République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 23 septembre 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 10e session - 40e séance
GR 228-1 et objet(s) lié(s)
10. Rapports de la commission de grâce chargée d'étudier les dossiers des personnes suivantes :
M. A S. . 1968, Kosovo, maçon carreleur, recourt contre le solde de la peine d'expulsion judiciaire et contre la peine de 20 jours d'emprisonnement, sous déduction de 9 jours subis en préventive, et assortie d'un sursis de 3 ans.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R), rapporteuse. M. A S., né le 2.10.1968, originaire du Kosovo, maçon carreleur de profession, a été condamné pour trafic d'héroïne en 1992 à dix-huit mois d'emprisonnement, sous déduction de 374 jours de détention préventive, avec cinq ans de délai d'épreuve, et, par jugement du Tribunal de police de novembre 1993, à dix ans d'expulsion du territoire suisse.
Il demande la grâce relative à l'expulsion du territoire et à la peine de vingt jours d'emprisonnement, sous déduction de neuf jours subis en détention préventive, avec sursis de trois ans, pour rupture de ban.
Les faits nouveaux : en 1990, M. A S. avait rencontré Mme N. L., Suissesse et mariée à l'époque. Il est expulsé en 1993, mais de cette période précédente était née une idylle. Ces deux personnes échangent de nombreux courriers entre la Suisse et le Kosovo et M. A S. réapparaît donc cinq après, croyant que le délai d'épreuve correspond à l'expulsion. Il entre en Suisse et prend un petit job à Genève. Là, il est arrêté pour rupture de ban et fait neuf jours de détention préventive.
Il est à l'heure actuelle au bénéfice d'une demande d'asile, d'un permis N qui est valable jusqu'au 28 janvier 2000. Depuis, il a contracté un mariage avec Mme L., au mois de juillet 1999. M. A S. n'avait aucune intention de violer l'interdiction d'entrer en Suisse, puisqu'il ne s'est pas caché des autorités ; de fait, il a pris le délai d'épreuve pour le délai d'expulsion. Il est actuellement domicilié dans un abri PC à Fribourg et la commission lui a accordé la grâce. Je dois dire que je ne partage pas l'avis de la commission, avec un ou deux autres commissaires.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce du solde de la peine d'expulsion judiciaire et de la peine de 20 jours d'emprisonnement, sous déduction de 9 jours subis en préventive, et assortie d'un sursis de 3 ans) est adopté.
M. A. M. . 1976, Genève apprenti dessinateur en génie civil, recourt contre la peine d'emprisonnement.
M. Henri Duvillard (PDC), rapporteur. M. A. M. , Genevois né en 1976, recourt en grâce pour la deuxième fois. Son premier recours a été rejeté par la commission de grâce le 18 janvier 1999.
M. A. M. a été condamné pour la première fois pour lésions corporelles simples, par jugement du Tribunal de police en novembre 1997, confirmé par arrêt de la Chambre pénale en avril 1998, à trois mois d'emprisonnement, avec sursis de trois ans.
Le 3 juin 1998, il a été à nouveau condamné, mais cette fois par le procureur général, à quatre mois d'emprisonnement, sous déduction d'un jour subi en détention préventive, avec sursis de cinq ans, pour dommages à la propriété, injures, menaces et opposition aux actes de l'autorité ; le sursis accordé par la Chambre pénale a en outre été révoqué.
Lors de la première demande de M. A. M., la commission avait refusé la grâce, estimant que celui-ci, trois mois environ après avoir été condamné pour lésions corporelles perpétrées sur son ex-amie et ne tenant pas compte du sursis de trois ans que lui avait accordé la Chambre pénale, avait récidivé d'une manière encore plus violente et plus lourde que la première fois, en injuriant et en menaçant de mort plusieurs personnes.
Aujourd'hui, aucun fait nouveau ne motive son deuxième recours en grâce. La commission vous propose donc à nouveau de refuser cette demande de grâce.
