice pratique d'une profession soit entravé indûment.

Les restrictions à la liberté du commerce et de l'industrie doivent - à l'instar de toutes restrictions aux droits fondamentaux - respecter le principe de la légalité. En d'autres termes, l'exercice d'une activité économique ne peut être limité que par la loi.

Les exigences de ce principe diffèrent selon la gravité de la restriction envisagée. Ainsi, la restriction constituée par l'obligation de soumettre l'achat d'un appareil médical technique à une autorisation de l'autorité administrative n'est pas d'une gravité comparable à l'interdiction d'exercer une profession, qui résulte par exemple de l'application d'une clause du besoin pour l'ouverture d'un cabinet médical. Il n'est donc pas nécessaire qu'en l'occurrence la base légale ait la même précision que celle sur laquelle se fonderait une telle clause.

Le présent projet de loi n'en a pas moins une forte densité normative et apporte une réponse précise aux principales questions que peuvent et doivent se poser le requérant et l'autorité administrative au moment où se présente un cas d'application. Il dit notamment quels sont les appareils soumis à autorisation, la qualité que doivent revêtir les exploitants et les critères d'appréciation de l'autorité administrative. Elle définit aussi de manière suffisante la procédure à suivre.

Les restrictions que les cantons ont la compétence d'apporter à la liberté du commerce et de l'industrie doivent en outre être justifiées par un intérêt public prépondérant. Elles peuvent poursuivre des buts de police ou de politique sociale. Elles ne peuvent en revanche poursuivre des buts de politique économique, et constituer des mesures dirigistes faisant obstacle à la libre concurrence.

Ces restrictions sont en particulier inconstitutionnelles lorsqu'elles tendent à favoriser ou à protéger certains agents économiques ou certains groupes d'agents économiques. De ce point de vue, la liberté du commerce et de l'industrie est, dans une certaine mesure, un cas d'application spécial du droit à l'égalité consacré à l'art. 4 Cst. (art. 8 N. Cst.) (voir ATF 121 I 129).

Les objectifs du projet de loi, tels qu'ils sont définis à son art. 1 al. 1, ressortissent clairement à la politique sociale. L'intérêt public qu'ils représentent est de ceux qui ont été pris en compte dans la confection de la législation fédérale sur l'assurance maladie (cf. art. 54, 56 s, 58 LAMal). La nécessité dans laquelle se trouve le canton de sauvegarder cet intérêt public hautement digne de protection fait passer au second plan les effets secondaires d'une telle restriction dans le domaine de la concurrence.

Au contraire de l'interdiction de pratiquer qui pourrait résulter de facto de l'application d'une clause du besoin pour l'ouverture d'un cabinet médical, le refus d'une autorisation pour l'acquisition d'un appareil n'exclut pas, comme on l'a vu, l'activité médicale. Elle présente certes pour l'exercice de cette activité des inconvénients et, en premier, lieu l'obligation de devoir envoyer un patient dans un établissement ou un cabinet équipés de l'appareil concerné : c'est là un inconvénient que subiront toujours, par la nature des choses, les praticiens dans leur majorité.

Ce qui compte de ce point de vue c'est que l'existence d'un besoin suffit à permettre de disposer de l'appareil concerné, à moins que des impératifs de police sanitaire ne s'y opposent ou que les coûts induits ne soient manifestement disproportionnés par rapport à l'avantage sanitaire attendu (art. 6 al. 2 du projet).

L'entrave apportée ainsi à l'équipement d'un fournisseur de prestations n'est en tout cas pas une intervention majeure dans le champ de la concurrence qui l'emporterait sur l'intérêt public à la limitation des coûts de la santé par une répartition rationnelle dans le territoire cantonal des équipements médicaux à la disposition des patients.

Les restrictions à la liberté du commerce et de l'industrie doivent enfin respecter aussi le principe de la proportionnalité : elles doivent être appropriées au but d'intérêt public visé et ne pas aller au-delà de ce qu'exige ce but.

Il n'est pas contestable que l'accroissement excessif du volume des fournisseurs de prestations entraîne une extension inutile du volume de ces dernières et, par conséquent, une progression des frais d'administration de la santé publique, comme le relevait le Conseil fédéral dans son Message à l'appui de sa proposition tendant à l'introduction d'une clause du besoin pour l'admission de pratiquer à la charge de l'assurance maladie (FF 1992 I 171 au milieu).

L'expérience générale montre qu'il en va de même de la multiplication inconsidérée du nombre de certains équipements médicaux générateurs de dépenses élevées.

Contrairement à certaines opinions émises au cours de la procédure de consultation, le projet de loi ne tend pas à la raréfaction de la demande dans la mesure où l'on entend par-là la création d'une pénurie, voire une diminution tendancielle de la consommation. L'objectif n'est autre que d'éviter la pléthore et d'adapter les équipements aux besoins des consommateurs.

En effet, le domaine de la santé publique n'est pas un marché comme les autres : les consommateurs ne sont pas souvent à même d'y déterminer quels sont leurs besoins exacts vu les spécificités de l'activité médicale, qu'il s'agisse de l'établissement d'un diagnostic ou du traitement d'une affection. Le consommateur est dépourvu des moyens de réagir à la politique d'un établissement médical qui tendrait à augmenter la consommation pour des raisons de pure rentabilité.

L'autorité publique est seule capable de veiller à la prévention de tels dysfonctionnements.

Le projet de loi a opté pour une solution adéquate et minimale. Il prévoit en effet que la demande d'autorisation doit être traitée à bref délai et que l'autorisation peut être refusée seulement si l'Etat apporte la preuve que la requête ne répond pas à un besoin, que des impératifs de police sanitaire s'y opposent ou que les coûts induits sont manifestement disproportionnés par rapport à l'avantage sanitaire attendu. Le système ne porte donc qu'une atteinte légère à la liberté du commerce et de l'industrie. On ne voit pas quels moyens moins incisifs permettraient de sauvegarder de façon comparable l'intérêt public légitime qu'il tend à sauvegarder.

