République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 30 mai 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 6e session - 23e séance
M 1096
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- la persistance de la crise économique en Suisse et à Genève;
- les résultats insuffisants des actions menées à ce jour dans le but de sauvegarder voire de créer de nouveaux emplois;
- l'évolution inexorable du marché du travail marquée par une délocalisation croissante des outils de production et des emplois;
- la nécessité de proposer un avenir professionnel à tous, aux jeunes universitaires diplômés aussi,
invite le Conseil d'Etat
- à ouvrir le dialogue sur le sujet avec les milieux économiques, principalement avec les entreprises multinationales;
- à préparer, avec les instances compétentes de l'université et avec les jeunes diplômés universitaires intéressés, des plans de carrière avec parcours obligé à l'étranger;
- à négocier les contrats de ces plans de carrière avec les entreprises multinationales et, si nécessaire, faire appel à des aides financières de la Confédération et/ou des cantons.
EXPOSÉ DES MOTIFS
En récession depuis la fin 1990, l'économie suisse traverse sa plus longue crise depuis l'après-guerre.
Chacun, le politique comme le capitaine d'entreprise, a proposé son remède, malheureusement sans succès.
Ce n'est pas, pour autant, une raison de baisser les bras !
Il n'y a pas de solution globale pour sortir d'une sévère récession. Chacun doit apporter son savoir, sa sensibilité, son esprit visionnaire... avec la modestie qui sied à ce type de situation, avec la volonté de participer, avec tous les acteurs du processus, au redressement de l'économie nationale.
C'est dans cet esprit que nous inscrivons notre réflexion !
Nous allons ainsi décliner trois constats:
- L'évolution sur le marché international de nos grandes entreprises ne laisse que peu de place au sentiment patriotique.
Sans vouloir ouvrir de vaines polémiques, nous observons qu'il n'y a plus un Suisse à la direction de Brown Boveri, aujourd'hui ABB, pas plus qu'à la direction générale de Nestlé, un groupe phare de l'économie mondiale, pour l'étranger un symbole de la réussite des Suisses.
- La délocalisation de la production de nos entreprises est un fait confirmé, presque un fait acquis.
- La Suisse s'installe frileusement dans le chômage. L'on est en droit de se demander si la Suisse lutte pour la sauvegarde et la création des emplois ou pour la protection du chômage.
Inutile provocation, nous direz-vous, pour ce dernier constat et pourtant !
Pourtant, trouvez-vous normal que l'on serve des indemnités de chômage à de jeunes diplômés universitaires sous prétexte qu'ils ne trouvent pas de travail dans notre pays, au lendemain de l'obtention de leur diplôme.
Qu'il y ait une assistance, certes. Que l'on donne à ces jeunes diplômés les mêmes droits qu'à des gens qui perdent leur emploi pour raisons économiques après plusieurs années de travail dans un secteur d'activités nous choque.
Le jeune diplômé est un producteur en devenir. Il n'est, en principe, pas lié au lieu, à une société, à une entreprise, à un poste de travail, à l'histoire d'une vie... Comment peut-on l'enchaîner à tant d'inutiles contraintes, comment ne pas l'inciter à utiliser son savoir pour chercher sa voie, une nouvelle voie, certainement une voie plus éloignée, à l'extérieur du pays.
Nous imaginons la conjugaison des intérêts des multinationales et de l'Etat (Confédération ou canton) pour convaincre les cadres du futur à explorer, ailleurs, de nouveaux horizons plutôt que d'attendre à la maison un avenir hypothétique.
Cette nouvelle approche dans la résolution du chômage des jeunes diplômés doit se concrétiser dans le cadre d'une procédure concertée:
- Les autorités politiques et les multinationales suisses négocient un contrat solidaire.
- Avec l'aide de la faculté, les diplômés imaginent un projet d'avenir, un parcours de formation... un plan de carrière.
- L'assurance-chômage, la Confédération et/ou le canton participent, selon les cas, au financement de la première phase du plan de carrière.
- Le diplômé exploitera alors avec avidité un tremplin qui devrait, à l'appui du niveau extrêmement élevé de l'enseignement suisse, lui ouvrir les horizons les plus larges.
