République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 2 octobre 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 11e session - 48e séance
PL 7669-A
Genèse du projet de loi
La motion 1115, concernant une politique dérogatoire du département des travaux publics et de l'énergie déposée le 4 février 1997, posait implicitement la question au Conseil d'Etat de savoir si un conseiller d'Etat avait ou non exercé une activité incompatible avec sa charge et sous-entendait que le Conseil d'Etat n'avait pas pris les mesures applicables en une telle occurrence (Mémorial 1977, pages 1373, 1420, 1427 et 1974).
Dans son rapport de réponse, le Conseil d'Etat relevait que la loi était muette sur la façon de régler la situation en cas d'activité incompatible durable et qu'il ne disposait d'aucun instrument juridique pour y remédier par une décision exécutoire (Mémorial 1997, pages 5868 et 5074).
Il arrivait à la conclusion qu'il fallait compléter la loi, de sorte que ce rapport était suivi d'un projet de loi, objet du présent rapport (Mémorial, page 5076).
Au cours des débats de préconsultation, la grande majorité des intervenants conclurent à ce que le Grand Conseil légifère rapidement, si possible avant la rentrée parlementaire.
Un député a mis en question l'opportunité de légiférer en la matière, considérant notamment que c'était aux citoyens de sanctionner un comportement incompatible et non pas au Conseil d'Etat de faire la police à l'intérieur de ses murs. Il a même envisagé la situation qui pourrait se présenter au cas où un magistrat révoqué par ses pairs viendrait à être réélu par le peuple...
Le Conseil d'Etat avait répondu admettre ce raisonnement sur le principe, mais avait relevé qu'en fait, dans des situations analogues (députés, magistrats), une procédure avait été promulguée afin de pouvoir sanctionner immédiatement, sans attendre de lointaines élections. L'égalité de traitement commandait donc de combler cette lacune.
Audition de M. Jean-Philippe Maitre, président du Conseil d'Etat.
M. Maitre indique que c'est la première fois que le Conseil d'Etat est confronté à une situation semblable. Pour la crédibilité des institutions, il faut légiférer. Après avoir résumé le système actuel, M. Maitre relève qu'il n'existe aucune sanction juridique en cas de violation persistante. Il commente ensuite la solution choisie, inspirée de ce qui existe au parlement.
Il explique que, techniquement, une fois le projet adopté, si le Conseil d'Etat prend une des décisions entrant ainsi dans sa compétence, celle-ci pourra faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral.
Le principe de l'indépendance de l'élu justifie la restriction à la liberté personnelle qu'implique cette loi.
Débats en commission
L'entrée en matière est acceptée à l'unanimité.
On peut retenir comme éléments principaux de la discussion:
Le fait qu'il devrait aller de soi, pour une personne de la qualité de conseiller d'Etat, que cette fonction implique les incompatibilités retenues par la loi actuelle et qu'en cas de violation constatée et perdurant, l'intéressé devrait en tirer lui-même la conséquence inéluctable: la renonciation à son mandat.
C'est donc à regret que la commission doit bien admettre qu'il faut revoir la loi. Cela étant, elle estime qu'il faut le faire d'une manière aussi claire et complète que possible, même si les textes proposés ne flattent guère l'idée que l'on peut se faire des élus.
Cependant, elle estime qu'il ne faut pas aller trop loin et qu'en ce sens, il n'est pas opportun de prévoir des règles de procédure définissant par qui et comment l'éventuelle incompatibilité doit être dénoncée puis établie, ni de prévoir la situation qui découlerait de l'éventuel non-respect des obligations nouvelles données au Conseil d'Etat.
Il est relevé que le candidat au Conseil d'Etat n'est pas soumis à la nouvelle loi sur les liens d'intérêts. Il n'est pas possible de donner une solution à ce problème dans le cadre de ce projet de loi, mais certains commissaires se proposent d'examiner cette question ultérieurement.
Analyse du texte et votes
Article 8, alinéa 1
Estimant qu'il ne faut laisser aucune ambiguïté sur les tâches du Conseil d'Etat, le mot «invite» est remplacé par «doit inviter» (voté à l'unanimité).
Article 8, alinéa 2
Il est constaté que l'élection populaire implique que le nouveau magistrat élu peut ne pas appartenir au même parti que l'ancien. Cette conséquence politique paraît ne pas pouvoir être évitée. Elle est la même en cas de décès en fonction.
