République et canton de Genève

Grand Conseil

P 999-B
a) la pétition d'Exit concernant une réforme de la loi sur la santé - testament biologique. ( -) P999
Mémorial 1995 : Lettre, 3369. Rapport, 3581. Dépôt sur le bureau, 3601.
Rapport de M. Henri Gougler (L), commission de la santé
PL 7252-A
b) le projet de loi de Mmes et MM. Nelly Guichard, Gilles Godinat, Liliane Johner, Dominique Hausser, Mireille Gossauer-Zurcher, Andreas Saurer, Janine Hagmann, Henri Gougler et Philippe Schaller modifiant la loi concernant les rapports entre membres des professions de la santé et patients (K 1 30). ( -) PL7252
Mémorial 1995 : Lettre, 3369. Projet, 3581. Commission, 3601.
Rapport de M. Henri Gougler (L), commission de la santé

4. Deuxième rapport de la commission de la santé chargée d'étudier :

En date du 22 juin 1995, le Grand Conseil, en séance plénière, décidait de renvoyer en commission le projet de loi 7252, complétant l'étude de la pétition 999, pour un nouvel examen et une refonte éventuelle.

Nous ne reviendrons pas sur la pétition 999, dont ce Grand Conseil avait, le même jour, décidé le dépôt sur le bureau à titre de renseignement. Nous renvoyons, pour tous détails, à notre rapport d'alors et au Mémorial no 30, du 22 juin 1995 (nuit), pour ce qui concerne les débats y ayant trait.

Rappelons simplement qu'il s'agissait d'un problème d'éthique pure et qu'un doute subsistait, à savoir s'il était vraiment idoine de légiférer sur ce point délicat, et, dans l'affirmative, de revoir le texte de loi proposé par la commission, qui paraissait peu clair et trop compliqué, pouvant conduire à des interprétations erronées.

Lors de ses séances des 24 novembre et 8 décembre 1995, la commission de la santé, sous la présidence de M. Andreas Saurer, président, a repris le problème à la base et l'a remis sur le métier. La discussion a porté tout d'abord (et à nouveau) sur le fait de légiférer ou non en ce domaine sensible de l'assistance en fin de vie et de l'éventuel acharnement thérapeutique. Après une discussion nourrie où les diverses sensibilités de chacun ont pu s'extérioriser, une majorité s'est dessinée en faveur d'un article de loi complétant la loi K 1 30, toutefois moins nettement que le 3 mars 1995. Au vote de principe, la décision de légiférer tout de même a été prise par 8 voix pour, 3 contre et 2 abstentions.

La suite des débats devait amener la commission à trouver un texte de base: nous avions à disposition l'énoncé proposé par le professeur Olivier Guillod, professeur à la faculté de droit de l'université de Neuchâtel et directeur de l'Institut du droit de la santé (annexe no 1) qui avait l'avantage d'être clair et concis et qui avait déjà servi de base à notre précédente discussion ayant abouti au projet de loi 7252. En outre, le président ayant mentionné le projet de M. Dominique Sprumont, également enseignant à l'Institut du droit de la santé de l'université de Neuchâtel (fax du 20 juin 1995 à la commisison, annexe no 2), celui-ci fut écarté car encore plus obscur et complexe que le premier projet de la commission.

Finalement, cette dernière se rallia à l'unanimité au fait de prendre le projet de M. Guillod comme base de travail définitive. Le débat se centra alors autour de ce dernier texte et donna lieu à une discussion nourrie et d'une haute tenue. Vu la jurisprudence actuelle, il ne parut pas possible de subordonner la volonté du patient à celle des proches et du médecin traitant. On arrive à la conclusion que l'avis du patient devait être rédigé et que s'il ne l'était pas, c'était l'éthique et la déontologie des professionnels qui tranchaient. Les directives écrites du patient décideraient en dernier ressort. L'euthanasie active ne serait pas concernée par ces directives anticipées car celle-ci est considérée comme un homicide volontaire par les articles 111 et suivants du CPS. Après un long débat sur les termes d'euthanasie passive et active, la commission hésitait à rajouter au texte de M. Guillod le fait que ces dispositions sont édictées en fonction de la législation actuelle et de la déontologie des professionnels de la santé. Cette adjonction parut finalement superfétatoire et fut abandonnée.

La discussion porta ensuite sur le fait que l'on ne peut résoudre tous les problèmes avec un texte de ce genre et que des zones grises subsisteraient toujours, impossibles à éliminer par une loi mais qu'un tel énoncé serait finalement d'un grand appui pour les jeunes médecins-assistants des hôpitaux, qui doivent pouvoir se baser sur quelque chose.

Finalement, tous les commissaires furent d'accord, une fois de plus, qu'il ne s'agissait pas d'un problème politique mais purement éthique. On apprend alors, de la bouche de M. Rodrik, qu'une commission d'éthique clinique est en train de se mettre en place mais qui serait plutôt destinée aux soignants qu'aux familles des patients (ces dernières pourraient y avoir recours par l'intermédiaire des médecins). Il y a donc un problème d'information, tout autant auprès des soignants que des patients, qu'il serait nécessaire d'approfondir.

La commission s'est alors penchée de plus près sur le texte du professeur Guillod, qui parut finalement le plus clair, le plus simple et le moins contraignant. Après plusieurs tentatives de modifications, la commission se rallia enfin à ce dernier, avec un seul amendement de M. de Tolédo, qui consistait à remplacer le terme «suivies» par «respectées».

Finalement, la commission accepta le texte suivant, qui viendrait s'intercaler entre les alinéas 2 et 3 de l'article 5 de la loi K 1 30:

«Les directives anticipées rédigées par le patient avant qu'il ne devienne incapable de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé s'ils interviennent dans une situation thérapeutique que le patient avait envisagée dans ses directives.»

Cela par 13 voix pour, 1 contre (L) et 1 abstention (L).

Bien entendu, tout en tenant compte des réserves concernant la déontologie, telles qu'elles ont été exprimées dans le présent rapport.

