République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 9 juin 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 8e session - 28e séance
P 1062-A
Rapport de Mme Michèle Wavre (R), commission des pétitions
Le 12 janvier 1995, votre Grand Conseil a reçu la pétition ci-dessous concernant la crèche Grain de Ciel qui visait à obtenir la reconnaissance de cette crèche privée comme institution et à lui accorder les autorisations nécessaires à son exploitation.
La commission des pétitions s'est réunie sous la présidence de Mme Liliane Johner les 27 mars et 10 avril 1995 afin de procéder à l'audition des pétitionnaires et du service de protection de la jeunesse. Elle a ensuite voté ses conclusions le 8 mai 1995.
PÉTITION
concernant la crèche Grain de Ciel
Madame la Présidente,Mesdames etMessieurs les députés,
Grain de Ciel est une crèche privée, ouverte depuis deux ans.
Actuellement nous remplissons toutes les directives énoncées par la conseillère d'Etat Mme Martine Brunschwig Graf pour l'obtention de l'autorisation.
A ce jour on peut constater que le service de la protection de la jeunesse (SPDJ) tarde à nous l'accorder.
D'une manière manifeste, le SPDJ freine le développement de la crèche en décourageant les parents, la commune et les autres institutions d'accueil d'y envoyer des enfants.
La situation est critique: ne touchant aucune subvention, le fonctionnement de la crèche dépend uniquement des pensions payées par les parents.
Le système d'accueil à la carte, souple, original et novateur, pratiqué à la crèche Grain de Ciel, particulièrement bien adapté à la période de restriction budgétaire que nous vivons à l'heure actuelle, respecte l'ordonnance fédérale sur le placement d'enfants (OPE) sans créer pour cela des dépenses supplémentaires à l'Etat.
Lors d'une visite effectuée à la crèche le 15 novembre dernier, le service d'évaluation des lieux de placements (ELP) «positivement impressionné» par notre travail et le bien-être des enfants a donné verbalement des assurances pour l'octroi de l'autorisation.
Malgré cette promesse, le SPDJ a averti des parents qui se renseignent au sujet de la crèche Grain de Ciel qu'ils peuvent y placer leur enfant, «à leurs risques et périls».
Nous constatons que l'administration, tout en ralentissant les procédures d'autorisations, tient un double langage: le département de l'instruction publique, par le biais du SPDJ, et le département des travaux publics et de l'énergie (DTPE), en infligeant une amende de 20 000 F totalement injustifiée, après avoir donné un permis de construire.
Il est regrettable, pour les enfants que la crèche accueille, que ce projet tourne court. Ils seront les premiers pénalisés.
Nous demandons au Grand Conseil de réagir auprès du Conseil d'Etat, afin de briser le carcan qui a été instauré autour de la crèche, et l'accepter à part entière comme institution respectable et respectée.
Audition de la commission
Bien que l'annonce de la prochaine délivrance de l'autorisation d'exploitation de la crèche Grain de Ciel ait été annoncée dans les journaux, M. Elyahu Dror, administrateur de ladite crèche, a maintenu sa pétition. Lors de son audition, il a relaté ses difficultés avec l'office de protection de la jeunesse qui rechignait à lui accorder une autorisation tant qu'il n'avait pas effectué certains travaux d'aménagement jugés indispensables dans ses locaux et engagé une directrice pourvue des diplômes exigés. Pendant plusieurs mois, son entreprise, qui ne bénéficie pas de subventions, ressortissait à la catégorie de «l'accueil familial». Les choses se sont gâtées lorsqu'il lui a donné le nom de crèche, car ce type d'institution est soumis à des règles de contrôle et de fonctionnement stricts, sous la surveillance de l'office de la protection de la jeunesse. Les représentantes de ce dernier lui ont rapidement signifié l'interdiction d'exploiter son entreprise sous le nom de crèche et lui ont suggéré de faire une demande pour une famille d'accueil, jugeant son «programme pédagogique» (voir annexe) plutôt léger et ses locaux partiellement non conformes à la réglementation en vigueur.
Le pétitionnaire soupçonne l'office de protection de la jeunesse de s'acharner contre lui pour d'obscurs motifs et qu'en détournant directrices potentielles et parents intéressés de son établissement, on tente de l'étouffer financièrement.
Le pétitionnaire souligne qu'en raison de la crise économique, il a mis en place un système à la carte permettant aux parents de placer leurs enfants de 7 heures du matin à 7 heures du soir de manière irrégulière suivant leurs besoins. Le personnel lui paraît étoffé puisqu'il comprend, outre la directrice diplômée, à qui devrait être accordée l'autorisation, une aide, deux stagiaires et lui-même. Il est évident que le directeur, également cuisinier et jardinier, assume seul beaucoup de tâches, ce qui permet à cette crèche qui accueille régulièrement une douzaine d'enfants de fonctionner sans subvention. Il estime qu'une partie de l'hostilité que semble lui manifester l'office de protection de la jeunesse provient du fait qu'en ouvrant sa crèche, il aurait démontré qu'un semblable établissement peut fonctionner à des coûts bien inférieurs à ceux des crèches officielles (18 employés à la crèche de Pré-Picot, selon lui). Divers renseignements sont également donnés concernant le programme pédagogique.
