République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 23 avril 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 7e session - 14e séance
P 1120-A et objet(s) lié(s)
RAPPORT DE LA MAJORITÉ
En fait : le ler juin 1996 était déposé au secrétariat du Grand Conseil une lettre signée d'une vingtaine de locataires des immeubles 35-37, avenue de la Praille protestant contre les nuisances d'une résidence pour réfugiés, en particulier contre l'utilisation comme terrasse d'une toiture de l'immeuble 41, avenue de la Praille, où logent des requérants d'asile.
Primitivement, cette lettre avait été adressée à la Régie Moser qui, ne pouvant rien faire, avait suggéré aux locataires de s'adresser à la commission des pétitions. Recevant cette lettre, M. Pierre Stoller, sautier, l'avait considérée comme valant pétition et en informa la commission des pétitions le 17 juin 1996.
Les pétitionnaires souhaitaient que le grillage qui clôturait la terrasse soit remplacé par un mur ou que l'accès à cette terrasse soit interdite.
Le ler juillet 1996, la commission des pétitions était informée de la suspension de la pétition, des travaux devant être effectués durant l'été.
Une année plus tard, un mur s'édifiait sur la terrasse du CERA. Indignés par cette construction, d'autres locataires des 35-37-39 avenue de la Praille protestaient par voie de pétition, munie de 350 signatures, tant auprès du Grand Conseil que du Conseil municipal de Carouge. Ils exigeaient la démolition de ce mur. Fin juin 1997, un commando anonyme exauçaient leurs voeux et détruisait ce mur, comme la presse locale le rapporta abondamment.
Travaux de la commission : Face à cette situation nouvelle, le 25 août 1997, la commission se trouva partagée entre ceux qui estimaient que la pétition P 1164 était devenue sans objet, le mur étant démoli, et ceux qui estimaient que le problème n'était pas réglé dans la mesure où les gravats du mur empêchaient les réfugiés d'utiliser la terrasse.
La commission décida d'entendre les pétitionnaires. Il convient ici de rappeler que lors de sa séance du 12 juin 1997, le Grand Conseil entendit une interpellation urgente de M. Luc Gilly sur le sujet (IU 348, Mémorial 1997, pp. 4233-4234) à laquelle répondit M. Philippe Joye, conseiller d'Etat (Mémorial 1997, pp. 4483-4484) et que lors de la même séance, une résolution interpartis R 339 s'élevant contre l'absurdité de la construction d'un mur sur la terrasse du Centre d'enregistrement des requérants de la Praille fut adoptée à l'unanimité par le Grand Conseil et renvoyée au Conseil fédéral (Mémorial 1997, p. 42)
Le 8 septembre 1997, la commission auditionne Mmes Erica Loup et Henriette Stebler qui confirment que leur pétition été partiellement satisfaite par la destruction du mur, mais qui souhaitent que les requérants d'asile puissent utiliser la terrasse et espèrent qu'une barrière de verdure pourra remplacer le mur. Les pétitionnaires manifestent leur souci d'un accueil de qualité envers les réfugiés, qui ne leur donne pas l'impression de vivre dans une prison. Il leur est rappelé que le CERA dépend de la Confédération, même si c'est le Département cantonal des travaux publics qui avait donné l'autorisation de construire le mur.
Le 6 octobre 1997, la commission prend connaissance d'une lettre du 25 septembre des pétitionnaires, qui maintiennent leur pétition, tout en formulant diverses suggestions pour l'édification de barrières en bambous avec plantes grimpantes, ou remise d'un grillage dissimulé par de la verdure, voire l'installation de bacs avec des arbustes, espérant ainsi que le calme et la sérénité reviennent entre locataires et requérants de la Praille. Le 13 octobre 1997, la commission des pétitions décide, après une brève discussion de traiter les deux pétitions P 1120, réclamant un mur et P 1164 le rejetant dans un seul rapport. Toutefois , une partie de la commission souhaite classer la P 1120 et renvoyer la P 1164 au Conseil d'Etat.
Cette solution est refusée par 6 non (2DC, 1R, 3 L) contre 5 oui (2 AdG, 2 S, 1Ve) sur 11 présents.
La Pétition 1120 est déposée sur le bureau du Grand Conseil par 6 oui (2 DC, 1 R, 3 L) contre 5 non (2AdG, 2 S, 1Ve)
La Pétition 1164 est déposée sur le Bureau du Grand Conseil par 6 oui (2 DC, 1 R, 3 L) contre 5 non (2 AdG, 2S, 1 Ve).
