République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 septembre 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 9e session - 39e séance
PL 7698
LE GRAND CONSEIL,
vu l'article 4 de la constitution fédérale, du 29 mai 1874;
vu l'article 2 de la constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847;
vu la loi fédérale sur l'égalité entre femmes et hommes, du 24 mars 1995 (LEg, ci-après la loi fédérale),
Décrète ce qui suit:
CHAPITRE I
Organisation
Article 1
Au sens des articles 11 et 13 de la loi fédérale, il est institué une commission de conciliation en matière d'égalité entre femmes et hommes dans les rapports de travail. Elle est chargée de concilier, dans la mesure du possible, les différends relatifs à des discriminations directes ou indirectes à raison du sexe, dans les rapports de travail régis par le code des obligations et le droit public cantonal et communal.
Art. 2
1 La commission a pour mission:
a) de conseiller les parties ;
b) de tenter de les amener à un accord.
2 Elle fonctionne comme autorité de conciliation dans les litiges qui sont de la compétence des prud'hommes. La loi sur la juridiction des prud'hommes s'applique dans la mesure où elle ne déroge pas à la loi fédérale.
3 Elle tente, dans les rapports de droit public, de concilier les parties. La commission est alors soumise à la procédure administrative dans la mesure où elle ne déroge pas à la loi fédérale.
4 L'organisation interne de la commission est définie par le règlement.
Art. 3
1 La commission se compose de 13 membres, soit:
a) un président ou une présidente;
b) deux assesseurs et leurs suppléants représentant le groupement des employeurs et le groupement des travailleurs du secteur privé;
c) deux assesseurs et leurs suppléants représentant l'administration cantonale et le groupement des travailleurs du secteur public;
d) deux assesseurs et leurs suppléants choisis dans les groupements représentatifs de l'administration communale.
2 Chaque groupement est représenté par 2 personnes, un assesseur et un suppléant, dont au moins une femme.
3 La composition se divise en sections composées du président ou de la présidente et de deux assesseurs, ou de leurs suppléants, désignés en fonction de la nature du litige. Le président ou la présidente constitue les sections et répartit les affaires entre elles.
4 Le président ou la présidente ainsi que les assesseurs et les suppléants sont nommés par le Conseil d'Etat, sur proposition des groupements intéressés, pour une durée de quatre ans, dès le 1er mars de l'année qui suit celle du renouvellement du Grand Conseil et du Conseil d'Etat.
CHAPITRE II
Organisation
Art. 4
1 Toute personne qui subit, ou risque de subir, une discrimination au sens des articles 3 et 4 de la loi fédérale, peut saisir la commission. Les organisations au sens de l'article 7 de la loi fédérale peuvent aussi saisir la commission.
2 Une formule de demande, dont l'usage n'est toutefois pas obligatoire, est délivrée gratuitement par le secrétariat de la commission.
3 La demande est introduite au jour de son dépôt ou de son envoi au secrétariat de la commission. Elle constitue l'introduction de la demande et lie l'instance.
4 Dans les rapports de droit public, l'introduction de la demande suspend le délai de recours pendant toute la durée de la procédure de conciliation.
Art. 5
1 La commission convoque les parties à bref délai.
2 Les parties comparaissent en personne. Toutefois, elles peuvent se faire représenter ou assister par un avocat, un mandataire professionnellement qualifié ou par une personne de confiance, notamment membre d'une organisation au sens de l'article 7 de la loi fédérale.
3 Si la commission estime qu'une telle mesure est de nature à favoriser une conciliation, elle peut reconvoquer les parties.
4 La commission peut solliciter toute information ou avis d'expert et convoquer des tierces personnes si nécessaire.
5 Lorsque l'une ou les parties ne comparaissent pas, la commission peut les reconvoquer. En cas de nouveau défaut d'une ou des parties, la commission déclare la cause non conciliée.
Art. 6
1 La commission s'efforce d'amener les parties à un accord.
2 Si un accord intervient, le président ou la présidene en dresse le procès-verbal qui est signé par les membres de la commission et par les parties.
3 Les procès-verbaux de la commission sont exécutoires.
4 En cas d'échec de la tentative de conciliation, l'affaire est transmise d'office auTribunal des prud'hommes pour les litiges dans des rapports de droit privé.
5 Dans les rapports de droit public, les parties doivent agir devant le Tribunal administratif dans le délai à nouveau en cours.
Art. 7
En cas de non conciliation, aucune des parties ne peut se prévaloir dans la suite du procès de ce qui a été déclaré à l'audience de conciliation, soit par les parties, soit par les membres de la commission.
