République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1021
10. Proposition de motion de Mmes et MM. Roger Beer, John Dupraz, Marie-Françoise de Tassigny et Michèle Wavre relative à la concrétisation de l'initiative populaire IN 105 "Pour l'emploi, contre l'exclusion". ( )M1021

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que l'initiative 105 «Pour l'emploi, contre l'exclusion» comporte un nombre considérable de propositions;

- qu'une large discussion s'est développée pour déterminer si l'initiative était recevable;

- que cette large discussion a davantage porté sur des questions de forme que sur des questions de fond;

- qu'au cours des débats parlementaires, le Conseil d'Etat a estimé que l'initiative n'était pas recevable à la forme, mais que, sur le fond, une majorité des propositions faites étaient réalisables ou en cours de réalisation;

- que le Grand Conseil a décidé que l'initiative n'était pas recevable à la forme;

- qu'il est difficilement acceptable qu'une initiative populaire, traitant du problème no 1, le chômage et l'exclusion, soit rejetée pour des motifs de forme, sans véritable débat sur le fond;

- qu'il est important que, sans attendre la décision du Tribunal fédéral sur la forme, une discussion parlementaire s'engage sur le fond sans tarder davantage,

invite le Conseil d'Etat

à présenter au Grand Conseil les différents projets de lois mettant en oeuvre les propositions de l'initiative qui lui paraissent, juridiquement et politiquement, réalisables.

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'initiative populaire 105 «Pour l'emploi, contre l'exclusion» comporte un nombre considérable de propositions différentes, portant sur la politique économique du canton, les mesures d'encouragement à l'emploi, la lutte contre le chômage et l'exclusion et la réforme de la fiscalité.

Dès le départ de l'initiative et durant tous les travaux de la commission législative, un large débat s'est engagé pour savoir si l'initiative était recevable et si elle répondait aux conditions formelles (unité de la matière, unité de la forme, unité normative) et aux conditions matérielles (conformité au droit fédéral et exécutabilité).

Contrairement aux conclusions de la commission législative - qui recommandait de déclarer nuls les points 5.1, 5.2, 11.1 et 11.2 de l'initiative et de scinder les propositions restantes en trois volets déclarés recevables -, le Grand Conseil a décidé, lors de sa séance du jeudi 21 septembre 1995, que l'initiative était irrecevable.

Dans de larges milieux, dépassant les milieux syndicaux à l'origine de l'initiative, cette décision du parlement a suscité de vives réactions: il est en effet difficilement acceptable qu'une initiative populaire, portant sur le problème no 1 du canton, le chômage et l'exclusion, soit rejetée pour des motifs de forme, sans véritable débat sur le fond.

Etant donné que, durant les débats du Grand Conseil, le Conseil d'Etat a déclaré que, si l'initiative n'était pas recevable à la forme, la plupart des propositions étaient réalisables ou en cours de réalisation, il paraît important que le gouvernement dépose rapidement - sans attendre le jugement du Tribunal fédéral sur la recevabilité - les projets de lois mettant en oeuvre les propositions de l'initiative qui sont, juridiquement et politiquement, réalisables.

Tel est le but de cette motion que nous vous demandons de bien vouloir accepter, Mesdames et Messieurs les députés, afin que le débat de fond sur la lutte contre le chômage puisse enfin s'engager.

Débat

La présidente. A ce sujet, M. Bernard Lescaze nous avait posé une question, hier, concernant cette proposition de motion. Je tiens à informer ce Grand Conseil que j'avais été avertie du dépôt de cette motion le 27 septembre. Le 28 septembre nous en avons parlé au Bureau, et c'est à cette date que la décision a été prise.

Mme Michèle Wavre (R). Permettez-moi, tout d'abord, de vous remercier, ainsi que le Bureau, d'avoir fait diligence dans cette affaire, vu l'urgence de cette motion. Elle doit se comprendre comme un geste de paix et de conciliation.

Lors de sa dernière séance du mois de septembre, le Grand Conseil a déclaré l'initiative 105 irrecevable. Plusieurs d'entre nous se sont sentis frustrés, pour ne pas dire plus, et cela pour, au moins, deux bonnes raisons :

1) En premier lieu, parce que l'initiative 105 traite de problèmes cruciaux, tels l'emploi et l'exclusion. Ce sont des problèmes si importants qu'on ne peut pas les traiter légèrement.