Pour ce qui regarde cette dernière pétition, la majorité vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, de la déposer parce qu'elle considère qu'elle n'a plus d'objet, même si elle partageait les motivations des pétitionnaires hostiles à l'édification du mur, comme l'a prouvé le vote unanime du Grand Conseil, le 12 juin 1997, de la résolution R 339 contre ce mur.
Pétition(1120)
concernant les nuisances d'une résidence pour réfugiés
Par cette lettre, nous souhaitons porter à votre connaissance, au nom des locataires habitant aux 35 et 37, avenue de la Praille, les nuisances causées par certaines personnes de la Résidence sise au 4 1, avenue de la Praille.
En effet, depuis la destruction de l'immeuble sis au 39, avenue de la Praille, les locataires susmentionnés et cosignataires de cette lettre ont pour vis-à-vis directs les toits de l'arrière de l'immeuble du 41, avenue de la Praille.
L'un des toits de l'arrière de cet immeuble clos par un simple grillage est utilisé comme terrasse par une quinzaine, voire une vingtaine, de personnes adultes de sexe masculin habitant la Résidence pour réfugiés. Ces personnes se réunissent régulièrement de 9 heures du matin à 10 heures du soir du lundi au dimanche inclus.
Ces personnes installées une bonne partie de la journée sur ce toit crient, hurlent, s'interpellent, jouent aux cartes ou même au football. Le bruit de ces hurlements reviennent d'autant plus forts en direction de nos balcons que les deux murs de côtés font chambre d'écho.
D'autre part, certains locataires du 37, avenue de la Praille ont surpris à plusieurs reprises un des hommes se trouvant sur le toit en train d'épier avec des jumelles une petite fille qui jouait dans le petit parc à l'arrière de l'immeuble.
Cette situation a pour conséquence intolérable qu'il n'est plus possible d'ouvrir les fenêtres donnant sur nos balcons à l'arrière de l'immeuble sans subir un vacarme épouvantable et continuel. A cela s'ajoute le sentiment désagréable d'être épiés et de savoir nos enfants être l'objet d'une attention particulièrement minutieuse de la part de certaines de ces personnes.
Par la présente, nous vous sommons de prendre des mesures immédiates afin qu'il soit mis fin à cette situation intolérable entravant le bon usage de nos objets locatifs et en diminuant par conséquent notablement la valeur.
Ces mesures doivent à notre avis être radicales et consister soit en l'interdiction d'accès à ce toit, soit en la construction d'un mur en lieu et place du grillage susmentionné à l'occasion de la reconstruction du nouvel immeuble sis au 39, avenue de la Praille actuellement en chantier.
Sans réaction immédiate et efficace de votre part, nous n'aurons pas d'autres alternatives que de demander des diminutions de loyers correspondant à la gêne causée par cette situation intolérable.
Dans l'attente de vos nouvelles et en espérant que vous saurez lire dans ces lignes une revendication légitime et que vous aurez à coeur de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que cette situation ne perdure pas.
N.B. : 20 signatures
Les locataires des 35 et 37avenue de la Praille
Pétition(1164)
pour la démolition du mur en construction sur la terrasse du CERA
C'est avec indignation que nous assistons à la construction d'un mur au Centre de requérants d'asile (CERA) à l'avenue de la Praille 41.
Nous demandons que celui-ci soit démoli.
Nous n'avons pas peur des réfugiés, ce sont des êtres humains qui méritent notre solidarité et notre amitié.
N.B. : 350 signatures
Pour les instigateurs de la pétition
Cesaretto D.35, av. de la Praille1227 Carouge
Extrait du Texte de la séance n° 29 du 13.06.1997
Réponse du Conseil d'Etat à l'interpellation urgente de M. Luc Gilly sur la construction d'un mur sur la terrasse du CERA de La Praille. (IU 348)
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Je partage entièrement les préoccupations de M. Luc Gilly concernant la qualité de l'accueil des personnes requérantes d'asile dans notre canton.
Je ne suis pas loin non plus de partager son avis, selon lequel la solution retenue dans le cas particulier n'est pas la plus satisfaisante. Malheureusement, l'autorité compétente, donc l'Office fédéral des réfugiés, a dû tenir compte d'un contexte délicat.
En effet, à tort ou à raison, de très nombreux habitants du voisinage se sentaient épiés par les usagers de la terrasse litigieuse. A ce stade, il faut préciser que ladite terrasse, d'une surface d'environ 100 m2, n'était à l'origine pas conçue comme espace extérieur accessible mais comme couverture d'une construction basse, sur cour, pourvue de lanterneaux surélevés, de 1,80 m sur 3,20 m, ce qui rend de toute manière l'utilisation malaisée. Elle est délimitée sur deux côtés par les façades des immeubles voisins. Les deux autres côtés étaient jusque-là munis de grillages d'un aspect carcéral fort discutable.
