République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 février 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 4e session - 8e séance
PL 7999
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève
décrète ce qui suit :
Article unique
La constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, est modifiée comme suit :
Art. 174B Rétablissement et usage du calendrier républicain (nouveau)
1 L'usage du calendrier républicain est rétabli, concurremment à celui du calendrier usuel (grégorien), du 22 septembre 1999 (1er vendémiaire 208) au 21 septembre 2001 (30 fructidor 209) pour tous les actes officiels émanant de l'Etat de Genève.
2 Tous les documents administratifs et toutes les communications émanant des autorités cantonales et des services publics municipaux devront, dès le 22 septembre 1999/1er vendémiaire 208 et jusqu'au 21 septembre 2001/30 fructidor 209 être datés en usant des deux calendriers, grégorien et républicain.
3 Aucune subvention ni aucun soutien matériel impliquant une charge budgétaire ne seront accordés sur les budgets 2000 et 2001 à quelque manifestation que ce soit, destinée à marquer le passage d'un siècle à l'autre dans le calendrier grégorien.
4 Il est ouvert au Conseil d'Etat un crédit de 200 000 F pour couvrir les frais inhérents à l'application de la présente loi. Il sera pourvu à cette dépense par un prélèvement sur les dépenses prévues pour les manifestations de l'an 2000 (calendrier grégorien).
EXPOSÉ DES MOTIFS
C'est parce que nous considérons :
le caractère arbitraire, particulier et religieux du calendrier usuel en vigueur ;
l'atteinte à la laïcité que représente la mise en avant de ce calendrier d'origine religieuse plutôt que les autres calendriers d'autres origines religieuses, ou que de calendriers sans origine religieuse ;
l'erreur commune, consistant à considérer l'an 2000 plutôt que l'an 2001 comme la première année d'un nouveau siècle et d'un nouveau millénaire, d'autant que le calendrier usuel s'est trompé de plusieurs années dans la fixation de sa date initiale ;
l'absence totale de raisons crédibles pouvant inciter l'Etat de Genève à prendre quelque part que ce soit à l'agitation médiatique et mercantile entretenue autour du « passage à l'an 2000 » ;
l'utilité et la légitimité de rappeler symboliquement le caractère précaire, arbitraire et symbolique de tout calendrier,
que nous proposons le rétablissement du calendrier républicain.
Nous sommes quelques-uns (mais sans doute sommes-nous plus nombreux encore) à commencer à être sérieusement lassés, pour user d'un euphémisme, par le vacarme médiatique fait depuis déjà trop longtemps autour du « passage à l'an 2000 », de « l'entrée dans le troisième millénaire » et autres foutaises, où les projets mercantiles ne le disputent qu'à la paranoïa sectaire.
Il nous importe donc de manifester à la fois notre ras-le-bol de cette lessive médiatique et notre indifférence à l'égard du passage d'un millésime à un autre, dans un calendrier certes usuel, mais fondamentalement aussi arbitraire que n'importe quel autre.
Il convient en outre de préciser que de toute façon, nous n'entrerons dans le troisième millénaire du calendrier chrétien qu'en 2001, puisque ce calendrier (qui ne connaît pas d'an zéro) ouvre le premier millénaire en l'an 1, le second (logiquement) 1000 ans plus tard (1 + 1000 = 1001) et le troisième encore 1000 ans plus tard (1001 + 1000 = 2001).
Il convient enfin de rappeler que Jésus étant né trois ou quatre ans avant le début calendaire de « l'ère chrétienne », celle-ci est déjà entrée dans son troisième millénaire depuis deux ou trois ans.
Il ne nous semble donc pas inutile de rappeler que nous « n'entrons dans le deuxième millénaire » que par référence à un calendrier à la fois particulier et erroné (le calendrier chrétien, dans sa version grégorienne).