Le texte proposé prévoit que, lorsque le magistrat ne répond pas dans le délai à l'invite du Conseil d'Etat, il est «censé renoncer à sa charge».
Si l'on peut comprendre que l'on ait voulu adoucir la forme, la commission désire pour sa part un texte clair, cette loi étant, on l'a déjà dit, peu flatteuse pour la fonction qu'elle régit. Dès lors le texte «déclaré avoir renoncé à sa charge» est préféré à «considéré comme démissionnaire», également proposé.
La commission constate que le texte ne dit pas clairement ce qui se passerait au cas où le conseiller d'Etat, après avoir opté pour sa fonction au sens de l'alinéa 1, continuerait de fait, ne serait-ce que par négligence ou incompréhension, son activité partielle professionnelle incompatible.
Certains pensent qu'une telle occurrence est à ce point improbable qu'il n'y a pas lieu de s'y arrêter.
D'autres estiment qu'il irait alors de soi que le Conseil d'Etat aurait pour devoir implicite de constater ce manquement et le droit tout aussi implicite de prononcer la révocation.
Après discussion, la commission décide de compléter le texte pour dire clairement ce qui paraît évident à d'autres. Elle ne crée pas un alinéa supplémentaire pour régler ce cas, mais simplement décide que l'alinéa 2 comportera une phrase complémentaire clarifiant la situation, à savoir: «Il en va de même si, passé le délai fixé à l'alinéa 1, le Conseil d'Etat constate qu'il continue son activité incompatible».
Cet alinéa est adopté par 8 voix moins 1 abstention.
Au vote d'ensemble, le texte retenu par la commission, et figurant ci-après, est adopté à l'unanimité.
La commission vous invite en conséquence à adopter rapidement cette loi pour qu'elle puisse entrer en vigueur avant que les nouveaux conseillers d'Etat prennent leur fonction.
PROJET DE LOI
modifiant la loi sur l'incompatibilité de fonctions des conseillers d'Etat
(B 1 12)
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
La loi sur l'incompatibilité de fonctions des conseillers d'Etat, du 12 janvier 1963, est modifiée comme suit:
Art. 8 (nouvelle teneur)
1 Lorsqu'une incompatibilité prévue par la présente loi persiste ou prend naissance au-delà de l'échéance prescrite à l'article 7, le Conseil d'Etat doit inviter par écrit le magistrat concerné à opter dans un délai de 8 jours entre l'activité ou la fonction en cause et la charge de conseiller d'Etat.
2 A défaut, ce magistrat est déclaré avoir renoncé à sa charge de conseiller d'Etat et une nouvelle élection est organisée conformément à l'article 109, alinéas 2 et 3, de la constitution. Il en va de même si, passé le délai fixé à l'alinéa 1, le Conseil d'Etat constate qu'il continue son activité incompatible.
Premier débat
M. Claude Lacour (L), rapporteur. J'aimerais apporter deux corrections à mon rapport.
A la première page, il faut lire : «Mémorial 1997» à la place de «Mémorial 1977».
A la page 5, l'alinéa 2 comprend quelques mots en italique à mettre en écriture normale.
M. Christian Grobet (AdG). Nous avons pris connaissance de ce rapport qui répond au projet de loi du Conseil d'Etat sur le problème des incompatibilités.
L'Alliance de gauche avait déposé deux mois auparavant un projet de loi traitant également de cette matière. J'aimerais demander au rapporteur ce qu'il est advenu de ce projet de loi.
La présidente. La parole n'est plus demandée. Nous sommes en premier débat... Monsieur le député Grobet ?
M. Christian Grobet (AdG). Madame la présidente, face au mutisme du rapporteur... Je pensais qu'on avait tout de même le droit d'avoir une explication...
La présidente. Il n'est pas prévu dans le règlement, vous le savez, Monsieur le député, d'interroger le rapporteur en plénière. Il faut le faire en commission.
M. Christian Grobet. Mais, Madame la présidente...
Des voix. Bravo, Madame la présidente !
La présidente. Ecoutez ! C'est un rapport à l'unanimité...
