République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1264
12. a) Proposition de motion de Mmes et MM. Alberto Velasco, Christian Brunier, Elisabeth Reusse-Decrey, Véronique Pürro, Chaïm Nissim, Luc Gilly, Gilles Godinat et Rémy Pagani pour une véritable politique de promotion du vélo. ( )M1264
M 1265
b) Proposition de motion de Mmes et MM. Jeannine de Haller, Myriam Sormanni, Anne Briol, Alain Etienne et Chaïm Nissim proposant une extension du réseau de pistes cyclables à Genève. ( )M1265

Proposition de motion

(1264)pour une véritable politique de promotion du vélo

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:

les problèmes de circulation dans les agglomérations ;

la nécessité de mener une politique active en matière de promotion des déplacements à vélo ;

que les cyclistes contribuent quotidiennement à la lutte contre le bruit et la pollution de l'air ;

que les aménagements cyclables actuellement réalisés sont encore insuffisants ;

que la réalisation de certains aménagements cyclables indispensables attend depuis près de 10 ans, notamment en raison du manque de volonté ou de moyens du département concerné ;

que l'absence de tels aménagements met en danger la vie des cyclistes lors de leurs déplacements ;

que les trottoirs constituent en de tels endroits des refuges sûrs pour les cyclistes et les piétons ;

que de manière générale les trottoirs doivent rester réservés aux piétons ;

que les cyclistes qui circulent sur les trottoirs sont amendables ;

qu'il est incohérent de vouloir favoriser un mode de déplacement en punissant ses adeptes lorsqu'ils cherchent à protéger leur vie ;

qu'une politique de prévention et d'information est plus efficace qu'une politique répressive ;

invite le Conseil d'Etat

à tracer provisoirement sur les trottoirs des voies destinées aux vélos là où les aménagements cyclables importants ne sont pas encore réalisés ou pratiquement inexistants ;

à mener une campagne, en collaboration avec les communes, visant à favoriser une meilleure cohabitation entre cyclistes et piétons sur les trottoirs, là où la vie de ces derniers est menacée en circulant sur la chaussée ;

à poursuivre une politique répressive uniquement à l'encontre des cyclistes « casse-cou » qui ne respectent pas la priorité absolue des piétons sur les trottoirs ;

à réaliser rapidement les aménagements manquants et en attente de réalisation, notamment la traversée du pont et du quai du Mont-Blanc pour laquelle la Ville attend une autorisation d'aménager une piste cyclable depuis de nombreuses années ;

à multiplier la signalisation qui autorise les cyclistes à utiliser les zones piétonnes et passages piétons à des heures où les cyclistes peuvent cohabiter sans danger avec les piétons ;

à généraliser les feux de signalisation spéciaux pour vélos.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Circuler à vélo à travers certaines artères de notre canton, et ceci dans les quartiers de villes à forte densité où aucun aménagement de piste cyclable n'a été prévu devient un exercice périlleux. Nous citerons comme exemple la traversée des ponts de la Coulouvrenière et du Mont-Blanc, où circuler sur les trottoirs ou passages pour piétons devient un exercice de salut citoyen. Dans certains cantons, voire la ville de Zurich, il est d'ailleurs permis aux cyclistes d'utiliser les passages de piétons sans pour cela qu'ils soient amendés.

Si l'on considère que le comportement du cycliste est en général similaire à ceux des piétons, il conviendrait d'avoir une approche différenciée de celle des engins motorisés. En effet, le cycliste tout comme le piéton, utilise sa propre énergie de propulsion, et donc, par la force des choses non seulement circule à vitesse réduite, mais est à même de contrôler celle-ci de manière aisée en cas de difficulté. Le fait d'être dépourvu de toute carapace métallique le rend exsangue de toute agressivité et dangerosité envers les piétons et, au contraire des motorisés, il devient complice au point de cohabiter en harmonie avec ceux-ci.

D'autre part, est-il nécessaire de rappeler les bienfaits pour la population de ce moyen de déplacement pour comprendre que si on veut l'encourager, il faut qu'il bénéficie d'une logistique adéquate. Parmi ces bienfaits, nous citerons son incidence au niveau de la santé où il contribue à la pratique d'exercice bien souvent salutaire, de l'environnement en contribuant à la qualité de la vie de notre République, et au niveau social par son aspect convivial.

A l'heure où notre canton souffre d'un excès de circulation automobile, il est urgent de sensibiliser la population à l'usage de la bicyclette en améliorant les conditions d'utilisation de ce mode de déplacement et de transport.

C'est dans cet esprit que nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

Proposition de motion(1265)

proposant une extension du réseau de pistes cyclables à Genève

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les cyclistes qui veulent entrer à Genève en provenance des villes et villages de la rive droite rencontrent de nombreux obstacles, ne serait-ce que le bruit et la circulation très dense sur la route de Suisse. Dès lors, l'opportunité d'étendre le réseau des pistes cyclables en coordination avec la construction de la 3e voie CFF a été étudiée par l'ASPIC, en 95. Nous joignons cette première préétude, ainsi qu'une pétition à ce sujet, à l'exposé des motifs de notre motion.

Le DTPE, en coordination avec le DJPT, pourrait dès lors profiter des travaux de la 3e voie CFF, pour essayer de concilier à moindres coûts les besoins des cyclistes et la nécessité d'encourager ce mode de transport.

Nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de faire bon accueil à cette proposition de motion et de la renvoyer directement au Conseil d'Etat. Page 3

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Débat

M. Alberto Velasco (S). Récemment, notre collègue Koechlin se plaignait, dans une interpellation, de l'imprudence dont les cyclistes faisaient preuve... Ils ne font pas preuve d'imprudence, mais bien plutôt preuve de courage. Essayez, par exemple, de traverser le pont de la Coulouvrenière, le pont du Mont-Blanc ou la rue des Deux-Ponts, et vous verrez !

Certaines artères permettent aux cyclistes et aux automobilistes de coexister... (Brouhaha.) Considérant que la vitesse de déplacement des cyclistes s'apparente bien souvent à celle des piétons, nous demandons au Conseil d'Etat d'aménager des pistes cyclables, partout où cela est possible mais sans que ce soit au détriment des piétons, et de répondre aux invites de la motion.

M. Gilles Desplanches (L). Le but de cette motion est de favoriser l'usage du vélo dans le canton et de permettre aux cyclistes d'utiliser les trottoirs comme couloirs de circulation. Car il est vrai qu'à certains endroits l'usage du vélo peut s'avérer dangereux, comme l'a souligné M. Velasco.

Par contre, je crois que cette motion sous-estime dangereusement la cohabitation entre les cyclistes et les piétons. Si on acceptait de libéraliser - si j'ose dire - l'usage des trottoirs aux cyclistes, on pourrait craindre un certain nombre d'accidents. Chacun ici connaît les problèmes rencontrés par les cyclistes, par contre personne ne doit ignorer que les trottoirs sont réservés aux piétons, donc à des familles avec enfants et des personnes âgées, qui ont également droit à un minimum de sécurité. A mon avis, le fait de permettre, même à certains endroits seulement, aux vélos d'utiliser les trottoirs va immanquablement porter préjudice aux piétons.

Par ailleurs, certains cyclistes ne manqueront pas de se livrer à un véritable gymkhana sur ces trottoirs. Loin de donner une sécurité supplémentaire à ces cyclistes, cela engendrera, en outre, une forte insécurité, incontrôlable, pour les piétons, alors que l'usage des trottoirs est destiné en priorité à ces derniers. Il faut souligner encore que les piétons se déplacent plus lentement que les vélos. Je peux vous dire - car je pratique le cyclisme - que les vélos roulent entre 18 et 20 km/hre, ce qui fait que la différence entre le vélo et la voiture est la même qu'entre le vélo et le piéton. Or, c'est au piéton que l'on doit accorder un maximum de sécurité.

Je propose donc le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.

Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Le groupe démocrate-chrétien comprend tout à fait la démarche qui sous-tend la motion. Circuler à Genève en vélo à certains endroits et à certaines heures peut effectivement s'avérer dangereux.

Mais les motionnaires proposent en fait - M. Desplanches l'a indiqué - un transfert du danger. Faire cohabiter les piétons et les vélos sur le trottoir, c'est assurément encourager les accidents, et je ne pense pas que ce soit le but poursuivi par les auteurs de la motion.

Laissons donc les trottoirs aux piétons et les routes aux transports mécaniques et motorisés. Nous devons toutefois constater que les besoins en transport sont multiples et nombreux dans notre canton. Je rappellerai à cet égard que le parti démocrate-chrétien est particulièrement attaché au principe de la complémentarité des transports et que le domaine public n'est pas extensible à volonté. Il nous paraîtrait donc préférable, avant de transférer les vélos sur les trottoirs de valoriser le réseau des pistes cyclables existant et de mieux le faire connaître.

De plus cette motion nous demande de tracer provisoirement des voies pour les vélos. Mais qu'est-il prévu pour la suite des opérations ? Cette motion doit donc être examinée avec une attention particulière en commission. Nous pourrons ainsi analyser les coûts et l'opportunité des mesures qui sont proposées.

M. Walter Spinucci (R). J'aimerais apporter mon soutien à la motion 1265 qui propose une extension du réseau des pistes cyclables à Genève, cela d'autant plus que cela figure sur le nouveau plan directeur établi par la Ville de Genève.

J'aimerais néanmoins mettre un bémol à ce soutien dans la mesure où cette extension ne doit absolument pas retarder la construction de la troisième voie, notamment par une éventuelle remise à l'enquête publique de ces aménagements.

M. David Hiler (Ve). La motion 1264 nous paraît ouvrir un débat qui n'a jamais eu lieu à Genève et qui est assez important : je veux parler du statut de la piste cyclable par rapport aux trottoirs. Vous savez, par exemple, que dans certaines villes d'Allemagne, les pistes cyclables sont bel et bien séparées du trottoir, tout en en faisant partie. Une signalisation visuelle et, parfois, une différence de niveau assurent une grande sécurité pour les cyclistes. Le seul problème que rencontrent les piétons c'est qu'ils doivent faire attention au moment de traverser la route, mais c'est une question d'habitude.

En dehors de toutes les invites intéressantes - et même évidentes - de cette motion, il nous semble qu'il vaut mieux prendre le temps de l'étudier en commission des transports plutôt que de la renvoyer directement au Conseil d'Etat. Cela permettra peut-être de changer un peu notre manière de faire à l'avenir - s'agissant des pistes cyclables - avec l'avantage non négligeable que la méthode choisie à Genève, qui consiste à placer les pistes cyclables sur la chaussée, impose parfois des aménagements de la chaussée, avec notamment des places de parking en épi ou au centre, qui esthétiquement - c'est le moins que l'on puisse dire - laissent profondément à désirer et qui, en plus, sont relativement compliqués à réaliser. A ce stade, il nous semble qu'il serait tout de même judicieux d'avoir une discussion sérieuse en commission sur le type de pistes cyclables que nous voulons désormais à Genève.

C'est la raison pour laquelle notre groupe souhaite instamment le renvoi de cette motion à la commission des transports.

M. Gilles Godinat (AdG). Je réagis aux inquiétudes exprimées par M. Desplanches, même si je les partage en partie. La sécurité des piétons doit effectivement rester prioritaire, et il n'est pas question de la remettre en cause. Par contre, la motion - ce n'est peut-être pas suffisamment précisé - prévoit que la cohabitation ne doit se faire qu'aux endroits où elle est matériellement possible. C'est dire que nous ne voulons pas créer des zones d'insécurité pour imposer cette cohabitation à tout prix. Notre demande ne s'exerce donc évidemment qu'en fonction des possibilités. Les piétons et les cyclistes doivent y trouver leur compte.

M. Chaïm Nissim (Ve). Comme mon collègue Spinucci, je m'exprimerai sur la motion 1265 : je vous la présente en quelques mots. Il s'agit effectivement de profiter de la construction d'une troisième voie CFF pour examiner la possibilité de construire également une piste cyclable le long de cette troisième voie. J'avais du reste proposé un plan à cet égard.

Il faut renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat. Je répondrai à M. Spinucci, qui s'en inquiétait, qu'il n'est bien sûr pas question de retarder la construction de la troisième voie CFF. Il faut toutefois examiner la possibilité de prévoir une piste cyclable à l'occasion de cette construction.

M. Bernard Annen (L). Je tiens tout d'abord à vous dire que je suis tout à fait d'avis qu'il faut éviter tout danger pour les piétons qui utilisent les trottoirs. M. Gilles Desplanches a raison : nous ne devons pas prendre de risques inconsidérés dans ce domaine. Je partage également l'analyse de M. Hiler : nous devons tout faire pour trouver les moyens de faire cohabiter les utilisateurs de la chaussée.

Mais, bien que je fasse autant sinon plus de vélo que la plupart d'entre vous, je m'opposerai à la création de toute piste cyclable sur un trottoir dont la largeur ne le permet pas. Par contre, puisque aujourd'hui on fait des trottoirs de 6 à 8 m de large pour empêcher les voitures de circuler normalement, autant en profiter pour que les vélos puissent circuler sans danger. En effet, à force de vouloir empêcher les voitures de circuler en rétrécissant les voies de circulation, les vélos courent de plus en plus de risques. Et je défie quiconque de traverser le pont du Mont-Blanc sur la route : c'est un réel danger. J'ai donc, pas plus tard qu'hier, traversé le pont du Mont-Blanc sur le trottoir en pensant à l'intervention d'aujourd'hui. Quoi qu'on en dise, et M. Ramseyer pourra me mettre l'amende qu'il veut, je continuerai à rouler sur le trottoir pour traverser le pont du Mont-Blanc, parce que ma vie vaut plus que les 100 ou 150 F d'amende qu'il m'infligera. (L'orateur est interpellé.) Je les payerai, ne vous inquiétez pas ! Une vie vaut bien plus cher que cela !

Par contre, nous devons trouver les moyens de cohabiter. Mais ce serait peut-être une erreur de vouloir mettre une piste cyclable sur le pont du Mont-Blanc, et je vais vous expliquer pourquoi. En effet, j'ai vu un jeune traverser le pont du Mont-Blanc en vélo en faisant du slalom entre les voitures. C'est la crainte exprimée par M. Gilles Desplanches : il a raison. Si on mettait une piste cyclable sur le pont du Mont-Blanc, certains cyclistes feraient la compétition pendant que les piétons, eux, regardant le paysage, oublieraient l'existence de la piste cyclable et, sans faire attention, empiéteraient sur cette dernière, risquant justement des accidents.

De mon point de vue, il faudrait tout d'abord respecter les utilisateurs des chaussées, quels qu'ils soient. Par exemple, au pont du Mont-Blanc, il faudrait décréter que le piéton a la priorité. Les cyclistes ne devraient donc pas être autorisés à circuler sur le pont du Mont-Blanc. Ils devraient tout au plus être tolérés dans la mesure où ils roulent à la vitesse du piéton. M. Desplanches a raison : à 15 ou 20 à l'heure, le risque d'accident est trop élevé, et nous ne pouvons pas le prendre, ni pour les enfants ni pour les personnes âgées. Par contre, si les vélos roulent à la vitesse des piétons la sécurité est assurée. Ceux qui veulent faire du vélo pour faire du sport n'ont qu'à aller à la campagne, ou ailleurs.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous propose, comme M. Hiler, de renvoyer ces motions à la commission des transports, pour essayer de rendre possible la cohabitation des uns et des autres.

Je donnerai encore un exemple concernant l'utilisation des couloirs prévus pour les bus - ce que je fais aussi, Monsieur le président ! En effet, je m'y sens en sécurité, mais, lorsqu'un bus arrive, je me retire pour lui laisser la priorité et ne pas le retarder. C'est cela la cohabitation : il n'y a pas besoin de réglementer... Il suffit d'éduquer les gens ! N'imposez donc rien, car en imposant vous risquez d'aboutir aux effets inverses de ceux que vous voulez et d'amplifier les risques d'accident.

Le président. Le renvoi en commission a été demandé pour les deux motions, je vous prie donc de vous exprimer sur le seul renvoi en commission. Monsieur Velasco, vous avez la parole.

M. Alberto Velasco (S). Mon groupe se rallie à la proposition de M. Hiler de renvoyer ces motions en commission.

J'aimerais toutefois ajouter que c'est parce que la voiture prend trop de place que nous sommes amenés à faire de telles propositions.

D'autre part, je constate que la majeure partie des députés qui circulent en vélo ont l'habitude de circuler à vitesse réduite, que ce soit dans les couloirs des bus ou sur les trottoirs. C'est donc une mesure déjà appliquée dans les faits.

M. Gérard Ramseyer. Je vous donne un éclairage rapide sur la motion 1264. J'aimerais d'abord rappeler la détermination du Conseil d'Etat à l'égard du mode de déplacement deux-roues, volet dont il a la volonté de développer le réseau existant, dans un esprit de complémentarité. Un nouveau projet de loi d'investissement vous sera prochainement présenté à cet égard, conjointement au budget.

Les investissements projetés, alliés à ceux adoptés par les communes, permettront une amélioration notable au profit des deux-roues, même s'il convient de relever les efforts déjà entrepris, ne serait-ce que les 60 km de pistes cyclables réalisées en Ville de Genève.

J'ajoute que le volet deux-roues est systématiquement associé à tous les projets d'aménagement routier, afin de rendre continus et cohérents les itinéraires cyclables.

Concernant l'invite N° 1, j'aimerais relever qu'à certains endroits, et pour autant que la largeur du trottoir le permette, un partage de l'espace entre cyclistes et piétons est envisageable. Notons toutefois que les gabarits genevois ne correspondent pas aux trottoirs des villes allemandes, par exemple. Au surplus, les espaces en question sont déjà souvent encombrés par du matériel urbain, des terrasses, etc. Il faut donc à un certain moment savoir ce que l'on se veut !