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.
Mme F. D. S. N. V. . 1969, Brésil, secrétaire et serveuse, recourt contre le solde de la peine d'expulsion judiciaire.
M. Antonio Hodgers (Ve), rapporteur. Mme F. D. S. N. V., Brésilienne, serveuse et secrétaire, s'est fait arrêter pour trafic de stupéfiants avec l'aggravante de la quantité. Elle a été condamnée, par jugement du Tribunal de police du 9 mai 1994 confirmé par arrêt de la Chambre pénale de la Cour de justice du 27 juin 1994, à trois ans d'emprisonnement, assortis de dix ans d'expulsion du territoire de la Confédération.
Mme F. D. S. N. V. est arrivée pour la première fois sur notre territoire avec deux kilos de cocaïne. Elle s'est fait arrêter à ce moment-là et le Tribunal l'a condamnée, en plus de la peine d'emprisonnement, à une peine d'expulsion judiciaire assez conséquente de dix ans, vu qu'elle n'avait, au moment du jugement, aucune attache avec la Suisse.
Après deux ans d'emprisonnement ferme, elle a été mise au bénéfice d'un régime de semi-liberté pour la dernière année de sa peine, et c'est là qu'elle a connu M. R. N., un Portugais avec permis C, qui exploite deux établissements à Genève et réside dans notre pays depuis dix-sept ans. Ils ont entretenu une relation amoureuse, puis se sont mariés en 1997 et ont eu une petite fille qui est née la même année. Aujourd'hui, Mme F. D. S. N. V. demande la grâce du solde de la peine d'expulsion judiciaire, soit six ans, afin de pouvoir vivre auprès de son mari.
Le problème principal dans cette affaire est la petite fille qui est sans cesse baladée entre le Portugal et la France voisine pour voir son père et qui devra bientôt être scolarisée, ce qui fait que le couple risque d'être séparé pour de longues périodes, puisque la petite fille ne peut pas être scolarisée en France voisine où aucun des deux époux n'a un domicile fixe.
La commission vous propose d'accorder la grâce pour les six ans d'expulsion judiciaire qui restent, au motif principal du regroupement familial, pour permettre à ce couple de vivre ensemble, pour que la petite fille puisse être scolarisée de manière normale, sans d'importantes complications pour la famille. La commission a considéré en outre que les circonstances qui avaient amené cette dame à faire du trafic de drogue n'existent plus, vu qu'elle a définitivement quitté son pays, qu'elle a changé de vie, qu'elle a vraiment tout recommencé à zéro. Il n'y a donc plus de risque de récidive.
Par ailleurs, les dix ans d'expulsion du territoire de la Confédération avaient été décidés à un moment où cette dame n'avait aucune attache avec la Suisse, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. C'est en l'occurrence une circonstance nouvelle et c'est pourquoi la majorité de la commission vous demande d'accorder la grâce.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce du solde de la peine d'expulsion judiciaire) est adopté.
M. F. S. . 1968, France, agent commercial, recourt contre le montant de l'amende due.
Mme Esther Alder (Ve), rapporteuse. M. F. S., de nationalité française et résidant en France, a été condamné à une amende de 1200 F et à 140 F de frais, pour infraction à la loi fédérale sur la circulation routière. M. F. S. a été surpris par un contrôle radar alors qu'il conduisait à 148 km/h sur une voie publique où la vitesse était limitée à 100 km/h. La demande en grâce de M. F. S. repose sur deux éléments, l'un concerne le manque, selon lui, de fiabilité des radars et l'autre, le montant élevé de l'amende une fois convertie en francs français. La commission de grâce, après examen du dossier, vous propose de rejeter la présente demande, sachant que la même infraction, si elle avait été commise sur le territoire français, aurait été sanctionnée bien plus sévèrement.
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.
