République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1079
17. Proposition de motion de Mmes et M. Vesca Olsommer, Sylvia Leuenberger et Chaïm Nissim concernant l'introduction de cours sur l'histoire des religions pour les élèves du canton. ( )M1079

EXPOSÉ DES MOTIFS

La tolérance passe par la connaissance.

Prendre contact à l'école avec diverses formes de pensée religieuse, et non seulement la judéo-chrétienne, dans une perspective historique, ne peut qu'augmenter la capacité de discernement de l'individu, élargir son point de vue, et contribuer ainsi à lutter contre l'intolérance et le fanatisme.

En outre, l'histoire des religions devrait permettre de comprendre davantage notre propre culture, ses symboles, ses significations, puiqu'elle a été, en partie, fondée sur des systèmes religieux. Que l'on songe simplement aux jours de congé en relation avec des événements religieux... Que l'on songe, par exemple, à notre patrimoine architectural, que l'on songe à la musique, à la peinture, à la littérature... Que l'on songe également aux formes de pensées qui se sont détachées des dogmes, comme par exemple, la pensée scientifique. Il en va de même pour d'autres cultures, dont l'approche doit aussi intégrer l'aspect religieux.

Or, l'analphabétisme religieux paraît frappant et pas seulement dans notre canton. Ainsi, comme nous l'apprend un texte paru cet été dans Le Courrier du 11 juillet, sous la rubrique libre opinion, un cours d'histoire des religions sera proposé en option dans les gymnases vaudois. Le Grand Conseil vaudois planche sur ce projet pour lui donner un contenu. Nous proposons au Grand Conseil genevois de réfléchir également sur cette question. Nous le proposons avec d'autant plus d'intérêt que nous avons appris au cours de nos réflexions et de nos contacts, que le département de l'instruction publique, entouré de personnalités de divers horizons, s'est attelé à cette tâche.

Parmi les considération entendues sur ce sujet, citons celle-ci: «lorsqu'il arrive aux élèves de découvrir des pensées à contenu religieux, ils s'y précipitent souvent avec passion, mais pas toujours avec le discernement nécessaire...»

Nous n'avons pas, nous ne pouvons pas avoir la prétention d'élaborer à nous seuls, écologistes, dans cette motion, une proposition relative au contenu de cet enseignement et aux garde-fous dont il faut l'entourer. Les lumières de tous seront indispensables pour traiter d'un sujet aussi complexe, afin notamment d'éviter de faire flamber soit des sentiments d'anticléricalisme, soit à l'inverse, des crispations religieuses partisanes. Nous ne voulons pas simplement ajouter un cours de plus à tous ceux qui existent déjà, mais contribuer à la formation de la personnalité et à la prise de conscience de valeurs universelles.

Il n'est pas question évidemment de proposer une démarche de cathéchèse en faveur de telle ou telle religion... Il n'est pas question de diriger les élèves vers une confession ou une autre. Bien au contraire, la neutralité la plus rigoureuse s'imposera dans cet enseignement de l'histoire des religions. Et la neutralité confessionnelle à l'école, propre aux Etats laïques, assure à chacun sa liberté nécessaire à son intime conviction. Cependant, plus celle-ci aura à disposition des éléments de connaissance, plus le discernement sera son apanage.

Nous mettons donc en avant pour justifier cette motion, trois considérations: le développement des valeurs que sont la tolérance et le respect de l'autre, dont un aspect éthique (d'ailleurs le respect de l'autre ne passe-t-il pas par le fameux «connais-toi toi-même»?)... la nécessité d'étendre le champ des connaissances pour comprendre plus profondément les cultures avec lesquelles nous sommes en contact (travail, qui, notamment, permet d'aborder diverses réponses données aux questions que la vie pose à tout être humain); et un appui résolu à la démarche du département de l'instruction publique.

Un ex-collègue journaliste, traitant justement de ce sujet, posait cette question: «Une école laïque comme celle de notre canton doit-elle lutter contre l'inculture religieuse?» Au vu des arguments que nous avons brièvement développés, notre réponse est affirmative.

Genève est un lieu interculturel, la tolérance est une valeur défendue par de nombreux cercles. Il vaut la peine de soutenir davantage cette orientation éthique à l'école. On sait par exemple, que dans certains collèges, des élèves de cultures différentes sont invités à expliciter leur religion, à valoriser leur identité culturelle. Cette ouverture s'exerce surtout au travers des cours d'histoire et de géographie. L'interculturel fait son chemin et débouche sur l'interreligieux. Et comme on l'a déjà souligné, le lien entre religion et culture est, à été surtout, très étroit. Evidemment, cette motion repose également sur la conviction qu'il faut conserver un certain nombre d'éléments de notre culture et les transmettre.