La commission, après ce gros travail, vous demande, en votre âme et conscience, de bien vouloir accepter ce projet de loi, mettant ainsi un terme à une équivoque qui n'a déjà que trop duré, sachant bien que tous les cas sont des cas d'espèce et que les zones dites grises subsisteront toujours.

Annexes: 1. Lettre du professeur Guillod.

 2. Lettre du professeur D. Sprumont.

ANNEXE 1

ANNEXE 2

Premier débat

M. Henri Gougler (L), rapporteur. Tout d'abord, je désire apporter une correction à la page 2 de mon rapport. Je cite : «On apprend alors, de la bouche de M. Rodrik, qu'une commission d'éthique clinique est en train de se mettre en place, mais qui serait plutôt destinée aux soignants...». D'après M. Rodrik, cette commission est déjà en place, mais elle fonctionne de manière imparfaite. Il m'a donc prié de le préciser.

Pour le reste, je vous renvoie à mon ancien rapport et au Mémorial relatif à cette longue discussion. Nous sommes encore une fois confrontés à ce problème d'éthique qui, comme le sujet que nous traitions tout à l'heure, concerne la sensibilité de chacun. Le débat de la commission a principalement servi à dire si on allait légiférer ou non. Finalement, la commission a pris la décision de légiférer, et nous avons fini par nous rallier au texte de loi du professeur Guillod qui n'est pas non plus tout à fait satisfaisant, et qui suscitera certainement des objections. Mais si on légifère, il faut avoir une base, et je pense que ce texte constitue la meilleure base possible.

Toutefois, le premier texte que nous avions proposé était plus confus, mais plus complet. Il permettait de régler certains problèmes qui nous concernent tous. Vous le constaterez dans la discussion qui s'ensuivra.

M. Pierre-François Unger (PDC). Depuis environ une dizaine d'années, Genève est dotée d'une excellente législation concernant les rapports entre soignants et patients. Cette législation existe sous forme d'une loi issue de l'initiative populaire 10. Un des axes les plus marquants de cette loi concerne le consentement éclairé du patient à tout acte de nature diagnostique ou thérapeutique.

Le projet de loi qui nous est soumis vise à compléter les dispositions actuelles de la loi par l'introduction d'un alinéa réglant le problème des directives anticipées.

En réalité, cet alinéa vise à permettre à chacun de choisir une mort digne et exempte de souffrance en cas de maladie incurable, et doit donc empêcher l'acharnement thérapeutique dans ce qu'il peut avoir de futile, mais également d'inhumain, voire de dégradant. Qui pourrait s'opposer à cela ?

Malheureusement, le libellé de ce projet de loi va beaucoup plus loin. On peut lire que les directives anticipées doivent être respectées dans toute situation thérapeutique que le patient aurait envisagée. Permettez-moi de vous donner, à la lumière de mon expérience, quelques exemples concrets qui vous démontreront l'erreur que nous ferions en adoptant ce texte tel quel.

Lorsque l'on demande à des personnes en bonne santé si, à la suite d'un accident, elles préféreraient mourir plutôt que de finir leur vie dans une petite chaise, beaucoup répondent qu'elles préféreraient mourir. Cette situation pourrait faire l'objet de directives anticipées qui imposeraient aux soignants de laisser mourir des patients accidentés, momentanément inconscients, atteints d'une paraplégie. Or, et celles et ceux qui connaissent le monde du handicap le savent bien, les paraplégiques, en général, ne désirent pas mourir. On peut même constater à quel point ils sont le plus souvent habités par un profond désir et une grande force de vivre. L'explication de ce phénomène est simple. L'image de la qualité de vie que se fait une personne en bonne santé n'est pas la même que celle qu'elle s'en fait lorsqu'elle est malade.

Ma pratique quotidienne m'amène à recevoir, chaque jour, deux ou trois patients qui ont commis des tentatives de suicide, dont une bonne part sont des adolescents. Beaucoup de ces personnes nous sont amenées portant sur elles une lettre d'adieu, parfois rédigée de telle manière qu'elle pourrait imposer des directives anticipées. A l'occasion d'une crise existentielle, certes grave mais le plus souvent réversible, devrions-nous réellement renoncer à toute prise en charge destinée à préserver la vie ?

Et enfin, voici deux ou trois ans, le législateur fédéral a introduit un article dans le code pénal concernant l'obligation pour chacun de porter assistance à autrui. Peut-on réellement condamner un soignant qui appliquerait ce que le droit exige de tout citoyen ? Pour moi-même, comme pour la très grande majorité d'entre vous probablement, le consentement du patient est la pierre angulaire de tout contrat de soins. Comme vous tous, je suis opposé à l'acharnement thérapeutique pour ce qu'il représente de vanité, de futilité et parce qu'il est contraire aux principes de bienfaisance. Mais la loi qui nous est soumise, partie d'un désir profond et sincère de permettre à chacun de mourir dignement, ouvre la porte à des contraintes qui se retourneraient rapidement contre ceux qui devraient en bénéficier.

Après avoir longuement hésité et renoncé à entrer en matière - je dis bien renoncer, et non pas refuser, la nuance est de taille - il me semble que les préoccupations de beaucoup de nos concitoyens concernant l'acharnement thérapeutique méritent de figurer dans la loi. La présence ostensible de la technique, parfois même son apparente suprématie, suscite une angoisse légitime d'être un jour la victime d'une lutte insensée pour conserver la vie à tout prix.

En revanche, il faut apporter des amendements au texte proposé pour limiter les zones grises auxquelles le rapporteur fait référence. Je commenterai ultérieurement mon amendement.

Mme Barbara Polla (L). Je ne m'exprime, ni au nom du parti libéral, ni au nom des commissaires de la commission de la santé, puisque la grande majorité a accepté le projet de loi 7252, mais en mon nom propre et au nom de ceux qui, nombreux, pensent que le sujet traité est trop lié à la sphère privée pour faire l'objet d'une loi. D'ailleurs, je m'étais déjà exprimée en ce sens lors du précédent passage de ce projet en séance plénière. A l'époque, j'avais, comme d'autres députés, favorisé son retour en commission, entre autres parce qu'il me paraissait important que nous reconsidérions l'opportunité de légiférer sur un sujet touchant aussi intimement la vie de chacun, et le rapport que chacun entretient avec la mort. Je reste convaincue que la relation soignant/patient est le meilleur garant d'une prise en considération optimale de la subtilité des facteurs en jeu, même si cette relation, soignant/patient, comme toutes les relations humaines, demeure imparfaite.