Concernant la deuxième invite, mon département et l'office des transports et de la circulation participent activement à plusieurs actions de promotion du vélo, notamment avec la Ville de Genève dans le domaine des publications, des comptages, des études, etc. Il convient également de citer notre soutien et notre engagement en faveur de la semaine «promo vélos» organisée chaque année au printemps en faveur du vélo. Je précise à l'intention de mes sept députées et cyclistes préférées que les invitations seront lancées ces prochains jours.

Pour ce qui est de l'invite N° 4, dans le but d'assurer la capacité nécessaire sur le réseau primaire du pourtour de la Rade, des itinéraires alternatifs ont été réalisés dans un premier temps : place Bel-Air; pont des Bergues; quartier des Pâquis. Une nouvelle étape sur l'axe envisagé ne peut intervenir en l'état sans compromettre gravement la fluidité globale du trafic, transports collectifs compris. J'attire donc votre attention sur le fait que l'invite N° 4 ne respecte pas la notion de complémentarité.

L'invite N° 5 appelle le commentaire, très bref, suivant : c'est par la tolérance et le respect réciproques que la cohabitation doit s'instaurer dans les zones piétonnes et non par la multiplication des signaux, onéreuse et souvent disgracieuse en de tels endroits. Pour cela le cycliste doit garder constamment à l'idée le fait que la priorité revient au piéton. La sensibilisation sur ce point doit être prévue régulièrement; c'est le cas cette année, puisqu'à l'initiative du Conseil de la sécurité routière quatre campagnes successives, d'avril à octobre 1999, ont été lancées sur ce thème.

Dernière invite, enfin : la sixième. Les feux spécifiques pour vélos sont mis en place lorsque ces derniers bénéficient d'une phase propre, indépendante des autres mouvements de circulation. Cela dépend de la configuration du carrefour. Nous généralisons effectivement ce type d'équipement.

Cela étant, le Conseil d'Etat est prêt à débattre de cette motion 1264 en commission. Quant à la motion 1265, qui n'a pas appelé beaucoup de débats, j'aimerais simplement rappeler le rôle essentiel que jouent les communes dans les aménagements le long des voies CFF. Par conséquent, pour que l'Etat puisse s'investir, faut-il que les communes entrent en matière à ce sujet.

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, ce que je voulais vous indiquer aujourd'hui.

M 1264

Le président. Nous sommes en présence de demandes de renvoi en commission. Monsieur Desplanches, vous avez la parole.

M. Gilles Desplanches (L). Je demande le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.

Le président. Bien, nous voterons d'abord sur la proposition de renvoi en commission, puisqu'elle a la priorité sur les autres propositions. Je soumets donc à votre approbation le renvoi de la proposition de motion 1264 à la commission des transports.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des transports.

M 1265

Le président. Je soumets donc à votre approbation le renvoi de la proposition de motion 1265 à la commission des transports. (Contestation.)

Mesdames et Messieurs les députés, une proposition de renvoi à la commission des transports a été faite... Monsieur Nissim, vous avez la parole.

M. Chaïm Nissim (Ve). Il y a eu seulement deux interventions sur la motion 1265, faites par M. Spinucci et moi-même, et nous avons demandé tous les deux qu'elle soit renvoyée directement au Conseil d'Etat. Et il n'y a pas eu de demande de renvoi en commission pour cette motion !

Le président. Monsieur Nissim, il faut suivre les débats ! Il y a eu une proposition de renvoi en commission, que je soumets à votre approbation...

M. Chaïm Nissim. Non ! Non, Monsieur le président !

Le président. Si, je l'ai même signalée au moment où elle a été faite. J'ai même précisé que les interventions ne devaient plus porter que sur le renvoi en commission.

Je soumets donc à votre approbation le renvoi de cette proposition de motion à la commission des transports.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission des transports est rejetée.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion

(1265)proposant une extension du réseau de pistes cyclables à Genève

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:

le besoin de pistes cyclables sûres et tranquilles, à des coûts raisonnables, en particulier sur la rive droite près de la route de Suisse ;

l'opportunité à saisir lors des travaux concernant la 3e voie CFF ;

invite le Conseil d'Etat

à étudier l'opportunité d'une extension du réseau de pistes cyclables en rapport avec la construction de la 3e voie CFF.

 

13. a) Rapport de la commission ad hoc chargée d'étudier la résolution de Mmes Fabienne Bugnon, Jeannine de Haller et Marianne Grobet-Wellner pour la nomination d'une commission d'enquête parlementaire ad hoc sur les événements qui ont secoué Genève durant la commémoration du 50e anniversaire de l'OMC. ( -)

 b) Proposition de résolution de Mmes et M. Elisabeth Reusse-Decrey, Anne Briol et Christian Ferrazino adressée au Conseil d'Etat pour qu'il mette sur pied dans les trois mois des Assises au sujet de la violence. ( )

R 370 A

RAPPORT DE LA MAJORITÉ

Chacun se souvient des manifestations qui ont accompagné la conférence internationale de l'Organisation mondiale du commerce, au mois de mai 1998 à Genève. Des actes d'une violence sans précédent lors d'une manifestation dans notre ville ayant été commis, le Grand Conseil a décidé de charger une Commission d'enquête parlementaire d'établir les faits et d'en rechercher les causes, ainsi que de déterminer, autant que faire se peut, comment éviter de tels agissements à l'avenir.

Pour mener à bien sa tâche, la commission a procédé, sous la présidence éclairée de Mme Fabienne Bugnon, à 14 auditions au cours des 15 séances qui ont eu lieu du 11 juin 1998 au 9 février 1999. Mme Nicole Seyfried a pris d'excellentes notes de séance, qu'elle en soit remerciée.

Il faut encore préciser qu'à partir du 8 octobre, la commission a siégé dans une composition réduite. En effet, les représentants des partis libéral, radical, démocrate-chrétien et socialiste ont déclaré qu'ils exigeaient le départ de l'un des commissaires désignés par l'Alliance de Gauche, sans quoi ils refusaient de siéger désormais. Les autres commissaires, députés de l'Alliance de Gauche et des Verts, en ont donc pris acte et ont nonobstant mené à bien leur tâche.

Introduction

1. Des bâtons dans les roues de la commission d'enquête

Une circonstance particulièrement fâcheuse est venue entraver les travaux de la commission :

Parmi les auditions prévues, deux n'ont pas pu avoir lieu. Les personnes en question étaient des fonctionnaires et n'ont pas reçu l'autorisation de leurs supérieurs hiérarchiques de s'exprimer devant la commission. L'une, assistante sociale, travaille pour le Département de l'instruction publique; l'autre est un membre de la police qui a assisté aux manifestations dans le cadre de ses fonctions.

Ces décisions du Conseil d'Etat ont été fortement blâmées par les commissaires. En particulier, dans le cas du policier, ce dernier s'était déjà exprimé dans les colonnes de « l'Hebdo » au sujet des événements du mois de mai. La commission (alors encore dans sa composition de 15 membres) a jugé inadmissible ce refus, maintenu malgré l'insistance des députés. Une commission d'enquête doit avoir les moyens de procéder à ses investigations.

Le motif invoqué par M. Ramseyer, chef du Département de justice et police, pour justifier l'interdiction faite au policier de se présenter à l'audition était particulièrement choquant : il s'agissait en effet de préserver l'aspect physique du policier vis-à-vis de l'un des commissaires. Il a semblé scandaleux aux commissaires que des soupçons - injurieux quoique indéfinis - puissent ainsi être jetés sur l'un d'entre eux. De plus, le chef du département invoquait des échos parus dans la presse pour émettre des doutes quant au travail de la commission, sa composition, et la responsabilité de la présidente à cet égard.

2. Manifestations de mai 1998 contre l'OMC : Compte-rendu chronologique des faits

L'AMP (Association mondiale des peuples), organisateur des manifestations, avait annoncé quatre manifestations : samedi, mardi après-midi, mardi soir et mercredi. Seule celle du samedi a reçu autorisation de la police. Celle du mardi soir, le « chahut de nuit », sera annulée, les organisateurs ayant annoncé cette décision la veille par voie de presse.

Vendredi 15 mai et samedi matin

Arrivée de représentants de divers mouvements de France, d'Italie, d'Allemagne. (Une grande partie seront refoulés à la frontière ou une fois arrivés en Suisse.) Installation d'un camping sur la plaine de Plainpalais, et au Foyer Saint-Boniface.

Samedi 16 mai

A 14 heures, rassemblement sur la place Neuve des participants à la manifestation organisée par l'AMP. Vers 14h30 arrivent de la rue du Conseil-Général environ 200 manifestants groupés et « cagoulés », avec des hampes taillées en pointe, des sacs, de la peinture dans des caddies, etc.

14h30 : Départ du cortège (5000 personnes selon la police, 8 à 10 000 selon les organisateurs), de la place Neuve vers l'OMC, avec fanfare, sono, tracteurs.

Incidents sur le parcours : sprayages de banques et bris de vitrines (fast-foods, une voiture de sécurité.). Les organisateurs interviennent à plusieurs reprises (répondant aussi à des appels téléphoniques de M. Baer). Au bout de la rue de Lausanne, un hélicoptère survole à basse altitude la manifestation. Arrivée devant la zone interdite (devant l'OMC) ; l'affrontement qui s'amorce avec la police est évité.

Après les discours, le gros de la manifestation se retire au carrefour rue de Lausanne/avenue de France, où une « street party » et un repas se déroulent en musique. D'autres personnes, restées en arrière près du barrage de police, retournent une voiture appartenant à une mission diplomatique.

Le soir venu, vers 22h30, les manifestants retournent place des 22-Cantons où M. de Marcellus dissout la manifestation. Sur le trajet, sprayages et bris de vitrines. Place des 22-Cantons, un char de musique techno joue encore, quantité de badauds rejoignent la fête. Des manifestants brûlent leur propre voiture récupérée à la démolition. Intervention des pompiers et de la police. Selon les témoignages recueillis par la commission, un groupe d'une dizaine d'individus masqués se seraient regroupés sur le parvis de l'église Notre-Dame ; le pavage est arraché, on s'en sert pour briser diverses vitrines. La sono est immédiatement coupée et évacuée en direction de Plainpalais, où M. de Marcellus raccompagne les campeurs.

Sur le chemin de Plainpalais, les casseurs sont à nouveau en action, d'autres vitrines sont brisées, des magasins pillés. Une gendarme chargée de la circulation est agressée et molestée.

Sur la Plaine, des pierres provenant de deux gros tas de cailloux d'un chantier sont jetés contre la police, ainsi que des bouteilles. Celle-ci survole la place en hélicoptère (cet hélicoptère circulera tous les jours jusqu'au mercredi). Les observateurs distinguent deux groupes : les campeurs, assis calmement, et les lanceurs de pierres. Vers 1h15, la police recule et quitte la Plaine en espérant que la tension diminue. Sans succès. Selon les témoignages recueillis par la commission, il y a des blessés (dont un par la police) hospitalisé aux soins intensifs. A 1h30, la police, après 5 sommations, commence des tirs de gaz lacrymogènes. Plusieurs membres du service d'ordre de la manifestation de l'après-midi affirment s'être efforcés spontanément toute la nuit de ramener le calme, qui revient progressivement vers 2h30.

Dimanche 17 mai

Dans les rues, quelques contrôles de police et interpellations sont signalés par les organisateurs.

Lundi 18 mai

Annonce par voie de presse de l'annulation du chahut de nuit du mardi. Diverses actions de désobéissance civile non-violente (sit-ins, etc.) sont organisées durant la journée par les organisateurs de l'AMP. La police signale que des groupes de manifestants utilisent le site d'Artamis, l'ilôt 13 et le parc des Cropettes comme lieux de rassemblement. Les forces de l'ordre sont principalement engagées pour assurer la surveillance du périmètre de sécurité et couvrir la visite du président Clinton.

Vers 19h30, un groupe de manifestants descend de la gare vers Plainpalais.

Vers 21h45 environ, le groupe (environ 200 personnes d'après la police) est bloqué à la place Neuve par les forces de l'ordre. Là, il y a de la musique. Des jeunes se livrent à quelques escarmouches avec la police. Vers minuit, la situation menaçant de dégénérer, les tenants de la sono l'éteignent et s'en vont. Dissensions au sein du rassemblement entre casseurs et non-violents. Des manifestants (un groupe d'une cinquantaine de jeunes) rejoint la plaine de Plainpalais. Ces manifestants font un feu avec des balustrades de chantier et s'installent autour du brasier. Echauffourées entre jeunes et forces de l'ordre.

Vers 1 heure du matin, des agresseurs lancent des barres de fer et des cailloux de ce même chantier contre la police. Deux inspecteurs en civil sont violemment agressés et grièvement blessés.

Mardi 19 mai

Dès 18 heures, un millier de personnes environ se rassemblent à la zone piétonne du Mont-Blanc. Mains liées et bouches bâillonnées, le cortège se rend à l'île Rousseau. La manifestation, calme, est suivie d'un atelier de techniques de manifestation non-violente. Vers 21 heures, il ne reste que quelques membres de l'AMP sur l'île Rousseau. Entre-temps, des personnes sont interpellées et arrêtées à la rue des Bergues après des fouilles sommaires.

Le soir, environ 500 personnes sont au rendez-vous au rond-point de Plainpalais pour le « chahut de nuit contre travail de nuit » organisé avec des milieux syndicaux. On remarque un grand nombre de jeunes de 13 à 20 ans. M. de Marcellus et d'autres annoncent à trois reprises l'annulation de l'action ; les organisateurs et nombre de personnes s'en vont.

Vers 23 heures, des jeunes et divers émeutiers, environ 400, se livrent à des déprédations sur un bus TPG, des vitrines, une cabine téléphonique, et à des pillages. Certaines personnes bombardent la police avec des pierres du chantier (qui auraient été remplacées entre-temps par la Municipalité). Au bout d'une heure de ces diverses provocations, la police se déploie en cordon, et lance 5 sommations pour ordonner la dispersion des manifestants et des curieux, annoncer l'usage de gaz lacrymogènes, et informer que toutes les personnes interpellées dans le secteur sont passibles du délit d'émeute. Tirs de gaz lacrymogènes.

Une course-poursuite s'engage entre les jeunes, les policiers et les badauds. Quelques groupes d'une vingtaine de personnes s'engagent dans les rues adjacentes et y causent des dégâts. Nombreuses interpellations.

Vers 3 heures, la police investit le site d'Artamis et y interpelle un grand nombre de personnes. Ces dernières sont emmenées au poste du Bachet où elles seront enchaînées à des poteaux, faute de place et de locaux adaptés.

Mercredi 20 mai

Vers midi, 150 personnes environ se regroupent devant l'ONU pour une action de désobéissance civile non-violente annoncée la veille. Sur place, l'action qui va se dérouler est de nouveau expliquée aux manifestants et à la police par haut-parleur. Les manifestants veulent tenter de franchir le barrage de police - sans violence et sans répondre aux coups éventuels - pour entrer à l'ONU où se tient la dernière conférence de l'OMC.

La police lance une sommation, puis tend un filet sur toute la longueur nord de la place des Nations et matraque les manifestants. Les forces de l'ordre interpellent 9 personnes et les emmènent. Plusieurs affirment avoir été violemment agressése par la police après leur arrestation (témoignage recueilli par la commission) et présentent des certificats médicaux attestant de leurs blessures. Après quelque temps, les organisateurs interrompent l'action (toujours non-violente) et organisent un sit-in face aux policiers.

Bilan de ces 5 journées selon les recoupements de la commission : 15 policiers blessés dont deux très grièvement. 180 plaintes de particuliers pour dommages à la propriété. 300 personnes interpellées dans la rue, dont certaines passent plusieurs jours en prison avant que leur emploi du temps soit vérifié. 107 personnes déférées devant le juge d'instruction. 77 plaintes de manifestants contre la police, dont 20 plaintes pénales pour lésions corporelles, injures et divers.

Un manifestant, journaliste, constate par la suite que son nom figure sur une longue liste de « participants à la manifestation violente du 16 mai » dans le fichier de la police fédérale. Les blessés du côté des manifestants comme de celui des pilleurs n'ont pas pu être évalués dans leur ensemble ; toutefois la commission a répertorié au moins trois cas graves. Des mesures indéterminées d'expulsion administrative du territoire suisse ont été prises par les autorités.

Auditions

Audition de l'Association mondiale des peuples, représentée par MM. Hausser, Gargantini et de Marcellus ( 18 juin 98).

M. de Marcellus rappelle que la manifestation a été organisée en vue de protester contre la conférence de l'OMC, au niveau non seulement local, mais également international L'un des quatre principes de base de l'AMP est la résistance non-violente. Localement, l'organisation de la manifestation s'est  faite comme d'habitude, avec l'intention d'introduire la notion de désobéissance civile non-violente, nouvelle forme d'expression déjà expérimentée dans les pays nordiques et issue des délégués indiens. Personnellement, M. de Marcellus pensait que le fait d'expérimenter cette forme d'expression constituait un apport, puisque dans les pays latins elle est encore peu utilisée.

Malheureusement, en partie à cause de la police, mais surtout à cause de la presse, estime M. de Marcellus, il y a eu une anticipation sur les dérapages qui ont eu lieu. En effet, avant même la première information publique, la presse a publié des manchettes du type « la police sur les dents » et dans la « Tribune de Genève » des pages entières ont été consacrées à « Mai 98 de tous les dangers ». Lors de la conférence de presse de l'AMP faisant suite à ces déclarations, il a été dit ouvertement que ce genre d'articles ne facilitait pas la tâche des organisateurs de la manifestation, qui se voulait avant tout festive et non-violente. De plus, il a été précisé que c'est surtout la désobéissance civile non-violente qui a été prônée.

Cependant, la « Tribune » a fait mention de cours de résistance à la répression policière et de l'intention de pénétrer dans le périmètre interdit. Il s'agit là d'un cas de désinformation. Les organisateurs avaient reçu l'autorisation de manifester devant l'OMC, alors que la presse, rapportant les dires de la police, avait affirmé que cette manifestation était interdite. Le malentendu réside dans le fait que la manifestation était autorisée, mais à 100 m de l'OMC.