Or toute participation d'une collectivité publique à quelque manifestation que ce soit célébrant ce « passage » serait non seulement une manifestation de conformisme socio-culturel malvenue, mais également contraire à la laïcité telle que nous pouvons aujourd'hui la concevoir et la défendre, respectueuse du pluralisme religieux, indépendante de toute tradition religieuse particulière, et soucieuse de manifester cette indépendance dans chaque domaine de l'action publique.
La frénésie calendaire qui depuis des mois s'est emparée des médias nous paraît donc imposer une réponse symbolique. Cette réponse ne peut que consister en l'usage, concurremment au calendrier usuel (puisqu'il ne nous est pas possible d'imposer un autre calendrier dans un délai aussi bref que celui qui nous sépare des cuistreries du « passage à l'an 2000 ») d'un calendrier « alternatif ». Ne songeant pas à inventer un nouveau calendrier, et ne pouvant, au nom même de la laïcité que nous invoquons, user d'un autre calendrier religieux, il ne nous reste guère à disposition que le calendrier républicain, instauré en France (et adopté à Genève alors que Genève était encore une République indépendante) en 1792.
Il va d'ailleurs sans dire que le choix de ce calendrier plutôt que d'un autre nous convient d'autant plus qu'il s'agit d'un calendrier révolutionnaire et républicain, ce qui ne saurait que convenir à la République de Genève, vieille cité de révolutions.
Enfin, cerise républicaine sur le dessert calendaire, nous suggérerons au Conseil d'Etat de faire quelques économies budgétaires bienvenues en s'abstenant d'accorder le moindre soutien matériel à quelque manifestation que ce soit, destinée à « marquer » de quelque manière que ce soit le « passage » d'un siècle ou d'un millénaire à l'autre dans quelque calendrier particulier que ce soit.
En cette 208e année de notre calendrier, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de faire un acte de foi républicaine en réservant un bon accueil à ce projet de loi.
Annexe (à l'usage de vos prochains courriers) :
LE CALENDRIER RÉPUBLICAIN
1792 = An 1
1999 = An 208
22 septembre = jour de l'an
22 septembre au 21 octobre : VENDÉMIAIRE
22 octobre au 20 novembre : BRUMAIRE
21 novembre au 20 décembre : FRIMAIRE
21 décembre au 19 janvier : NIVÔSE
20 janvier au 18 février : PLUVIÔSE
19 février au 20 mars : VENTÔSE
21 mars au 19 avril : GERMINAL
20 avril au 19 mai : FLORÉAL
20 mai au 18 juin : PRAIRIAL
19 juin au 18 juillet : MESSIDOR
19 juillet au 17 août : THERMIDOR
18 août au 16 septembre : FRUCTIDOR
Jours fériés
17 au 21 septembre : Fêtes Sanculottides :
17 septembre : fête de la Vertu
18 septembre : fête du Génie
19 septembre : fête du Travail
20 septembre : fête de l'Opinion
21 septembre : fête des Récompenses
Préconsultation
Le président. Ce n'est pas l'habitude que le président donne son avis, mais je dois dire que ce projet tombe très bien : il correspond à ce que nous avons fait pendant ces deux jours ! Je trouve que nous avons vraiment travaillé peu sérieusement ! La parole est à M. Velasco.
M. Claude Blanc. Le rigolo de service !
M. Alberto Velasco (S). Monsieur Blanc, je vous demande d'être correct et poli à mon égard.
Citoyennes et citoyens députés - pour reprendre les termes employés à l'époque - en ce jour de ventôse de l'an républicain 207, jour qui se nomme «violette», j'ai l'honneur de défendre un projet de loi qui s'inscrit dans le cadre du rétablissement des valeurs républicaines.
John Dupraz. Au secours, le ciel t'est tombé sur la tête !
M. Alberto Velasco. Je tiens aussi à vous informer que ce projet n'engage pas mon groupe. C'est donc à titre personnel que je l'ai déposé et que je le défendrai.