L'égalité de traitement a été évoquée sous un angle particulier au cours de la procédure de consultation. Ainsi, selon cette opinion, la soumission à l'autorisation instituée dans le projet de loi ne serait pas admissible pour les hôpitaux qui ne fournissent pas leurs prestations dans le cadre de l'assurance obligatoire, mais seulement dans le cadre de l'assurance complémentaire ou seulement à des personnes non soumises à l'assurance obligatoire : ni l'Etat, ni les assurances sociales ne sont en effet concernés par ces établissements hospitaliers ou par leurs coûts.

Cette objection est dénuée de fondement pratique : il n'existe en effet pas sur le territoire du canton de Genève de clinique privée qui n'ait pas demandé à figurer sur la liste des hôpitaux au sens de l'art. 39 LAMal et qui n'y ait pas été admise en l'état. Il ne peut en être autrement dès lors que l'assurance de base est obligatoire non seulement pour toutes les personnes domiciliées en Suisse conformément à l'art. 3 LAMal, mais aussi, en vertu de l'art. 1 OAMal pour les ressortissants étrangers au bénéfice d'une autorisation de séjour de trois mois au moins, qu'ils exercent ou non une activité lucrative.

Au demeurant, l'objection méconnaît la réalité économique. Si un fournisseur de prestations acquiert un appareil générateur de dépenses particulièrement élevées, il lui faudra, d'une façon ou d'une autre, amortir son investissement. Cette nécessité est de nature à entraîner un risque accru de surconsommation non seulement des prestations médicales faites avec le concours de l'appareil, mais aussi des prestations médicales qui en sont indépendantes. Elle oblige en tout cas le fournisseur de prestations à s'intéresser à la clientèle couverte par l'assurance obligatoire des soins, qui forme l'écrasante majorité des patients et qui représente par voie de conséquence un intérêt financier majeur.

En outre, est-il besoin de rappeler qu'il n'existe pas en Suisse d'assurance complémentaire indépendante de l'assurance de base ? Même pour un patient privé, c'est d'abord celle-ci qui intervient jusqu'à concurrence des forfaits facturés en division commune, le supplément seul étant pris en charge par l'assurance complémentaire.

6. Commentaire article par article

L'alinéa 1 définit le but d'intérêt public poursuivi par la loi . Il reprend pour cela des termes dont usent les art. 54, 55 et 58 LAMal. La Confédération n'ayant pas utilisé toutes les compétences qui sont les siennes en matière de maîtrise des coûts de la santé et de garantie de la qualité des prestations, le législateur cantonal montre ici, de façon implicite, qu'il est conscient de la concurrence des compétences fédérales et cantonales et qu'il entend agir dans le cadre de ces dernières.

La loi a pour objet non seulement l'acquisition des équipements techniques lourds ou des autres équipements de médecine de pointe, mais aussi leur mise en service et leur utilisation. Il s'agit notamment d'assurer l'égalité de traitement entre les fournisseurs de prestations exploitant les équipements concernés, quel que soit le régime juridique sur la base duquel ces équipements ont été mis à leur disposition. La loi perdrait de surcroît une partie de son efficacité si elle n'était pas applicable par exemple dans les cas où une personne acquiert ou loue l'un des équipements concernés par la loi sans le mettre elle-même en service. La mention de l'utilisation permet aussi d'assurer l'application de la loi au moment d'un renouvellement d'autorisation.

Pour rendre la lecture du texte légal plus aisée, le projet ne parle plus dans ses autres dispositions que « d'équipements » ou « d'équipements au sens de l'article 1 ».

Le Conseil d'Etat déterminera la liste des équipements concernés par cet article. Il pourra notamment s'agir des installations suivantes :

Cette disposition ne fait pas double emploi avec d'autres normes de la législation sur la santé publique. Elle a pour mérite d'insister sur les préoccupations d'intérêt public à la base de la présente loi, et surtout de prévenir l'intervention, dans ce point précis de la place du marché, d'opérateurs économiques qui ne devraient rien y faire.

La mise en service sans acquisition par l'exploitant doit être empêchée par tous les moyens légaux possibles.

En traitant ici la question du renouvellement avec inventaire des équipements existant, on règle tout le problème du droit transitoire et d'éventuels droits acquis.

Vu les motifs d'intérêt public à la base de la loi, il faut parmi les motifs réservés ajouter à ceux qui sont liés à la maîtrise des coûts de la santé, ceux qui sont liés à la garantie de la qualité des prestations.

L'autorisation doit être accordée à moins que ne soit établie la réalisation de l'une des conditions de refus énumérées.

Le principe de la proportionnalité justifie de donner à l'autorité administrative la possibilité d'assortir, dans des cas limites, l'autorisation de charges et de conditions au lieu de la refuser.

La décision du Conseil d'Etat peut faire l'objet d'un recours de droit administratif auprès du Tribunal administratif conformément à la clause générale de l'art. 56 a al. 2 introduite dans la loi d'organisation judiciaire par la loi du 11 juin 1999 (publication FAO du 18 juin 1999) dont cette modification, promulguée le 30 juillet 1999, devrait entrer en vigueur le 1er décembre 1999.

Le projet prévoit explicitement des sanctions civiles d'une part et des sanctions administratives d'autre part, qui toutes deux, dans la forme proposée, sont de la compétence du canton en vertu d'une jurisprudence constante (cf. en dernier lieu ATF 117 II 48 et 287).

La réglementation de l'inefficacité et de la nullité relève du droit public cantonal réservé au sens de l'art. 6 CC. Elle s'inspire de la solution choisie par le législateur fédéral à l'art. 26 LFAIE (RS 211.412.41), mais la simplifie dans la mesure du possible.

En soi, ces dispositions ne seraient pas nécessaires : en effet, le but de la loi implique inefficacité et nullité et, par conséquent, restitution des prestations fournies dans ce dernier cas.

