République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1058-A
8. Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes Micheline Calmy-Rey et Claire Torracinta-Pache concernant des mesures incitatives dans le but de favoriser des expériences de partage du travail. ( -) M1058
Mémorial 1996 : Annoncée, 2223. Développée, 3706. Renvoi en commission, 3717.
Rapport de majorité de M. Jean-Claude Vaudroz (DC), commission de l'économie
Rapport de minorité de Mme Magdalena Filipowski (AG), commission de l'économie

RAPPORT DE LA MAJORITÉ

La commission de l'économie sous la présidence de Mme Fabienne Blanc-Kuhn en présence de :

- M. Carlo Lamprecht, C.E., président du DEEE

- M. Bernard Gabioud, secrétaire général du DEEE

s'est réunie pour traiter cette motion.

Préambule

La motion 1058 a été déposée le 26 avril 1996 et renvoyée à la commission de l'économie après discussion au Grand Conseil le 21 juin 1996. Entre-temps, le Conseil d'Etat a mandaté le Conseil économique et social (CES) le 22 mai 1996, lui demandant en particulier, en ce qui concerne le partage du temps de travail, l'étude de modèles suisses et étrangers et l'organisation d'un large débat public sur le thème du partage du temps de travail, au plus tard au mois de février 1997.

Le corps principal du mandat donné au CES invitait à proposer un ou plusieurs concepts de partage du temps de travail, visant la création d'emplois, applicables dans les secteurs professionnels ou dans des entreprises en prenant en compte le contexte légal, économique et social, relatif aux rapports de travail.

La commission de l'économie a été, dans l'intervalle, entièrement absorbée par l'urgence des travaux sur les dispositions cantonales pour chômeurs en fin de droits découlant des exigences du nouveau droit fédéral. Celui-ci demandait en effet une période de douze mois d'activité soumise à cotisation pour que le renouvellement des droits aux indemnités fédérales puisse être assuré. La systématique des emplois temporaires relevant du droit cantonal devait donc être revue d'urgence et la négociation, ainsi que les discussions avec les partenaires ont exigé plusieurs mois de travail et ont été déterminées au cours de l'été 1997.

La commission a repris alors le thème du partage du travail le 29 septembre 1997 et, vu la proximité de la publication du rapport du Conseil économique et social annoncée pour la fin de l'année, a décidé d'attendre cette parution pour en faire sa base de réflexion.

En ce début de législature, la commission de l'économie, dans sa nouvelle composition, a décidé le 10 décembre 1997 d'examiner sans plus attendre le problème posé par la motion. Ceci d'autant plus que le programme de législature du Conseil d'Etat, exposé dans le discours de Saint-Pierre, indiquait que le Gouvernement entendait ouvrir rapidement une concertation avec la fonction publique sur les modalités d'application du partage du temps de travail dans le secteur public et de proposer des mesures incitatives destinées au secteur privé.

C'est ainsi que la commission a consacré sept séances sur le sujet du partage de travail avant le vote sur la présente motion.

Examen en commission

La commission a abordé l'examen de la motion 1058, de caractère général, parallèlement à celui du projet de loi 7594 en faveur d'essais-pilotes sur le partage du travail.

Il s'est avéré de suite que l'ensemble des paramètres touchant le partage du temps de travail était difficile à cerner. Dès le départ, la commission a tenté de chercher une série de références aussi bien du côté des études sur la question au niveau universitaire ou au niveau sociologique en Suisse et à l'étranger, que du côté des réalisations, notamment par l'audition d'acteurs ayant participé à la mise en place dans des entreprises locales ou nationales.

Enfin, il est apparu nécessaire, étant donné l'étendue d'application du partage du temps de travail, d'auditionner également les branches et secteurs concernés soit entreprises et institutions, syndicats, etc.

Dans un premier temps, tant la motion que le projet de loi faisant appel directement aux mesures de la loi fédérale sur l'assurance-chômage, les auditions se sont limitées à deux membres de la commission de surveillance sur l'application des essais-pilotes liés à l'assurance-chômage fédérale, ainsi qu'à un membre de l'OFIAMT (actuellement Office fédéral de développement économique, OFDE) sur le même objet.

Les premiers échanges de vues ont fait apparaître la nécessité d'entrer en matière rapidement sur le sujet, considérant que le traitement social du chômage n'est plus l'instrument adéquat devant la situation actuelle et qu'il fallait donc introduire des mesures structurelles touchant à l'organisation du travail comme nouvelle possibilité d'intervention. En cela, il convenait de donner un signal politique rapide. Toutefois, est apparue très tôt la nécessité de préciser ou de modifier les invites en fonction des enseignements tirés des auditions et des discussions.

Concept du partage du temps de travail

Partager le temps de travail est une des mesures de lutte contre le chômage ou, à tout le moins, de maintien des places de travail. Ainsi, le partage du temps de travail participe à la lutte contre l'exclusion. Les discussions ont porté alors sur les bénéficiaires immédiats de cette mesure. S'agissait-il d'affecter les nouveaux emplois uniquement aux personnes sans emploi, voire aux chômeurs en fin de droits ou, de ne pas limiter à ces personnes considérant que tout emploi nouveau entraîne un effet positif d'embauche dans d'autres secteurs. On a fait remarquer à ce sujet que la limite trop stricte aux chômeurs de longue durée ne correspondrait pas nécessairement aux besoins des entreprises qui ne trouveraient pas leurs collaborateurs qualifiés uniquement dans le bassin potentiel des personnes sans emploi.

Dans ses réflexions, la commission a été amenée à distinguer l'aménagement, la réduction et le partage du temps de travail, considérant que seul ce dernier objectif était créatif d'emplois nouveaux et donc devait bénéficier de mesures d'appui et de soutien.

Enfin, les discussions ont vite montré que le partage du temps de travail dans les entreprises ne peut faire l'objet d'une application généralisée.

Dans cette dernière logique, il est apparu évident que la mise en place du partage du temps de travail doit être souple et non contraignante. En effet, les conditions sont complexes selon les secteurs économiques, les entreprises, voire les fractions d'entreprises en fonction du type de production; elles doivent tenir compte des conventions collectives de travail, usages et négociations entre partenaires sociaux.

C'est par des accords multiples que la mise en place peut être envisagée, sachant qu'elle doit impliquer autant le personnel que le management de l'entreprise, laquelle doit rester compétitive sur le marché.

Emplois

Comme indiqué ci-avant, les mesures financières ou autres aides à la mise en place du partage du temps de travail doivent correspondre à la sauvegarde des emplois, par exemple pour éviter des licenciements, ou au maintien du nombre d'emplois dans une situation de crise ou encore à l'augmentation de ceux-ci. D'une manière générale, on a fait remarquer que les critères d'attribution d'aides sont difficiles à déterminer pour le maintien des emplois tandis que la création se mesure de façon plus évidente.

La commission a dirigé peu à peu sa réflexion vers le lien entre les aides proposées et la création d'emplois par le partage du temps de travail. Elle a toutefois considéré que la création d'emplois par l'ouverture de marchés nouveaux et d'activités nouvelles à l'initiative de la promotion économique doit être maintenue, voire développée.

Modalités

Concernant la quotité de la réduction du temps de travail, sans aboutir à un chiffre précis, la commission a considéré qu'il fallait une diminution substantielle pour que soient produits des effets d'embauche. Il est en effet difficile de chiffrer, par exemple à 10 % pour l'ensemble d'une entreprise, une réduction qui pourrait être appliquée dans un seul secteur de cette entreprise à un taux supérieur et résultant d'une négociation avec les partenaires.

Quant à la répartition de cette durée, deux thèses se sont fait jour dans la commission :

- exigence d'une répartition hebdomadaire pour que le bénéfice envers les travailleurs soit mieux réparti, ou

- ouverture à d'autres situations possibles, telle l'annualisation du temps de travail pour les entreprises où l'activité a un caractère plus saisonnier ou toute autre solution négociée entreprise par entreprise ou par secteur professionnel.

Partage des coûts

Les discussions portaient également sur la répartition des coûts du partage du temps de travail. Toutes les expériences qui ont été faites dans ce domaine portent sur une compensation des coûts par des mesures fiscales ou financières de durées limitées. Dans un premier temps cependant, le coût du partage du temps de travail pourrait être réparti sur la base d'une négociation entre les aides de l'Etat, les entreprises et les travailleurs.

Pour les entreprises, le coût ne doit pas être prohibitif, il faut qu'il soit en partie ou totalement assuré par des gains de productivité. Ceci peut impliquer l'exigence de nouvelles organisations du travail pour une utilisation plus longue des infrastructures par exemple. Comme indiqué précédemment, il n'y aura donc pas ici de modèle unique généralisable.

