République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1119
10. Proposition de motion de Mmes et MM. Jean-Claude Dessuet, Geneviève Mottet-Durand, Vérène Nicollier, Claude Basset, Janine Hagmann, Pierre Meyll, Olivier Lorenzini, Jean-Claude Vaudroz, David Revaclier, Elisabeth Häusermann, Nicole Castioni-Jaquet, Laurent Moutinot, Max Schneider et Matthias Butikofer demandant la levée de l'interdiction d'estiver des bovins suisses en France voisine. ( )M1119

EXPOSÉ DES MOTIFS

La mise en alpage de bétail suisse sur France voisine est une tradition de longue date... qui pourrait bien tourner court. Chaque année, plus de mille vaches genevoises sont placées quatre mois durant sur les alpages du Salève, des Voirons et du Jura, une pratique séculaire permettant une utilisation extensive des pâturages de montagne, tandis que les agriculteurs ont affaire avec les récoltes en plaine. Or, cette année, nos vaches pourraient bien, pour de bêtes questions administratives, ne plus pouvoir monter sur ces alpages. C'est que Paris a, depuis le 21 décembre 1996, bloqué les frontières à tous les bovins suisses, peu importe si ceux-ci ne vont en France que pour une saison ou pour y rester, une situation regrettable pour le bien-être de ces animaux, mais surtout dramatique pour leurs détenteurs, dont beaucoup sont eux-mêmes propriétaires d'alpages sur France.

Le prétexte invoqué d'un risque de transmission de l'ESB du cheptel suisse au cheptel français n'est aucunement fondé. En effet, suite au plan d'abattage mis en oeuvre depuis décembre 1996 et qui s'achèvera à fin mars 1997, la Suisse sera à ce moment et sanitairement à la pointe des pays européens en matière d'éradication de l'ESB. De plus, dans le cas de l'alpage, il faut savoir que:

- bovins suisses et français doivent être tenus sur des alpages différents;

- tous les bovins passant la frontière dans un sens sont listés, et doivent donc obligatoirement la repasser dans l'autre sens à la fin de l'été;

- l'ESB ne se transmet de toute façon pas horizontalement (pas de contagion entre vaches);

- aucun cas d'ESB n'est jamais apparu dans le canton de Genève.

Pour toutes ces raisons, les représentants de la Chambre genevoise d'agriculture, accompagnés d'une poignée d'éleveurs et surtout de plusieurs vaches et leurs veaux, sont allés, jeudi 20 février 1997, remettre une lettre à M. Claude Fouquet, consul général de France, à l'intention de son ministre de l'Agriculture. Contenu de la lettre: une demande de levée immédiate de l'interdiction d'estivage pour les bovins suisses sur les alpages du Salève, des Voirons et du Jura.

Afin de ne pas laisser la bureaucratie étouffer la tradition, afin de défendre l'écologie face à la technocratie, nous demandons au Grand Conseil de soutenir cette revendication paysanne. Car au-delà du sort d'un millier de vaches et de leurs propriétaires, ce pourrait bien être l'ensemble des bonnes relations franco-genevoises qui soit en jeu.

Débat

M. Jean-Claude Dessuet (L). Si cette proposition...

La présidente. Un peu de silence !

M. Jean-Claude Dessuet. ...de demander la levée de l'interdiction d'estiver des bovins suisses en France vous semble dépassée, je trouve que, au contraire, elle est d'actualité.

Probablement, avez-vous tous lu ce rapport dans le détail ! Depuis le 16 avril, les autorités françaises nous obligent à faire subir aux animaux un examen sérologique de dépistage d'IBR et d'IPV avant de les mener à l'estivage. Ce test doit se révéler négatif, sans quoi, pas d'estivage !

M. Claude Blanc. Mort aux vaches !

M. Jean-Claude Dessuet. L'IBR est un virus causant la stérilité, qui est transmis par le contact avec les muqueuses infectées des animaux.

En Suisse, l'IBR n'existe plus depuis dix ans. Les troupeaux contaminés ont été abattus, ce qui a coûté environ 120 millions à la Confédération, dont un million à Genève sur le fonds des épizooties.

