République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 5 novembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 1re session - 46e séance
PL 7783-A
RAPPORT DE MAJORITÉ
Sous la présidence de M. Bernard Annen, la Commission des finances a étudié le projet de loi 7783 lors de la séance du 11 février 1998. M Bernard Fulpius, recteur de l'Université ainsi que M. Denis Dufey, secrétaire-général DAEL assistaient à cette séance.
Historique
Dans le cadre du patrimoine appartenant à l'Université, l'immeuble cité par le projet de loi provient d'une donation et fait partie du fonds dit Blair-Jentzer.
Ce fonds a été constitué par la donation du professeur de chirurgie Albert Jentzer qui avait reçu une importante somme d'une famille américaine, la famille Blair, pour la recherche dans ses travaux
Il a, ce faisant, reconstitué les moyens de doter l'Université de rentrées financières dues au rendement de cet immeuble afin que celles-ci servent à la Faculté de médecine, noble but au demeurant.
Dilemme
L'Université, tirant ses ressources financières des deniers publics ainsi qu'en mineure partie des fonds et autres donations, se doit de rentabiliser au mieux ceux-ci. L'aspect moral que revêt la gestion d'un bien cédé à des fins louables, directement en rapport avec l'activité de recherche universitaire, est à mettre en exergue dans la réflexion d'une solution permettant un profit substantiel.
C'est dans cet esprit, en voyant que le rendement de l'immeuble, objet du présent projet de loi, ne pouvait en l'état être d'un rapport convenable, que l'Université s'est décidée à vendre ce bien du patrimoine financier afin de placer à meilleur compte le produit de l'aliénation projetée.
Cette solution a été retenue après avoir envisagé la rénovation de cet immeuble, entretenu selon le minimum légal. Tous les calculs ont démontré que les contraintes financières de la somme à investir n'avaient pas en retour un rendement suffisant pour justifier une telle dépense.
Servitude et grandeur de la LDTR
Il y a toujours dans une loi des éléments voulus par le législateur afin de dresser des barrières contre des abus manifestes dans tel ou tel domaine.
Il y a aussi des règles permissives qui rendent attractive une loi par une vision large des idées et qui se concrétisent par certaines facilités offertes dans l'application du texte législatif.
Ce qui était valable du point de vue militaire pour A. de Vigny, ne l'est en revanche pas pour la LDTR, qui ne représente pour le bâtisseur qu'une grande servitude.
Dans le cas d'espèce, la rénovation de l'immeuble coûterait 1,3 million. Le bâtiment devant garder sa destination d'habitat et le prix à la pièce maximum étant défini, il est donc impossible d'avoir un rendement couvrant l'investissement et assurant des rentrées financières logiques.
La solution de changer d'affectation ce bâtiment aurait pu sembler normale, vu l'endroit où se situe l'immeuble et les possibilités de location à des buts commerciaux, mais la LDTR s'y oppose.
En imaginant la rénovation en des cabinets médicaux qui par leur location, aisée en cet endroit, aurait garanti un excellent rendement, le but poursuivi par l'Université aurait été pleinement satisfait, l'argent rentrant provenant de profits médicaux et retournant à la recherche dans le même domaine. Hélas la LDTR fait blocage.
Si la rénovation n'était pas limitée quant au rendement de l'investissement par le prix maximum de la pièce - qui ne tient pas compte de l'emplacement de l'immeuble - le retour d'investissement aurait pu être garanti par un état locatif suffisant. Il est normal de penser que la situation de l'immeuble ne se prête guère à une habitation à caractère social. La LDTR ne le permet pas.
Si la valeur de vente est trop élevée et l'acheteur désirant réaliser une opération lucrative, le simple fait d'y ajouter les frais de rénovations ferait grossir l'état locatif et dépasser le prix maximum permis à la pièce. Le fait que l'Université réalise un bien à bon compte dans un but louable ne représente rien et la LDTR est toute puissante.