Permettez-moi de vous dire - contrairement à ce qui est avancé par certains d'entre vous - qu'il n'est pas question de remplacer le calendrier grégorien par le calendrier républicain. Dans notre générosité républicaine, nous tenons à ce qu'il soit rétabli concurremment à celui qui est utilisé aujourd'hui. Nous sommes conscients du stress auquel les citoyens sont soumis par le vacarme mercantile consistant à nous faire croire et à nous vendre l'illusion que nous entrons dans un millénaire, alors qu'en réalité nous n'y entrerons qu'en 2001. Le calendrier actuel, soit dit en passant, contient un certain nombre d'imperfections puisqu'il ne prend pas en compte le nombre 0.
Attendu que nous sommes une République laïque et qu'à ce titre le respect s'impose par rapport à d'autres calendriers se référant à une autre confession (les bouddhistes ont entre cinq et six siècles d'avance, les juifs 3177 ans, les musulmans 580 ans de retard); attendu que la référence au Christ est fausse, puisqu'il serait né trois ou quatre ans avant l'an 1; attendu que sur le plan scientifique, historique et événement universel, ce calendrier ne signifie rien, et encore moins au point de vue des avancées sociales, nous vous proposons de rétablir - tenant compte de votre grande générosité républicaine - le calendrier républicain à partir du 1er vendémiaire 208 (22 septembre 1999) jusqu'au 30 fructidor 209 (21 septembre 2001).
Ainsi, nous éviterons le fameux bug de l'an 2000, à propos duquel certaines personnalités soupçonnent la mise en place d'une paranoïa informatique afin de créer un marché assez juteux qui, selon Mme Wiedmer, coûtera quelques dizaines de millions à notre administration, plus quelques autres pour le subventionnement des festivités unilatérales et uniculturelles. Quelques millions dont notre République a grandement besoin.
Certains objecteront qu'il n'est pas très esthétique de revenir à une date qui marque la fin de l'Empire romain et le début du Moyen Age. Qu'à cela ne tienne ! Quand on voit la situation de notre planète et la dégradation des conditions sociales, nous sommes réellement revenus à un certain Moyen Age social !
J'ai entendu le citoyen député Lescaze affirmer que nous avions commis quelques erreurs. Nous avons mis au point un convertisseur de date qui sera mis à disposition de tous celles et ceux d'entre vous qui désireraient, pendant ces trois années, participer à cette entreprise républicaine. Une des possibilités offertes par ce calendrier est la réduction du nombre d'heures journalières travaillées et rétribuées. En effet, dans le calendrier qui vous est proposé, les mois se composent de trois semaines de dix jours chacune, des décadis, en référence au système décimale. En conservant les deux jours de congé par semaine et les 32 heures proposées par le parti socialiste, on aurait des journées de travail rétribuées de 4 heures... D'autre part, puisque nous vivons au rythme des saisons, ne serait-il pas plus logique que les mois nous rappellent celles-ci ? Ainsi thermidor, qui évoque la chaleur, est plus explicite que juillet, de même que germinal, par rapport à mars ou avril, qui évoque la vie des plantes.
Voyez-vous, citoyen député Blanc, les paysans - pour qui j'ai un grand respect - avaient accueilli à l'époque ce calendrier avec enthousiasme puisqu'ils pouvaient aisément se repérer dans leur labeur. D'autre part, citoyennes et citoyens députés, à une époque où la solidarité républicaine fait tant défaut, ce calendrier pourrait être un rappel des valeurs. Prenez la fiscalité : on généralise les taxes, alors que la logique voudrait que l'on soit soumis à un impôt équivalent, à un taux d'effort équitable de chaque citoyen, et à une prestation équivalente pour ceux-ci. Il en va de même pour les valeurs fraternelles et solidaires.
Enfin, Hannah Arendt avait vu, dans la perte de ce calendrier, la Révolution française arrachée à l'extraordinaire et réintégrée dans un processus historique. C'est sur ces considérations, en l'an 207 de notre calendrier républicain, que nous vous demandons, citoyens et citoyennes députés, de faire un acte de foi républicaine en réservant un bon accueil à ce projet de loi.