Pour les travailleurs, une diminution du temps de travail en vue d'un partage, avec une diminution strictement parallèle des salaires, risque d'entraîner des refus d'entrée en matière. Il conviendra donc de distinguer les hauts salaires où la négociation pourrait aboutir à des réductions et les bas salaires pour lesquels la réduction devrait être limitée, voire ne pas exister. Les discussions ont fait apparaître cette limite de base de salaire aux environs Fr. 3.000,-. On a aussi fait référence à environ Fr.5.000,- comme salaire médian au dessous duquel les diminutions devraient être limitées autant que possible.

Pour la participation de l'Etat, la commission a considéré que la plus grande partie du financement devait se faire par le biais de dispositions fédérales et cantonales sur la loi sur l'assurance-chômage mais qu'il fallait envisager également d'autres mesures financières et fiscales.

Lois sur l'assurance-chômage

Les auditions ont fait apparaître des limites précises concernant les possibilités d'intervention au titre de la loi sur l'assurance-chômage fédérale.

On pouvait d'abord explorer les possibilités au titre des dispositions précises de la loi. Il faut savoir, par exemple, que l'engagement de chômeurs permet une participation au salaire de l'ordre de 40 % pour six mois voire douze mois au titre de l'assurance-chômage. Dans une certaine mesure, les stages professionnels de six mois, voire plus, pourraient également être sollicités.

D'autre part, la référence la plus explicite a été celle des projets-pilotes prévus par l'article 110a de la loi fédérale. L'application jusqu'ici ne porte que sur quelques cas et il est apparu, compte tenu des limites fixées à ces expériences et devant respecter les autres clauses des dispositions légales, que l'application ne pouvait être que ciblée et les critères définis en fonction de chaque projet d'entreprise. Aucune généralisation ne paraît possible dans cette direction.

En tout état de cause, la loi sur l'assurance-chômage fédérale limite son intervention à une durée de douze mois au maximum et exige l'engagement de personnes au chômage.

La loi cantonale sur l'assurance-chômage offre quelques possibilités si l'on considère que les allocations de retour en emploi, accordées aux chômeurs en fin de droits, permettent une participation au salaire pour une durée de douze mois de l'ordre de 20 à 40 %. La loi cantonale prévoit également des stages en entreprises d'une même durée à la charge du budget de l'Etat.

Dans ce contexte, la commission a considéré que ces mesures étaient peu connues des entreprises.

Autres ressources

Le deuxième axe de soutien aux entreprises pour le partage du temps de travail est celui des mesures financières et fiscales.

Il a été suggéré de lier le critère d'aide aux entreprises, dans le dispositif actuel de la loi sur l'aide aux petites et moyennes industries, ainsi que dans le dispositif de START-PME, à celui de l'exigence du partage du temps de travail. On a mis cependant en évidence le fait que ceci réduirait les possibilités d'intervention de la promotion économique en vue de la création de nouvelles entreprises. Il conviendrait donc, en fonction des besoins, d'envisager une ligne budgétaire spécifique qui devrait faire l'objet d'un projet de loi ad hoc.

En tout état de cause, la commission a considéré que l'octroi d'aides fiscales et financières (allégements fiscaux, reports de perte, cautionnement, etc.) ne pouvait être que limité, notamment dans le temps. A défaut, on entrerait dans un subventionnement général aux entreprises.

Quant aux mesures fiscales, il a été mis en évidence que les textes actuels ne visent pas le partage du temps de travail mais bien l'introduction de nouvelles technologies ou l'approche de nouveaux segments de marchés. Les allégements fiscaux actuellement négociés de cas par cas avec l'administration fiscale pourraient être proposés dans le cadre du dispositif existant ou sous une forme à définir et la commission sur ce point attend des propositions de la part du Conseil d'Etat.

Dans le cadre de l'aide aux entreprises, quelques propositions ont également été faites de l'utilisation du budget affecté au chômage sur le plan fédéral et cantonal.

Le transfert des fonds de chômage dépendant de la loi sur l'assurance-chômage fédérale est impossible car il correspond à des prestations fournies. Seules les expériences-pilotes pourraient être acceptées par l'OFDE dans la mesure où elles entrent dans ses critères d'appréciation.

Le budget cantonal consacré au chômage est affecté principalement aux salaires des emplois temporaires cantonaux, ainsi qu'aux prestations complémentaires de maladie et de maternité pour chômeurs. L'utiliser à d'autres fins reviendrait à limiter ces interventions.

Tout au plus, pourrait-on considérer que l'engagement de chômeurs en fin de droits et donc bénéficiaires potentiels d'emplois temporaires permettrait de dégager les salaires correspondants. Mais, on l'a vu, l'exigence de l'engagement de ces personnes risquerait fort de ne pas répondre généralement aux besoins des entreprises.

Entreprises concernées

La commission s'est penchée enfin sur le problème du champ d'application des dispositions prévues par la motion. Il a été convenu qu'il fallait distinguer la fonction publique de la problématique des entreprises dans lesquelles le gain de productivité pouvait être utilisé dans la négociation concernant le partage du travail.

Le débat concernant les collectivités publique doit avoir lieu au sein de celles-ci.

La commission a admis qu'il fallait assimiler aux collectivités publiques les institutions subventionnées, lesquelles ne devaient pas faire l'objet d'un double financement de l'Etat. Cependant, pour ces dernières, les dispositions liées à l'engagement de chômeurs ou de chômeurs en fin de droits restent évidemment applicables.

Dispositions complémentaires

Dans ces discussions finales, la commission a mis en évidence la nécessité de promouvoir par l'information auprès des entreprises et par une campagne générale le thème du partage du temps de travail étant donné l'importance de sa mise en application aujourd'hui et le peu de connaissances qu'ont les entreprises des dispositifs existants et à fortiori de ceux que le Conseil d'Etat s'apprête à mettre en place.

Enfin, la commission, marquant son intérêt pour le sujet, a considéré qu'un rapport annuel concernant les mesures appliquées et le résultat devait être fourni.

Nouvelles invites

Dans cette perspective, et afin de laisser au Conseil d'Etat le choix de sa stratégie et des modalités détaillées d'application, les invites de la motion 1058 ont été repensées et la commission, à la majorité de ses membres, propose les textes suivants :

Le Grand Conseil invite le Conseil d'Etat :

- A proposer une aide fiscale et financière aux entreprises qui augmentent de manière significative le nombre de leurs emplois grâce à l'adoption du partage du travail et à l'engagement de chômeurs.

- A proposer au Grand Conseil les ressources budgétaires et fiscales permettant de financer ces mesures en utilisant notamment toutes les dispositions liées à la législation fédérale et cantonale sur le chômage.

- A promouvoir par une information et des conseils appropriés l'ensemble de ces mesures auprès des entreprises.

- A rendre un rapport annuel au Grand Conseil sur les mesures accordées et sur leur effet sur l'emploi.

Vote

La commission a accepté par neuf voix pour (2R, 2DC, 2V, 3S) et six contre (3L, 3ADG).

Conclusion

Nous vous proposons par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre la majorité de la commission de l'économie et d'accepter les termes de cette motion.

RAPPORT DE LA MINORITÉ

I. Préambule

Au cours des travaux de la commission de l'économie sur la motion concernant des mesures incitatives dans le but de favoriser des expériences de partage du travail, l'Alliance de gauche a proposé deux modifications par rapport au texte initial, à savoir :

1re invite

- à accorder des aides fiscales et financières aux entreprises réduisant le temps hebdomadaire de travail de 10 % au moins, sans baisse de salaires, et qui engagent des chômeuses et chômeurs de longue durée ou en fin de droit.

2e invite

- à proposer au Grand Conseil les ressources budgétaires et fiscales permettant de financer ces mesures.

Ces deux invites ont fait l'objet d'un vote de la commission lors de la séance du 19 janvier 1998 avec le résultat suivant :

pour :  2 (2 AdG)

contre : 11 (3 S, 2 V, 1 DC, 2 Rad, 3 L)

L'Alliance de gauche a décidé de présenter un rapport de minorité pour exposer ses idées sur des concepts-clés concernant cette motion puisque la version majoritaire les a tout simplement éludés. Ce qui nous amène à proposer un amendement sur la première invite dans notre conclusion.

II. Considérations sur la première invite

La première invite concerne l'octroi d'aides fiscales et financières aux entreprises privées. Cette subvention publique ne se justifie que si les critères d'obtention sont explicites et son but défini.

1) Réduction du temps hebdomadaire de travail de 10% au moins

La réduction du temps de travail n'a de sens que si elle vise prioritairement à créer de nouveaux emplois afin de diminuer le nombre des chômeuses et chômeurs. Cet objectif n'est réalisable que si la réduction est importante, donc de 10% au moins, et hebdomadaire. La diminution hebdomadaire de 10% est un minimum, mais il est bien sûr souhaitable qu'elle soit plus importante. La précision "; hebdomadaire " a pour but d'empêcher l'annualisation du temps de travail qui, génératrice de flexibilité du temps de travail, conduit à précariser l'emploi en général et à aggraver le chômage au lieu de le résorber.