Les initiants proposaient de nombreuses solutions, trop peut-être, ce qui a sans doute effarouché un certain nombre de députés qui se sont sentis agacés - c'était aussi mon cas - par le caractère hétéroclite de cette initiative. Il faudrait, une fois pour toutes, que les initiants comprennent qu'il vaut mieux proposer un projet clair et simple s'ils veulent le voir aboutir. La complexité de l'IN 105 lui a certainement nui, mais les propositions qu'elle contenait étaient intéressantes.

L'Etat était invité à sauvegarder les emplois existants ou à favoriser la création de nouveaux emplois, à soutenir les entreprises de toutes les manières possibles, à veiller à la promotion économique régionale. Il devait encourager la création d'emplois, répondant aux besoins sociaux qui évoluent constamment, et soutenir les petites et moyennes entreprises. A ce sujet, je viens d'apprendre récemment que la Banque cantonale compte, dans un proche avenir, porter un accent marqué à ce soutien.

L'initiative proposait également des mesures fiscales et voulait encourager la formation, la formation continue et le recyclage professionnel, ainsi que la limitation du temps de travail.

En ce qui concerne l'exclusion, l'initiative proposait des occupations temporaires et la réinsertion des sans-emploi. Elle voulait également faciliter le premier emploi des jeunes.

Enfin, les initiants réclamaient une réforme de l'office cantonal de l'emploi qui, me semble-t-il, est en voie d'achèvement.

Mesdames et Messieurs les députés, je ne vois dans ce programme aucun point qui n'ait été approuvé par tous les partis politiques, par toutes les formations de ce Grand Conseil.

Dans son rapport du 1er mars 1995, le Conseil d'Etat se montrait prêt à entrer en matière à propos des suggestions des initiants. D'une manière globale, le Conseil d'Etat ne rejetait pas l'initiative, se contentant, d'une part, de demander sa scission en plusieurs objets pour la sauver et, d'autre part, d'émettre quelques craintes quant à sa réalisation finale. Il indiquait même à la page 5 : «Certains thèmes se rapportent à des domaines qui font déjà l'objet d'actions prioritaires de la part du Conseil d'Etat» et en donnait des exemples.

2) En second lieu, parce qu'on ne peut pas balayer un texte soutenu par plusieurs milliers de citoyens. Le Tribunal fédéral, dans une jurisprudence constante, recommande de faire tout ce qui est possible pour sauver une initiative.

Je vous rappelle, à ce propos, l'initiative sur les transports publics, lancée dans les années 70 et comportant dans ses invites la gratuité totale des transports publics. Il était alors exclu pour le Grand Conseil d'accéder à ce souhait, mais tout a été fait pour sauver le restant de l'initiative. C'est à cette occasion que le constitutionnaliste Jean-François Aubert a prononcé sa célèbre phrase : «In dubio, pro populo», voulant dire par là que, lorsqu'un certain nombre de personnes soutiennent une initiative, il faut tout tenter pour la sauver.

M. Christian Ferrazino. T'as relu le Mémorial du mois dernier !

Mme Michèle Wavre. Non, Monsieur Ferrazino, ma culture est plus élevée que cela ! Il y a longtemps que je connaît cette sentence. J'ai aussi fait du droit, notamment du droit romain. J'ai même été l'élève de M. Aubert. Voyez, j'ai été très bien instruite !

M. le conseiller d'Etat Maitre, dans son intervention du mois de septembre dernier, avait déclaré que l'initiative était surtout critiquable quant à sa forme et non pas tant quant à son contenu. Par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, les motionnaires demandent que les différentes propositions intéressantes, réalisables juridiquement et politiquement, contenues dans cette initiative, soient reprises sous forme de projets de lois et soumises au Grand Conseil par le Conseil d'Etat.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je tiens d'abord à remercier nos raisonnables collègues radicaux qui nous permettent de revenir sur un sujet qu'ils avaient eux-mêmes contribué à rejeter, il y a moins d'un mois. Ce n'était pas n'importe quel sujet, puisqu'il s'agit du chômage.

Cette motion doit être examinée sous plusieurs aspects, j'en relèverai principalement deux : le premier est le traitement que l'on inflige aux droits populaires; le second, le constat établi par les radicaux - et que nous partageons amplement, d'ailleurs - que trop peu de mesures ont été prises à ce jour pour enrayer le chômage.