Depuis le début de la campagne, M. de Marcellus a été surpris par la sensibilité de la population par rapport au problème de la mondialisation et par l'enthousiasme qu'a suscité la manifestation. Ce sont 8 000 personnes qui se sont déplacées, alors qu'on en attendait entre 2 000 et 5 000. Lors de la manifestation de samedi, la difficulté a consisté à contrôler une petite minorité.

En contact avec la police par le biais du commandant Baer, M. de Marcellus a rencontré ce dernier le vendredi précédant cette manifestation pour discuter de différents problèmes. M. Baer lui a dit de faire surtout attention à l'arrivée de la manifestation devant l'OMC pour qu'il n'y ait pas de tentatives de passer les barrières du périmètre interdit. M. Baer a averti qu'en cas de tentative de passer outre, la réaction de la police serait forte, la localisation étant politiquement sensible. Ainsi, selon M. de Marcellus, les organisateurs ont tout fait pour éviter les dérapages. D'ailleurs, lorsque les manifestants se sont retirés, M. Baer a félicité les organisateurs pour l'influence qu'ils ont eue sur la foule. Par ailleurs, M. de Marcellus précise qu'il était en contact permanent avec M. Baer par un appareil bip.

M. Hausser indique que trois manifestations ont été formellement organisées par l'AMP :

samedi après-midi : de la place Neuve à l'OMC ;

mardi : de la rue du Mont-Blanc à l'île Rousseau ;

mercredi à midi : sur la place des Nations.

Une 4e manifestation, à savoir le chahut de nuit, avait été prévue par le milieu syndical (le comité référendaire contre la loi sur le travail.) pour protester contre la loi sur le travail. Mais elle a été annulée suite aux événements de la nuit de samedi à dimanche.

Pour ce qui est des trois manifestations autorisées, les organisateurs ont travaillé de la même manière que pour d'autres manifestations. Ils ont pris contact avec la police et discuté du parcours, ainsi que des éléments sensibles, sachant que les deux parties ont un rôle différent à jouer. Le service d'ordre a été organisé de la manière habituelle, même s'il était plutôt renforcé en raison de la sensibilité de la situation et des annonces faites par la presse.

De fait, pour M. Hausser, la manifestation du samedi s'est bien déroulée, avec un contrôle correct, malgré quelques anicroches ciblées contre les banques. Il s'agissait davantage d'actes symboliques que d'une déprédation gratuite. L'affrontement avec la police a été évité, cette dernière s'étant conduite de manière remarquable, ne se laissant pas déborder malgré les jets de peinture et les insultes. Il en est de même pour la deuxième manifestation, qui a été dissoute sans difficulté.

La troisième manifestation devant l'ONU s'est déroulée de manière un peu différente. Alors que la volonté des organisateurs était de faire passer un message de non-violence, la réaction de la police a été excessive par rapport à la situation.

Quant aux problèmes qui ont eu lieu en ville, ils se sont produits totalement en marge des manifestations organisées par l'AMP. Cela s'est chaque fois passé après la dissolution de la manifestation.

M. de Marcellus ajoute que c'est une question de niveau. Il était lui-même en contact permanent avec M. Baer et a vu comment la police était manoeuvrée. La façon d'opérer de celle-ci était intelligente, sans provocations. Il précise que les gens du camping ont reçu et donné le signal de s'asseoir, ce que la police a compris. Les choses se sont alors calmées et la police a commencé à se retirer. Mais son repli s'est fait au mauvais endroit, à savoir à proximité d'un chantier d'où une poignée de personnes (une vingtaine) ont profité pour lancer des cailloux et ainsi provoquer la police.

Si M. de Marcellus n'a rien à dire sur le mouvement des troupes, il estime en revanche qu'il y a eu quelques bavures inexcusables, dont le tabassage d'une personne qui a fini aux soins intensifs avec les reins éclatés. Peut-être le problème se situe-t-il au niveau individuel de la résistance des hommes à la frustration et à la tension. Il est vrai que le lundi, deux policiers ont été agressés en dehors des manifestations. M. de Marcellus ajoute qu'il y a eu des matraquages dans les cars de la police. II y a manifestement eu un décalage entre les ordres donnés et le comportement individuel des policiers ; selon lui, le problème ne se situe pas au niveau du commandement.

Quant à la fin des manifestations, elles ont été annoncées au micro. Enfin, il a eu un contact avec M. Baer pendant la manifestation devant l'OMC et le samedi soir, du Centre Saint-Boniface.

M. de Marcellus reconnaît qu'il y a peut-être eu une erreur d'évaluation de la part de la police et des organisateurs. Le souci principal concernait la manifestation devant l'OMC. On était alors à mille lieues de penser que les problèmes se poseraient en ville. Ceux qui étaient à Plainpalais n'étaient pas des manifestants, mais des jeunes arrivés après coup. Il faut donc s'intéresser à ce nouveau phénomène social, les événements qui ont eu lieu n'ayant aucun lien avec l'OMC.

Par ailleurs, il qualifie l'intervention de l'hélicoptère de vaste « auto-goal», ameutant entre 400 et 500 personnes sur la Plaine à 2 heures du matin.

De son côté, M. Gargantini confirme que dans les dix minutes qui ont suivi le premier affrontement avec la police, 200 à 300 personnes sont venues assister au spectacle.

En ce qui concerne la casse, les organisateurs précisent que, grâce à une certaine expérience et à des relais dans des groupes de population, ils ont eu un écho de ce qui pourrait se passer. Mais même dans ces groupes, il n'y avait aucune information quant à l'éventuelle présence de casseurs. Le démarrage de la casse à la place des XXII-Cantons après 22 heures le samedi soir a été le fait d'un petit groupe d'inconnus.

Concernant le Palais de justice, M. de Marcellus estime qu'il y a eu toute une série d'arrestations injustifiées : une personne a été arrêtée le lundi matin à 9 heures alors qu'elle venait de rentrer à Genève et n'avait donc pas pu participer aux manifestations, une autre a été arrêtée trois fois de suite, chaque fois pour identification, et retenue pendant 6 à 8 heures, beaucoup d'autres ont été retenus trop longtemps, la tactique ayant été d'arrêter des jeunes dans la rue pour désorganiser ce qui se faisait.

Audition du comité anti-répression représenté par MM. Alain Riesen, responsable du Comité, et Pierre Linker, participant aux manifestations (25 juin 98).

M. Riesen précise que M. Linker a été témoin des violences policières.

Il informe que le comité est un comité ad hoc qui a été créé pour répondre aux familles, dont le but est de les soutenir et de réagir par rapport aux actions de la police. Il a été fondé juste après les événements avec une dizaine de personnes, dans le cadre de la Ligue des droits de l'Homme, lui-même étant membre de cette Ligue. Il paraissait nécessaire de recueillir les témoignages et les plaintes individuelles. D'ailleurs un petit livre est en cours d'élaboration. Pour l'heure, un mémorandum comprenant quatre témoignages est remis à la commission.

Selon M. Riesen, c'est la première fois qu'il y a une répression policière d'une telle ampleur. Des centaines de personnes ont été arrêtées pendant ou après les manifestations. Le climat était aux rafles et aux contrôles d'identité abusifs. Il existe de nombreux témoignages de brutalité constatée médicalement. Du point de vue du comité qu'il représente, l'attitude de la police était disproportionnée par rapport aux événements. C'est contre cette situation que le comité s'élève. 95 personnes ont été inculpées pour émeute et atteinte à la propriété. Le recours à la loi anti-émeute a été, selon M. Riesen, utilisé de manière arbitraire. Il ajoute que l'ensemble des organisateurs et des associations ont déploré et condamné la violence vis-à-vis des policiers et le bris des vitrines de commerçants. Lui-même n'est pas loin de penser qu'il y avait un caractère de provocation dans ces délits.

Par ailleurs, il souligne le fait que des manifestants ont été refoulés du territoire suisse de manière injustifiée. Certains se sont vu infliger une interdiction de territoire de 5 ans sans même avoir commis de délit. Il s'agit d'une mesure administrative grave. C'est pourquoi il serait utile d'envisager une amnistie générale par rapport à ces interdictions de séjouner en Suisse. Mais cela concerne les organes fédéraux. Ainsi, un appel a été lancé aux autorités policières et administratives pour qu'une amnistie soit déclarée et qu'un débat soit engagé.

M. Linker souhaite témoigner de ce qui lui est arrivé. Il a participé aux manifestations officielles de l'AMP, notamment à celle du mercredi sur la place des Nations dont le but était d'essayer d'entrer dans le bâtiment de l'ONU de façon pacifique et non-violente, ce qui a été clairement annoncé. Il s'est donc présenté en face des policiers et a reçu des coups de matraque sur le ventre et le torse ; il ne s'en plaint pas trop, car il s'y attendait. Mais après, lorsqu'il a réussi à se faufiler entre les policiers, il a d'abord été tiré par les cheveux et jeté à terre, puis violemment étranglé. Deux policiers l'ont ensuite relevé et maintenu pour l'immobiliser pendant qu'un troisième policier (non casqué) lui attrapait les testicules et le couvrait d'insultes. Ce policier a continué de lui serrer les testicules avant de le frapper violemment au visage, lui cassant le nez d'un seul coup.

M. Linker admet qu'il avait l'intention de franchir la barrière du périmètre de sécurité. Il ne se plaint d'ailleurs pas d'avoir été embarqué, mais d'avoir été immobilisé pour être frappé délibérément. La haine qui se dégageait des policiers était impressionnante.

M. Linker a ensuite été traîné à l'écart et attaché à une barrière avec des liens en plastique, et a une nouvelle fois été violenté (bras tordu, …). D'autres manifestants sont arrivés plus ou moins ensanglantés, et tous ont été emmenés en fourgon au Bachet-de-Pesay où ils ont été enchaînés ensemble à un poteau. Là, ils ont passé tout l'après-midi sans qu'une seule question leur soit posée, et personne ne s'est soucié de leur état. Les seuls « soins » ont consisté en un verre d'eau et un nettoyage du visage. Il n'y a même pas eu de contrôle d'identité.

M. Linker a été relâché en fin d'après-midi sur le site d'Artamis d'où il a rejoint l'hôpital par ses propres moyens. Une fois sur place, ses lésions ont été attestées par un médecin. On lui a précisé que s'il était arrivé dans l'heure qui suivait ses blessures, des soins appropriés auraient pu lui être prodigués.

Deux semaines plus tard, alors qu'il se trouvait aux alentours du Palais Wilson avant le rassemblement, 5 policiers l'ont interpellé et l'ont embarqué sans explication à Carl-Vogt où il a été interrogé pendant trois quart d'heure. Quand il a demandé pourquoi il avait été arrêté, on a prétexté, après avoir invoqué plusieurs motifs « bidons », qu'il ressemblait à une personne qui était recherchée.

M. Riesen précise qu'une vingtaine de personnes peuvent attester de ce type de violences. La réaction de la police était disproportionnée, notamment durant la manifestation devant l'ONU, ainsi qu'en dehors des manifestations.

M. Riesen indique qu'il a reçu 6 ou 7 copies de plaintes, mais estime leur nombre à une dizaine. Diverses personnes ont envoyé leur témoignage au comité, ainsi qu'une copie de leur certificat médical. Toutes ces personnes ont été blessées après les manifestations, ce qui est grave.

A la question d'un commissaire qui lui demande si des agents provocateurs ont entraîné les actes de vandalisme, M. Riesen répond qu'il y a eu provocation dans le sens que l'attaque contre les commerçants ne s'inscrivait pas dans l'action et la philosophie de la manifestation contre l'OMC. A son avis, il y a eu trois types de provocation. D'une part, avant les manifestations, un battage médiatique a annoncé des violences, alors que les organisateurs avaient clairement précisé qu'il s'agissait de manifestations non-violentes, issues du mouvement gandhien. D'autre part, de son point de vue, les bris de vitres étaient destinés à empêcher l'expression du mouvement contre l'OMC. Les effets de ce vandalisme ont été de casser une certaine expression populaire au sujet de l'OMC. M. Riesen estime que cette action de casse était délibérée dans ce but, et que d'autres ont suivi le mouvement.

M. Riesen ajoute qu'il ne sait pas qui sont ces casseurs. Quant à la troisième provocation, elle provient de la police et des nombreuses rafles qu'elle a effectuées.

Un commissaire demande qui a organisé la vente systématique de bière dans les manifestations, qui a cassé les feux rouges et ce qu'il en est de la voiture incendiée.

M. Riesen n'a aucune information concernant la vente de bière. Quant à la voiture incendiée, il était présent le samedi soir et affirme qu'il s'agissait d'une mise en scène pour une « street party ». La voiture a été amenée spécialement pour cette occasion. Il s'agissait d'un rituel lié au symbole de la voiture. Par ailleurs, il estime que, ce soir là, ce ne sont pas plus de 5 personnes qui ont commencé la casse en prenant des pavés et en les lançant aussi contre les feux de signalisation. Il les a vus, ça l'a rendu furieux et il condamne fermement les actes commis par ces personnes. La dynamique de la « street party » a été rompue et les gens sont alors partis, mais le mouvement des casseurs était enclenché.

Audition de la police, représentée par MM. Walpen (chef de la police), Prevosto (président de l'Association du personnel de la sûreté), Baer (commandant de la gendarmerie) et Gugliemetti (responsable du commissariat de campagne) (2 juillet 98).

M. Walpen déclare qu'il assume tous les ordres qui ont été donnés et en prend l'entière responsabilité.

Il aborde ensuite la façon dont les choses se sont déroulées avant les événements. La police a été confrontée à des problèmes multiples : assurer la sécurité des chefs d'Etat (dont M. Clinton) et des diplomates, surveiller les activités de l'AMP qui prévoyait diverses actions, dont une tentative d'entrer dans l'OMC et de stopper la conférence. Ainsi, la police s'est trouvée confrontée à une situation nouvelle qu'elle n'avait jamais vécue. Cette situation nécessitait des renforts, mais il n'a pas été fait appel à l'armée, car il était évident que les choses pouvaient mal se passer. Les renforts sont donc venus d'autres cantons, ce qui a constitué un dispositif relativement lourd. (Ce n'est que dimanche soir que sont arrivés 600 policiers confédérés qu'on a placé sur les sites de sécurité (ONU, OMC). Mais les effectifs sont restés insuffisants.)

A cela s'ajoute le fait que tous les délégués ne pouvaient siéger au même endroit. Il fallait donc assurer la sécurité du périmètre de l'OMC, de celui de l'ONU, ainsi que la distance entre les deux. En parallèle, la liberté d'expression des manifestants contre l'OMC devait être garantie ; on a donc pris le risque technique de laisser libre accès à la place des Nations, lieu symbolique. De plus, il fallait également gérer le quotidien de la police et assurer les transports des hôtels aux lieux des conférences. Pour ce qui est du déroulement chronologique des événements, il cède la parole à M. Baer.

M. Walpen propose de s'arrêter quelques instants sur ce qui s'est passé au Bachet-de-Pesay où avait été installé en souterrain un poste de police exceptionnel. Il indique qu'à aucun moment on avait pensé que les interpellations de manifestants seraient aussi nombreuses et que les locaux de ce commissariat de campagne s'avéreraient insuffisants. C'est à cette situation que M. Gugliemetti a dû faire face.

M. Gugliemetti indique que l'on prévoyait 10 à 15 interpellations par jour. Mais en réalité, il y en a eu entre 20 et 30. Une première salle était prévue pour une fouille sommaire et l'explication des motifs de l'interpellation. Une autre salle était destinée à une fouille plus approfondie et à l'enregistrement des dépositions. Mais le commissariat a vite été débordé et le matériel informatique s'est révélé insuffisant dès le vendredi matin avec déjà la présence d'une trentaine de personnes. Ces personnes ont été installées dans les locaux prévus, mais en raison de leur nombre, il a fallu les évacuer. Divers locaux ont été envisagés, dont le garage, mais la seule solution a été d'enchaîner les manifestants à un pilier, sachant qu'il fallait également assurer sa propre sécurité.

D'autres appareils ont ensuite été apportés pour entendre les gens plus rapidement, mais le système électrique n'a pas supporté les nombreux appareils, provoquant une panne. Il aurait également fallu plus de personnel, mais tout le monde était déjà mobilisé. Par ailleurs, un médecin était présent lors des premiers arrivages, mais il n'a pas pu rester. On a donc fait appel à un médecin chaque fois que c'était nécessaire. Quant à la nourriture, des Quick lunches et de l'eau ont été distribués. Chaque fois que cela était possible, on a essayé de garder une certaine propreté dans les locaux. Enfin, le commissariat a été débordé d'une telle façon que le personnel engagé le vendredi matin n'en est ressorti que le lundi 18 mai. Ils ont donc passé environ 40 heures sans arrêt dans ces locaux.

Reprenant la parole, M. Walpen insiste sur le fait qu'il s'agissait de conditions extrêmement difficiles et que la chaîne était la seule solution. C'est une leçon à retenir pour l'avenir : il faut trouver des locaux plus adéquats, cette situation risquant de se reproduire.

De son côté, M. Prevosto, au nom du personnel de la police, relève que M. Baer a bien défini les conditions de travail. Les cailloux, les insultes et le manque de sommeil font que les policiers étaient, à la fin, à bout de nerfs et de force. Dans ces conditions, il est intolérable d'émettre un quelconque jugement à l'encontre de ces hommes. Leur comportement a été exemplaire par rapport aux conséquences qui auraient pu en découler. Il faut relever le courage de certains gendarmes qui, blessés, ont décidé de continuer, par solidarité envers leurs collègues.

