République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 février 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 4e session - 8e séance
P 1140-A
Sous la présidence de M. Alain-Dominique Mauris et en présence de M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat en charge du DEEE, les membres de la Commission d'économie ont consacré la séance du 11 janvier dernier à traiter la pétition 1140 qui avait été déposée le 23 janvier 1997 par la CGAS et le Cartel intersyndical de la fonction publique
Préambule
La Communauté genevoise d'action syndicale a fait savoir par une lettre envoyée à la commission qu'elle ne se présenterait pas à l'audition, considérant que le contexte dans lequel la pétition a été lancée n'était plus d'actualité.
Audition
MM. Marco Spagnoli et Souhail Mouhanna, représentants du Cartel intersyndical de la fonction publique, admettent que les conditions politiques et institutionnelles qui ont entouré le dépôt de cette pétition au début de l'année 1997 ont évolué.
Cette pétition, qui a recueilli 10 000 signatures, a été élaborée pendant le règne du gouvernement monocolore et dans la foulée d'un mouvement syndical de la fonction publique.
Pour les auteurs de la pétition, la situation n'a pas fondamentalement changé depuis le dépôt de cette pétition, preuve en est le projet de loi constitutionnel, issu de la table ronde.
Par conséquent, l'héritage politique du gouvernement monocolore pèse encore de tout son poids sur les autorités politiques actuelles.
Les buts de la pétition sont d'une part, la mise en place d'une série de mesures économiques et sociales visant à améliorer la situation de l'emploi et le maintien du pouvoir d'achat et, d'autre part, la mise en place d'une politique d'équilibre social soutenue par les droits politiques et syndicaux.
Les pétitionnaires ont confirmé l'actualité des problèmes soulevés dans la pétition, à savoir : la problématique des heures supplémentaires, le non remplacement du personnel en cas d'absence pour maladie ou accident dans plusieurs secteurs, comme le social et la santé, avec pour conséquences la détérioration de la qualité des services fournis à la population.
Dès lors trois propositions sont préconisées :
la diminution du temps de travail, afin de favoriser l'emploi ;
l'augmentation du budget d'investissement en matière de logements sociaux ;
le développement de la formation.
Par ailleurs, M. Mouhanna constate que les entreprises genevoises, les P.M.E. notamment, sont en difficulté à cause de la frénésie qui se développe au niveau des profits financiers. Les banques rendent, par exemple, très difficile l'obtention de crédits et de prêts aux entreprises. En fait, elles ne prêtent qu'aux entreprises à haut rendement et fortement capitalisées.
Genève compte 18 000 demandeurs d'emploi. Il devient donc urgent de prendre les mesures qui s'imposent afin d'éviter une société à plusieurs vitesses, où d'un côté les uns travaillent de plus en plus (tout en voyant leur pouvoir d'achat diminuer) et de l'autre, 18 000 personnes se désespèrent de ne pas retrouver un emploi.
Discussion et vote
La majorité des commissaires présents à cette séance soulignent que, malgré le retard pris pour traiter cet objet (2 ans), les invites mentionnées dans la pétition restent toujours d'une actualité brûlante.
Ils décident à :
8 voix pour (3 Adg, 3 S, 2 Ve)
6 voix contre (2 L, 2 DC, 2 R)
d'envoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
Je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à en faire de même.
PÉTITION
pour une politique sociale et un développement économique solidaire
Constatant la mise en place d'une politique de démantèlement social systématique menée par les milieux économiques et financiers - révision de la loi sur le travail -, et par leurs représentants politiques au Grand Conseil comme au Conseil d'Etat,
la Communauté genevoise d'action syndicaleet le Cartel intersyndical de la fonction publique
dans le but de mettre un terme aux effets dévastateurs d'une politique se traduisant par un recul du revenu cantonal, par la précarisation de nombreux emplois, la suppression de plus de 35 000 places de travail à temps complet, l'appauvrissement des plus démunis, l'enrichissement des plus privilégiés, des initiatives xénophobes scandaleuses,
s'associent pour faire signer à la population le présent manifeste axé sur les revendications suivantes:
Pour le plein emploi et le maintien du pouvoir d'achat
· maintenir et améliorer le pouvoir d'achat de l'ensemble des salariés-ées, des chômeurs et chômeuses et des retraités-ées du canton;
· développer une politique économique permettant le maintien et la création de places de travail;
· réduire le temps de travail pour favoriser l'accès de toutes et tous à l'emploi et supprimer les heures supplémentaires;
· augmenter le budget d'investissement en priorité vers le logement social et vers des infrastructures préservant l'équilibre écologique du canton;
· développer la formation professionnelle et lancer une opération de formation continue visant la généralisation des certificats fédéraux de capacité et du perfectionnement professionnel.