1) Les droits populaires et le droit d'initiative en particulier.

Je pense qu'il est inutile de revenir longuement sur la façon avec laquelle vous, Mesdames et Messieurs de l'Entente, les avez traités, il y a quelques semaines. Il est plus intéressant de voir comment les traiter aujourd'hui. On méprise des initiants et plus de dix mille citoyens, sous le prétexte d'une absence d'unité de matière, alors même que deux avis de droit divergent sur cette appréciation.

Sous le couvert d'obscures questions de délais, on met purement et simplement une initiative à la poubelle, sans même avoir pris la peine d'en consulter ses auteurs. Après cela, à la surprise générale semble-t-il, on s'étonne que les initiants réagissent fortement et que l'opposition fasse recours. A ce moment-là, on se dit que, peut-être, on y est allé un peu fort et qu'il faudrait rattraper ce qui peut l'être encore !

Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas très sérieux ! Nous qui sommes très attachés aux droits populaires et favorables à leur extension, plutôt qu'à leur diminution, cette manière de faire nous choque profondément. Telle est notre réaction au procédé employé.

2) Le problème du chômage revient au centre du débat, grâce à cette motion, ce dont nous vous sommes reconnaissants.

Le groupe radical s'est distingué de la position très ferme de ses collègues de l'Entente. Il est vrai que notre canton a le triste privilège d'être en tête du peloton, en ce qui concerne le taux de chômage. Il est indéniable qu'il faut faire quelque chose de plus. Je ne veux pas dire par là que rien n'a été fait; que cela soit bien clair !

Vous avez dit vous-même, Monsieur Maitre, lorsque vous avez proposé le rejet de l'initiative, qu'un certain nombre de propositions sont déjà réalisées, d'autres sont en cours de réalisation et d'autres encore sont en traitement devant la commission de l'économie. Il serait donc judicieux de faire une synthèse :

a) de ce qui est fait;

b) de ce qui va être fait;

c) de ce qui pourrait encore être fait.

Voilà l'analyse qui pourrait être conduite sur la base de cette motion, et c'est le sens que nous lui donnons. C'est dans cette perspective que nous pourrions accepter de la renvoyer en commission. Mais, car il y a un "mais" que nous vous proposons sous la forme d'un amendement. Nous ne pouvons accepter que ce soit le Conseil d'Etat qui décide quelles sont, juridiquement et surtout politiquement, les propositions réalisables.

Nous vous proposons donc la suppression des mots «juridiquement et politiquement». L'invite aurait ainsi la teneur suivante :

«à présenter au Grand Conseil les différents projets de lois mettant en oeuvre les propositions réalisables de l'initiative.».

La présidente. Madame Fabienne Bugnon, pouvez-vous me faire parvenir votre amendement ? Merci.

M. Pierre-Alain Champod (S). Nous avons pris connaissance avec intérêt de cette motion et nous avons l'impression qu'une partie de la droite regrette sa décision du mois précédent et qu'elle essaye de récupérer cette affaire. Le fait que nous soyons en période électorale n'y est sans doute pas pour rien !

Si une partie de la droite trouve l'initiative «Pour l'emploi, contre l'exclusion» tellement intéressante, pourquoi ne l'a-t-elle pas votée, il y a trois semaines ? Il aurait été plus simple de voter le texte signé par plusieurs milliers de personnes, plutôt que de présenter une motion, aujourd'hui, pour en récupérer quelque chose.

Quant au fond, on a aussi l'impression que, sur les bancs de la droite, chacun essaie de se passer comme une "patate" trop chaude la responsabilité du refus de cette initiative. Si les radicaux, qui semblent regretter en partie leur décision, n'ont pas voté notre texte, peut-être faut-il en chercher la cause dans leur obéissance au grand parti frère, je veux parler des libéraux ?

M. John Dupraz. Tu te sens bien ?

La présidente. Monsieur Dupraz, s'il vous plaît ! (Brouhaha.)

M. Pierre-Alain Champod. Si ce n'est pas pour obéir aux ordres du grand parti frère, c'est peut-être par soumission au Conseil d'Etat monocolore. (Rires.) Ce sont les deux seules hypothèses envisageables !