En revanche ce même respect ne s'adresse pas forcément au Gouvernement. Les conditions de travail, auxquelles sont venues s'ajouter les restrictions salariales et la proposition de ne pas payer les heures supplémentaires, créent un phénomène important de démotivation et donc un risque de dérapage. M. Prevosto estime que le nombre des blessés parmi les manifestants n'est pas très élevé si l'on tient compte des circonstances. Il ajoute que les propos outranciers de M. Ramseyer n'ont fait que radicaliser le mouvement. Quant aux manifestants, selon lui, des centaines d'entre eux étaient là pour casser (sur commande ?), dont certains jeunes « paumés », entraînant un phénomène de foule capable de tout. Pour ce qui est de la manifestation pacifique, dit-il, elle s'est déroulée sans problème.

M. Walpen indique que 18 plaintes ont été déposées dont 7 pour des cas de lésions corporelles, les autres concernant des contrôles illégaux. C'est peut-être 7 de trop, mais considérant la violence des événements, c'est peu par rapport à ce que ça aurait pu être. D'autre part, il relève que tout le monde s'interroge sur les responsabilités. La police est loin d'imputer aux organisateurs l'entière responsabilité de ces événements, car des éléments extérieurs incontrôlables sont venus pour piller. Pour M. Walpen, les organisateurs sont responsables par omission : ils n'ont pas pris suffisamment de dispositions. De plus, la manifestation devant l'ONU, le mercredi à midi, avec la ferme intention d'entrer dans le périmètre de sécurité, n'était pas incontrôlable, mais c'était une provocation intolérable. M. Walpen ajoute de manière générale qu'il faut faire la distinction entre le reflux des manifestants vers le centre-ville, en lien direct avec les gens qui ont participé à la manifestation, et les éléments extérieurs.

Suite à diverses questions des commissaires, les personnes auditionnées précisent les points suivants :

A propos de l'hélicoptère, M. Walpen indique que lorsqu'il y a une manifestation, la police est aveugle. Seule la voie des airs permet de voir où se déplacent les gens, ainsi que de surveiller le trafic. Bien qu'ayant une connotation agressive, l'hélicoptère est indispensable dans ce cas, parce qu'il n'est pas possible de gérer une manifestation en étant aveugle.

En ce qui concerne le rôle de la presse, il faut distinguer entre la presse écrite et la télévision. Il y a effectivement eu une conjoncture désagréable qui a augmenté les craintes de la police, d'autant plus qu'historiquement, c'était l'anniversaire de mai 68. M. Walpen ajoute que la presse audio-visuelle a constitué une « assurance-vie » pour la police, puisqu'elle a été présente de A à Z, 24 heures sur 24, notamment par l'intermédiaire des journalistes de « Temps Présent » ainsi que de l'équipe de FR3-Région (M. Masselot). Ainsi, rien n'a été caché. Les débordements de la police sont en réalité des calomnies. La mission de la police n'était pas de rester « zen » dans une situation aussi extrême, mais de donner de la force publique. Les gens ont été repoussés à la main et maîtrisés. Il n'y a donc pas eu de violence policière, mais usage de la force publique.

En ce qui concerne les relations avec les organisateurs, il était convenu qu'un Natel serait utilisé pour garder le contact. Le contact a effectivement été établi pendant la manifestation, puis le contact a été interrompu : soit ça ne répondait pas, soit les organisateurs se limitaient à demander quand les gens seraient libérés.

Pour ce qui est des « casseurs », M. Baer constate que des invitations ont été lancées dans le monde entier. Certains leaders y ont répondu. Cela concerne une frange de personnes d'ici et d'ailleurs (Italie, Allemagne, Suisse alémanique et surtout France), dont la culture de manifestations est différente.

Quant aux événements survenus à la place des Nations, la police a demandé aux manifestants de reculer. Puis elle a fait une sommation. Il n'y a pas eu de lacrymogènes, mais des refoulements et des interpellations. M. Baer insiste sur le fait que les policiers ont eu beaucoup de patience, peut-être trop d'ailleurs, au détriment de leur intégrité corporelle.

Audition de M. Jean Rossiaud, chercheur à l'Université (3 septembre 98).

M. Rossiaud explique que le groupe de recherches dont il fait partie s'est créé de manière spontanée avec un ensemble de personnes issues des départements de sociologie et de sciences politiques. Lui-même est maître-assistant de recherche et travaille à l'Université avec un mandat du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS). Il a mis sur pied un observatoire du système mondial des mouvements sociaux, pour lequel il a pris contact avec des assistants en sciences politiques. M. Rossiaud assure la coordination du groupe de recherches avec M. Dominique Wisler du Département de sciences politiques.

Le travail du groupe comporte deux orientations : la première concerne le phénomène de la violence par rapport aux événements et à un contexte plus large (données structurelles), comprenant également une étude sur les 10 à 20 dernières années à Genève (données conjoncturelles), notamment en tant que ville internationale. L'autre orientation consiste à dégager le caractère particulier de l'expérience genevoise, en partant du principe que la violence est une forme de relation. Cela ne concerne donc pas seulement la violence des jeunes, mais surtout les mécanismes de dérapages. Ainsi, il ne s'agit pas, pour cette recherche, de désigner les fautifs, mais de comprendre comment chaque acteur contribue à son niveau à l'émergence de la violence, ainsi qu'à sa résorption.

Le groupe n'a pas été mandaté par l'Université, ce qui le laisse libre dans sa manière de poser les problèmes. Le groupe a établi un catalogue de questions qui seront traitées en sous-groupes. M. Rossiaud poursuit en mentionnant les trois directions dans lesquelles se dirigent les recherches :

l'analyse systématique de la presse, effectuée par M. Wisler, expert en ce domaine, comprend une analyse critique des discours et une chronologie des événements ;

deux assistants, travaillant aussi comme animateurs dans des centres de loisirs, profitent de leurs contacts quasi quotidiens avec les jeunes pour leur poser des questions de manière indirecte sur leur rapport à la violence et aux institutions ;

le travail auprès de groupes tels que l'AMP, les syndicats de police et les journalistes tente de déterminer leurs rapports respectifs à la violence et leur rôle dans les événements. Le but est de privilégier une vision pratique en mettant les acteurs en face de leurs responsabilités face à la violence. Il s'agit d'une méthode peu appliquée à Genève, contrairement à Paris, par exemple.

Revenant sur la question de la grille de lecture, M. Rossiaud affirme que l'on ne peut pas concevoir une étude sur les événements sans prendre en compte le contexte structurel, comme par exemple la modification des paramètres de la société industrielle, ainsi que le contexte conjoncturel. En effet, depuis la fin de la guerre froide, avec la globalisation, le statut de ville internationale de Genève, les changements successifs de Conseillers d'Etat, des choses nouvelles sont apparues. Il se trouve que les événements sont liés à l'OMC, organisation internationale, ce qui a amené des manifestants de l'extérieur.

Selon lui, ni ces derniers, ni l'AMP ne sont responsables de la violence, mais il faut regarder du côté du contexte général.

M. Rossiaud aborde enfin la question de la déontologie. Le groupe n'a pas de charte, mais la perspective dans laquelle il travaille est que si le conflit est inévitable, la violence, en revanche, n'est pas inéluctable. Ainsi, considérer des conflits sans l'intervention de la violence est du domaine du possible. Lui-même ne se décrit pas comme non-violent, mais se dit contre l'usage abusif de la violence. Ce qui l'intéresse, c'est la résolution pacifique des conflits. Dans une vision structurelle, il est clair que la violence a toujours existé. Au niveau conjoncturel, avec la fin de la guerre froide, le rapport à la violence a changé, notamment dans les milieux d'extrême-gauche. On remarque aussi une évolution de la police genevoise depuis M. Fontanet. Pour en revenir aux événements, on dénote différents types de manifestants : les partisans de l'AMP, les personnes venues de l'extérieur, les jeunes et les squatters (ou le mouvement de contre-culture). Chaque groupe doit être différencié.

Une commissaire demande si les débordements qui ont eu lieu auraient pu se produire ailleurs en Suisse ou si Genève est un cas particulier.

M. Rossiaud indique que selon le type d'événement, local, national ou international, il attire un public différent. La mondialisation de l'économie a également entraîné celle des réseaux. La question qu'on peut se poser, c'est : pourquoi Genève tend-elle à devenir une ville « comme les autres » (Lyon, Zurich, Berne, etc.). Lui-même va participer prochainement à un colloque sur la violence urbaine, qui aura lieu à Madrid. Cela dit, il considère que Genève constitue un cas à part, même s'il est difficile de dire pourquoi. Sans doute faut-il regarder du côté de l'évolution politique.

La présidente évoque l'existence de trois groupes, à savoir celui des experts mandatés par le Conseil d'Etat, la présente commission et le groupe de recherche en sociologie. Elle demande s'il est utile d'avoir ces trois différents groupes.

M. Rossiaud estime qu'une concertation entre les groupes ne serait pas inutile, sachant que la commission d'enquête ne travaille pas au même niveau que les experts ou que les universitaires.

Audition de M. Gross, commerçant (3 septembre 98).

M. Gross se demande pourquoi on s'en est pris aux commerçants et pourquoi la police n'a pas réagi. Il estime que les commerçants sont les laissés pour compte des événements. Pour lui, l'Etat n'a rien fait. Il n'a d'ailleurs reçu aucun téléphone, aucun encouragement. Concernant les indemnités, son assurance a accepté de couvrir les frais. Néanmoins, M. Gross est resté un mois et demi sans travail.

M. Gross indique que son magasin, situé sur la place Isaac-Mercier, a été totalement saccagé à deux reprises : la première fois, dans la nuit du samedi au dimanche, il a reçu un appel téléphonique d'un ami vers 1 heure du matin, lui signalant que son magasin était la cible de pilleurs. Deux vitrines ont été brisées, une partie du matériel a été volé, une autre partie a servi à fracasser des voitures. M. Gross a appelé à trois reprises le 117, et on lui a répondu de venir déposer plainte le lundi matin. Il a passé une nuit blanche, muni d'une arme, à surveiller son magasin. Le dimanche il a fait des travaux pour remettre en ordre le magasin et installer des vitrines provisoires, le tout à ses frais. La deuxième fois s'est produite dans la nuit de lundi à mardi où, de nouveau, il y a eu casse et vol. M. Gross précise qu'il dispose d'un système d'alarme, mais que, lors de son intervention, la société de surveillance a été bloquée par la police sur la rue de Lausanne. Lui-même a été prévenu par cette société. Quant au vol, il n'y a pas eu de tri : ce qui n'a pas été volé a été saccagé. Le bilan des dégâts et des vols s'élève à Fr. 75 000.-.

Par ailleurs, il a signalé à la police la présence de 5 camionnettes portant des plaques allemandes avec des gens qui chargeaient du matériel.

Il ajoute que selon le témoignage des voisins, il y aurait eu un char transportant des pavés dans lequel se servaient un nombre important de types cagoulés.

Audition de M. André Klopmann, rédacteur en chef d'« Info-Dimanche » (17 septembre 98).

M. Klopmann rappelle que la première parution d'« Info-Dimanche » date du dimanche 17 mai, soit le lendemain de la première manifestation ; d'autres ont suivi les dimanches suivants. Ainsi, ce journal n'a rien publié avant les manifestations. Ensuite, plusieurs journalistes et photographes ont été envoyés sur le terrain, présumant que les choses pouvaient mal se passer.

Pour lever toute ambiguïté, il précise que le 17 mai, deux types d'articles ont paru, à savoir d'une part des portraits de personnalités genevoises engagées, d'autre part des comptes-rendus de la manifestation. Il reconnaît que le titre de cette édition était un titre « choc » et informe la commission que plainte a été déposée, notamment par M. Pagani. Il y a donc litige sur ce point.

Sur l'attitude générale de la presse, il admet que celle-ci a annoncé une montée de la violence. Lui-même a reçu de la documentation, et bénéficie d'« oreilles » dans la République. Il savait que la tension était en train de monter, que les policiers étaient sur les dents, et que certains messages ont été diffusés aux postes-frontières. Ce n'était donc pas du cinéma, il y avait un risque objectif d'infiltration. Selon lui, si les messages qu'il a reçus avaient été aussi bien perçus par l'ensemble du dispositif de sécurité, les responsables de ce dernier n'auraient pas commis de gaffe. Il cite l'exemple, anecdotique, mais néanmoins révélateur, de la présence de la pile de pavés. Ainsi, la presse n'a fait que signaler une montée de tension et tout le monde savait qu'il allait se passer quelque-chose.

M. Klopmann, concernant les signaux qui ont conduit à la décision de donner l'alerte, indique que le journal disposait de certaines informations et de documents. Parmi eux figurait un tract annonçant une conférence sur la résistance pacifique à la violence policière. De plus, le propre d'un journaliste est de pouvoir sentir ce qui pourrait se passer. Dans ce cas, le risque était fort, sans pour autant que l'on puisse affirmer quoi que ce soit. Pour ce qui est de l'alerte, la question était effectivement: « que faire ? » Lorsque l'on sait que la République s'apprête à recevoir des gens susceptibles de noyauter des manifestations, par ailleurs pacifiques et autorisées, faut-il ou non se taire ? En ce qui concerne les effets pervers des informations publiées par la presse, les raisons objectives des manifestants ont été plus ou moins traitées, en raison du caractère rare et impressionnant des événements. On n'a pas vu à Genève de tels événements depuis les manifestations anti-franquistes. C'est ce qui a frappé l'ensemble de la population. Et c'est vrai que tout cela a masqué les raisons objectives des manifestations.

Audition de MM. Patrice Mugny et Olivier Chavaz, rédacteur en chef et rédacteur du « Courrier » (17 septembre 98).

M. Mugny indique que « Le Courrier » a publié 16 pages spéciales avant les événements et mis deux journalistes à plein-temps sur le sujet. En tout, ce sont plus de cent articles qui ont été consacrés aux conférences et aux manifestations. On avait l'impression d'être en état de siège dès avant les débordements. M. Mugny ajoute que la presse a joué un rôle d'amplificateur en insistant sur une mise en scène terrifiante. C'était hallucinant.

Il rappelle qu'en février déjà, des gens du monde entier se sont réunis à Genève et ont décidé d'agir de manière forte. Donc déjà à ce moment, il y a eu l'annonce d'une manifestation radicale, mais non-violente. Il ajoute que sous M. Fontanet, les choses ne se seraient sans doute pas passées de la même manière, et constate que la tension a augmenté. M. Mugny voit clairement que MM. Fontanet et Ziegler avaient réussi à créer un climat pacifique lors des manifestations, laissant ainsi une large part à l'expression de la population. L'attitude de M. Ramseyer n'est pas la même et a créé une situation qui peut se reproduire. Cette situation est donc mal gérée. Du point de vue de la justice, il n'est pas admissible que l'on condamne des manifestants, alors que certains policiers n'ont même pas été inquiétés. M. Mugny estime que la police, telle que gérée actuellement, est digne de certains régimes, créant une ambiance déplaisante et qui risque de conduire à des accidents graves. A son avis, des sanctions doivent être prises.

Quant à ce qu'il faudrait faire avant, M. Mugny indique qu'il faut être conscient qu'une dose de rage couve chez certains manifestants, rage qui s'exprime, sans que l'on puisse dire ce qui va se passer. Il trouve présomptueux de dire que l'on pouvait prévoir ce qui allait se passer. Lui-même n'a pas imaginé que les événements tourneraient ainsi. Bien sûr, le fait qu'il y ait eu quelques vitrines brisées et quelques pots de peinture balancés était à prévoir. M. Mugny indique qu'il faut faire une distinction importante entre les choses et les gens : un pot de peinture n'est pas du même niveau que le tabassage d'un policier. Lui-même condamne la violence physique. Quant aux vitrines des magasins, il reconnaît que cette casse est un acte stupide, même s'il est moins violent. Et c'est le genre d'actes qu'on pouvait imaginer.

M. Chavaz dit ne pas être étonné par les événements du samedi après-midi, mais il ne voit pas comment on pouvait subodorer ceux du soir. Il précise qu'il a assisté à la manifestation de bout en bout, et qu'il n'a constaté comme dégâts que des traces de peinture, et autres déprédations habituelles et ciblées. Il estime que, pour une manifestation de 5 000 personnes, les dégâts sont dans la limite du supportable.

A la conférence de l'OMC, précise M. Mugny, se déroulait un débat fondamental sur l'avenir de l'humanité. Le fait que des jeunes se révoltent et que des gens manifestent constitue une réaction plutôt saine et salutaire. Et si le prix à payer pour cela est une montée de la tension et un peu de casse, ce n'est pas cher payé, car ce qui se passe dans le monde est bien plus grave. Il y a donc une dichotomie complète. Même les pires manifestations seront toujours moins graves que le terrorisme.

Pour ce qui est des raisons du dérapage, personne n'a de réponse à ce sujet. M. Mugny pense qu'il s'agit d'une réaction évidente d'une certaine jeunesse à une certaine société. Enfin, concernant les gens venus de l'extérieur, il n'a pas été prouvé qu'il y avait plus de casseurs venus de l'extérieur que de l'intérieur. D'ailleurs, pourquoi aurait-on fermé les frontières aux manifestants étrangers, alors qu'on laisse passer sans discussion d'autres personnes, comme certains banquiers…

Audition des journalistes de la Télévision suisse romande et de FR3 : MM. Labévière, Mariot, Boubet, Masselot et Genier (24 septembre 98).

M. Masselot précise qu'il peut faire état d'une parfaite collaboration avec la police. Pour le reste, il laisse s'exprimer les autres journalistes.

M. Labévière précise que ces reportages ont été faits en collaboration avec la TSR pour avoir le maximum d'équipes de prises de vue. Il souhaite, par ailleurs, faire trois remarques. La première, c'est que, comparativement aux conférences de ce genre auxquelles il a pu assister, il est étonnant de constater la manière dont l'OMC a organisé la sienne. D'habitude, en effet, en parallèle aux conférences d'Etats, se déroulent celles des ONG, ce qui permet la circulation de l'une à l'autre et le dialogue entre Etat et société civile. Ainsi, en terme de responsabilité, l'OMC peut se poser des questions, du fait que les ONG n'aient pas été associées aux rencontres. Pour lui, il était évident que les ONG trouveraient, de toutes manières, une façon de s'exprimer.