En appliquant cette approche, la Suisse porterait une contribution réelle à la résolution du chômage, à la préparation d'un avenir pour ceux qui sont à la recherche d'un emploi... assurerait la pérennité de l'esprit suisse dans la vie de nos multinationales, notamment dans leur expansion intercontinentale, permettrait, au terme d'un parcours particulièrement riche, le retour au pays de personnes expérimentées, porteuses de conseils et de savoir pour les générations futures.
Pour l'ensemble des raisons évoquées ci-dessus, nous vous demandons, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir réserver un accueil favorable à notre projet et faire en sorte que les invites de la présente motion trouvent rapidement concrétisation.
Débat
M. Hervé Dessimoz (R). Depuis trop longtemps, la Suisse est en crise, crise qui a engendré des disparités choquantes entre les multinationales qui «performent» et nos PME qui tentent de survivre; entre les secteurs d'activité qui sont porteurs et ceux qui s'enlisent inexorablement; tout simplement entre ceux qui ont du travail et ceux qui n'en ont pas.
Cette crise qui a trop duré a incité des chômeurs à se replier sur eux-mêmes.
En matière d'emploi et de relance, les milieux politiques et économiques n'ont pas trouvé la solution. Ils n'ont surtout pas su trouver le juste ton pour calmer le jeu, rassurer, ouvrir de nouvelles voies, pour que la relance ne soit pas un leurre, pour qu'elle soit porteuse d'un avenir pour chacun. (L'orateur est interpellé. La présidente agite la cloche.)
La motion 1096 se distingue du débat politique traditionnel pour les motifs suivants : elle porte sa réflexion sur un secteur ciblé, celui des jeunes diplômés universitaires. Elle propose une approche pragmatique du sujet pour cette tranche de chômeurs, avec la mise en évidence de solutions susceptibles d'apporter des améliorations rapides.
C'est un phénomène désormais reconnu, malheureusement accepté sans conditions : les grandes entreprises suisses délocalisent. Cela signifie que les postes de travail sont déplacés, pas juste à côté de la frontière, comme par le passé, mais dans des pays éloignés dans lesquels bien souvent la qualité de la vie est fort différente de celle dont nous jouissons en Suisse.
Il est également de notoriété que les universités suisses dispensent un enseignement de qualité et que le savoir des diplômés est fort apprécié de nos entreprises, que ce soit en Suisse ou à l'étranger.
Malheureusement, la politique plutôt généreuse de notre pays en matière de chômage incite trop souvent au refus d'offres pour des postes de travail à l'étranger. Au siècle passé, lorsque notre pays n'offrait plus assez de travail, des familles entières prenaient des risques énormes en quittant le pays pour aller travailler aux Amériques. C'était alors bien souvent un voyage sans retour... Il est temps d'agir !
La motion que nous vous présentons propose trois étapes :
- La première consiste à engager une action pédagogique pour préparer les étudiants à plus d'ouverture, à regarder plus loin, vers de nouveaux horizons.
- La deuxième procède de la mise en relation des futurs demandeurs d'emploi avec les entreprises, sous l'égide des autorités universitaires dans le but de négocier un contrat solidaire.
- La troisième suggère une assise financière à ces contrats, en faisant appel à une nouvelle philosophie dans l'utilisation de l'indemnité de chômage.
La proposition que ma collègue Barbara Polla et moi-même vous soumettons a pour le moins deux mérites... ou plutôt trois :
l) Elle est facilement et rapidement réalisable;
2) Elle incite les chômeurs à prendre leur destinée en main;
3) Elle aide nos jeunes à envisager de se rendre à l'étranger avec moins de crainte et plus d'ambition.
Nous vous prions d'accepter le renvoi de notre motion à la commission de l'université.
Mme Vesca Olsommer (Ve). Je m'adresse aux motionnaires. Vous évoquez la longue crise qui sévit en Suisse - je vous l'accorde - et vous ajoutez que chacun, le politique comme le capitaine d'entreprise, a proposé son remède, malheureusement sans succès.