La situation qui a prévalu à ce jour était tout à fait insatisfaisante, sans compter les plaintes virulentes évoquées ci-dessus et laissait craindre une évolution du conflit, difficile à gérer, et, bien entendu, dommageable pour les requérants d'asile.
C'est dans ce contexte que l'Office fédéral des réfugiés a conçu le projet du mur litigieux destiné à servir d'écran visuel articulé autour de deux bacs à fleurs, de manière à rendre son aspect plus convivial. Ce projet est tout à fait conforme aux dispositions légales en matière de construction. Il a été approuvé par la commune qui a participé aux discussions préalables et par la commission d'architecture qui l'a accueilli favorablement.
Le mur en cours de construction a donc été autorisé par la police des constructions, le 25 mars 1997. L'autorisation a été publiée dans la FAO du 2 avril 1997, sans donner lieu à aucun recours. Tout en admettant qu'il est regrettable de devoir désamorcer des conflits par ce type de solution, je souhaite vivement que ce projet permette un apaisement des relations entre les personnes en cause, tout en améliorant la situation du point de vue esthétique.
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RAPPORT DE LA MINORITÉ
Que dire de ce mur qui n'ait déjà été dit ? Pas grand chose, si ce n'est que sa construction est l'illustration parfaite de l'intolérance. Celle de voisins gênés par la vue de ces "; étrangers qui abusent de l'hospitalité suisse ". De la peur de l'autre, qui d'en bas regardait son voisinage apeuré. Il a été construit, c'est dommage pour nous qui oeuvrons pour l'ouverture, l'accueil et la tolérance ainsi que pour une autre catégorie de voisins qui elle n'en voulait pas. Ils ont fait une pétition, munie de plus de 1000 signatures, demandant la démolition officielle de ce mur.
Et, par un beau matin de juin, las d'attendre cette hypothétique démolition et furieux d'avoir honte, un petit commando d'amis, une cinquantaine de citoyens courageux, s'est réuni sur place... et a fait tomber ce mur.
Pour la commission et la majorité de la législature précédente, plus de mur donc plus de problème. Mais les choses sont-elles si simples ? Non, pas vraiment. Si le mur a été officieusement démoli, peut-on estimer que les voeux des pétitionnaires sont réalisés ? Pas vraiment. Ils demandent, par un complément à leur pétition, qu'une solution de remplacement soit trouvée, afin de permettre de préserver l'intimité des habitants et des requérants : bacs à fleurs, haie de thuyas ou plantes grimpantes. Nous estimons qu'ils doivent être entendus, pas seulement par les membres de la commission des pétitions et par ce Grand Conseil. Nous voulons que le Conseil d'Etat prenne sa part de responsabilité dans cette problématique et facilite la résolution de ce conflit dont les requérants d'asile ont été les premières victimes - privés de terrasse durant des mois et jusqu'à aujourd'hui.
Renvoyons donc, Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition au Conseil d'Etat, qui saura dans sa grande sagesse intercéder auprès des autorités fédérales afin d'aboutir à une solution digne de notre canton !
Débat
Mme Anita Cuénod (AdG), rapporteuse de minorité. J'ai quelque chose d'important à ajouter, mais je précise que je ne m'exprime, pour l'essentiel, que sur la pétition 1164.
Par souci d'éthique politique et de cohérence, nous ne pouvons nous contenter du dépôt de cette pétition pour information, et encore moins du statu quo consistant à considérer la situation comme étant normalisée.
Ce mur a été détruit par un groupe de citoyens indignés par l'autorisation de sa construction délivrée par les autorités genevoises, et désireux de rendre compte publiquement de leur refus de l'intolérance.
Par souci d'éthique politique et de cohérence, disais-je, nous ne voulons pas d'un mur aux connotations racistes. Nous n'en voulons pas non plus parce que ce Grand Conseil a voté à l'unanimité, le 12 juin dernier, la résolution 339 invitant le Conseil fédéral à intervenir de toute urgence pour exiger l'arrêt des travaux et la démolition de ce mur en construction autour de la terrasse du Centre d'enregistrement des requérants d'asile de La Praille.
Je tiens à remercier Bernard Lescaze de son rapport objectif qui rend parfaitement compte de tous les aspects de cette problématique. Nous divergeons sur la solution apportée à cette triste histoire. Nous estimons, à juste titre, que le Conseil d'Etat doit prendre ses responsabilités et intervenir auprès de l'ODR pour que les conditions de vie des résidents du CERA soient dignes de la ville qui l'abrite.
