République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1131-A
39. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition : «Contre l'intolérance religieuse». ( -)P1131
Rapport de Mme Michèle Mascherpa (L), commission des pétitions

Le 12 octobre 1996, l'association UNIR (UNion contre l'Intolérance Religieuse), par la plume de son président, M. Fernand Pasche, adressait la pétition suivante au Grand Conseil:

AU GRAND CONSEIL DE LA RÉPUBLIQUEET CANTON DE GENÈVE

PÉTITION

I

Attendu

- que la Constitution helvétique garantit la liberté de conscience;

- que la Suisse a adhéré à la Déclaration universelle des droits de l'homme, promulguée par les Nations Unies le 10 décembre 1947, déclaration qui garantit notamment la liberté religieuse;

- que le 12 décembre 1960 l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution «condamnant toutes les manifestations de haine raciale, religieuse et nationale... comme violation... de la Déclaration universelle des droits de l'homme»;

- que le 21 décembre 1965 l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté une nouvelle convention entrée en vigueur le 4 janvier 1969, à laquelle 130 Etats ont déjà adhéré;

- que le 2 mars 1992 le Conseil fédéral a adressé aux Chambres un «message concernant l'adhésion de la Suisse à cette convention, appelée convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et sur la révision y relative du droit pénal»;

- que ce message est publié (FF 1992, Vol. III, pages 267-324);

- que la convention couvre un champ plus large que la discrimination raciale et inclut la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 2 et 5, lettres a à f), la lettre d, «autres droits civils», mentionnant expressément:

vii) droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion;

viii) droit à la liberté de réunion et d'associations pacifiques;

- que l'article 6 précise que «les Etats assureront à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes nationaux compétents, contre tous actes de discrimination...»;

- qu'enfin l'article 8 prévoit la constitution d'un Comité international de 18 experts chargé de contrôler le respect de la convention dès son entrée en vigueur dans chaque Etat intéressé. Le message du Conseil fédéral, page 317, accepte l'admission de ce comité comme organe de contrôle en Suisse;

- que les Chambres fédérales ont voté l'adhésion de la Suisse à cette convention et que le peuple suisse l'ayant fait à son tour le 25 septembre 1994, à une large majorité, la convention est entrée en vigueur le 1er janvier 1995;

- que, pour assurer l'application de la convention, les Chambres ont en outre voté l'introduction de l'article 261 bis du code pénal, disposition dont le texte est annexé;

- que cette disposition, très détaillée, punit l'incitation publique à la haine, l'organisation et l'encouragement d'actions de propagande ainsi que la participation à de telles actions; que le code pénal suisse punit également le financement de telles actions;

- que le message du Conseil fédéral a relevé que «l'effet de prévention est essentiel dans ce domaine».

II

Attendu

- que, dans le canton de Genève, des campagnes haineuses et calomnieuses se multiplient contre les nouveaux mouvements religieux, qualifiés avec mépris de «sectes», en vue d'aboutir à leur destruction;

- que, dans le canton de Genève, le nommé François Lavergnat a créé un groupuscule appelé GPFI, dont il est pratiquement l'agitateur unique, et qu'il répand par ce moyen des constants messages de haine et de calomnie sur les nouveaux mouvements religieux et leurs membres;

- que M. François Lavergnat semble être écouté par certaines «oreilles officielles» qui le soutiennent dans son action, y compris sur le plan financier, selon ses propres allégations;

- qu'au surplus les enquêtes qui sont faites sur les nouveaux mouvements religieux apparaissent comme unilatérales et partiales, aucun expert en la matière n'étant entendu alors que de nombreuses sommités neutres, tant religieuses que laïques, se sont spécialisées dans l'étude des nouvelles religions (on trouvera en annexe un certain nombre d'expertises fournies à titre d'exemple);

- que M. François Lavergnat n'est certainement pas une autorité en la matière, ainsi que la description de ses actes permet de le constater (annexes);

- qu'il y a lieu de respecter la Constitution helvétique, les engagements internationaux de la Suisse et le droit pénal.