Nos amis de Haute-Savoie - si je peux m'exprimer ainsi - sont en train de mettre au point un système qui risque de se retourner contre eux, surtout si l'on sait qu'environ mille cinq cents grosses bêtes en provenance des zones sont abattues quotidiennement à Lausanne, trois mille veaux, sans compter les porcs, tandis que soixante mille litres de lait parviennent chaque jour de ce côté de la frontière. Ces bêtes abattues ont besoin d'un certificat vétérinaire prouvant qu'elles sont exemptes d'IBR et d'IPV, alors qu'une prise de sang prélevé sur chaque bête conduite en pâturage par les éleveurs suisses est demandée par les autorités françaises. Et même sur celles qui n'y vont pas !

Ensuite, 15 à 20% des bêtes produisant du lait pour la région de Genève sont atteintes de l'IBR dans les zones frontalières. Il est vrai que jusqu'à présent, nous avions fermé les yeux, étant donné les bons contacts que nous avions de part et d'autre de la frontière. Mais à cause de ces nouvelles pratiques, nous demanderons la réciprocité.

Pour ces raisons, je demande au Conseil d'Etat d'intervenir, afin que cette réciprocité...

La présidente. Un peu de silence, s'il vous plaît, les apartés se font à la buvette ou à la salle des Pas Perdus !

M. Jean-Claude Dessuet. ...soit exigée de la part des producteurs de lait français produisant pour Genève. Il faut leur demander que leurs troupeaux soient indemnes d'IBR.

Il ne serait pas tolérable que les agriculteurs suisses aient dû abattre leurs troupeaux et que l'on continue à accepter des produits laitiers, du lait et du bétail pénétrant en Suisse, sans que les conditions relatives à l'IBR - telles qu'on nous les impose aujourd'hui en ce qui concerne les alpages - soient remplies.

Mme Nicole Castioni-Jaquet (S). (Brouhaha.) Je me rends compte que le problème des vaches n'est pas un sujet très porteur. Toutefois, j'essaierai de vous lire le texte que j'avais prévu.

Nous avons appris que le problème lié à la maladie de la vache folle - qui empêchait les bovins genevois de passer la frontière pour l'été - était réglé. Malheureusement, la rhinite bovine infectieuse remet cette discussion à l'ordre du jour.

En effet, il est paradoxal que les agriculteurs genevois soient contraints de produire un certificat d'IBR négatif pour leurs bêtes, alors que, depuis trois ans, il n'y a plus de cas déclarés en Suisse. Cela ne s'est d'ailleurs pas fait sans mal, puisque Berne a dû verser 120 millions pour éradiquer cette maladie. Aujourd'hui, on sait que 15% des troupeaux sont touchés et 20% dans le département de l'Ain. C'est le monde à l'envers ! En plus, l'exigence de ces tests coûterait 40 000 F aux agriculteurs genevois.

Mais où est donc la politique régionale, chère à M. Haegi ? Mais où sont les bonnes résolutions franco-suisses ? Elles semblent bien lointaines dans cette affaire ! Vivement l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne, afin d'éviter de telles situations à l'avenir !

(Intervention de M. John Dupraz.)

La présidente. Monsieur le député, la proposition de motion date du 20 février... Je trouve que c'est très rapide, vu le rythme que nous adoptons ! Vous avez la parole, Monsieur le député.

M. John Dupraz (R). Dans cette affaire - qui traîne un peu - je tiens à remercier le Conseil d'Etat des nombreuses démarches qu'il a entreprises, tant au niveau régional, dans le cadre de la Commission franco-genevoise, que dans celui du Comité lémanique, ainsi que des interventions qu'il a effectuées à Berne.

On constate une sorte de pagaille chez nos amis français ! Tantôt, ce sont les préfets qui doivent décider, tantôt c'est le ministère de l'agriculture. Après discussions avec M. Haegi et l'autorité fédérale, il en ressort qu'une démarche sera entreprise, dès lundi, par M. Delamuraz au nom du gouvernement suisse. Sur ce point, les Français sont d'une parfaite mauvaise foi et si Mme Castioni-Jaquet se réjouit que nous adhérions vivement à l'Europe, de mon côté, je me demande si on peut construire l'Europe avec des gens de mauvaise foi !