2) Sans baisse de salaire

Il serait illogique de prétendre pouvoir financer la création de nouveaux emplois par le biais d'une baisse des salaires des travailleuses et travailleurs. Pour la grande majorité des salarié-e-s il est inconcevable d'amoindrir leur pouvoir d'achat, déjà si fortement attaqué ces dernières années. C'est pourquoi il faut affirmer le principe d'une réduction du temps de travail "; sans baisse de salaire ".

Par ailleurs, des gains de productivité importants ont été réalisés ces dernières années par de nombreuses entreprises. Ces gains de productivité permettraient la réduction de l'horaire de travail sans baisse de salaire et sans subvention publique.

Finalement, pour financer les nouveaux emplois, il faut prendre l'argent "; là où il est " (cf. Considérations sur la deuxième invite).

3) Des chômeuses et chômeurs de longue durée ou en fin de droit

Il s'agit de donner la priorité à l'engagement des personnes qui sont privées d'emploi depuis longtemps ou pire encore arrivées en fin de droit, car ce sont elles qui en ont le plus besoin. Il ne faut donc pas seulement réduire le chômage mais aussi empêcher l'exclusion.

L'engagement des chômeurs en fin de droit permet également d'alléger les charges de l'Etat et constitue une forme d'autofinancement partiel des mesures proposées.

Les trois conditions précitées sont indispensables pour une collaboration efficace entre l'Etat et les entreprises privées en matière de lutte contre l'exclusion par le biais de la diminution du temps de travail. L'Alliance de gauche estime que la version de la première invite approuvée par la majorité (cf. rapport de celle-ci), est trop imprécise pour servir de base à la subvention proposée.

III. Considérations sur la deuxième invite

La deuxième invite donne le mandat au Conseil d'Etat de "; proposer au Grand Conseil les ressources budgétaires et fiscales permettant de financer (l)es mesures " définies par la première invite.

Dans le cadre de ce mandat, le Conseil d'Etat se doit de rechercher de nouvelles sources de financement. La première tâche du Conseil d'Etat devrait être, par exemples, de se pencher sérieusement sur une imposition équitable des grosses fortunes et de proposer une imposition sur les gains en capitaux, inexistante à ce jour.

IV. Conclusion

Pour l'Alliance de gauche la subvention d'Etat aux entreprises privées, sous forme des allégements fiscaux et des aides financières, n'est acceptable que si ces entreprises réintègrent les exclu-e-s du monde du travail. C'est pourquoi nous proposons de remplacer la version de la première invite du rapport de majorité par le texte suivant :

"; à accorder des aides fiscales et financières aux entreprises réduisant le temps hebdomadaire de travail de 10% au moins, sans baisse de salaires, et qui engagent des chômeuses et chômeurs de longue durée ou en fin de droit ".

Pour les deuxième, troisième et quatrième invites, nous pouvons nous rallier au rapport de majorité.

Débat

M. Jean-Claude Vaudroz (PDC), rapporteur de majorité. Je commenterai le rapport de minorité qui comporte trois points distincts.

J'estime que la faisabilité du partage du travail mérite d'être étudiée. A mon avis, elle représente une des solutions au problème de l'emploi.

En dépit de discussions fournies en commission, Mme Filipowski a mis ces trois points en évidence dans son rapport. Je ne peux que le regretter.

Une diminution d'au moins 10% de l'horaire de travail : ce point a été évoqué lors de nos débats en commission. Vu qu'une étude approfondie doit être conduite, les termes de «10% au moins» sont malvenus. Des expériences préalables doivent avoir lieu en entreprise même. Nous devons imaginer qu'un secteur de l'entreprise puisse faire du partage du temps de travail et par là même être à un taux de réduction important (secteur) mais ne représenter sur le plan de l'entreprise qu'une réduction inférieure à 10%.

A la page 5 du rapport, je rappelle que nos discussions ont fait apparaître qu'en dessous d'une rémunération mensuelle de 3 000 F, voire de 5 000 F, il faudrait limiter au maximum les diminutions de salaire. Par conséquent, il faudrait prévoir une échelle des salaires acceptable pour les entreprises intéressées par ce type d'expérience (chaque entreprise étant un cas unique).

J'en viens à la proposition d'engager exclusivement des chômeuses et chômeurs de longue durée ou en fin de droit. Il est ressorti de nos discussions que l'on ne trouvait pas toujours dans ces catégories de chômeurs des personnes répondant aux besoins des entreprises. Par contre, dès que l'on crée de l'emploi, dès l'instant où des personnes acceptent d'être mobiles professionnellement, cela va créer d'autres postes de travail qui peuvent être attribués à ces chômeuses et chômeurs. Il ne semble donc pas logique, en l'occurrence, d'utiliser d'office des chômeuses ou chômeurs de longue durée ou en fin de droit, c'est trop limitatif.

Voilà mes commentaires à propos du rapport de minorité de Mme Filipowski. Pour conclure, je dirais que c'est véritablement par le biais d'une étude approfondie que le Conseil d'Etat apportera certaines réponses aux questions de cette motion.

Mme Magdalena Filipowski (AdG), rapporteuse de minorité. Le présent rapport est le début d'une série de différentes motions et projets de lois traitant du même objet. Il nous semblait capital, dès cette première mouture, d'ouvrir des pistes de réflexion reflétant les préoccupations essentielles de l'Alliance de gauche.

Ce rapport de minorité traduit les problèmes actuels qui se posent dans l'organisation du monde du travail. A ce propos, je souhaite rappeler que la Suisse est un des pays européens où l'on travaille le plus et où la durée du travail est la plus longue. A cela s'ajoute la pratique des heures supplémentaires qui dépassent cent millions dans un pays où le chômage existe. Parallèlement, notre pays se situe au cinquième rang mondial sur le plan de la productivité.

Tout récemment, les Chambres fédérales ont adopté une modification de la loi sur le travail qui abroge, en autres, l'autorisation liée aux heures supplémentaires, ce qui ne manquera pas d'aggraver encore le chômage. Souhaitons que ce risque soit écarté par le référendum qui sera lancé !

Je souhaite situer cette motion par rapport à l'expérience qui se déroule, actuellement, au sein de l'administration de notre canton. Les heures supplémentaires sont nombreuses dans l'administration. On y travaille pendant le week-end, alors que l'on ne parvient pas à créer des emplois nouveaux.

En commission de l'économie, Mme la conseillère d'Etat Calmy-Rey nous a fait part d'une expérience pilote actuellement menée au sein de quatre services de l'administration. Nous constatons que cette expérience est absolument conforme au rapport de minorité : une réduction de 10% de l'horaire de travail entrera en vigueur dans ces quatre services; les salaires ne seront pas diminués; des chômeurs de longue durée ou en fin de droit seront engagés.

Par conséquent, l'expérience menée par l'Etat correspond parfaitement aux invites du rapport de minorité. Elle durera six mois, puis un bilan en sera tiré.

D'ores et déjà, une ombre plane sur cette expérience. En effet, si l'horaire de travail a été réduit de 10%, l'engagement des chômeurs, lui, n'a été que de 5%. Cela signifie, mathématiquement, une perte de 5% d'emplois. Il est vrai que la mathématique ne joue pas toujours à 100% avec l'économie !

Quand on lutte contre le chômage, on en arrive à lutter contre l'emploi, et cela même lors des tentatives les plus positives. C'est, hélas, la tendance qui domine un peu partout.

Dans ce contexte, nous voulons affirmer le principe totalement éludé dans le rapport de majorité, sa première invite reproduisant la proposition que M. Carlo Lamprecht a faite en commission.

Cette proposition tend à contenter tout le monde, mais ne précise aucunement le déroulement des aménagements nécessaires à la réduction du temps de travail. D'où l'importance, pour nous, d'intervenir sur ces trois points.

La deuxième invite suit la proposition de l'Alliance de gauche, étant donné que la proposition initiale non admise de la motion demandait de financer, par le biais du fonds de chômage, l'aide aux entreprises et la compensation de la diminution des salaires. Les fonctionnaires auditionnés nous ont bien affirmé qu'une telle utilisation du fonds de chômage ne pouvait être.

Ce soir, vous voterez soit le rapport de majorité, qui est une émanation du Conseil d'Etat - autrement dit, vous renverrez au Conseil d'Etat sa propre proposition - soit le rapport minoritaire qui vous propose les concepts clairs sur lesquels nous souhaitons que vous vous prononciez.

Par principe, l'Alliance de gauche n'est pas pour les allégements fiscaux. Si cette motion a pour but de trouver, par n'importe quel biais, des allégements fiscaux pour des entreprises, nous ne l'accepterons pas.

Des allégements fiscaux et des aides financières en faveur des entreprises ne peuvent être octroyés que sur des critères très précis.

Le président. Veuillez conclure, Madame.