Art. 8
La procédure devant la commission est gratuite.
Art. 9
La personne qui s'estime victime de discrimination au sens de la loi fédérale peut recourir ou déposer action:
a) devant la juridiction des prud'hommes pour les litiges de droit privé;
b) devant le Tribunal administratif pour les litiges relevant de droit public.
Art. 10
La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 1998.
Art. 11
1 La loi sur la juridiction des prud'hommes, du 21 juin 1990, est modifiée comme suit:
Art. 3 A (nouveau)
Les litiges en matière d'égalité entre femmes et hommes au plan de la loi fédérale sur l'égalité sont attribués à un groupe ad hoc.
*
* *
2 La loi sur le Tribunal administratif et le Tribunal des conflits, du 29 mai 1970, est modifiée comme suit:
Art. 8, al. 1, chiffre 0 (nouveau)
0 décisions de la commission de conciliation en matière d'égalité entre femmes et hommes concernant les rapports de travail (A 2 50, art. 6, al. 5, et art. 9, lettre b);
EXPOSÉ DES MOTIFS
La loi fédérale sur l'égalité entre femmes et hommes (ci-après LEg) est entrée en vigueur le 1er juillet 1996. Le Conseil d'Etat n'a toujours pas fait de proposition véritablement satisfaisante pour répondre aux exigences de la loi fédérale. Le Conseil d'Etat avait pourtant admis, lors de la procédure de consultation, que la concrétisation du principe d'égalité dans le monde professionnel était loin d'être atteint; il encourageait par conséquent une procédure de conciliation dépourvue de forme et gratuite. Les conséquences de ce retard sont fâcheuses: un an après l'entrée en vigueur de la loi fédérale, les femmes genevoises ne savent pas à quelle juridiction s'adresser en cas de litiges de droit public ou de droit privé, les voies actuelles devant être adaptées à la problématique relevant de l'égalité. Les seules modifications apportées par le Conseil d'Etat ont été celles visant les règlements B 5 05.01 (règlement d'application de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale), B 5 10.04 (règlement fixant le statut des membres du corps enseignant), B 5 10.08 (règlement fixant le statut des membres du corps enseignant de l'école d'horticulture de Lullier) et B 5 10.12 (règlement fixant le statut des membres du corps enseignant des écoles de professions de la santé et de la petite enfance) - publication dans la Feuille d'avis officielle du 6 août 1997 - instaurant une autorité de préavis sur recours. Cette solution n'est pas satisfaisante. Prenons deux exemples afin d'illustrer nos critiques.
- Une femme s'estime victime d'une décision administrative discriminatoire portant sur un refus d'embauche au profit d'un homme, les compétences des deux candidats étant égales. La plaignante doit obtenir la décision par écrit; elle dispose ensuite de 30 jours pour recourir auprès du Tribunal administratif. Elle ne peut solliciter un préavis auprès de la personne chargée de la médiation que si elle a déjà entamé une procédure judiciaire, ce qui vide de son sens même la conciliation voulue par la LEg.
- Un groupe professionnel, majoritairement féminin, estime sa grille salariale non conforme au principe d'égalité salariale fixé dans la LEg. Ce groupe peut demander la réévaluation de sa fonction. La procédure est longue et la volonté politique indispensable pour aboutir à un changement. Dans le contexte actuel, les membres de cette profession s'adresseront à leur syndicat. Celui-ci peut intervenir, au sens de la LEg, dans le cadre d'une action en constatation que la LTA (loi sur le Tribunal administratif) ne prévoit pas encore. Ce groupe serait limité dans sa volonté d'obtenir un préavis auprès de la personne chargée de la médiation puisqu'il faut avoir déposé un recours auprès du Tribunal administratif pour solliciter un préavis ! La seule possibilité pour ce groupe professionnel est qu'un de ses membres introduise une action pécuniaire auprès du Tribunal administratif.
Ainsi, nous constatons que la volonté du législateur fédéral permettant l'ouverture à l'intervention syndicale, à l'allégement des procédures, n'est pas respectée. D'une part, l'action syndicale est limitée et, d'autre part, l'obligation du dépôt d'une action en justice est posée alors que la LEg recommande les possibilités de conciliation. Cet alourdissement de la procédure provoquera aussi une augmentation des frais pour l'Etat. La procédure étant voulue gratuite, les parties solliciteront des expertises, à charge de l'Etat, qui pourraient être évitées dans le cadre d'un office de conciliation doté de moyens suffisants. Autre critique de taille, les personnes chargées de la médiation telle que prévue par les règlements incriminés ne sont pas désignées paritairement.