L'absence de base légale rendrait cependant incertaine la mise en oeuvre de ces sanctions civiles. En vertu de la législation fédérale (66 CO), le législateur de droit public cantonal doit faire connaître de manière claire sa volonté d'ordonner que les prestations fournies puissent, en cas de nullité, être restituées (par répétition de l'argent ou par revendication de l'objet). Ce faisant, le législateur de droit public cantonal, à l'instar de ce qu'a fait le législateur de droit public fédéral édictant les dispositions citées de la LFAIE, entend donner plus de chances au rétablissement d'une situation conforme au droit.

Les dispositions prévues ici sur la nullité s'imposent d'autant plus que l'interdiction d'acquérir et de mettre en service des équipements sans autorisation ne s'applique qu'aux prestataires exerçant sur le territoire genevois et qu'en l'état de la jurisprudence et de la doctrine, rien ne permettrait de garantir, sans la base légale proposée, que les tribunaux prononcent ainsi la nullité avec ses conséquences.

A l'adresse de ceux qui s'inquiéteraient du résultat sévère de la solution proposée, on dira qu'en dépit de la nullité, la confiance digne de protection de l'un ou de l'autre des partenaires à un contrat nul pourrait être sanctionnée par un tribunal selon les règles applicables à la faute pré-contractuelle.

Les mesures et sanctions administratives instituées par la présente section sont semblables à celles prévues par toutes les lois récentes du droit administratif genevois.

L'institution d'une amende dans cette nouvelle loi implique qu'on fixe un maximum élevé, proportionné aux avantages escomptés par les fraudeurs et à l'importance des atteintes portées par la violation de la loi aux intérêts publics essentiels que celle-ci protège.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à adopter le présent projet de loi.

Préconsultation

Mme Louiza Mottaz (Ve). Chaque année, les coûts de notre système de soins augmentent et par conséquent les primes d'assurance-maladie. L'alibi à une telle situation étant que la santé n'a pas de prix, personne ne semble pouvoir juguler les coûts afin que notre santé ne devienne hors de prix. Nous croulons sous une avalanche de chiffres, souvent peu clairs et toujours sujets à polémique. C'est pourquoi, sans y aller par quatre chemins et pour éviter les faux-fuyants, je ne vous en citerai tout simplement aucun.

Médecins, médicaments, EMS, physiothérapeutes, laboratoires, chiropraticiens et autres coûtent plus cher et parfois beaucoup plus cher dans notre canton que dans les autres. Les hôpitaux stationnaires, ambulatoires et les soins à domicile coûtent moins à l'assurance-maladie, mais nous savons à quel point nous les subventionnons par le biais de nos impôts.

Mesdames et Messieurs, nous pouvons débattre sans fin et chercher absolument un coupable à une telle inflation des coûts de la santé. Chacun des prestataires de soins peut encore se renvoyer la balle. Mais il est un fait reconnu par tous, c'est que notre canton est suréquipé en tout et que l'offre crée la demande. La pléthore en matériel technique, sophistiqué, hypersophistiqué, en soignant de toutes sortes, n'est ignoré de personne. Et sans vouloir jeter l'anathème sur qui que ce soit, nous devons admettre qu'une bonne part de la médecine pratiquée actuellement à Genève est une médecine superfétatoire. Nous pouvons comprendre que chaque prestataire de soins veuille vivre de sa pratique, mais pas au risque d'une explosion de tout notre système. Sans instrument de contrôle, notre beau navire « soins » va à la dérive. Il nous faut des instruments pour redresser la barre et la clause du besoin en est un.

En 1993, le DASS a demandé un avis de droit au professeur Saladin en posant la question suivante : « Un canton peut-il introduire une clause du besoin ou d'autres restrictions pour certaines activités ou services sanitaires ? Est-il admissible en particulier de restreindre l'exercice d'une profession de la santé ? La question devrait être examinée notamment en ce qui concerne l'ouverture de nouveaux établissements et de nouveaux cabinets, ainsi que l'acquisition d'appareils diagnostiques ou thérapeutiques coûteux, du type imagerie à résonance magnétique, scanners, etc. ? » Le travail a été fait et, dans ses conclusions, le professeur Saladin indique que conformément à la Constitution et à la législation fédérale, les cantons sont compétents pour introduire des clauses du besoin pour les cabinets médicaux ou pour l'acquisition d'appareils thérapeutiques ou diagnostiques. Dans les deux cas, il n'y a pas d'atteinte au noyau de la liberté du commerce et de l'industrie. Pourtant, il dissocie quand même la clause du besoin pour les cabinets médicaux et celle pour l'acquisition d'appareils thérapeutiques ou diagnostiques, en disant : « étant donné que la clause du besoin pour les cabinets médicaux constitue une atteinte lourde aux droits constitutionnels, elle ne pourra être introduite que lorsque des mesures également appropriées, mais moins incisives - de telles mesures étant certainement envisageables - seront restées sans effet ou lorsqu'il apparaîtra que ces mesures moins incisives n'apportent manifestement aucun résultat. »

La clause du besoin pour l'acquisition d'appareils thérapeutiques ou diagnostiques apparaît en revanche, dans les circonstances actuelles déjà, comme une mesure raisonnablement apte à limiter les coûts de la santé. De fait, Mesdames et Messieurs, nous aurions pu introduire dès cet avis de droit dans notre loi de la santé la clause du besoin limitant la prolifération du matériel technique lourd. Cela n'a pas été fait. Or, non seulement on invente sans cesse de nouvelles machines à un rythme toujours plus accéléré, mais en plus, nous pouvons lire dans la « Tribune » du 19 octobre 1998 : « Risque financier 0 pour l'IRM ». Il semblerait que l'intérêt économique soit tel que certains constructeurs d'appareils IRM soient prêts à les offrir aux praticiens. Ils se font ensuite rembourser en touchant une participation à chaque examen. Chacun s'y retrouve puisque le médecin ne prend pas le moindre risque financier.

Mesdames et Messieurs, eux s'y retrouvent, mais pas nous, ni nos concitoyens. La proportion de personnes qui ne peuvent payer leurs primes est de plus en plus grande. En 1999, 175 000 personnes ont reçu des subsides de l'Etat.