Pour une politique sociale solidaire et l'élargissement des droits politiques et syndicaux
· respecter et mettre sur pied des accords contractuels entre syndicats et patronat dans le secteur public comme dans le secteur privé;
· redéployer une politique sociale axée sur la solidarité, la justice sociale et le développement des droits syndicaux et politiques des salariés-ées du canton, quels que soient leur sexe ou leur nationalité;
· préserver le service public et maintenir des prestations de qualité à l'ensemble de la population;
· promouvoir la justice fiscale et refuser toute baisse d'impôt ayant pour objectif le démantèlement de la politique sociale et d'intervention de l'Etat;
· maintenir les emplois et les occupations temporaires permettant aux chômeurs et chômeuses en fin de droit d'ouvrir un nouveau droit aux prestations de l'assurance-chômage et plus généralement maintenir les prestations sociales de l'Etat.
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Débat
Mme Dolorès Loly Bolay (AdG), rapporteuse. J'aimerais signaler une erreur à la page 4 et 5 de ce rapport : la pétition annexée est la pétition 1147 et non la 1140.
La pétition 1140, déposée pendant le règne du gouvernement monocolore, avait récolté 10 000 signatures en quelques semaines. Bien que cette pétition date de deux ans déjà, les invites sont toujours d'actualité. Aujourd'hui la situation a empiré : le nombre de demandeurs d'emploi à Genève - 16 120 personnes - les dysfonctionnements ainsi que les heures supplémentaires dans certains départements de l'Etat, enfin le rapport accablant du BIT sur la situation de l'emploi et l'exclusion dans le monde.
L'Alliance de gauche avait déjà signalé à plusieurs reprises les dysfonctionnements dans plusieurs départements de l'Etat ; nous avions cité notamment, dans une motion, le déficit sérieux des aides-soignantes et infirmières à l'Hôpital cantonal qui porte atteinte à la qualité des soins. Par ailleurs, l'office des poursuites et faillites a enregistré quelque 289 000 faillites en 1997; les employés croulent sous le travail. A cela viennent s'ajouter chaque année 400 000 heures supplémentaires au département de justice et police. La Suisse est, avec le Portugal, le pays où l'on travaille le plus en nombre d'heures.
Selon le BIT, les perspectives sont de plus en plus sombres. Son dernier rapport souligne que le chômage et le sous-emploi ont atteint un niveau sans précédent et vont encore augmenter. Le signe d'un regain de croissance constaté dans de nombreuses régions du monde, au cours du premier semestre 1997, avait fait espérer une reprise de l'économie qui viendrait stimuler l'emploi sur toute la planète. Or, on le sait, il n'en est rien. La situation mondiale de l'emploi n'est guère réjouissante et ne cesse de s'assombrir.
La persistance du chômage et du sous-emploi provoque l'exclusion sociale des jeunes, des personnes âgées et des travailleurs les moins qualifiés. Pour ceux-là - la pétition 1140 le dit très clairement - il faut se donner les moyens de lutter contre ces fléaux. La formation professionnelle constitue un moyen efficace de lutter contre le chômage des femmes, des jeunes, des travailleurs enfermés dans les secteurs non structurés. D'autre part, la diminution du temps de travail - dont il est souvent question - accompagnée d'embauche serait également une autre piste à exploiter.
De nombreux pays de la Communauté européenne ont mis en place des dispositifs pour réduire le temps de travail, cela sans précarisation. C'est le cas de l'Autriche, de l'Italie, de la Hollande et de la France entre autres. Pour prendre ce dernier exemple, suite à la mise en application de la loi Aubry, 37 000 postes de travail ont été créés entre octobre 98 et janvier 1999.
Selon les spécialistes du BIT, une réduction de 10% de la durée du temps de travail se traduit souvent par une augmentation du nombre d'emplois d'environ 12%. Ce n'est cependant pas la seule conséquence de la mise en oeuvre de cette règle : elle oblige l'entreprise à une réorganisation qui la rend plus compétitive. C'est pour cela que les essais pilotes mis en place dans certains départements de l'Etat doivent être développés et encouragés; les personnes qui seront engagées doivent en priorité être des chômeurs de longue durée ou en fin de droit.