Nous demandons, bien évidemment, le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Bernard Lescaze (R), rapporteur de majorité. Il est évident que l'ensemble de la commission a condamné l'édification du mur et s'est félicitée de sa destruction par des moyens divers.
Comme l'a dit la rapporteuse de minorité, peu de chose nous sépare, si ce n'est le bon sens. Ce Grand Conseil doit, hélas, se préoccuper d'objets suscitant un débat du simple fait de leur existence.
La majorité de la commission, considérant qu'il n'y a plus de mur, a estimé que les deux pétitions sont devenues sans objet et qu'il ne convenait pas de débattre d'un objet virtuel.
Le sort des requérants d'asile, qui semble tant préoccuper ceux qui ont suivi le rapport de Mme Cuénod, devrait leur inspirer autre chose que des discussions sur un objet dépassé.
Il est des moments où il faut savoir prendre acte de la situation et aller de l'avant. C'est pour cette raison que la majorité de la commission vous propose le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S). Le groupe socialiste soutiendra évidemment le rapport de minorité sur la pétition 1164. En effet, le mur n'existe plus, mais la terrasse du CERA, elle, sera fermée à ses pensionnaires.
Les pétitionnaires pour la démolition du mur maintiennent leur pétition pour l'aménagement d'un espace plus convivial et la concrétisation de diverses propositions énoncées dans le rapport.
Tout comme Mme Cuénod, nous pensons que le Conseil d'Etat pourra intervenir auprès des autorités fédérales pour que les requérants d'asile bénéficient de conditions moins carcérales et accèdent à une terrasse arborisée.
Par conséquent, nous demandons le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat.
Mme Anita Cuénod (AdG), rapporteuse de minorité. Mme Gossauer a dit l'essentiel. En effet, les pétitionnaires, en guise de suite à leur pétition, ont fourni des indications très précises quant à ce qui pourrait être fait pour remplacer le mur. Ils ont reçu une réponse de l'ODR, réponse que je transmettrai à M. le conseiller d'Etat, pour qu'il constate que la discussion est possible avec l'ODR.
Depuis la construction et la démolition du mur, nous savons, d'après les témoignages de certains résidents proches du CERA, que les requérants d'asile ne peuvent plus se rendre sur la terrasse. Je profite de mon intervention pour demander que la commission des visiteurs officiels se déplace sur les lieux, comme elle l'a fait il y a plusieurs années.
Pétition 1120
Le président. Cette pétition n'ayant plus d'objet, la commission propose de la déposer sur le bureau du Grand Conseil. Je mets aux voix cette proposition.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
Les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétitionsur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont rejetées.
Le président. Les conclusions de la commission étant rejetées, que l'un de ceux ayant voté contre le rapport fasse une proposition.
Mme Anita Cuénod (AdG), rapporteuse de minorité. Nous sommes cohérents, Monsieur le président, nous avons voté comme nous l'avons fait en commission. Si, en commission, nous nous sommes opposés au dépôt de la pétition, à titre de renseignement, sur le bureau du Grand Conseil, c'est parce que nous voulions son classement.
Le président. Cette pétition est donc classée.
Pétition 1164
M. Claude Blanc (PDC). Puisque nous sommes obligés de voter en premier sur la proposition la plus éloignée, je propose également le classement de la pétition 1164.
Le président. Monsieur le député, nous avons le choix entre trois propositions. Pour que tout soit clair, je demande à M. le député Lescaze de bien vouloir préciser la proposition de la majorité.
M. Bernard Lescaze (R), rapporteur de majorité. Je demande le dépôt des deux pétitions sur le bureau du Grand Conseil. Les explications de Mme Cuénod sont exactes : ceux qui ont refusé le dépôt de la pétition 1120 voulaient son classement; ceux qui ont refusé le dépôt de la pétition 1164 voulaient son renvoi au Conseil d'Etat. C'est parfaitement clair. Mais comme beaucoup de gens n'étaient pas dans cette salle lors du vote, les choses sont devenues confuses, parce que seul le second rapport sur la pétition 1164 a fait l'objet d'un rapport de minorité de Mme Cuénod.
Le vote de la minorité est parfaitement cohérent.
Le président. Tout est clair, nous sommes en présence de trois propositions. Je mets aux voix la proposition la plus éloignée, qui est celle de M. Claude Blanc, à savoir le classement de la pétition 1164.
Mis aux voix, le classement de la pétition est rejeté.
Mises aux voix, les conclusions du rapport de minorité (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) sont adoptées.