M. Christian Grobet. J'ai la parole, et je n'entends pas me la faire enlever. Je vous le dis tout de suite !
La présidente. Je ne vais pas vous l'enlever ! Je parle en même temps que vous, excusez-moi !
M. Christian Grobet. Je ne connais pas de règle dans notre règlement qui énonce ce que vous venez de dire...
La présidente. Mais oui...
M. Christian Grobet. En général quatre-vingt-cinq députés sur cent ne siègent pas dans les commissions auxquelles un projet est renvoyé. Ne siégeant pas dans cette commission, j'étais dans l'incapacité de demander des explications au rapporteur. Il est donc normal... (Brouhaha.) ...de pouvoir demander des explications en séance plénière au rapporteur, afin de savoir pourquoi un projet de loi traitant le même sujet et renvoyé deux mois auparavant en commission n'a pas été traité et ne fait pas l'objet d'un rapport...
Depuis environ deux ans, la majorité qui gouverne - pour le moment encore - dans ce parlement a renoncé à rejeter en débat immédiat les projets de lois de la gauche et plus particulièrement ceux de l'Alliance de gauche. J'ai le sentiment que les renvois de nos projets de lois en commission ont eu pour tout effet de les mettre aux oubliettes.
Or, face au mutisme du rapporteur, nous estimons que le projet de loi présenté par le Conseil d'Etat, objet du présent rapport, est insuffisant en ce qui concerne le problème extrêmement délicat du respect des incompatibilités. Confier au Conseil d'Etat la mission de faire le ménage face au non-respect des règles sur les incompatibilités n'est pas une solution satisfaisante. Comme on l'a d'ailleurs constaté, le Conseil d'Etat n'a pas été en mesure de faire respecter... (Le député est interrompu.) Pardon ? (Brouhaha.) Pardon ? Ecoutez, Monsieur Maitre...
La présidente. On ne va pas faire de dialogues. Ce n'est pas non plus prévu par le règlement. Laissons finir M. Grobet !
M. Christian Grobet. C'est vrai, Monsieur Maitre, la loi que vous nous présentez n'existait évidemment pas encore, mais cela n'empêchait tout de même pas le Conseil d'Etat d'intervenir face à une situation irrégulière.
Par ailleurs, le bureau d'architectes de M. Joye, qui est toujours actionnaire majoritaire, continue d'obtenir des autorisations de construire ou d'en solliciter au département des travaux publics. Mais le Conseil d'Etat ne semble pas se préoccuper de ces conflits d'intérêts qui peuvent encore aujourd'hui résulter de cette situation.
Nous proposions, dans notre projet de loi, une transparence avant les élections et, surtout, que ce soit une commission du Grand Conseil qui veille au respect des règles des incompatibilités. Actuellement, une commission du Grand Conseil examine les incompatibilités qui pourraient exister au niveau des députés élus. Cette commission pourrait très bien, en début de législature, le faire au niveau du Conseil d'Etat, tant il est évident qu'il sera toujours difficile pour ce dernier de s'en prendre à un membre élu siégeant dans un conseil. Juger ses pairs est une tâche malaisée.
La solution proposée ce soir représente certes un premier pas, mais nous estimons que c'est insuffisant. Le contrôle aurait dû être confié au Grand Conseil. Nous déplorons vivement que le rapport n'ait pas répondu sur les deux projets de lois pour que ce Grand Conseil puisse faire un choix parmi les solutions à disposition.
M. Olivier Lorenzini (PDC). M. Grobet parle du mutisme du rapporteur, mais j'aimerais relever celui des membres de son groupe à la commission des droits politiques.
Les membres de l'Alliance de gauche ont participé activement et avec un certain enthousiasme aux travaux de la commission sur ce projet de loi. Ils ont amendé la loi, et nous avons tenu compte de leur amendement figurant au deuxième paragraphe. L'ensemble de la commission a voté à l'unanimité le projet de loi proposé ce soir et, visiblement, l'Alliance de gauche n'a pas jugé utile de faire revenir ce projet de loi, lorsque nous en parlions. Nous avons donc compris que celui-ci remplaçait aisément celui que vous aviez proposé.
C'est pourquoi nous vous invitons à voter ce projet de loi.