La responsabilité réciproque, générée par la relation patient/soignant, si imparfaite qu'elle soit, ne saurait être remplacée par une loi, ni par une responsabilité politique, car ce sont les patients et les soignants qui engagent leur responsabilité seule dans leur rapport à la vie, à la maladie et à la mort. D'une manière générale, cette volonté de substitution nuirait à la qualité de cette responsabilité. C'est une des raisons pour lesquelles je me suis opposée au projet de loi qui vous est soumis, et qui, par ailleurs, a été accepté par une large majorité, y compris au sein du parti libéral.

Une autre raison est la crainte de voir dévier ce que j'estime être la responsabilité première de tout soignant, à savoir de veiller au bien le plus précieux, soit la vie. Cette loi pourrait amener les soignants à se demander d'abord ce qu'ils ne doivent pas faire pour sauver une vie humaine, au lieu du contraire.

Pour illustrer ce propos, j'avais donné, en commission, l'un des deux exemples que vient de citer le docteur Unger, soit celui de l'adolescent suicidant, une réalité ô combien trop fréquente à Genève, pour évoquer le risque énorme que l'on prendrait à suivre des directives rédigées dans le désarroi le plus profond. J'avais également souligné le rôle, tout particulier, que pourrait jouer le médecin traitant en sa qualité de garant des directives anticipées.

Pour prévenir ces risques, j'avais présenté deux amendements en commission. Dans la mesure où ils avaient été rejetés par une quasi-unanimité, je n'avais pas l'intention de les présenter à nouveau en plénière, me ralliant à la majorité de mon groupe et à celle de la commission. Mais, dans la mesure où certains de ces arguments sont aujourd'hui repris et donnent lieu à de nouvelles propositions d'amendements, je les soutiens, quelle que soit leur provenance, puisqu'ils semblent pouvoir préserver la vie et la qualité de vie des personnes concernées.

M. Pierre Froidevaux (R). La grande majorité de la commission de la santé propose à notre Conseil d'adopter un nouvel amendement à la loi (K 1 30) qui règle les rapports entre les membres des professions de la santé et les patients. La modification de cette loi introduirait le principe du respect des directives anticipées au soir de la vie.

Parler de cette loi, c'est aussi parler du respect de la liberté individuelle. En la votant, nous améliorons et développons la liberté de la personne. J'avais déjà argumenté sur ce sujet lors du débat de préconsultation du 22 juin dernier, et je n'entends pas y revenir.

Par contre, deux points méritent d'être encore formalisés en plénière. Premièrement, est-ce le bon moment de légiférer ? Deuxièmement, le patient dépressif peut-il argumenter de cette loi pour mourir, ou introduisons-nous la notion d'euthanasie active de manière subsidiaire ?

Cette dernière situation est totalement exclue de ce projet de loi. Si la vie d'un patient est en danger, quelle que soit l'origine de ce péril, le médecin se doit d'intervenir au plus près de ses connaissances pour lui venir en aide, sinon il est punissable de non-assistance à personne en danger.

Par contre, si cette même personne reste handicapée et que son handicap est incompatible avec la vie, et si le patient ne peut s'exprimer, il est alors tenu compte de ses directives anticipées. Il y a une parfaite égalité de traitement pour l'ensemble des situations morbides, quelle que soit leur origine, un accident ou une maladie grave, y compris la dépression.

Reconnaître ces situations par un acte législatif est courageux, car la mort fait peur. La société construit maints barrages pour éviter d'être mise en face de cette réalité. La Tour de Babel moderne est devenue un puits de sciences. Les miracles sacrés se sont mués en miracles de la médecine, et je crains fort que ni les uns ni les autres n'existent.

Le moment est donc venu de respecter infiniment celui dont c'est le tour de passer dans l'intemporel. Quelles que soient les circonstances, le mourant est toujours terriblement seul. Personne ne peut se substituer à l'agonisant, ni le juger, ni être sûr de le comprendre. Il faut donc respecter sans réserve les conditions que certains se sont librement choisies. Cela contribue aussi à leur faire mieux apprécier la vie.

M. Gilles Godinat (AdG). Voici deux réflexions qui m'amènent à soutenir la solution adoptée par la commission, malgré la présence de cette zone grise, dont parle le député Unger. Je ne le suivrai pas dans son amendement sur le thème, d'une part, du devoir d'assistance du soignant et, d'autre part, de la capacité de discernement du patient.

Il me paraît restrictif de réduire le thème du testament biologique à la seule situation des fins de vie. Je cite la lettre du professeur Guillod, dans l'annexe, à la page 5 du rapport : «Mais on peut envisager d'autres situations où un patient aimerait faire connaître à l'avance ses choix thérapeutiques au cas où il viendrait à perdre le discernement.» En tant que psychiatre, je me sens particulièrement concerné par cette phrase, puisqu'il arrive que, dans certaines situations, je dois évaluer la capacité de discernement des patients qui expriment leurs volontés. Je vous assure que légiférer sur ce thème est extrêmement périlleux.

Il faut laisser au soignant une marge de manoeuvre pour l'appréciation de la capacité de discernement, car, dans certaines situations, un patient pense, en toute bonne foi, qu'il n'a plus d'avenir. Il se sent inutile. Il exprime des sentiments que nous, thérapeutes, devons interpréter en gardant toujours à l'esprit notre devoir d'assistance. Par contre, je tiens à respecter les volontés du patient, comme celle, par exemple, relative aux traitements neuroleptiques. Dans cette situation, il est nécessaire de donner un principe général, tout en sachant que la déontologie des professionnels doit être réservée.