Mme Magdalena Filipowski, rapporteuse de minorité. C'est le sens même de notre deuxième invite qui demande au Conseil d'Etat de trouver d'autres sources de financement pour créer des nouveaux postes de travail. Pour ce faire, nous proposons d'envisager sérieusement une imposition équitable des grosses fortunes, de taxer les gains en capitaux qui devraient être affectés, en premier lieu, à la création d'emplois pour les chômeurs.

Mme Dolores Loly Bolay (AdG). Depuis 1989, il est apparu à tous que les sociétés industrielles démocratiques n'étaient plus pilotées, de l'intérieur, par des gouvernements nationaux.

Au nom des sacro-saintes lois du marché, c'est hors du cadre démocratique que nos sociétés sont désormais dirigées par une poignée de potentats issus des milieux bancaires, de la finance, de la spéculation, de l'industrie et des commerces en tous genres.

Moins de salaires, rationalisation des coûts de production à travers la robotisation et l'évacuation du travail humain, moins d'impôts et de taxes, plus de profits, tels sont, actuellement, les mots d'ordre des puissances économiques. (M. Bernard Annen rit.) Vous pouvez rigoler, Monsieur Annen, c'est comme ça !

Depuis cette époque, Genève a fait une perte nette de quinze mille emplois et compte, aujourd'hui, quinze mille chômeurs et environ mille cent personnes au RMCAS, sans parler des chômeurs purement et simplement rayés des statistiques et des centaines de permis saisonniers non renouvelés.

Chacun sait, aujourd'hui, qu'il ne s'agit pas d'une crise passagère de l'emploi, mais bien des nouvelles conditions de l'économie qui rationalise la production, réduit la part du travail humain et les salaires, accroît les profits. La perte de travail, c'est d'abord l'incertitude économique, la privation de salaire. A l'inverse, le droit au travail exprime la participation de l'homme à la vie de la société. Le travail est une dignité que l'argent des indemnités de chômage ne remplace pas. La perte de travail signifie, la plupart du temps, le rejet, l'exclusion, la privation de l'avenir, la dépossession de tout espoir en un futur meilleur. De plus, elle conduit fréquemment à la pauvreté et à la misère. L'exclusion est un défi majeur. Elle doit être combattue par la mise en oeuvre de valeurs et de pratiques de solidarité.

J'en viens aux heures supplémentaires mentionnées par Mme Filipowski. En 1995, cent soixante-cinq millions d'heures supplémentaires ont été effectuées; presque autant en 1996. En diminuant de moitié ces heures supplémentaires, on pourrait créer soixante mille emplois. Pendant ce temps, deux cent mille personnes se trouvent au chômage. Cela doit nous faire réfléchir.

A contrario, la réduction du temps de travail améliore la qualité de vie. La richesse d'une société se mesure au temps dont ses membres peuvent disposer librement. La réduction des horaires de travail fait participer les hommes et les femmes qui travaillent aux gains de productivité. Pour l'Alliance de gauche, la réduction du temps de travail est une priorité et une nécessité. Cette réduction doit se faire sans diminution de salaire pour la grande majorité des travailleuses et des travailleurs.

A cet égard, la proposition faite dans la première invite de l'Alliance de gauche ne diffère guère de celle du Conseil d'Etat. En effet, des démarches ont été entreprises au sein de l'Etat pour appliquer la réduction du temps de travail. Quatre services pilotes l'expérimenteront pendant six mois. La diminution étant de 10%, l'horaire hebdomadaire de travail est de trente-six heures, avec la possibilité de le ramener à trente-deux heures. Cette diminution sera compensée par des gains de productivité. Les personnes engagées seront, en priorité, des chômeuses et des chômeurs de longue durée ou en fin de droit.

Nous saluons cette démarche, tout en demeurant dubitatifs à l'égard de ces mesures qui, bien qu'elles paraissent concorder avec celles du rapport de minorité, n'éliminent pas le flou existant au niveau des modalités de la diminution de l'horaire.

En ce qui concerne le soutien aux entreprises privées, sous forme d'allégements fiscaux et d'aides financières, l'Alliance de gauche ne le considère acceptable que si ces entreprises réintègrent les exclus du monde du travail. En effet, on ne peut accepter que l'Etat aide des entreprises sans qu'elles engagent ceux qui en ont le plus besoin. L'engagement des chômeurs de longue durée ou en fin de droit permet également d'alléger les charges de l'Etat et constitue une forme d'autofinancement partiel des mesures proposées. C'est ainsi que les entreprises pourront participer à la lutte contre l'exclusion. C'est la seule justification de l'octroi d'allégements fiscaux et d'aides financières.

Pour toutes ces raisons, l'Alliance de gauche vous invite à voter le rapport de minorité.

Mme Véronique Pürro (S). Cette motion aura eu deux mérites au moins ! Le premier, celui de nous révéler la complexité du sujet; le deuxième, de nous démontrer, concrètement, jusqu'à quel point les partis sont d'accord de défendre la réduction du temps de travail, alors que tous - sauf un, je crois - la préconisaient dans leurs programmes électoraux.

Comme l'a relevé Mme Filipowski, il s'agit, ce soir, d'un premier tour d'horizon qui permettra aux partis de poser les grands principes qu'ils entendent défendre. Permettez-moi de revenir sur les propositions de l'Alliance de gauche qui, si j'ai bien compris Mme Filipowski, les reformulera dans le cadre du projet de loi socialiste également en discussion à la commission de l'économie.

La première proposition de nos collègues de l'Alternative tend à écarter l'annualisation du temps de travail. Nous sommes d'accord avec leur hypothèse selon laquelle l'objectif du partage du travail n'est réalisable que lors d'une réduction substantielle du temps de travail. Opposée à l'annualisation, l'Alliance de gauche propose une réduction hebdomadaire.

Le groupe socialiste ne peut adhérer à cette revendication. En effet, la réduction du temps de travail peut, à notre avis, revêtir plusieurs formes selon l'échelle considérée. Limiter cette échelle à la semaine revient à exclure des modèles que nous soutenons, tels les congés solidarité/formation - j'avais cru comprendre que l'Alliance de gauche appuyait cette proposition - les congés sabbatiques ou la retraite anticipée.

Lors d'une vaste consultation de ses membres, l'un des plus grands syndicats de notre pays a pu tester l'intérêt des travailleuses et des travailleurs à l'égard de l'annualisation liée à la réduction du temps de travail. La majorité des personnes interrogées s'est déclarée favorable à un tel modèle qui correspondait à leurs attentes. Nous sommes également conscients que l'entreprise doit y trouver son compte. Dans une logique de recherche d'efficacité productive, l'annualisation du temps de travail peut permettre à l'entreprise d'augmenter la durée d'utilisation de ses équipements ou de rentabiliser des investissements coûteux.

M. Christian Ferrazino. Aïe, aïe, aïe !

Mme Véronique Pürro. Entendant M. Ferrazino s'exclamer, j'ajoute que dans le cadre de notre projet de loi nous préciserons sur quelles bases cette annualisation est faisable et définirons les garde-fous à prévoir pour que les salariés ne soient pas défavorisés.

S'agissant maintenant des conséquences sur les salaires, la position de l'Alliance de gauche se fonde sur un constat qui est également le nôtre. Comme l'ont rappelé Mmes Filipowski et Bolay, les gains de productivité, en Suisse, n'ont pas servi à faire moins travailler les personnes actives, mais à leur faire produire plus sans guère d'effet sur les salaires réels. Les gains de productivité ont surtout profité aux employeurs et aux actionnaires. Sur un plan macro-économique, il serait possible d'affecter ces gains à la réduction du temps de travail, sans abaisser le niveau de production et sans diminuer les revenus des travailleuses et des travailleurs.

M. Christian Ferrazino. Aïe, aïe, aïe !

Mme Véronique Pürro. M. Ferrazino réagit de nouveau ! En effet, cette analyse macro-économique ne tient pas compte de la diversité de notre tissu économique essentiellement composé de petites et moyennes entreprises. Il convient donc de ne pas trop limiter les possibilités et de laisser les partenaires sociaux existant encore négocier les compensations salariales, en attendant que la réduction du temps de travail soit légalisée, au niveau fédéral, de manière uniforme et centralisée.

L'Alliance de gauche propose encore, dans le cadre des nouveaux emplois qui seraient créés grâce à la réduction du temps de travail, de donner la priorité à l'engagement de chômeurs et de chômeuses. Nous ne pouvons adhérer à cette revendication pour deux raisons au moins.

La première est mentionnée dans le rapport et a été rappelée par M. Vaudroz. Cette limitation est trop stricte et ne convient pas forcément aux entreprises. La deuxième raison, beaucoup plus importante à nos yeux, est que la notion de «chômeur», telle que définie par l'assurance-chômage ne recouvre de loin pas tous les exclus du travail. Les personnes considérées comme chômeuses et chômeurs sont celles qui ont droit aux prestations de l'assurance-chômage. Cette définition exclut de nombreuses catégories de personnes en recherche d'emploi. Il s'agit des personnes n'ayant pas cotisé à l'assurance-chômage au moins six mois au cours des deux années précédentes et des personnes en fin de droit qui, après avoir retrouvé un emploi, le perdent sans avoir cotisé à l'assurance-chômage pendant les douze mois précédents. L'Alliance de gauche semble ignorer ces personnes qui constituent un groupe loin d'être marginal.