M. Claude Lacour (L), rapporteur. Je remercie M. Lorenzini de dire ce que M. Grobet sait très bien : l'ordre du jour est décidé par la commission. Il a été ce qu'il a été. J'ai reçu pour mission de rendre un rapport sur le problème que la commission a décidé d'examiner. Je n'avais donc pas à répondre.
M. Christian Grobet (AdG). Ces explications ne sont pas du tout acceptables. Il est évident que c'est la tâche du président de la commission qui maîtrise les débats de mettre en délibération devant la commission les différents projets de lois dont il est saisi.
A aucun moment l'Alliance de gauche n'a déclaré retirer son projet au profit de celui-ci. Son projet a tout simplement été évacué des discussions et votre interprétation des faits, Monsieur Lorenzini, n'est absolument pas acceptable.
M. Jean-Philippe Maitre, président du Conseil d'Etat. Si je comprends bien vos propos, Monsieur Grobet, le seul reproche que vous fassiez à ce projet du Conseil d'Etat, voté par la commission avec quelques amendements rédactionnels, ne concerne pas son objectif, qui cherche à régler la situation dans notre législation jusqu'alors muette, mais la procédure.
Vous préféreriez que le Grand Conseil s'occupe de ce type de situations, mais vous avez tort. En effet, après la situation difficile que nous avons connue, nous avons cherché à régler les mécanismes qui permettent de trouver des solutions qui, à un moment donné, conduisent la justice à se prononcer si besoin est. Pour ce faire, nous avons voulu sciemment respecter la symétrie des situations entre ce qui se passe au Grand Conseil, ce qui s'est passé au Conseil d'Etat et ce qui pourrait par impossible survenir encore. Raison pour laquelle ce texte est nécessaire.
Lorsque le Grand Conseil est saisi d'un problème d'incompatibilité, il l'examine et tranche. Dans notre système de séparation des pouvoirs, s'il y a contestation à la suite de sa décision, il appartient à la justice de se prononcer en définitive.
Lorsqu'un problème de cette nature survient ou est susceptible de survenir au Conseil d'Etat, il lui appartient de prendre ses responsabilités, de trancher, et, si la contestation perdure, c'est à la justice de s'exprimer.
J'en suis persuadé, si nous avions dit qu'il appartenait au Grand Conseil de s'occuper de ce genre de problèmes, vous n'auriez pas manqué de déclarer que le Conseil d'Etat se déchargeait de ses responsabilités, qu'il se dégonflait et ne faisait pas son devoir. Comme quoi décidément tout est bon...
Lorsqu'on se trouve devant une situation difficile, il faut savoir prendre ses responsabilités, ce que nous avons fait, puisque nous vous avons saisis d'un projet de loi pour corriger ce type de situations.
Il convient donc d'accepter ce texte de telle manière qu'il puisse entrer en vigueur. Cela pourrait rendre service à d'aucuns pour la prochaine législature.
M. Christian Grobet (AdG). J'entends présenter un amendement à cet article 8.
Mais je voudrais tout d'abord dire à M. Maitre que notre projet de loi est antérieur à celui du Conseil d'Etat. Nous avons proposé que le Grand Conseil s'occupe de cette question avant que le Conseil d'Etat ne le propose. Par conséquent, nous n'avons pas pu prendre une position contraire à la vôtre. Votre raisonnement ne tient pas debout.
Une des choses essentielles est de connaître la situation des candidats ou, en tout cas, des conseillers d'Etat élus avant leur prestation de serment. Qu'ils fassent une déclaration claire et nette non seulement sur leurs entreprises et les conseils où ils siègent, mais aussi sur leurs liens d'intérêts. Ils devraient même faire une déclaration sur leur situation financière après leur élection, comme nous l'avons proposé dans notre projet de loi.
Or que propose le projet de loi du Conseil d'Etat ? Celui-ci intervient s'il découvre quelque chose. Il n'y a pas d'obligation de la part du magistrat élu d'indiquer au Conseil d'Etat quelles sont les entreprises où il a des intérêts, les conseils où il siège et ses liens d'intérêts. C'est évident, on risque de se retrouver dans la situation que le Conseil d'Etat a lui-même dénoncée en disant qu'il ignorait par exemple qu'un magistrat était encore membre d'un conseil d'administration dans le canton de Fribourg, parce qu'il n'existait aucune obligation légale d'indiquer les liens d'intérêts.