La deuxième remarque concerne l'aspect police/manifestants (anti-OMC et autres). D'une part, M. Labévière a trouvé intéressant le découpage de l'espace urbain des manifestants. Il estime qu'il y avait là matière à une osmose qui aurait pu être sympathique. D'autre part, par rapport à la « violence policière », il juge que l'attitude de la police était plutôt à la détente et à la maîtrise, précisant qu'il s'agit là d'une vision personnelle. A aucun moment, il n'a assisté à une volonté délibérée de violence, même lors de l'évacuation d'Artamis.

Par ailleurs, M. Labevière se dit étonné par l'absence de service d'ordre lors de la manifestation du samedi, dans la mesure où, avant même le début de la manifestation, une équipe de journalistes de la Télévision s'est fait agresser et braquer par des manifestants. Il a communiqué son étonnement aux organisateurs de la manifestation. Pour ce qui est de la manifestation à la place des Nations, il y avait là aussi une volonté que tout se passe bien. Il se trouve que les manifestants voulaient entrer dans le périmètre de sécurité, dépassant ainsi le point de non-retour. Enfin, toujours comparativement, M. Labévière pense que l'appareil sécuritaire était clairement sous-dimensionné.

La troisième remarque concerne la manière d'appréhender les actes violents. Vouloir les imputer aux étrangers et au milieu des squatters n'est pas satisfaisant. M. Labévière qualifie ces actes de violence de « hooliganisme sans football ». Lui-même a essayé de discuter avec les agresseurs, constatant l'absence de tout discours politique, pro- ou anti-OMC. Cette violence doit être assimilée à de la délinquance, pratiquée par des jeunes de 15 à 30 ans montrant une grande volonté d'apparaître, de s'affirmer. Leur comportement de groupe est assimilable à celui d'une tribu urbaine. La signification de la confrontation qu'ils recherchent pourrait être : « on existe ». Ainsi, l'aspect social tient une large place dans les événements, avec une grande volonté d'être reconnu.

M. Mariot confirme les propos de M. Labévière. Lui-même n'a été sur le terrain que lundi et mardi. Il a, lui aussi, remarqué cette dépolitisation de la violence, distinguant les manifestants anti-OMC des « hooligans ». Cette violence est l'expression d'une haine et non d'une volonté politique de changer quelque chose. L'exemple de la casse du magasin Sounds montre clairement qu'il n'y avait aucun rapport avec l'OMC. Pour ce qui est de la violence policière, il estime également qu'elle n'a pas été excessive, du moins pour ce qu'il en a vu. Il a assisté à une ou deux arrestations fermes, mais sans tabassage. Concernant l'organisation policière, elle lui a aussi paru faible, ne donnant pas l'impression d'une organisation ni d'un effectif suffisant.

M. Boubet confirme les propos de M. Masselot quant à l'accord passé avec M. Walpen : les journalistes ont effectivement pu travailler partout et correctement. Il n'a pas non plus remarqué de violence particulière, et précise qu'un micro-émetteur avait été installé sur le commandant Baer lors de la manifestation sur la place des Nations, sous réserve de confidentialité. Ainsi, ils ont pu écouter comment la manifestation était gérée et constater que la police a veillé en permanence à ce qu'il n'y ait aucun débordement. L'ensemble a été géré avec beaucoup de psychologie et avec la volonté de ne pas envenimer les choses. Pour ce qui est des nuits d'émeutes, elles n'ont rien à voir avec la nature des manifestations de la journée. C'est une autre population qui a profité de l'air insurrectionnel pour se livrer à de la casse. En fait, Genève a découvert un phénomène qui existe déjà ailleurs, en France notamment. Ces « nains à bonnet » ont simplement profité d'une occasion de débordement. Et il est réducteur de dire qu'il s'agit de jeunes des banlieues.

M. Genier estime que le dispositif policier mis sur pied le samedi était bien organisé, les quelques dégâts ayant été assumés. Ensuite, durant la nuit, c'est un noyau dur de gens qui s'est manifesté, avec lequel on n'a pas eu de contacts. Et à ce moment, c'était déjà trop tard. D'habitude, les journalistes essaient de prendre contact, avant les événements, avec les personnes susceptibles de se manifester. Or, dans ce cas, la discussion n'était pas possible sur le moment, car les médias représentaient le camp d'en face. M. Genier pense qu'il y a des tribus qui vivent en noyau fermé, influencées par l'éducation, la télévision et l'image de la police. Il rapporte qu'il a entendu des jeunes se contacter par Natel, rigolant à l'avance de ce qui pourrait se produire. S'il n'y a pas eu de déferlement, il y a quand même eu cet aspect de facilité de mouvement, liée à la possession de Natel et de voitures. Ainsi, il n'y avait aucun problème de réunir des gens venant de loin pour improviser quelque chose.

M. Genier ajoute qu'au noyau dur du milieu alternatif se sont greffés des opportunistes décidés à s'en « payer une bonne tranche », des badauds, des gens sortant des boîtes de nuit et des habitants du quartier de Plainpalais. Il y a quelque part une réflexion à faire pour sortir de l'absence de dialogue associée à l'absence de discours politique. On a perdu le contact avec une partie de la population qui a ses propres codes. Ainsi, il y a des pistes à creuser sur l'absence de communication. Parce qu'une fois dans la rue, c'est trop tard.

Pour sa part, M. Labévière estime que les causes de la violence sont en lien avec l'objet spécifique de la conférence. Cette réunion est tombée au moment où apparaissent de graves problèmes sociaux, y compris à Genève. L'OMC devient ainsi le révélateur et cristallise l'inquiétude des gens. Il y a donc un « effet OMC ». Ce qui peut se comprendre quand on est au chômage et que l'on voit les puissants de ce monde se pavaner à Davos. Et il est frappant de voir à quel point ce point de vue n'avait aucun espace pour s'exprimer. M. Labévière a suivi les petites réunions des ONG qui n'ont pas été insérées dans le processus et a constaté la frustration de ces acteurs de la société civile, dont la parole n'est pas reconnue. Il aurait donc fallu opter pour le principe du débat multilatéral.

Concernant le sous-dimensionnement de l'appareil sécuritaire, il rappelle que la visite de M. Clinton en Allemagne a mobilisé 2 000 policiers, soit le double de l'effectif prévu à Genève. Il ajoute qu'il a trouvé plutôt sympa que Genève n'ait pas engagé l'armée. Cela dit, au sous-dimensionnement s'ajoute le manque d'expérience face aux tribus urbaines, particulièrement flagrant dans l'absence de mobilité.

Quant au rôle de la presse, M. Labévière ne veut pas charger ses collègues. Il se dit cependant étonné par le parallèle qui a été fait avec mai 68. Il ajoute que dans l'émission « Temps Présent », on a essayé de suivre les événements et de restituer la parole à l'alternative politique critiquant le processus défendu par l'OMC. La violence des événements a occulté ces discours et les apports intéressants des militants venus apporter une autre vision de la mondialisation.

M. Mariot, quant à lui, rappelle, au sujet de la responsabilité des organisateurs de la manifestation, que manifestants et « hooligans » n'étaient pas les mêmes personnes, et pose la question de savoir si l'on peut demander aux organisateurs de se montrer capables de contrôler tous les débordements.

M. Genier souligne que, si les organisateurs n'ont pas fait preuve d'une maturité exemplaire, les manifestations ont néanmoins été relativement bien maîtrisées. Ils ont fait ce qu'ils ont pu, sachant qu'ils ont une expérience à acquérir. M. Genier affirme qu'il était de notoriété publique que des groupes préparaient quelque chose et indique que certaines personnes fuyaient délibérément les caméras.

Enfin, M. Boubet ajoute que les journalistes ont pu suivre de près également le côté des manifestants. Jamais M. de Marcellus ne s'est opposé à l'activité des journalistes.

Audition de M. Marco Cattaneo, rédacteur en chef de « La Tribune de Genève ».

Suite à un concours de circonstances, convoqué à deux reprises, M. Cattaneo n'a finalement pas pu être auditionné par la commission.

Audition de M. Jean-Pierre Garbade, avocat de manifestants interpellés (8 octobre 98).

M. Garbade indique qu'il défend une trentaine de personnes qui ont été interpellées, et dont les noms et les dossiers pénaux figurent dans la documentation qu'il a remise à la commission. Il fait remarquer que ces dossiers sont vides. Il ne représente donc pas la majorité des personnes interpellées, qui sont au nombre de 300 à 400, et précise que ces interpellations n'ont pas eu lieu lors des manifestations, mais le dimanche et le lundi, alors qu'aucune manifestation n'était organisée. Des rafles ont été effectuées dans la rue et les motifs d'arrestations ont été d'ordre préventif, afin d'éviter de futurs débordements. Or, dans un Etat de droit, ce genre d'arrestation ne devrait être qu'exceptionnel, en cas de danger imminent et particulièrement grave.

Il rappelle que certaines personnes ont été emmenées au poste du Bachet, puis libérées. Dès lundi, la tactique a été modifiée : trois juges d'instruction ont ordonné l'arrestation de personnes durant 2, 3 et 5 jours, prétendument pour les besoins de l'enquête. Mais aucune instruction n'a été faite. Les arrestations visaient en réalité le maintien en détention d'un maximum de monde possible pour éviter les débordements. Concernant les étrangers, les juges ont obtenu de Berne des interdictions d'entrer sur le territoire suisse.

Par ailleurs, M. Garbade signale aux commissaires que dans les dossiers de police dont il a eu connaissance, plusieurs éléments sont inexacts. Par exemple, il est indiqué que certaines personnes ont été arrêtées durant les manifestations. Or, si l'on considère l'heure de l'arrestation, on constate qu'elle se situe en-dehors de toute manifestation. Il n'y a qu'une seule personne dont la détention n'a pas été arbitraire, et qui a été arrêtée lors d'une manifestation.

Deux grandes rafles ont été effectuées. La première a eu lieu le mardi 19 au matin, au cimetière des Rois. La seconde s'est produite le soir, sur le site d'Artamis, où plusieurs personnes étaient venues dormir, alors que les émeutes avaient lieu à Plainpalais. D'ailleurs, sur la Plaine, la police avait disposé des cordons et envoyé des lacrymogènes pour chasser les gens en direction d'Artamis. Puis elle a arrêté tout le monde, sans distinction. Deux à trois mois étant passés, on pouvait penser que des comparaisons auraient été faites avec des photos prises lors des émeutes. Parmi les personnes arrêtées, une seule a été reconnue d'après une photo qui avait été prise lors de la manifestation anti-répression à la douane de Moillesullaz, le dimanche à 22 heures. Cette personne a été arrêtée trois jours plus tard dans la rue, et on lui a reproché d'avoir participé à une émeute. Ainsi, M. Garbade estime qu'il y a eu des abus de la part des policiers et des juges d'instruction.

La deuxième partie des documents remis à la commission d'enquête concerne 15 plaintes pénales qui ont été déposées en se référant à l'art. 114 sur le contrôle d'identité. M. Garbade relève que les formulaires qui ont été remplis l'ont été de manière objective, reconnaissant par exemple le fait que les fouilles corporelles ont été faites dans les règles, soit en deux temps. A ce jour, il n'y a pas encore eu de réponse. Dans les documents qu'il leur a remis, les commissaires trouveront également tout ce qui concerne le poste du Bachet: le fait que les personnes interpellées ont été attachées à un poteau durant trois heures, qu'elles ont été arrêtées de manière arbitraire, qu'elles n'ont reçu ni à boire, ni à manger.

D'autre part, dans ces mêmes documents figure un rapport selon lequel un juge d'instruction a donné l'ordre que les personnes relaxées ne soient libérées ni ensemble, ni devant la porte, mais en pleine campagne, à 300 mètres d'un arrêt de bus. Une personne a même été déposée en rase campagne. Cette situation a été particulièrement mal vécue par des Suisses allemands qui ne connaissaient pas la région. Ainsi, ce n'est qu'à 19 heures, au lieu de 11 heures, que ces personnes ont pu regagner le centre-ville. Ces dispositions auraient été prises soi-disant pour éviter que les interpellés ne rejoignent les manifestations. Or, ces personnes ont été libérées le vendredi 25, soit plusieurs jours après les manifestations. Il y a donc manifestement chicane et abus d'autorité. D'autre personnes ont également été mises directement dans le train pour Zurich, alors que rien n'avait été retenu contre elles.

M. Garbade observe que le même schéma d'arrestations arbitraires s'est produit à Amsterdam, lors de la conférence des ministres de l'Union européenne. Le tribunal vient de condamner l'Etat néerlandais à verser des dommages et intérêts, pour un montant d'environ 1 million de francs. M. Garbade a lui aussi l'intention de demander des dommages et intérêts à l'Etat de Genève. Si tous les plaignants faisaient de même, l'Etat se verrait condamné à verser près de 3 millions de francs, soit 8 000 F par plaignant, comprenant l'assistance juridique et le temps de détention.

M. Garbade attire l'attention des commissaires sur quelques dossiers particuliers. L'un concerne une arrestation sur le pont des Bergues, le lundi 18 : la personne a été détenue trois jours « à titre préventif ». Le même motif a été invoqué concernant une personne interpellée à la rue des Voisins, alors qu'elle était en train de téléphoner sur son Natel. Un autre dossier est en attente de la décision du Conseil d'Etat d'écrire à Berne pour annuler une interdiction de séjour pour une personne qui n'a pas été inculpée.

M. Garbade poursuit en soulignant qu'aucune des personnes qu'il défend n'a été accusée et aucun rapport ne mentionne de dommages à la propriété. Les juges ne se fondent que sur des ouï-dire et sur des articles de presse. Il évoque ensuite la tactique habituelle de la police qui consiste à envoyer dans les émeutes les gendarmes qui connaissent les squatters ; il est demandé à ces policiers de ne pas intervenir durant la manifestation. Ce n'est qu'après celle-ci qu'un rapport est établi. Ce système n'est évidemment pas fiable, car peu précis. Dans le cadre des manifestations contre l'OMC, le problème est que, dès le départ, la police avait assimilé l'AMP aux casseurs. Ainsi, au lieu d'arrêter ces derniers, elle s'est acharnée sur l'AMP.

La troisième partie des documents est issue des cinq personnes que M. Garbade a engagées pour parcourir les manifestations, munies d'un dictaphone. Il a demandé au procureur général, ainsi qu'au chef de la police que ces personnes ne soient pas inquiétées. Mais les deux ont refusé. Néanmoins, les cinq personnes ont pu faire leur travail et retranscrire heure par heure ce qui s'est passé. M. Garbade estime que leurs compte-rendus sont assez objectifs et que leurs observations permettent de compléter la connaissance des événements. M. Garbade demande par ailleurs que les noms figurant dans les dossiers soient gardés confidentiels.

Il évoque ensuite le cas d'un journaliste arrêté à Moillesullaz. Ce qui est intéressant c'est que, plus tard, il s'est rendu à Berne pour voir sa fiche ISIS, (le fichier de sécurité de l'Etat), et ce avant le 1er juillet, date à partir de laquelle ce fichier n'est plus accessible au public. Ce journaliste a découvert une page entière noircie de noms de personnes ayant soi-disant participé à des émeutes violentes à Genève. Il faut savoir que ces informations ont été transmises en Allemagne, et probablement aux Etats-Unis, étant donné que la prochaine conférence de l'OMC se tiendra à Washington. Ainsi, les personnes dont le nom a été transmis se verront interdites de séjour. M. Garbade estime qu'il s'agit d'un risque inconsidéré que de faire passer des personnes pour des ennemis de l'Etat ayant participé à des émeutes violentes. Non seulement la police a fourni de fausses informations, mais en plus il n'y a pas moyen de les vérifier. Les conséquences personnelles peuvent aller très loin.

M. Garbade souhaite enfin que le Conseil d'Etat accepte de dédommager les plaignants pour éviter un recours au Tribunal fédéral. Il précise que le Conseil d'Etat n'a pas encore été interpellé : il attend que les non-lieu soient prononcés.

M. Garbade poursuit en évoquant la voiture en feu, acte qui relevait d'un rituel théâtral ou d'un « living theatre », la voiture étant de toute manière vouée à la démolition. Il y avait de la musique techno, mais l'ambiance était plutôt calme. En revanche, sur le parvis de Notre-Dame, des personnes se sont mises à enlever les pavés et à les entasser, avant d'aller les jeter du côté de la rue Plantamour. Une question se pose : que faisait la police pendant ce temps-là ? En fait, elle ne se trouvait pas au bon endroit, à cause de l'amalgame qu'elle faisait entre AMP et casseurs. Les inspecteurs en civil auraient pu voir ce qui se passait, mais la police n'est pas intervenue, parce qu'elle avait reçu l'ordre de n'arrêter personne. Dès que les gens ont appris qu'il y avait de la casse, la musique s'est arrêtée, et les gens sont partis. Autre fait typique : toujours le même soir, mais quelques minutes plus tard, il y avait un cordon policier qui refoulait les gens sur la rue James-Fazy. Pendant ce temps, à deux mètres derrière les policiers, des casseurs poursuivaient leur oeuvre de destruction. Un des policiers a saisi l'un des casseurs et l'a vivement tancé. Le jeune lui a répondu, mais il n'a pas été arrêté. Ainsi, les débordements ont pu se poursuivre.

M. Garbade indique que ce genre de situation risque de se répéter, voire de s'aggraver, en raison de la récession économique et des problèmes sociaux qui y sont liés. Cette violence qui émerge est du même ordre que celle qui se produit à la sortie d'un match de football. Elle n'a rien à voir ni avec l'AMP, ni avec l'OMC. Il s'agit du même phénomène que le hooliganisme : des personnes s'identifient à un groupe en une occasion particulière. La police doit donc modifier son interprétation de la situation, ainsi que sa tactique. Sinon, les policiers resteront dans un état de frustration les poussant à chercher un ennemi, comme l'a démontré l'affaire « Sissi ». Actuellement, la cible privilégiée de la police est le milieu des squatters. D'ailleurs, ce ne sont pas des Genevois qui ont tabassé des policiers, mais des Français, alors qu'on a pu dire que c'étaient toujours les mêmes. M. Garbade précise que ses propos sont subjectifs et qu'il s'agit surtout d'impressions.

