République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1259
29. Proposition de motion de Mmes et M. Elisabeth Reusse-Decrey, Véronique Pürro et Albert Rodrik pour des journées sans voiture en Ville de Genève. ( )M1259

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

l'initiative populaire fédérale demandant quatre dimanches sans voitures et qui a été déposée il y a quelques mois, après avoir recueilli un nombre suffisant de signatures ;

la motion votée par le Conseil municipal au mois de septembre 1998 ;

l'importance de pouvoir de temps en temps se réapproprier l'espace public, comme lieu de convivialité ;

la nécessité de démontrer que la voiture n'est pas toujours un outil indispensable ;

invite le Conseil d'Etat

à organiser en collaboration avec les autorités compétentes des journées sans voitures en Ville de Genève.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Cette motion a un double objectif :

Offrir de temps en temps, l'espace de quelques heures, la rue à ses habitants. Qu'ils puissent réapprendre à y vivre, à y jouer, à y rencontrer d'autres personnes, d'autres générations.

Sensibiliser la population à la pollution de notre ville et en particulier les automobilistes aux possibilités de laisser leur voiture au garage et de découvrir d'autres moyens de transports ainsi que d'autres activités moins gourmandes en déplacements.

La rue, lieu de convivialité retrouvée.

Qui ne se souvient pas avec un brin de nostalgie des célèbres « dimanches sans voitures » de la fin de l'année 1973 ?

Les citoyennes et citoyens se sont alors réapproprié les rues. En quelques heures, elles sont devenues lieux de promenades, de rencontres, places de jeux, espaces de convivialité. Les dangers et la pollution éloignés, les rues retrouvaient, le temps d'une journée, l'ambiance d'autrefois.

Pourquoi dès lors avoir besoin d'une crise pétrolière pour réitérer ce genre d'expériences si positives ?

Sensibiliser à la pollution urbaine et tenter de la faire diminuer.

Le mardi 22 septembre 1998, la France étrennait un projet novateur : une journée sans voitures. 35 villes, dont Paris, ont relevé le défi et organisé une telle journée, chacune l'aménageant bien sûr selon ses propres critères de faisabilité.

But de l'action : sensibiliser la population aux problèmes de pollution (le taux de pollution urbaine ayant augmenté de 90 % ces quinze dernières années en France) et les inviter à utiliser d'autres moyens de transports, tels que le vélo, les transports publics, le métro, ou tout simplement la marche.

Les automobilistes ont bien joué le jeu, les commerçants aussi, et l'expérience fut concluante. Elle sera reconduite cette année et cette fois elle sera généralisée. Quant à l'an 2000, il devrait voir se réaliser une journée européenne sans voiture.

Les auteurs de cette motion vous demandent donc, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir faire entrer Genève dans cette dynamique et de voter cette motion demandant à nos autorités d'organiser quelques jours sans voitures par année en Ville de Genève.

D'ores et déjà, le Conseil municipal a voté il y a quelques mois une motion similaire. Au surplus l'initiative fédérale des « dimanches sans voitures » a rencontré un vif succès et a abouti. Ce projet ne ferait en quelque sorte qu'anticiper l'expérience, dans un domaine qui reste totalement de notre compétence.

Débat

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Vu le temps passé sur certains points ce soir, je serai brève au sujet de cette motion. En effet, une motion similaire a déjà été traitée, qui a malheureusement mal fini suite à des amendements dont l'un ne respectait pas la loi. C'est pour cette raison que nous la déposons une nouvelle fois.

Nous voulons - je vous le rappelle - réapprendre à vivre dans la rue : elle peut aussi être à nous. Nous voulons apprendre à nos enfants qu'elle peut être, l'espace de quelques jours, un lieu de vie, de jeux et non pas un lieu de danger. Nous voulons faire l'expérience de déplacements différents, à vélo, à pied ou en transports publics, et enfin nous voulons prendre conscience de la pollution, parfois extrême, qui envahit trop souvent notre ville.

C'est pourquoi cette motion, qui vise à la fois des objectifs pédagogiques et de protection de l'environnement, ainsi qu'un changement de comportement, est à nouveau déposée. Nous vous invitons à la renvoyer directement au Conseil d'Etat.

M. Gilles Desplanches (L). Cette motion comporte deux objectifs. S'agissant de la rue comme espace de rencontre, je dois dire aux motionnaires qu'il existe d'autres endroits plus sympathiques que la chaussée pour se rencontrer. Et s'agissant de rappeler aux automobilistes qu'il existe d'autres moyens de transport, Mesdames et Messieurs les députés, y a-t-il encore aujourd'hui des automobilistes ignorant l'existence d'autres moyens de transport ? J'en doute. La ville est trop souvent engorgée, la circulation trop encombrée pour prétendre que les automobilistes n'ont pas encore croisé un vélo, un bus ou un tram orange !