Cette obligation ne figure toujours pas dans la loi. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, nous proposons un amendement, sous forme d'un alinéa 3, qui préciserait :
«3Un conseiller d'Etat élu doit, avant sa prestation de serment, indiquer à la chancellerie les entreprises où il a des intérêts, les conseils où il siège et, de manière générale, ses liens d'intérêts.»
M. Claude Lacour (L), rapporteur. Je crois que M. Grobet est en retard d'un débat !
Bien entendu, en commission, nous avons examiné ce problème, car nous le considérons comme tel. Si M. Grobet veut bien se donner la peine de lire le troisième alinéa, à la page 3 de mon rapport, il verra qu'il en est question. Vu l'importance de ce problème, la commission a estimé qu'on ne pouvait pas le mélanger avec ce qui nous intéresse aujourd'hui.
Mais vous êtes libre, Monsieur Grobet, de déposer quand vous voulez un projet de loi pour traiter le problème des liens d'intérêts. Ce n'est pas tout à fait le même objet que le problème des incompatibilités que nous examinons aujourd'hui.
M. Jean-Philippe Maitre, président du Conseil d'Etat. Monsieur le député Grobet, vous proposez un amendement dont la substance est déjà traitée dans le droit actuel.
Aux articles 5 et 6 de la loi sur l'incompatibilité de fonctions des conseillers d'Etat, il est clairement précisé qu'un conseiller d'Etat peut rester propriétaire de son entreprise, mais ne doit pas avoir de liens d'intérêts avec ladite entreprise.
Vous savez comment cela se passe en pratique : lorsqu'un conseiller d'Etat est élu, les premiers entretiens avec le chancelier concernent ces questions. Un conseiller d'Etat est placé dans une autre situation qu'un député n'ayant pas une charge à plein temps incompatible avec toute autre fonction. Le mandat que le peuple lui a confié est incompatible avec toute autre activité salariée ou en tant qu'indépendant dans un organe d'une société, d'une fondation, etc., sauf s'il y est délégué par l'Etat.
Le problème est donc réglé à sa source dans le texte même de la loi, et votre question est manifestement superflue.
M. Christian Grobet (AdG). Je regrette de devoir contredire le président du Conseil d'Etat sur deux points.
D'abord, la question que je soulève n'est nullement réglée par la loi. Aucune disposition légale n'oblige un conseiller d'Etat élu à préciser quelles sont les entreprises dont il est propriétaire, où il a des intérêts, et les conseils où il siège.
Ensuite, Monsieur Maitre, j'ai été élu comme vous trois fois au Conseil d'Etat. Lors de ma première élection, le chancelier ne m'a pas posé la moindre question au sujet des conseils où je pouvais siéger - je ne siégeais du reste dans aucun - sur mes activités professionnelles ou mes liens d'intérêts. A ma connaissance, le chancelier n'a pas posé ce genre de questions aux autres conseillers d'Etat élus lors des législatures suivantes. Vos propos sont donc inexacts.
J'aimerais rappeler un autre fait, Monsieur Maitre. Votre Conseil d'Etat et vous-même, puisque vous avez traité le problème des incompatibilités concernant M. Joye, avez longuement expliqué devant ce Grand Conseil que le Conseil d'Etat s'était trouvé emprunté, n'ayant pas connaissance de la situation réelle de ce magistrat. Vous avez même indiqué que vous ignoriez qu'il siégeait encore au mois de février au conseil d'administration... (Brouhaha.) ...d'une société ayant son siège à Fribourg. Au mois de mars, vous ignoriez que ce magistrat était encore inscrit en tant qu'architecte... (La présidente agite la cloche.) ...au registre du commerce de Fribourg.
Par voie de conséquence, il est indispensable, si le Conseil d'Etat veut assumer la tâche qui lui est conférée, d'avoir connaissance de la situation. A mon avis, il n'appartient pas au Conseil d'Etat de mener des enquêtes sur des collègues; c'est très délicat. La meilleure solution, celle qui est pratiquée aux Etats-Unis, est la suivante : l'élu indique lui-même quels sont ses liens d'intérêts. Il est évident que s'il n'en indique pas la totalité, il se met dans une situation fautive.