J'ai écrit un amendement à ce propos que j'ai abandonné, car on m'a convaincu qu'il n'y avait aucune raison de le formuler dans la loi, puisque, de toute façon, il s'agit d'un acquis social, et que la déontologie des professionnels appartient à la relation du contrat de mandat. Par conséquent, on ne peut pas légiférer en la matière. C'est la raison pour laquelle je soutiens la proposition actuelle.

M. Philippe Schaller (PDC). J'approuve ce que vient de dire mon collègue Godinat, ainsi que le texte élaboré en commission qui nous a donné beaucoup de travail. Je pense qu'il faut raison garder, Mesdames et Messieurs les députés. Quel est le contenu de ce texte ? Il demande simplement que le patient soit entendu par une déclaration écrite pour prévenir le cas où, à la suite d'un accident ou d'une maladie, il perdrait durablement et de façon irréversible sa capacité de discernement et de décision.

Cette proposition permet de réaffirmer le consentement libre et éclairé du patient, le droit au libre choix, au libre arbitre, celui de rendre à l'intéressé le rôle actif qui lui revient, car force est de constater que, bien souvent, le premier concerné, celui qui est malade, est exclu du débat.

Comme l'a expliqué M. Godinat, il ne s'agit pas exclusivement d'un testament biologique, mais également d'un acte en faveur de certaines personnes se trouvant dans des situations bien précises, comme l'exemple de la psychiatrie qu'a donné M. Godinat, et non pas seulement celles concernant la fin de vie.

Par ce texte, il n'est nullement question de régler les problèmes liés à l'euthanasie. Je désire rassurer mon collègue Unger en lui disant que, malgré ce texte, le soignant garde toute sa marge de manoeuvre. La loi est claire en ce sens, et, notamment, l'article 27 du code civil suisse qui stipule l'interdiction légale d'aliéner sa propre liberté. Ainsi, le médecin garde sa liberté de décision par rapport à ses actes.

Sur le plan législatif, les situations d'urgence sont connues, et je ne pense pas qu'un jour un juriste prendra une décision contre la déontologie médicale, pour autant que certains critères soient respectés. Heureusement que les zones grises existent. Elles doivent être conservées, car on ne peut pas tout légiférer. A la demande des soignants, nous avons voté un projet de loi sur le consentement présumé, et nous allons faire acte en faveur des soignés et de la population qui font cette demande. Que nous légiférions à bon ou à mauvais escient, notre population veut que l'on respecte les droits de celui à qui on prodigue des soins.

Je vous encourage à voter l'article, tel qu'il vous est proposé par le projet de loi, sans amendement et sans changement.

M. Dominique Hausser (S). Les députés Froidevaux, Godinat et Schaller ont résumé les intentions de la commission de la santé; malheureusement, on ne peut pas en dire autant du rapport de M. Gougler. Les premiers ont présenté toutes les garanties sur la manière dont il faut lire le nouvel alinéa, tel qu'il ressort des travaux de la commission. Je vous rappelle que l'on a déjà fait un aller et retour en plénière. On parlait des premiers résultats des travaux de la commission de la santé et le Grand Conseil reprochait le fait que le médecin traitant était détenteur des directives anticipées.

Il est vrai que tout le monde n'a pas de médecin traitant. Et si la majorité de la population en a un, elle pourrait être amenée à en changer, ou à n'être pas en contact avec lui au moment où il serait nécessaire de prendre en considération des directives rédigées antérieurement.

C'est la raison pour laquelle, je vous recommande de voter le projet tel qu'il ressort des travaux de la commission et de ne pas entrer en matière sur l'amendement proposé par M. Unger.

M. Henri Gougler (L), rapporteur. Tout d'abord, le problème de l'euthanasie active est pendant devant le Conseil national, vu le postulat de M. Victor Rufy qui demande la légalisation de l'euthanasie. Pour l'instant, celle-ci dépend des articles 111 et suivants du code pénal et est considérée comme un homicide volontaire. Par conséquent, notre projet actuel n'a rien à voir avec l'euthanasie active.

La question principale, à savoir si on veut ou non légiférer dans ce domaine, a été posée et résolue en commission, mais pas dans cette docte assemblée. Si ce Grand Conseil décidait, ce soir, de ne pas légiférer, la discussion serait close ipso facto. Par conséquent, il est important de poser cette question et de se mettre d'accord sur ce texte. Je regrette - et je l'ai dit dans mon rapport, Monsieur Hausser - que nous n'ayons pas parlé du problème de la déontologie des soignants dans ce texte de loi, parce que l'on estimait que cela allait de soi.

Il me semble que l'on pourrait ajouter au projet actuel la conclusion du premier projet de loi, soit : «les principes déontologiques des professionnels de la santé sont réservés», dans tous les cas où un acharnement thérapeutique risque de se produire, ou dans des cas d'accident ou de suicide. Ceci permet aux professionnels de la santé de prendre une décision en leur âme et conscience. Mais, tout d'abord, il faudrait savoir si nous légiférerons ou non.

M. Andreas Saurer (Ve). Comme le disait tout à l'heure M. Schaller, sous certains aspects, ce projet de loi est le pendant du projet de loi précédent. Le projet de loi précédent a été élaboré, il est vrai, sous la pression du corps médical ou en tout cas d'une partie du corps médical. Ce n'est pas très surprenant, car c'est le corps médical qui intervient dans le domaine des transplantations d'organes.

Le projet de loi que nous avons ici, sous les yeux, est un projet de loi qui va dans la direction des patients et qui est le résultat du souhait d'un certain nombre de patients, et plus particulièrement de l'association Exit. Donc, pour moi, qui étais en faveur de la loi précédente, cette loi-ci et la loi précédente constituent une unité.

Cela étant dit, j'aimerais revenir sur les remarques de M. Unger et de Mme Polla. Je crois, en ce qui concerne l'intervention de M. Unger, qu'il faut quand même se rappeler que les directives ne sont pas écrites rapidement. Ce n'est pas un geste facile. Les personnes qui écrivent des directives le font, et jusqu'à maintenant la pratique l'a confirmé, après mûre réflexion.