Le problème du chômage étant un sujet important, cette motion peut présenter un intérêt, mais pas avec le texte tel qu'il nous est présenté. Nous soutiendrons l'amendement que vient de déposer Mme Bugnon, mais, pour notre part, nous en proposerons un autre. Il nous semble effectivement qu'on ne peut pas simplement demander au Conseil d'Etat de répondre à ce qu'il estime important : il est encore nécessaire de lui imposer un délai de réponse, sinon il y a de fortes chances pour que cette motion sombre dans les tiroirs, avec toutes celles dont on n'attend toujours la réponse depuis longtemps ! Notre règlement précise que le Conseil d'Etat doit répondre dans les six mois. Or, vous avez tous reçu, au mois de septembre, un petit fascicule bleu mentionnant les objets en suspens, dans lequel figurent plus d'une centaine de motions, datant de plus de six mois, qui attendent toujours d'être traitées par le Conseil d'Etat.

De plus, l'amendement proposé par Mme Bugnon permettra au Conseil d'Etat de répondre à l'ensemble des points de l'initiative. Un des points faibles de cette motion radicale tient au fait que vous n'avez pas vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les motionnaires, procédé au choix des propositions de l'initiative, parmi toutes celles présentées, auxquelles vous souhaitiez que le Conseil d'Etat réponde.

Si cette motion est renvoyée telle quelle au Conseil d'Etat, on peut craindre de n'obtenir que la réponse habituelle de M. Maitre, c'est-à-dire que tout ce qui est intéressant est déjà fait et que ce qui n'est pas fait est juridiquement impossible à réaliser !

L'amendement que je vous propose consiste à rajouter au début du texte de l'invite la phrase suivante :

«à présenter au Grand Conseil, d'ici au 23 juin 1996, ...».

La suite reprend le texte amendé par Mme Bugnon.

Nous avons simplement repris le délai fixé dans l'initiative, car nous continuons à penser qu'elle était réalisable tant par son contenu que pour les délais de réalisation.

La présidente. Monsieur Champod, ayez la gentillesse de me faire parvenir votre amendement !

Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Les raisons qui ont conduit les motionnaires à déposer cette motion ont suscité beaucoup de discussions dans les chaumières. Nous serons donc plusieurs socialistes à nous exprimer sur cette question.

Beaucoup d'entre nous pensent que les raisons de la reprise par une partie du groupe radical du contenu de l'initiative populaire «Pour l'emploi, contre l'exclusion» sont limpides. Nous sommes au mois d'octobre, en pleine période électorale, et l'issue des débats du Grand Conseil sur l'initiative 105... (M. Dupraz interpelle l'oratrice. Rires.)

Monsieur Dupraz, cela suffit ! (Rires.) ...l'issue des débats concernant cette initiative n'allait pas laisser les électeurs indifférents. Le groupe radical l'a bien compris ! C'est tout à son honneur. Mais, en définitive, il s'agit quand même d'une manoeuvre de récupération.

C'est le 22 septembre, au moment des débats, qu'il fallait défendre l'initiative et dire que son contenu était indispensable à la mise sur pied du traitement social du chômage et de son mode de financement, ainsi que d'une politique économique cohérente.

C'est le 22 septembre dernier qu'il fallait défendre le rapport de la commission législative au sein de laquelle vous êtes représentés. C'était à cette date qu'il fallait sortir du bois, quitte à vous désolidariser du reste de la droite, y compris démocrate-chrétienne, mais vous ne l'avez pas fait, par réflexe protectionniste des autres partis de l'Entente, par rejet systématique de tout ce qui est soutenu par la gauche genevoise, par suspicion de toute initiative syndicale.

Or, subitement - j'ai entendu dire, en effet, que cette motion a été déposée dans l'agitation la plus extrême et que les téléphones ont été vifs pendant la nuit - changement de cap ! (Protestations.) Brusquement, il doit être tenu compte des propositions contenues dans l'initiative pour peu qu'elles soient «juridiquement et politiquement réalisables». Ainsi les motionnaires reconnaissent son importance, mais posent déjà des conditions quant à son repêchage.

La réponse est claire, Mesdames et Messieurs les députés. La commission législative a statué sur les points qu'elle estimait «juridiquement» acceptables. Quant à ceux «politiquement réalisables», je m'étonne de votre candeur et partage l'avis de M. Champod. Le chef du département de l'économie publique va vous répondre qu'il a déjà réalisé tout ce qui était possible et que le reste est irréalisable ! (Rires.)