Sans doute conviendrait-il d'introduire cet enseignement au cycle, afin qu'il soit profitable au plus grand nombre.

Pour ces raisons et afin qu'une décision puisse se prendre avant que le cadre de la nouvelle maturité ne soit définitivement fixé, nous vous proposons de faire bon accueil à cette motion.

Débat

Mme Vesca Olsommer (Ve). La question posée à travers cette motion est la suivante : que doit faire l'école face à un phénomène d'analphabétisme religieux allant croissant ? Doit-elle s'en préoccuper ou pas ? Si oui, comment ?

L'analphabétisme religieux préoccupe notre groupe. C'est à l'école - sinon à qui ? - d'y pallier au moyen de cours d'histoire des religions.

C'est parce que l'école est laïque à Genève que nous avons osé déposer cette motion : notre Grand Conseil pourra en débattre sans arrière-pensée.

Les religions ont marqué les civilisations. Elles ont été et sont encore au coeur des cultures. Cela signifie, sous peine d'inculture, qu'on ne peut renier ce qu'on leur doit.

Comprenez-nous bien ! En aucun cas, nous ne parlons de foi et de catéchisme. Nous parlons de culture. Nous constatons que les religions ont joué un rôle important dans la naissance et l'élaboration des cultures, et nous disons que nous sommes en passe de devenir étrangers à notre propre culture, faute d'informations sur l'histoire des religions. Nous manquons de références et nos enfants plus encore pour appréhender certains aspects, abstraits ou concrets, de notre vie, qui sont enracinés dans l'histoire religieuse. Il suffit d'une minute pour que chacun d'entre nous trouve dans son quotidien des éléments concrets ou abstraits appartenant à l'histoire religieuse : institutions, oeuvres d'art, traditions et habitudes, rituels, expressions et formules du langage parlé. Ces éléments se retrouvent aussi dans des noms de rues ou de places, dans les enseignes, les armoiries...

Par conséquent, un cours d'histoire des religions nous semblerait bénéfique, mais sans donner lieu à un zèle catéchistique.

Ensuite, et c'est le deuxième point de mon intervention, nous pouvons faire le pari que découvrir la religion de son voisin, dans une perspective historique, pourrait contribuer à dépouiller ce voisin de son caractère d'étrangeté. La méfiance pourrait se transformer en confiance; le point de vue et le discernement s'en trouveraient élargis. On pourrait espérer éloigner le spectre du fanatisme et enfin comprendre qu'aucune religion n'a le monopole du sens de la vie.

L'histoire des religions pourrait susciter une attitude fraternelle et humaniste, puisqu'elle met en présence différentes familles de pensée religieuse, ou leur contraire : des familles de pensée agnostique ou athée, et ferait comprendre que les unes et les autres habitent notre humanité.

Ce que nous avons voulu, Mesdames et Messieurs les députés, c'est ouvrir un premier débat au Grand Conseil sur l'analphabétisme religieux. Nous savons bien que notre motion n'a pas évoqué d'autres sujets importants, tels les thèmes d'identité, le partage des responsabilités sur cette question entre l'école et les familles. Nous n'avons pas non plus abordé la question de savoir quelles religions seraient prises en compte, ni qui donnera les cours.

Signalons simplement qu'une chaire d'histoire des religions existe à l'université et qu'il n'y a pas de représentant de cette discipline dans le groupe constitué par le département. Nous nous demandons pourquoi.

Nous avons voulu aller au plus simple par crainte d'un débat émotif et confus. Par ailleurs, ayant appris, au cours de la rédaction de cette motion, que le département de l'instruction publique travaillait sur la question, entouré d'éminentes personnalités, nous nous sommes dit que le sujet serait quelque peu décanté et que nous pourrions bénéficier de l'étude faite. C'est la raison pour laquelle nous proposons le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.

D'autre part, comme nous l'avons écrit, nous aurons besoin des lumières de tous, parce que personne ne détient le monopole de l'intelligence sur un tel sujet.

Pour conclure, j'avoue que nous nous sommes demandé si nous n'avions pas court-circuité le Conseil d'Etat. Mais il faut bien constater que le débat est maintenant public et que le parlement doit apporter sa réponse.

M. Jean-François Courvoisier (S). Les religions ont toujours exercé une grande influence sur l'économie, les sciences, la culture et les arts, influence dont nous ressentons encore aujourd'hui les conséquences bonnes ou mauvaises.