III

Vu les considérations qui précèdent et la documentation fournie, que les pétitionnaires se réservent de compléter largement,

le Grand Conseil est prié:

1. de demander au gouvernement cantonal que toute commission mandatée par lui pour étudier cette question prenne l'avis d'experts nationaux et internationaux versés dans le domaine des nouvelles religions de manière à ce que toute prise de position ou recommandation soit fondée sur une information impartiale et correcte et non sur la haine et la discrimination;

2. d'instituer une commission d'enquête sur les subventions que M. François Lavergnat, fondateur du GPFI, se targue d'avoir reçues de certaines autorités genevoises, ainsi que sur leur destination;

3. de créer une commission indépendante qui s'occupera des questions liées aux nouveaux mouvements religieux sur la base du dialogue et de l'égalité de traitement, sans prévention contre lesdits mouvements et leurs membres;

4. de créer à terme une chaire à la faculté de théologie de l'université de Genève pour permettre à un ou des professeurs qualifiés de donner un enseignement objectif et correct sur les nouvelles religions.

La commission des pétitions décidait de procéder en premier lieu à l'audition de Me François Bellanger, responsable du groupe d'experts mandaté par le département de justice et police et des transports (DJPT) pour faire un audit sur les dérives sectaires, avant d'entendre l'auteur de la pétition.

2 décembre 1996: audition de Me François Bellangeret de M. Bernard Pellegrini, secrétaire adjoint au DJPT

Le mandat du groupe d'experts

Me Bellanger situe le cadre du mandat d'expertise que le président du DJPT lui a confié le 8 janvier 1996. L'étude s'articule autour de trois axes de réflexion:

- analyse de l'existant: dresser un inventaire de l'arsenal législatif disponible pour lutter contre les dérives sectaires;

- sur cette base, définir des possibilités d'action plus étendues;

- et enfin, proposer de nouvelles dispositions légales.

Le rapport, qui est attendu prochainement, traite donc uniquement de la prévention et de la punition liées à des actions illicites de groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique, ce que le groupe d'experts a qualifié de dérives sectaires. En aucun cas, il ne s'agit de mettre sur pied une police des consciences, ni de porter atteinte à la liberté de croyance, ni de porter un jugement sur les groupements communément appelés «sectes», ni encore moins de chercher à définir ce qu'est une secte ou ce qu'est une religion. L'étude se concentre uniquement sur les actes illicites que des groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique, seraient amenés à commettre sous le couvert de la croyance.

Pour mener son étude à chef, le groupe d'experts a, en toute indépendance et impartialité, entendu un nombre important de personnalités de tous horizons: des universitaires, dont M. Eric Fuchs, directeur du centre interfacultaire d'éthique, et M. Olivier Fatio, doyen de la faculté de théologie; des représentants des autorités, des victimes ou des parents de victimes et, bien évidemment, des représentants de différents groupements, généralement qualifiés de sectes par le public, dont M. Pasche, président d'UNIR et auteur de la présente pétition.

La pétition 1131

Au sujet de cette pétition, Me Bellanger fait tout d'abord remarquer que l'ensemble des attendus se réfère à la Convention internationale sur l'élimination de toute forme de discrimination raciale: cette convention traite de la liberté religieuse uniquement sous l'angle de la discrimination raciale et n'a rien à voir avec les sectes. Par ailleurs, les références faites au code pénal suisse sont erronées.

Il insiste à nouveau sur l'impartialité avec laquelle le groupe de travail a mené ses auditions et trouve parfaitement injustifiées les allégations de discrimination et de partialité de M. Pasche à l'égard de la commission. La scientologie, comme tous les autres groupements d'une certaine importance, a été auditionnée et a d'ailleurs pu remettre aux membres du groupe d'experts une volumineuse documentation.

M. Pellegrini se réfère au passage de la pétition concernant les subventions que M. Lavergnat, président du GPFI, recevrait des autorités genevoises. Il précise à ce sujet que le GPFI a bénéficié d'une subvention unique du département de l'action sociale et de la santé (DASS) en 1996, d'un montant de 5 000 F. Il n'avait rien reçu les années précédentes et rien n'est prévu au budget 1997. Tout a été fait dans les règles ainsi qu'en atteste la lettre que M. Pellegrini fait circuler auprès des commissaires.