Travaux de la commission
La majorité de la commission a tenu compte des éléments suivants pour prendre sa décision :
• l'Université se doit d'obtenir le meilleur rendement des fonds qu'elle gère, vu dans le cas précis la destination de ceux-ci à la Faculté de médecine ;
• l'acheteur potentiel étant locataire et ne désirant pas réaliser une opération commerciale rentable au vu du prix proposé, la somme de 2,6 millions est à considérer comme un investissement d'ordre familial et sa quotité ne peut être que judicieuse à l'égard de l'Université ;
• le rôle de l'Université n'est de loin pas de bâtir, rénover et transformer des immeubles et c'est lui faciliter la tâche de réaliser ce bien en espèces plus faciles à gérer ;
• la destination de l'immeuble restera la même et le nombre de logements voire de pièces restera identique à cet endroit.
Conclusions
La majorité de la commission par 9 oui ( 3 L, 2 DC, 2 R, 2 Ve ) et 6 non (3 S, 3 AdG ) vous demande d'accepter, Mesdames et Messieurs les députés, le projet de loi 7783.
PROJET DE LOI(7783)
autorisant l'aliénation d'un immeuble propriété de l'Université
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève,
Article unique
L'Université est autorisée à aliéner l'immeuble sis au 12, rue de-Candolle, parcelle n° 4311, feuille 16 de la commune de Genève, section Cité, au prix minimum de 2 600 000 F, sous condition que l'affectation de l'immeuble à l'habitation soit maintenue.
RAPPORT DE MINORITÉ
La Commission des finances, sous la présidence de M. Bernard Annen, a étudié le projet de loi susmentionné lors de sa séance du 11 février 1998. Les personnes suivantes ont assisté à cette séance :
M. .
M. Denis Dufey, secrétaire général du DAEL.
Présentation du projet
M. Fulpius présente le projet de loi conformément à l'exposé de motif du Conseil d'Etat, annexé à ce rapport de minorité. M. Dufey confirme que l'immeuble en question est bien destiné à des logements et qu'il est soumis à la LDTR (loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitations L 5 20).
Travaux de la commission
La commission a demandé des explications concernant la phrase (voir exposé des motifs pp. 9 et 10) " Compte tenu de ses ressources, l'Université ne peut assumer ces frais ni les risques encourus par l'opération. Selon les études entreprises, la rentabilisation de la réfection de ce bâtiment, au vu des contraintes de la LDTR et des conditions du marché, est incertaine. "
M. Dufey explique que ceci tient compte d'une valeur intrinsèque de l'immeuble et le coût de la rénovation, qui serait de l'ordre de 1,3 millions. Par ailleurs, il informe la commission que l'Université a approché la CIA qui a décliné l'offre de vente.
M. Fulpius précise que l'Université n'a pas constitué de réserves aux fins de restauration. Il précise qu'il a un acquéreur potentiel, au prix de 2,6 millions minimum indiqué dans le projet de loi, pour le bâtiment.
Un commissaire se questionne sur le sérieux de cet acquéreur potentiel et sur la possibilité de respecter la LDTR en cas de vente à ce prix. En respectant un plafond de loyer - après rénovation - de Fr. 3 500/pièce/an à un rendement normal des capitaux investis, ceux-ci ne pourront pas dépasser 1,7 million, selon lui. Il souhaite connaître le montant inscrit au bilan de l'Université de l'immeuble en question.
M. Fulpius n'a pas tous les éléments du dossier en sa possession et ne souhaite pas entrer dans des considérations d'ordre technique. Il transmettra le bilan à la commission. Le bilan 1996 est remis à la commission fin avril 1998.
Lors de la discussion qui s'en est suivie, il a été débattu si oui ou non, en donnant le "; feu vert " à un prix de vente aussi élevé (2,6 millions, dans l'état), l'on oblige implicitement les futurs propriétaires à soustraire des logements au marché des logements répondant à un besoin prépondérant de la population. La majorité de la commission a estimé que tel n'était pas le cas, tout en ne contestant pas la justesse de raisonnement d'ordre économique de la minorité.