Audition de M. Alain Mathieu, éducateur de rue (26 novembre 98).

La présidente prévient M. Mathieu que sa collègue, Mme Ariane Piguet, dont l'audition était également prévue pour cette séance, n'a pas reçu l'autorisation de venir s'exprimer. Elle demande donc si M. Mathieu est aussi fonctionnaire.

M. Mathieu répond que non.

La présidente le remercie d'être venu et lui explique le but de la commission. Celle-ci souhaiterait l'entendre notamment à propos de ce qu'il perçoit comme message de la part des jeunes de la rue qu'il fréquente.

M. Mathieu a été engagé par les communes de Perly, Plan-les-Ouates, Grand-Lancy, Carouge et Bernex comme travailleur social. Sa mission est d'ordre préventif auprès de jeunes qui pourraient poser problème. Son travail est essentiellement d'assurer un lien social. En prenant l'exemple d'un bus que des jeunes ont démoli, alors qu'il leur appartenait, M. Mathieu explique le principe de l'étincelle (qui met le feu aux poudres). Selon lui, durant les manifestations contre l'OMC, l'étincelle a été fournie par le monde des adultes, en raison des enjeux de la conférence. A cela s'est ajouté un dispositif impressionnant, comme la présence d'un hélicoptère, ce qu'il n'avait personnellement jamais connu.

M. Mathieu se dit frappé par la présence de trois groupes d'intervenants. D'une part, les jeunes qui sont venus casser, sans préméditation et sans conviction politique. D'autre part, la police, particulièrement présente. Enfin, un groupe d'adultes constitué de travailleurs sociaux, de politiques, de journalistes, et venu pour comprendre. Ainsi, dans l'inconscient collectif, il y avait déjà un indice que quelque chose allait se passer. Cette troisième force a joué un rôle positif. Il y a 20 ans, ce groupe ne serait pas intervenu pendant les échauffourées.

En ce qui concerne les jeunes, même s'ils s'ont venus à titre individuel, ils ont exprimé quelque chose d'important par rapport à leur système de pensée. Une centaine d'entre eux étaient en train de poser un acte civique. Il y a eu, lors de ces journées, estime M. Mathieu, deux moments importants. Lors de la première manifestation, la police était là pour protéger les endroits stratégiques par rapport à la conférence de l'OMC. Mardi, la police a eu une autre attitude. On a eu l'impression d'un jeu vidéo géant du chat et de la souris, où les manifestants essayaient de sortir sans encombres de la manifestation. Seuls deux ou trois groupes organisés sont venus exprès pour casser. Quant à savoir s'ils étaient de Genève ou d'ailleurs, cela n'a pas d'importance.

Pour ce qui est de l'attitude de la police, M. Mathieu a l'impression que certains policiers étaient venus pour réprimer et « casser du jeune ». Il se dit choqué, mais pas étonné, de l'intervention au site d'Artamis, estimant que la police y a trouvé un site privilégié et où il y a eu confusion dans les missions : là, le rôle de la police n'a plus du tout été de faire respecter l'ordre. En réalité, il semble qu'elle ait plutôt attisé les tensions. Ainsi, il semble que les cibles visées par la police n'avaient rien à voir avec les manifestations.

Revenant sur la question de l'étincelle, M. Mathieu affirme que tout a été mis en oeuvre au niveau social pour que ces événements puissent se produire. En discutant avec les jeunes, il a de plus en plus l'impression que le message que ceux-ci cherchent à formuler est de prendre davantage en compte les individus et d'exprimer leur volonté de dire « voilà, on existe ». Cela ressort d'autant plus dans un contexte de fatalisme par rapport à la globalisation.

Enfin, concernant les millions de francs de dégâts, si la société doit effectivement mettre des cadres, il serait plus important pour elle de se demander comment prendre en compte l'avis de ces jeunes. Ces derniers ne sont pas des « déracinés », mais « bien de chez nous ». Il n'y a pas de monotype pour les définir.

Les commissaires s'étonnant du jeune âge des manifestants, M. Mathieu reconnaît que c'est la première fois qu'il voyait d'aussi jeunes manifestants. La tranche d'âge devait se situer entre 13 et 25 ans. Alors qu'avant les jeunes se regroupaient autour d'un même centre d'intérêt ou par tranches d'âge, aujourd'hui ils se constituent davantage en bandes, notamment par rapport à la musique rap, tout en étant rarement tous ensemble. Pour ce qui est de la préméditation, il n'y en a eu aucune au sens juridique du terme. Cependant, tout a été mis en place, que ce soit par la presse ou par la venue de policiers d'autres cantons. C'est ce qui a donné envie d'aller voir et a généré une étincelle. On savait qu'il allait se passer quelque chose. Concernant le pillage, la même explication peut s'appliquer : lorsque ça dégénère et qu'il y a de la casse, le pas vers le pillage est vite franchi, grâce à une certaine émulation. Il s'agit donc d'un pillage d'opportunisme.

La présidente demande si l'une des pistes de réflexion pourrait être de renforcer certains moyens, par exemple les effectifs d'éducateurs de rue et d'îlotiers.

M. Mathieu se réfère au rapport de la Commission fédérale de la jeunesse où figurent quelques éléments importants. D'une part, la violence existe, il faut donc composer avec elle plutôt que de la réprimer. Il existe donc une nécessité sociale qu'elle puisse s'exprimer. D'autre part, la politique des jeunes semble de plus en plus échapper aux décideurs politiques. La critique que l'on peut formuler à l'égard de ce rapport, est que les résolutions sont bonnes, mais qu'il faut maintenant les appliquer. Il faut pour cela redonner au politique sa raison d'être. Son rôle à lui est de créer un lien social entre les différentes composantes de la société. Le sport, par exemple, est un bon facteur d'intégration, avec sa règle du jeu à respecter. Mais si, déjà à ce niveau-là, les adultes ne donnent pas le bon exemple, il ne faut pas s'attendre à ce que les jeunes respectent les autres règles de la société.

M. Mathieu évoque aussi un certain déficit de la démocratie et du dialogue avec les jeunes. On ne peut pas dire que les jeunes n'ont pas de projets. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer la vie des lieux alternatifs. Il faut donc leur permettre de se constituer en associations. Au niveau de l'école, certains projets peuvent également être envisagés pour redonner sens au civisme et à la citoyenneté. Des îlotiers ont d'ailleurs essayé de récupérer ce thème, mais il faudrait éviter que ce soit la police qui vienne expliquer ce qu'est la citoyenneté. On peut donc imaginer un forum où la police puisse également s'exprimer. Quant aux jeunes, leurs rapports sociaux sont assez simples : on respecte les plus forts que soi, et on se fait respecter des plus faibles. Enfin, sur les moyens à mettre à disposition, il faut savoir que le problème n'est pas essentiellement d'ordre financier. La première urgence, selon M. Mathieu, est que tout le monde redevienne citoyen.

Audition de M. Serge Châtelain, ilôtier (3 décembre 98).

M. Châtelain indique en quoi consiste son mandat : ce sont les services de la gendarmerie qui, par le biais du programme Pégase, ont mis en place la fonction d'îlotier, en 1994-95. Le but est de se rapprocher du citoyen et que les gens puissent mettre un visage sur un gendarme en particulier. Dans ce cadre, les îlotiers sortent du système normal. Ils ont des contacts privilégiés avec l'ensemble des habitants d'un quartier, que ce soit avec les jeunes, les vieux, les commerçants, etc., bref, avec tous ceux qui vivent ou travaillent dans le quartier. Un dialogue est alors possible et permet de régler des problèmes de rue ou certaines petites choses, car l'îlotier connaît les raccourcis pour que chacun puisse obtenir satisfaction. L'îlotier renseigne également ses collègues sur ce qui se passe dans le quartier. Il travaille avec l'ensemble des services de police, ainsi qu'avec certains organismes sociaux, l'accent étant mis sur le partenariat.

En ce qui concerne plus particulièrement la jeunesse, M. Châtelain évoque sa rencontre avec des jeunes, réputés turbulents, du Cycle d'orientation de l'Aubépine. D'abord réticents, les jeunes ont ensuite accepté d'entrer en discussion avec M. Châtelain. Ils se sont d'ailleurs plaints du manque de dialogue avec la police. Dans ce cadre, le but de l'îlotage est aussi de briser certains carcans pour faciliter une vie sociale, l'idée étant de démystifier la police et de créer des contacts.

A la question d'une commissaire lui demandant s'il a constaté une augmentation de la violence chez les jeunes, M. Châtelain répond que, de manière générale, cette violence dépend du niveau social. Les craintes des jeunes concernent surtout l'avenir. Il n'y a cependant pas de malaise profond à Genève. C'est ce qui ressort de ses discussions avec les jeunes. Ils affirment ne pas se sentir mal. Certains ont peur de l'avenir, mais cette peur dépend souvent du niveau scolaire. D'autre part, il y a pas mal d'identification au mouvement hip hop/rap. Or, dans ce mouvement, il y a de tout, en passant du groupe NTM (violent) à IAM (plus soft). Cette identification se remarque notamment par l'habillement et le langage. On essaie de se prendre pour un jeune banlieusard, alors que les problèmes ne sont pas ceux des banlieues françaises. Ce phénomène d'identification est tout à fait normal : chacun s'est un jour ou l'autre identifié à quelque chose ou à quelqu'un. Ce qui est peut-être nouveau, c'est le facteur d'agressivité.

M. Châtelain s'est posé la question de savoir si l'OMC était un facteur important dans ces événements. Il relève qu'il y a eu autour et avant la conférence pas mal de publicité médiatique, avec des manchettes accrocheuses. Il pense que beaucoup s'y sont rendus par curiosité. L'effet de masse a sans doute déclenché le reste. Ainsi, ce sont les effets cumulés des médias et de la curiosité qui seraient à l'origine des événements. M. Châtelain n'imagine pas que des jeunes de 15-20 ans puissent avoir des idées politiques bien arrêtées et qu'ils soient prêts à descendre dans la rue alors qu'ils n'ont aucun problème d'ordre économique. Cela dépend du statut social. Au niveau des minorités, comme les Kosovars ou les Albanais, M. Châtelain signale que ces groupes discutent souvent entre eux, et qu'en parlant avec eux, il ne constate pas de problèmes particuliers, même s'il y a de temps en temps des débordements, ces derniers étant souvent le fait d'un ou deux individus.

Quant à la casse, M. Châtelain pense que la frénésie de la masse a joué un rôle. A la base, le jeune ne va pas se dire qu'il va à la manifestation pour piller. Mais comme on dit : « l'occasion fait le larron ». Chez les jeunes, le vol est souvent associé à un sport ou à la volonté de faire comme les copains. A l'époque, avoir fait de la taule était une honte ; aujourd'hui, des jeunes s'en glorifient.

2e audition de MM. Walpen et Baer, représentants de la police (10 décembre 98).

Sur demande des commissaires, les auditionnés reprennent quelques points spécifiques :

Mesures de contrainte

M. Walpen précise qu'il ne répondra pas à certaines questions, n'étant pas délié du secret de fonction par le Procureur général pour les procédures en cours. Il refuse, notamment, de confirmer les propos du policier qui s'est exprimé dans les colonnes de l'« Hebdo ».

Concernant les mesures de contraintes, M. Walpen explique qu'il s'agit de mesures qui consistent à priver une personne de sa liberté. Devant l'ampleur du mouvement, et pour pouvoir respecter le pacte de non-agression, des personnes ont été, pendant un temps bref, privées de leur liberté. M. Walpen ajoute que la police genevoise est sous-équipée en matériel et en locaux. Dans le cas particulier des personnes attachées à un poteau, il fallait s'assurer que des gens ayant commis des délits ne puissent pas prendre la fuite. Quant à la manière de les traiter, depuis le début un médecin était présent, les gens recevaient régulièrement à boire et à manger, et les policiers ont fait preuve d'un maximum de prévenance en laissant notamment les liens assez lâches pour que les gens puissent se lever ou s'asseoir.

Mesures policières et service d'ordre

M. Walpen relève que si la police n'avait pas eu d'informations préalables, elle n'aurait pas fait appel aux policiers confédérés. Ce renfort constitue l'une des mesures prises contre d'éventuels débordements. Si M. Walpen a refusé de faire appel à l'armée, ce que beaucoup lui ont reproché, c'est qu'il estimait qu'il y aurait certainement plus de dégâts. Il ajoute que la première série de casses n'a pas eu lieu lors d'une manifestation autorisée. La police n'a donc pas pu se prémunir là-contre et a été surprise de la violence de ces débordements.

M. Baer rappelle que la seule manifestation autorisée était celle du samedi après-midi. Sur le document d'autorisation il est bien spécifié que les organisateurs doivent prendre leurs responsabilités pour qu'il n'y ait pas de débordements. Il sont tenus pour responsables de la salubrité publique. Les organisateurs de la manifestation de samedi n'étant pas des novices, ils devaient savoir quelles mesures prendre. Quant aux autres manifestations, il n'y a pas eu de demande d'autorisation, alors que celle-ci n'est jamais refusée, sauf devant des organismes tels que consulats et missions. Il y a donc une injonction réciproque au dialogue, la mission de la police étant d'assurer la libre expression dans les meilleures conditions possibles.

Pacte de non-agression : est-il modifié ? - Affaire Sissi

M. Walpen souhaite que l'on puisse revenir au statu quo ante, notamment au vu des heures supplémentaires effectuées par les policiers, dont certains ont été blessés. Mais la tactique des manifestants a complètement changé. On ne peut donc exclure que ce know-how soit à nouveau utilisé ; ce savoir-faire consiste en une escalade des mesures utilisées par les manifestants. La police aurait pu sortir les balles en caoutchouc, constatant que la limite avait été franchie. Le know-how concerne des réunions, des concertations à certains niveaux par certaines organisations ou groupes périphériques. De nouveaux types de comportements sont apparus. Avant, les manifestations étaient relativement statiques : d'un côté les manifestants, de l'autre les policiers. Aujourd'hui on voit des manifestants jeter des cailloux sur les policiers puis venir discuter avec eux, les mains dans les poches. Le front est désormais plus diffus.

Dans l'affaire Sissi, le fait qu'un manifestant puisse se jeter sur une personne et lui tordre la jambe au risque de la rendre paralysée dépasse tout entendement. Ce sont des faits qui existent et qu'il faut intégrer dans l'appréciation de la situation.

M. Walpen exprime le voeu sincère d'un retour à un gentleman agreement, précisant que la police ne cherche pas à se battre. D'ailleurs, à propos de l'OMC, les préoccupations des manifestants sont largement défendues par le personnel de la police, ce qui pour certains policiers, n'était pas une situation des plus agréables.

M. Baer signale que chacun sait que moins on est en conflit avec quelqu'un, mieux on se porte. Au niveau de la tolérance, la police genevoise est une exception en Suisse. Les policiers confédérés qui ont prêté leur concours lors de manifestations ont exprimé leur étonnement devant cette méthode particulière à Genève, affirmant qu'à Zurich, par exemple, une telle situation n'aurait jamais été acceptée. Et encore, précise M. Baer, cette réflexion faisait suite au seul barrage sur la rue de Lausanne, barrage qui avait des allures plutôt folkloriques. Ainsi, cette tolérance est une exception au niveau suisse. Elle fait partie de la formation extrêmement pointue des policiers.

Revenant à l'affaire Sissi, M. Baer indique que cela n'a rien à voir avec les événements autour de la conférence de l'OMC. Il rappelle que dans l'affaire Sissi, la police était dans une complète situation d'infériorité numérique. 200 personnes étaient présentes, il y en avait partout. M. Baer ne pense pas qu'il y ait eu chez les policiers un quelconque sentiment de vengeance. Ce sentiment n'est en tout cas pas intégré consciemment. Et s'il devait l'être inconsciemment, les entraînements, ainsi que les discussions avec le personnel, permettent d'éliminer ce sentiment.

M. Baer indique que les moyens utilisés par les manifestants déterminent la procédure d'intervention de la police. Il préférerait être tolérant, mais constate que la situation est désormais différente. Un certain nombre de personnes ne veulent plus être institutionnalisées, mais vivre leur propre expérience, ce qui peut être extrêmement dangereux pour l'ordre public. Tant que les mouvements étaient institutionnalisés et donc encadrés, ils constituaient une garantie pour la police. Le défilé militaire, puis les événements de l'OMC ont révélé que l'on est sorti de ce cadre. A cela s'ajoute que le mouvement est devenu plus international. Ainsi la police continuera à agir avec tolérance, dans la mesure du possible.

Feux rouges, vente de bière - Manifestants français

M. Baer se demande si l'idée de casser des feux rouges était une idée importée. Pour ce qui est des bières, il constate que lors des concerts, la bière est omniprésente. La mode est aujourd'hui aux rollers - sac à dos - packs de bière. Ce n'est pas un phénomène nouveau. Concernant la présence de leaders français, M. Baer évoque l'exemple de jeunes interpellés aux Pâquis après qu'ils aient houspillé des automobilistes à l'entrée d'un parking. Il s'agissait d'une dizaine de jeunes, âgés de 14 à 17 ans, dont certains étaient déjà recherchés. Ce sont les mêmes qui ont participé aux débordements à Plainpalais. C'est une bande qui vient de Gex et qui est déjà venue perturber des soirées à Meyrin. Elle n'est pas forcément hiérarchisée, et agit au gré des idées qui lui viennent, soit de manière concertée, soit spontanément. Des bandes existent aujourd'hui à Genève et en France voisine, elles sont connues.