Alors, je vous demande si cela ne vous fait pas réfléchir... En effet, dans le fond, sous l'emprise de quelle philosophie, sous l'emprise de quelle pratique économique nous trouvons-nous si ce n'est sous les vôtres ! Or, elles prônent davantage de libéralisme et sont un échec. Je vous demande s'il ne serait pas temps d'entrer en matière sur nos propositions pour lutter contre le chômage, notamment par le partage du travail.
Votre objectif de fond est une adaptation économique à la globalisation des marchés, mais - on le constate aussi à travers cette motion - c'est aussi une adaptation de l'éducation et de la formation. Or, pour nous, il est tout à fait exclu que le système éducatif genevois «coure» derrière le marché... Nous avons peur, en réalité - et nous vous le disons - que vous ne donniez comme mission prépondérante au système éducatif et de formation du canton de fournir au marché des jeunes qui lui soient utiles. Le système éducatif, à notre sens, est tout autre chose. Il doit être au service de la personne, pour qu'elle devienne libre et responsable, et il n'est pas là d'abord pour fournir des emplois au marché.
Votre motion pose également un autre problème, car elle induit à penser que l'université et les filières qui précèdent ne forment pas des adultes capables de trouver un emploi et d'effectuer les démarches nécessaires pour faire carrière. Vous faites jouer un rôle tellement paternaliste à l'université qu'on en reste complètement ébahi. C'est la raison pour laquelle je suggère le renvoi de cette motion en commission, car il faut déterminer combien de jeunes attendent, le bec ouvert, les indemnités de chômage. Il faut aussi savoir si les professeurs ne se donnent réellement aucune peine pour aider les jeunes diplômés. En fin de compte, on peut également se demander si les entreprises multinationales - mais je ne veux pas parler de politique de l'emploi ici - ont besoin de nos efforts pour choisir des collaborateurs qu'elles savent très bien trouver, par ailleurs.
Je reviens sur un des paragraphes de votre motion qui m'a complètement sidérée. En effet, vous considérez le jeune diplômé comme un futur producteur qui doit se débarrasser des chaînes qui le lient à sa propre vie, au lieu qui l'a vu naître, à la société dans laquelle il a grandi - qui comprend, d'ailleurs, sa famille d'origine, ses amis... A mes yeux, cette vue est un véritable morceau d'anthologie qu'il serait intéressant de voir décrypté par des psychologues ou des sociologues tellement j'ai le sentiment qu'il s'agit d'une vision de société éclatée, déstructurée, au profit d'une seule ambition de performance professionnelle tout à fait élitaire.
En fin de compte, j'ai envie de remettre en balance notre proposition de partage du travail qui, en dehors de son effet sur le chômage, s'attache au temps non rémunéré comme un facteur de renforcement de cohésion sociale.
Mme Claire Chalut (AdG). La lecture de cette motion est pour le moins surprenante. Et pourtant elle ne devrait pas nous surprendre venant de la part de l'Entente, ou en tout cas de certains de ses membres.
Les auteurs de cette motion voudraient, ni plus ni moins, exporter le chômage d'une catégorie de personnes, et cela de façon pour le moins cavalière ! Toutes proportions gardées, il est vrai que ce n'est pas la première fois que cela se passe ainsi. En effet, n'a-t-on pas, dans les années 70, renvoyé dans leurs foyers de nombreux travailleurs au chômage en raison du manque de travail ? Les statistiques, évidemment, ont continué à indiquer des chiffres optimistes. Les auteurs de la motion veulent-ils s'inspirer des mêmes méthodes ? Comme on n'élimine pas la poussière en la glissant sous le tapis, on ne résout pas le problème du chômage en suggérant aux gens d'aller voir ailleurs - ou plutôt en les y incitant très fortement.
De surcroît cette «exportation» se fait en demandant l'aide de l'Etat... Tiens, tiens, comme c'est bizarre ! C'est pour le moins assez contradictoire de votre part, Madame et Monsieur, qui ne cessez de proclamer que l'Etat doit se serrer la ceinture, faire des économies, freiner les dépenses, tout en l'empêchant d'avoir des recettes. Mais il est vrai que les contradictions ne semblent pas vous gêner beaucoup !