En conséquence, les conditions fixées par les motionnaires dans leur invite ne sont ni utiles ni acceptables, aux yeux du groupe socialiste. Soit on s'incline devant le fait que dix milles électeurs et électrices du canton de Genève se sont déclarés en faveur des mesures contenues dans l'initiative, soit on prend le risque, sur le plan électoral aussi, de les envoyer "paître". Mais il n'est pas correct de détourner leur volonté au bénéfice de stratégies électoralistes.

Le groupe socialiste tient pourtant à vous rappeler que nous ne pouvons pas faire l'économie - quel euphémisme ! - d'un débat sur les mesures que l'Etat devrait prendre en période de fort taux de chômage et de difficultés économiques. Ce débat a été escamoté par des arguties juridiques malvenues. Le Grand Conseil genevois ne peut pas écarter les préoccupations de plus de dix mille Genevois et Genevoises qui ont soutenu le dépôt de cette initiative populaire, manifestant ainsi leurs inquiétudes et souscrivant, en tout ou partie, aux mesures proposées par la Communauté genevoise d'action syndicale et le Syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs.

Tant les mesures économiques à prendre que le traitement social du chômage, la formation et le perfectionnement professionnel sont des questions complexes, mais essentielles en période économique difficile. Cette complexité ne doit pas servir de prétexte pour refuser vos responsabilités. Le parlement a le devoir de les traiter et de décider des orientations qu'il entend donner au gouvernement. Il n'est pas sain que le parlement se cantonne dans un rôle de faire-valoir. Tout cela est implicitement admis par les motionnaires, qui ont rouvert le débat sur l'initiative 105, même si la fébrilité caractérisée de ce mois d'octobre y est pour quelque chose.

Les problèmes sociaux qui frappent l'ensemble des chômeuses et chômeurs, les incertitudes menaçant l'ensemble des travailleurs et des travailleuses de ce canton, les difficultés économiques que rencontrent de plus en plus d'entreprises méritent une attention particulière, mais, surtout, des solutions. Le groupe socialiste veut que les propositions de l'initiative «Pour l'emploi, contre l'exclusion» soient «juridiquement et politiquement» sauvegardées. Il les défendra jusqu'au bout. C'est la raison pour laquelle il soutiendra les amendements déjà présentés ou en voie de l'être.

M. Bernard Annen (L). Vous conviendrez, Madame Fabienne Blanc-Kühn, que, même si un certain nombre de propositions sont fort intéressantes, d'aucuns ne soient pas nécessairement d'accord avec vous, et qu'il puisse, au moins, y avoir une discussion à cet égard. On ne va pas rouvrir le débat de l'initiative 105, parce que nous allons recommencer les mêmes discours et passer le même nombre d'heures à traiter de cette question, comme lors de notre dernière séance.

Mesdames et Messieurs, je crois que cette motion n'est pas suffisante pour fixer une mission au Conseil d'Etat. En effet, on nous a dit qu'un certain nombre de projets étaient en cours d'étude au sein du département et que d'autres propositions n'étaient pas conformes au droit supérieur, car elles étaient déjà traitées par des lois ou des ordonnances fédérales. Il y en avait beaucoup, puisqu'on en a dénombré quelque quarante-sept.

Cela étant, nous avons décidé de vous proposer également des amendements pour, d'une part, corriger quelque peu l'invite de cette motion et, d'autre part, en rajouter une seconde.

La première invite modifiée se lirait comme suit :

«à présenter au Grand Conseil des projets de lois concrétisant les propositions de l'IN 105 qui sont juridiquement réalisables et politiquement opportunes.».

Nous proposons de rajouter la seconde invite suivante :

«à faire rapport au Grand Conseil sur les propositions de l'IN 105 qui sont déjà concrétisées par la pratique, les lois ou règlements cantonaux, les lois ou les ordonnances fédérales.».

Dans ces conditions, nous accepterons de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. Christian Ferrazino (AdG). Je ne peux résister au plaisir de dire quelques mots sur ce mea culpa radical préélectoral !