Jeunesse et violence

M. Baer reconnaît que la jeunesse en général n'est pas violente. En revanche, il constate que certains jeunes sont violents, et que la violence tend à augmenter. Des études montrent que les normes ne sont plus les mêmes : par exemple, un acte qui était considéré comme violent il y a 20 ans, ne l'est plus aujourd'hui. Les normes ont donc changé. Il est nécessaire d'intégrer cette nouvelle perception de la violence pour des questions de sécurité et de gestion globale des manifestations, sachant qu'il y a un potentiel de violence lors de rassemblements. On observe en France que de plus en plus de casseurs s'infiltrent dans les manifestations, certains étant cagoulés. Une cinquantaine étaient présents sur la place Neuve. Mais tant qu'ils restaient dans le cadre de la manifestation, la responsabilité incombait aux organisateurs. Lorsque ces manifestants envoient des cailloux ou cassent des vitrines, il attirent un certain nombre d'adhérents aux motivations diverses. Dès lors, on ne peut plus supposer que des rassemblements de grande importance ne comporteront pas de violence, sachant également que « l'occasion fait le larron ».

M. Baer constate également que des manifestations telles que le cortège du 1er mai ont évolué : aujourd'hui les organisateurs ne maîtrisent plus l'ensemble de la manifestation. La même chose s'observe durant les manifestations devant l'ONU. Tant que les manifestants (Tamouls, Kurdes, …) restent pacifiques, l'expression d'une émotion légitime est tolérée. Par ailleurs, M. Baer se pose la question de savoir qui, à Genève, aurait la  capacité de réinstitutionnaliser les différents mouvements. Sans cette institutionnalisation, des dérives restent possibles, sans forcément dire que les jeunes sont violents.

Un commissaire, se référant aux propos de M. Mathieu, éducateur de rue, demande s'il existe des statistiques sur une éventuelle augmentation d'arrestations de jeunes entre 12 et 15 ans.

M. Walpen indique qu'un stratège travaille actuellement sur cette question, avec l'aide d'une commission constituée de trois professeurs. Cette étude apportera sans doute un éclairage intéressant. Il existe des diagrammes internes montrant une augmentation. Mais il faudrait qu'une analyse affine cette indication.

Changements de conseillers d'Etat

M. Walpen déclare que si la commission cherche à établir des responsabilités politiques, elle fait fausse route. Il assume l'entière responsabilité des agissements de la police et affirme que le chef du Département de justice et police et de la circulation n'a émis aucune directive à ce sujet. M. Walpen n'observe pas de politique volontaire de durcissement par rapport à la jeunesse. En revanche, la violence des jeunes étant en train de se modifier, la police doit pouvoir s'adapter. Des milliers de francs sont d'ailleurs dépensés pour développer une police de proximité.

Identification au mouvement hip hop

Une commissaire demande si, en relation avec l'identification des jeunes à des courants de musique, il y a des changements de comportement par rapport au passé.

M. Baer, par rapport à la musique, indique qu'il faut tout mettre en perpective. Evoquant les années rock, il constate que la musique a toujours engendré un certain nombre d'émotions. Avant, c'est l'alcool qui constituait un moyen pour le gens de sortir de la normalité. Aujourd'hui les moyens utilisés posent des problèmes de type sanitaire, car on observe des dégâts dramatiques au niveau de la santé des jeunes, notamment du point de vue de la surdité. Cette approche est donc réglée par la police sanitaire avec, entre autres, une réglementation concernant le niveau sonore afin de préserver l'intégrité personnelle des gens. M. Baer évoque ensuite les différentes catégories de rap, citant l'exemple du prochain concert de NTM prévu pour le 19 décembre. Il estime que ce concert n'a rien à faire chez nous et que la police gérera la situation en fonction de la violence engendrée.

2e audition de M. de Marcellus, accompagné de M. Lersch(10 décembre 98).

M. de Marcellus indique qu'il a de la documentation à remettre et qu'un livre est en train d'être préparé en vue d'une publication concernant des témoignages de brutalités policières.

M. Lersch précise que ce livre n'est pas tout à fait terminé, certains témoignages devant être retravaillés au niveau du langage. Il demande à ce que cette version provisoire ne circule pas au-delà des membres de la commission, car elle doit encore être relue par les témoins.

Fiches

Sur la question du fichage fédéral, M. de Marcellus rapporte le cas du journaliste de « Vorwärts » arrêté à la douane de Moillesullaz lors des manifestations de mai contre l'OMC et fiché à Berne, tout comme les autres manifestants arrêtés, en tant que manifestant violent. M. de Marcellus souhaiterait rendre la commission particulièrement attentive aux cas d'expulsions. Ces expulsions sont totalement injustifiées : elles ont été émises sans la moindre inculpation, et sans même que les personnes aient participé aux débordements. A l'heure actuelle, seule trois expulsions ont été levées, mais il reste encore une trentaine de personnes concernées par ce problème.

Manifestants français

M. Lersch indique que, par rapport aux « casseurs » auxquels faisait allusion l'article de l'« Hebdo », l'AMP s'est posé des questions et a enquêté sans parvenir à savoir qui étaient ces individus. Elle n'a cependant pas engagé de détective privé. Des Français, il y en avait, comme toujours à Genève. Mais de là à dire que certains étaient organisés… Personne, autour de M. Lersch, n'a vu de Français en train d'organiser quoi que ce soit. D'ailleurs l'AMP, de manière générale, ne se situe pas à ce niveau d'action.

M. de Marcellus confirme qu'il n'y a eu aucun retour de cette histoire parmi les personnes qui ont organisé les manifestations, tant au niveau genevois et dans le milieu des squatters, que chez les Suisses-allemands et les Français. Tous étaient sur d'autres projets qu'ils ont mené du mieux que possible jusqu'au bout.

Relations des manifestants avec la police

Par rapport à la question du statu quo ante, c'est-à-dire du pacte de non-agression, M. de Marcellus estime que ce serait bien de pouvoir y revenir, mais relève que l'attitude actuelle de la police ne date pas de l'OMC, ni même du défilé militaire. La police avait été déjà mise en cause par Amnesty par rapport à la question des réfugiés, puis par rapport aux squatters pour lesquels un harcèlement non justifié a été mis en pratique. M. de Marcellus note, par ailleurs, que la police est de plus en plus en relation avec la politique. Il croit qu'il y a un véritable problème qui dépasse les policiers qui voudraient rester sur un certain statu quo ante. Il n'est pas le seul à penser que l'attitude de la police a été influencée par les propos de M. Ramseyer. Ces propos ont pu donner aux policiers de la base un sentiment de licence. A ce propos, un chercheur français a pu mettre en lien les bavures policières en France avec les discours de M. Pasqua.

Revenant aux mesures prises par les organisateurs, M. de Marcellus cite l'exemple de la manifestation contre l'AMI le 23 septembre dernier, durant laquelle aucune bavure n'a été commise. A l'avenir, l'AMP prendra davantage de précautions, sachant que de nombreuses mesures avaient été prises le 17 mai dernier. Une des particularités des manifestations contre l'OMC était leur caractère international, rendant la situation plus fragile. Mais on ne peut effectivement plus exclure qu'à l'avenir d'autres événements attirent tout d'un coup des personnes qui ne comprennent pas les consignes des organisateurs. M. de Marcellus espère cependant que les rapports avec la police ne vont pas s'envenimer.

Service d'ordre

M. de Marcellus indique à ce propos que M. Baer leur avait signalé quelques problèmes. A partir de là, soit lui-même, soit d'autres ont essayé d'intervenir aussi vite que possible. Il reconnaît cependant que par rapport au nombre de manifestants, le service d'ordre était trop parsemé. Mais ce dernier est intervenu à plusieurs reprises, dont à l'hôtel de la Paix, et a certainement empêché que les dégâts soient pires. Lui-même est intervenu devant le Mac Donald. Devant l'OMC au bout de la rue de Lausanne, la ligne interdite a été entièrement respectée.

Débordements : y avait-il un lien avec l'OMC ?

M. de Marcellus estime difficile de se faire un jugement, étant donné qu'il n'y avait pas de groupe homogène. Il a été interpellé dans la rue par certains jeunes, apparemment non-politisés, qui voulaient savoir « où ça se passait ».

M. Lersch rapporte que pendant les émeutes, on a vu de tout : des actions isolées, comme le tabassage de policiers, des étudiants recherchant le frisson, des jeunes du quartier, ainsi que des personnes que l'on a l'habitude de croiser dans ce genre de manifestations.

Quelques personnes semblaient déterminées, mais elles étaient minoritaires. La majorité vivait cela comme une grande fête, surtout mardi, après la dissolution du chahut de nuit. Il y avait un feu et des chants. La police a participé à cette fête en jouant le rôle de l'épouvantail, et les « joueurs » avaient l'impression de participer à un grand jeu de piste.

Sur le moment, les organisateurs du chahut pensaient avoir réussi à convaincre les gens de rentrer. Ils se sont donc retirés. Ce n'est qu'en regardant la télévision, plus tard, qu'ils ont constaté que leur mot d'ordre n'avait pas eu l'effet escompté, et sont donc revenus sur les lieux. Ce qui s'est passé après, ce n'étaient pas des émeutes sociales, mais une grande fête, fête qui n'a d'ailleurs pas dégénéré. Les gens avaient envie de se battre avec les policiers. Quant à ces derniers, leur attitude était complètement hargneuse : ils étaient comme des bêtes. M. Lersch avait plus peur d'eux que de certaines personnes l'ayant repéré comme appartenant au service d'ordre.

Ainsi, il paraissait évident que d'un côté se trouvaient des gens, joyeux, qui voulaient se battre, et de l'autre des policiers hargneux. Peut-être que les casses sont liées à l'attitude de la police, sachant que des deux côtés on avait envie d'en découdre.

Relations des jeunes avec la police

M. de Marcellus relève que ce qui s'est passé est un phénomène complexe. Sans doute y a-t-il un ressentiment des jeunes à l'égard des violences policières. Ces violences sont réelles dans le quotidien et échappent probablement à la hiérarchie. La police souffre d'un problème d'image, notamment au niveau des jeunes policiers : des jeunes ont une hostilité instinctive par rapport à d'autres jeunes. A cela s'ajoute un sentiment diffus d'angoisse pour l'avenir. Ainsi il y avait beaucoup de motivations différentes. Par exemple, une personne lui a raconté qu'ayant entendu l'hélicoptère, elle a foncé en ville pour y être. L'aspect « événement » a également été un facteur déterminant.

M. de Marcellus fait également un constat d''inefficacité de la police, dans le sens qu'elle donne à sa mission. S'il est déplorable que des jeunes fassent une fixation « anti-flic » avec quelque chose de primaire dans leur attitude de refus de l'autorité, il convient peut-être néanmoins de s'interroger sur ce que fait la police pour son image.

M. Lersch relève que les policiers n'ont pas de matricule permettant de les identifier. Ainsi, dans le rapport de force, on trouve un individu face à un corps de police, ce qui produit un effet pervers : tous les policiers deviennent coupables d'actes d'une minorité d'entre eux. A cela s'ajoute le fait que durant leur formation, les jeunes policiers vivent entre eux, dans un monde fermé.

2e audition de M. Jean Rossiaud, accompagné de M. Dominik Wisler, chercheur à l'Université (17 décembre 98).

M. Wisler se présente comme un spécialiste de la violence, notamment dans les rapports entre la police et les manifestants sur lesquels il travaille depuis 4 à 5 ans. Il s'agit pour lui de comprendre les pratiques policières, ainsi que l'interaction entre la police, les manifestants et les médias. La période qu'il étudie se situe entre 1965 et 1994 dans les villes de Berne, Bâle, Zurich et Genève. Il a eu accès aux protocoles détaillés de la police sur les manifestations, soit environ 2 000 dossiers.

Dès lors, il a essayé de déterminer quand et comment la police décide d'intervenir. Concernant plus particulièrement la Suisse romande, pour Genève, il relève le concept d'opportunité, concept importé de France, alors qu'en Suisse alémanique l'attitude de la police est très légaliste. En Suisse romande, les balles en caoutchouc ne sont pas utilisées, alors qu'en Suisse alémanique, elles le sont systématiquement depuis 1980. Ainsi, ce qui est flagrant lorsqu'on fait une comparaison entre Suisse romande et Suisse alémanique, c'est que la police genevoise est beaucoup plus tolérante, avec même une certaine compréhension. La référence aux événements de 1932 est très significative dans le fait de ne pas utiliser les balles en caoutchouc.

Jusque dans les années 70, la police était le bras armé de l'Etat. Puis, petit à petit, elle est devenue davantage une police des citoyens, s'intéressant et appréhendant l'opinion publique. C'est particulièrement flagrant à Genève avec l'instauration de l'îlotage, du service d'ambulances et de la police des squatters. Si on analyse la presse, on remarque que dans les années 60, les communiqués de presse de la police étaient publiés in extenso. Ainsi, seul figurait le discours de la police. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, notamment en raison de la peur d'une scission entre la police et l'opinion publique. A Genève, la presse penche traditionnellement pour la liberté publique. Même le « Journal de Genève », en mai 68, évoquait un renouveau démocratique, alors qu'à Zurich, la « NZZ » estimait qu'il fallait « couper le mal à la racine ».

Après les années du conseiller d'Etat surnommé « Schmitt la matraque », la police a commencé à faire attention et à adopter une attitude plus tolérante, reflétant ainsi une tradition genevoise. Puis, avec M. Ramseyer, les choses ont changé : on emploie à nouveau un langage qui n'avait pas été utilisé depuis M. Fontanet et on assiste à une escalade verbale de la part d'un conseiller d'Etat.

Ce qui est intéressant à relever parmi les réactions aux manifestations contre l'OMC, c'est le fait que la droite genevoise ne s'est pas exprimée, alors qu'à Zurich tous les partis publient des communiqués après de tels événements.

A Genève, ce silence de la droite dure depuis 1932, date à laquelle, face à une manifestation socialiste et communiste, elle a légitimé une action armée, en plus d'une volonté de renforcer la police et le code pénal. M. Wisler rappelle que, suite à ces événements, Genève avait élu pour la première fois quatre conseillers d'Etat de gauche, alors qu'auparavant la formation était monocolore. Léon Nicole, qui avait été emprisonné à Berne, est alors devenu le chef de la police, ce qui constitue un vrai traumatisme pour la droite.

Un autre élément intéressant est l'interaction entre les manifestants et la police. Une analyse scientifique montre que si la police devient plus violente, la violence du camp d'en face suit le mouvement lors de la manifestation suivante, l'inverse étant aussi vrai. S'il n'y a pas eu beaucoup de manifestations violentes à Genève, c'est parce qu'après M. Schmitt, M. Fontanet a instauré une politique de tolérance avec une police plus souple.

Au niveau de l'organisation policière, Genève a également la particularité d'être plus centralisée. Par exemple, la décision d'utiliser des gaz lacrymogènes ne peut être prise que par le commandant de police. Par contre, dans les villes alémaniques, la structure est davantage décentralisée. A Berne par exemple, le fonctionnement se fait par petits groupes, chacun ayant la liberté de faire usage de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc. Il n'y a donc que peu de contrôle hiérarchique, ce qui n'est pas le cas de Genève.

Pour sa part, M. Rossiaud estime que l'arrivée de M. Ramseyer n'est pas la seule piste à suivre pour expliquer le changement d'attitude de la police lors de la manifestation contre le défilé militaire et lors des manifestations contre l'OMC. Selon lui, il faut également regarder du côté des rapports des jeunes avec la police et de l'image qu'elle en a. Peut-être que certains policiers se permettent aujourd'hui des choses qu'ils ne se permettaient pas avant et que les jeunes les supportent de moins en moins. Cependant, M. Rossiaud précise qu'il faut, chez les jeunes, distinguer le discours de la réalité. Il poursuit en signalant que plus son équipe avance dans la recherche, plus elle se rend compte de l'existence d'éléments importants, tels que la politique du logement, les questions d'urbanisme, le rôle de l'école, etc. Mais il faudrait d'autres types de fonds pour pouvoir approfondir la recherche. Pour l'instant, il ne s'agit que de formuler des hypothèses. Ce qui est passionnant c'est de tirer les fils pour démêler l'écheveau.

M. Wisler évoque l'interaction de la police avec les jeunes des quartiers, indiquant que ces derniers sont souvent confrontés à de jeunes policiers « de base ».

M. Rossiaud ajoute que cette interaction se caractérise par un jeu du chat et de la souris.

M. Wisler poursuit en relevant que dans les années 80, la police avait du mal à recruter. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. On peut dès lors se poser la question de savoir quels types de personnes entrent dans la gendarmerie et si les critères de recrutement ont changé, sachant qu'auparavant il fallait avoir fait un apprentissage, alors qu'actuellement cela n'est plus nécessaire. Ce qui signifie qu'avant, les policiers avaient travaillé dans des entreprises et avaient donc une certaine perception des mouvements sociaux, contrairement aux jeunes policiers d'aujourd'hui. Par ailleurs, on assiste à un retour de l'extrême-droite, les choses étant peut-être liées.

M. Rossiaud signale qu'il faut rester prudent avec ce genre d'affirmation, car derrière cette hypothèse il n'y a peut-être rien. A propos des responsabilités, indique ce dernier, plusieurs chercheurs estiment qu'elles sont difficiles à déterminer et regardent plutôt du côté des causalités, en interprétant les faits et les messages.

M. Wisler évoque la question des protocoles policiers qui sont particulièrement contrôlés depuis les années 80. Il reste cependant intéressant de comparer, par un biais systématique, les différentes manières de contrôler. Ce qui est le plus intéressant avec ces protocoles, c'est qu'on peut découvrir cette dynamique d'escalade de la violence, dont la police serait responsable, en comparant le taux de répression mensuel. Parmi les indicateurs de cette étude figurent la question de savoir si la manifestation était autorisée ou non et si la police est intervenue avec des gaz lacrymogènes. Lorsqu'on arrive au même résultat à travers plusieurs indicateurs, on peut estimer que le résultat est assez bon. L'observation de l'évolution de l'extrême-droite est également utilisée comme indicateur.