Le rapport du groupe d'experts genevois

En février 1997, chaque député a reçu un exemplaire de l'«audit sur les dérives sectaires». Chacun aura donc pu se convaincre du sérieux et de l'objectivité qui ont présidé aux travaux des experts, ce dont les médias n'ont d'ailleurs pas manqué de se faire l'écho.

La lecture de ce rapport nous amène à rejeter sans hésitation l'allégation que le président d'UNIR formule dans la première invite de sa pétition: «que toute prise de position ou recommandation soit fondée sur une information impartiale et correcte et non sur la haine et la discrimination». La commission d'experts a précisément travaillé de façon impartiale et correcte et à aucun moment dans le rapport final on ne peut relever la moindre trace de discrimination ou de haine. Bien au contraire. Nous citerons ce passage, révélateur de l'esprit des auteurs: «Le groupe d'experts a notamment mesuré le risque que représente une chasse aux sorcières lorsque, sur la base d'informations sommaires ou incomplètes, des groupements sont mis au ban de la société au motif que leurs croyances apparaissent un peu étranges.»

Les autres invites de la pétition

«Instituer une commission d'enquête sur les subventions que M. Lavergnat se targue d'avoir reçues...». Comme on l'a vu précédemment, le GPFI - et non M. Lavergnat en personne - a reçu une unique subvention du DASS, en toute licéité et transparence. Toute association peut faire une demande de subvention auprès du gouvernement: il n'y a rien d'illicite dans une telle démarche. Que la subvention soit accordée, ou refusée, il n'y a pas matière à créer une commission d'enquête !

«Créer une commission indépendante qui s'occupera des questions liées aux nouveaux mouvements religieux.» Cette invite est intéressante dans la mesure où elle rejoint précisément une des recommandations du groupe d'experts qui préconise la mise en place d'un «organisme indépendant d'information ... de manière à assurer la diffusion dans le public d'une information neutre et objective sur les pratiques et croyances des différents groupements».

Quant à la dernière invite, «Créer ... une chaire à la faculté de théologie de l'université de Genève pour permettre ... un enseignement objectif et correct sur les nouvelles religions», elle ressortit à la compétence de l'université et non à celle du Grand Conseil. Il est toutefois intéressant de relever que dans les recommandation générales du groupe d'experts il en est une qui suggère «l'introduction de cours sur l'histoire des religions et la culture judéo-chrétienne à l'école ... si l'on veut que les adolescents et les jeunes adultes puissent juger des «produits» proposés par les groupements à caractère religieux, spirituel et ésotérique». Cette proposition nous paraît digne du plus grand intérêt et elle rejoint d'une certaine manière le souci du pétitionnaire: combler les lacunes en matière d'information objective et correcte du public.

Discussion et conclusion

La commission des pétitions estime que les recommandations générales de l'audit sur les dérives sectaires répondent largement aux préoccupations des auteurs de la pétition 1131 et ne juge pas nécessaire de poursuivre ses travaux par d'autres auditions. Et ce d'autant qu'elle a déjà eu l'occasion d'étudier de manière approfondie la problématique des groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique lors d'une précédente pétition qui a fait l'objet d'un rapport fouillé.

Par ailleurs, le rapport du groupe d'experts contient nombre d'autres recommandations relatives à la protection de l'enfant contre les atteintes liées à la dépendance de mouvements sectaires, aux mesures de droit administratif, fiscal ou pénal contre les atteintes résultant de dérives sectaires, qui sont autant de pistes qui méritent d'être explorées «parce qu'avec ce rapport, nous devons être au début d'une action concrète et non pas simplement à la fin d'un processus intellectuel». (Gérard Ramseyer, Préface.)

En conclusion, la commission des pétitions vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, par 12 voix pour et 3 abstentions, le classement de la pétition 1131. A la demande des commissaires qui se sont abstenus, nous précisons qu'ils étaient en faveur d'un dépôt sur le bureau du Grand Conseil.

Débat

Mme Michèle Mascherpa (L), rapporteuse. En page 5 du rapport, il y a une erreur de date. Il s'agit du 8 janvier 1996 et non du 8 janvier 1966. Je n'ai rien d'autre à ajouter.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (classement de la pétition) sont adoptées.