Dans notre projet déposé le 23 octobre 1998, nous avions repris textuellement la loi sur la clause du besoin pour le matériel lourd adoptée par Neuchâtel. Ce qui se fait ailleurs depuis 1997 aurait été vital pour nous. Rien ne s'opposait alors à l'introduction de cette clause dans le canton, sauf peut-être une certaine inertie politique. Il nous faut donc une volonté politique claire pour empêcher le naufrage. Le Conseil d'Etat aura un rôle important à jouer. Il devra engager le dialogue, encourager la recherche de solutions avec les différents partenaires du secteur de la santé, secteurs public et privé devront négocier. Ce dernier point est pour nous essentiel. Car il ne s'agit pas d'opposer le secteur public au secteur privé et d'en réglementer un au profit de l'autre. En effet, nous pensons que notre rôle est de donner au Conseil d'Etat les moyens d'organiser la négociation et d'éviter les concurrences sauvages qui iraient à l'encontre de l'intérêt bien compris du public. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, nous soutiendrons ce projet de loi.

Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Lutter contre l'explosion des coûts de la santé, voilà un objectif avec lequel nous sommes d'accord. Mais notre adhésion au projet dont il est question ici s'arrêtera là, car nous ne pouvons pas souscrire au moyen qui est proposé.

Tout d'abord, le projet de loi se base sur le postulat que les équipements lourds sont en partie responsables de l'augmentation et de l'explosion des coûts de la santé. Le problème, c'est qu'aucun chiffre ne vient étayer ce jugement à l'emporte-pièce. D'une part, les équipements lourds du type IRM ou scanners ne représentent qu'une infime partie des coûts de la santé, 1,5% puisque M. Dessimoz pose la question en aparté ! De plus, rien ne permet d'affirmer que le recours à ceux-ci conduit à une augmentation des coûts de la santé. Et puisque le Conseil d'Etat semble friand de comparaisons, je relèverai ici le cas du Japon qui, en comparaison avec la Suisse, a, proportionnellement avec le nombre d'habitants, nettement moins d'équipements médicaux lourds, mais qui connaît une explosion des coûts de la santé plus conséquente qu'en Suisse. Et toujours en matière de comparaison, je citerai la France, un pays mentionné dans l'exposé des motifs, qui est un pays notoirement connu pour son taux de sous-équipement.

Le projet de loi pose un certain nombre de problèmes. Tout d'abord, d'un point de vue juridique, il ne repose sur aucune base légale. Le projet fait en effet référence à l'avis du professeur Saladin, mais force est de constater que la situation a évolué depuis et que le parlement fédéral s'est prononcé sur la clause du besoin lors des débats sur la LAMal et a réfléchi à l'introduction d'une clause du besoin pour finir par y renoncer. Cela signifie donc que nous sommes devant un silence qualifié du législateur fédéral et non devant une lacune du droit comme le sous-entend le projet de loi. Ce projet n'a donc absolument aucune pertinence à l'échelle du canton. Il contrevient par ailleurs à un principe constitutionnel, qui est celui de la liberté économique, qui a donc remplacé dans la nouvelle Constitution la liberté du commerce et de l'industrie. De ce point de vue, il est évident que l'introduction d'une clause du besoin en matière d'équipements médicaux empêcherait bon nombre de professionnels d'accéder à une activité économique au profit d'un nombre limité d'élus. Car, à terme, il est évident que cette restriction de l'offre conduirait à une limitation du nombre de praticiens, soit un premier pas vers la clause du besoin des cabinets. (Brouhaha.) Je vous remercie, du côté radical, de faire un petit peu moins de bruit ! Allons alors jusqu'au bout de la réflexion et introduisons une clause du besoin à l'entrée des études de médecine !

D'un point de vue économique également, ce projet souffre de quelques lacunes et de quelques carences. Aucune démonstration économique n'est donc apportée au postulat de base. On aurait pu se poser la question de savoir quel est l'apport économique des équipements dits lourds, du type IRM et scanners, qui permettent aujourd'hui par le recours à un seul examen de déceler des pathologies que plusieurs examens dits classiques et même que certaines interventions chirurgicales permettaient avant de déceler. Et que l'on ne vienne pas nous dire ici que l'on fait un recours abusif à ce type de pratique, puisque plus de 90% des consultations faites avec ce type d'équipement lourd permettent de déceler des pathologies.

De plus, l'introduction de la clause du besoin, si elle devait avoir une quelconque utilité, ce qui ne me semble pas être le cas, serait totalement absurde à la seule échelle du canton. Il y a en effet fort à parier que les patients genevois, agacés de l'attente qu'introduirait cette clause, se tourneraient alors vers le canton de Vaud ou ailleurs pour procéder aux examens nécessaires.

Enfin, je m'étonnerais simplement de la position du Conseil d'Etat dans ce dossier, qui est juge et partie. En effet, il lui appartiendra de délivrer les précieuses autorisations, alors qu'il est lui-même un acteur important du système de santé. Comment pourra-t-il dès lors faire preuve de toute l'impartialité nécessaire ?

Compte tenu de ces éléments, vous l'aurez compris, le groupe démocrate-chrétien n'est pas favorable à ce projet et nous l'étudierons certainement en commission. 

M. Nicolas Brunschwig (L). L'objectif de ce projet de loi figure dans son article 1 : « maîtriser les coûts de la santé. » Objectif bien évidemment louable, mais je dois dire que les explications qui figurent dans l'exposé des motifs, pour nous donner quelques informations sur ces coûts et sur cette maîtrise que nous aurions grâce à ce projet de loi, sont totalement incomplètes. Alors, nous avons dû chercher nos chiffres. Ils seront sans doute contestés. Mais à défaut d'en avoir trouvé dans l'exposé des motifs, nous les considérerons comme justes. Eh bien, selon les statistiques cantonales, les frais facturés aux assureurs-maladie concernant les spécialistes en radiologie et médecine nucléaire se montent à 0,6% du total. Au niveau fédéral, il s'agit sans doute effectivement des 1,5% évoqués à l'instant.