La LEg a pour but de promouvoir l'égalité professionnelle entre femmes et hommes. Elle doit faciliter l'application du droit à un salaire égal garanti par l'article 4, alinéa 2, de la Constitution fédérale et vise surtout à concrétiser l'égalité dans le domaine du travail. La LEg s'applique à l'ensemble des travailleuses et des travailleurs du secteur privé et aux fonctionnaires et employé-e-s des administrations communales et cantonales. La LEg prévoit l'interdiction de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe dans l'emploi. Cette interdiction de discrimination s'applique notamment à l'embauche, à l'attribution des tâches, à la rémunération, à l'aménagement des conditions de travail, à la formation et au perfectionnement professionnel, à la promotion, à la résiliation des rapports de travail ainsi qu'au harcèlement sexuel. La LEg prévoit une série de mesures facilitant l'exercice des droits en justice des personnes discriminées. Les personnes concernées bénéficient, ainsi, d'une procédure allégée en matière de preuve: il leur suffit de rendre la discrimination vraisemblable pour que celle-ci soit présumée, excepté dans les cas d'embauche et de harcèlement sexuel. La qualité pour agir des organisations ainsi qu'une protection contre le licenciement-représaille sont introduites pendant toute la durée de la procédure. Il est aussi prévu des allégements de procédure:
- la gratuité des procédures engagées, quel que soit le montant de la valeur litigieuse;
- la possibilité d'être représenté-e en justice par un-e avocat-e ou assisté par un-e mandataire, de même que la procédure écrite;
- l'obligation pour les tribunaux d'établir d'office les faits.
La LEg garantit l'ouverture de voies juridictionnelles débouchant sur des sanctions, celles-ci se devant d'être suffisamment dissuasives afin d'atteindre les buts visés par l'esprit de la loi. C'est ainsi que l'article 5 de la LEg reprend les actions prévues dans le domaine de la protection de la personnalité et stipule que la personne subissant ou risquant de subir une discrimination doit pouvoir requérir le tribunal afin que celui-ci intente une action:
- d'interdiction de discrimination ou de renonciation, si celle-ci est imminente;
- de cessation de discrimination, si celle-ci persiste;
- de constatation de discrimination, si le trouble créé subsiste;
- d'ordre de paiement du salaire dû.
Suite à l'entrée en vigueur de la LEg, la législation genevoise doit être adaptée. En ce qui concerne la procédure de conciliation, nous proposons que soit instituée une commission de conciliation en matière d'égalité entre femmes et hommes chargées de concilier tous les différends relatifs à des discriminations directes et indirectes à raison du sexe, tant dans les rapports de travail régis par le code des obligations que dans ceux régis par le droit public.
L'article 11 de la LEg exige qu'une procédure de conciliation soit prévue pour les litiges relevant du droit privé, les cantons et les communes étant libres de choisir une procédure identique pour le personnel des administrations communales et cantonales. Seule l'administration fédérale est soumise à une procédure spécifique. Il nous a semblé pertinent de ne prévoir qu'une seule procédure de conciliation pour les litiges relevant du droit privé et du droit public. Une seule instance a l'avantage de réunir en un seul lieu des compétences mixtes, de développer une pratique constante, d'assurer une formation continue aux personnes désignées et ainsi de répondre aux buts fixés par la loi fédérale. Une seule procédure de conciliation permet aussi de clarifier les rôles des autorités compétentes qui ne se sont vu confier, jusqu'alors, qu'un nombre restreint de cas et dans lesquels lesdites autorités avaient un rôle tantôt de juge et tantôt de partie.
En ce qui concerne les voies de recours, toutes les décisions violant la LEg sont susceptibles de recours au Tribunal fédéral après épuisement des voies de recours cantonales: le Tribunal administratif en dernière instance pour les litiges de droit public et la juridiction des prud'hommes pour les litiges de droit privé. Dans le but d'éviter de surcharger les tribunaux, nous proposons d'instaurer, au début de la procédure, une instance permettant aux travailleurs et aux travailleuses une procédure de conciliation afin de leur donner la possibilité de régler le litige par un accord ou d'obtenir un avis sur une situation qu'ils ou qu'elles estiment discriminatoire. Il est important, comme le souligne le Conseil fédéral dans son message, de conseiller les parties et de leur permettre d'éviter une détérioration irrémédiable des rapports de travail.