Selon l'enquête suisse sur la population active, notre pays comptait, en 1997, cent quatre mille chômeurs inscrits et cinquante-huit mille chômeurs non inscrits. A ce dernier chiffre, qui regroupe essentiellement les personnes sans aucune activité professionnelle, il faut ajouter celui des personnes qui travaillent au moins une heure par semaine et qui cherchent à augmenter leur temps d'activité professionnelle. De ce fait, on s'accorde à reconnaître que le nombre de personnes en recherche d'emploi et non inscrites au chômage est au moins égal à celui des personnes inscrites, donc considérées comme chômeuses.

En exigeant que les emplois créés par les mesures de réduction du temps de travail soient exclusivement attribués aux chômeuses et chômeurs, l'Alliance de gauche barre l'accès à une activité professionnelle à près de la moitié des demandeurs d'emploi. Cette mesure frapperait plus particulièrement les femmes désireuses de travailler de nouveau après s'être consacrées à leurs activités familiales et éducatives. Je m'étonne que Mme Filipowski les ait complètement oubliées.

A mes yeux, cette motion a le mérite essentiel de préciser les options des uns et des autres pour que le Conseil d'Etat aille de l'avant. En attendant les propositions du Conseil d'Etat en matière d'allégements fiscaux et d'aides financières aux entreprises qui mettraient en place des modèles de partage du travail, il convient de concrétiser au plus vite la troisième invite de la motion. En effet, vu la complexité du sujet, il est indispensable que le Conseil d'Etat entame, sans tarder, une vaste campagne d'information auprès des entreprises, afin de leur faire connaître les possibilités...

Le président. Veuillez conclure, Madame.

Mme Véronique Pürro. ...offertes par la nouvelle loi sur l'assurance-chômage et les encourager à développer des modèles de réduction du temps de travail.

Mme Micheline Spoerri (L). Je tenterai d'apporter un point de vue quelque peu différent en espérant ne pas subir les invectives antilibérales d'une partie de ce parlement.

Une voix. Oh !

M. Claude Blanc. Si tu ne dis pas de bêtises, tu ne seras pas invectivée !

Mme Micheline Spoerri. Les termes «partage du travail» apparaissant dans l'intitulé de la motion sont entrés dans le langage courant. Malheureusement, aucun dispositif clairement défini n'a encore été proposé, raison pour laquelle nos débats comportent toujours une part de flou. Mais ne philosophons pas trop et proposons !

Si nous convenons simplement qu'il s'agit de diverses mesures de réduction de la durée individuelle du travail, il est essentiel de connaître les conditions de leur application et surtout si elles peuvent déboucher sur l'embauche. Je relève que dans son rapport de minorité Mme Filipowski insiste sur la nécessité de définir des conditions. Il sera toujours temps de savoir si on les accepte ou non, mais, si on veut cesser de babiller sur un sujet gravissime, il faut commencer par le commencement ! C'est, sans doute, le seul point sur lequel nous nous rejoignons, Madame.

Selon le groupe libéral, les mesures de réduction de la durée du travail doivent satisfaire à certains critères économiques précis. La compétitivité économique et le volume de production ne doivent pas être affectés. Si tel était le cas, nous perdrions d'un côté les emplois que nous aurions voulu créer de l'autre. Par conséquent, nous irions à fin contraire de l'objectif visé.

La transformation de l'aménagement du temps de travail devrait s'effectuer, selon nous, à coût horaire constant de la main-d'oeuvre. Là, nous divergeons ! Si les diminutions d'horaire s'accompagnent du maintien des salaires antérieurs, elles doivent être compensées par des gains de productivité.

Dans le cadre des productions, la diminution de l'horaire de travail doit aller de pair avec l'extension de l'utilisation des équipements. Cela signifie - d'où la complexité de la chose ! - la réorganisation substantielle du processus de production au sein des entreprises.

Par ailleurs, la réorganisation du temps de travail dans les sociétés de services suppose la possibilité d'une décomposition rationnelle de leurs tâches.

Ces conditions strictement économiques sont déjà extrêmement contraignantes mais «jouables» dans certains cas. Les libéraux n'y sont donc pas opposés par principe.

Il est d'autres conditions très sous-estimées dans cette motion qui font que je ne la voterai pas. Je crois que je serai suivie par mes collègues libéraux qui, pour le moins, s'abstiendront. Je m'abstiendrai également si M. le rapporteur de majorité me convainc de le faire.

Les raisons de notre scepticisme sont d'un autre ordre. Pour entreprendre une telle opération, il nous paraît indispensable de bénéficier de la motivation et des employeurs, et des employés, tous intéressés confondus. Je voudrais simplement vous expliquer que le travail n'est pas un bien qui se prête, un bien qui se donne, un bien aliénable...

M. John Dupraz. Eh bien, je vous le laisse !

Mme Micheline Spoerri. Je voudrais poursuivre mon exposé sans être attaquée, Monsieur Dupraz.

Le président. Monsieur Dupraz, s'il vous plaît !

Mme Micheline Spoerri. J'entendais souligner la complexité du partage du travail, celui-ci n'étant pas un bien comme un autre. C'est une capacité individuelle et personne, dans ce parlement ni ailleurs, ne peut décréter de déposséder quelqu'un de sa capacité de travail.

Par conséquent, aucune mesure autoritaire n'est envisageable et toute organisation du travail passe nécessairement par une concertation et une négociation.

C'est long, c'est compliqué. Cela implique un travail minutieux, branche par branche, entreprise par entreprise, et l'examen, de cas en cas, des motivations de chacun.

Nous souscrivons à l'élan de générosité légitime qui émane de cette motion. Néanmoins, il ne me paraît pas suffisant pour juguler la réalité du monde du travail et sa réorganisation.

Votre élan de solidarité, en tant que politiques, est louable, mais nous devons garder le sens des réalités. Portées par un souci de solidarité, les politiques de l'emploi sont souvent menées en privilégiant l'apparence. Ce matin, j'ai lu dans l'«AGEFI» - et tout à fait par hasard, puisque cela fait quatre ou cinq fois que la motion 1058 est remise à l'ordre du jour - que la commission pour les questions conjoncturelles, conjointement avec l'Office fédéral du développement économique et de l'emploi, l'ex-OFIAMT, deux instances que l'on ne saurait soupçonner d'ultra-libéralisme, sont parvenus aux mêmes conclusions. Je vous passe les détails, mais permettez-moi de vous lire la fin de l'article : «Seul un retour à la croissance permettra de sauvegarder des emplois. L'Etat, ici, a tout son rôle, qui devrait s'employer à soutenir les forces de croissance et d'innovations de l'économie, en revitalisant l'économie de marché, en réformant le système fiscal, en assurant l'équilibre financier du système de sécurité sociale et des finances publiques.» La conclusion étant - et là nous rejoignons la déclaration de Mme Pürro - : «Le règlement de la question de la réduction du temps de travail doit, quant à lui, être laissé aux soins des partenaires sociaux.»

Une action réussie en faveur de l'emploi relève donc davantage de l'action de la société sur elle-même que de l'action des pouvoirs publics. Elle doit être conduite dans la durée, avec la collaboration essentielle et constante des employeurs et des employés.

Méfions-nous des fausses bonnes mesures ! Il nous apparaît que les aides financières, dans ce cas de figure, sont des mesures apparentes, de court terme et simplistes.

Si cette proposition de motion est intéressante, ne serait-ce que pour le débat qu'elle suscite ce soir et ceux qu'elle a suscités dans le cadre de la commission de l'économie, si les rapports de majorité et de minorité, de même que les travaux du CES, sont intéressants, il n'empêche que les critères permettant d'entreprendre un véritable aménagement du partage du travail débouchant sur l'embauche n'ont pas été véritablement cernés à ce jour.

Selon nous, l'Etat a un rôle essentiel à jouer. S'agissant du secteur privé, il doit assurer en priorité et en urgence un cadre législatif attractif pour faciliter aux entreprises la signature d'accords interpartenariaux en leur sein, entre dirigeants et salariés, c'est-à-dire renvoyer à la base le choix des moyens et des modalités...

Le président. Veuillez conclure, Madame.

Mme Micheline Spoerri. Les gens qui, aujourd'hui, redoutent la précarisation du travail seraient ainsi rassurés. Nous considérons aussi, comme évoqué tout à l'heure, que l'Etat, qui emploie vingt-trois mille collaborateurs, doit entreprendre pour lui-même une expérience de réorganisation du travail. La meilleure mesure incitative serait celle de son exemple, avec un échange d'expériences dans les domaines privé et public, comme le demande la dernière invite. Parallèlement, il devrait poursuivre sans relâche les efforts de formation.