Les examens qui se font par le biais de l'imagerie par résonance magnétique représentent environ 25% de l'ensemble des examens faits par ces radiologues. Cela veut donc dire que nous essayons d'agir sur le 0,15% du coût total de la santé. Ceci est une farce !

Une voix. Bravo !

M. Nicolas Brunschwig. Le problème réel de l'augmentation du coût de la santé a sans doute des causes bien différentes que celles que l'on veut essayer de contrarier par le biais de ce projet de loi. Et il est évident, pour ceux qui ont vu certaines statistiques au niveau des assurances et qui ont montré l'évolution du coût par patient ou par habitant, que cette évolution est totalement différente en fonction de l'âge des assurés et que l'explosion a lieu pour les personnes très âgées en particulier, alors que l'on sait qu'une bonne partie de ces frais sont engendrés dans les dernières semaines de vie. Il est sans doute politiquement moins correct d'évoquer ce type de propos que d'attaquer ainsi les radiologues en particulier, je ne donne d'ailleurs pas de réponse ou de solution à ce type de problème, mais ce sont sans doute des problèmes beaucoup plus importants par rapport aux coûts réels de la santé et à l'évolution de celle-ci.

Mesdames et Messieurs les députés, demandez-le à tout médecin, ancien ou actuel, l'imagerie a changé la médecine et les diagnostics sont plus sûrs et plus précoces ! C'est une évolution inexorable et surtout bénéfique pour l'ensemble de la population. De plus, il n'y a pas d'auto-prescription possible, vu que les patients sont envoyés chez les radiologues par d'autres médecins. Il n'y a donc pas d'avantage économique en tant que tel à ce que le médecin favorise ce genre d'examen.

Les comparaisons internationales qui sont mentionnées dans l'exposé des motifs sont assez cocasses. En effet, est-ce que la France, la Grande-Bretagne, l'Italie sont des exemples de médecine de qualité pour tous ? J'en ai quelques doutes, car ce sont clairement des pays où des médecines à deux, trois ou quatre vitesses se sont instaurées. L'exemple français est plus intéressant encore pour ceux qui ont pu lire un rapport fait à la demande du secrétariat d'Etat français à la santé, ce rapport a été relaté dans le « Monde » du 30 juin dernier. Ce rapport relève que les installations existant en France sont obsolètes et préconise de remplacer les examens radiologiques par des examens par résonance magnétique. Le rapport déplore par ailleurs que la France ne se situe qu'au huitième rang européen en termes d'équipement, avec seulement 150 appareils pour tout le territoire. L'une des conséquences pratiques de cette situation est que les services ou instituts qui disposent de ces équipements doivent rester ouverts 80 à 90 heures par semaine pour satisfaire à la demande. Cela signifie concrètement que des patients doivent venir en consultation le soir ou le week-end. Par ailleurs, le rapport entre les coûts de la radiologie et les coûts totaux de la médecine sont en France de l'ordre de 5 à 6%, alors même qu'il s'agit de 1,5% en moyenne helvétique. Cela est dû au fait que l'on assiste en France à la multiplication d'examens due au manque d'appareillage performant et fiable.

Enfin, et ce sont peut-être des données moins statistiques ou analytiques, je dois dire que l'idée de faire confiance au Conseil d'Etat ou à une quelconque commission afin de savoir quel équipement nous pourrons avoir dans quel centre et à quel moment me paraît quelque chose de totalement absurde. J'en suis d'ailleurs tellement convaincu que même si le Grand Conseil accepte par impossible cette loi, je suis convaincu que la population refusera cette loi. Mais enfin, les échecs populaires représentent quelque chose dont le Conseil d'Etat a pris quelque peu l'habitude. Il se remettra sans doute de cet échec-là comme il s'est remis des autres échecs.

Nous sommes convaincus que l'objectif réel de ce projet de loi n'est pas de combattre l'évolution des coûts de la santé, il doit sans doute y avoir d'autres objectifs. Nous nous réjouissons de savoir quels sont ces réels objectifs dans le cadre des travaux de commission et je suis sûr que M. le conseiller d'Etat pourra alors nous parler d'autres pistes, qui sont celles-ci beaucoup plus intéressantes et beaucoup plus sérieuses pour maîtriser le coût de la santé. On peut penser en particulier à des formes de numerus clausus et on peut penser aussi à des formes de carnet de santé. D'ailleurs, j'ai lu à l'instant un article et une interview assez intéressants de l'ancien directeur de l'hôpital sur les évolutions technologiques et les réseaux qui pourront se mettre au point. Nous y croyons beaucoup plus qu'à ce genre de projet de loi qui sont sans doute de simples mesures de politique à destination du corps médical. 

Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG). Ce projet de loi, comme l'a rappelé M. Brunschwig, veut contribuer à une meilleure maîtrise des coûts de la santé, mais il suscite depuis plusieurs mois des prises de position farouches de la médecine privée qui, par des démonstrations chiffrées très complexes, dont Mme Ruegsegger s'est fait l'écho tout à l'heure, veut montrer que la santé publique est menacée par cette mesure de contrôle.

Je ferais un petit retour en arrière pour dire que lors des procédures de consultation fédérale au début des années 60, en 63 plus précisément, le mouvement populaire des familles a été le premier à élaborer et proposer un concept d'assurance-maladie obligatoire. Qu'a fait à ce moment-là le lobby des médecins ? Il a crié à l'étatisation de la médecine et a évidemment réussi par la suite - comme M. Brunschwig l'espère pour ce projet de loi - par ses menaces à faire échouer en votation populaire les initiatives qui ont suivi. Je rappellerai en passant à M. Brunschwig, s'il veut soutenir le carnet santé, que le mouvement populaire des familles est la seule organisation à en avoir mis un au point. Et elle n'a reçu aucun soutien.