Lors du vote, la commission a pris la décision de recommander au Grand Conseil d'accepter ce projet de loi par 9 oui (3 L, 2 R, 2 DC et 2 Ve.) contre 6 non (3 S et 3 AdG). Le rapport de la minorité a été confié à Mme Marianne Grobet-Wellner.
Les raisons de la recommandation de refus de la minorité
En général
La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans certaines zones. Il n'est pas contesté que l'immeuble en question se trouve dans les catégories visées par la LDTR.
Dès lors, notre Grand Conseil, ayant voté cette loi, ne doit, en toute connaissance de cause, donner son aval à une opération qui aura pour conséquence de soustraire au marché des logements dans une catégorie où sévit la pénurie.
Notre intention n'est pas de reprocher à l'Université de vouloir faire "; une bonne affaire ". Cependant, nous devons tenir compte de l'ensemble des intérêts de la population. Nous estimons que, tout en s'assurant d'un rendement décent de cette donation, l'Université peut rénover ce bien et le mettre en location à un loyer respectant la LDTR. Tel n'est pas le cas d'un acquéreur au prix proposé par l'Université.
En particulier
Selon l'état locatif fiscal au 31.12 1996 établi par la régie de l'immeuble, l'immeuble en question compte 37 pièces. S'agissant de grandes pièces, l'état locatif après rénovation se monte à Fr. 129 500 (37 x Fr. 3 500).
Les charges de l'immeuble ont été de Fr. 29 500 en moyenne en 1995/1996 et 1996/1997, ce qui laisse un montant de Fr. 100 000 pour rémunérer les fonds investis.
L'immeuble figure actuellement au bilan de l'Université pour un montant de Fr. 540 000. Les travaux de rénovation, estimés en 1992 à 1,3 millions vont coûter, au taux de 4,25 %, Fr. 55 250/an, laissant ainsi une rémunération de 8,25 % (Fr. 44 750/an) sur le fonds appartenant à l'Université, provenant de la donation de la Fondation Mary Blair. Tenant compte que les prix des travaux de rénovation ont diminué de 15 % à 20 % en moyenne depuis 1992, la rémunération des fonds figurant au bilan de l'Université et provenant de cette donation sera probablement même supérieure à 10 %.
Conclusions
L'opération est rentable pour le propriétaire actuel, tout en permettant de maintenir ces logements sur le marché à des prix compatibles avec la LTDR.
Tel n'est pas le cas pour un nouveau propriétaire devant investir une somme de 2,6 millions - avant travaux.
Nous pensons ainsi vous avoir démontré que le seul propriétaire qui peut garantir le respect de la LDTR, tout en assurant un rendement normal de son capital investi, est le propriétaire actuel, à savoir l'Université de Genève.
Voilà les raisons pour lesquelles nous vous invitons à refuser ce projet de loi.
ANNEXE
Secrétariat du Grand Conseil
Proposition du Conseil d'Etat
Dépôt: 19 novembre 1997
Disquette
PL 7783
PROJET DE LOI
autorisant l'aliénation d'un immeuble propriété de l'université
LE GRAND CONSEIL,
Décrète ce qui suit:
Article unique
Certifié conforme Le chancelier d'Etat: Robert HENSLER
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames etMessieurs les députés,
rez : hall d'entrée et bureaux (cabinet médical);
1er, 2e et 3e : un appartement de 7 pièces par niveau;
4e : deux appartements de 3 et 4 pièces;
comble : un studio.
Premier débat
M. Pierre Ducrest (L), rapporteur de majorité. La subvention accordée à l'université, inscrite au budget 1999, est de 240 millions. Ce n'est pas rien mais grandement mérité ! L'université possède d'autres biens apparaissant dans son budget, notamment des biens immobiliers de plus ou moins bon rapport. Néanmoins, certains n'ont plus de rapport du tout.
C'est pourquoi une aliénation est proposée, au point 44 de l'ordre du jour, par le biais du projet de loi 7783-A. Elle concerne un immeuble en très mauvais état. Si l'université devait assumer les réparations, en se transformant elle-même en architecte, en entrepreneur, etc., elle aurait bien des problèmes dus au coût des réparations et au rendement qu'elle pourrait escompter postérieurement.