Notre point de vue est donc nuancé. Certains s'opposeront à la motion, d'autres s'abstiendront, mais tous seront conscients de l'utilité des travaux de la commission.

Le président. Quatre personnes doivent s'exprimer encore. Bien que le sujet soit très important, je vous serais reconnaissant, Mesdames et Messieurs les députés, d'être brefs et concis.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Monsieur le président, je vous obéirai au doigt et à l'oeil, ce d'autant que votre deuxième vice-président m'a demandé, lui aussi, d'être brève, et qu'il n'y a pas lieu de refaire, ici, le débat de la commission.

La position des Verts sur le partage du travail est connue depuis longtemps. Nous souhaitons son application rapide dans tous les secteurs, sur la base de négociations secteur par secteur, entreprise par entreprise, branche d'activités par branche d'activités.

Le partage du travail ne saurait se faire qu'avec souplesse et de manière concertée. Dans ce domaine, nous devons être imaginatifs. On peut aussi partager le volume du travail en répartissant les dossiers, par exemple. Nous pensons que le partage du travail est réalisable dans tous les secteurs, aussi bien dans la magistrature, la médecine, l'enseignement que dans la garde en prison, domaine dans lequel nous sommes intervenus, il y a plus d'une année.

La motion que nous voterons ce soir n'est pas révolutionnaire. Comme nous l'avons maintes fois rappelé, cette motion amendée en commission est un signe d'encouragement au Conseil d'Etat pour qu'il applique la politique annoncée en la matière dans le discours de Saint-Pierre.

En commission, M. Lamprecht s'est engagé, avec enthousiasme, pour la promotion du partage du travail. Je ne sais pas si Mme Calmy-Rey, sa suppléante, interviendra ce soir, mais, si elle le fait, j'espère que ce sera avec autant d'enthousiasme.

M. Lamprecht a souhaité pouvoir entreprendre rapidement des démarches pour que le partage du travail entre en vigueur. Il espère tirer profit de sa position pour y inciter les entreprises privées.

Nous espérons que cet enthousiasme perdurera et qu'un rapport circonstancié sur cette motion nous parviendra, assorti de propositions concrètes, avant la fin de cette année.

Les critères auxquels j'ai fait allusion se retrouvant dans le rapport de majorité de M. Vaudroz, les Verts le soutiendront.

Mme Magdalena Filipowski (AdG), rapporteuse de minorité. La présente motion, que ce soit dans sa version majoritaire ou minoritaire, propose des allégements fiscaux et des aides financières aux entreprises.

Mais avec quoi les financer ? Le rapport de majorité, qui compte plusieurs pages, n'en dit rien ! Avec l'assurance-chômage au niveau fédéral ? Avec le budget cantonal au niveau cantonal ? Est-ce avec cela que vous voulez aider les entreprises ? Ou en diminuant les salaires de plus de 3 000 F, comme proposé ? Un parti arguant d'une telle position peut-il prétendre défendre les travailleurs ? Cette question vaut pour un autre parti qui trouve que les travailleurs touchant plus de 5 000 F devraient financer des aides aux entreprises. Et quelles entreprises ? A aucun moment, la discussion n'a porté sur les entreprises dont vous parlez. S'agit-il de petites et moyennes entreprises qui auraient besoin d'être aidées ou de grandes entreprises qui font des bénéfices colossaux ? De quoi parlons-nous ?

Dans le rapport de minorité, nous déclarons clairement que ce n'est pas aux travailleurs de financer ces aides aux entreprises. Nous vous proposons des pistes. Les entreprises ayant une productivité importante peuvent accorder une réduction de travail à leurs travailleurs sans baisser leurs salaires. Des chômeurs peuvent être engagés avec les aides déjà prévues pour ce faire.

Si des entreprises sont réellement en difficulté, il faut, effectivement, donner mandat au Conseil d'Etat de trouver de nouvelles ressources. C'est ce que nous proposons avec notre deuxième invite. Mais j'entends déjà les gens des bancs d'en face dire que ce n'est pas le sujet. Evidemment, ce n'est pas votre sujet ! Mais nous, nous voulons effectivement trouver des moyens pour financer des aides réellement justifiées.

Mme Pürro vient de dire que tous les programmes des partis, en tout cas ceux de gauche, incluaient la réduction du temps de travail. Je vous fais remarquer que dans la version de la majorité vous ne trouvez aucun mot à ce sujet.

Nous vous proposons donc une piste avec une réduction du temps de travail hebdomadaire d'au moins 10%. Le rapport de majorité, lui, parle du partage du temps de travail. Quant à la réduction du temps de travail... il propose plutôt la diminution des salaires !

De plus, voter la proposition de la majorité signifie diminuer les recettes fiscales de l'Etat au niveau des allégements fiscaux octroyés aux entreprises. Diminuer les recettes fiscales sous prétexte de salaires versés aux travailleurs ! Offrir des aides aux entreprises financées par le budget de l'Etat ! Voilà un programme impossible à réaliser !

Qui va bénéficier d'un nouveau poste dans le cadre d'une telle démarche ? Mme Pürro en est encore à la motion socialiste, je crois. Où a-t-elle lu, dans la version de la majorité... (Brouhaha.) ...que les nouveaux emplois profiteraient aux chômeurs, cette catégorie de personnes qu'elle défend ? En revanche, le rapport de minorité propose ces emplois pour les chômeurs les plus défavorisés, à savoir ceux de longue durée et ceux en fin de droit, qui pèsent sur les budgets du canton et de la Confédération. Engagés par des entreprises privées, ils procureraient un allégement financier à l'Etat.

C'est ce que j'appelle une collaboration saine entre l'Etat et les entreprises privées.

Le président. Je rappelle aux orateurs que, s'ils veulent persuader leurs auditeurs, ils ont intérêt à ne pas dépasser trois minutes. Ils seront mieux écoutés que s'ils étirent leur discours pendant les dix minutes qui leur sont imparties.

M. Christian Ferrazino (AdG). J'utiliserai partiellement mon temps de parole, Monsieur le président.

Tout le monde, dans ce parlement, dit son accord avec la réduction du temps de travail, sans en préciser les conditions, bien évidemment !

Le parti libéral est favorable pour autant que les salaires soient diminués en conséquence : La Palice a parlé ! Voyez-vous, Madame Spoerri, cela s'appelle du temps partiel et non du temps réduit. Aucun effet bénéfique ne se produira si les salaires sont proportionnellement diminués.

La première question à se poser, Madame Spoerri, est celle-ci : quel objectif la réduction du temps de travail vise-t-elle ?

M. Olivier Vaucher. Encourager le travail clandestin !

M. Christian Ferrazino. Je crois que cet objectif est double et déploiera deux effets. Le premier est la lutte contre le chômage, et il faut s'en donner les moyens si c'est là le but poursuivi. Le deuxième est celui de la qualité de la vie dont quasiment personne n'a parlé. Il est important de permettre à des gens, par le biais de la réduction de leur horaire de travail, de disposer de temps libre.

Je m'adresse à Mme Pürro qui a défendu, d'une manière tout à fait symptomatique, une autre vision de la réduction du temps de travail qui tend à l'annualisation. Je me dis qu'il est difficile «d'annualiser» la qualité de vie, l'homme n'étant pas programmable sur une année !

M. John Dupraz. Et la femme, alors !

M. Christian Ferrazino. Egalement la femme, Monsieur Dupraz ! Je suis heureux que vous vous en souciiez, parce que ce n'est pas fréquent de votre part ! (Brouhaha.) Si on peut comprendre le mot d'ordre patronal, assez étonnant dans votre bouche, Madame Pürro, de l'annualisation du temps de travail ... (Brouhaha.) Je ne vous complimente pas souvent, Monsieur Ramseyer, mais permettez-moi de vous dire que je me retrouve beaucoup plus dans le discours de Saint-Pierre, où vous avez dit, sauf erreur de ma part, que l'économie devait être au service de l'homme, que dans celui de Mme Pürro qui évoque l'annualisation du temps de travail qui met l'homme au service de la machine. Ce n'est pas la machine qui doit imposer son rythme à l'homme, c'est l'inverse.

Cet élément, ringard aux yeux de certains, est fondamental pour les gens qu'il concerne. Si une réduction du temps de travail - Mme Filipowski insiste sur cette question, dans son rapport - n'est pas hebdomadaire, c'est-à-dire si on ne peut pas la maîtriser, comment voulez-vous, par exemple, contrôler les heures supplémentaires ?

L'annualisation du temps de travail est la porte ouverte à des heures supplémentaires incontrôlables, alors que tous, ici, en dénoncent le scandale. Tout à l'heure, Monsieur Dupraz, vous vous disiez peu intéressé par le travail et prêt à l'offrir à Mme Spoerri. C'était mal connaître Mme Spoerri qui, en bonne libérale, sait que le travail se vend et s'achète.

Nous ne sommes pas béatement pour la réduction du temps de travail...