Ma dernière remarque portera sur le manque de dialogue entre le Conseil d'Etat et les représentants de la fonction publique. En effet, depuis la votation du 20 décembre dernier et en tenant compte du dépôt du budget au mois d'avril, aucune négociation n'est prévue, à ce jour, avec les représentants du personnel de la fonction publique. Tout au plus, et suite à la demande du Cartel intersyndical, le Conseil d'Etat a-t-il daigné convoquer les syndicats à une séance d'information la semaine prochaine. C'est dire si cela est désolant et navrant de la part du Conseil d'Etat.
M. Pierre-Alain Champod (S). Brièvement quelques explications quant au soutien du groupe socialiste au renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
Cette pétition fait une critique de l'évolution de la situation économique et propose des mesures que le groupe socialiste partage pour la très grande majorité d'entre elles. La situation politique a certes évolué entre le lancement de cette pétition et le moment où la commission de l'économie l'a traitée. Lors de son lancement le gouvernement monocolore régnait encore sur Genève et, contrairement à ce qui ressort de l'audition des pétitionnaires, la situation politique a évolué dans un sens positif puisque aujourd'hui une majorité de gauche siège au parlement et que le Conseil d'Etat est multicolore.
En revanche - et sur ce point je partage l'analyse des pétitionnaires - la situation économique reste particulièrement préoccupante. Le partage des richesses continue d'être de plus en plus inéquitable et le nombre des demandeurs d'emploi reste à un niveau extrêmement élevé.
Dans ce contexte, la majorité des invites figurant dans la pétition restent d'actualité. Je pense notamment à celle qui demande de développer une politique économique permettant le maintien et la création de places de travail ; à celle qui propose de réduire le temps de travail, pour favoriser l'accès de toutes et de tous à l'emploi, et de supprimer les heures supplémentaires ; ou encore à celle qui demande de redéployer une politique sociale axée sur la solidarité, la justice sociale et le développement des droits syndicaux et politiques des salariés du canton, quel que soit leur sexe ou leur nationalité ; enfin à celle qui demande de préserver le service public et de maintenir des prestations de qualité à l'ensemble de la population.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste vous invite à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Jean-Claude Vaudroz (PDC). Mme Bolay a relevé dans le préambule de son rapport que la Communauté genevoise d'action syndicale avait fait savoir, par une lettre envoyée à la commission de l'économie, qu'elle ne se présenterait pas à l'audition, considérant que le contexte dans lequel la pétition a été lancée n'était plus d'actualité. Ce qui est exact, puisque le Conseil d'Etat - même s'il est encore très souvent critiqué s'agissant de sa couleur monocolore de l'époque - n'a cessé de développer un certain nombre de conditions-cadre qui sont extrêmement favorables au développement de nos PME et PMI et donc à la création d'emplois. N'oublions pas de mentionner qu'entre le dépôt de la pétition et ce jour Start-PME par exemple est née, la LAPMI est entrée en vigueur, il y a eu recapitalisation de l'OGCM.
Aujourd'hui, le guichet unique a été réalisé. Il a été fait mention, dans le cadre de la fonction publique, des projets de partage du temps de travail. Nous n'avons, bien entendu, pas attendu cette pétition pour ce faire; nous avons même travaillé un projet en commission pour obtenir des conditions-cadre qui permettront au secteur privé de se lancer dans le partage du temps de travail.
En l'occurrence, nous nous trouvons toujours devant le même combat mené par une certaine gauche - la gauche-caviar - qui demande bien entendu de maintenir et améliorer le pouvoir d'achat de l'ensemble des salariés. A cet égard, je propose à Mme Bolay - puisqu'elle est femme d'entrepreneur - d'ajouter une invite supplémentaire, qui consisterait à garantir aux entreprises leur chiffre d'affaires, ce qui serait une formule extrêmement intéressante et conduirait probablement à maintenir l'emploi ! Avoir un cash-flow extrêmement positif nous permettrait de développer l'emploi dans nos entreprises.
Sachez tout de même que le patronat genevois ne vous a heureusement pas attendus pour créer de l'emploi; une fois de plus, nous avons la démonstration que le chômage diminue à Genève, grâce aux actions entreprises par notre Conseil d'Etat en particulier et grâce au dynamisme et à la diversification de nos entreprises.
Je propose donc de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Le président. La parole n'est plus demandée. Je mets aux voix les conclusions de la commission, proposant de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
Les conclusions de la commission de l'économie (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) sont adoptées par 37 oui contre 35 non.