Notre proposition n'a rien d'original, puisque à l'Assemblée fédérale où vous siégez comme moi, Monsieur Maitre, nous recevons un questionnaire où nous avons l'obligation d'indiquer nos liens d'intérêts. (Brouhaha.) Je parle des conseillers nationaux.
Les députés ont reçu un questionnaire identique pour la présente élection. Il n'y a donc rien d'incongru à prévoir qu'un conseiller d'Etat élu indique ses liens d'intérêts. Je ne comprends pas pour quelles raisons vous refusez une proposition aussi élémentaire... A moins de vouloir vous donner bonne conscience avec ce projet et pouvoir redire, par la suite : «Nous ignorions tout... Ce n'était pas de notre faute...».
L'alinéa que nous proposons a pour objet un minimum de transparence, afin que la situation que le Conseil d'Etat lui-même a déplorée ne se reproduise plus.
M. Bernard Clerc (AdG). Je suis un peu étonné que personne ne veuille entrer en matière sur l'amendement de mon collègue Grobet, étant entendu que la réponse donnée par M. Maitre paraît tout à fait particulière. Alors que nous sommes en train de discuter d'un projet de loi, il déclare : «Dans la pratique, ça se passe comme ça.»
Mesdames et Messieurs, si nous devions nous baser uniquement sur la pratique sans un minimum de règles fondamentales qui obligent à la transparence, où irions-nous ? En discutant d'un tel projet de loi, il me paraît évident d'obliger les élus à déclarer leurs liens d'intérêts si l'on veut pouvoir s'assurer qu'il n'y a pas incompatibilité. D'autant plus que la majorité de ce parlement a adopté, voilà trois ans, une loi sur les liens d'intérêts, entrant en vigueur cette année. Ce qui s'applique aux députés n'ayant aucune fonction exécutive doit s'appliquer également au Conseil d'Etat où les risques de liens d'intérêts sont autrement plus marqués qu'au parlement.
M. Olivier Lorenzini (PDC). Soit les membres de la commission des droits politiques de l'Alliance de gauche n'ont pas su vous expliquer le débat lors de votre caucus, soit vous n'avez pas envie de le comprendre.
Par rapport à la loi, le conseiller d'Etat n'a pas de problème d'incompatibilité, puisqu'il doit cesser toute activé lors de son entrée en fonctions. Votre amendement est donc inutile, Monsieur Grobet, et je vous invite à voter la loi en troisième débat, telle qu'elle vous est proposée par la commission.
M. Pierre Meyll (AdG). Je suis un peu gêné, car on est en train de traiter un sujet pour lequel j'ai fait recours. La qualité du lien d'intérêts est assez claire, et la moindre des choses serait de voter l'amendement.
J'ai une preuve concernant un lien d'intérêts avec une autorisation accordée par le chef du département des travaux publics à un atelier d'architecture dont il est proche, et ses intérêts semblent évidents. Je n'ai pas l'habitude de «ragoter», mais mon recours est en commission. J'aimerais que ce débat soit suspendu pour voir ce qu'il adviendra de ce recours. En cas de rejet, je suis prêt à aller devant le Tribunal fédéral pour que justice soit faite. Je vous prie de croire que je suis seul !
M. Bernard Clerc (AdG). Je ne comprends pas le raisonnement de M. Lorenzini. Il déclare que la fonction de conseiller d'Etat étant incompatible avec une activité lucrative il n'y a pas de problème.
Comment pouvez-vous savoir quelles sont justement les activités lucratives ou les liens d'intérêts d'un conseiller d'Etat s'il ne les déclare pas ? Il n'existe aucun moyen de le vérifier. Ou alors vous entrez dans une pratique de type policier supposant un climat de méfiance entre les élus au Conseil d'Etat, ce qui n'est pas acceptable. Il faut clarifier ce point dans la loi.
Madame la présidente, sur cet amendement, je demande l'appel nominal. (Exclamations.)
La présidente. L'appel nominal est appuyé.
M. Christian Ferrazino (AdG). Monsieur Lorenzini, vous ne pouvez pas dire tout et n'importe quoi ! D'autant plus que vous auriez pu prendre à coeur de donner une réponse circonstanciée au sujet des problèmes soulevés par un magistrat de votre formation politique. A votre place, j'aurais tenté de trouver une solution plus satisfaisante que celle d'aujourd'hui.