M. K. C. . 1970, Congo, pilote d'avion, recourt contre la peine de réclusion.
M. Pierre Froidevaux (R), rapporteur. Je vous présente l'histoire de M. K. C., condamné le 16 octobre 1998 pour des escroqueries par métier. M. K. C. avait à l'époque défrayé la chronique judiciaire et la chronique médiatique : c'était lui qui dirigeait la bande dite «des boîtes aux lettres». Il s'était procuré la clé de boîtes aux lettres postales - les boîtes jaunes - et à la fin du mois, avec sa bande, il les vidait et prélevait des documents qu'il falsifiait pour transférer les chèques postaux sur des comptes qu'il ouvrait avec ses complices. L'affaire était énorme, puisque j'ai devant moi le treizième dossier : il y a donc douze autres dossiers de cette nature qui relatent l'ensemble des faits qui lui sont reprochés, sachant que tout n'a pas pu être établi.
M. K. C. a donc été condamné le 16 octobre 1998 à quatre ans de réclusion, réclusion qu'il est en train de subir à Bellechasse, et à quinze ans d'expulsion du territoire suisse. Il souhaiterait qu'on lui accorde une remise de peine pour lui permettre de commencer des études d'informatique au Canada, pour lesquelles il s'est inscrit. Il est évident que ces études pourraient parfaitement se faire à Bellechasse et je vous recommande de ne pas soutenir cette nouvelle escroquerie et de refuser la demande de grâce.
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.
M. K. A. . 1966, Algérie, employé de commerce, recourt contre le solde de la peine d'expulsion judiciaire.
M. Pierre Froidevaux (R), rapporteur. Je vous présente le cas d'un Algérien, M. K. A., qui a été condamné le 15 mai 1997 à deux mois d'emprisonnement, avec une peine d'expulsion de cinq ans.
M. K. A., au moment des faits, était réfugié politique chez nous et était logé dans le canton du Valais. Là, il a fait la connaissance d'une jeune personne qui, soutenue par les services sociaux genevois, s'est déplacée sur Genève. Une relation s'est nouée entre elle et lui et, régulièrement, M. K. A. se rendait à Genève pour la voir, ville où il s'établissait à l'hôtel. Régulièrement aussi, son amie réglait la facture de l'hôtel. Or, à une occasion, manquant d'argent, M. K. A. a dérobé 300 F dans le porte-monnaie d'une serveuse. Raison pour laquelle il a été puni et raison pour laquelle il subit maintenant cinq ans d'expulsion.
Le problème supplémentaire qui se pose, c'est que de cette relation est né un enfant, un enfant qui a été reconnu, et de l'avis de ceux qui entourent la mère et l'enfant une union du couple serait favorable. Aussi, nous vous recommandons, en accord d'ailleurs avec le procureur général, la grâce de la peine d'expulsion, seule peine qui reste encore à subir.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce du solde de la peine d'expulsion judiciaire) est adopté.
M. M. M. . 1973, Kosovo, musicien-agriculteur, recourt contre le solde de la peine d'expulsion judiciaire.
Mme Marianne Grobet-Wellner (S), rapporteuse. M. M. M., d'origine albanaise, est né en 1973 au Kosovo. En avril 1993, M. M. M. a tout juste 20 ans. Plusieurs de ses camarades viennent d'être arrêtés, torturés ou tués par la police. M. M. M. fuit son pays, il fait une première demande d'asile en Suisse. Celle-ci est refusée en juin de la même année. Suite à ce refus, M. M. M. rentre clandestinement au Kosovo. En janvier 1995, il quitte de nouveau son pays pour éviter d'être enrôlé de force dans l'armée serbe et dépose une deuxième demande d'asile dans notre pays. Son mobile est jugé insuffisant par l'Office fédéral des réfugiés, qui refuse sa demande en avril 1995. M. M. M., qui a alors 22 ans, est contraint de retourner au pays, où il vit caché jusqu'à fin 1996. Il entre de nouveau en Suisse, logé et soutenu par des amis connus lors de ses précédents séjours.