Discussion

Les commissaires remarquent qu'au terme de ces auditions et après avoir pris connaissance des divers documents mis à sa disposition, la commission doit désormais tenter de rétablir les faits, déterminer les causes en relation avec les pillages et les violences en déterminant les responsabilités des différents acteurs ; elle doit se demander si la police est suffisamment préparée pour faire face à ce genre de situation et si elle a eu un comportement adapté. Enfin, la commission formulera des recommandations sur la manière de prévenir de nouveaux débordements de ce genre.

Les acteurs qui ont joué un rôle dans les événements du mois de mai peuvent être listés comme suit :

Les organisateurs des manifestations contre l'OMC.

Les manifestants, qui doivent être séparés en deux catégories : les manifestants pacifiques, et les « casseurs ».

La police.

La presse.

Les causes des débordements sont multiples, affirment les commissaires. La première question qui se pose est la suivante :

le thème des manifestations (protestations contre l'OMC) est-elle en rapport avec les violences qui ont été commises ?

Sur la réponse à donner à cette question, les commissaires sont partagés. Certains se rallient à la majorité des personnes auditionnées, qui pensent que le thème n'a pas joué de rôle vraiment significatif, et qu'une autre manifestation aurait pu dégénérer de la même façon. En effet, disent-ils, les manifestants les plus violents n'étaient pas des militants anti-OMC. Quant aux jeunes qui se sont exprimés, ils n'ont pas émis d'idées politiques (ou philosophiques).

En outre, plusieurs personnes auditionnées ont évoqué la présence de bandes de jeunes structurées, se déplaçant « à la zurichoise ». Un commissaire rappelle qu'en 1975, lors de la manifestation contre Franco, une bande cagoulée avait semé la panique, alors que la manifestation était pacifique. De ce fait, cette dernière a dégénéré. Ainsi, même si l'on note un mouvement de protestation à Genève vis-à-vis de l'OMC, il faut relever que la manifestation du samedi après-midi s'est déroulée de manière très différente de ce qui s'est passé le soir.

D'autres commissaires estiment que l'OMC n'y est pas pour rien : de par le type de relations commerciales qu'elle prône et du néolibéralisme sauvage qui est mis en avant, l'OMC symbolise quand-même un type de société que les jeunes refusent ; ainsi, le sujet garde son importance. Il a attisé chez les jeunes le désir de casser. Se référant aux propos de l'éducateur de rue, ces commissaires rappellent que ce dernier avait évoqué l'évidence du « ras-le-bol » des jeunes, avec une envie de casser, de détruire. Dans le cadre des débordements, il y avait la volonté de détruire l'objet synonyme de richesse, malgré le fait que les pillages n'étaient pas liés à des besoins vitaux, mais visaient des produits de luxe.

Quant à l'OMC en tant qu'organisme, la commission pense qu'avec les autorités genevoises elle porte une responsabilité du fait de n'avoir pas créé de lieux d'expression pendant les conférences ministérielles. Dans n'importe quelle autre ville, pour n'importe quelle autre conférence de cette envergure, des lieux sont mis à la disposition des organisations non gouvernementales, ce qui n'a pas été le cas dans le cadre des conférences de l'OMC.

Les organisateurs des manifestations n'ont, pensent les commissaires, ni participé, ni provoqué les pillages et les violences. Il s'agissait plutôt d'un noyau dur de casseurs. Un commissaire se dit frappé par le fait que d'habitude, lors de manifestations, il n'y a pas d'actions violentes spontanées, alors que là même des feux de signalisation ont été cassés et que des policiers ont été physiquement agressés, ce qui n'avait jamais eu lieu à Genève. Ainsi, il estime que si les gens qui véhiculent ce genre d'idées vivaient à Genève, ils se seraient déjà exprimé en d'autres occasions. En revanche, on constate que ce genre de débordements a continué en France, notamment autour de Lyon. Le commissaire en déduit que l'expression d'idées violentes à l'intérieur des manifestations vient probablement de la banlieue de Lyon, par le biais d'une bande organisée d'« autonomes ». Ces débordements (bris de vitres, violences contre la police) relèvent d'une idéologie extrêmement condamnable. Par ailleurs, ce type de hooliganisme peut être rapproché de la crise économique, sociale et politique qui s'est installée dans tous les pays européens.

Toutefois, on peut quand-même reprocher aux organisateurs d'avoir lancé un appel international sans prévoir un service d'ordre adéquat. Par exemple,les commissaires jugent inacceptable d'annoncer une manifestation pour le mardi soir (le « chahut de nuit »), de l'annuler par voie de presse la veille au soir, puis encore sur le moment, puis de s'en aller tranquillement le moment venu sans s'inquiéter de la suite des événements. C'est de l'inconscience, pensent-ils. Un commissaire n'en est cependant pas persuadé, au vu des manifestations qui se sont, dans le passé, déroulées paisiblement.

Quoi qu'il en soit, le fait que les manifestations se soient échelonnées sur plusieurs jours est une circonstantce significative, qui a permis à la tension de croître.

La police était-elle suffisamment préparée ? Les commissaires pensent qu'elle ne l'était pas assez, qu'elle n'a pas assez anticipé les événements.

La police a couru après les événements, dit un commissaire. Les policiers disent eux-mêmes qu'il y a un rôle à jouer en amont en mettant en place une procédure en relation avec les autres cantons et Interpol. Tout comme les organisateurs, la police a péché par omission et n'a pas pris suffisamment au sérieux les manifestations, comme le prouvent différents facteurs : la nécessité de mettre d'urgence sur pied des locaux de crise, la panne du circuit électrique, et surtout le fait que des policiers n'ont pas eu la possibilité de se reposer ce qui a favorisé leur état de tension et d'extrême fatigue.

Si elle apprécie la discrétion de la police durant la manifestation du samedi après-midi, la commission estime cependant qu'il ne faut pas tolérer qu'une vingtaine de personnes se mettent à casser et à semer la panique. Ainsi, même si une manifestation est autorisée, la police doit intervenir lorsque des personnes viennent l'entraver. C'est pourquoi des commerçants en veulent à la police, parce qu'elle ne les a pas protégés. De plus, il est inconcevable que dans le dos d'un cordon de police des casseurs soient à l'oeuvre. Il faudrait voir à enlever ces oeillères.

Des commissaires pensent qu'il manquait au sein de la police un groupe opérationnel. En uniforme et surtout bien contrôlé par le commandant de la gendarmerie. Ses actions auraient pu être plus ciblées et précises au lieu d'arrêter un grand nombre de personnes, souvent de manière arbitraire. Certains jeunes ont été interpellés à tout endroit dans la ville, simplement parce que ce sont des « punks » et que des policiers ont décidé qu'ils allaient « payer ». Par ailleurs, il est inacceptable, jugent les commissaires, qu'à Genève, des jeunes de 16 ans soient attachés à des poteaux, comme il est inacceptable que des gens subissent coups de pieds et vexations.

La commission reconnaît cependant que le rythme auquel étaient soumis les policiers était inhumain, et que même avec la meilleure formation, ce genre de situation porte sur les nerfs.

Un commissaire suggère qu'un groupe de policiers identifiables accompagnent les manifestants et puissent contrôler d'éventuels débordements d'éléments isolés ou peu nombreux. Cette manière de faire serait plus juste que d'augmenter les effectifs. Par exemple, en France, il existe une brigade d'intervention spéciale.

Les commissaires soulèvent un autre problème, celui de l'attitude du conseiller d'Etat. La commission dénonce l'appel à la délation et l'attitude agressive de M. Ramseyer, notamment dans ses interventions à chaud dans les médias. Même s'il n'a pas la responsabilité directe de ce qui se passe sur le terrain, des policiers fatigués se sont probablement sentis légitimés par le type de propos qu'il a tenus. Ce discours est d'ailleurs en complète contradiction avec celui du chef de la police et du commandant de la gendarmerie, qui essaient d'avoir une attitude de collaboration. Ce genre de comportement de la part d'un conseiller d'Etat, sans en faire une affaire personnelle, est à dénoncer. Celui-ci devrait, au contraire, viser la modération.

La presse a également, d'après les commissaires, joué un rôle néfaste, en particulier « La Tribune » et « Le Matin ». Au lieu de traiter des buts idéologiques de l'AMP, ces journaux ont publié des chroniques d'une violence annoncée, et des manchettes accrocheuses qui incitaient presque à la violence.

On doit enfin signaler que l'usage de natels a favorisé le regroupement de personnes désireuses de causer des dégâts, et d'échapper à la police, et que l'hélicoptère a non seulement facilité la tâche de la police, mais aussi ameuté beaucoup de jeunes en mal de distraction.

Recommandations de la commission

Au chapitre des recommandations, la commission souhaite tout d'abord suggérer que les autorités qui organisent des conférences internationales mettent des lieux d'expression à disposition de ceux qui souhaitent émettre des avis différents.

Elle propose ensuite que, dans un contexte international et en fonction des enjeux, les organisateurs des manifestations mettent sur pied un service d'ordre plus important, et identifiable.

Elle adresse également une recommandation à la presse : cette dernière a une responsabilité dans le traitement de ce type d'information. Il est dangereux que des journaux lancent, en quelque sorte, des appels à l'émeute.

En ce qui concerne la police, la commission souhaiterait de sa part davantage d'anticipation de l'événement, ainsi qu'un meilleur ciblage du travail qui pourrait éviter aux policiers les nombreuses heures d'attente qu'ils ont subies, celles-ci étant inutiles et source de tensions. L'usage de l'hélicoptère devrait être réduit au plus strict minimum à l'avenir, car il semble avoir joué un rôle plutôt négatif de rassemblement de personnes.

Par ailleurs, la commission insiste sur le fait que les arrestations ont eu lieu dans des conditions inacceptables, qui ne doivent plus se reproduire. Dans cette optique, le commandement de la police doit contrôler de plus près les policiers isolés ou en petits groupes. Pour ce qui est des expulsions administratives, elles ne se justifient pas pour les personnes dont on n'a pu prouver la culpabilité, et doivent donc, pour ces dernières, être annulées.

Quant au conseiller d'Etat chargé du Département de justice et police, il a pour devoir de tenir des propos modérateurs et non provocateurs.

Enfin, la commission soutient le développement de la police de proximité, ce qui permet de démystifier la police, notamment auprès des jeunes, et de mettre en avant un autre aspect que celui de la répression.

Ce travail de prévention est primordial, estime la commission, et il serait utile de développer, outre le service des ilôtiers, le travail des éducateurs de rue et celui des enseignants dans les domaines de l'encadrement et de l'intégration. La formation des policiers a été églement évoquée par la commission : il lui paraît que les jeunes policiers devraient être au bénéfice d'une formation préalable dans un autre domaine, avoir suivi, par exemple, un autre apprentissage, afin de compléter leur expérience de vie.

Enfin, pour terminer, la Commission d'enquête est persuadée que de nouvelles mesures législatives devront être prises pour donner aux commissions d'enquête parlementaires les moyens de travailler sans entraves.

Proposition de résolution(370)

pour la nomination d'une Commission d'enquête parlementaire ad hoc sur les événements qui ont secoué Genève durant la commémoration du 50e anniversaire de l'OMC

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève,considérant :

- les événements qui se sont déroulés à Genève autour de la conférence ministérielle de l'OMC ;

- les manifestations non-violentes organisées par l'Action mondiale des Peuples, et soutenues par de nombreuses associations et partis politiques ;

- les actes de violence qui ont eu de graves conséquences au niveau physique et matériel ;

- la nécessité pour tout-un-chacun de comprendre les raisons profondes qui sous-tendent la révolte exprimée par une partie de la jeunesse ;

- le risque de ne voir que les conséquences et de ne pas chercher à en comprendre les causes ;

Elle aura pour mandat de répondre aux questions suivantes et de proposer des mesures concrètes :

Quelles sont les causes qui peuvent être mises en relation avec les pillages et plus généralement avec la violence exprimée par certains jeunes ?

La police est-elle préparée à cette nouvelle forme de protestation et son comportement a-t-il été adapté en toutes circonstances ?

La Commission aura toute latitude d'élargir le champ des questions, de procéder à des auditions et de s'adjoindre les services de spécialistes, notamment sociologues.

La Commission rendra son rapport au Grand Conseil au plus tard le 30 novembre 1998.

Date de dépôt : 9 février 1999Papier

RAPPORT DE LA MINORITÉ

Les représentants des partis libéral, démo-chrétien et radical ne peuvent accepter les conclusions de la commission-croupion, formée de 5 députés seulement sur 15, qui prétendent être le résultat des « travaux de la Commission d'enquête parlementaire ad hoc sur les événements qui ont secoué Genève durant la commémoration du 50e anniversaire de l'OMC ».

Ils s'élèvent contre un véritable détournement de la procédure parlementaire qui rend inopérants des travaux vivement désirés par une majorité du Grand Conseil devenus sans valeur du fait que quatre partis sur six ont, dès le 8 octobre 1998, cessé de siéger dans la Commission d'enquête.

Ce n'était pourtant pas faute d'avoir montré de la bonne volonté. En effet, dès la première séance, le 11 juin 1998, la participation aux travaux d'un député a usité quelques interrogations en raison de son rôle durant les événements sous revue. Le 24 juin 1998, le député Gilles Desplanches interpellait le bureau du Grand Conseil a ce sujet (voir annexe) qui ne pouvait que constater son impuissance a résoudre le problème, en l'absence de toute volonté conciliatrice de la part du député ou de son parti. Il n'y avait pas d'intérêts matériels personnels en jeu. Toutefois, au cours des auditions, il est apparu que le député mis en cause avait joué un rôle plus important qu'insinué au départ, se trouvant même en liaison étroite avec des ambulances de la police et ayant porté plainte pénale contre l'une des personnes auditionnées par la commission, à l'insu de tous, y compris de la présidente, qui affirma ne l'apprendre qu'en cours de séance !

Certes, ce député a ultérieurement gagné son procès en diffamation, mais il convient de rappeler ici que la diffamation peut consister en la propagation de faits avérés ou non.

L'éthique parlementaire eut voulu que ce député se retire de lui-même de la commission. Il n'en a rien fait. Pis, il s'est accroché à son siège comme rarement un député, malgré le souhait de la grande majorité de ses collègues, soucieux tout à la fois du bon fonctionnement de la commission et des garanties d'impartialité que devaient offrir ses travaux.

Dans ces conditions, le retrait des représentants de quatre partis devenait inévitable. Seuls l'AdG, soutenant son député, et les Verts qui cumulaient à la fois la présidence et le rapport, ont poursuivi, voire repris, de façon inexplicable, leurs auditions en tête-à-tête.

Il convient ici de souligner que les partis de l'Entente ont soigneusement pris soin d'exclure de la Commission d'enquête sur la BCG tous ceux qui, de près ou de loin, touchaient à cette dernière, même lorsqu'aucun intérêt matériel n'était en jeu. Le parti socialiste a également prié l'un des siens, qui avait participé à la manifestation contre l'OMC de ne pas siéger dans la Commission parlementaire. Il est regrettable que l'AdG n'ait pas cru bon de se soumettre à cette règle purement morale, nous en convenons, et que la présidente, membre des Verts, n'ait rien tenté pour concilier les parties en présence.

Le mandat initial de la commission lui demandait de répondre aux questions suivantes :

1. Quelles sont les causes qui peuvent être mises en relation avec les pillages et plus généralement avec la violence des jeunes ?

2. La police est-elle préparée a cette nouvelle forme de protestation et son comportement a-t-il été adapté en toutes circonstances ?

A lire les auditions, on se rend compte que les membres de la commission-croupion n'ont pas été capables d'apporter de réponses a ces questions. Ils n'ont même pas réagi lorsqu'un éducateur de rue affirmait : « la violence existe, il faut donc composer avec elle plutôt que de la réprimer » (sic). Il suffit de remplacer violence par crime pour comprendre l'inanité d'un tel propos. Les questions posées par les commissaires sont souvent biaisés. Le commerçant agressé est rapidement expédié, alors que l'on s'attarde complaisamment sur les prétendues responsabilités de la police, de la presse écrite, voire du chef du Département de justice et police. On injurie la mémoire d'un ancien chef de ce département, en oubliant qu'il était certainement plus difficile de maintenir l'ordre entre 1965-1973, avec la guerre du Vietnam, les événements de mai 68 et leur suite en 69 à Genève, voire le franquisme finissant entre 73 et 85 ! Erreurs d'appréciation, manque de recul historique, effets de mode font de ce rapport un prêt-à-penser politiquement correct, mais non la conclusion d'une véritable Commission d'enquête parlementaire.

Pour ces motifs, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous demandons de rejeter les prétendues conclusions du rapport de fausse majorité, subsidiairement de renvoyer les conclusions à la Commission d'enquête parlementaire pour que celle-ci puisse réellement accomplir la tâche pour laquelle le Grand Conseil l'a mandatée.

PS : Il est regrettable que le fonctionnement de la commission-croupion ait été entravé par divers problèmes matériels, comme la communication après deux semaines de délai des procès-verbaux de séances hebdomadaires ou la difficulté à obtenir le résumé des auditions malgré plusieurs demandes.

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Proposition de résolution

(398)

adressée au Conseil d'Etat pour qu'il mette sur pied dans les 3 mois des Assises au sujet de la violence

EXPOSÉ DES MOTIFS

Nul n'est besoin ici de rappeler les jours dramatiques qu'a traversés notre ville dans le courant du mois de mai 1998. La présente résolution a été rédigée dans un souci d'efficacité et de suivi sur le long terme du travail de prévention nécessaire. Il vous est donc proposé de clore provisoirement nos débats sur cet objet en remettant l'ensemble du dossier aux mains des protagonistes qui voudront bien s'associer aux Assises organisées par le Conseil d'Etat et qui pourraient se dérouler durant 3 jours dans le courant du mois de mai. Le but étant de permettre à chacun de s'exprimer sous la forme de débats publics, de conférences, ce qui pourrait déboucher, à l'issue de ces journées de réflexion, sur une résolution prévoyant un plan d'action.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à voter la présente résolution.

Débat