Dans ce contexte, évidemment, nous ne pouvons pas assimiler une lettre d'adieu d'un adolescent suicidaire à une directive. Ce n'est pas la même chose. La directive demande, et l'expérience l'a montré, que cela se fasse après mûre réflexion. Maintenant, vous pouvez me dire : «Il y a des cas de doute où le médecin qui reçoit l'adolescent, qui a fait un tentamen, serait empêché de sauver une vie !». Il se posera alors la question : «Est-ce un acte précédé d'une mûre réflexion ou pas». Là, comme un préopinant l'a déjà dit, il y a l'obligation du médecin, selon la législation fédérale, de porter assistance. Donc, en cas de doute concernant la véracité, concernant la sincérité de la demande ou de l'écrit du patient, le médecin est toujours en droit de refuser ce texte et de prêter assistance au patient. Cela concerne cependant une situation très particulière, à savoir celle des personnes qui tentent de se suicider.

Maintenant, je crois - soyons honnêtes - que cette loi concerne essentiellement des personnes qui ont une maladie incurable, qui ont pu réfléchir longtemps à l'avance si elles veulent qu'on applique un certain nombre de mesures de réanimation ou pas, et c'est par rapport à ces situations-là que cette loi s'applique. Mais, je le répète, au cas où le corps médical, les professionnels de la santé ont des doutes concernant la sincérité de la déclaration qu'ils ont sous les yeux, ils ont le droit d'appliquer la législation fédérale qui les oblige de porter assistance. Donc nous nous trouvons clairement dans une zone grise où nous laissons un espace d'appréciation au corps médical.

Deuxième remarque par rapport à l'intervention de Mme Polla sur le fait de ne pas légiférer. C'est exactement le même discours que certaines personnes ont tenu par rapport aux droits des malades, à savoir l'accès aux dossiers, l'accès à l'information. Ce serait trop compliqué, et il ne faudrait pas légiférer. Je crois que nous avons bien fait de légiférer dans ce domaine, parce que, ce faisant, nous avons développé un certain nombre de principes. Ensuite, en ce qui concerne l'application précise du principe, c'est vrai, c'est une question d'appréciation clinique qui doit être faite par les professionnels de la santé. Il est donc important de légiférer dans le but, non pas de réglementer dans le moindre détail, mais de définir un certain nombre de principes.

Et pour terminer, je crois, comme disait M. Schaller, qu'il faut faire clairement la différence entre l'euthanasie active, interdite sur le plan pénal en Suisse, et ce que nous préconisons ici, que certains appellent l'euthanasie passive, ce qui signifie soulagement de la douleur, soulagement en fin de vie. Dans ce domaine-là, force est de constater qu'une partie du corps médical et une partie des institutions hospitalières ont une certaine difficulté à ne pas faire de l'acharnement thérapeutique.

C'est certainement une situation qui n'est pas courante, mais elle existe et, par rapport à cette situation-là, je crois extrêmement utile d'avoir une loi qui mentionne les directives anticipées et, dans ce sens-là, incite l'équipe soignante et les professionnels de la santé à respecter les désirs du patient. Je le répète : il y a des zones grises dans lesquelles les professionnels de la santé sont libres de prendre la décision que leur imposent leur déontologie et leur conscience. Pour cette raison-là, je vous demande de bien vouloir entrer en matière concernant ce projet de loi et de l'accepter tel quel, sans les amendements de M. Unger.

M. Bernard Lescaze (R). Le patient potentiel que je suis a des scrupules à prendre la parole après que tant de distingués médecins nous ont exposé leur point de vue sur le sujet.

En réfléchissant, je me demande s'il faut légiférer sur ces questions. Je réponds par l'affirmative, et la population, à juste titre, fait de même. Il est curieux de constater la différence fondamentale qui existe entre le projet de loi sur les dons d'organes, dont nous étions saisis tout à l'heure, les médecins approuvant tous ce don, tandis que les patients étaient plutôt réticents, et celui que nous traitons, où c'est l'inverse : les médecins sont réticents et les patients extrêmement favorables. Je désire vous en expliquer les raisons.

La relation de confiance qui devrait exister entre médecins et patients est bien la clef du problème. On est en droit d'attendre d'un médecin qu'il soigne son patient en entretenant avec lui des relations humaines. Sur ce plan, le patient et le médecin ont donc les mêmes droits.

Les rapports entre médecins et patients se sont profondément modifiés ces dernières années, en regard d'une tradition qui remonte à vingt ou vingt-cinq siècles. Pendant cette longue période, le médecin avait pour but premier de guérir le malade. Oserais-je dire qu'aujourd'hui le médecin insiste sur son rôle de prévention, allant presque jusqu'à soigner le bien-portant qui est un malade potentiel ?

Pour en revenir à ce projet de loi, nous ne craignons pas la mort. (Brouhaha. M. Lescaze répond à M. Dupraz.) Mais non, Monsieur Dupraz, chacun sait que la vie est une aventure dont on ne sort pas vivant ! (Rires.) Cela étant dit, les patients sachant qu'ils vont mourir demandent une mort très douce, car ils ont beaucoup plus peur de souffrir que de mourir.

Avec les méthodes thérapeutiques modernes et les moyens scientifiques dont disposent les médecins aujourd'hui, ils n'ont pas le droit de laisser leur patient souffrir. C'est pourquoi je vous invite à voter ce texte législatif nécessaire, sans amendement, et qui me paraît être le minimum acceptable.

Une voix. Bravo !

M. Nicolas Brunschwig (L). Si le député Lescaze ne m'avait pas coupé l'herbe sous les pieds, j'aurais été le premier «non-médecin» à s'exprimer ce soir. Il est important que les soignés disent leur sentiment à ce sujet. A cet égard, j'apprécie la belle unanimité de l'ensemble des intervenants en faveur du texte législatif, et je partage leur opinion. Ce sujet est beaucoup trop grave pour qu'on le laisse dans un flou plus ou moins artistique.