En réalité, cette motion manque autant de précision que d'objectivité. Sous prétexte de lutter contre la pollution à laquelle, nul doute, chaque citoyen est sensible, cette motion entrave la liberté de chacun. Il y a d'autres moyens de lutter contre la pollution que d'interdire, purement et simplement, l'usage de la voiture.

Dans cette motion, on omet - peut-être volontairement - de préciser la date de cette interdiction, tout comme les rues et les quartiers touchés. Les motionnaires l'oublient, mais dans la «Tribune de Genève» M. Hediger parle du mercredi 22 septembre. Peut-on imaginer de bloquer l'économie genevoise un jour ouvrable ? A-t-on chiffré le coût d'une telle opération pour les secteurs tant public que privé ?

De plus, faire un parallèle entre une ville comme Genève de deux cent cinquante mille habitants et une capitale comme Paris de huit millions d'habitants paraît particulièrement inopportun. Nous ne sommes plus en 1973, Genève reste une petite ville dans laquelle chaque citoyen a le droit de circuler librement avec le moyen de transport qu'il a choisi, sans contrainte, sans motion, mais dans un esprit constructif de liberté et de responsabilité. Je propose que l'on renvoie directement cette motion à la commission des transports.

Mme Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve). Puisque cette motion nous revient sous la même forme, les Verts - tout en continuant à l'approuver en partie - vont simplement redéposer le même amendement et demander que ces journées sans voiture soient étendues à l'ensemble du canton.

Nos arguments seront les mêmes puisqu'en l'espace de quelques mois la situation de la circulation n'a hélas guère changé. Donner aux citoyens une idée de l'agrément que représente le fait de vivre quelques journées sans voiture est une excellente idée, mais limiter cette mesure à la ville de Genève ne nous paraît pas très judicieux. Beaucoup de voitures qui circulent en ville viennent d'ailleurs. Jugez-en vous-mêmes : la journée, Genève compte 415 000 personnes sur son territoire, alors que la nuit elle n'en compte plus que 180 000. Imaginez-vous tous les automobilistes des communes s'arrêter aux limites territoriales de la ville de Genève ? D'ailleurs les connaissent-ils ? Les connaissez-vous vous-mêmes ? Faudra-t-il des cordons de police pour les bloquer à l'entrée de la ville ?

Des voix. L'armée !

Mme Caroline Dallèves-Romaneschi. Ce minimalisme équivaut à nos yeux à vider quelque peu la motion de son sens. Le fait d'être limité au territoire du canton est déjà regrettable et c'est pourquoi, il y a quelques années, les Verts avaient demandé des dimanches sans voitures au niveau fédéral. C'est pourquoi, également, le comité national de l'initiative «Des dimanches sans voitures» a déposé son initiative à la Chancellerie fédérale l'année dernière.

En Allemagne, chaque année depuis treize ans, se déroule la fête de la route du vin fermée aux automobiles sur une distance de 80 kilomètres environ. C'est un grand succès, une grande fête attirant près d'un demi-million de personnes qui apprécient cette liberté retrouvée. Le succès est tel d'ailleurs qu'il essaime sur d'autres régions et que l'on tend à élargir le périmètre de l'interdiction.

La France aussi a découvert cette expérience passionnante, l'année dernière, puisque dans trente-cinq agglomérations, dont une partie de la capitale, les voitures étaient interdites l'espace d'une journée. Alors, pourquoi voudrions-nous réduire le territoire soumis à l'interdiction comme une peau de chagrin ? Ne soyons pas minimalistes. Les Verts ont dans ce sens déposé un amendement pour transformer l'invite ainsi : « à organiser en collaboration avec les autorités compétentes des journées sans voiture dans le canton de Genève ».

M. Albert Rodrik (S). Je désire répondre à deux questions qui ont été soulevées et sur lesquelles j'avais déjà, la dernière fois, donné le point de vue de mon groupe.

Monsieur Desplanches, nous n'avons pas mentionné de date, car nous voulons que le Conseil d'Etat et les autorités communales puissent s'organiser librement. Il n'y a là aucune arrière-pensée.

A nos amis les Verts, je rappellerai que nous avions accepté leur amendement. En l'état cette motion émane du Conseil municipal de la ville de Genève et nous l'avons reprise telle qu'il l'a votée. Ce soir, nous n'avons aucune objection à votre amendement, mais souvenez-vous que, la dernière fois, le groupe libéral en avait profité pour évoquer les horaires de fermeture des magasins ! Cela dit, au risque de devoir reprendre le débat sur l'horaire de fermeture des magasins, nous acceptons votre amendement.