Aujourd'hui, les courriers se suivent et se ressemblent : « Clause du besoin, clause du coquin ! » Mais les coquins sont aujourd'hui très nombreux. J'ai surtout deux chiffres en tête qui m'intéressent. Premièrement les coûts de la santé sont payés à 65% par les ménages, voire jusqu'à 80% pour ce qui est des soins à charge de l'assurance obligatoire, et, deuxièmement, à Genève - M. Brunschwig a parlé des gens qui coûtent, vous avez parlé des personnes âgées, j'aimerais parler des gens qui encaissent - les 37% des coûts à charge de l'assurance-maladie sont encaissés par les médecins, contrairement, par exemple, au Jura où ce ne sont que les 20% des coûts.

Jusqu'à quand les assurés accepteront-ils de payer la facture ? C'est une question. Pour en venir à ce projet de loi, nous rappellerons, s'agissant de l'AdG, que la clause du besoin est un instrument de la politique sanitaire et plus particulièrement de la planification sanitaire. A ce sujet, je rappelle que deux projets de lois de l'AdG portant sur le même sujet sont pendants devant la commission de la santé. Ces principes de planification sanitaire, je vous le rappelle, ont été adoptés par ce Grand Conseil, ainsi que l'étude de nouveaux instruments dont la clause du besoin fait partie. L'AdG estime que la maîtrise des coûts doit être mise en relation avec la défense d'une médecine de qualité, d'accès aux soins pour tous et la défense d'un service public performant, indispensable dans le domaine sanitaire comme dans bien d'autres domaines où l'intérêt public est évident.

L'adoption du projet de loi nous paraît indispensable. En effet, les conditions exprimées sur le régime d'autorisation au chapitre 2 sont suffisamment claires pour nous et donnent les garanties pour une utilisation rationnelle de la clause du besoin. Seule réserve, nous parlerions d'efficience plutôt que de rentabilité. Les détracteurs de cette clause mettent en avant son inefficacité et en particulier l'absence de lien, cela a été dit tout à l'heure, à leurs yeux entre la quantité d'équipements lourds et les coûts de la santé. Nous voulons une fois de plus relever à ce sujet que la transparence fait défaut. Le département reconnaît d'ailleurs n'avoir qu'une connaissance partielle du nombre d'équipements à Genève, sauf pour ce qui concerne les IRM. Ce qui est plutôt choquant ! Pour une politique de santé cohérente, nous avons besoin de transparence. Le nombre d'équipements doit être connu de tous, c'est-à-dire les payeurs, je vous le rappelle, et qu'une mise à jour doit être faite de tous ces équipements, y compris les leasings. La clause du besoin a certes ses limites, son aspect marginal sur la maîtrise des coûts. Pour l'AdG, d'autres pistes existent dans les cabinets médicaux privés sans en restreindre l'ouverture. Par exemple, encourager les temps partiels, encourager la diminution et le partage du travail en cabinet privé au profit de l'encadrement de la formation postgraduée, favoriser les équipements collectifs au détriment d'un équipement individuel, proposer une réduction du taux d'activité à partir de 65 ans pour les médecins.

Pour terminer, l'AdG se réjouit d'empoigner ces questions lors des travaux de la commission de la santé. 

M. Dominique Hausser (S). Sur proposition des socialistes, ce parlement a adopté il y a quelques années une loi rendant la planification sanitaire obligatoire. Après un certain délai, le Conseil d'Etat a finalement proposé à ce parlement de voter un crédit de quelques millions permettant l'élaboration de cette planification sanitaire basée sur un principe qui est à mon avis assez intéressant et qui consiste à déterminer les besoins et les priorités en matière de santé et à déterminer les équipements et les prestations qui sont nécessaires pour réduire les problèmes de santé de cette population en matière de soins, voire pour diminuer les risques, et à déterminer toute autre activité nécessaire au maintien et à l'amélioration de la santé de la population genevoise. Parmi les quelques instruments qui étaient mentionnés dans le rapport de l'Institut de médecine sociale et préventive, on y voyait le carnet de santé, on y voyait la clause du besoin, on y voyait le numerus clausus à l'entrée de la faculté de médecine - en oubliant d'ailleurs que la faculté de médecine forme d'autres personnes que des thérapeutes. Elle forme des chercheurs et elle forme des personnes qui s'occupent de prévention et qui ont d'autres types d'activités dans le domaine de la santé.

A priori, les socialistes ne sont pas opposés à l'idée de la clause du besoin comme un instrument utilisable. A priori, le parti socialiste s'est exprimé en faveur de l'inscription de la clause du besoin comme étant un des instruments possibles, clause du besoin des équipements, mais éventuellement aussi clause du besoin des acteurs qui ont une pratique, qu'ils soient publics ou privés. Les socialistes examineront avec attention ce projet de loi, tout en relevant quand même un certain nombre de problèmes effectivement non négligeables.

Est-ce que cet instrument est véritablement à même de remplir un objectif de maîtrise des coûts ? De quelle manière ? Quelle sera son importance ? Vous avez entendu un certain nombre d'exemples. Il est vrai que l'on mentionne les instruments modernes comme étant sur la liste des équipements lourds. Ces équipements seront-ils modernes une année, deux ans, cinq ans, dix ans ? Leur rapport qualité/prix, leur efficacité en matière diagnostique ou thérapeutique se mesurent-ils en comparaison avec des instruments utilisés depuis de nombreuses années ? La chirurgie ambulatoire coûte cher en utilisant des instruments coûteux. Mais quel type d'économie ferait-on par rapport à une chirurgie hospitalière qui implique une hospitalisation de plusieurs jours ou semaines ? Je crois qu'il y a là un certain nombre de points que nous souhaitons examiner en détail. Nous souhaitons en tous les cas voir cet instrument inscrit dans une politique générale de mise en place de prestations de soin et de santé, et pas simplement comme étant un instrument qui soit posé là avec l'explication que « ça va résoudre d'importantes questions en matière de maîtrise des coûts. » Aussi faut-il être clair. Les socialistes, tout en accueillant favorablement ce projet, y mettent un nombre important de bémols qui seront discutés attentivement en commission. 

