République et canton de Genève

Grand Conseil

I 1952
16. Interpellation de Mme Elisabeth Reusse-Decrey : Fonds saisis du narco-trafic : seraient-ils convoités par d'autres ? ( )I1952

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Le 26 mai 1994, notre Grand Conseil votait, intelligemment et en toute conscience, un projet de loi sur la création d'un fonds destiné à la lutte contre la drogue et à la prévention de la toxicomanie. Ce fonds devait être alimenté par la moitié des sommes saisies du narco-trafic.

Dès son dépôt, ce projet a été combattu par le Conseil d'Etat et par M. Ramseyer tout particulièrement. C'était de bonne guerre : dans un débat, il y a les pour, il y a les contre. Mais aujourd'hui, le débat est clos. Le projet a été voté à une très large majorité, ceux qui s'y opposaient ont perdu et doivent, aujourd'hui, accepter leur défaite.

Or, que se passe-t-il ? Comme l'a développé M. Schneider, on essaie - tant du côté du pouvoir judiciaire que du côté du département de justice et police - de récupérer une partie des montants prévus dans la loi. Quelle était la volonté du législateur ? C'est la question que certains ont osé poser récemment au Bureau du Grand Conseil. Pourtant, cette volonté est inscrite dans la loi. Pas question de soustraire quoi que ce soit - frais de police, d'enquêtes, de téléphone, de timbres et autres - comme certains, semble-t-il, tentent de le faire. Le texte est clair, la loi doit être appliquée.

Et il est surprenant de devoir en arriver à une interpellation pour que les lois, votées par les députées et députés, soient appliquées.

Tout cela est d'autant plus étonnant que M. Bertossa affirmait lui-même en commission, le 3 février 1994, qu'il n'existait aucun lien entre le travail fourni et les montants des fonds confisqués.

Autre point préoccupant : on nous affirme que seuls quelques centaines de milliers de francs ont été saisis en 1995, alors que, depuis plusieurs années, les montants se chiffrent en millions. Cette diminution nous étonne et j'aimerais recevoir des précisions de la part de M. Ramseyer.

Enfin, au printemps prochain se tiendra à Lisbonne une conférence internationale, organisée par le Conseil de l'Europe, sur le sujet «Drogue, développement, interdépendance». Lors de la réunion préparatoire à Strasbourg, le mois dernier, il a été prévu de citer la loi genevoise comme étant un projet exemplaire. Nous devrions donc être fiers que Genève soit ainsi mis en évidence. Or, nous risquons de faire mauvaise impression si nous devions avouer aux Etats-parties que si Genève possède en effet une loi exemplaire dans le texte, le gouvernement et la magistrature se débrouillent pour la vider de sa substance.

Par conséquent, je demande à M. Ramseyer ce qu'il «mijote» quant à l'application de cette loi.

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. D'entrée, je précise qu'en date du 11 octobre le Conseil d'Etat a écrit à Mme Françoise Saudan, alors présidente du Grand Conseil, la lettre suivante :

«Madame la présidente,

»Par lettre du 12 septembre 1995, M. Bernard Bertossa, procureur général, nous a transmis l'avis de la commission de gestion, selon laquelle il conviendrait de soustraire des montants confisqués les frais de procédure ayant conduit à la confiscation. S'agissant d'un sujet délicat, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous faire part de la volonté du législateur.

»En vous remerciant, etc.»

Nous n'avons pas encore reçu de réponse à cette lettre qui a pour but de nous renseigner sur la volonté du législateur, mission, Madame la députée, qui est la vôtre également.

Il y a ensuite la remarque de M. le Procureur général Bertossa : «Il n'y a aucun lien entre le travail et le résultat.» En effet, des enquêtes coûteuses, parce que nécessitant des commissions rogatoires, des frais de traduction, des interventions de police, peuvent échouer, alors qu'un travail réduit peut déboucher sur de bons résultats. C'est dans ce sens que M. le Procureur général s'est exprimé. J'insiste sur le fait que M. le Procureur général, en intervenant, n'a fait que respecter la volonté de la commission de gestion.

Si vous faites des calculs, vous constaterez qu'il n'est pas question de vider le projet de loi de sa substance. Je n'ai jamais caché que je n'étais pas d'accord avec ce projet, mais, comme il a été accepté, on fait avec.

Quand on parle de ressources, parle-t-on de ressources brutes ? En d'autres termes, M. le Procureur général a relevé que, pour l'année 1995, en matière de drogue et sur les dossiers pour lesquels nous escomptons ou avons déjà obtenu certains succès, nous avons dépensé 121 000 F de commissions rogatoires, 86 000 F de traduction, 64 000 F d'écoutes téléphoniques et 19 000 F d'expertises, sans parler des autres frais.

Dès lors, est-il normal de dire au Palais de justice que le produit de son travail sera réparti et attribué partiellement à d'autres activités, mais qu'en plus il devra conserver par-devers lui le coût des charges nécessaires pour obtenir ce résultat ? J'estime, pour ma part, que nous avons toujours parlé de ressources nettes, n'ayant jamais vu que l'on puisse répartir des ressources brutes !

Si vous estimez devoir aggraver le résultat du projet de loi en voulant priver le Palais de justice de ses ressources, tout en le faisant garder par-devers lui, à sa charge, les frais d'obtention desdites ressources, libre à vous de le dire, c'est votre droit le plus strict ! Quant à moi, je rejoins l'avis de M. le Procureur général. Les ressources impliquent des charges, et la répartition ne peut avoir lieu qu'une fois ces charges soustraites du produit.

J'insiste aussi sur le fait que ce projet de loi comporte un plafond et un plancher. Par conséquent, que vous déduisiez ou non les charges, le montant attribué, indépendamment des ressources, est le même. Il y a des années où ce montant sera moindre et, alors, la répartition sera autre.

Comme je l'ai dit à un autre intervenant, il est des années creuses et des années fastes. A ce jour, 1995 n'est pas une année faste, mais nous avons de bons espoirs pour d'autres années. Ce sont des affaires de très longue haleine, une question de travail, une question de suivi.

Voilà, Madame la députée, ce que j'avais à vous dire. Puisque nous avons requis l'avis du législateur, que celui-ci s'exprime ! Nous nous inclinons sportivement et avec fair-play devant ce projet de loi. Cela ne modifie pas notre opinion et sur lui et sur une simple réalité comptable que tout un chacun peut comprendre.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Pour moi, M. Ramseyer, l'année la plus faste sera celle où il n'y aura plus de narco-trafic.

Je souhaite rappeler que le projet de loi, déposé et signé par tous les partis de ce Grand Conseil, précisait que la totalité des sommes saisies devait être affectée à un fonds. Après de longues discussions en commission, nous avons trouvé un accord. Conscients du travail de la magistrature et des moyens qui lui étaient nécessaires, nous avons décidé de lui laisser la moitié de ces sommes et de verser l'autre au fonds, avec une répartition sur deux départements et un plafonnement à 3 millions de francs. Nous estimons avoir fait notre part et tenu compte du travail fourni par la justice. Dès lors, la volonté du législateur est parfaitement claire.

J'ai une dernière question. Monsieur Ramseyer, vous dites que le législateur doit se prononcer. De mon côté, j'ai entendu dire que c'était à la commission des finances de le faire, alors qu'il me semble plus judicieux que ce soit la commission judiciaire.

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Il incombe au Bureau de votre Grand Conseil de décider à qui attribuer cette réflexion. En l'état, je n'ai pas d'autre renseignement à vous donner.

Cette interpellation est close.