Ainsi, les quelques divergences qui apparaissent ce soir ne sont pas très importantes, et comme nous avons tous reçu la proposition du docteur Unger, il serait bon d'en discuter les deux points imprécis.

Soit, d'une part, cette zone grise dont je suis d'avis qu'il faut tout faire pour la définir dans l'intérêt du soignant et du soigné et, d'autre part, l'accord et la signature du médecin traitant. Ce dernier aspect ne me plaît pas, car la décision qui doit être prise reste individuelle et ne concerne que le futur malade potentiel. Il est bien entendu que ce dernier, dans la majeure partie des cas, s'entretiendra avec son médecin, mais c'est à lui seul qu'incombe la décision finale.

Je désire que le docteur Unger s'exprime sur ces deux éléments, afin que l'on trouve une solution satisfaisante qui permette de diminuer cette zone grise, handicapante pour le soigné et pour le soignant qui, parfois, devra prendre des décisions très rapides, selon les circonstances, à l'exemple des cas mentionnés par le docteur Unger.

Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Durant les vingt-cinq siècles évoqués par mon collègue Lescaze, patient potentiel tout comme moi, les malades se sont vu livrer aux mains toutes-puissantes des médecins qui, bien souvent, en savaient trop peu pour les soigner. Ce n'est que depuis le début de ce siècle qu'ils en savent un peu plus.

Ce projet de loi est l'aboutissement d'un long combat pour la reconnaissance du droit des patients dans un domaine qui nous concerne tous car, un jour ou l'autre, nous y serons confrontés, ou, peut-être, avons-nous déjà été touchés par la mort de nos parents ou de nos proches. Je pense qu'un avis laïc est bienvenu.

Ce projet de loi a le mérite de clarifier ce qui se fait sur le plan pratique depuis un certain nombre d'années, soit que le patient décide déjà de l'arrêt des soins, donc de sa mort. Mais l'absence de loi dans ce domaine laisse un certain trouble dans les rapports entre médecins et patients. Ce projet de loi clarifiera cette relation et conférera un droit au patient. La loi encadrera les rapports entre patients et médecins.

Il ne me paraît donc pas nécessaire d'apporter un amendement à ce projet pour répéter que cette loi se situe dans les limites de la déontologie, car la médecine est un des domaines où la déontologie est le plus affirmée. Si vous le jugez nécessaire, vous le voterez. Quant à moi, je ne le voterai pas, car je pense que cette loi a le mérite d'être très claire sur les droits du patient devant sa mort.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Permettez à une députée, non-membre de la commission qui a traité ce projet de loi, de prendre la parole et d'amener dans ce débat non seulement ses convictions mais aussi ses modestes expériences.

Permettez ainsi que je vous dise l'inquiétude qu'a suscitée la lecture du texte tel qu'il est proposé aujourd'hui.

Voilà un sujet délicat, difficile. Chacun l'appréhende avec ses convictions, sa sensibilité, ses vécus et, pour certains, leurs appartenances religieuses. Et les députés qui ont choisi de nous proposer aujourd'hui ce texte l'ont certainement fait après moult réflexions et avec beaucoup de profondeur. Ils ont ainsi rédigé une formulation qu'ils ont estimée juste et reflétant leurs discussions et les certitudes acquises au cours de leurs travaux.

Mais pour la personne qui découvre ce texte, sans connaissance de ce que les mots sous-tendent, la réaction ne peut être que l'inquiétude.

D'ailleurs le simple fait de pouvoir lire un article de loi différemment, selon que l'on a été ou non participant aux travaux de la commission, est déjà une preuve que le texte est sujet à interprétation. Et si de telles éventualités sont acceptables voire judicieuses dans certains domaines, lorsqu'il s'agit comme présentement, de vies humaines, de la «Vie», aucune interprétation ne peut et ne doit être possible.

Et le texte même du rapport l'avoue. Il reste et restera toujours des zones grises, des zones floues. Mais ces zones, Mesdames et Messieurs les députés, si on ne peut les éviter, alors elles ne doivent en aucun cas faire prendre un risque quelconque, elles doivent, au contraire, toujours donner sa chance à la vie. Et tel n'est pas le cas, dans cet article tel que formulé.

Permettez juste un exemple. J'ai le privilège - je suis en effet convaincue que c'est un privilège - d'avoir rééduqué et accompagné de nombreux jeunes para ou tétraplégiques. Souvent des motards, décidés à braver la mort le plus souvent possible. Mourir au guidon de leur machine ne les effraie pas.

Par contre, voilà une catégorie de population, j'en suis certaine, qui serait prête à donner des directives du genre : «Mourir plutôt que finir dans une chaise !».

D'ailleurs, Mesdames et Messieurs les députés, ne serions-nous pas nous-mêmes enclins à tenir ce même discours ?

Et avec l'application de cette loi, lorsque par malheur l'un de ces jeunes arrivera en urgence après un accident et avec de telles directives données antérieurement, il faudra ne rien entreprendre et laisser la mort faire son travail.

Et pourtant, je peux en témoigner ici, ils sont nombreux les jeunes en chaise roulante qui, même s'ils passent par des moments d'épreuves très difficiles et pénibles, attestent que la vie vaut toujours la peine d'être vécue.

Que l'on me comprenne bien. Je suis convaincue que toute personne qui est atteinte d'une maladie qu'elle sait incurable, évolutive, quelle qu'elle soit, a le droit de dire, au moment où elle le jugera opportun, qu'elle en a assez et qu'elle veut partir. En cela, ce projet a une base juste. Mais il faut impérativement éviter de laisser s'y infiltrer les situations d'urgence, d'imprévus, ou encore de tentamen.

J'ai entendu des députés dire, ça et là, que ces risques seraient tout à fait exceptionnels.

C'est peut-être vrai. Mais il n'y a dans ce domaine aucune approche quantitative admissible. Une seule vie que l'on aura laissé s'échapper, une seule vie que l'on aura dû laisser s'échapper à cause de l'application de cette loi, est un risque que personne n'a le droit de prendre.

C'est pourquoi je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à suivre l'amendement proposé.