Madame Wavre, je vous ai entendue. Je sais que vos amis sont courageux, mais pas téméraires : ils préfèrent vous laisser aller au front pour justifier cette motion. On avait eu le plaisir de vous entendre en commission législative où vous aviez tenu un discours parfaitement partagé par l'alternative, et c'est la raison pour laquelle vous vous étiez abstenue sur le vote concernant l'initiative. Vous partagiez, en fidèle élève du professeur Aubert que vous êtes, Madame Wavre, le point de vue que nous défendions également, à savoir que cette initiative devait être déclarée recevable. On avait rendu hommage à votre perspicacité, car, malgré toutes les pressions dont vous faisiez l'objet, vous aviez continué à soutenir cette thèse qui était bien sûr la bonne.

Il est regrettable que, notamment, des candidats au Conseil national - qui devraient faire preuve de courage et qui signent des motions - n'arrivent pas à les défendre eux-mêmes et vous laissent aller en première ligne alors que vous-même aviez tenu le discours adéquat qui aurait dû amener votre groupe à soutenir l'initiative des syndicats. Enfin, Monsieur Dupraz... c'est une autre question ! (Protestations.)

Cela étant, on ne peut pas accepter que, par le biais de cette motion, on puisse indirectement ratifier cette décision d'invalidation, éminemment contestable, prise par ce parlement et d'ailleurs contestée par les syndicats eux-mêmes. Si nous acceptions cette motion telle quelle, cela reviendrait, en effet, à confirmer indirectement la décision d'invalidation votée par ce parlement il y a un mois.

Pour cette raison, nous soutiendrons les deux amendements déjà présentés. Je ne parle pas, bien sûr, des amendements de M. Annen ! Il a d'ailleurs oublié de nous dire s'il était sérieux quand il les formulait ! Je pars de l'idée que c'était le cas, mais alors il ne doit pas se faire beaucoup d'illusions sur les retombées de ses amendements. C'était une manière élégante pour lui de ne pas rejeter d'emblée cette motion. Il la vide ainsi encore davantage de son sens.

Je parlais des deux amendements sérieux qui ont été présentés, l'un par les "Verts", l'autre par le groupe socialiste. Le premier nous propose d'enlever l'expression «juridiquement et politiquement». Cela fait sourire M. Maitre parce que c'est bien la manifestation d'une certaine vérité.

Si le Conseil d'Etat devait présenter des projets juridiquement réalisables, il aurait beaucoup de peine, parce qu'à entendre les représentants des partis de l'Entente, au niveau cantonal il n'y a pas grand-chose de juridiquement réalisable. On comprend mieux peut-être l'inactivité du Conseil d'Etat dans certains domaines, notamment peut-être dans celui-ci, mais nous sommes d'un avis contraire et nous pensons que la compétence cantonale nous donne des possibilités d'intervention bien plus étendues que certains veulent bien l'admettre.

Nous sommes prêts à soutenir aussi bien l'amendement des "Verts" que celui des socialistes, puisqu'il faut quand même donner un délai. On sait bien qu'on n'est pas toujours pressé, sur les bancs du Conseil d'Etat, pour réaliser des projets de ce genre. Donc, c'est la moindre des choses de fixer une limite dans le temps.

Pour clore cette série d'amendements, nous présentons le nôtre, pour être sûr que, selon l'expression de la volonté du parti radical et pour reprendre les termes de Mme Wavre, la volonté populaire soit véritablement bien respectée. In dubio, pro populo, Madame Wavre ! Traduisons cela en français ! Nous invitons simplement le Conseil d'Etat :

«à présenter au Grand Conseil un projet de loi mettant en oeuvre toute l'initiative.»

Un projet de loi suffit, point n'est besoin d'en faire trop, Monsieur Maitre ! (Protestations.)

L'initiative, vous l'avez reconnu, se disait exhaustive en matière d'emploi. Nous allons voir de quel côté vous penchez, si vous êtes pour ou contre l'emploi ! Nous vous proposons de vous déterminer sur cette question non pas par un mea culpa radical, mais à la suite d'un débat de fond.

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Quelques informations dans le contexte de la motion...

La présidente. Monsieur le conseiller d'Etat, je suis navrée de vous interrompre, mais il paraît que M. Dupraz avait levé la main et que nous ne l'avions pas vu. J'aimerais mieux que vous terminiez, peut-être...

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Ah, je me réjouis d'écouter M. Dupraz !

La présidente. Merci de votre obligeance !