Encore un détail. On reste médusé devant vos certitudes, lorsque vous affirmez au sujet des jeunes diplômés, je cite, car cela en vaut la peine : «Le jeune diplômé est un producteur en devenir - on en avait presque douté ! Il n'est, en principe, pas lié au lieu, à une société, à une entreprise, à un poste de travail, à l'histoire d'une vie...». Vous dites qu'il n'est pas lié «à l'histoire d'une vie». A mon avis, vous devriez vérifier : quelle prétention de faire une telle affirmation ! Que faites-vous donc de la liberté de disposer de celle-ci, garantie à tous. «Allez voir ailleurs !» dites-vous ? Ailleurs ? Mais à aucun moment vous ne songez que ces personnes pourraient ainsi se trouver en concurrence directe avec le marché de l'emploi des pays dans lesquels vous voudriez les expédier et qui connaissent un chômage tout aussi élevé que chez nous, voire plus important.
D'autre part, vous vous gardez bien de préciser à combien s'élèvera votre «petite opération» pour l'Etat auquel vous demandez de l'aide.
Victor Hugo a dit - cette phrase peut être interprétée de deux manières : «Le Suisse trait sa vache et vit en paix.» N'est-ce pas, Madame et Monsieur, tant que nous envoyons les gens ailleurs, nous, nous sommes tranquilles... Je propose tout simplement aux autres députés «d'oublier» cette motion !
M. Pierre Vanek (AdG). Je tiens à réagir par rapport à cette motion et aux commentaires du représentant de cette majorité qui avait promis, lors de la dernière campagne électorale, «un emploi pour chacun». Nous n'en sommes pas là !
Cette motion - dit M. Dessimoz - s'inscrit dans un contexte dans lequel la Suisse mène une politique extrêmement généreuse en matière d'indemnisation des chômeurs. Trop généreuse, a-t-il laissé entendre en rappelant avec une certaine nostalgie l'époque où des Suisses étaient obligés d'émigrer dans les conditions que l'on sait, s'arrachant à leur pays, à leur patrie, à leurs amis, à leurs racines sociales, pour essayer, dans des conditions extrêmement difficiles de refaire une vie ailleurs. Je trouve incroyable que l'on présente cette époque comme un modèle et qu'on affirme que la politique pratiquée dans ce pays aujourd'hui - mais je n'ouvrirai pas le débat de l'indemnisation du chômage - est particulièrement généreuse et que, en quelque sorte, elle contribue à un tel niveau de chômage.
Pour les deux cent mille chômeurs de Suisse - plus de deux cent mille - je considère cette affirmation comme une insulte ! Ces propos vont dans le droit-fil des propositions faites notamment par le parti démocrate-chrétien, mais aussi par d'autres, pour baisser l'indemnisation des chômeurs à hauteur de 50% seulement du salaire assuré. Ces propositions sont absolument délirantes et elles sont déjà en cours de concrétisation.
Je vous rappelle que nous allons voter en septembre sur un référendum, très largement soutenu par environ vingt-deux mille signatures, qui s'oppose aux baisses, au grignotage et à la dégradation systématique des conditions d'existence des hommes et des femmes de ce pays qui sont au chômage. Ces propos sont inacceptables, et une motion découlant de ce genre de considérations l'est aussi.
L'émigration forcée à l'étranger des universitaires n'est certainement pas une solution. Ma collègue Claire Chalut a évoqué une phrase de l'exposé des motifs disant que ces jeunes ne sont attachés ni à des lieux, ni à une société, ni à l'histoire d'une vie. C'est faux : les jeunes gens qui sortent de l'université sont évidemment attachés à l'histoire de leur vie, à leurs relations sociales. Cela a de l'importance, et il faut le respecter.
Dans l'exposé des motifs, vous posez une question : «...trouvez-vous normal que l'on serve des indemnités de chômage à de jeunes diplômés universitaires sous prétexte qu'ils ne trouvent pas de travail ?». Bien entendu, pour nous, la réponse est oui : les indemnités de chômage sont faites pour des gens auxquels l'économie de «votre» société ne donne pas de travail. C'est un pis-aller, et aucun jeune sortant de formation, ni aucun chômeur, ne va accepter de bon coeur d'y avoir recours; mais vouloir le lui enlever est particulièrement choquant et insultant.