Il semble indispensable que l'enseignement de l'histoire des grandes religions fasse partie du programme de l'instruction publique, pour nous aider à mieux comprendre certains problèmes actuels. Mais nous devons veiller au respect de l'esprit d'une école laïque, et ces cours ne doivent, en aucun cas, servir de propagande religieuse.

Cet enseignement ne devra pas blesser certaines sensibilités d'élèves ou de parents, surtout dans une période où les élèves de nos écoles viennent de toutes les parties du monde et sont de religions très différentes.

Cet enseignement, s'il est bien dispensé, pourra contribuer à développer davantage de compréhension et de tolérance entre les élèves de croyances et d'éducations différentes.

Toutefois, nous devons avoir l'assurance que cet enseignement sera donné par des laïques, sans aucune propagande religieuse et dans le respect de toutes les convictions.

C'est pourquoi nous devons renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement en demandant aux commissaires de veiller au respect de ces conditions.

Mme Liliane Charrière Urben (S). En complément de ce qu'a dit M. Courvoisier, j'ajouterai que, dès l'Antiquité, les religions toutes confondues ont influé sur l'évolution de l'histoire, qu'il s'agisse des rapports entre les peuples, des arts, des sciences, de la philosophie, de la société, de son organisation et, pour ne citer qu'un exemple important, du rôle et de la vie des femmes dans la famille et la vie sociale.

Nous voyons bien l'intérêt que comporte la proposition des Verts. Le groupe socialiste est prêt à y adhérer, pour autant que l'on tienne compte des trois éléments suivants :

1. Il est mentionné expressément dans l'exposé des motifs que ce nouvel enseignement a pour but de «contribuer à la formation de la personnalité et à la prise de conscience de valeurs universelles». En effet, plus on est au clair sur sa propre identité, plus on est capable de comprendre celle des autres. Mais, dans ces valeurs universelles, nous souhaitons vivement que les courants de pensée non religieux soient également intégrés. L'éthique laïque, l'éthique républicaine, leurs valeurs, leurs mérites, leur vérité, ont droit, tout autant que les autres, à notre attention. Elles ont contribué, ô combien, aux progrès de la société.

2. L'histoire des religions n'est pas complètement absente de l'enseignement genevois. J'en veux pour preuve que l'on y aborde les croisades, le Moyen Age - où la vie s'organise en partie autour de l'Eglise; que l'on y traite de l'actualité avec notamment le conflit irlandais, le port de tel ou tel signe distinctif d'une religion, etc. L'histoire des religions ne peut être enseignée que par des gens d'école et non par des représentants d'Eglises quelles qu'elles soient. Encore faudra-t-il trouver quand et comment, les horaires n'étant pas extensibles. Mais ce problème n'est pas insurmontable.

3. Sachant qu'un groupe de travail du DIP étudie déjà le sujet et l'intérêt qu'il suscite un peu partout; vu, par ailleurs, les prochaines modifications qui interviendront pour l'application des nouvelles normes fédérales en matière d'études gymnasiales, il serait intéressant que ce parlement prenne connaissance de l'état des travaux en cours et, cas échéant, que l'histoire des grands courants de pensée et, parmi eux, les religions, trouve également sa place dans le plan d'études de la future maturité.

Enfin, Madame Olsommer, je voudrais rappeler que l'école genevoise est laïque depuis trois ou quatre générations, c'est-à-dire depuis plus de cent ans. On n'y enseigne pas les religions, et pourtant nos grands-parents et les plus anciens d'entre nous sont au courant de ce qu'ont été les influences des différentes religions sur la société. Ce sont les familles et les Eglises qui nous l'ont enseigné. Je ne suis pas certaine que, depuis, Eglises et familles n'aient pas failli à leurs obligations dans ce domaine.

M. Pierre Vanek (AdG). Cette motion suscite des réserves, que je partage avec la majorité de mon groupe.

Sa première invite demande au Conseil d'Etat d'informer les députés de l'état de ses travaux en ce domaine et l'exposé des motifs précise que d'ores et déjà cette motion s'inscrit dans le cadre d'un appui résolu à la démarche du département de l'instruction publique. C'est contradictoire, et il vaut mieux avoir vu avant de croire. Comme saint Thomas, je suis d'avis que l'on ne peut pas s'inspirer de l'appui résolu à une démarche inconnue.