C'est lors de ce troisième séjour, au mois d'octobre 1997, qu'au volant d'une voiture prêtée par un ami et sans être en possession d'un permis de conduire valable en Suisse il renverse un enfant qui traversait imprudemment la route à vélo. Pris de panique en raison de sa situation clandestine, il quitte le lieu de l'accident sans attendre l'arrivée de la police. La plaque d'immatriculation de la voiture est restée sur le lieu de l'accident et il est arrêté quatre jours après et condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans, ainsi qu'à une expulsion ferme pour une durée de trois ans.
Il rentre de nouveau chez lui et vit caché jusqu'en août 1998. Craignant pour sa vie, il demande alors une troisième fois l'asile en Suisse, en août 1998, demande qui est à nouveau refusée en septembre de la même année. Son recours contre ce refus est rejeté en février 1999. M. M. M. vit actuellement à Genève, a trouvé du travail et a fait les démarches en vue de mariage avec une jeune personne, rencontrée lors de ses précédents séjours en Suisse, qui vit et travaille depuis plusieurs années à Genève. Leurs démarches sont bloquées tant qu'il n'a pas été gracié de sa condamnation d'expulsion qui prendra fin en octobre 2000. Il n'a fait l'objet d'aucune autre condamnation, ni en Suisse ni au Kosovo. La commission, tout en soulignant le comportement inexcusable de M. M. M. lors de l'accident, mais expliqué par la panique causée par sa situation de clandestin, vous recommande, après avoir longuement examiné le dossier, de lui accorder la grâce demandée.
M. Pierre Froidevaux (R). La commission était en fait parfaitement partagée, puisque quatre voix étaient en faveur de la grâce du solde de la peine d'expulsion judiciaire et quatre autres y étaient opposées. La proposition la plus favorable étant l'octroi de la grâce, la grâce a été accordée par la majorité de la commission, mais c'est une majorité extrêmement limite. S'agissant du soutien qu'on peut apporter à M. M. M., il faut relever qu'il existe quand même un problème. M. M. M. a commis un acte extrêmement grave en prenant la fuite après avoir renversé un enfant. Je ne puis m'imaginer gracier quelqu'un qui fait passer sa vie à lui avant celle d'un enfant, d'autant qu'il était impossible, au moment de l'accident, de savoir si l'enfant allait pouvoir survivre à un tel accident sans aucune séquelle. Voilà la raison pour laquelle je ne puis, vu la gravité de la faute, accorder une quelconque grâce à M. M. M..
M. Antonio Hodgers (Ve). Comme je fais partie des quatre commissaires qui ont voté la grâce, j'aimerais quand même éclairer ce vote. Effectivement, pour nous aussi cet acte est inexcusable et c'est pourquoi nous avons été unanimement surpris, en commission, que cette personne ait été condamnée seulement à deux mois d'emprisonnement ferme. Par contre, une chose nous dérange au niveau du principe - et donc pas uniquement dans ce cas - c'est qu'un Suisse, pour la même faute, c'est-à-dire renverser un enfant et le laisser sur place, sans appeler la police et sans s'en occuper, n'aurait pas eu à supporter des conséquences aussi sévères que ce monsieur, puisque celui-ci est étranger et peut donc être expulsé. C'est principalement sur cet argument-là, et non pour diminuer la gravité de son attitude, que quatre commissaires ont voté la grâce.
M. Olivier Vaucher (L). L'argument que M. Hodgers vient de donner me paraît pour le moins léger. Un Suisse ne peut, bien sûr, pas être expulsé dans son pays, puisqu'il y habite ! Quant à la peine d'emprisonnement, je pense qu'elle pourrait même être plus sévère pour un Suisse que pour un étranger. Alors, l'argument que vous nous donnez là, Monsieur Hodgers, n'est absolument pas crédible.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce du solde de la peine d'expulsion judiciaire) est rejeté.