M. Bernard Lescaze (R). On a considéré jusqu'à maintenant sur tous les bancs que la maîtrise des coûts de la santé était quelque chose de louable. J'irai un tout petit peu plus loin. J'irai jusqu'à dire qu'elle est à l'heure actuelle nécessaire et qu'une partie importante de la population, dès lors qu'elle fait face à des primes d'assurance-maladie sans cesse en augmentation, nous pousse effectivement à mieux contrôler les coûts de la santé. Reste à savoir quel est le meilleur moyen de le faire. S'il existait une recette miracle dans les pays européens, je ne doute pas qu'elle aurait déjà été appliquée. On peut, sans être médecin, penser par exemple que l'effort doit encore davantage être mis sur la prévention, bien plus encore que sur d'autres méthodes, parce qu'il y a là une possibilité directe d'action sur les coûts. Toutefois, ceci reste insuffisant.

Aujourd'hui, on nous propose une méthode plus contraignante, celle que l'on a appelé clause du besoin eu égard sans doute à une autre clause du besoin, celle des auberges, qui a été acceptée sans trop de problème par les milieux économiques pendant plus d'un siècle dans notre canton. Il faut donc croire que les bases légales pouvaient exister. Et je ne doute pas pour ma part, au vu de ce que j'ai lu, contrairement à ce que disait la représentante du parti démocrate-chrétien, que la base légale existe. Elle est possible. D'ailleurs, le simple fait que la clause du besoin en matière d'équipements médicaux lourds soit acceptée dans d'autres cantons suisses, à Neuchâtel et à Schaffhouse par exemple, le montre bien.

On pourrait bien entendu imaginer un tout autre système de santé. A la chinoise ! C'est peut-être cela que le représentant du groupe libéral avait en vue. Vous savez que l'on payait son médecin dans la Chine impériale lorsqu'on était en bonne santé et qu'on ne le payait plus lorsqu'on était malade. C'est sans doute un système qui permettrait de répondre à l'objection de M. Nicolas Brunschwig qui constatait que les personnes les plus âgées, en fin de vie, coûtaient le plus cher. Bien entendu, nous n'avons pas là de solution pour résoudre ce problème. M. Nicolas Brunschwig, qui a bon coeur, n'a d'ailleurs pas été jusqu'au bout de la logique implicite que semblaient sous-tendre ses arguments.

En conséquence, nous voyons arriver maintenant un projet de loi. Il contient effectivement quelques statistiques, peu de statistiques. Je serais pour ma part, comme le groupe radical, bien incapable de dire de quelle manière cette clause du besoin, si elle était introduite, pourrait réellement faire baisser de façon importante, contrôler ou maîtriser les coûts de la santé. Les arguments invoqués par d'autres groupes concernant l'état de vétusté et d'utilité de ces équipements lourds au-delà d'un million me paraissent en effet des arguments importants.

Ce que je dois quand même constater, malgré les rares statistiques - parce que la Suisse, bien qu'étant un pays de chiffres, est un pays où les statistiques sont souvent lacunaires, comme on le répète depuis de longues années - ce que je dois malgré tout constater, c'est que pour ce dont nous avons, nous tous, Mesdames et Messieurs les députés, la maîtrise, c'est-à-dire le budget de l'hôpital, force est de reconnaître que celui-ci est en très faible augmentation au cours de ces dernières années et que son augmentation est très inférieure non seulement au taux du coût de la santé, mais également au taux des primes d'assurance payées à Genève. Il y a là une interrogation bien légitime. A ceux qui réclament des chiffres pour ce projet de loi, je leur rétorque qu'ils ont raison de les demander. Mais il faudra aussi que l'on nous explique réellement, avec des chiffres, quels sont les domaines qui influent aujourd'hui à Genève sur les coûts de la santé, de façon que l'on puisse mieux les maîtriser.

En conséquence, Mesdames et Messieurs les députés, le système de certaines restrictions à la liberté économique, qui est un système connu de longue date, est évidemment pour les gens dont je suis, qui souhaitent une certaine libéralisation des échanges, un système difficile à accepter dans son essence, mais qui peut se concevoir dans des domaines tout à fait particulier. A ce sujet, je relève que l'une des phrases les plus importantes de l'exposé des motifs du projet de loi n'est pas souvent répétée et personne n'a jusqu'à présent relevé son caractère dirimant. « Le domaine de la santé n'est pas un marché comme les autres, les consommateurs ne sont pas à même d'y déterminer leurs besoins. » Cela me paraît effectivement être une phrase importante dans la mesure où nous n'avons pas toujours la possibilité de savoir ce qui nous est nécessaire ou non dans le domaine de la santé. Je n'insisterai pas plus lourdement là-dessus. Je dirai simplement que l'idée philosophique d'accepter dans ce domaine particulier et pour des équipements lourds une clause du besoin n'est pas forcément quelque chose que nous puissions refuser d'emblée. C'est pourquoi le groupe radical renverra bien évidemment ce projet de loi à la commission de la santé.

J'aimerais quand même aussi souligner qu'il faut peut-être se demander, face au nombre toujours croissant de personnes souhaitant exercer des professions libérales - j'emploie ce terme-là parce qu'il peut valoir aussi bien pour des avocats que pour des médecins - face également à la liberté que les accords bilatéraux vont apporter quant à l'exercice de professions et à la venue de praticiens d'autres pays d'Europe en Suisse et à Genève, qu'il est donc loisible de se demander si un jour ou l'autre, dans quelques années, certainement dans un temps qu'autant le représentant libéral que moi-même verront, si ce ne sont pas les médecins eux-mêmes qui demanderont, pour eux-mêmes, l'introduction d'une clause du besoin. Après tout, nous avons vu pendant des années dans les facultés de médecine l'instauration de numerus clausus. Puis la pénurie a fait que ces numerus clausus ont été supprimés. Aujourd'hui, il n'y a en théorie plus de numerus clausus. Mais vous savez bien qu'il y a d'autres méthodes pour introduire des goulets d'étranglement, par exemple les places dans les laboratoires, et peut-être que l'on en viendra un jour, comme le soulignait Mme Blanchard, à d'autres moyens, d'autres mesures, pour freiner la progression du nombre de médecins ou du nombre d'avocats. Peut-être les instances professionnelles de ces métiers seront-elles les premières à réclamer cette clause du besoin.