Notre pays est parfaitement indemne du virus IBR. D'ailleurs, au départ, le problème concernait l'ESB ! Il a donc fallu trouver un autre moyen pour perturber et empêcher nos amis suisses d'emmener paître leur bétail en France voisine ! Genève n'est pas le seul canton concerné, le pays de Vaud, Neuchâtel et le Jura le sont aussi.

Les autorités genevoises et suisses font preuve d'autorité et de fermeté dans cette affaire ! Or la question à se poser est la suivante : devrons-nous entreprendre des mesures de rétorsion si les rapports avec les Français s'enveniment ? Cela serait fort regrettable.

J'ose espérer que, dans les prochaines septante-deux heures, la situation se décante et que, enfin, les Suisses : nos amis genevois, vaudois, neuchâtelois et jurassiens pourront en toute liberté, comme par le passé, faire paître leurs bêtes sur les alpages en France voisine.

M. Claude Blanc (PDC). Mon excellent collègue Dupraz a dit tout ce qu'il fallait dire des Français en ce sens que, pour eux, nous n'existons que lorsque nous payons. Ils sont d'accord avec tous nos projets - et M. Ramseyer, qui n'est pas là, doit en savoir quelque chose - pourvu qu'ils n'aient rien à payer et qu'ils puissent en profiter !

Cela suffit ! Nous avons subi les Français depuis un certain nombre d'années...

Une voix. Ça suffit, arrête !

M. Claude Blanc. Ils nous font des promesses qu'ils ne tiennent pas et n'ont besoin de nous que pour payer !

Cela suffit, le Conseil d'Etat ne doit plus se contenter de protestations verbales, mais il doit utiliser les armes à sa disposition. Quelles sont ces armes ? Celles qui paraissent les plus convaincantes aux Français, celles de l'argent !

Nous versons à «nos amis Français» des sommes considérables au titre des impôts qu'ils récupèrent sur les frontaliers. Et comme il faut leur faire comprendre le seul langage qu'ils puissent comprendre, il convient d'oublier, de temps à autre, de payer dans les délais les sommes qu'ils estiment que nous leur devons, de manière qu'ils se rendent compte que nous ne sommes pas prêts à tout accepter. Nous ne sommes pas des vaches à lait que l'on peut traire à volonté !

M. Max Schneider (Ve). Je ne voulais pas intervenir ce soir...

Des voix. Oh, non !

La présidente. Eh bien, vous avez changé d'avis !

M. Max Schneider. ...mais ce que je viens d'entendre est insupportable. En effet, on prend la partie pour le tout, comme si l'ensemble des Français ne voulait pas laisser rentrer les vaches suisses !

Personnellement, je ne partage pas ce genre de discours agressif. L'ensemble de la commission a signé cette motion. Nous sommes d'accord pour que le Conseil d'Etat intervienne, et nous l'encourageons dans sa démarche. Monsieur Blanc notamment, je vous en prie, ne parlez pas des armes à disposition, comme celle de l'argent en vous moquant de nos voisins français !

Ce discours est absolument insupportable. Je m'adresse à M. Dessuet qui souvent nous parle de ses problèmes et qui est le représentant des éleveurs dans la commission des affaires régionales. Vous nous avez toujours fait part de ces problèmes et vous avez toujours eu notre soutien.

Monsieur Haegi... (Des mugissements se font entendre.)

La présidente. Ah, mais on a compris la plaisanterie, maintenant !

M. Max Schneider. ...afin que vos démarches soient un petit peu plus efficaces - pas forcément avec des gens agressifs, mais avec ceux qui veulent le dialogue - que ce soit dans la région ou à Paris, je suis sûr que vous trouverez des solutions plus efficaces qu'avec des propos agressifs. (Nouveaux mugissements.)