Commentaires article par article
Article 1
Une seule commission de conciliation est instituée, elle est chargée de connaître les différends relatifs à des discriminations pouvant concerner notamment la rémunération, la promotion et la résiliation des rapports de travail mais aussi des comportements de harcèlement sexuel sur le lieu de travail.
Article 2
Cette commission est chargée d'amener les parties à trouver un arrangement afin de maintenir les rapports de travail. Actuellement, la conciliation est une étape importante lors de litiges relevant du droit privé, notamment en matière prud'homale. Il nous semble pertinent de faire fonctionner cette commission comme unique autorité de conciliation pour les motifs invoqués à l'article 1. Il serait contraignant pour les parties de devoir se soumettre à nouveau devant le bureau de conciliation prévu par la Juridiction des prud'hommes. Dans les rapports de droit public, la commission fonctionne aussi comme commission de conciliation, les dispositions de l'article 13 de la LEg étant réservées dans le cas du personnel de la Confédération.
Article 3
La commission de conciliation se compose d'un-e président-e ainsi que de six assesseurs et de six suppléant-e-s représentant:
- les travailleuses et les travailleurs du secteur privé et public;
- les employeur-e-s du secteur privé et public.
Il est indispensable de désigner un nombre équivalent d'hommes et de femmes. Cette commission étant compétente pour les litiges de droit public et privé, elle doit être divisée en plusieurs sections. En fonction de la nature du litige, la présidence constitue les sections qui sont composées d'un-e assesseur-e représentant les employé-e-s et d'un-e assesseur-e représentant les employeur-e-s.
Articles 4 et 5
L'objectif visé par la LEg est clair. Simplicité et gratuité doivent être garanties afin que les personnes discriminées soient incitées à entreprendre les démarches judiciaires. L'existence dans la Constitution fédérale de l'article 4, alinéa 2, n'a pas permis de faire émerger un nombre important de procès en matière salariale, non pas suite à la disparition miraculeuse de la discrimination, mais bien par le fait que les procédures étaient lourdes et dissuasives. Ainsi, la commission de conciliation peut être saisie sur simple lettre.
La commission doit, par contre, être dotée d'un certain nombre de moyens si l'on veut faire de la procédure de conciliation un passage utile et efficace et éviter une trop grande judiciarisation des affaires traitées. Ces moyens sont notamment la reconvocation des parties, l'appel à des tiers ou à des expert-e-s.
La LEg prévoit, en son article 12, que les cantons ne peuvent exclure ni le droit des parties de se faire représenter, ni la procédure écrite, ni la gratuité de la procédure, cela indépendamment de la valeur litigieuse. Cette obligation est valable devant la commission de conciliation, devant le Tribunal des prud'hommes et du Tribunal administratif.
Article 6
Le but principal de la conciliation est de parvenir à un accord. En cas d'échec de conciliation, l'accès à la justice doit être facilité, aussi l'affaire doit pouvoir être transmise d'office au Tribunal des prud'hommes dans les différends de droit privé et au Tribunal administratif dans les différents de droit public. Compte tenu du délai usuel de recours de 30 jours à compter de la notification d'une décision, il est indispensable de prévoir que le dépôt d'une demande suspend ce délai pendant la durée de la procédure.
Autres modifications législatives
Loi sur la juridiction des prud'hommes (E 3 10)
Article 3 bis (nouveau)
Ainsi que nous l'avons développé, il est indispensable, au vu de la complexité, que les litiges en matière d'égalité puissent être traités de la manière la plus uniforme possible afin qu'une pratique et une jurisprudence constante se développent. Cet objectif général a plus de chance d'être atteint si toutes les affaires sont traitées par un groupe ad hoc du Tribunal des prud'hommes.
Remarques: la loi sur la juridiction des prud'hommes sera révisée prochainement. Au stade actuel de consultation, nous ne proposons pas de modification concernant les mesures provisionnelles, qui restent, pour l'heure, de la compétence du Tribunal de première instance.
Loi sur le Tribunal administratif (E 5 05)
Elle est modifiée par:
a) un nouvel article 8 (Recours liste des attributions), chiffre 8 bis, tenant compte du fait que le Tribunal administratif est saisi lorsque la procédure de conciliation a échoué pour les litiges de droit public;
b) une disposition ouvrant la voie pour les actions défensives au sens de l'article 5 de la LEg;
c) une disposition tenant compte de la problématique de la suspension du délai usuel de 30 jours.
Au vu des explications ci-dessus, nous vous recommandons, Mesdames et Messieurs les députés, d'approuver ce projet de loi.
Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire sans débat de préconsultation.