Pour le surplus, nous voulons simplement qu'une fois, de temps en temps, nous puissions avoir une ville où il fait bon se promener et respirer, rien de plus, rien de moins, sans machiavélisme !

Mme Dolorès Loly Bolay (AdG). Tout comme les motionnaires, je suis soucieuse de la qualité de la vie et de l'environnement. Néanmoins, j'ai certains doutes et je ne voterai cette motion que si l'on fait des exceptions pour les personnes qui utilisent leur véhicule pour travailler. Je pense notamment aux indépendants qui, s'ils ne travaillent pas, ne sont pas payés; aux représentants de commerce ; aux services de dépannage d'urgence, ou encore à ceux qui travaillent dans des endroits non desservis par les transports publics, comme l'usine des Cheneviers par exemple. (Applaudissements.)

Mme Marie-Thérèse Engelberts (PDC). Pour répondre, en partie, aux questions de la préopinante, nous proposons que cette journée soit un dimanche.

Le PDC accepte cette motion, qui va dans le sens de la complémentarité des transports que nous avons toujours soutenue. Nous n'avons pas élargi l'invite ni à la région, ni à notre pays, ni à l'ensemble du canton. Nous en restons à la ville de Genève, en proposant l'introduction d'une journée sans voiture. Nous souhaitons faire l'expérience, une année ou deux, ainsi on pourra effectivement en mesurer l'impact. Nous proposons même d'en fixer le calendrier. Certains d'entre nous ont hésité : ils suggéraient la Saint-Valentin, relativement peu commode, ou la Saint-Barthélemy, qui nous a paru une date trop fatidique ! Et c'est finalement le dimanche du Jeûne fédéral que nous vous proposons d'accepter, dans un esprit de collégialité et avec le souci de la complémentarité des moyens de transports.

Mme Véronique Pürro (S). J'ai bien entendu les préoccupations de ma collègue Loly Bolay Cruz. Dans l'esprit des auteurs de la motion, il n'était pas du tout question de bloquer les activités économiques. Nous comptons sur la sagesse du Conseil d'Etat - si cette motion lui est renvoyée - pour tenir compte de ses préoccupations et laisser les activités économiques concernées se dérouler correctement.

M. Armand Lombard (L). Notre groupe se demande en quoi les motionnaires cherchent le bien de la communauté avec une telle motion et de quel droit ils proposent la suppression des voitures un dimanche.

Il nous paraît que la liberté d'expression de chaque député, son droit de déposer une motion, doit se distinguer du diktat idéologique sous prétexte qu'il fait partie d'une majorité.

Mesdames et Messieurs les motionnaires, vous ne pouvez imposer le plaisir que vous auriez à voir la société se transformer dans le sens de vos envies. Vous vous arrogez en fait le droit de faire goûter à tous vos propres plaisirs. En l'occurrence, Mesdames et Messieurs, votre plaisir ce soir n'est pas le mien, ni celui du groupe libéral !

Vous voulez sensibiliser la population, attirer son attention sur le problème des transports grâce à un jour sans voiture. C'est votre idée, vous tenez à la défendre, mais ce n'est pas la nôtre. Ce n'est pas le but que nous fixons à ce Grand Conseil, à notre action politique dans ce parlement.

Nous pourrions nous aussi nous allier à nos collègues radicaux pour proposer une journée longeoles, ou une semaine des petits commerçants - qui serait probablement plus intéressante - ou encore un week-end sur l'Evangile de Saint-Jean ! Les possibilités ne manquent pas, mais nous ne jouerons pas ce jeu de la liberté biaisée et nous refuserons de soutenir cette motion.

S'il s'agissait tout de même de la voter, je proposerai l'amendement suivant, soit d'inviter le Conseil d'Etat à permettre l'ouverture des commerces qui le souhaitent les dimanches où ne circuleront pas les voitures, ce qui permettra aux gens d'aller faire leurs commissions !

M. Albert Rodrik (S). Brièvement, je confirme que nous ne sommes pas preneurs de l'amendement du groupe libéral. Ensuite, nous accepterons celui de nos amis démocrates-chrétiens pour autant qu'il mentionne «des dimanches» sans voitures. S'il devait être formulé de la façon imaginative et facétieuse dont il nous a été présenté, nous ne pourrions bien entendu pas l'accepter !

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, beaucoup d'orateurs sont encore inscrits et plusieurs amendements ont été déposés. Nous cessons là nos travaux et les reprendrons à 20 h 30, avec l'examen de la loi sur les taxis, si la commission des transports a délibéré.