M. Pierre-François Unger (PDC). Je désire remercier l'ensemble des intervenants qui ont apporté un éclairage différent au texte de loi proposé, que je n'avais pas vu dans le rapport.

A la demande de M. Brunschwig, je relirai et expliciterai mon amendement. Il s'agit de légiférer dans le domaine particulièrement sensible de l'acharnement thérapeutique, auquel MM. Froidevaux, Saurer et Lescaze ont fait référence. Je propose donc l'amendement suivant :

«Les directives anticipées rédigées par le patient concernant les dispositions à prendre pour lui assurer une mort digne et sans souffrances en cas d'affection incurable et d'atteinte irrémédiable à sa capacité de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé.»

Il n'y a donc pas d'opposition manifeste entre le voeu exprimé par ceux qui défendent l'actuel projet de loi et le libellé, tel que je vous le soumets. Cet amendement est complété par la phrase suivante :

«Ces directives doivent être signées par le patient et son médecin traitant.»

En réalité, l'amendement proposé poursuit trois objectifs. En premier lieu, il faut préciser que les directives concernent la notion d'acharnement thérapeutique, et donc de disposition de fin de vie, à laquelle mes préopinants ont fait référence, et non de n'importe quelle situation thérapeutique. Ce distinguo est essentiel.

En second lieu, le patient peut en tout temps renoncer au voeu qu'il aurait exprimé dans ses directives anticipées - c'est un principe général de notre culture et de notre législation, il en va de même pour notre testament - celles-ci ne pouvant revêtir un caractère obligatoire que si la capacité de discernement est irrémédiablement atteinte.

En troisième lieu, j'ai compris que M. Brunschwig n'était pas chaud. Toutefois, permettez-moi de vous expliquer pourquoi j'ai prévu cette co-signature du malade et de son médecin traitant, sur laquelle je suis d'accord de revenir, le cas échéant. Etant entendu que le consentement est un acte qui doit être éclairé, c'est-à-dire libre, sans aucune pression extérieure, et informé, il m'apparaît que les directives anticipées devraient revêtir les mêmes caractéristiques. C'est la raison pour laquelle je vous propose qu'elles soient contresignées par le médecin traitant qui, ainsi, s'engagera non pas sur le fait d'accepter ou non les directives mais sur la capacité de discernement de son patient au moment où il les a rédigées. Comment être sûr qu'elles n'ont pas été écrites sous l'emprise de l'alcool ou sous la contrainte. Malheureusement, j'ai déjà vu deux cas de ce genre.

Enfin, il est nécessaire d'appuyer ces directives par une information complémentaire donnée par une personne qui connaît le sujet, par exemple, un médecin, ou pourquoi pas un autre soignant, et qu'elle atteste de ce que le malade veut exactement dire dans ses directives. Voilà pourquoi j'ai pensé à cette double signature. Si cela vous paraît trop lourd, je suis prêt à y renoncer.

M. Pierre Froidevaux (R). Je plaiderai une dernière fois pour que les amendements du député Unger soient refusés et que le projet de loi soit voté, tel qu'il ressort de nos travaux en commission. Ces amendements qui représentent quasiment une révision complète de la loi expriment la crainte que les directives anticipées se réduisent à un papier trouvé au fond de la poche et sur lequel serait écrit : «Je veux mourir.»

Si un professionnel de la santé ne respecte pas cette volonté, il serait, d'après le député Unger, passible des tribunaux. C'est faux. Du point de vue juridique, les directives anticipées sont un mandat. Ce dernier est de même nature que celui qui s'établit lorsqu'une personne consciente vient demander une consultation en urgence. Les directives anticipées s'appliquent si cette même personne est devenue incapable de discernement et se trouve dans une situation qu'elle a elle-même prévue. Si cette personne a écrit qu'elle veut mourir et qu'il s'agit d'un processus morbide terminal, cette volonté doit être infiniment respectée.

Si cette personne exprime des idées suicidaires, le médecin, de ce fait, reçoit le mandat explicite de lui venir en aide. Certes, il est difficile pour des médecins en devenir d'évaluer correctement la nature du mandat qu'ils reçoivent de la part de leurs malades. Il est également vrai qu'aucun problème n'a été relevé par les pétitionnaires lorsque le mandat est accompli par le médecin traitant. Il faut donc que nos institutions publiques médicales abordent courageusement l'évaluation du mandat que les médecins reçoivent de leurs patients et qu'elles ne se retranchent pas systématiquement derrière des livres de science ou du juridisme, comme ce soir. Cela fait partie des droits du patient qui a aussi envie de sortir du puits de science pour rejoindre la liberté de notre humanisme.

M. Andreas Saurer (Ve). Permettez-moi de répondre brièvement à l'intervention de Mme Reusse-Decrey. Les situations que vous avez présentées ne sont, malheureusement, que trop courantes, et évidemment nous tous, nous nous sommes posé la question : «Que devons nous faire ?». Nous nous sommes posé cette question en commission. Nous l'avons posée, entre autres, au professeur Guillod, et sa réponse était parfaitement claire, à savoir que tout d'abord, comme je vous l'ai déjà dit, cette demande doit être écrite, et ce n'est pas un geste facile.

Maintenant, on peut dire, comme M. Unger, qu'il y a des gens qui écrivent ou qui signent sous l'influence de l'alcool, sous la pression des proches, et j'en passe. Mais quand nous nous trouvons dans une situation d'urgence et surtout - c'est absolument essentiel, je crois - au moment où les professionnels de la santé ont le moindre doute, comme je l'ai dit tout à l'heure, concernant la sincérité et la véracité de la déclaration, ils ont le droit, voire le devoir, comme le disait justement M. Froidevaux, de tout entreprendre pour sauver le patient.

Donc, c'est vrai, il y a une certaine zone grise où on peut, quand on reçoit une déclaration de ce genre-là, se poser la question de savoir si elle a été écrite dans des bonnes conditions. Mais je le répète, toutes les informations que nous avons reçues de la part de juristes quand même éminents, comme le professeur Guillod, étaient absolument formelles, à savoir qu'en cas de doute le médecin se plie à son devoir de sauver la vie. Je précise que la commission de la santé a été satisfaite de cette réponse.