Je n'entrerai donc même pas en matière sur la proposition faite, je crois, par Mme Olsommer de renvoyer cette motion en commission. A mon avis, elle doit être envoyée à la poubelle du Grand Conseil et, pour cela, être clairement et nettement rejetée !
Encore deux remarques, puisque j'ai la parole. Dans votre exposé des motifs, vous dites que nous sommes en prise avec une «sévère récession». C'est d'ailleurs frappant, car le point suivant concerne une motion où il est question non de «sévère récession» mais de dysfonctionnement «avant tout structurel», ce qui est vrai et, pourtant, vous êtes les chantres de ce mode de production qui «dysfonctionne» structurellement !
Figure également, dans l'exposé des motifs, une petite antienne patriotique disant qu'il n'y a plus de Suisses à la direction de Brown Boveri ou à la direction générale de Nestlé; que les grandes entreprises laissent peu de place aux sentiments patriotiques. Pour moi, les directions des grandes entreprises que vous citez, Nestlé et autres Novartis, manquent de sens de responsabilité sociale, écologique, éthique. Là réside le problème, et tout l'aspect «patriotard» des quelques considérants de la page 2 de votre exposé des motifs ne sent pas très bon non plus... C'est un motif supplémentaire pour rejeter cette motion.
Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Le problème majeur pour le groupe socialiste à l'égard de cette motion est qu'elle tente d'aborder tout et n'importe quoi. Les constats sont généraux et ne permettent pas de dégager le but visé.
Par exemple, faire un lien entre l'évolution sur le marché international de nos grandes entreprises et le sentiment patriotique dégage un sentiment de repli qui ne nous paraît pas être la bonne manière d'aborder la nouvelle donne économique. Mais c'est un détail.
De quelles multinationales parle-t-on ? De quelles délocalisations parle-t-on ? Quels secteurs économiques veut-on aider ? «L'économie en général», nous répondent les motionnaires ! Pour leur information je me permettrai de leur signaler qu'une des plus importantes multinationales à laquelle ils font allusion est justement celle qui bénéficie le plus de l'aide à l'exportation apportée par la Confédération. Encore faut-il le savoir.
D'abord la Suisse ne s'installe pas dans le chômage. Près de deux cent mille personnes sont sans emploi et, par voie de conséquence, subissent le chômage. Ces personnes - nous vous le rappelons - sont demandeuses d'emploi et non pas demandeuses de chômage... Ce ne sont pas, pour rappeler un principe cher à Mme Polla, des cellules inertes qui méritent d'être stimulées ! Ce sont des personnes qui sont doublement pénalisées : par la perte d'emploi et par la difficulté d'en retrouver un. En effet, le problème qui est complètement occulté dans cette motion est qu'il y a moins de travail réparti sur de moins en moins de gens, et que ce travail s'organise différemment.
Revenons maintenant à «nos jeunes diplômés». Ils se heurtent surtout à la frilosité dans laquelle se sont installées les entreprises, et, plus particulièrement, les chefs d'entreprise, car ce sont bien à eux qu'il appartient de développer le principe des stages rémunérés correctement et de mettre sur pied une collaboration interentreprises, en clair de montrer des signes à «nos» jeunes diplômés que ce sont aussi les leurs.
Ces chefs d'entreprise devront aussi se déterminer sur une nouvelle organisation du travail, reconnaissant à chacune et chacun le droit au travail. Je me permettrai d'ajouter encore que la question des stages des jeunes est actuellement traitée à la commission de l'économie. C'est ainsi que le groupe socialiste, par pure politesse, soutiendra le renvoi en commission de cette motion, pour mener une réflexion un peu plus réaliste.
M. Hervé Dessimoz (R). Je suis surpris et à la fois content que cette motion suscite autant de réactions diverses. C'était le but.
Je vous propose un emploi d'avenir : le calibrage des cornichons, Madame Blanc-Kühn...