Ayant un client potentiel, elle a choisi l'aliénation. Ce client ne changera pas l'affectation des lieux puisqu'il les occupe lui-même. Le prix de l'aliénation est suffisamment important pour assurer un bon retour à l'université.
A une époque de mécénat, beaucoup de biens immobiliers ont été offerts à l'université dans des buts louables, comme celui de financer la recherche médicale. Actuellement, ce n'est plus le cas, le rapport de ces biens immobiliers étant insuffisant.
Chargée de prendre une décision, la commission des finances a cru bon d'accepter cette aliénation, sachant que l'université n'est pas spécialiste de l'immobilier. Restait le problème technique posé par la LDTR. Avec sagesse, la commission a considéré que la loi devait s'effacer devant le but louable poursuivi par l'université et qu'il n'y avait pas de risque spéculatif pouvant bafouer la LDTR.
La majorité a donc pris sa décision, puis s'est trouvée en face d'un rapport de minorité établi par Mme Grobet-Wellner, rapport qui va dans deux directions.
La première est d'élever la LDTR en doctrine et de la placer au-dessus de toute considération intervenant dans la vente d'un immeuble.
La deuxième consiste à masquer un montage financier qui ne tient pas la route derrière un nuage de fumée. Je ne suis pas un adepte du voyage à Lourdes, mais si j'ai un bien à transformer, je viendrai vous trouver, Madame la rapporteuse de minorité, car vous m'assurerez des rendements miraculeux.
Il faut savoir raison garder. Entre deux choix, il faut faire le meilleur. Aussi je vous demande de voter cette loi qui permettra à l'université de percevoir quelques fonds en espèces qui, j'en suis sûr, seront placés à bon escient.
Mme Marianne Grobet-Wellner (S), rapporteuse de minorité. La valeur de 540 000 F, datant de 1961, figure au bilan du fonds général de 1991. Après avoir entendu le rapporteur de majorité, j'entendais apporter cette précision. J'ajoute que cet immeuble de 540 000 F appartient à l'ensemble des biens immobiliers de l'université évalués à 9 277 000 F.
M. Christian Ferrazino (AdG). Partageant le souci de Mme Grobet-Wellner, rapporteuse de minorité, nous avons des propositions à formuler pour que cet immeuble puisse rester propriété de la collectivité publique. Etant proche de l'université, il pourrait être affecté, le cas échéant, au logement des étudiants.
Par conséquent, je demande le renvoi de ce projet de loi en commission.
M. Pierre Ducrest (L), rapporteur de majorité. Actuellement, l'immeuble est occupé par la personne qui désire l'acquérir. Dès lors, je ne vois pas comment vous pourrez y loger des étudiants sans déloger son occupant et entreprendre des travaux.
Je m'oppose à cette façon de faire. Nous pouvons terminer ce point de l'ordre du jour et voter le projet ce soir.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. J'ignore tout des propositions annoncées par M. le député Ferrazino. Pour sa part, le Conseil d'Etat soutient ce projet de loi. Il ne s'opposera évidemment pas à la formulation de propositions raisonnables et acceptables.
L'université n'a pas pour vocation de mener une politique foncière. De ce point de vue, la vente peut être autorisée, étant rappelé que la LDTR est applicable à tous, qu'il s'agisse de l'université ou d'un autre acquéreur.
Que votre Grand Conseil n'autorise pas une opération foncière à un prix qui rend l'application de la LDTR problématique, c'est normal et tout à son honneur. Je ne suis pas certain que c'est le cas pour le prix énoncé.
Je souhaite, bien entendu, le vote du projet. Si son renvoi momentané en commission devait permettre de trouver une solution satisfaisante pour tous, cela serait évidemment préférable à un affrontement. C'est dans cet état d'esprit que j'attends votre décision.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce projet à la commission des finances est adoptée.