La deuxième invite propose d'étudier la possibilité d'introduction de cours d'histoire des religions dès le cycle d'orientation. Or, à mon sens, les phénomènes religieux doivent être appréhendés impérativement dans leur contexte social et historique. Leur place est donc dans les cours d'histoire, éventuellement de philosophie, dans les degrés concernés. Pour qu'elle soit acceptable, et c'est un minimum, cette invite devrait être complétée par : «...des cours sur l'histoire des religions dans le cadre des cours d'histoire, de géographie et de philosophie», ces derniers étant dispensés par des spécialistes laïques et non par des représentants ou adeptes de telle ou telle religion. La motion pourrait alors devenir acceptable, nonobstant les réserves suivantes :

Est-ce à nous, Parlement genevois, de dicter un contenu aux cours d'histoire et de philosophie ? Ce n'est pas directement de notre ressort, et je ne sais s'il est bien d'interférer à ce niveau.

Si l'histoire des religions est le seul objet à être mis en évidence par une intervention ad hoc du parlement, ce sera le signal d'une priorité qui aurait, par hypothèse, ému la majorité de ce Grand Conseil. Aujourd'hui, cette priorité n'existe pas. Dès lors que l'on commence à aborder ce genre de matières, il faut évidemment en élargir le champ : pourquoi ne pas parler du développement de formes de pensée non religieuse, antireligieuse, athée et matérialiste ? Pourquoi ne pas demander que l'on mette Marx au programme, que l'on informe des luttes sociales qui sont toujours à l'ordre du jour ? Pourquoi ne pas demander l'enseignement des révolutions genevoises dont le centième anniversaire de la dernière a été évoqué ? (Exclamations.) Merci, Messieurs ! Je ne développerai par les rapports existant entre la Révolution genevoise et la question religieuse, car cela me prendrait trop de temps !

En ce qui me concerne - je ne parle qu'en mon nom personnel, s'agissant d'un sujet délicat - la volonté d'ériger l'histoire des religions en champ séparé, spécifique, privilégié par une motion parlementaire ad hoc, participe d'une démarche idéaliste, quasiment religieuse. Elle est donc incompatible avec la laïcité de notre école publique.

Je voudrais encore vous faire part de quelques considérations générales :

On met en évidence cet analphabétisme religieux, pour autant qu'il existe. On devrait aussi parler des carences et de l'analphabétisme dans d'autres domaines culturels : littéraire, scientifique, historique ou social. Alors pourquoi cette préoccupation soudaine de mettre uniquement l'accent sur la lutte contre cet «analphabétisme religieux», alors que nous devons combattre l'analphabétisme en général ? Pour ce faire, une lutte à large spectre est indispensable. Ce serait l'occasion d'un débat où je pourrais m'exprimer sur les moyens à donner à l'école - actuellement plutôt refusés - pour combattre ce phénomène désagréable.

L'analphabétisme religieux est présenté comme une lacune dramatique. Cette méconnaissance est due à la baisse de la pratique religieuse qui ne serait plus que de 5 à 10% d'après l'encyclopédie «Le Léman». Effectivement, ce taux explique le manque de connaissance des religions, laquelle était plus étendue quand la pratique était plus grande. Mais de quel droit déplore-t-on ce libre exercice de la liberté religieuse, à laquelle je suis attaché, qui comprend également le droit de laisser sa religion au vestiaire ?

L'exposé des motifs parle de contribuer, à travers ce processus d'introduction de cours d'histoire des religions, à la prise de conscience de valeurs universelles. Or, il est des valeurs humanistes, démocratiques, de liberté, de fraternité et d'égalité, qui se sont enracinées et affirmées contre la chape de soumission à l'autorité distillée par l'institution religieuse, notamment par l'Eglise catholique, et par le refus de rendre à César ce qu'il avait confisqué.

Permettez encore quelques considérations :

L'exposé des motifs rappelle que certains élèves de cultures différentes sont invités à expliciter leur religion et à valoriser ainsi leur identité culturelle. Je ne suis pas d'accord avec cette équation sommaire qui veut que religion égale, grosso modo, identité culturelle. Demander à des élèves d'une école publique et laïque d'expliciter leur religion, c'est demander de définir une croyance, de chercher à convaincre; c'est ouvrir le champ du prosélytisme à l'intérieur de l'école. Demandera-t-on aux élèves athées et agnostiques d'exposer leurs convictions ? La motion n'en dit évidemment pas un mot.

Tous ces problèmes font que nous ne devons pas adopter cette motion, du moins telle qu'elle est.

Les auteurs de la motion se sont attachés à présenter une série de garde-fous, notamment en précisant : «Il n'est pas question de proposer une démarche de catéchèse en faveur de telle ou telle religion... Il n'est pas question de diriger les élèves vers une confession ou une autre.» Comme si le champ des possibles, des choix, se limitait à telle ou telle religion ! Le champ du choix philosophique et culturel en la matière est beaucoup plus vaste et comprend aussi celui de tourner le dos à la religion comme à un phénomène historiquement dépassé. C'est une opinion personnelle, certes, et je respecte ceux qui ne la partagent pas. Mais la motion ignore cette dimension, alors que ses auteurs se targuent d'une volonté d'ouverture et de tolérance.

Par conséquent, je vous invite à ne pas voter cette motion, à moins de l'amender assez fortement sur la base de certains de mes arguments, notamment celui de considérer la religion comme un phénomène social et historique à inscrire dans les cours d'histoire ou de philosophie, donnés par les spécialistes desdites branches, et selon les normes de notre école genevoise.

Mme Michèle Wavre (R). M. Vanek a de la chance ! Il connaît saint Thomas et peut citer le Christ parce qu'il a sans doute reçu une formation religieuse. Ce n'est malheureusement pas le cas pour tous les enfants.

Le groupe radical adhère complètement à l'idée de combattre, à l'école, l'analphabétisme religieux pour toutes les raisons qui viennent d'être évoquées et qui sont décrites dans l'exposé des motifs.

Contrairement à ce que dit M. Vanek, les enfants ont encore des préoccupations philosophiques et religieuses. Ils se posent des questions : d'où venons-nous ? Où allons-nous ? Ils ont besoin de réponses, et celles qu'ils reçoivent ne sont pas toujours bonnes !

De tels sujets ne sont abordés ni chez eux ni à l'école. Ils en éprouvent un malaise qu'ils ne peuvent définir. Dès leur plus jeune âge, ils se posent des questions fondamentales.

Nous devons combler ce manque en leur démontrant que de nombreuses civilisations se sont posé les mêmes questions et ont trouvé des réponses très diverses. Ces questions sont toujours d'actualité : ce n'est pas de l'histoire ni des vieilles lunes; ce n'est pas non plus Mathusalem ! Il ne s'agit pas de catéchiser les enfants au profit de telle ou telle religion, mais de les informer et finalement leur transmettre une culture générale issue de la nôtre. Quand on leur parle de vaches grasses et de vaches maigres, peu connaissent l'origine de l'expression.

Depuis des années, les Eglises avertissent la société laïque des dangers de l'ignorance religieuse. Je suis heureuse qu'on les entende enfin !

Je rends hommage à tous ceux qui ont consacré de leur temps à donner bénévolement des cours dans les écoles primaires. Il y a peu encore, ils étaient à peine tolérés et étaient considérés comme des survivants d'une époque révolue. Aujourd'hui, je constate avec plaisir qu'ils sont perçus comme des pionniers.

M. Jean-Claude Genecand (PDC). La laïcité ne serait-elle pas devenue une pensée intolérante ? Je me le demande après avoir entendu M. Vanek. Parler d'introduire l'histoire des religions à l'école, c'est s'exposer à être accusé de faire du prosélytisme, voire de l'endoctrinement !

De nombreuses personnalités se sont exprimées à ce sujet. Reconnaissant la difficulté de transmettre le patrimoine judéo-chrétien, elles ne peuvent se résigner à cette carence culturelle chez nos jeunes.

Depuis 1907, la séparation de l'Eglise et de l'Etat a marqué le rôle de chaque autorité, ce qui est un bien. Mais, en même temps, elle a engendré la méconnaissance religieuse qui a conduit à cet analphabétisme des jeunes dont nous débattons présentement. «Qui ne sait pas tirer les leçons de trois mille ans - a dit Goethe - vit au jour le jour.» Et un autre d'ajouter qu'un être humain qui ignore son passé n'est qu'un singe nu qui flotte dans le vide.

Ces affirmations sont quelque peu caricaturales, mais il faut bien admettre que, pour structurer notre mental, nous avons besoin des clés indispensables à la compréhension de l'histoire de notre société. De même la signification de l'art, de la littérature, nous reste étrangère si nous ne possédons pas les rudiments d'une culture chrétienne.

La composante religieuse est encore bien présente dans notre vie sociale : les fêtes religieuses rythment le temps du travail et de la détente, mais leur signification, pour la plupart d'entre nous, est relativement floue, voire ignorée.

Les professeurs de français, d'histoire ou de philosophie sont de plus en plus surpris par les réflexions d'élèves qui voient en Jésus le premier «baba cool» et confondent Moïse avec un conquistador espagnol du XVe siècle ! Les professeurs d'université constatent, de leur côté, que leurs étudiants ne perçoivent que l'aspect esthétique des grandes oeuvres d'art de la Renaissance.

Cette ignorance des symboles rend les jeunes inaptes à découvrir leurs propres racines. Le sens critique, l'ouverture aux autres cultures, se forgent dans l'apprentissage de la liberté d'expression, et celle-ci ne s'acquiert que dans la transparence et par la connaissance. Gommer près de deux mille ans de culture judéo-chrétienne, c'est se comporter en ayatollah brimant la liberté d'expression. Toutes les enquêtes prouvent que le poids des religions est aujourd'hui marginal. Qui se soucie des exhortations papales ou des prises de position du Conseil oecuménique ? Au plus, elles font l'objet de la une des journaux si le sujet est passionnel.

S'il est primordial de donner une place prépondérante à l'enseignement des religions chrétiennes, il n'en demeure pas moins que celui-ci devrait aborder aussi le judaïsme, l'Islam et les religions orientales. Reste à savoir comment et par qui. On notera qu'un groupe inter-religieux, composé de représentants de toutes les religions monothéistes, planche sur la question depuis dix ans. De constitution plus récente, une commission exploratoire, conduite par M. Walo Hutmacher, a pour but d'introduire la prise en compte des racines judéo-chrétiennes dans l'enseignement scolaire. Gageons qu'elle nous fera rapidement part de ses conclusions !

Ne nions pas les difficultés et les possibilités de dérapage, mais pour l'amour du ciel, ne les dramatisons pas ! Si un relent de «Sonderbund» hante encore certaines consciences, il vaut mieux mettre à plat les suspicions potentielles plutôt que de les enfouir sous le boisseau, sous peine de les voir resurgir au plus mauvais moment. La lumière déjoue les antagonismes.

C'est dans ce sens que je souhaite vivement que le département ne renvoie pas aux calendes grecques la mise en application d'une telle expérience, car c'est confrontées aux réalités que les meilleures solutions se dégagent.

M. Armand Lombard (L). Le débat nous a déjà fait connaître diverses positions et propositions concernant cette motion que nous estimons, quant à nous, intéressante et positive.

Ce soir, nous aurons encore l'occasion de traiter de divers objets ayant trait à l'enseignement et de cours à réserver à la santé et à la gymnastique. M. Vanek a parlé de l'étude des révolutions genevoises. C'est une matière comme bien d'autres que l'on voudrait voir enseignée à nos enfants.

Devant l'obligation du choix, j'estime que l'histoire des religions est à inscrire en tête des autres matières suggérées. Nous n'avons certainement pas suffisamment insisté, durant les années précédentes, sur l'ouverture aux autres, sur les formations civique, communautaire et sociale. La formation technique les a supplantées, et l'on n'a pas appris à l'enfant l'échange et le regard sur l'autre.

Il est essentiel de dire les valeurs et les normes de notre démocratie socioeuropéenne et les acquis énormes d'une civilisation de deux mille ans. Cela peut se rattraper partiellement par le biais de l'histoire des religions.

Que l'on soit croyant ou pas, adepte d'une religion ou d'une autre, il importe, Monsieur Vanek, que l'on transmette ces valeurs fondamentales aux futures générations. L'un des canaux favorables à cette transmission est bien un cours d'histoire des religions, l'histoire de la nôtre et de celles qui lui sont proches. Il est nécessaire de faire connaître les grandes religions du monde à nos enfants. Je ne sais plus quel grand Français disait que le XXIe siècle serait religieux...

Une voix. Malraux !

M. Armand Lombard. Merci beaucoup ! Je ne l'ignorais pas, mais craignais de paraître pédant. Je savais bien qu'un érudit ne pourrait se retenir de me le souffler ! (Rires.) Ce savoir n'étant pas inné, il faut l'enseigner. Et, pour apprendre à se connaître soi-même, il faut pouvoir comparer ses valeurs avec celles d'autrui. L'ouverture, les références, l'analyse critique, sont nécessaires. De même faut-il enseigner aux enfants les principes d'exclusion, ceux qui ne reconnaissent pas l'égalité des hommes et des sexes, refusent les systèmes démocratiques. Pour ce faire, l'histoire des religions est une bonne source, mais ce n'est pas la seule.

J'espère que le Conseil d'Etat pourra examiner cette motion assez rapidement.

M. Max Schneider (Ve). L'histoire des religions, nous l'avons compris, n'est pas un cours de religion, mais ce n'est pas non plus un cours d'histoire. Il ne s'agit pas de connaître l'année de naissance de Mahomet. Cet enseignement enrichira notre pensée et l'ouvrira à l'esprit de Genève, notre ville étant la première à avoir institué une chaire de l'histoire des religions au début de ce siècle.

Nous sommes donc les premiers au monde à avoir accueilli cette réflexion au sein de notre université. Alors pourquoi ne pas continuer ? Certes, il ne suffira pas uniquement de considérer des dates. Notre époque est à la mondialisation de l'économie, des échanges culturels et sociaux. Cela signifie que certains de nos jeunes seront appelés à travailler en Inde, au Japon, etc. Il leur sera donc utile de savoir comment les habitants du pays hôte définissent l'existence et l'espace-temps, par le biais de leur histoire ou de leur religion. Pour ce faire, je fais confiance à Mme Brunschwig Graf.

En revanche, M. Hutmacher et son groupe me donnent du souci. En effet, ils ont oublié que des historiens en religion enseignaient à l'université de Genève. Ce serait la moindre des choses qu'un de ces historiens soit présent dans le groupe de M. Hutmacher.

M. David Hiler (Ve). Je réagis aux propos de M. Vanek. Le marxisme implique, en principe, la dialectique. Et c'est elle qui manque, en l'occurrence, à la compréhension du problème.

Si nous sommes amenés à parler de l'éventualité d'un cours d'histoire des religions, c'est précisément parce que le sentiment religieux et la pratique religieuse, dans notre société, ne sont plus du tout ce qu'ils étaient auparavant.

Qu'en faisons-nous ? Nous en faisons un objet non de croyance mais de simple connaissance. D'une certaine manière, c'est nous qui terminons le processus.

Autre chose, Monsieur Vanek : quand nous enseignons au cycle, au collège ou à l'université, nous parlons de Marx, de la révolution et des Eglises. En revanche, quand nous parlons des Eglises, nous ne parlons pas de religion mais du pouvoir temporel qu'elles détenaient. Peut-être sommes-nous trop timides, mais nous ne nous sentons pas le droit de parler religion quand nous parlons Eglise. Pourtant, nous parlons bien d'un affrontement de type politique, par exemple celui de la Réforme ou celui du XIXe siècle entre Rome et les anticléricaux, mais nous ne nous permettons jamais, faute de compétence, d'entrer en matière sur le fond, c'est-à-dire une doctrine religieuse, une représentation du monde, parce que ce n'est pas notre travail.

Pour comprendre une partie de notre monde, il faut connaître les religions, sinon il est difficile d'apprécier un certain nombre d'oeuvres d'art et d'oeuvres littéraires, de décrypter une partie de notre langage.

Il ne faut évidemment pas faire du catéchisme, et cela a été dit au moins dix fois. Mais les gens doivent savoir qu'une population plus ou moins importante s'est attachée à ces valeurs à certains moments de l'histoire mondiale et qu'elle y croit aujourd'hui encore. Le reste - les gens qui adhèrent à une religion après avoir été élevés dans l'athéisme - ne nous concerne pas !

Nous voulons simplement signifier la nécessité de donner ce fonds culturel pour que les gens comprennent le monde dans lequel ils vivent et certaines de ses pesanteurs. L'on ne se débarrasse pas de ces pesanteurs si on ne les comprend pas et si on les reproduit inconsciemment par exemple au niveau du langage.

Il est vrai que la pratique religieuse est minoritaire aujourd'hui et que, pour beaucoup, elle est une pratique exclusivement culturelle. Nous devons nous adapter à cette réalité nouvelle. (Applaudissements.)

M. Pierre Vanek (AdG). Avec beaucoup de talent, M. Hiler cherche à me rassurer en disant que cette motion nous signera l'acte de décès de la religion en l'introduisant dans les cours d'histoire et dans les musées.

Malheureusement, les choses sont un peu plus compliquées. La religion demeure - même si sa pratique est minoritaire - un objet de croyance à manier délicatement dans le champ scolaire.

M. Hiler a rappelé que l'on parlait déjà d'Eglises dans les cours d'histoire, mais pas de religion, parce que l'on n'en avait ni le droit ni les compétences. A plusieurs reprises, j'ai dit et répété que les cours d'histoire de religions avaient leur place à ce titre-là et que j'étais favorable à l'élargissement de ce champ par rapport à des historiens ou des professeurs d'histoire timides, comme vient de le dire M. Hiler. En cela je suis d'accord.

Par contre, je voudrais relever d'autres arguments. Max Schneider dit que ces cours ne seraient pas des cours d'histoire... Voilà qui serait inquiétant ! Je veux bien que l'on parle de religions, mais dans le cadre, précisément, d'un cours d'histoire.

Lors d'une autre intervention, on m'a accusé de tourner le dos à deux mille ans d'histoire et à un fonds culturel indispensable, etc. Il est vrai qu'il faut, dans une certaine mesure, tourner le dos au passé... S'il est nécessaire de le comprendre, il faut le comprendre dans sa complexité, dans les relations dialectiques, et non le découper comme un saucisson - cela pour renvoyer l'ascenseur à M. Hiler.