Une voix. Et la réduction du temps de parole !

M. Christian Ferrazino. Nous ne la soutenons que si les conditions de son application sont clairement posées. Et comme elle coûte, elle doit rapporter. Elle coûte à l'Etat par le biais de subventions directes, d'exemptions fiscales, donc d'un subventionnement indirect, et elle doit rapporter aux salariés en leur permettant de réduire leur temps de travail, et à l'Etat, par l'engagement de chômeurs. Certes, pas comme vous le pensez, Madame Spoerri, parce que pour vous la réduction de l'horaire correspond à l'augmentation des cadences, c'est-à-dire faire le même travail en moins de temps. Nous comprenons ce raisonnement, mais ce n'est pas le nôtre.

Si la réduction du temps de travail n'est ni hebdomadaire ni substantielle, mais simplement compensée par l'accélération des cadences, elle ne présente aucun intérêt et ne nécessite pas que les pouvoirs publics investissent quelque denier.

Sans les garanties décrites dans le rapport de minorité, nous n'avons aucun intérêt à voter une réduction du temps de travail qui fait plaisir, certes, mais ne peut être réalisée, faute de répondre au double objectif cité plus haut : l'engagement des chômeurs, d'une part, et l'augmentation de la qualité de vie et le maintien du pouvoir d'achat des travailleurs, d'autre part.

M. John Dupraz (R). Quand la gauche et les libéraux s'allient pour refuser une motion, il faut se méfier ! (Rires.) Cela cache quelque chose ! Une telle alliance contre nature m'inquiète et je me dis qu'il est grand temps de rejoindre le centre.

Le groupe radical soutient cette motion qu'il trouve intéressante. Il souhaite que le Conseil d'Etat la mette rapidement en oeuvre pour que nous puissions juger de ses résultats et voir ce que l'on peut faire en faveur du partage du travail, une mesure nécessaire pour remédier à la situation actuelle de l'emploi.

Mme Micheline Spoerri (L). Monsieur le président, je serai brève. Je voudrais juste que vous fassiez savoir à M. le député Ferrazino que je n'ai rien compris à ce qu'il a dit; que la différence entre lui et moi est qu'il est un excellent juriste et que je ne le suis pas, mais que j'ai la prétention d'avoir créé des emplois à Genève, durant ces vingt dernières années, et que je sais de quoi je parle.

Je répète ce que j'ai dit tout à l'heure. Mme la rapporteuse de minorité a eu raison de dire que nous devons débattre des vrais problèmes si nous voulons vraiment faire du travail concret. Et nous continuons à ne pas en parler ! Comme elle, je m'interroge à propos de l'argent. Les responsables des finances publiques n'ont pas le droit d'éluder cette question légitime, surtout quand elle est posée par l'Alliance de gauche.

M. Dupraz, lui, n'est jamais content des libéraux mais, chez lui, cela relève de la tradition. Nous avons un avis nuancé. Nous ne sommes pas opposés, le travail effectué étant intéressant. Mais, de grâce, laissez les partenaires sociaux régler concrètement les problèmes de terrain.

M. David Hiler (Ve). J'ai commencé à comprendre l'argumentation de l'Alliance de gauche en écoutant M. le député Ferrazino.

Monsieur le président, veuillez lui transmettre ce qui suit :

Je parlerai d'abord d'une modeste expérience ayant abouti à deux heures de réduction du temps de travail et évité un ou deux licenciements. C'est celle qui a été menée dans le cadre de la fondation que j'ai le plaisir de présider à Saint-Gervais.

Lorsque le temps de travail de quarante heures est passé à trente-huit, la commission du personnel a exigé, à juste titre, que cette réduction ne soit pas hebdomadaire mais convertie en vacances supplémentaires. A défaut, les gens auraient travaillé quarante heures et auraient été payés pour trente-huit. En tant que partenaire patronal, nous avons accepté la proposition de la commission du personnel, auquel appartient un de vos membres qui a beaucoup bataillé pour cette conversion en vacances supplémentaires. Nous avons donc procédé, Monsieur Ferrazino, à ce que l'on appelle une annualisation.

Monsieur le président, expliquez bien à M. Ferrazino que je ne me souviens pas, lors du vote d'aides financières en faveur de l'industrie sur le critère de l'innovation, puis pour Start-PME, qu'il se soit, à un moment quelconque, opposé à ce que des entreprises pratiquant le trois fois huit, par exemple, en soient bénéficiaires. Dire, Monsieur Ferrazino, que l'annualisation ne pose problème qu'en cas de partage du travail démontre votre extrême conviction. Je crois vraiment que votre argument ne peut pas être retenu.

L'argumentation de l'Alliance de gauche nous amène à nous poser une question plus sérieuse : est-il possible ou non d'assurer une rémunération intacte à l'issue d'une diminution massive de la durée du travail ? Cela est faisable dans certains cas, des entreprises pouvant se le permettre. Je pense notamment aux banques et à la chimie. Si ces entreprises s'en dispensent, c'est à cause de l'inégalité des rapports sociaux.

Ceux et celles qui appliqueront cette loi se douteront bien qu'il ne s'agit pas de subventionner les entreprises très rentables pour les inciter à partager le travail. Mais le cas inverse existe, Monsieur Ferrazino. Le partage du travail dans le bâtiment, par exemple, me paraît difficilement réalisable. Demandez aux travailleurs, dans ce secteur, d'accepter une baisse de revenu. Vu ce qu'ils reçoivent, cela me paraît illusoire, car les salaires de 5 000 F dans ce métier, il faut les chercher !

Inversement, il n'est pas possible, aujourd'hui, de demander aux entreprises du bâtiment de passer des quarante heures aux trente-six, voire aux trente-deux, sans toucher aux salaires. Elles «sauteraient» par dizaines, et ce n'est pas le but.

La simple énumération des diverses situations démontre qu'en dépit de votre pensée formée à l'école juridique vous ne pouvez pas fixer a priori des règles pour l'ensemble de ces dossiers. Il n'y a que la négociation qui permette d'entrer dans l'ère du partage du travail. Les Verts l'ont répété en France, dont Lipietz en particulier, pour qui vous éprouvez, je crois, une certaine amitié. La négociation fera qu'une partie des gains de productivité sera allouée à la réduction du temps de travail. Par conséquent, la baisse du salaire ne sera pas toujours proportionnelle à la baisse du temps de travail. Pour débloquer la négociation de cas en cas, l'Etat devra accepter d'allouer une partie des sommes à disposition, en provenance soit de l'assurance-chômage, soit du fonds de soutien aux entreprises, pour compenser ce que les partenaires sociaux ne pourront mettre de leur poche.

Dans bien des cas, les salariés qui passeront de quarante à trente-deux heures devront accepter une baisse salariale plus ou moins correspondante, ce qui semble assez logique. On parle d'un montant global et non d'une diminution du salaire horaire.

Le texte de la motion explique bien comment encourager les entreprises à pratiquer le partage du travail. Pour nous, le critère qui importe est l'accord négocié.

Je constate, et ce n'est pas la première fois, que l'Alliance de gauche n'a pas beaucoup de respect pour les accords négociés, alors que nous les considérons indispensables pour aller de l'avant. C'est ce qui nous fait diverger sur ce dossier et qui continuera à nous séparer sur d'autres points.

Mme Véronique Pürro (S). Monsieur le président, pouvez-vous me dire si nous recevons tous les mêmes imprimés ? Je vous pose la question, parce que j'ai l'impression que Mme la rapporteuse n'a pas dû lire le même rapport que moi.

Mme Filipowski nous a fait la leçon en disant que l'Alliance de gauche, contrairement à la majorité de la commission, avait pensé au financement de ces mesures et que notre projet était mauvais parce qu'il n'en touchait mot.

Il faudra que Mme Filipowski nous dise à quoi elle fait allusion quand elle assure que l'Alliance de gauche a proposé des mesures de financement.

Par ailleurs, Mme Filipowski prétend que la motion adoptée par la majorité de la commission ne dit mot sur le partage du travail, alors que sa première invite lui est consacrée. Je pense vraiment que nous n'avons pas lu le même texte !

Je ne répondrai pas aux attaques de M. Ferrazino qui me qualifie de représentante des associations patronales ! Je me bornerai à lui conseiller de prendre connaissance des dernières initiatives lancées conjointement par l'Union syndicale suisse et par le parti socialiste suisse. Elles préconisent l'annualisation du temps de travail et sa réduction à trente-six heures hebdomadaires.

Monsieur Ferrazino, je ne crois pas que le parti socialiste suisse et l'Union syndicale suisse sont à la botte des associations patronales. De plus, je suis heureuse que M. Ferrazino nous ait fait remarquer que le partage du travail comportait deux objectifs. En effet, en commission, j'avais l'impression que celui touchant au projet de société n'avait pas du tout été évoqué, à cause des interventions de l'Alliance de gauche focalisées sur les chômeuses et chômeurs en fin de droit. Ce faisant, l'Alliance de gauche a totalement ignoré l'aspect du partage entre travail rémunéré et travail non rémunéré, un élément important du projet de société.