Monsieur Lorenzini, lisons ensemble cet article 8 qui règle tout, selon vous : «Lorsqu'une incompatibilité prévue par la présente loi persiste ou prend naissance au-delà de l'échéance prescrite à l'article 7, le Conseil d'Etat doit inviter par écrit le magistrat concerné...» (Exclamations.)
M. John Dupraz. Comment est-ce qu'on le sait ?
M. Christian Ferrazino. Avec sa bonne logique de terrien, M. Dupraz s'exclame : «Comment est-ce qu'on le sait ?»
Donc l'alinéa 3 de M. Grobet devrait être l'alinéa 1. C'est le début, le b.a.-ba ! (Brouhaha.)
Monsieur Maitre, vous avez reconnu devant ce Grand Conseil ne pas avoir été au courant des faits reprochés, à l'époque, à M. Joye. Nous vous croyons volontiers. Mais vous m'accorderez que le seul moyen pour vous et vos collègues d'être au courant d'une situation similaire, si elle devait se représenter un jour, c'est précisément de demander à l'intéressé de vous indiquer ses liens d'intérêts. (Brouhaha.)
Une voix. Qu'est-ce que ça apporte ?
M. Christian Ferrazino. Mais, chère Madame, si vous demandez à l'intéressé d'indiquer ses liens d'intérêts une fois élu - nous nous sommes imposé cette charge à nous-mêmes, députés - non seulement vous savez qui représente quoi mais vous avez la possibilité, en tant que membre de l'exécutif, d'agir selon la disposition prévue à l'article 8 !
Or si vous laissez cette disposition telle quelle sans adopter l'amendement de notre collègue Grobet qui aurait dû être l'alinéa 1 de cette disposition, car c'est le début du raisonnement qui nous anime ce soir, vous vous empêchez volontairement de mettre à exécution les dispositions que nous adoptons !
De deux choses l'une. Soit nous voulons véritablement que cette disposition puisse se concrétiser si d'aventure le cas se présente, et alors nous sommes obligés de la compléter avec l'alinéa 3 qui nous est proposé - c'est-à-dire une déclaration de liens d'intérêts du candidat - soit nous souhaitons qu'elle ne serve à rien et nous refusons l'amendement, en sachant pertinemment que cela signifie se donner bonne conscience et que ce projet de loi n'aura absolument rien réglé.
Veuillez répondre à la question qui vous est posée, Monsieur Maitre ! Oui ou non, en toute franchise, si cette disposition avait existé, auriez-vous été au courant des agissements que nous reprochions à M. Joye - vous l'avez vous-même déploré publiquement ? Si la disposition proposée ce soir avait existé, auriez-vous été dans la même situation ? Ou, au contraire, auriez-vous pu prendre les mesures que vous souhaitiez prendre plus rapidement ?
C'est l'unique question. Evidemment, l'appel nominal est déterminant pour savoir si nous souhaitons véritablement légiférer et trouver une solution à ce problème ou, au contraire, nous donner bonne conscience en éludant la question.
M. Claude Lacour (L), rapporteur. Monsieur Ferrazino, vous êtes également en retard d'un débat !
Si vous vous étiez donné la peine de lire mon rapport, page 3, deuxième paragraphe, vous sauriez que la commission s'est penchée sur ce problème. Elle a voulu régler le problème de fond en s'occupant des incompatibilités et en donnant une responsabilité à quelqu'un pour agir.
Par contre, on pourrait faire une loi de procédure et d'application comprenant au moins une cinquantaine d'articles. Mais on ne met pas dans une loi de base des règles de procédure. C'est au Conseil d'Etat de régler ces problèmes, de savoir comment il apprend et à qui il pose des questions.
Si vous voulez que l'on fasse une loi de procédure, proposez un projet de loi qui entre dans tous les détails ! Un projet qui, selon mon rapport, prévoie par qui et comment l'éventuelle incompatibilité doit être dénoncée, puis établie, ainsi que la situation qui découlerait de l'éventuel non-respect des obligations nouvelles données au Conseil d'Etat, etc.