M. John Dupraz. Je m'inscris !
M. Hervé Dessimoz. C'est ainsi que le président des étudiants français délivrait à M. Juppé et à treize de ses ministres le sentiment des étudiants quant à l'avenir qui les attend, et cela à l'occasion d'une table ronde réunie pour parler de l'emploi; c'était en février dernier.
J'aborderai tout à l'heure la différence entre cette motion et le discours que j'ai entendu jusqu'à présent. A l'occasion de cette table ronde, les principaux intervenants, qu'ils soient du CNPF, de l'Agence nationale pour l'emploi, de la CFDT ou de Force ouvrière, ont tous confirmé que toutes les entreprises étaient mobilisées pour l'emploi des jeunes Français. Actuellement, les entreprises emploient trois cent trente mille jeunes et elles se sont engagées à proposer désormais quatre cent mille postes de travail. Le stage de diplôme initialement proposé s'est aujourd'hui intitulé «unité de première expérience».
Notre motion, Mesdames et Messieurs les députés, ne fait pas de politique. Elle propose tout simplement des solutions immédiates, et elle n'empêche pas la discussion politique engagée de longue date mais qui n'a pas porté ses fruits. J'ai entendu tout à l'heure que les patrons sont devenus frileux. Madame, moi je sais de quoi je parle ! Je suis parti à l'étranger, et si je parle de Nestlé et autres, c'est parce que je travaille pour elles et que je sais ce qu'elles exigent pour embaucher du personnel.
Notre motion n'est pas impérative - Monsieur Vanek, je souhaiterais que vous lisiez le texte comme il faut - elle est incitative. Elle suggère de permettre aux personnes qui le désirent de partir à l'étranger moyennant une aide. Aussi je comprends mal ce tir nourri contre un projet d'ouverture tout simple.
Je vous demande d'être un peu réalistes, et je serai très content que le débat puisse se poursuivre à la commission de l'université. Du reste, je demanderai mon audition pour exprimer mon sentiment personnel de manière plus détaillée, car je pense que le parlement n'est pas le lieu pour ce faire.
Mme Barbara Polla (L). J'aimerais tout d'abord répondre à Mme Blanc-Kühn et la remercier de sa politesse... La dernière fois que j'avais présenté une motion concernant l'emploi, elle avait dit qu'elle ne «l'aimait» pas ! Je suis donc très contente de sa proposition de renvoi en commission.
Par contre, elle cite, pour la deuxième fois en quelques mois, une analogie biologique que je m'étais permise en commission. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je pense qu'il vaut la peine de reprendre ce point en privé... (Manifestation.) Vous ne voulez pas ? Vous voulez qu'on le fasse ici ? Non ? Bien !
Vous avez parlé de repli, Madame Blanc-Kühn. Pour nous cette motion est une motion d'ouverture. Vous avez demandé quelles entreprises cela concernait, outre les entreprises suisses. On vous a parlé de cornichons... Moi, je vous parlerai de Du Pont qui est une entreprise qui a un siège important, ici à Genève.
Lorsqu'on demande à Siegfried Wittauer comment il voit la carrière des jeunes, il répond que s'il était à leur place il irait en Asie pour connaître la culture et apprendre une langue différente; que c'est jeune qu'il faut s'investir, avoir de l'audace, avoir un «self development» et faire des choix difficiles.
Beaucoup d'entreprises sont réellement intéressées, même ici à Genève - M. Dessimoz en a parlé - à engager des jeunes qui ont une formation multiple y compris à l'étranger, avec les langues et la connaissance générale de différents marchés que cela suppose.
Mme Olsommer a parlé du problème de la formation dirigée vers l'emploi. J'imagine que cela concerne plutôt la motion suivante, dans la mesure où, dans cette motion, on ne propose pas de modifier la formation mais de créer des plans de carrière pour les jeunes en fin de formation et diplômés. Nous reprendrons donc cette discussion-là à l'occasion de la prochaine motion.
Vous suggérez de remplacer notre proposition par le partage du travail. Personnellement, je pense que toutes les différentes approches pour l'emploi peuvent être utiles et méritent d'être considérées, celle du partage du travail y compris.
Notre proposition est tout à fait spécifique, puisqu'elle s'adresse à un groupe bien déterminé de personnes. Cela ne veut pas dire qu'elles nous intéressent plus que d'autres, mais c'est une façon de faire avancer les choses.
Mme Chalut, lors des précédentes motions que nous avions présentées sur l'emploi, m'avait traitée «d'esclavagiste», car je proposais que les personnes concernées se déplacent le long de l'arc lémanique. Je ne suis donc pas très étonnée de sa réaction étant donné que nous proposons d'envoyer les jeunes encore plus loin.
Madame Chalut, nous ne proposons pas d'exporter le chômage et nous ne sommes pas les seuls à proposer des solutions pour lutter contre le chômage. Nous proposons simplement d'aller chercher l'emploi là où il est. L'emploi est souvent à portée de main, ou au moins à vol d'oiseau. Il me semble que l'on peut trouver des emplois, là où ils se trouvent, sans les prendre à quiconque.
Les vaches et la paix c'est magnifique, mais le chômage ne s'intègre pas forcément dans un paysage bucolique... M. Vanek dit que nous voulons arracher les jeunes diplômés de notre pays de vaches et de paix. Non, nous ne voulons pas cela. Nous voulons simplement permettre à ceux qui le souhaitent de pouvoir partir.
Mme Olsommer n'a pas compris l'attitude paternaliste selon elle que nous attribuerions à l'université par rapport aux démarches nécessaires à effectuer pour organiser un tel départ. Ces choses ne s'improvisent pas. Si les partenaires, l'entreprise et l'université peuvent aider un jeune pour ce faire, il me semble que ses chances de réussite en sont d'autant augmentées, et c'est tant mieux. Cette attitude n'est pas paternaliste, mais réaliste, car pour que cela fonctionne il faut que les partenaires s'impliquent.
Monsieur Vanek, je vous rappelle que le but final de cette motion est de permettre à ceux qui le veulent, par un «parcours obligé» à l'étranger, d'acquérir un bagage et un self-development de façon à trouver du travail plus facilement dans les entreprises qui ont des exigences tout à fait spécifiques en termes de formation. Je veux bien admettre que le terme de «parcours obligé» n'était pas le plus adéquat, et qu'il a pu porter à confusion.
Je remercie tous les députés qui le voudront bien de renvoyer cette motion à la commission de l'université. Nous pourrons préciser et le mode de faire et le type d'entreprises, comme le souhaite Mme Blanc-Kühn.
Mme Claire Chalut (AdG). J'ai dit effectivement qu'il fallait «oublier» cette motion, Madame Polla, car vous ne proposez rien.
Les jeunes qui veulent trouver du travail à l'étranger n'ont pas besoin de l'Etat. Ils ont suffisamment de moyens à disposition pour pouvoir le faire tout seuls. Vous nous dites toujours qu'il faut trouver une recette pour chaque dépense. Alors j'aimerais bien que vous répondiez à nos questions :
1) Quel financement suggérez-vous pour réaliser votre proposition ?
2) Quelle recette allez-vous trouver ?
M. Pierre Vanek (AdG). Je n'avais pas vu que ma collègue avait demandé la parole, et nous abusons peut-être un peu de votre patience.
Madame Polla, je n'ai pas dit que les caractéristiques de la Suisse étaient les vaches et la paix; du reste, j'y suis très attaché. J'ai simplement dit qu'il y avait deux cent mille chômeurs et qu'on ne pouvait pas «se foutre de leur gueule» - pour être clair ! (Manifestation.) C'est pourtant ce que vous êtes en train de faire. Alors laissons les vaches dans les pâturages et revenons à la motion !
Vous dites, Madame Polla, que le terme de «parcours obligé» était malheureux. M. Dessimoz a dit qu'il fallait lire le texte de cette motion pour voir que ce n'était pas obligatoire, mais seulement incitatif. Excusez-moi, mais dans ce document, en page 2 de l'exposé des motifs, vous posez une question et, justement, je prends au sérieux ce que vous écrivez, Monsieur Dessimoz... très au sérieux.
M. Hervé Dessimoz. Merci beaucoup !
M. Pierre Vanek. Vous demandez : «Pourtant, trouvez-vous normal que l'on serve des indemnités de chômage à de jeunes diplômés universitaires ?». Cela s'appelle une question rhétorique. Pour vous, Mesdames et Messieurs les députés, la réponse est non ! C'est clair. La réponse étant non, cela signifie que vous entendez supprimer ou abaisser ou limiter l'accès - ce qui a déjà été fait - des jeunes de cette catégorie à l'indemnisation du chômage. Je dis que c'est une contrainte du même ordre que celle que l'on cherche à mettre en place pour contraindre les chômeurs à arrêter d'émarger au budget de la caisse de chômage, en diminuant les indemnités à 50% du salaire assuré.
Vous dites que ces jeunes seront libres d'accepter n'importe quel travail... Moi je dis qu'on les force ! Et ça, c'est une contrainte inadmissible. Même si seules les oreilles de cette politique pointent dans cette motion, ce problème est suffisamment grave dans ce pays pour que l'on tire dessus dès que l'oreille se pointe !
C'est pour cela que je me suis permis d'être un peu vif, Madame Polla et Monsieur Dessimoz, à l'égard de votre texte.
M. Dominique Hausser. Alors, on la «shoote» cette motion, ou bien quoi !
Mme Barbara Polla (L). Madame Chalut, s'agissant du financement, je pense que le fait pour de jeunes diplômés chômeurs en Suisse de trouver un travail à l'étranger, même avec une contribution de l'Etat, diminuera la nécessité de payer leurs allocations de chômage. C'est la façon dont nous proposons de financer cette proposition.
M. Claude Blanc (PDC). Ce débat s'envenime véritablement par manque de volonté de comprendre.
En effet, à la question qui vient d'être incriminée par M. Vanek : «Pourtant, trouvez-vous normal que l'on serve des indemnités de chômage à de jeunes diplômés universitaires ?» on pourrait répondre : «Non, s'il y a mieux à faire !». Or, il y a mieux à faire que de se contenter de verser des indemnités de chômage à de jeunes universitaires s'ils ont la possibilité de mieux utiliser leur temps de recherche d'emploi en allant à l'étranger pour voir comment les choses se passent.
Vous avez tous voté pour vous atteler au train européen, mais chaque fois que l'on vous dit que les jeunes universitaires devraient aller voir comment les entreprises sont gérées à Paris, à Londres, à Bruxelles, pour se frotter aux réalités européennes, pour pratiquer les langues... (Brouhaha; la présidente agite la cloche.) Il ne s'agit pas d'exporter le chômage, mais de profiter d'une situation donnée pour que ces jeunes universitaires acquièrent des compléments de formation à l'étranger, afin de revenir avec davantage de connaissances et être mieux armés devant les difficultés.
Je ne vois donc pas ce que l'on peut reprocher à cette motion qui est un encouragement à une meilleure gestion des entreprises par une meilleure formation de ceux qui les dirigeront demain.
M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. Cette motion soulève un vrai problème : il est vrai que certaines catégories d'étudiants ont des difficultés réelles d'insertion, qui proviennent d'au moins trois facteurs :
- la diminution générale des besoins en personnel, qui reflète la diminution du travail offert;
- l'absence fréquente de contacts entre le monde universitaire et le monde du travail;
- et puis, enfin, du côté de l'étudiant l'absence d'un projet réel ou réaliste, à la fin de ses études.
Il est tout aussi vrai que le dispositif actuel pour l'aide à l'orientation des étudiants - un conseiller aux études par faculté et deux conseillers d'orientation pour l'ensemble de l'université - est un peu faible. Il reflète d'ailleurs les collaborations également faibles entre l'université et l'office d'orientation et de formation professionnelle.
Grâce aux instructions qui me sont données par télépathie par Mme Brunschwig Graf, je vous propose, au nom du Conseil d'Etat, de renvoyer cette motion en commission pour la discuter : à cette occasion, vous pourrez examiner d'un peu plus près les rapports subtils, complexes et, au total, assez discrets qui existent entre l'université et l'OFP.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'université.