La présidente. Décidément, vous vous répétez, hein !

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Vous savez, Madame la présidente, il y a une grande fatigue et certains en sont affectés plus vite que d'autres ! (Rires.)

La présidente. Je le constate !

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Monsieur Blanc, si je devais m'exprimer en utilisant les termes qui sont les vôtres dans les relations avec nos voisins, j'aurais bien peu de chance de réussir !

Pour le surplus, il leur arrive tout de même de lire ou de faire lire notre Mémorial. Or, ce genre de propos datent d'une autre époque et sont parfaitement déplacés, surtout pour un canton qui prétend avoir un certain sens de l'ouverture. Faire une telle démonstration de repli et tenir des propos - je vous le dis très sincèrement, Monsieur Blanc - sur un ton pareil, empêchent d'entreprendre des actions communes.

Dans cette affaire, les choses sont assez complexes, comme elles le sont généralement dans le monde de l'agriculture que vous connaissez bien ! Vous dites : «les Français ne s'intéressent qu'à l'argent...», etc. Et nous, alors ? Lorsque nous leur prélevons l'impôt à la source, ne nous intéressons-nous pas à l'argent, Monsieur Blanc ? Ne sommes-nous pas plus satisfaits de l'accord contracté avec la France voisine que de celui du canton de Vaud, Monsieur Blanc ? Sommes-nous d'une générosité si exceptionnelle ? En effet, nous avons eu cette semaine une réunion du Conseil du Léman - et vous savez bien, Monsieur Blanc, que ce comité est composé de Suisses et de Français.

Or, à l'unanimité, nous avons pris la résolution suivante : «Après un examen approfondi de la situation, le Bureau exécutif du Conseil du Léman s'est prononcé contre le test sérologique IBR estivant en France, étant donné que cette maladie est officiellement éradiquée du territoire de la Confédération.» Il est intervenu directement auprès des autorités françaises et suisses pour demander que cette disposition soit levée au plus tôt. Ce communiqué est signé par des représentants de la Haute-Savoie et de l'Ain. Alors, ne nous mettez pas dans une situation trop délicate. La manière dont les événements se sont déroulés durant la semaine est assez satisfaisante; M. Dupraz y a fait allusion.

Depuis une semaine, nous avons multiplié les contacts, tant au niveau de la région qu'au niveau du Ministère de l'agriculture. Ce soir, en début de soirée, on me signalait que les préfets de l'Ain, du Jura et du Doubs étaient intervenus auprès du Ministère de l'agriculture. Nous sommes donc sur une bonne voie, me semble-t-il, mais je ne peux pas dire d'ores et déjà que le problème est réglé; toutefois je suis optimiste.

Un certain nombre de mesures restent à prendre. M. Delamuraz doit encore intervenir au début de la semaine, mais cette affaire devrait trouver une issue favorable. Ce n'est pas la première fois que nous sommes confrontés à ce problème du passage de la frontière en de telles circonstances. Mais créons les conditions pour que nous puissions encore dialoguer, de manière à réussir nos projets communs, plutôt que de faire une déclaration de satisfaction sur les qualités que nous posséderions et dont les autres seraient dépourvus. (Applaudissements.)

Une voix. Meuh !

La présidente. Je vous félicite !

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

motion

demandant la levée de l'interdiction d'estiver des bovins suissesen France voisine

LE GRAND CONSEIL,

- vu la décision du ministre français de l'Agriculture, du 21 décembre 1996, interdisant les importations de bovins en provenance de Suisse;

- vu que cette décision empêche les éleveurs genevois et suisses d'estiver leurs bêtes sur les alpages en France voisine;

- vu que cette activité est pratiquée depuis le début du siècle et qu'elle est, de ce fait, une vieille tradition locale,

invite le Conseil d'Etat

à tout mettre en oeuvre auprès des autorités fédérales et du Ministère de l'agriculture français pour débloquer la situation et obtenir l'autorisation d'estiver le bétail suisse en France voisine.

La présidente. On va finir les points concernant le département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales ce soir ! (Brouhaha. Exclamations.)