M. Jean Spielmann (AdG). Nous sommes en face d'un problème important, celui de la déclaration des liens d'intérêts.
Le Grand Conseil s'est imposé un certain nombre de règles. La plupart des députés sont des miliciens qui ont un travail, des charges et des responsabilités. Il y a certainement dans les activités d'un député beaucoup moins de risques de collusion ou de mélange d'intérêts que chez quelqu'un qui brigue un poste payé à 100% et doit se mettre totalement au service de la République pendant une période.
Vous fixez donc des règles pour les députés de milice qui doivent déclarer leurs liens d'intérêts. Une commission examine ensuite s'il y a incompatibilités et problèmes. Votre interprétation des incompatibilités a été faite sous des aspects politiques dont nous avons souvent été les victimes. Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises dans ce parlement.
Après les discussions au sujet du Conseil d'Etat, il faut mettre en place des dispositions. Il ne s'agit pas seulement d'une question de procédure pour régler les problèmes. La population doit connaître les problèmes qui pourraient surgir. Un candidat peut avoir des responsabilités, mais, une fois élu, abandonnera-t-il ses charges ?
Comment voulez-vous mettre en place des dispositions permettant de régler les problèmes d'incompatibilités sans demander aux candidats, avant la prestation de serment, quels sont leurs liens d'intérêts ? C'est le b.a.-ba. Pourquoi poser la question, alors que des problèmes sur lesquels je ne vais pas revenir ont surgi ?
Il est logique de connaître au moment de la campagne et du choix des candidats les problèmes qui pourraient survenir, afin de les régler.
Comme cela a été dit dans les débats, il est difficile pour les conseillers d'Etat de régler les problèmes entre eux. Comment voulez-vous prendre position une fois les candidats élus s'il n'y a pas eu déclaration d'intérêts ? Il faut fixer les choses de manière hiérarchique.
Si vous n'acceptez pas cette procédure, cela signifie que vous entendez tirer un trait et qu'il s'agit d'une loi alibi qui ne permettra pas de résoudre les problèmes. Il faudra poser des questions désagréables, ce qui ne devrait pas se produire dans ce parlement.
M. Jean-Philippe Maitre, président du Conseil d'Etat. Je constate que ce débat est incontestablement sérieux, mais c'est fondamentalement un débat de commission.
Il n'a pas eu lieu en commission, mais il faut qu'il ait lieu.
Je propose formellement que la commission des droits politiques puisse se réunir demain à 16 h pour examiner ce problème, le trancher et le rapporter à 17 h, afin de le régler.
On ne peut continuer à travailler de cette façon sur une affaire de portée institutionnelle. Cela nécessite de la sérénité. Il faut arriver demain avec un texte.
M. Bernard Annen (L). Je suis surpris par un amendement tel que celui-ci. Sur le fond, je n'y suis pas opposé. Pourquoi, en effet, un conseiller d'Etat ne devrait-il pas donner la liste de ses intérêts, alors qu'un candidat au Grand Conseil doit le faire ?
Dans la plupart des cas, un candidat au Conseil d'Etat a déjà indiqué ses liens d'intérêts au moment où il est candidat au Grand Conseil. Il est vrai, Monsieur Spielmann, s'il ne l'est pas, qu'il existerait deux cas de figure : un candidat au Conseil d'Etat, d'abord candidat au Grand Conseil ayant donné ses liens d'intérêts, et un candidat au Conseil d'Etat n'ayant pas passé par la candidature au Grand Conseil. Il y aurait deux poids, deux mesures.
Or, Monsieur Grobet, je ne comprends pas pourquoi vous prévoyez cette liste de liens d'intérêts uniquement pour un Conseil d'Etat élu. Je serais d'accord avec ce type d'amendement au moment où le candidat au Conseil d'Etat est candidat, et non pas au moment où il est élu conseiller d'Etat...
La présidente. Je vous laisse vous prononcer aussi sur la proposition du président du Conseil d'Etat, s'il vous plaît !
M. Bernard Annen. Je suis absolument favorable à la transparence et d'accord avec la proposition de M. le président du Conseil d'Etat...
La présidente. On va peut-être la faire voter...
M. Bernard Annen. ...et d'aller dans ce sens, car cet amendement n'est pas acceptable. Par contre, l'idée l'est.
La présidente. Je mets aux voix la proposition du Conseil d'Etat de renvoyer ce projet de loi en commission, à 16 h, pour être traité demain soir.
Mis aux voix, ce projet de loi est renvoyé à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil.