République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 19 septembre 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 10e session - 37e séance
P 1099-A
RAPPORT DE LA MAJORITÉ
Le 20 décembre 1995, le Grand Conseil était saisi d'une pétition dont la teneur était la suivante:
PÉTITION
Non à un restoroute sur des terres agricoles à Bardonnex !
En date du 10 octobre 1995, le Conseil municipal de Bardonnex a adopté une résolution soutenant l'aménagement d'une aire de ravitaillement et de repos située de part et d'autre de l'autoroute, de la limite communale de Plan-les-Ouates à la plate-forme douanière.
Ni les habitants de Bardonnex, ni les communes avoisinantes n'ont été informés de ce projet qui va dans le sens d'un accroissement du processus d'urbanisation et d'industrialisation sur des terres actuellement agricoles. En effet, cet aménagement nécessiterait inévitablement le déclassement de zones agricoles déjà fort diminuées par la construction de l'autoroute et apporterait un lot de nuisances évidentes dans une zone d'habitation. Cela est en contradiction avec les demandes de «mise en tranchée» de l'autoroute lors de sa construction.
Il faut également souligner que le Conseil municipal a voté(9 conseillers contre 4) pour un projet tout à fait imprécis quant à la surface réelle, les nuisances occasionnées et les infrastructures («ravitaillement en carburant, restoroute, ainsi que tous les équipements propres à servir, accueillir, restaurer, héberger et détendre les usages de l'autoroute»). On peut ainsi craindre que cet accord de principe débouche sur une extension de zones d'activités industrielles.
Considérant les points susmentionnés, les signataires décident de s'opposer à ce projet.
N.B. : 150 signatures
Christian Hostettler
19, route des Ravières
1258 Perly
Sous la présidence de Mme Janine Hagmann, la commission des pétitions a traité cette demande les 18 mars, 1er, 15 et 29 avril 1996. Elle a reçuMme le maire de Bardonnex, les pétitionnaires ainsi que l'ingénieur cantonal du département des travaux publics et de l'énergie (DTPE).
Auditions
Mme Marie-Louise Barthassat, maire de Bardonnex, a fait valoir les avantages économiques qui découleraient, pour sa commune, de l'installation de l'aire de repos et de ravitaillement sur son territoire et a indiqué qu'une compensation en terrains était possible, de façon que la surface cultivable.
Les pétitionnaires, Mme Marie-Noëlle Lahouze Davaud, MM. Christian Hostettler et Philippe Bailat, ont répété leur opposition catégorique à toute installation supplémentaire telle qu'un restoroute et ses annexes, à côté de la plate-forme douanière. Ils réclament le statu quo.
M. Arthur Harmann, ingénieur cantonal, du DTPE, a fait l'historique de l'autoroute de contournement et a expliqué les divers projets successifs de haltes autoroutières. Il a donné le point de vue de l'Etat sur ce problème.
Discussion
Lors de la construction de l'autoroute de contournement, une aire de repos et de ravitaillement avait été prévue à Blandonnet, près de Meyrin. Ce projet ayant été abandonné, la mairie de Bardonnex s'est portée candidate pour l'avoir sur son sol. Rappelons que la commune héberge déjà la plate-forme douanière d'entrée en Suisse. Bardonnex compte peu de contribuables importants et verrait d'un oeil favorable ses rentrées fiscales augmenter. Elle table sur le projet de restoroute, avec les activités d'accueil annexes pour remplir ses caisses, car elle est, comme beaucoup de ses semblables, à la recherche de ressources nouvelles.
Le 10 octobre 1995, sur proposition de la mairie, le conseil municipal de Bardonnex a voté, par 9 voix contre 4, une résolution en faveur de la construction d'une aire de repos et de ravitaillement sur le territoire communal. Cette décision ayant été rendue publique, les habitants de la commune l'ont peu contestée. Par contre, des habitants du village de Perly, voisins du site réservé éventuellement pour la construction de la halte autoroutière, se sont inquiétés des nuisances qu'entraînerait l'installation, près de chez eux, d'un complexe autoroutier qu'ils imaginent bruyant, dégageant des odeurs nocives et mal intégré au paysage. Ils se sont réunis et ont récolté des signatures pour une pétition qui protestait contre le projet. Ils avancent plusieurs arguments: d'abord, ils font valoir que le projet serait réalisé sur des terres agricoles, actuellement cultivées, qu'une aire de repos telle que celle qui est prévue provoquerait des nuisances importantes de toutes sortes, et, de plus, qu'il est illusoire de penser que ce genre d'entreprise soit très rentable (et de citer des exemples d'aire de repos déficitaires). A ce dernier argument, on peut répondre que les aires de la Gruyère, du Grand-Saint-Bernard et de Heidiland dégagent de solides bénéfices, ce qui est bien connu. Les pétitionnaires cherchent à préserver leur tranquillité et la beauté du paysage qu'ils voient de leurs fenêtres, ce qu'on peut facilement comprendre. Pour toutes ces raisons, ils s'opposent résolument à tout projet de restoroute à cet endroit.
La commission des pétitions a été sensible aux arguments des deux parties: d'une part, le désir de la commune de Bardonnex d'améliorer ses finances, d'autre part, la volonté des pétitionnaires de préserver leur qualité de vie actuelle. Elle a donc, devant ce dilemme, consulté le DTPE, qui a envoyé M. Harmann, ingénieur cantonal, pour donner des compléments d'information. Ce dernier a expliqué que plusieurs communes désiraient voir une halte autoroutière s'établir sur leur territoire, car elles en escomptaient de nombreux avantages. Bardonnex semblait la mieux placée dans cette compétition, à cause de sa situation favorable, proche de la frontière, aux portes de la Suisse. Le projet semble d'ailleurs si intéressant que plusieurs compagnies pétrolières et des chaînes de restaurants ont indiqué qu'elles soumettraient leur candidature pour enlever le marché (ce qui, soit dit en passant, dément l'affirmation des pétitionnaires selon laquelle le relais serait voué au déficit). De plus, la possibilité de compenser les terrains agricoles sacrifiés existe, le site d'une briquetterie bientôt désaffectée, sis en zone industrielle pourrait être placé en zone agricole et reconverti en terres cultivables. La surface nécessaire à la réalisation du projet est évaluée à3 hectares. Naturellement, et la commune et le DTPE sont conscients que des nuisances peuvent résulter d'une telle installation et s'attacheront à les réduire au maximum. C'est d'ailleurs à ce prix seulement que le conseil municipal avait accepté la résolution qui a mis le feu aux poudres. L'espace naturel devrait être préservé le plus possible, et les installations seront disposées de façon à ne pas offenser la vue.
La Chambre genevoise d'agriculture s'est, elle aussi, penchée sur la question. Dans une lettre datée du 29 mai 1996, elle indique à l'intention de la commission qu'elle est favorable à l'implantation du restoroute à condition qu'il y ait compensation des terres agricoles avec d'autre terres qui seraient rendues à la culture. Il faut savoir que les terrains visés, à Bardonnex, sont considérés comme étant de piètre qualité car ils se trouvent sur d'anciennes décharges. De plus, la Chambre espère qu'on intégrera au relais un espace consacré à la promotion des produits du terroir genevois (vins, fruits, légumes, fleurs), voire de notre région puisque nos voisins français, qui avaient prévu d'ouvrir un tel relais, ont dû y renoncer, faute de moyens financiers.
Enfin, le 29 mai 1996 toujours, le Conseil d'Etat choisissait définitivement le site de Bardonnex. Le projet de halte autoroutière, qui était encore, somme toute, assez flou, a ainsi reçu une impulsion décisive. Les études vont désormais se concentrer sur la zone de Bardonnex, où le relais sera implanté. On désire y placer une station-service (d'un seul côté de l'autoroute, pour limiter les nuisances), un stand d'informations touristiques, un lieu de réunion pour des séminaires de travail et une « vitrine » pour les produits régionaux. Plusieurs compagnies pétrolières et des sociétés de restauration se sont montrées intéressées. Les soumissions devraient être lancées prochainement. La commission a appris ces détails par la lecture du Journal de Genève, ce qui, par parenthèse, en dit long sur l'étendue du manque de communication entre l'administration et le Grand Conseil, et la désinvolture avec laquelle ce dernier est traité lorsqu'il s'agit d'être renseigné sur des points qui le concernent au premier chef ! Interviewé par ce quotidien, M. A. Harmann a indiqué que « le concessionnaire prendra en charge la quasi-totalité des coûts de construction, y compris les voies d'accès ». Selon lui, « la participation financière du canton devrait se limiter à quelques aménagements routiers ».
Conclusion
La majorité de la commission des pétitions a été sensible aux arguments de la commune. Elle considère que l'intérêt général à son développement économique prime sur l'intérêt particulier des pétitionnaires à la préservation de leur qualité de vie (qui ne devrait de toute façon pas être trop écornée, étant donné les engagements pris quant au respect de l'environnement par les autorités compétentes).
Du reste, le Grand Conseil n'aura pas son mot à dire sur ce projet avant d'avoir à se prononcer sur une compensation et un déclassement de terrains.
De ce fait, la majorité de la commission vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, par 7 voix contre 4 et 1 abstention, de bien vouloir renvoyer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, à titre de renseignement.
RAPPORT DE LA MINORITÉ
Introduction
Il y a souvent, de prime abord et dans une optique du court terme, de bonnes raisons de ronger la zone agricole. Cette fois-ci, il s'agirait de déclasser, dans la commune de Bardonnex, une surface agricole pour y construire «une aire de ravitaillement et de repos, ainsi que tous les équipements propres à servir, accueillir, restaurer, héberger et détendre les usagers de l'autoroute». Cette aire de ravitaillement, accolée à la plate-forme douanière, serait approximativement de 3 ha (30 000 m2).
La défense de la zone agricole reste difficile, tellement une conception globale de cette zone et de ses diverses fonctions fait défaut: production, paysages, biodiversité. Il faut ajouter un rôle culturel aux paysages agricoles et l'artificialisation de ceux-ci fait disparaître petit à petit une partie de notre mémoire collective.
Comme une maladie grave, l'urbanisation, les constructions et les installations avancent inexorablement.
Paysages et biodiversité
«L'intensité des diverses utilisations du sol et de l'activité de construction constitue une menace croissante pour les éléments naturels indispensables à la vie, notamment pour le maintien d'une eau limpide, d'un air pur et d'un sol fertile. Les listes rouges ne font que de s'allonger...» (Le paysage sous pression, office fédéral de l'aménagement du territoire, office fédéral de l'environnement, des forêts et des paysages, 1991). «En Suisse, 3 m2 de sol par seconde sont concernés par des modifications du paysage, par exemple: constructions, installations, améliorations foncières, lignes de transports d'énergie. Ce chiffre, soit 9 000 hectares par an, correspond à la surface du lac de Zurich. La perte de la diversité écologique et paysagère continue... en Suisse, un tiers des 2 700 espèces de fougères indigènes et des plantes à fleurs sont menacées ou ont déjà disparu... la liste rouge des espèces animales menacées compte 17 groupes, qui comprennent plus de 2 700 espèces... parmi les amphibiens, ce sont 95% des espèces qui sont menacées. (La conception du paysage suisse, 1995 OFEFP).
Production
Il convient de relever à nouveau, et c'est capital, la vision multifonctionnelle de la zone agricole admise communément aujourd'hui, pour revenir à la fonction de production, c'est-à-dire nourrir la population, avec une tendance générale vers une agriculture intégrée et/ou biologique ainsi que l'élevage moins confiné d'animaux nourris plus sainement (!), tendance qui exigera davantage d'espace agricole.
En raison de ces diverses finalités, il est indispensable de protéger la zone agricole et de soutenir ceux qui s'opposent à son déclassement. «La terre est trop précieuse pour être gaspillée» disent les agriculteurs, et les écologistes d'ajouter: notre petite planète, avec ses diverses surfaces, n'est pas extensible, elle doit servir à ceux qui vivront demain... la zone agricole joue un rôle essentiel notamment pour maintenir la biodiversité dans la perspective d'un développement durable, objet d'une motion que nous venons de renvoyer à la quasi-unanimité au Conseil d'Etat.
Auditions
L'aire de ravitaillement en question rapporterait, selon Mme M.-L. Barthassat, maire de la commune de Bardonnex (audition du 18 mars 1996), un demi-million de francs dont une partie seulement reviendrait à la commune. Selon le Journal communal radical de la commune, il s'agirait «par exemple, de création d'emplois, de la perception de la taxe professionnelle, d'impôt sur le bénéfice du restoroute». Selon le bulletin d'information du parti démocrate-chrétien «Bardonnex information» n° 93, il s'agirait d'une quarantaine d'emplois et de plusieurs dizaines de milliers de francs de recettes fiscales au ménage communal. Pour la petite histoire, signalons que le Conseil administratif de cette commune s'est déclaré intéressé suite à une déclaration de M. Philippe Joye, conseiller d'Etat, reproduite dans un quotidien genevois (voir Tribune de Genève, 5 février 1996) concernant la possibilité de construire un restoroute; mais à l'époque, il s'agissait de le situer à Versoix: «un restoroute apporterait emplois et rentrées financières pour la commune».
Dare-dare, Bardonnex envoie une missive aux autorités pour signaler que «la commune possède de très beaux sites susceptibles d'accueillir une aire de repos et de ravitaillement». Il faut rappeler qu'un projet de restoroute existait à Blandonnet, qui a été abandonné, car le même conseiller d'Etat considérait que le site « manquait de cachet» (idem). Il s'agirait d'un renoncement tardif qui a coûté plus d'un demi-million de francs au canton (en dédommagement à la Coop, selon les pétitionnaires).
Certes, selon Mme Barthassat, «il faudrait procéder à un déclassement de la zone agricole, mais l'Etat en détient une bonne partie, il n'y a pas eu de plainte d'agriculteurs, ni des proches du lieu, en plus, plusieurs agriculteurs sont proches de la retraite et pourraient laisser leur terrain. La Chambre d'agriculture serait plus favorable à Bardonnex qu'à Versoix...»
Un commissaire déclare qu'effectivement la Chambre genevoise d'agriculture approuve le projet pour deux raisons: 1) les terrains sont d'anciennes décharges où on avait remis de la terre, ce n'est pas une très bonne terre pour l'agriculture; 2) depuis longtemps, les agriculteurs genevois recherchent une maison pour présenter les produits régionaux, le restoroute serait l'occasion de faire cette maison.
Il est vrai que, selon une lettre de la Chambre d'agriculture adressée à la rapporteure de la majorité et aimablement communiquée à la rapporteure de la minorité, la Chambre est d'accord avec ce projet à condition d'y intégrer une maison des produits du terroir genevois et qu'il soit proposé impérativement un retour en zone agricole d'une surface équivalente à celle de l'emprise nécessaire au restoroute.
En réponse à une question d'une députée, Mme Barthassat confirme que la commune n'a pas de plan d'aménagement...
Pour sa part, M. Arthur Harmann, ingénieur cantonal du DTPE (audition du 15 avril 1996), donne également des informations: une aire de stationnement dans le canton est un vieux projet des années 60 déjà, un restoroute à Versoix (Ecogia), auquel on avait pensé, aurait été trop près du site de Bursins; Blandonnet a été éliminé à cause de sa position sous les pénétrantes, les lignes à haute tension et à proximité de l'aéroport... (et non pas pour raison de manque de cachet?)... Après examen de diverses possibilités, on a pensé qu'on pourrait rendre l'entrée à Genève plus agréable pour compenser les inconvénients de la douane et de la vignette... c'est de toute façon une zone de ralentissement, l'automobiliste pourrait trouver là un accueil, des informations hôtelières, faire du change... Pour la question des nuisances, on peut faire mieux qu'à Morges.
Pour M. Harmann, il lui semblerait que les pétitionnaires ont maintenant compris que l'intérêt général primait l'intérêt privé. On verra plus loin combien ce commentaire est perspicace...
On sait maintenant, d'après la presse (Journal de Genève, 30 mai 1996) que le Conseil d'Etat «a décidé que les études se concentreront désormais du côté de Bardonnex...». Deux semaines auparavant, la commission des pétitions recevait M. Harmann, qui ne savait rien de cette décision...
Pour leur part, des habitants de Bardonnex ont rédigé une pétition contre ce beau projet (voir audition de Mme M.-N. Lahouze, MM. Ph. Bailat Ch. Hostettler du 1er avril 1996).
Toujours pour la petite histoire, prenons d'abord connaissance d'un premier épisode: l'exécutif de Bardonnex se montre irrité par l'absence d'unanimité affichée lors de la délibération municipale, le principe d'un restoroute ayant été accepté par 9 voix pour et 4 oppositions, celle des représentants de Bardonnex Alternative (Tribune de Genève, 5 février 1996). Deuxième épisode: s'ensuit la pétition dont il est question dans ce rapport, d'ailleurs indépendante de Bardonnex-Alternative. (Selon la maire de la commune, «la pétition, qui n'est pas signée par les propriétaires concernés, est citée du point de vue politique... et aucun d'entre eux n'habite près du site envisagé, ils sont tous à 3/4 km du lieu», ce qui est faux d'après les pétitionnaires, des voisins immédiats ayant signé la pétition en question.) Pour manifester clairement leur désaccord, lutter contre ce projet et informer les habitants de la région, les pétitionnaires se réunissent également en une association de riverains de l'autoroute Bardonnex, Plan-les-Ouates, Perly-Certoux, le 28 avril 1996. Cette association, qui se nomme ARIA, a comme but statutaire de protéger la qualité de la vie des riverains de l'autoroute. Le projet se situant entre la plate-forme douanière et la commune de Perly, des habitants de cette dernière commune ont été contactés par les pétitionnaires.
Ceux-ci, au début de leur audition, remettent un document à la commission, dont nous tirons les extraits suivants: «Nous n'acceptons pas le déclassement des terres agricoles actuellement cultivées que ce projet occasionnera. Nous estimons que les communes de Bardonnex et de Perly-Certoux ont déjà largement payé leur tribut lors de la construction de l'autoroute. Nous voyons ici une amorce de l'extension de la zone industrielle aux abords de l'autoroute, estiment les pétitionnaires. Les nuisances et les pollutions occasionnées (bruit, lumière, intensification du trafic, par exemple: camions-frigo) vont à l'encontre des efforts de mise en tranchée de l'autoroute réclamés par les communes concernées».
Les pétitionnaires ne veulent pas sacrifier encore de la zone agricole et un beau paysage à la voiture. A l'époque, on s'était défendu pour que l'emprise sur les terres agricoles soit la plus minime possible, et on est étonné que ce qui était valable il y a dix ans ne le soit plus aujourd'hui. Ils craignent un accroissement du processus d'urbanisation et d'industrialisation sur des terres actuellement agricoles, ainsi qu'une augmentation des nuisances. Ce serait contradictoire aux efforts consentis pour rendre discrète l'autoroute que de constuire une aire de ravitaillement, cela romprait l'équilibre auquel on est parvenu aujourd'hui... Les habitants de Perly seraient aux premières loges, l'aire de ravitaillement serait un peu en élévation par rapport à eux. Et même en cas de compensation agricole, les nuisances subsisteraient ainsi que les tentations d'urbanisation... Ils souhaitent de larges discussions concernant leur commune et les communes avoisinantes pour intégrer d'autres dimensions que seulement économique. Ils s'aperçoivent qu'en regardant des photos, la zone agricole est inexorablement grignotée.
Les pétitionnaires signalent également que les abords de ces lieux sont entretenus en promenade le long de la rivière La Lissole et seraient largement altérés. Or, ce sont des espaces de détente pour les habitants des immeubles de Perly et doivent rester une zone de protection entre leur habitation et l'autoroute. Ils se disent également choqués par l'absence d'information aux riverains, alors que la commune était en pourparlers avec le DTPE depuis plusieurs mois. La commune donne un «chèque en blanc, sans attendre des précisions quant à la surface et à la nature des activités. Les pétitionnaires émettent des doutes sur la rentabilité économique d'un tel projet, principalement dans le domaine de l'hôtellerie et de la restauration. L'aire de Bursins a dû investir 40 millions pour devenir rentable... (Signalons que dans la page Economie de la Tribune de Genève du 17 mai a paru un article titré: «Les vendeurs d'essence sacrifient leurs gains pour se maintenir à flots». Le Courrier pour sa part, dans sa livraison du 4 juin, titrait en page Economie également: «La guerre des prix bat son plein sur le marché suisse de l'essence» et reprenait la réflexion d'un responsable Schell: la vente d'essence n'est plus rentable pour personne...). Par ailleurs, les pétitionnaires signalent qu'il existe un projet français d'une aire de repos à Villy-le-Pelloux, près du site du Pont-de-la-Caille, qui pourrait faire une réelle concurrence.
Ils remarquent en outre que l'impact sur les commerces de la route de Saint-Julien n'ont pas été étudiés (notamment sur les stations d'essence, les petits commerces...). Ils signalent également qu'à l'approche de la douane, le trafic est ralenti aux heures de pointe et pendant les périodes de vacances... L'automobiliste pris dans ces embouteillages quittera-t-il sa file de voiture pour se rendre sur une aire autoroutière alors qu'il est si près du but?»
Conclusions
Signalons d'abord, en préambule, qu'après la consultation concernant la révision de la LAT, «la notion de zone agricole sera plus stricte que prévu» (ATS, 3 octobre 1995): «a notamment suscité des réserves le fait de déclarer conforme à la zone agricole des utilisations entièrement indépendantes du sol et d'y permettre des activités commerciales ou artisanales» (département fédéral de justice et police, selon document SPE et WWF du 12 avril 1996).
Il faut aussi rappeler combien longues, courageuses et coûteuses (mais aussi bienvenues aux dires des autorités mêmes) furent les oppositions et négociations lors de la construction de l'autoroute de contournement pour protéger l'environnement, les riverains et la zone agricole: par exemple abandon de la variante «Sud d'Arare» pour celle du «Vallon des Vaulx»... Déjà à l'époque, les habitants concernés craignaient beaucoup le déclassement progressif des terres agricoles bordant l'autoroute. La minorité ne veut pas d'une politique «coup par coup». Si le désir d'exposer la production genevoise, invoqué par la Chambre d'agriculture, est parfaitement compréhensible, rappelons quand même que le canton a créé un organisme de soutien à ces produits, l'office de promotion des produits agricoles de Genève. Pour finir, je reprendrais quelques observations d'une partie des habitants concernés: «La richesse d'une commune ne se mesure pas seulement par des rentrées fiscales, la préservation de notre paysage est également une richesse qu'il nous faut prendre en compte dans l'optique d'un développement durable. Cet aménagement s'inscrit-il dans un plan d'aménagement de l'ensemble de la commune? Qu'en pensent les populations des communes voisines?...»
Nous vous prions, en conséquence, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
Débat
Mme Vesca Olsommer (Ve), rapporteuse de minorité. J'aimerais vous donner deux informations qui me sont parvenues après le dépôt du rapport.
En préambule, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais souligner que dans ce Grand Conseil - et avec l'accord également du DTPE, et peut-être même de la Chambre d'agriculture - les projets de déclassement passent et la zone agricole trépasse ! Je reviendrai sur ce point. (Brouhaha.)
Le périmètre Reuters/Compois/Bardonnex représente plus de 130 000 m2 de déclassement de la zone agricole. Pour le chef du département, c'est peu comparé aux 2 millions de m2 qu'il projette de déclasser, mais c'est déjà trop pour la gauche et les écologistes qui ne veulent pas considérer la zone agricole comme une réserve de terrains bon marché pour d'autres activités que celles liées à l'agriculture.
Ce sont toujours les mêmes questions essentielles qui se posent, mais on n'apporte aucune réponse. Comment, en effet, mener une politique de l'emploi compatible avec la zone agricole et l'aménagement du territoire ? Comment maîtriser les prix, quand on propose de faire du commercial en zone industrielle, et du commercial et de l'industriel en zone agricole ?
On objectera que le restoroute de Bardonnex n'est encore qu'un projet. Mais les événements vont vite : une journaliste a déjà annoncé que Bardonnex aurait bientôt son restoroute, et, lundi passé, le département a fait un appel d'offres pour un projet global de conception et de réalisation.
Je suis déçue par l'attitude de la Chambre d'agriculture : lors du débat sur Reuters, elle avait défendu l'idée qu'aucun déclassement ne serait décidé avant de connaître le plan directeur cantonal. Alors que maintenant elle appuie la démarche «au coup par coup» du chef du département. On connaît pourtant l'effet boule de neige qui se produit toujours après un premier déclassement.
Une voix. On ne parle pas des absents !
Mme Vesca Olsommer, rapporteuse de minorité. La Chambre d'agriculture a écrit une lettre à la commission des pétitions à ce sujet, j'ai donc le droit de mentionner le contenu de cette lettre !
Qu'on ne nous réponde pas que ce projet de restoroute est compris dans les projets en cours de réalisation, dont le chef du département a parlé lors du débat sur Reuters ! Ce projet de restoroute n'était pas situé à Bardonnex, à l'origine; il a été successivement refusé à Ecogia, puis à Blandonnet. C'est à la suite de ce débat que la commune de Bardonnex a annoncé qu'elle possédait un des plus beaux sites du canton qu'elle offrait comme aire de ravitaillement et d'hébergement. (Brouhaha.)
Au sujet de la pétition, deux éléments nouveaux sont à signaler. Il s'agit, d'une part, de l'argument de la Chambre d'agriculture : elle ne s'opposerait pas au projet, car les terres de ce périmètre seraient mauvaises. Or un agriculteur - tenant à sa parcelle - a signalé aux pétitionnaires qu'elles avaient été améliorées.
D'autre part, le projet français du côté de Villy-le-Pelloux semble tout à fait sérieux. Après en avoir pris connaissance, les pétitionnaires ont rencontré les personnes concernées.
Soit les informations passent mieux entre les associations de protection de l'environnement qu'entre les autorités, soit le département entre en compétition au sujet de ce projet à 30 km de la frontière et veut construire à tout prix ce restoroute. Dans ce cas, qu'en est-il de la concertation régionale ?
Je reviendrai sur d'autres points au cours de la discussion.
M. Roger Beer (R). Quelle vigueur, Monsieur le président !
Le président. C'est pour vous réveiller un peu !
M. Roger Beer. Ce n'est pas nécessaire !
Le président. Ce n'est pas la passion !
M. Roger Beer. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'excellent rapport de ma collègue, ainsi que le rapport de minorité... (Exclamations.) ...circonstancié que vous venez de confirmer par vos propos. Je ne comprends pas que vous fassiez chaque fois un procès d'intention aux gens qui «attaquent» la planète et son environnement. Si cela est parfois louable, ce n'est pas le cas pour l'éventuel restoroute.
Il n'y a aucun arrêt sur le tronçon autoroutier Nyon/Bardonnex. Il est donc important d'en construire un sur le territoire de Genève, et non en France ou dans le canton de Vaud. Je comprends les arguments des opposants au choix de Bardonnex : les uns se trouvent à proximité de la plate-forme et du futur restaurant; les autres s'y opposent par idéologie politique.
Mais nous avons une possibilité de faire, dans un endroit déjà «sacrément saccagé» par la plate-forme douanière et les abords de l'autoroute, un restoroute qui créerait des emplois et serait presque offert par les futurs exploitants. C'est un bon projet pour l'ensemble de la population de Bardonnex et pour Genève. Les rapports de majorité et de minorité ont montré que l'intérêt général l'emportait sur les soucis - légitimes - des opposants. M. Harmann l'a souligné, et le conseiller d'Etat responsable va le rappeler également.
Tous les milieux se battent continuellement pour l'emploi : la gauche, la droite, les «écolos» et les autres. Cependant, si les décideurs du futur restoroute se rendent compte qu'on leur fait déjà des difficultés au stade de l'avant-projet - comme ils ne se trouvent pas en Suisse - ils envisageront probablement de s'implanter à Archamps, où les coûts sont deux fois moins élevés et la législation nettement moins sévère qu'en Suisse ! Nous aurions intérêt à avoir un restoroute intégré conforme à nos lois, et non un monstre en France voisine.
Nous voterons donc le rapport de majorité.
Mme Martine Roset (PDC). Je ne m'exprimerai pas sur le fond de cette pétition, mais sur le principe.
Les pétitionnaires s'opposent à ce restoroute, alors qu'il n'en est qu'au stade de projet. Ils auront cependant tout loisir, si le projet aboutit, de s'opposer aux enquêtes publiques concernant le déclassement de terrain, ainsi que l'autorisation de construire.
Accéder à la demande de cette pétition ajouterait un nouveau droit d'opposition inacceptable. (Applaudissements.)
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Excusez-moi de ne pas être d'accord avec les spécialistes des espaces verts de la Ville et de la viticulture au sujet de ce projet !
En 1980, lors de l'approbation du projet autoroutier par le Grand Conseil, une motion proposée par des députés agriculteurs - M. Dupraz, entre autres - avait été votée simultanément pour réclamer moins d'emprise sur la zone agricole. L'autoroute devait être la dernière grande atteinte à la zone agricole de notre territoire.
A la suite de cette motion, le tracé de l'autoroute d'évitement de Plan-les-Ouates avait été modifié. Le tracé au sud d'Arare, détruisant trop de belles terres agricoles, a été abandonné au profit du Vallon des Vaulx. En réponse à cette motion, le Grand Conseil a été d'accord de revenir sur son premier projet.
Lorsque la plate-forme douanière a été prévue à Bardonnex, la commune a voulu obtenir, à son tour, une réduction des emprises sur la zone agricole. La réalisation de la plate-forme en a été modifiée, mais il s'agit tout de même d'une emprise considérable.
Aujourd'hui, il est complètement contradictoire de réaliser un relais autoroutier sur ce territoire, même sous le prétexte de recettes fiscales avancé par la commune. Ce serait un dogme pour la loi fédérale et pour les lois d'application cantonales extrêmement grave. On a toujours évité ce genre d'arguments purement fiscaux; s'ils devenaient courants, toute tentative d'aménagement du territoire serait vaine.
C'est d'autant plus attaquable, qu'un autre site avait été retenu par le Conseil d'Etat - pas seulement par le conseiller d'Etat, Christian Grobet. Il s'agissait de Blandonnet, situé entre les routes de Vernier et de Meyrin, sur des terrains situés en zone à bâtir. Mais ce projet très avancé, et pour lequel la Coop s'était engagée, ne semblait pas assez prestigieux et manquait de cachet. C'est pourtant sur ce site que le Touring-Club suisse construit actuellement son siège, sur le terrain voisin du restoroute projeté. Un hôtel, accessible par l'autoroute et par l'arrière, proche de l'aéroport et de Palexpo, était également prévu et rendait plus évident, encore, l'avantage de ce projet.
Ce projet a été abandonné, le Conseil d'Etat a préféré un projet destructeur de la zone agricole. Quant à l'argumentation fiscale, c'est dommage pour Vernier qui aurait besoin de ces recettes !
L'aménagement du territoire à bâtir de Blandonnet mérite d'être amélioré. On a négligé l'occasion d'apporter à cette zone - désormais internationale - et à ses environs une amélioration notable en la boisant et en y aménageant un restoroute de qualité.
Actuellement, les communes de Plan-les-Ouates et de Bardonnex sont ravagées par les chantiers de l'autoroute. C'est un coteau admirable qui s'étend de la plaine de l'Aire jusqu'aux contreforts du Salève, ponctué de hameaux et de châteaux. C'est un des sites les plus agréables de notre canton. Il est indiscutable que le tracé de l'autoroute l'a gravement endommagé, même si on s'est efforcé, par des dispositions coûteuses, d'aménager des tranchées pour camoufler cette autoroute.
Sur les photos du site du futur restoroute, on aperçoit, depuis Perly, les prairies qui s'élèvent jusqu'à Bardonnex, et c'est là, dans cette cuvette exposée à tous les regards, que serait construit le relais routier, les parkings et le restaurant. Ce très beau paysage serait détruit. (Brouhaha.)
Vous avez évoqué également la question de l'emploi, mais vous savez parfaitement que ce restoroute, qu'il soit à Bardonnex ou à Vernier, procurera le même nombre d'emplois ! Ayant souligné l'avantage que cela pourrait constituer pour l'amélioration de la zone de Blandonnet, je vous demande d'y réfléchir, car l'aménagement de cette zone devra se décider dans un très proche avenir.
M. John Dupraz (R). Je remercie Mme Deuber-Pauli d'avoir rappelé qu'un certain nombre de personnes dans cette enceinte ont veillé à ce que l'autoroute de contournement de Genève empiète le moins possible sur le territoire, et soit le mieux possible intégrée au site. Quels que soient les avis, on reconnaît unanimement en Suisse que le Conseil d'Etat a parfaitement réussi cette intégration, et que l'impact de l'autoroute et les dégâts ont été réduits au minimum.
Le projet de restoroute de Blandonnet n'a pas été retenu par le gouvernement, mais il n'en demeure pas moins qu'entre Rolle et la frontière française un restoroute est indispensable. Je suis heureux de vous entendre, «Sainte Mère Erica», protectrice des tas de cailloux qui tombent en ruine ! Mais il y a des réalités : la commune de Bardonnex s'est prononcée favorablement et ce restoroute est indispensable.
Madame la rapporteuse de minorité, vous vous êtes permis d'attaquer la Chambre genevoise d'agriculture, en oubliant de mentionner les conditions de son accord : le restoroute doit être également un point de vente et de mise en valeur des produits du terroir.
Nous vivons une époque de grands changements, et l'agriculture est au bord de la ruine. Je suis étonné d'entendre vos plaintes, Madame, au sujet de l'empiétement sur la zone agricole, alors que votre collègue de parti, M. Baumann, à Berne, s'oppose systématiquement à toutes les mesures de politique agraire qui permettraient aux paysans d'améliorer leur situation. Il s'agirait d'accorder vos discours ! Il est trop facile de déclarer, ici, qu'il faut figer le territoire.
Nous avons voté une motion pour réclamer des compensations, lors de tout déclassement de terrain. J'espère que le Conseil d'Etat, dans le cadre de la présentation de ce projet - s'il devait voir le jour - les déterminera pour la zone agricole et la protection de l'environnement.
Je soutiendrai le rapport de majorité, car les temps ont bien changé !
Mme Liliane Charrière Urben (S). Il est normal que l'exécutif se soucie de la prospérité de sa commune et recherche de nouvelles ressources. Encore conviendrait-il de ne pas mettre la charrue avant les boeufs !
Voici quelques exemples pour illustrer à quel point le flou et l'imprécision entourent le projet de restoroute sur la commune de Bardonnex.
Une voix. Ce n'est qu'un projet !
Mme Liliane Charrière Urben. Précisément, ce n'est qu'un projet, qu'une esquisse de projet qui ne se fonde sur rien ! Selon les indications reçues, la commune de Bardonnex ne disposerait pas d'un plan d'aménagement. Ne serait-ce pas la première des précautions à prendre en matière de nouvelles constructions ? Par ailleurs, il ne s'agit pas d'un petit jardin, mais de 30 000 m2 !
Au coeur de cette vaste surface agricole, un paysan de la région cultive un terrain de 8 000 m2. Au courant de l'été, alors que les supporters du restoroute avançaient dare-dare dans leurs démarches, ce propriétaire-agriculteur n'avait été ni informé ni approché par quiconque désireux de connaître son point de vue. Or il n'a pas l'intention de cesser son activité prochainement. S'agit-il du mépris du droit des gens ou d'une simple maladresse ?
Par ailleurs, va-t-on construire un motel ou un hôtel ? Un restaurant ou une cafétéria ? Une station-service ou un garage ? Ces nouvelles installations étant situées, en principe, sur un seul côté de la route, quel accès a-t-on prévu pour les véhicules arrivant dans l'autre sens ? Une bretelle d'autoroute ou la création d'une voie souterraine ? Ce sont des questions techniques - c'est vrai - mais qui financera ces réalisations ? Le canton, la Confédération ou les promoteurs ? Nous ne disposons d'aucun renseignement.
Comme l'a souligné un préopinant, on a peut-être réglé un peu vite la question de la création d'un complexe du même genre en France. D'après les renseignements reçus cette semaine, le projet dans la région du Pont-de-la-Caille, à Villy-le-Pelloux, n'est pas abandonné. On parle même d'une aire de repos, avec des tables pour le pique-nique et des toilettes, dans la région de Saint-Julien. Il y aurait donc deux projets français et non un seul !
Le département des travaux publics en est-il informé ? Existent-ils des tractations pour coordonner les efforts au sujet de ces relais routiers ? Nous n'en savons rien. Les personnes qui ont déposé la pétition dans le courant de l'hiver ou en automne 1995 n'ont été reçues que le 20 mai 1996 par la commune ! Leur point de vue n'est pas égoïste; elles ne sont pas exclusivement préoccupées par leur qualité de vie, mais souhaitent avant tout préserver dans son état actuel, campagnard et agricole, un coin de canton ayant déjà subi les dommages causés par l'autoroute. Elles tiennent à ce que la colline et les berges de la petite rivière demeurent un lieu de promenade pour les habitants de Perly.
A-t-on consulté les habitants de Plan-les-Ouates ou les habitants des petits immeubles de Perly, en contrebas de la douane, touchés par les nuisances ? Ces dernières ne sont d'ailleurs pas ignorées : on s'attachera à les réduire au minimum. Mais selon quelle échelle va-t-on mesurer le maximum et le minimum ?
Le département des travaux publics a déjà procédé à des appels d'offres, et nous nous interrogeons sur les raisons de tant de précipitation. Qui a le feu quelque part et pourquoi ? Rien n'est plus urgent que d'attendre des explications claires, cohérentes, et de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Nous ne partageons pas la piètre opinion de M. Koechlin sur le sort réservé aux pétitions.
M. Christian Grobet (AdG). M. Dupraz a commencé son intervention en faisant un constat tout à fait juste Il n'est pas normal, en effet, qu'il n'existe aucun restoroute entre Rolle et la frontière franco-suisse. Un magistrat, M. Ducret, dont la fille se trouve actuellement sur les bancs des rapporteurs, avait insisté - peu de temps après mon arrivée au Conseil d'Etat - pour trouver une solution et réaliser une aire de ravitaillement sur territoire genevois. Ce n'était pas prévu dans les plans fédéraux, car on n'avait pas la distance minimale requise entre le relais de Bussigny et le futur restoroute.
En implantant un restoroute et un hôtel, le Conseil d'Etat souhaitait inciter les touristes à passer une nuit à Genève et à descendre en ville. Il s'agissait également d'obtenir des recettes si possible élevées grâce à la vente de carburant et l'exploitation commerciale. Le raisonnement était donc économique. Mais il est évident que le site choisi pour donner satisfaction à une commune - qui s'était opposée avec véhémence à une plate-forme douanière plus importante - est le plus mauvais qu'on puisse imaginer !
Mme Charrière Urben a raison de parler de catastrophe si une aire de ravitaillement s'ouvrait de l'autre côté de la frontière - on ne peut pas exclure cette hypothèse - car, si le carburant y est plus cher, inutile de vous faire un dessin en ce qui concerne le prix de la chambre d'hôtel et de la restauration ! Dans ces conditions, construire un relais autoroutier à 3 km d'un concurrent français est une aberration sur le plan économique.
Le trafic touristique est important en été, c'est vrai, mais les gens s'arrêteront-ils à la frontière franco-suisse, à quelques kilomètres d'un hôtel offrant des chambres à moitié prix ? Blandonnet était précisément un centre névralgique qui aurait incité les gens à s'arrêter. C'est également un emplacement beaucoup plus favorable à la vente de carburant, même pour les véhicules n'empruntant pas l'autoroute. Ces arguments sont d'autant plus importants en période de crise économique. Quant à la vente de produits du terroir, elle peut aussi bien se faire à Blandonnet qu'à Bardonnex.
Il est judicieux d'opter pour la solution offrant le plus d'avantages économiques, et je crains que le choix de Bardonnex n'ait été dicté par des pressions déjà organisées... (Brouhaha.) ...il y a quelques années par les propriétaires de palaces genevois. Ce sont eux qui ont bloqué le projet de Blandonnet, il faut le savoir. C'est dommage que M. Maitre soit sorti de la salle, car c'est lui qui a demandé au Conseil d'Etat de geler ce projet hôtelier.
Je suspecte le choix actuel du Conseil d'Etat d'être non seulement dicté par la volonté de faire plaisir sur le plan fiscal à la commune de Bardonnex, mais, vraisemblablement, par les pressions de certains hôteliers qui ne veulent pas d'un hôtel bon marché à Cointrin. On continue ainsi à axer le service hôtelier genevois sur le haut de gamme, alors que les quatre et cinq étoiles représentent déjà 75% des lits d'hôtel à Genève.
Mme Vesca Olsommer (Ve), rapporteuse de minorité. Nous sommes tous sensibles à la question de l'emploi...
Des voix. Oh !
Mme Vesca Olsommer, rapporteuse de minorité. Il n'y a strictement pas de «oh» ! Nous y sommes tous sensibles, mais cela doit-il se faire au détriment de la zone agricole ? (Brouhaha.) On n'a pas encore la réponse à cette question.
Le déclassement de la zone agricole Compois/Reuters se justifiait, car Orbisphère était à la pointe de la technologie, et Reuters allait inonder Genève de son rayonnement. Allez-vous, à votre tour, nous parler du rayonnement du restoroute ?
Je souhaite revenir sur les contre-propositions décevantes de la Chambre d'agriculture qui favorise la politique du «coup par coup». Avec des partis minoritaires et le WWF, elle avait demandé le gel de tout déclassement jusqu'à la présentation du plan directeur.
Au stade de la pétition, il ne faut pas aborder le problème des compensations. Qu'importe pour eux qu'il y ait des compensations au déclassement à l'autre bout du canton. Ils défendent leur cadre de vie. Mais je ne veux pas que l'on dise qu'ils ne défendent que des intérêts personnels, car la protection de l'environnement et le maintien de la zone agricole représentent des intérêts généraux au même titre que la politique de l'emploi.
La Chambre d'agriculture fait une proposition intéressante en suggérant de présenter des produits du terroir dans le restoroute, mais les touristes, de retour du sud, auront surtout du chianti et de la mozzarella - le fromage préféré des Suisses - dans le coffre de leur voiture !
Une voix. Du fromage pourri ! Beurk ! Mozzarella, mozzarella, du fromage à piétiner !
Mme Vesca Olsommer, rapporteuse de minorité. J'en suis navrée ! Si une publicité en faveur des produits du terroir doit être faite, c'est avant tout auprès des gens du pays ! Nous devons acheter nos produits avec nos propres francs. L'intérêt économique serait beaucoup plus grand. L'office chargé de la promotion des produits genevois ne nous a pas communiqué de concept global. Il faudrait créer des marchés couverts à Genève, ce serait plus raisonnable que de compter sur les étrangers !
M. Claude Blanc (PDC). La tartufferie de certains orateurs m'oblige à prendre la parole ! (Exclamations.) Ce sont les mêmes qui s'efforcent, sur le plan fédéral, de ruiner l'agriculture suisse et qui se rendent à Ambilly et à Thoiry pour faire leurs achats. Tout en s'accrochant à la zone agricole, ils prétendent que l'agriculture doit s'aligner sur l'Europe ! Voulez-vous créer un Ballenberg genevois, Mesdames et Messieurs les députés, et vous promener dans une nature que vous n'êtes même pas disposés à entretenir en achetant des produits suisses ? Mme la rapporteuse de minorité, tout en reconnaissant que les gens préfèrent la mozzarella et le chianti, continue de défendre la zone agricole, entretenue par des paysans de plus en plus pauvres pour le simple plaisir esthétique et de la balade. Il faut en finir avec cette mauvaise foi ! D'une part, on ruine sciemment l'agriculture...
Une voix. Oh !
M. Claude Blanc. ...et, d'autre part, on veut à tout prix sauvegarder une zone agricole qui n'en est une que juridiquement. Comme l'a souligné la Chambre d'agriculture, ces terrains étaient des remblais dont on ne peut tirer aucun profit agricole. Je vous entends déjà réagir au terme «profit», car, si vous voulez des agriculteurs, vous leur refusez le droit de vivre de leur travail. Nous en avons assez de votre tartufferie, Mesdames et Messieurs les députés, il faudra enfin vous découvrir ! (Applaudissements de la droite.)
Mme Vesca Olsommer (Ve), rapporteuse de minorité. Je regrette beaucoup qu'on ait l'air de préférer le chianti et la mozzarella aux produits du terroir; ce n'est pas de la tartufferie ! (Brouhaha.) Il faut ouvrir plus de marchés à Genève pour valoriser les produits du canton. Ce n'est pas un bon calcul que de compter sur des étrangers !
Le président. Bien !
M. Max Schneider (Ve). Je ne souhaite pas répondre aux tartufferies de M. Blanc, car ce n'est pas par l'agressivité et en se moquant des préopinants qu'on arrive à faire passer son message !
Les écologistes peuvent en faire passer un, grâce à un mouvement qui se manifeste déjà en Suisse allemande : c'est le développement de l'agriculture biologique, dont les produits sont vendus dans les restaurants du lieu. Et dans le Tyrol autrichien, il existe un label, un trèfle à quatre feuilles, qu'on trouve dans tous les restaurants... (Brouhaha.) ...où l'on peut déguster les produits du terroir issus de culture biologique.