M. John Dupraz (R). Si le groupe radical a déposé cette motion, c'est parce que nous avons estimé que les problèmes du chômage et de l'exclusion étaient trop importants pour qu'on continue à lui réserver le même sort que le 22 septembre. Certainement nous avons commis une erreur ce jour-là...

Une voix. Mea culpa !

M. John Dupraz. Il n'y a que ceux qui ne font rien qui ne font pas d'erreur ! Je trouve un peu curieux, alors que nous essayons de réengager le débat, dans cette enceinte, pour lui trouver une solution raisonnable et pour tenir compte de ces importants problèmes, que l'on trouve toutes sortes d'excuses pour discréditer notre démarche, en disant qu'on fait tout cela à cause des élections. Voyez-vous, Monsieur Ferrazino, le "rut électoral" ne m'a jamais atteint ! (Hilarité et applaudissements.) Elections ou pas élections, j'ai toujours dit ce que je pensais, j'ai toujours fait ce que je disais et je ne changerai pas !

D'autre part, sachez une chose, Monsieur Champod, vous qui dites que nous avons obéi à nos cousins libéraux ou au gouvernement monocolore, dans ma famille nous vivons selon la règle de la démocratie : tout le monde commande, personne n'obéit ! Je n'ai jamais obéi à personne, et je continuerai ainsi !

Nous avons présenté cette motion pour calmer le jeu. Les réactions des initiants étaient significatives puisqu'ils ont été, semble-t-il, jusqu'à occuper le bureau du conseiller d'Etat chargé du département de l'économie publique. On ne peut pas, dans ce canton, vivre dans une situation conflictuelle. Notre parlement, à l'exemple du mode de vie de notre canton, a toujours recherché la concertation et a montré sa volonté de trouver des compromis. C'est dans ce sens que nous vous proposons cette motion, sans prétention aucune.

Parmi les amendements proposés, nous accepterons ceux de M. Annen, ainsi que celui présenté par le parti socialiste, parce qu'il me semble important de fixer un délai, afin que le Conseil d'Etat ne nous réponde pas dans deux ans, mais aussi rapidement que possible.

Voilà dans quel l'esprit nous avons déposé cette motion, en signe d'apaisement et pour faire avancer les choses.

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Dans le contexte de cette motion, permettez-moi de vous donner quelques indications sur les contacts qui ont eu lieu depuis la décision de votre Grand Conseil.

Le 25 septembre, le Conseil d'Etat a rencontré une délégation du comité d'initiative 105 qui nous a transmis deux propositions : d'une part, traiter de manière spécifique le problème des occupations temporaires cantonales dans la perspective de la nouvelle loi sur l'assurance-chômage; d'autre part, de traiter, de manière concertée, les questions liées plus globalement à la politique économique.

Nous avons eu l'occasion d'écrire, le 2 octobre 1995, à la Communauté genevoise d'action syndicale pour lui faire des propositions concrètes dans ce sens. Cela ne signifie pas que nous soyons d'accord sur toutes les propositions de fond, mais nous sommes, au moins, d'accord d'en débattre. De tels débats sur certains points - évidemment pas pour l'ensemble - ont d'ailleurs déjà lieu dans le cadre du conseil de surveillance du marché de l'emploi.

A propos de la motion proposée, il est permis de dire ceci : l'initiative est composée d'un certain nombre de volets; une partie de ses propositions est d'ores et déjà concrétisée par la pratique cantonale, soit qu'elle est développée sans aucun texte soit qu'elle est l'accomplissement de textes de droit cantonal ou encore de droit fédéral. Nous sommes, dans le sens évoqué par Mme Bugnon, absolument d'accord de faire rapport sur ce qui correspond effectivement à la pratique.

Sur un certain nombre de points, l'objectif de l'initiative était de demander, en quelque sorte, une codification de la pratique. C'est un problème qui peut être examiné. Il n'est pas toujours nécessaire de mettre dans des textes ce qui se fait en réalité mais, parfois, si cela peut lancer un débat qui, le cas échéant, permet d'avancer : pourquoi pas ? C'est une possibilité.

Sans rouvrir le débat qui fut sensible à cet égard, l'initiative présente un certain nombre de points qui sont déjà couverts par le droit fédéral. Dans certains cas, les problèmes ont donc déjà été résolus par le droit supérieur, dans d'autres, les propositions sont incompatibles avec lui. C'est un autre domaine, et il est possible de l'identifier clairement.