Comme je l'ai dit au cours de ma première intervention, la proposition de l'Alliance de gauche écarte la plupart des femmes qui, après s'être consacrées à l'éducation de leurs enfants, souhaitent reprendre une activité professionnelle rémunérée.

Alors, de grâce, Mesdames et Messieurs de l'Alliance de gauche, ne nous faites pas la leçon ! Dites clairement que le partage du travail ne vous intéresse pas. Ainsi, nous avancerons plus rapidement dans nos débats.

Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Monsieur le président, je présume que vous serez très fatigué ce soir ! En effet, je ne m'adresserai qu'à vous en vous demandant de transmettre mon message à mon collègue moustachu - il vient de sortir ! - connu pour s'intéresser particulièrement aux questions d'aménagement et à la LDTR. J'ai eu l'heureuse surprise de le voir venir à la commission de l'économie et nous expliquer les nouvelles donnes en matière de réorganisation du travail et de financement des entreprises.

Par conséquent, Monsieur le président, je vous remettrai une pile de conventions collectives que vous voudrez bien transmettre à mon collègue de l'Alliance de gauche. Depuis plus de dix ans, ces conventions collectives prévoient l'annualisation du temps de travail, laquelle a été diabolisée, en commission, comme s'il s'agissait d'un phénomène nouveau, alors qu'elle se pratique depuis une bonne décennie dans l'industrie. (L'oratrice est interrompue par Mme Magdalena Filipowski.) Si, Madame Filipowski ! Vous ne savez pas de quoi vous parlez.

L'annualisation du temps de travail se pratique depuis plus de dix ans, sans jamais provoquer de manifestations de rue. A moins que vous tentiez d'en susciter...

Je confirme les propos de mon camarade Hiler. Les débats en commission ont été surréalistes, l'Alliance de gauche et les libéraux ayant campé sur les mêmes positions. La cause en est une farouche opposition à la réduction du temps de travail, d'une part, et une farouche opposition au partage du travail, de l'autre. Des motivations différentes pour un même but !

L'Alliance de gauche est si opposée à l'annualisation du temps de travail que ses amendements proposent de «l'hebdomadériser» ! Autrement dit, on diminue le travail en répartissant son partage sur une semaine tant on craint cette répartition sur une année !

Je bois du petit-lait quand j'entends notre collègue libérale prôner les accords entre partenaires sociaux ! En effet, voici deux ans, lors de notre débat sur le soutien à l'industrie, les socialistes avaient argué de la nécessité de créer un office de l'industrie au sein duquel les partenaires sociaux seraient consultés. Les libéraux s'y étaient alors fortement opposés. Je constate qu'ils ont évolué, et c'est une bonne nouvelle !

Je m'adresse maintenant à Monsieur le rapporteur de majorité. J'espère, Monsieur, que vous êtes plus efficace en tant que président du parti démocrate-chrétien qu'en tant que président de l'OPI ! Nous débattons d'une motion qui a été soutenue par le parti démocrate-chrétien, d'une motion qui, à l'initiative d'un conseiller démocrate-chrétien, a été «pondue» dans un climat absolument surréaliste, et maintenant, dans vos rangs, je ne vois pas grand monde l'appuyer. Encore une fois, Monsieur le rapporteur, je souhaite que vous soyez plus efficace en tant que président du PDC qu'en tant que président de l'OPI !

M. Charles Beer (S). Cette motion propose un double enjeu : le temps de travail réparti sur la semaine ou sur l'année, d'une part; la baisse des salaires ou, cas échéant, le découplage salaire/revenu, d'autre part.

Les deux oppositions parlementaires s'articulent autour de cette double problématique.

Or je constate que la motion propose simplement la réalisation d'un cadre propice à l'innovation. Il s'agit de créer une subvention à l'innovation. La motion ne prévoit pas l'annualisation du temps de travail mais simplement l'innovation et la possibilité de négociations.

Je m'adresse maintenant à l'Alliance de gauche en général. Les représentations des travailleuses et travailleurs ont accepté le principe d'une négociation du «deal» entre ce qu'il faut considérer comme un nouveau rythme de travail contre une baisse de ce dernier. Ce disant, je fais référence à l'Union syndicale suisse pour la Suisse; à la Communauté genevoise d'action syndicale pour Genève, à travers son initiative 105 invalidée par le parlement au cours de la précédente législature; aux syndicats de la DGB pour l'Allemagne, à travers l'exemple Volkswagen.

Ce soir, nous sommes en face de deux types de dogmatisme. Raison de plus pour accorder une prime au changement, une prime à l'innovation !

M. Alain-Dominique Mauris (L). Nous ne sommes pas dogmatiques, nous sommes réalistes ! Le partage du temps de travail n'enrayera pas les causes de la perte des emplois. Il ne fera que découper davantage le gâteau sans que d'autres puissent être confectionnés pour garantir, à long terme, la création d'emplois.

On parle du partage du temps de travail comme beaucoup parlent du NPM - New Public Management - comme solution à l'organisation des collectivités publiques, mais sans en connaître tous les mécanismes.

Arrêtons de rêver !

Il peut sembler logique que partager le temps de travail permet de créer des emplois. Malheureusement, l'équation n'est pas aussi simple !

Cette motion évite de différencier les secteurs et les entreprises. Veut-on aider les grandes entreprises comme les petites ? L'exemple du secteur bancaire est totalement et parfaitement illustratif. Une banque mettant en place le partage du temps de travail pour éviter de licencier bénéficiera-t-elle d'aides malgré la réalisation de bénéfices confortables tels ceux qui ont été divulgués ?

Nous ne saurions ignorer que l'organisation du travail dépend d'abord des relations entre partenaires sociaux. Les réalités ne sont pas les mêmes pour toutes les activités économiques qui varient selon les secteurs. Que dire de la concurrence ? Serait-il convenable qu'une entreprise bénéficie de l'aide de l'Etat, alors que d'autres du même secteur ne la recevraient pas pour maintenir leurs postes de travail, parce qu'empêchées, pour des motifs internes, de recourir au partage du temps de travail ?

Il est regrettable que le partage du temps de travail ne soit pas la fameuse pierre philosophale du chômage !

Cette motion n'apporte pas de réponse concrète à la question des coûts. Chacun est certainement prêt à partager son travail pour autant qu'il s'y retrouve au niveau de son salaire. Le voeu est pieux, mais qui paie ? L'OFIAMT a été très clair à ce sujet. On ne peut substituer des salaires à des allocations de chômage. Les assurances ne doivent pas prendre la place des entreprises. Si une subvention peut être admise à court terme, il est faux de la tolérer à long terme. Le salaire est le produit d'une rentabilité obtenue sur le marché et non le produit d'une assurance.

Reste à se tourner vers les caisses de l'Etat ! Mais comme vous l'avez dit, l'Etat n'a de possibilités financières qu'à la mesure de ses très faibles ressources actuelles.

Néanmoins, le débat méritait d'être posé, bien que cette motion n'apporte pas de réponses convaincantes.

Nonobstant le fait que l'on doit encourager les discussions entre les partenaires sociaux en étant souples et non contraignants, en relation avec la réalité, ne nous «envolons» pas trop vite ! Nous vous proposons de refuser cette motion en attendant de connaître les résultats de l'étude actuellement menée à la commission de l'économie.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion

(1058)

concernant des mesures incitatives dans le but de favoriserdes expériences de partage du travail

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

- le taux de chômage important qui persiste dans notre canton et le fait que, même en cas d'une bonne reprise économique, le seuil incompressible du chômage se situera encore autour de 3 à 4 %, soit en permanence plus de 4000 chômeurs et chômeuses ;

- que l'aménagement du temps de travail permet de créer ou de préserver des emplois, à l'image du modèle "; Volkswagen " en Allemagne ;

- qu'il est opportun, d'une part, que l'Etat s'engage dans cette voie au sein de l'administration cantonale, des établissements publics et autonomes et, d'autre part, qu'il prenne des mesures pour la rendre attractive pour les entreprises et les salariés ;

invite le Conseil d'Etat

- à proposer une aide fiscale et financière aux entreprises qui augmentent de manière significative le nombre de leurs emplois grâce à l'adoption du partage du travail et à l'engagement de chômeurs.

- à proposer au Grand Conseil les ressources budgétaires et fiscales permettant de financer ces mesures en utilisant notamment toutes les dispositions liées à la législation fédérale et cantonale sur le chômage.

- à promouvoir par une information et des conseils appropriés l'ensemble de ces mesures auprès des entreprises.

- à rendre un rapport annuel au Grand Conseil sur les mesures accordées et sur leur effet sur l'emploi.

Le président. Nous passons aux réponses du Conseil d'Etat aux interpellations urgentes de MM. Dupraz et Hausser.