Autre chose est un enseignement universitaire pointu, mais là nous parlons de l'enseignement secondaire, à partir du cycle d'orientation, et je suis contre ce saucissonnage.

M. Genecand a parlé de mon intolérance laïque. Non, Monsieur Genecand ! Je respecte la liberté religieuse et le droit, pour les uns et les autres, de croire, de penser et de dire. J'affirme simplement que l'objet de ce débat, tel que je l'ai circonscrit, ne doit pas être érigé dans une place à part. Vous avez parlé de mettre l'accent sur le monothéisme, les religions judéo-chrétiennes, mais si l'on adopte une vision globale, on constate que certains nous parlent constamment de mondialisation. Dès lors, on pourrait tenir compte des religions majoritaires de cette planète qui ne sont pas monothéistes, on pourrait parler d'animisme et d'autres croyances. Sur un autre plan, le grand argument des défenseurs de cette motion est celui du fond culturel, dont d'autres éléments, ne relevant pas du monothéisme, sont les panthéons grec ou romain. Ils ont perdu leur caractère religieux et en parler dans ce sens constituerait un abus de langage. Néanmoins, ils appartiennent à ce fond culturel que vous entendez promouvoir.

Monsieur Genecand, vous parliez d'intolérance, mais votre propre champ de vision est peut-être lié à la religion, que je respecte, à laquelle vous adhérez.

Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Comme l'a expliqué M. Vanek, l'histoire des religions est extrêmement compliquée, extrêmement complexe, et le débat devrait avoir lieu en commission.

Preuve en est quelques paroles célèbres, encore présentes à nos esprits. Moïse a dit : «Tout est dans les lois.»; Jésus a dit : «Tout est dans l'amour.»; Marx a dit : «Tout est dans l'argent.»; Lénine a dit : «Tout est à vous.»; Freud a dit : «Tout est dans le sexe.» et Einstein a dit : «Tout est relatif.» ! (Rires et applaudissements.)

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Cette question est extrêmement délicate. La preuve en est que nous nous en préoccupons depuis décembre 1994 sans avoir pu arrêter de décision définitive. Pour mener à bien notre réflexion, nous entendons nous entourer de personnes qualifiées, tout en intégrant les utiles suggestions des uns et des autres quant à la composition de notre groupe de travail.

J'aurais souhaité vous présenter un premier rapport circonstancié, ne serait-ce que pour effacer des craintes ou certaines suppositions. Il aurait expliqué de quoi il s'agit en réalité et à quoi nous voulons aboutir.

En attendant, je vous dirai quelque chose qui vous amusera peut-être. Il se trouve que l'un de nos collègues, ancien député, qui préside un comité préconisant l'éternelle séparation de l'Eglise et de l'Etat, m'a écrit après avoir appris que j'avais l'intention d'étudier le problème. Les termes de sa lettre étaient, pour le moins, énergiques ! Je lui ai répondu de façon précise, et crois pouvoir affirmer l'avoir rassuré. C'est dire l'importance de sa caution dans ce Grand Conseil !

Permettez-moi une autre pointe d'humour, Monsieur Vanek. Lors d'une session de décembre 1994 consacrée au budget, alors que je m'apprêtais à intervenir dans une émission de télévision, M. Ferrazino, votre collègue ici présent, m'a fort gentiment prêté un livre qui traitait de l'histoire des religions. Je m'en suis délectée, si vous permettez le terme, le temps d'une séance sur le budget... (Exclamations, rires.) Que vous dire sinon que je suis faite comme vous et qu'il est, dans ce parlement, des moments où l'on s'amuse, des moments où l'on participe et des moments où l'on lit !

Comme vous tous, j'estime que ce sujet doit être traité avec précaution. Aussi vous suis-je d'ores et déjà reconnaissante - une fois notre rapport rendu - de lui consacrer tout le temps nécessaire en commission. Vous pourrez auditionner, écouter et débattre sur la base d'éléments plus concrets que les craintes évoquées ici.

Je conclus, mais sans plaisanter : on ne peut pas se permettre, à la fin de ce siècle où l'on confond les religions et les sectes, d'ignorer ce qu'est la religion ! (Applaudissements.)

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

(M 1079)

MOTION

concernant l'introduction de cours sur l'histoire des religions pour les élèves du canton

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

- les préoccupations de divers milieux face à un analphabétisme religieux de plus en plus répandu chez les jeunes;

- les réflexions que mène sur ce sujet le département de l'instruction publique,

invite le Conseil d'Etat

- à informer les députés sur l'état de ses travaux en ce domaine;

- à étudier la possibilité d'introduction des cours sur l'histoire des religions pour les élèves du canton dès le cycle d'orientation.