Voilà une chance pour Genève ! Le département de l'économie et le Service de l'agriculture se sont unis pour promouvoir un tel label, inutile donc de construire un restoroute pour cela ! L'argument tombe à moitié.
Lorsque vous traversez la Suisse par l'autoroute entre 1 h 30 et 5 h du matin, il est impossible de trouver un restoroute, un seul automate entre Saint-Gall et Genève pour boire un café ! C'est une des spécialités de notre pays ! C'est certainement une politique voulue par le Conseil fédéral, afin que les automobilistes quittent l'autoroute et aillent dormir dans les villages ou dans les villes. Un motel n'est donc absolument pas désirable.
En voyageant entre la France, l'Allemagne, le Luxembourg, on voit d'immenses surfaces douanières à l'abandon. Etant près d'une zone franche, on peut espérer qu'il en sera de même, on y construira alors ce restoroute ! En attendant, la zone agricole ne peut pas être déclassée si l'on s'en tient à l'article 4, alinéa 2, de Reuters : «Jusqu'à l'achèvement de la révision du plan directeur cantonal et de son chemin d'aménagement de l'espace naturel et rural, tout déclassement important de la zone agricole est suspendu. Demeurent réservés les projets et les procédures en cours.»
La loi s'applique aussi à ce projet, mais, quels que soient les événements, on pourrait envisager la construction de ce restoroute sur la surface actuelle de l'autoroute, en hauteur, sans empiéter sur les zones agricoles. Les pétitionnaires devraient être entendus de nouveau si ce projet devait être maintenu.
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Mme Charrière Urben parle de quelqu'un au gouvernement qui aurait «le feu quelque part.» A qui fait-elle allusion ? C'est déjà au début décembre 1993 que le contrat entre M. Quaglia et le département des travaux publics a été signé, le jour où le Conseil d'Etat actuel entrait en fonction. On ne saurait donc parler d'urgence !
Je peux vous rassurer au sujet des pressions hôtelières, je n'en ai subi aucune au sujet de l'emplacement de la plate-forme. Par ailleurs, je partage l'avis de certains d'entre vous : il faut plus d'hôtels à une ou deux étoiles. La situation monopolistique des grands favorise la stagnation des processus de développement et de modernisation pour atteindre des prix plus raisonnables.
En revanche, lorsqu'on parle d'un Bardonnex «ravagé» par les chantiers de l'autoroute, je ne suis pas d'accord ! Nous avons prévu une année de moins pour réduire les nuisances, et la commission, qui a contrôlé les travaux la semaine passée, n'a pas fait de constat aussi pessimiste.
Il a également été question des théories d'aménagement du territoire. Je vous rappelle que les thèses du développement durable comprennent quatre piliers : le respect de l'environnement, des personnes, de l'économie et de la durée. Ainsi, si l'on ne tenait pas compte des aspects financiers dans une décision aussi importante, on ferait fausse route.
Le choix de Bardonnex ne s'est pas fait au hasard, mais après une année et demie d'études. Les contacts avec l'Office fédéral des routes nous ont permis de constater que cette localisation figure dans le plan directeur. Auparavant, nous avions envisagé Ecogia, mais nous nous sommes heurtés à une farouche opposition de la commune de Versoix. De plus, ce n'était pas l'emplacement idéal pour des raisons de distance de la station de Bursins. Par la suite, nous avons envisagé Blandonnet. Or il ne s'agit pas de faire une station de prestige, mais une station à succès. Je n'en connais que deux en Suisse : celle de Saint-Bernard, sur l'autoroute du Valais, et celle de Pont-la-Ville, au-dessus du lac de Gruyères, dont le motel connaît un tel succès qu'il a été doublé récemment.
Nos relations avec la France par le biais du CFRG ont montré que nous nous trouvons dans un rapport de concurrence. En effet, si nous ne pouvons pas assurer une aire autoroutière chez nous, elle se fera certainement de l'autre côté de la frontière. Et le temps presse.
L'environnement de Bardonnex ne sera pas violemment touché par cette aire autoroutière. Une étude attentive de l'emplacement prévu indique que les bâtiments ne sont pas d'une qualité extraordinaire sur le territoire français. Plan-les-Ouates se trouve en retrait, cet emplacement reste donc envisageable.
Toutes les personnes compétentes et de milieux divers, consultées au sujet de Blandonnet, ont donné un avis franchement négatif : ce site manque d'attrait.
En revanche, une localisation proche de la frontière et de la plate-forme douanière offre plusieurs atouts, et l'intérêt manifeste de vingt-deux compagnies pétrolières - souhaitant prendre connaissance du cahier des charges - prouve qu'il est favorable de se trouver à l'entrée de la Suisse, contrairement à ce qui a été dit !
La pétition intervient un peu tôt, mais il est normal qu'une collectivité publique ait une idée de l'aspect urbanistique et financier, écologique et environnemental, ainsi que de sa rentabilité, avant de proposer un projet au Conseil d'Etat et au Grand Conseil. Des compensations de terre sont possibles.
Nous tenterons également d'attirer le plus possible d'étrangers par la promotion des produits du terroir. Il ne faut pas nous en vouloir, Madame Olsommer !
J'aimerais rappeler les préavis favorables à cette localisation : la commune de Bardonnex - il s'agit d'une résolution du Conseil municipal - l'Office des transports et de la circulation, la direction de l'aménagement du patrimoine et des sites du DTPE, la Direction des douanes, la Chambre genevoise d'agriculture et l'Office fédéral des routes. Comment pourrais-je contester la déclaration de la Chambre genevoise d'agriculture au sujet de la qualité des terres ?
Le message de la minorité est très sympathique, mais manque d'informations sur les véritables enjeux. Une telle installation coûte de 40 à 60 millions et ne peut être confiée qu'à une grande société. La Coopérative s'intéresse aussi à ce projet, elle ne juge donc pas cet endroit nul !
Le Conseil d'Etat a accepté le choix du site et, conformément à cette décision, le DTPE poursuit les études après avoir établi le cahier des charges de l'appel d'offres sous forme d'un concours. Ses objectifs sont de publier l'avis de préqualification maintenant, de remettre les dossiers aux groupes reconnus qualifiés dès la mi-septembre avec un délai de trois mois pour rendre leurs offres, de désigner le candidat retenu à fin janvier 1997 et d'engager les études d'impact sur l'environnement, ainsi que les procédures cantonales et fédérales pour recueillir leurs avis, faire le plein des oppositions et débuter les travaux le plus rapidement possible. La durée du chantier est évaluée à une année et demie.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.
Présidence de Mme Christine Sayegh, première vice-présidente