Le 10 avril 1995, la commission des pétitions a procédé à l'audition de Mme Jacqueline Horneffer, directrice de la protection de la jeunesse, à qui elle a fait part de sa perplexité. La directrice, après s'être demandé si la commission des pétitions avait vraiment encore besoin d'explications puisqu'une autorisation provisoire avait été accordée le 6 avril 1995 à M. Elyahu Dror, s'est ensuite retranchée derrière l'application des règlements en vigueur. Il était nécessaire d'obtenir un changement d'affectation des locaux puisque le chalet dans lequel est installée la crèche est également le logis principal de M. Dror. Il fallait ensuite s'assurer de l'agrément du département des travaux publics et de l'énergie pour la sécurité et la salubrité. Enfin, il fallait vérifier la question du personnel qualifié requis puisque l'exploitant n'avait pas les diplômes nécessaires.
L'exploitation de cette crèche s'étant poursuivie indûment, il a fallu mettre M. Dror à l'amende. La Protection de la jeunesse constate d'ailleurs que l'exploitant a beaucoup de peine à garder du personnel qualifié auprès de lui.
La commission, s'étonnant de la rigueur avec laquelle semble être traité M. Dror, la directrice de l'office de protection de la jeunesse souligne que tous ceux qui s'occupent à titre onéreux d'enfants sont soumis à surveillance. On ne saurait considérer de la même manière une maman de jour, autorisée à prendre cinq enfants au maximum, y compris les siens, et une garde d'enfants sans autorisation, ce qui lui paraît inacceptable.
Pour la Protection de la jeunesse, la crèche Grain de Ciel ne répond pas aux prescriptions de base concernant la salle à langer ou le personnel, par exemple. Il manque de personnel diplômé stable, ce qui est capital pour des enfants ayant besoin de références fixes.
Répondant à plusieurs questions des commissaires concernant les normes d'encadrement, la directrice de l'office de protection de la jeunesse précise que les lois demeurent floues à ce sujet, se contentant de préciser qu'il faut un «personnel suffisant». A Genève, des normes ont été établies en fonction de l'âge des enfants. Elles sont identiques, selon elle, à celles du Pays de Vaud ou à celles des pays voisins. Un commissaire s'étonne de cette réponse, tant il paraît évident que le coût par enfant d'une crèche est inférieur en France voisine par exemple. Certaines grandes banques ont renoncé à ouvrir des crèches en partenariat avec la Ville tant les coûts induits par les normes genevoises paraissaient exorbitants.
Pour le reste, la directrice de l'office de protection de la jeunesse répond d'une manière très retenue, presque réticente aux questions des commissaires concernant la délivrance des autorisations (aucun certificat de bonne vie et moeurs n'est exigé) la viabilité de crèches privées n'étant pas au bénéfice de subventions, les questionnaires d'évaluation présentés aux parents par M. Dror ou les remarques éventuelles faites aux parents qui envisageaient de placer leurs enfants dans la crèche Grain de Ciel.
Discussion de la commission
L'ensemble de la commission prend acte du fait que le service de la protection de la jeunesse semble mettre la loi et le règlement en avant, fût-ce au détriment de ce qui pourrait être l'intérêt des enfants. La rétention d'informations à cet égard lui paraît regrettable. Toutefois, la commission doit prendre acte du fait que la délivrance de l'autorisation par le département de l'instruction publique rend en réalité caduc l'objectif de la pétition. Dans ces conditions, après s'être assuré que le pétitionnaire ne souhaitait pas formellement retirer sa pétition, malgré l'autorisation d'exploitation reçue, la commission s'est prononcée sur la suite à donner à ladite pétition.
Après avoir écarté, par 3 voix pour, 5 contre et 6 abstentions, le renvoi de la pétition 1062 au Conseil d'Etat et rejeté par 3 voix pour et 11 contre le classement, au vu des explications qui précèdent, la commission des pétitions vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, le dépôt de la pétition 1062 sur le bureau du Grand Conseil par 8 voix pour et 6 voix contre.
Annexe: Crèche Grain de Ciel
Programme pédagogique
ANNEXE
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page 11Débat
Mme Michèle Wavre (R), rapporteuse ad interim. M. Bernard Lescaze me prie de vous dire qu'il n'a rien à ajouter à son rapport, qui reflète assez exactement les débats de la commission et les informations qui ont été mises à sa disposition. Je le confirme volontiers, puisque j'ai participé, moi aussi, aux travaux de la commission des pétitions.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.