Maintenant, il y a peut-être un autre problème. C'est vrai, ces directives anticipées impliquent que nous sommes d'accord sur le fait qu'une personne puisse accélérer sa mort. On s'approche de ce qu'on pourrait appeler le droit au suicide. Et là je suis tout à fait d'accord : l'on peut avoir des attitudes très différentes. Il est vrai qu'en légiférant en la matière, en formulant la loi telle quelle, en allant jusqu'au fond, cela signifie que nous acceptons, sous certains aspects, le droit au suicide.

Je comprends parfaitement bien que certaines personnes, ici présentes, ne sont pas d'accord avec ce droit. Personnellement, je pense que c'est un droit élémentaire que nous devons accepter dans la mesure où nous avons l'intime conviction que les personnes qui demandent de pouvoir le mettre en pratique le font après mûre réflexion.

Maintenant, je reviens aux amendements de M. Unger. Il y a deux différences fondamentales par rapport à notre formulation. D'une part, vous voulez limiter les directives anticipées au problème de la mort. Comme disait M. Godinat, les directives anticipées ne se réduisent pas uniquement aux situations juste avant la mort. Il y a aussi le problème des choix thérapeutiques; enfin, il y a un problème auquel nous sommes très sensibles, c'est le choix des traitements en psychiatrie. Vous savez peut-être que toute une série de personnes refusent catégoriquement l'administration des neuroleptiques. Nous pensons - en tout cas, moi je le pense - que dans la mesure du possible et dans certaines conditions, ce genre de souhait doit être respecté au nom du droit des malades. Donc, cela ne me semble pas acceptable de réduire la portée de cette loi exclusivement à la situation juste avant la mort.

Ensuite, en ce qui concerne le médecin traitant, Exit, lui-même, demande qu'un double de la déclaration soit déposé chez le médecin traitant. C'est une pratique courante; en ce qui me concerne, j'ai plusieurs déclarations de ce type et je ne pense pas être le seul.

Donc, généralement dans la pratique, le médecin traitant intervient. Maintenant, j'estime qu'il n'est pas juste de vouloir mettre le patient sous la tutelle du médecin traitant. Le patient doit avoir la liberté de déposer ou de ne pas déposer le double de sa déclaration auprès du médecin traitant. Donc, je ne suis pas d'accord que l'on fasse figurer cette notion dans le projet de loi pour que cela devienne une obligation. Pour ces motifs, je vous demande de bien vouloir accepter la loi telle qu'elle est proposée par la commission de la santé.

M. Henri Gougler (L), rapporteur. Je reviens sur ce que j'ai dit tout à l'heure et, pour calmer certains intervenants, je réitère ma proposition d'ajouter à la fin du texte proposé, sans tenir compte de l'amendement de M. Unger, que les principes déontologiques des professionnels de la santé sont réservés. Nous l'avons dit en commission et nous en avons discuté, mais il faut le redire pour que tout le monde soit content. Cela nous permettra d'agir d'une façon plus nuancée. (Brouhaha.) Je suis prêt à déposer cet amendement.

Le président. Vous êtes prêt ou vous le déposez ?

M. Henri Gougler, rapporteur. Si vous pensez que c'est implicite, je ne le dépose pas !

Le président. Ce n'est pas à moi de le dire, Monsieur le député. Ah, vous ne le déposez pas !

M. Henri Gougler, rapporteur. Non !

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Article unique (souligné)

 Article 5, alinéa 3 (nouveau, les alinéas 3 à 6 anciens devenant les alinéas 4 à 7)

Le président. Je mets aux voix l'amendement de M. Unger rédigé en ces termes :

«3Les directives anticipées rédigées par le patient concernant les dispositions à prendre pour lui assurer une mort digne et sans souffrances en cas d'affection incurable et d'atteinte irrémédiable à sa capacité de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé. Ces directives doivent être signées par le patient et son médecin traitant.»

Cet amendement est rejeté.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). L'amendement proposé par M. Unger a été rejeté, mais, pour ma part, je demeure convaincue que le texte de loi présente des risques considérables. D'ailleurs, il est intéressant d'entendre M. Froidevaux faire l'éloge de la liberté individuelle, tout en disant que lorsqu'il sera confronté aux directives d'un patient annonçant sa volonté de mourir, il lira «qu'il s'agit d'un appel au secours». Il se donne donc plein pouvoir sur l'interprétation des directives.

Par conséquent, je présente un autre amendement, déposé sur le Bureau et cosigné par MM. Dupraz et Unger. Tout en reprenant la première partie de l'amendement précédent, il élimine la seconde phrase qui gêne aussi MM. Brunschwig et Saurer, soit : «Ces directives doivent être signées par le patient et son médecin traitant.» L'idée est de laisser la liberté au seul patient.

Le texte de l'amendement est le suivant :

«Les directives anticipées rédigées et signées par le patient concernant les dispositions à prendre pour lui assurer une mort digne et sans souffrances en cas d'affection incurable et d'atteinte irrémédiable à sa capacité de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Mis aux voix, l'article 5, alinéa 3 (nouveau, les alinéas 3 à 6 anciens devenant les alinéas 4 à 7) est adopté.

Mis aux voix, l'article unique (souligné) est adopté.

Troisième débat

Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue :

(PL 7252)

LOI

modifiant la loi concernant les rapports entre membres des professionsde la santé et patients

(K 1 30)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi concernant les rapports entre membres des professions de la santé et patients, du 6 décembre 1987, est modifiée comme suit:

Art. 5, al. 3 (nouveau, les al. 3 à 6 anciensdevenant les al. 4 à 7)

3 Les directives anticipées rédigées par le patient avant qu'il ne devienne incapable de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé s'ils interviennent dans une situation thérapeutique que le patient avait envisagée dans ses directives.

P 999-B

Le Grand Conseil prend acte que le projet de loi 7252-A répond à la pétition 999-B.

Cette pétition est close.