M. Luc Gilly (AdG). Vu l'accueil exceptionnel réservé à ce projet de loi, je me limiterai à une courte déclaration, qui ne se veut pas être un cours rhétorique ou historique sur le bien-fondé de ce projet de loi.
Que n'ai-je pas entendu ? Que n'ai-je pas lu ces derniers temps sur ce projet de loi, tellement hérétique, semble-t-il ? Ce qui m'amène à vous poser cette question : depuis quand la réflexion et une petite dose d'humour sont-elles interdites dans ce parlement ? Le projet de modification de la LDTR, j'en conviens, est bien plus important que ce calendrier républicain, mais je ne pense pas faire perdre beaucoup de temps à ce parlement puisque ce projet de loi ne sera certainement pas renvoyé en commission législative. M. Lescaze sera donc privé du rapport qu'il concocte déjà ! Je vous signale d'ailleurs, Monsieur Lescaze, qu'en tant que président de la commission, ce n'est pas à vous de faire les rapports !
Si aujourd'hui ventôse, aujourd'hui aussi overdose... Overdose entretenue sur cette date toute mythique et fausse du passage d'un millénaire à l'autre. Pour vous en convaincre, je vous renvoie à l'exposé des motifs du projet de loi, bien que je sois persuadé que vous en avez tous pris connaissance...
En résumé, adopter le calendrier républicain nous aurait évité de subir une des manifestations les plus médiatiques, les plus mercantiles qui se prépare sur une partie de la planète pour une date qui ne signifie rien. Dans un article paru hier dans la «Tribune de Genève», un écrivain psychologue concluait, comme moi, qu'effectivement cette date de l'an 2000 ne signifiait rien. Il terminait en disant que nous allions simplement remettre le compteur à zéro et rien de plus. Alors, quand M. Lescaze, via la Tribune toujours, en date du 19 février, affirme que l'on se moque du Grand Conseil, que l'on se moque de son sérieux, particulièrement dans ces temps difficiles que nous vivons, je lui réponds que ce n'est aucunement par moquerie que ce projet de loi a été déposé, mais bien pour tenter de relativiser le délire mondial qui se prépare pour fêter l'an 2000.
Vous avez raison, Monsieur Lescaze, de dire que les temps sont particulièrement durs. J'en ai dressé une petite liste : les temps sont durs pour 25 à 30 millions de Kurdes qui sont en train de perdre tout espoir d'être un jour reconnus par la communauté internationale. On constate que 10 millions de chômeurs permanents, rien que dans l'Union européenne, continuent à végéter. Je rappelle la naissance de la jungle économique appelée mondialisation ou machine à fusionner, à exclure et à licencier. Celle-ci, merci, tourne à plein pot. Que dire aussi d'un tiers de la planète qui meurt de faim, qui souffre d'un manque permanent de soins et d'éducation ? Dois-je encore parler du désastre écologique qui menace tout un chacun ? Ou des militaristes sponsorisés par les marchands de canons, qui sèment misère et désolation avec leurs cohortes de réfugiés ?
Voilà quelques raison, Mesdames et Messieurs les députés, pour lesquelles nous voulions faire l'impasse sur ce nombre : 01.01.2000. Pour nous, l'essentiel est la recherche permanente de plus de justice, accompagnée d'une réforme politique profonde, qui sera bien plus festive, en cas de réussite, qu'un feu d'artifice aussi beau, aussi grand soit-il dans dix mois. A nous d'entreprendre les réformes indispensables et nécessaires pour les années 2000. Qu'elles ne soient pas nivôse, pluviôse, ventôse ! La névrose n'a que trop duré.
Pour clore ce débat, je vous informe - avec mes excuses à M. Lescaze - que nous retirons ce projet de loi ! (Applaudissements.)
Le Grand Conseil prend acte du retrait de ce projet de loi.