Enfin, restent les propositions incontestablement nouvelles. Deux hypothèses de travail s'ouvrent : il existe des propositions avec lesquelles le gouvernement n'est pas d'accord, et il vous le dira de manière que s'engage un débat ouvert qui nous permette de trancher; il en existe d'autres avec lesquelles le gouvernement est d'accord, et il est prêt à les concrétiser, notamment à la suite d'une discussion avec les organisations syndicales et patronales, parce que cela doit être réalisé dans le cadre d'une concertation tripartite pour avoir véritablement la possibilité d'avancer. Dans ce contexte, le Conseil d'Etat est prêt à accepter cette motion.

Que faut-il faire des amendements ? Je retiens le sérieux de certains. Celui de M. Ferrazino est assez étonnant qui demande de concrétiser toute l'initiative par une seule et même loi. Je vous trouve imprudent, Monsieur Ferrazino, parce que vous êtes en train de démontrer, de façon magistrale, la grande faiblesse de l'initiative, du point de vue de l'unité de la matière. C'est à peu près comme si vous nous demandiez de faire en une seule et même loi ce qui aujourd'hui s'inscrit, en gros, dans les deux tiers du recueil systématique des lois cantonales. C'est un joli exercice ! Mais vous démontrez ainsi que vous n'avez manifestement pas l'intention d'aboutir.

La présidente. Nous allons passer au vote sur les amendements qui nous ont été proposés.

Nous allons d'abord voter sur l'amendement déposé par M. Christian Ferrazino qui vise à remplacer le texte de l'invite par celui-ci :

«à présenter au Grand Conseil un projet de loi mettant en oeuvre toute l'initiative.».

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cet amendement est rejeté par 45 non contre 38 oui.

La présidente. Je mets aux voix l'amendement présenté par Mme Fabienne Bugnon, dont la teneur est la suivante :

«à présenter au Grand Conseil les différents projets de lois mettant en oeuvre les propositions réalisables de l'initiative;».

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cet amendement est adopté par 41 oui contre 39 non.

La présidente. Nous passons à l'amendement de M. Pierre-Alain Champod, dont la teneur est la suivante :

«à présenter au Grand Conseil, d'ici au 23 juin 1996, ...».

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

La présidente. Nous passons enfin aux amendements de M. Annen. Compte tenu du vote de l'amendement de Mme Bugnon, nous ne voterons pas sur la proposition de modification de la première invite. Nous allons voter sur la proposition d'adjoindre une seconde invite à la motion, dont la teneur serait la suivante :

«à faire rapport au Grand Conseil sur les propositions de l'IN 105 qui sont déjà concrétisées par la pratique, les lois ou règlements cantonaux, les lois ou les ordonnances fédérales.».

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mise aux voix, cette motion ainsi amendée est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

motion

relative à la concrétisation de l'initiative populaire 105«Pour l'emploi, contre l'exclusion»

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que l'initiative 105 «Pour l'emploi, contre l'exclusion» comporte un nombre considérable de propositions;

- qu'une large discussion s'est développée pour déterminer si l'initiative était recevable;

- que cette large discussion a davantage porté sur des questions de forme que sur des questions de fond;

- qu'au cours des débats parlementaires, le Conseil d'Etat a estimé que l'initiative n'était pas recevable à la forme, mais que, sur le fond, une majorité des propositions faites étaient réalisables ou en cours de réalisation;

- que le Grand Conseil a décidé que l'initiative n'était pas recevable à la forme;

- qu'il est difficilement acceptable qu'une initiative populaire, traitant du problème no 1, le chômage et l'exclusion, soit rejetée pour des motifs de forme, sans véritable débat sur le fond;

- qu'il est important que, sans attendre la décision du Tribunal fédéral sur la forme, une discussion parlementaire s'engage sur le fond sans tarder davantage,

invite le Conseil d'Etat

à présenter au Grand Conseil, d'ici au 23 juin 1996, les différents projets de lois mettant en oeuvre les propositions réalisables de l'initiative;

à faire rapport au Grand Conseil sur les propositions de l'IN 105 qui sont déjà concrétisées par la pratique, les lois ou règlements cantonaux, les lois et les ordonnances fédérales.