Je crois donc qu'il faut absolument, au-delà des grands principes sur lesquels il faut être prudent, examiner avec beaucoup d'attention ce projet et évidemment disposer malgré tout d'une base statistique plus développée que celle qui figure dans l'exposé des motifs.  

M. Guy-Olivier Segond. Chaque automne, chaque année, il y a, sur les bancs de ce Grand Conseil comme dans la population un choeur unanime pour dénoncer les hausses des coûts de la santé et, en particulier, les hausses de cotisations d'assurance-maladie. Et chaque automne de chaque année, le Grand Conseil vote des résolutions demandant aux autorités cantonales et fédérales d'agir plus efficacement.

Dans le domaine qui est soumis à l'autorité de l'Etat cantonal, un effort important, souvent critiqué sur certains bancs, a été fait ces dernières années, aboutissant à faire diminuer le nombre de lits des hôpitaux publics de 17% et à diminuer, par une amélioration de la productivité, le nombre de journées d'hospitalisation dans les établissements publics de 14%.

Durant ce même laps de temps, rien n'a été fait dans le secteur privé, où le nombre de médecins a continué à augmenter par dizaines, puis par centaines. Cela se reflète sur l'augmentation du nombre de consultations et sur le montant des cotisations de l'assurance-maladie. Ce phénomène est particulièrement visible dans le domaine des équipements médicaux : en Allemagne, un pays proche de la Suisse dans sa conception de vie et dans sa manière de fonctionner, il y a 10 IRM par million d'habitants, ce qui est relativement proche de la moyenne suisse, qui est de 14 IRM par million d'habitants. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, si la moyenne suisse est à 14 IRM par habitants, dans les deux cantons qui ont les cotisations d'assurance-maladie les plus élevées du pays, le canton de Genève et le canton de Vaud, le nombre d'IRM par million d'habitants est à 23 IRM !

Si l'on prend un autre critère - vous avez dit que cela n'avait pas véritablement d'effet sur les coûts de la santé - que l'on considère, sur une période de cinq ans, l'évolution de la population genevoise, le nombre d'habitants a augmenté de 4%. Le nombre de consultations chez les gynécologues a diminué de 1%, le nombre de consultations chez les pédiatres a augmenté de 3%, mais le nombre de consultations chez les radiologues a augmenté de 70% ! Il y a donc bien là un impact sur les coûts de la santé, qui est reflété par les cotisations de l'assurance-maladie. La chose la plus surprenante - j'ai prononcé de nombreux exposés sur ce thème devant des congrès de radiologues - est qu'il n'y a aucun lien établi, démontré, entre la densité d'IRM et l'état de santé d'une population. Dans certains pays où il y a peu d'IRM, l'état de santé est bon. Dans des pays où il y a beaucoup d'IRM, l'état de santé est médiocre.

D'où vient le projet de loi ? J'aimerais vous rappeler que c'est le Grand Conseil qui, dans la législature précédente, à une majorité de près des trois-quarts, a demandé au Conseil d'Etat de lui présenter un projet de loi introduisant une clause du besoin pour les équipements de diagnostic et de traitement, dans le secteur public comme dans le secteur privé. C'est donc ce que nous avons fait.

Ce projet de loi est d'une simplicité évangélique : il soumet à l'autorisation du Conseil d'Etat l'acquisition, la mise en service et l'utilisation de ces équipements, qu'ils soient dans le domaine ambulatoire ou qu'ils soient dans le domaine hospitalier, qu'ils appartiennent au secteur privé, au secteur public ou au secteur privé subventionné.

Ce projet de loi a réussi un tour de force. Il a été attaqué, vigoureusement et massivement, par l'AMG, l'association des médecins du canton de Genève, avant même d'avoir été déposé et avant même que son texte ne soit connu ! Il a été soutenu tout aussi massivement et tout aussi vigoureusement - vous avez oublié de le mentionner, mais pour des raisons évidemment opposées - par la fédération genevoise des assureurs-maladie qui lui accorde une très grande importance.

Mesdames et Messieurs les députés, en ce qui concerne le fait que le projet de loi ne repose sur aucune base légale, c'est évidemment parce que l'on n'a pas la base légale que l'on doit faire un projet de loi. C'est une affaire de pure logique ! Est-il contraire à l'ordre constitutionnel suisse ? Est-il contraire à l'ordre juridique suisse ? Certainement pas ! D'abord, il a été clairement dit par tous les juristes consultés - il y a parmi eux d'anciens juges au Tribunal fédéral - que ce projet de loi est dans la compétence cantonale, que la liberté du commerce et de l'industrie peut être limitée pour autant qu'il y ait un intérêt public - c'est évident qu'il y a un intérêt public à lutter contre la hausse des coûts de la santé - et pour autant que ce projet respecte trois principes : le principe de légalité - il faut une loi, c'est ce que nous proposons - le principe de proportionnalité - il faut une mesure proportionnelle, ne pas interdire, mais soumettre à autorisation - et le principe de l'égalité de traitement entre le secteur public et le secteur privé, ce qu'il fait parfaitement. Sur le plan juridique, ce mécanisme n'est pas inconnu : il existe dans le canton de Neuchâtel et dans plusieurs autres cantons de Suisse alémanique. Il est même un projet de loi du centre : critiqué par les uns, l'AMG, mais il est soutenu par les autres, les assureurs-maladie. C'est un projet qui devrait recueillir l'assentiment du plus grand nombre si vous voulez que les protestations que vous élevez chaque automne contre la hausse des coûts de la santé soient prises au sérieux par la population !

Ce projet est renvoyé à la commission de la santé.